Joseph Epstein

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Joseph Epstein
Plaque de la place Joseph-Epstein dans le 20e arrondissement de Paris.
Plaque de la place Joseph-Epstein dans le 20e arrondissement de Paris.

Surnom Colonel Gilles, Joseph Andrej, Joseph Estain, Joseph, André Duffau
Naissance
Zamość, Empire russe
Décès (à 32 ans)
fort du Mont-Valérien
Première incarcération
Origine Polonaise
Allégeance Francs-tireurs et partisans
Cause défendue Résistance
Hommages Médaille de la Résistance française
Mort pour la France

Joseph Epstein, dit Colonel Gilles, né le à Zamość (Pologne), alors dans l'Empire russe, et fusillé au fort du Mont-Valérien (France) le , est un militant juif communiste et résistant. Dirigeant des FTP-MOI à Paris, outre le surnom de colonel Gilles, il porte différents noms de guerre : Joseph Andrej, Joseph Estain, Joseph ou encore André Duffau.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse polonaise, premiers engagements politiques et émigration en France[modifier | modifier le code]

Joseph Epstein appartient à une famille de culture yiddish. Il est né le 16 octobre 1911 à Zamość en Pologne.

Issu d'une famille juive polonaise aisée (son père est directeur d’une briqueterie), apparenté au grand écrivain yiddish Isaac Leib Peretz, Joseph Epstein fréquente le lycée de Zamosc mais, intéressé par les problèmes sociaux, il se lie avec les « ouvriers de son père pour les organiser dans leurs luttes revendicatives », affirme David Diamant (Combattants, héros et martyrs de la Résistance, p. 17). À la Faculté de droit de Varsovie, il se destine à devenir avocat puis il entre en contact avec les étudiants révolutionnaires et adhéra au Parti communiste avec sa sœur.

Dès son plus jeune âge, il participe, dans les rangs du Parti communiste de Pologne, à la lutte contre le gouvernement de Józef Piłsudski. Il poursuit par ailleurs des études de droit à l'université de Varsovie.

La police l’arrête lors d’une prise de parole devant une usine. Il connaît la prison pour menées révolutionnaires. Libéré sous caution, Epstein quitte la Pologne pour la Tchécoslovaquie d’où il est aussitôt expulsé. Comme de nombreux émigrés politiques polonais, il décide de gagner la France, Pays des Lumières et des Droits de l'Homme à ses yeux et rejoint des compatriotes à Tours (Indre-et-Loire) en 1931. Inscrit à la Faculté de droit de Tours, il doit quitter la région à la suite d’une intervention de l’ambassade de Pologne. Avec sa femme Perla Grynfeld ou Paula Duffau, rencontrée à Tours en 1931, il va à Bordeaux (Gironde et finit ses études de droit (il obtient sa licence en novembre 1935) tout en militant activement.

Il emménage avec sa femme Paula à Bordeaux où il termine ses études de droit en [1]. Ses camarades étudiants le surnomment l'« Oracle ». Il se prépare à affronter le fascisme et s'organise politiquement. Il se structure en côtoyant les communistes et le Komintern et étudie De la guerre, de Carl von Clausewitz. Pour lui, la lutte contre le fascisme est imminente.

Guerre d'Espagne (1936-1939)[modifier | modifier le code]

Dès l’été 1936, Joseph Epstein se rend en Espagne pour combattre comme volontaire. Membre des Brigades internationales à leur création, il est grièvement blessé sur le front d’Irun et rapatrié en France. Le Comité de secours au peuple espagnol en fait un de ses propagandistes jusqu’à son deuxième départ en Espagne, en janvier 1938. Désigné, à Albacete, comme commissaire politique auprès des Brigades internationales, il a, selon David Diamant, « exigé d’être envoyé au front ». Lieutenant, il commande une batterie d’artillerie dans le bataillon Dimitrov (brigade Anna Pauker) et, sous le pseudonyme de Joseph André, participe aux combats de l’Èbre. Cité à l’ordre du jour de la 3e division, il devient capitaine.

En 1936, durant la guerre d'Espagne, il combat aux côtés des républicains espagnols dans les brigades internationales et il est grièvement blessé. Pendant sa guérison, il participe à l'action de la compagnie maritime « France Navigation », laquelle est chargée du transport de l'aide à l'Espagne républicaine. De retour en Espagne, il est affecté à la compagnie d'artillerie « Anna Pauker ». Il participe à la bataille de l'Èbre et il est cité à l'ordre de l'Armée. À son retour en France en 1939, il est emprisonné au camp de Gurs. Il est libéré en juillet 1939.

Seconde Guerre mondiale (période 1940-1944)[modifier | modifier le code]

Engagé dans la Légion étrangère, il est fait prisonnier pendant la campagne de 1940. Il est envoyé dans un stalag en Allemagne, près de Leipzig, d'où il s'évade en et rejoint la lutte clandestine en France auprès des Francs-tireurs et partisans (FTP).

Tout d'abord principal responsable, en 1942, des groupes de sabotage et de destruction (GSD) créés par les syndicats CGT dans les entreprises travaillant pour l'occupant, il prend la direction de l'ensemble des FTP de la région parisienne, en , sous le nom du colonel Gilles[1] . Il a l'idée d'engager des commandos de quinze combattants à Paris, permettant de réaliser un certain nombre d'actions spectaculaires qui n'auraient pas été possibles avec les groupes de trois qui étaient la règle dans l'organisation clandestine depuis 1940. Il instaure ainsi une tactique de guérilla urbaine que mettent en œuvre les Francs-tireurs et Partisans et les FTP-MOI[2].

Dénoncé par un traître, il est arrêté en gare d'Évry Petit-Bourg, après de nombreuses filatures, le , en même temps que Missak Manouchian. Il est torturé pendant plusieurs mois. Atrocement blessé par les inspecteurs des Brigades spéciales, il évite les aveux précis, ne livre aucun nom, pas même son identité.

Il ne figurait pas sur l'Affiche Rouge car il avait un « physique de bon aryen », les yeux bleus et les cheveux blonds, parlait français sans accent[3] et l'enjeu idéologique était de jeter l'opprobre sur les judeos-bolcheviques métèques. Son allure et son image ne cadraient pas avec la propagande nazie et cette mise à l'écart fut une étape de son oubli à un moment donné.

Il est fusillé au fort du Mont-Valérien avec 28 autres résistants, le . Le jour de son exécution, il aide un camarade à s'évader du camion qui les conduit au peloton d'exécution[4].

Entre 1940 et 1944, ce sont 4 400 Français fusillés par un peloton d'exécution Allemand et 800 autres exécutés par la justice de Vichy. Epstein Joseph est un FTPF exécuté par les occupants allemands le 11 avril 1944 au Mont Valérien où il rejoindra les 1 065 autres de la longue liste des tués au Mont-Valérien.

Lettres d'adieu[modifier | modifier le code]

Les lettres de Joseph Epstein représentent des documents d'archives pour connaître ce résistant.

« Fresnes, le 11 avril 1944

Ma petite Paula bien-aimée,

Fidèle jusqu’au dernier, souffle à mon idéal, cet après-midi à 15 heures, je tomberai fusillé.

Je te laisse seule avec notre petit garçon chéri Je ne pense qu’à vous deux. Je vous aime tellement, je t’aime tellement, ma petite chérie. Je te demande pardon de tout le mal que j’ai pu te faire. Tu m’as donné tellement de bonheur. Maintenant j’y repense ; je revis ces instants de bonheur passés près de toi et près de notre petit garçon chéri. Sois courageuse, ma petite bien-aimée. Défends notre petit Microbe chéri Élève-le en homme bon et courageux. Et je t’en supplie ne lui donne pas un autre papa. Parle-lui souvent de moi, de son papa-car qui l’aime tellement, qui vous aime tellement.

Mes derniers instants, je veux les consacrer à vous. Je te revois, avec notre petit trésor dans les bras, m’attendre à la descente du car. J’entends son (sourire, barré dans le texte original) rire, je revois tes yeux de maman l’envelopper de tain de tendresse ; Je l’entends m’appeler « papa », « papa » Soyez heureux tous les deux et n’oubliez pas votre « papa-car »

Je saurai mourir courageusement et, face au peloton d’exécution, je penserai à vous, à votre bonheur et à votre avenir. Pensez de temps en temps un peu à moi

Du courage, ma Paula bien-aimée, II faut élever notre petit garçon chéri. II faut faire de lui un homme bon et courageux. Son papa lui laisse un nom sans tache. Aux moments de découragement, pense à moi, à mon amour pour vous deux, à mon amour immense qui ne vous quitte pas, qui va vous accompagner partout et toujours. Ma bien-aimée, ne te laisse pas abattre, tu seras à partir de 15 heures le papa et la maman de notre petit chéri.

Sois courageuse et encore une fois pardonne-moi le mal que je t’ai fait. Te dis, ma Paula bien-aimée, tout mon amour pour toi et notre petit Microbe chéri. Vous serre tous les deux dans mes bras. Vous embrasse de tout mon cœur.

Vive la France, Vive la liberté !

J. E. »

« Mon petit Microbe, mon fils,

Quand tu seras grand, tu liras cette lettre de ton papa. II l’a écrite 3 heures avant de tomber sous les balles du peloton d’exécution. Je t’aime tellement, mon petit garçon, tellement, tellement. Je te laisse seul avec ta petite maman chérie. Aime-la par-dessus tout.

Rends-la heureuse, si heureuse. Remplace ton papa-car auprès d’elle. Elle est si bonne ta maman, et ton papa l’aime tellement Console-la, mon petit garçon chéri, soutiens-la. Tu es tout maintenant pour elle. Donne-lui toute la joie. Sois bon et courageux.

Je tomberai courageusement, mon petit Microbe chéri, pour ton bonheur [et celui] de tous les enfants et de toutes les mamans. Garde-moi (et, rayé dans le texte original) un tout petit coin dans ton cœur. .

Un tout petit coin, mais rien qu’à moi. N’oublie pas ton papa-car. Mon petit fils chéri, je revois ta petite figure souriante, j’entends ta voix si gaie. Je te vois de tous, mes yeux. Tu es tout notre bonheur, le mien et celui de ta maman chérie.

Obéis à ta maman, aime-la par-dessus tout, ne lui cause jamais de chagrin. Elle a déjà tellement souffert. Donne-lui tellement de bonheur et de joie.

Mes derniers instants. Je ne pense qu’à toi, mon petit garçon chéri et à ta maman bien-aimée. Soyez heureux, soyez heureux dans un monde meilleur, plus humain. Vous dis encore une fois tout mon amours. Sois courageuse, ma petite Paula chérie. Aime ta maman par-dessus tout, mon petit garçon chéri, mon petit Microbe chéri. Sois bon et courageux, n’oubliez pas votre papa-car. Vous serre tous les deux dans mes bras. Vous embrasse de toutes mes forces, de tout mon cœur, votre papa-car.

Mes amitiés à tous nos amis. Je leur demande de t’aider, de vous aider et soutenir.

Joseph

Daniel - prend soin de ma petite Paula chérie et de mon petit Microbe adoré.[1]" »

Sous son commandement[modifier | modifier le code]

  • Selon David Diamant, Epstein est le principal responsable des groupes de sabotage créés par la CGT. Le Parti communiste français clandestin lui confie d’importantes responsabilités en raison de ses capacités militaires et intellectuelles, dans la Résistance et en fait, en Février 1943, le successeur de Lucien Carré à la tête de l’ensemble des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la région parisienne, sous le nom de « Colonel Gilles ». Dans ces fonctions, il innove la technique de guérilla urbaine en abandonnant les groupes de trois au profit de formations renforcées d’une quinzaine de combattants, pour attaquer à la grenade ou au pistolet, ce qui semblent avoir permis de moindres pertes chez les partisans. Cette stratégie permet de sauver des vies de résistants. (source : Résistants, Missak Manouchian. L'ENGAGEMENT DES ÉTRANGERS, numéro hors série, Le Monde, février 2024)
  • Il organise une série d’actions spectaculaires. Citons les plus marquantes : le 12 juillet 1943, vers 8 heures, à l’heure du petit déjeuner, protégé par des groupes de protection, un FTP lance une grenade à l’intérieur de la grande salle du café de l’Hôtel de la Terrasse, avenue de la Grande-Armée réservé aux officiers allemands ; trois soldats furent blessés, dont deux graves ; le 5 octobre 1943, vers midi, place de l’Odéon, un combattant lança une grenade contre un détachement allemand d’une cinquantaine de soldats allemands, il y eut douze blessés dont cinq grièvement.
  • René Rœckel (1909-1944), dit Rajac, lieutenant, au sein du détachement Alsace-Lorraine, commandant militaire de la région sud de Paris de à [5].

Distinction et hommages nationaux[modifier | modifier le code]

Plaque 2 rue Labrouste (Paris).

Liste des membres du groupe Manouchian exécutés[modifier | modifier le code]

La liste suivante des 23 membres du « groupe Manouchian » exécutés par les Allemands signale par la mention (AR) les dix membres que les Allemands ont fait figurer sur l'Affiche rouge.

Le nom de chacun des 23 est gravé sur la plaque de la crypte[7] et cité avec la mention « Mort pour la France » lors de l'entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon le [8],[9].

Mémorial de l'Affiche rouge à Valence.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Jean Maitron, Claude Pennetier, « EPSTEIN Joseph [Pseudonymes dans la Résistance : ANDRÉ Joseph, colonel Gilles] », sur Le Maitron en ligne.
  2. Albert Ouzoulias, Les bataillons de la jeunesse, p. 320-325.
  3. « Joseph Epstein "Bon pour la légende" », sur L'Humanité, .
  4. Musée de la Résistance nationale, « Les 23 fusillés de L'Affiche rouge », sur musee-resistance.com (consulté le ).
  5. « Plaque en hommage à René Roeckel, Zellenberg (Haut-Rhin) », sur museedelaresistanceenligne.org (consulté le ).
  6. « Joseph EPSTEIN alias Gilles », sur Mémoire des hommes (consulté le ).
  7. Hugues Nancy, Manouchian et ceux de l'Affiche rouge, , documentaire
  8. Cérémonie d'entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian
  9. Michel Lefebvre et Gaïdz Minassian, « Au Panthéon, Emmanuel Macron salue la mémoire de Missak Manouchian, « Français de préférence, Français d'espérance » », Le Monde,‎ (lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Pascal Convert, Joseph Epstein, Bon pour la légende : Lettre au fils, Paris, Éditions Atlantica-Séguier, , 300 p. (ISBN 978-2-84049-527-7)
  • Pascal Convert, Joseph Epstein, Bon pour la légende : Lettre au fils (Édition augmentée de Ceux qui nous soulèvent), Bordeaux, Confluences (éditions), , 408 p. (ISBN 978-2355272455)
  • Albert Ouzoulias, Les bataillons de la jeunesse : Les jeunes dans la Résistance, Paris, Les Éditions sociales, , 495 p.
  • Moshé Zalcman (trad. du yiddish par Boris Rusanchi, postface Léo Hamon), Joseph Epstein, Colonel Gilles : De Zamosc En Pologne Au Mont Valerien 1911-1944, Édition La Digitale, , 90 p.
  • Dictionnaire des fusillés 1940-1944, Les Éditions de l'Atelier, Paris, 2015.

Filmographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]