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« Histoire de l'Argentine » : différence entre les versions

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[[Image:Argentina.svg|vignette|Argentine]]
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[[Fichier:Amérique méridionale en 1840.tif|vignette|Carte de l'Amérique méridionale dressée en 1840 par le géographe français [[Antoine Houzé]] ; le nom ''Argentine'' n'existe pas encore et le pays est dénommé ''La Plata''.]]
[[Fichier:Amérique méridionale en 1840.tif|vignette|Carte de l'Amérique méridionale dressée en 1840 par le géographe français [[Antoine Houzé]] ; le nom ''Argentine'' n'existait pas encore et le pays se dénommait ''Río de la Plata''.]]


L’'''histoire de l’Argentine''' est celle des événements survenus sur l’actuel territoire de la [[Argentine|République argentine]] depuis les premiers peuplements humains jusqu’à nos jours.
L’'''histoire de l’Argentine''' est celle des événements survenus sur l’actuel territoire de la [[Argentine|République argentine]] depuis les premiers peuplements humains jusqu’à nos jours.
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Elle débute par les vestiges les plus anciens de l’[[homo sapiens]] sur le sol argentin, c’est-à-dire ceux qui ont été découverts dans l’extrême sud de la [[Patagonie argentine|Patagonie]] et qui remontent à une période aux environs de 13000 av. J.C. Les premières civilisations agro-céramiques se sont implantées à partir du {{s-|XVIII}} av. J.C. dans la zone [[Cordillère des Andes|andine]] du nord-est du pays.
Elle débute par les vestiges les plus anciens de l’[[homo sapiens]] sur le sol argentin, c’est-à-dire ceux qui ont été découverts dans l’extrême sud de la [[Patagonie argentine|Patagonie]] et qui remontent à une période aux environs de 13000 av. J.C. Les premières civilisations agro-céramiques se sont implantées à partir du {{s-|XVIII}} av. J.C. dans la zone [[Cordillère des Andes|andine]] du nord-est du pays.


L’histoire écrite de ce qui est aujourd’hui l’Argentine commence avec les observations du chroniqueur [[Allemagne|allemand]] [[Ulrich Schmidl]] consignées lors de expédition menée en 1516 par [[Juan Díaz de Solís]] dans le [[Río de la Plata]].
L’histoire écrite de ce qui est aujourd’hui l’Argentine commence avec les observations du chroniqueur [[Allemagne|allemand]] [[Ulrich Schmidl]] consignées lors de expédition menée en 1516 par [[Juan Díaz de Solís]] dans le [[Río de la Plata]]. Cette expédition préfigure la conquête espagnole d’une partie de cette région qui sera accomplie dans les décennies suivantes.
Cette expédition préfigure la conquête espagnole d’une partie de cette région qui sera accomplie dans les décennies suivantes.
En 1776, la [[Monarchie espagnole|couronne espagnole]] crée, par scission d’avec la [[vice-royauté du Pérou]], la nouvelle [[vice-royauté du Río de la Plata]], entité administrative regroupant divers territoires et au départ de laquelle va se dérouler, avec la [[révolution de Mai]] 1810, un processus graduel de formation de plusieurs États indépendants, dont entre autres les [[Provinces-Unies du Río de la Plata]], conglomérat de [[Provinces de l'Argentine|provinces]] plus ou moins autonomes les unes vis-à-vis des autres.
En 1776, la [[Monarchie espagnole|couronne espagnole]] créa, par scission d’avec la [[vice-royauté du Pérou]], la nouvelle [[vice-royauté du Río de la Plata]], entité administrative regroupant divers territoires et au départ de laquelle va se dérouler, avec la [[révolution de Mai]] 1810, un processus graduel de formation de plusieurs États indépendants, dont entre autres les [[Provinces-Unies du Río de la Plata]], conglomérat de [[Provinces de l'Argentine|provinces]] plus ou moins autonomes les unes vis-à-vis des autres.
La souveraineté de l’Argentine est formalisée par la [[Déclaration d'indépendance de l'Argentine|déclaration d’indépendance]] du 9 juillet 1816 à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]], puis avec la [[Bataille d'Ayacucho|défaite militaire des troupes de l’Empire espagnol]] en 1824, dans l’actuel département [[Pérou|péruvien]] d’[[Régions et départements du Pérou|Ayacucho]].
En 1833, l’[[Empire britannique]] prend possession des [[îles Malouines]], alors une ''commandance'' militaire ressortissant aux Provinces-Unies, et dont l’Argentine n’a cessé depuis lors de réclamer la restitution.


La souveraineté de l’Argentine fut formalisée par la [[Congrès de Tucumán#La Déclaration de l’indépendance|déclaration d’indépendance]] du {{date|9 juillet 1816}} à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]], puis avec la [[Bataille d'Ayacucho|défaite militaire des troupes de l’Empire espagnol]] en 1824, dans l’actuel département [[Pérou|péruvien]] d’[[Régions et départements du Pérou|Ayacucho]].
À l’issue d’une longue période de [[Guerres civiles argentines|guerres intestines]] se met en place entre 1853 et 1860, sur la base de la [[Constitution argentine de 1853|constitution adoptée en 1853]], une république fédérale sous la dénomination de République argentine.
En 1833, l’[[Empire britannique]] prit possession des [[îles Malouines]], alors une ''comandancia'' militaire ressortissant aux Provinces-Unies, et dont l’Argentine n’a cessé depuis lors de réclamer la restitution.
Au moyen de campagnes militaires menées contre les peuples [[Mapuches|mapuche]], [[Tehuelches|tehuelche]], [[ranquel]], [[Wichís|wichi]] et [[Toba (peuple d'Argentine)|qom]], et désignées par ''[[Guerre du Chaco|conquête du Chaco]]'' et ''[[conquête du Désert]]'', la République argentine s’empara respectivement des plaines du [[Gran Chaco]] au nord et de la [[Pampa]] et de la [[Patagonie argentine|Patagonie orientale]] au sud, donnant corps ainsi à son territoire actuel qui, pour la superficie, occupe le huitième rang mondial.

À l’issue d’une longue période de [[Guerres civiles argentines|guerres intestines]] se mit en place entre 1853 et 1860, sur la base de la [[Constitution argentine de 1853|constitution adoptée en 1853]], une république fédérale sous la dénomination de République argentine.
Par une série de campagnes militaires menées contre les peuples [[Mapuches|mapuche]], [[Tehuelches|tehuelche]], [[ranquel]], [[Wichís|wichi]] et [[Toba (peuple d'Argentine)|qom]], et désignées par ''[[Guerre du Chaco|conquête du Chaco]]'' et ''[[conquête du Désert]]'', la République argentine s’empara respectivement des plaines du [[Gran Chaco]] au nord et de la [[Pampa]] et de la [[Patagonie argentine|Patagonie orientale]] au sud, donnant corps ainsi à son territoire actuel qui, pour la superficie, occupe le huitième rang mondial.


La période entre 1862 et 1930, remarquable de stabilité constitutionnelle, verra la population du pays, à la faveur d’une vaste [[Immigration en Argentine|vague migratoire]] en provenance principalement d’[[Italie]] et d’[[Espagne]], augmenter cinq fois plus vite que dans l’ensemble du monde. L’instauration en 1912 du [[Loi Sáenz Peña|suffrage universel]] (masculin), complété en 1951 par le droit de vote des femmes, permit l’avènement d’une série de gouvernements dûment élus par le vote populaire, mais qui à partir de 1930 alterneront au pouvoir avec des [[Dictature militaire|dictatures militaires]] et des [[Décennie infâme|gouvernements frauduleux]]. La [[Dictature militaire en Argentine (1976-1983)|dernière en date]] de ces dictatures s’effondra en 1982 en conséquence de la défaite argentine dans la [[guerre des Malouines]] contre la [[Royaume-Uni|Grande-Bretagne]], et ses protagonistes furent traduits en justice pour [[Crime contre l'humanité|crimes contre l'humanité]]. En 1983 s’est engagée une longue période de [[démocratie]], qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
La période entre 1862 et 1930, remarquable de stabilité constitutionnelle, vit la population du pays, à la faveur d’une vaste [[Immigration en Argentine|vague migratoire]] en provenance principalement d’[[Italie]] et d’[[Espagne]], augmenter cinq fois plus vite que dans l’ensemble du monde. L’instauration en 1912 du [[Loi Sáenz Peña|suffrage universel]] (masculin), complété en 1951 par le droit de vote des femmes, permit l’avènement d’une série de gouvernements dûment élus par le vote populaire, mais qui à partir de 1930 alterneront au pouvoir avec des [[Dictature militaire|dictatures militaires]] et des [[Décennie infâme|gouvernements frauduleux]]. La [[Dictature militaire en Argentine (1976-1983)|dernière en date]] de ces dictatures s’effondra en 1982 en conséquence de la défaite argentine dans la [[guerre des Malouines]] contre la [[Royaume-Uni|Grande-Bretagne]], et ses protagonistes furent traduits en justice pour [[Crime contre l'humanité|crimes contre l’humanité]]. En 1983 s’est engagée une longue période de [[démocratie]], qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.


La [[Démographie de l'Argentine|population du pays]] est estimée à {{nb|47|millions}} d'habitants en 2024 (hors diasporas ou émigrations), contre 40 en 2010, 20 en 1960, 4 en 1895, 2 en 1870, 1 en 1840, à {{nb|0,5}} vers 1800. Mais ce ne sont pas encore des Argentins.
La [[Démographie de l'Argentine|population du pays]] est estimée à {{nb|47|millions}} d’habitants en 2024 (hors diasporas ou émigrations), contre 40 en 2010, 20 en 1960, 4 en 1895, 2 en 1870, 1 en 1840, à {{nb|0,5}} vers 1800. Mais ce ne sont pas encore des Argentins.


== Préhistoire et premières populations humaines ==
== Préhistoire et premières populations humaines ==
[[Fichier:SantaCruz-CuevaManos-P2210651b.jpg|vignette|upright=1.5|Photo prise dans la « Cueva de las Manos » ou ''grotte des mains'', Río Pinturas, Santa Cruz, Argentine, {{unité|7300|av. J.-C.}}]]
[[Fichier:SantaCruz-CuevaManos-P2210651b.jpg|vignette|upright=1.5|Photo prise dans la « Cueva de las Manos » ou ''grotte des mains'', Río Pinturas, Santa Cruz, Argentine, {{unité|7300|av. J.-C.}}]]

Une hypothèse voudrait que les premiers êtres humains à pénétrer en [[Argentine]] y soient parvenus par l'extrême sud de la Patagonie chilienne.
Les témoignages les plus anciens sont rassemblés au musée lapidaire de la [[province de Santa Cruz]] et remontent au {{-m|XI|e}}
Une hypothèse voudrait que les premiers êtres humains à pénétrer en [[Argentine]] y soient parvenus par l'extrême sud de la Patagonie chilienne. Les témoignages les plus anciens sont rassemblés au musée lapidaire de la [[province de Santa Cruz]] et remontent au {{-m|XI|e}}


D'autres établissements ont été relevés à [[Los Toldos (Santa Cruz)|Los Toldos]], également en province de [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]], avec des vestiges datant du {{-m|X|e}}
D'autres établissements ont été relevés à [[Los Toldos (Santa Cruz)|Los Toldos]], également en province de [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]], avec des vestiges datant du {{-m|X|e}}


Ces premiers habitants chassent les [[Mylodon|milodons]]<ref>[http://www.ayacara.cl/milodon.htm El Milodón fue un animal prehistórico que vivió hace 10 o 13 millones de años atrás]</ref> (animaux semblables à de grands ours, mais avec une tête ressemblant à celle d'un camélidé, aujourd'hui disparus) et les [[hippidion]]s<ref>[http://www.reu.edu.uy/jpv/areas/paleontologia/fauna-te.html Fauna del ambiente terrestre]</ref> (chevaux nains sud-américains disparus eux aussi, il y a environ {{unité|10000|ans}}), en plus des [[guanaco]]s, [[Lama (genre)|lamas]] et [[Rhea|nandou]]s.
Ces premiers habitants chassent les [[Mylodon|milodons]]<ref>[http://www.ayacara.cl/milodon.htm El Milodón fue un animal prehistórico que vivió hace 10 o 13 millones de años atrás]</ref> (animaux semblables à de grands ours, mais avec une tête ressemblant à celle d'un camélidé, aujourd'hui disparus) et les [[hippidion]]s<ref>[http://www.reu.edu.uy/jpv/areas/paleontologia/fauna-te.html Fauna del ambiente terrestre]</ref> (chevaux nains sud-américains disparus eux aussi, il y a environ {{unité|10000|ans}}), en plus des [[guanaco]]s, [[Lama (genre)|lamas]] et [[Rhea|nandou]]s<ref>{{article|auteur1=Laura Lucía Miotti|auteur2= Darío Hermo|auteur3=Enrique Terranova|auteur4=Rocío Blanco|date=2015|titre=Edenes en el desierto. Señales de caminos y lugares en la historia de la colonización de Patagonia Argentina |périodique=Antípoda. Revista de Antropología y Arqueología |numéro=23|passage=161-185|issn=1900-5407 |doi=10.7440/antipoda23.2015.08|langue=es}}</ref>.


Près de là, il est possible de voir les peintures de mains et de guanacos dessinés vers {{unité|13000|ans}}, pour le groupe « stylistique A », le niveau culturel le plus ancien, puis vers {{unité|7300|av. J.-C.}} pour le second niveau culturel, groupe « stylistique B », sur les parois de la [[Cueva de las Manos]] ([[Río Pinturas]], [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]], déclarés [[patrimoine mondial|patrimoine culturel de l'Humanité]] par l'[[Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture|UNESCO]]).
Près de là, il est possible de voir les peintures de mains et de guanacos dessinés vers {{unité|13000|ans}}, pour le groupe « stylistique A », le niveau culturel le plus ancien, puis vers {{unité|7300|av. J.-C.}} pour le second niveau culturel, groupe « stylistique B », sur les parois de la [[Cueva de las Manos]] ([[Río Pinturas]], [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]], déclarés [[patrimoine mondial|patrimoine culturel de l'Humanité]] par l’[[Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture|UNESCO]]).


Les résultats d'une étude de paléogénétique publiée en 2021 suggèrent que les premiers colons de [[Province de La Pampa|la Pampa]] faisaient partie d'une dispersion unique et rapide il y a {{formatnum:15600}} ans<ref>{{en}} Xavier Roca-Rada, Gustavo Politis et al., [https://www.cell.com/iscience/fulltext/S2589-0042(21)00521-6 Ancient mitochondrial genomes from the Argentinian Pampas inform the early peopling of the Southern Cone of South America], Iscience, 19 mai 2021, doi.org/10.1016/j.isci.2021.102553</ref>, tandis que le [[Nord-Ouest argentin|nord-ouest argentin]] a reçu ses premiers habitants vers le début du {{-m|VII|e}}{{ref nec}}.
Les résultats d'une étude de paléogénétique publiée en 2021 suggèrent que les premiers colons de [[Province de La Pampa|la Pampa]] faisaient partie d'une dispersion unique et rapide il y a {{formatnum:15600}} ans<ref>{{en}} Xavier Roca-Rada, Gustavo Politis et al., [https://www.cell.com/iscience/fulltext/S2589-0042(21)00521-6 Ancient mitochondrial genomes from the Argentinian Pampas inform the early peopling of the Southern Cone of South America], Iscience, {{date|19 mai 2021}}, doi.org/10.1016/j.isci.2021.102553</ref>, tandis que le [[Nord-Ouest argentin|nord-ouest argentin]] a reçu ses premiers habitants vers le début du {{-m|VII|e}}{{ref nec}}.


== Avant 1500 : civilisations et cultures indigènes, dites ''précolombiennes'' ==
== Avant 1500 : civilisations et cultures indigènes, dites ''précolombiennes'' ==
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[[Fichier:Santamariana.jpg|vignette|Urne funéraire santamarienne ({{unité|56|cm}} x {{unité|32|cm}}.)]]
[[Fichier:Santamariana.jpg|vignette|Urne funéraire santamarienne ({{unité|56|cm}} x {{unité|32|cm}}.)]]


Les [[Peuples amérindiens d'Argentine|peuples aborigènes argentins]] se sont divisés en deux grands groupes, d’une part les [[Chasseur-cueilleur|chasseurs-cueilleurs]] nomades qui habitaient la [[Patagonie argentine|Patagonie]], la [[Pampa]] et le [[Gran Chaco|Chaco]], et d’autre part les agriculteurs sédentaires, installés dans le nord-ouest, le [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]], les [[Sierras de Córdoba]] et plus tardivement, en [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie]].

Les [[Peuples amérindiens d'Argentine|peuples aborigènes argentins]] se sont divisés en deux grands groupes, d'une part les chasseurs-cueilleurs nomades qui habitèrent la [[Patagonie argentine|Patagonie]], la [[Pampa]] et le [[Gran Chaco|Chaco]], et d'autre part les agriculteurs sédentaires, installés dans le nord-ouest, le [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]], les [[Sierras de Córdoba]] et plus tardivement, en [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie]].


=== Cultures andines de l'Ouest et du Nord-Ouest ===
=== Cultures andines de l'Ouest et du Nord-Ouest ===


==== Culture d'Ansilta ====
==== Culture d'Ansilta ====
Une des premières cultures à avoir développé une forme d'agriculture primitive sur le territoire argentin actuel est la ''{{Lien|lang=es|trad=Cultura de Ansilta|fr=Culture d'Ansilta}}'', située aux abords de [[Mendoza (ville)|Mendoza]], [[San Juan (Argentine)|San Juan]] et [[San Luis (Argentine)|San Luis]].
Une des premières cultures à avoir développé une forme d’agriculture primitive sur le territoire argentin actuel est la {{Lien|lang=es|trad=Cultura de Ansilta|fr=Culture d'Ansilta}}, située aux abords de [[Mendoza (ville)|Mendoza]], [[San Juan (Argentine)|San Juan]] et [[San Luis (Argentine)|San Luis]].
Mal connue, cette surprenante culture va de {{unité|1800|av. J.-C.}} jusqu'à [[500]] apr. J.-C., soit plus de {{unité|2000|ans}}, ce qui est un cas unique de continuité. Sans doute s'agit-il des prédécesseurs des ethnies [[Huarpes]].
Mal connue, cette surprenante culture va de {{unité|1800|av. J.-C.}} jusqu'à [[500]] apr. J.-C., soit plus de {{unité|2000|ans}}, ce qui est un cas unique de continuité. Sans doute s’agit-il des prédécesseurs des ethnies [[Huarpes]]<ref name=Edwards12>{{ouvrage|langue=en|auteur1=Todd L. Edwards|titre=Argentina: A Global Studies Handbook|lieu=Santa Barbara|éditeur=ABC-CLIO|année=2008|pages totales=376|page=12|isbn= 978-1851099863|titre chapitre=A Note on the Indigenous Population|lire en ligne=https://books.google.be/books?hl=nl&lr=&id=NhfHEAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PP1&dq=huarpes+edwards+2008&ots=wlFFd2NuAc&sig=NAzwBa5JS8iHd0NENFA6wwvxRk0#v=onepage&q=huarpes%20edwards%202008&f=false}}.</ref>.


==== Culture Condorhuasi ====
==== Culture Condorhuasi ====
Cette culture apparaît en [[200 av. J.-C.|-200]] dans la province de [[Province de Catamarca|Catamarca]].
Cette culture apparut en [[200 av. J.-C.|-200]] dans la province de [[Province de Catamarca|Catamarca]].
Pour ces éleveurs de lamas et pasteurs, l’agriculture était un complément. Dans leur religion cruelle et violente, les [[chaman]]s utilisaient des [[hallucinogène]]s, tels que le [[Anadenanthera|Anadenanthera colubrina (aussi appelé ''cebil'')]], et accomplissaient des sacrifices humains. Grands forgerons, ils furent les premiers à utiliser des alliages métalliques. Leurs sculptures anthropomorphes font l’objet d'études approfondies : les ''suplicantes'' (les suppliants) sont de belles sculptures abstraites en pierre, représentant des êtres humains en position de supplication, appelant sans doute la pluie et la fertilité. Cette culture disparut entre le {{IIIe siècle}} et la fin du {{Ve siècle}}.
Pour ces éleveurs de lamas et pasteurs, l'agriculture est un complément.
Dans leur religion cruelle et violente, les [[chaman]]s utilisent des [[hallucinogène]]s, tels que le [[Anadenanthera|Anadenanthera colubrina (aussi appelé ''cebil'')]], et réalisent des sacrifices humains.
Grands forgerons, ils ont été les premiers à utiliser des alliages métalliques.
Leurs sculptures anthropomorphes font l'objet d'études approfondies : les ''suplicantes'' (les suppliants) sont de belles sculptures abstraites en pierre, représentant des êtres humains en position de supplication, appelant sans doute la pluie et la fertilité.
Cette culture disparaît entre le {{IIIe siècle}} et la fin du {{Ve siècle}}.


==== Culture Tafí (de -300 à 600) ====
==== Culture Tafí (de -300 à 600) ====
Presque contemporaine de la ''culture de la Ciénaga'' (de -200 à +800), la {{Lien|lang=es|trad=Cultura Tafí|fr=culture tafí}}, elle apparaît dans la vallée de '''[[Tafí del Valle|Tafí]]''', sur l'actuel territoire de [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]].
Presque contemporaine de la ''culture de la Ciénaga'' (de -200 à +800), la {{Lien|lang=es|trad=Cultura Tafí|fr=culture tafí}}, elle apparut dans la vallée de [[Tafí del Valle|Tafí]], sur l'actuel territoire de [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]]. Ces agriculteurs cultivaient notamment le [[maïs]], sur des terrasses.
Ils savaient aussi domestiquer le [[Lama (animal)|lama]].
Ces agriculteurs cultivent notamment le [[maïs]], sur des terrasses.
Ils domestiquent aussi le [[lama (animal)|lama]].


==== Culture de la Ciénaga (1c-700c) ====
==== Culture de la Ciénaga (1c-700) ====
Au {{s-|I|er}}, apparaît sur le sol argentin la première société totalement agricole, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura de la Ciénaga|fr=culture de la Ciénaga}}, également dans la région de [[Province de Catamarca|Catamarca]].
Au {{s-|I|er}} faisait son apparition sur le sol argentin la première société totalement agricole, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura de la Ciénaga|fr=culture de la Ciénaga}}, également dans la région de [[Province de Catamarca|Catamarca]]. Il s'y développa des plantations de [[maïs]] et des systèmes d'irrigation avec canaux. On y élévait aussi des lamas, qu'on utilisait en caravanes pour réaliser des échanges entre différentes localités. On construisait de petites localités de trente habitations au plus. Ce sont des précurseurs directs de la culture de la Aguada.
Il s'y développe des plantations de [[maïs]] et des systèmes d'irrigation avec canaux.
On y élève aussi des lamas, qu'on utilise en caravanes pour réaliser des échanges entre différentes localités.
On construit de petites localités de trente habitations au plus.
Ce sont des précurseurs directs de la Culture de la Aguada.


==== Culture de la Aguada (500c-900c) ====
==== Culture de la Aguada (500-900) ====
Entre les {{IVe siècle}} et {{Xe siècle}}, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura de la Aguada|fr=culture de la Aguada}} se développe sur le territoire des provinces de [[Province de Catamarca|Catamarca]] et [[Province de La Rioja (Argentine)|La Rioja]].
Entre les {{IVe siècle}} et {{Xe siècle}}, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura de la Aguada|fr=culture de la Aguada}} se développa sur le territoire des provinces de [[Province de Catamarca|Catamarca]] et [[Province de La Rioja (Argentine)|La Rioja]]. C'est la plus andine des cultures du nord-ouest argentin, fortement liée à la culture de [[Tiwanaku]]. La Aguada se caractérise par un fort développement artistique autour de la représentation du [[jaguar]]. Sans doute à ce moment se constitua une nouvelle forme politique dans les cultures du nord-ouest : celle des Seigneuries, au pouvoir d'un seigneur, qui dominait une certaine région et avait la main sur les excédents de production agricole. Parmi les représentations artistiques, on remarque celle du sacrificateur.
C'est la plus andine des cultures du nord-ouest argentin, fortement liée à la culture de [[Tiwanaku]].
La Aguada se caractérise par un fort développement artistique autour de la représentation du [[jaguar]].
Sans doute à ce moment se développe une nouvelle forme politique dans les cultures du nord-ouest : celle des '''Seigneuries''', au pouvoir d'un '''seigneur''', qui domine une certaine région et contrôle les excédents de production agricole.
Parmi les représentations artistiques, on remarque celle du sacrificateur.


L'économie de cette culture se base sur une agriculture en terrasses irriguées par des systèmes hydrauliques complexes.
L'économie de cette culture se basait sur une agriculture en terrasses irriguées par des systèmes hydrauliques complexes. On produisait du [[maïs]], des [[haricot]]s, des [[potiron]]s et des [[arachide]]s. On faisait le commerce de ces productions avec des endroits très éloignés comme [[San Pedro de Atacama]] ou la vallée de [[Copiapó]] au [[Chili]], de l'autre côté des [[Andes]], en utilisant les [[Lama (animal)|lamas]]. La [[métallurgie]] est très avancée, et on découvre le [[bronze]], bien avant l'arrivée des [[Espagnols]].
On produit du [[maïs]], des [[haricot]]s, des [[potiron]]s et des [[arachide]]s.
On fait le commerce des productions avec des endroits très éloignés comme [[San Pedro de Atacama]] ou la vallée de [[Copiapó]] au Chili, de l'autre côté des Andes, en utilisant les [[lama (animal)|lamas]].
La [[métallurgie]] est très avancée, et on découvre le [[bronze]], bien avant l'arrivée des [[Espagnols]].


Vers 900, ''La Aguada'' disparaît.
Vers 900, ''La Aguada'' disparu. Son héritage se retrouve dans la culture Belén et la culture de Santa María.
Son héritage se retrouve dans la '''culture Belén''' et la culture de Santa María.


==== Culture de Santa María (850/1200-1470) ====
==== Culture de Santa María (850/1200-1470) ====
Grâce à ses cultures en terrasses et systèmes d'irrigation très complexes, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura santamariana|fr=culture de Santa María}} réussit à avoir une forte population et à accumuler des excédents emmagasinés dans des silos souterrains.
Grâce à ses cultures en terrasses et systèmes d'irrigation très complexes, la {{Lien|lang=es|trad=Cultura santamariana|fr=culture de Santa María}} réussit à avoir une forte population et à accumuler des excédents, qui étaient emmagasinés dans des silos souterrains. On cultivait le [[maïs]], la [[pomme de terre]] (appelée ''papa''), le [[haricot]], le [[quinoa]], le [[piment]] et les [[courge]]s. On cueillait intensivement les fruits du [[Prosopis nigra|caroubier créole ou algarroba]] et du [[Geoffroea decorticans|chañar]]. Ces grands experts en élevage utilisent le fourrage.

On cultive le [[maïs]], la [[pomme de terre]] (appelée ''papa''), le [[haricot]], le [[quinoa]], le [[piment]] et les [[courge]]s.
Ils pratiquaient le commerce à grande distance, avec des caravanes de [[Lama (animal)|lamas]]. Ils développèrent la métallurgie du cuivre, de l'argent et de l'or, et fabriquaient des articles en bronze d'excellente qualité.
On cueille intensivement les fruits du [[Prosopis nigra|caroubier créole ou algarroba]] et du [[Geoffroea decorticans|chañar]].

Ces grands experts en élevage utilisent le fourrage.
La culture de Santa María se caractérise par une grande complexité sociopolitique, avec au sommet de la hiérarchie un seigneur dont les pouvoirs étaient héréditaires, des guerriers et des chamans. Cette culture correspond en grande partie à l'ethnie Paziocas, connue sous sa dénomination [[quechua]] de [[Diaguita]]s.
Ils développent le commerce à grande distance, avec des caravanes de [[lama (animal)|lamas]].
Ils développent la métallurgie du cuivre, de l'argent et de l'or, et fabriquent des articles en bronze d'excellente qualité.
La culture de Santa María se caractérise par une grande complexité sociopolitique, avec au sommet de la hiérarchie un seigneur dont les pouvoirs sont héréditaires, des guerriers et des chamans.
Cette culture correspond en grande partie avec l'ethnie '''Paziocas''' connue sous sa dénomination [[quechua]] de [[Diaguita]]s.


==== Culture de Sanagasta (1000-1500C) ====
==== Culture de Sanagasta (1000-1500) ====
* {{Lien|lang=es|trad=Cultura de Sanagasta|fr=Culture de Sanagasta}}
* {{Lien|lang=es|trad=Cultura de Sanagasta|fr=Culture de Sanagasta}}


==== Culture de Belén (1100-1535c) ====
==== Culture de Belén (1100-1535) ====
* {{Lien|lang=es|trad=Cultura de Belén|fr=Culture de Belén}}
* {{Lien|lang=es|trad=Cultura de Belén|fr=Culture de Belén}}
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==== Empire inca (1430c-1530c) ====
==== Empire inca (1430-1530) ====
Un siècle avant l'arrivée des Espagnols, la '''formation du Tucumán''', au nord-ouest argentin, compte une grande variété de peuples sédentaires avec leurs caractéristiques propres, et parmi eux, les [[diaguita|Paziocas]], les [[Atacama (ethnie)|Alpatamas]], les [[Omaguaca]]s, et les [[Huarpes]].
Un siècle avant l'arrivée des Espagnols, la formation du Tucumán, au nord-ouest argentin, comprenait une grande variété de peuples sédentaires avec leurs caractéristiques propres, et parmi eux, les [[diaguita|Paziocas]], les [[Atacama (ethnie)|Alpatamas]], les [[Omaguaca]]s et les [[Huarpes]].


Au {{s-|XV|e}} ce territoire est envahi et annexé par les [[Quechua]]s à la zone méridionale du Kollasuyu ou Collasuyu ou Qullasuyu (Étant donné l'éloignement de ces régions par rapport à [[Cuzco]], l'ensemble forme un territoire spécial du [[Empire inca|Tahuantinsuyu]] connu comme étant « '''Le Tucumán''' » et le « '''Kiri-Kiri''' »), intégré dans l'[[Empire inca]].
Au {{s-|XV|e}} ce territoire fut envahi et annexé par les [[Quechua]]s à la zone méridionale du Kollasuyu (ou ''Collasuyu'' ou ''Qullasuyu''). Étant donné l'éloignement de ces régions par rapport à [[Cuzco]], l'ensemble formait un territoire spécial du [[Empire inca|Tahuantinsuyu]], connu sous le nom de « ''Le Tucumán'' » et le « ''Kiri-Kiri'' ») et intégré dans l'[[Empire inca]].


==== Cultures andines indépendantes (1400-1520) ====
==== Cultures andines indépendantes (1400-1520) ====
Hors du Tahuantinsuyu ou Tawantinsuyu, se maintiennent quelques populations sédentaires indépendantes, par exemple les Lule-Toconoté (en guerre contre les Quechuas, et appelés péjorativement par ceux-ci « surís » ou « nandous »), les Sanavirón dans la zone des provinces de [[Province de Tucumán|Tucumán]], ouest de [[Province de Santiago del Estero|Santiago del Estero]] et nord de [[Province de Córdoba (Argentine)|Córdoba]], ainsi que les Comechingons dans les sierras de Córdoba et de San Luis.
Hors du Tahuantinsuyu ou Tawantinsuyu, se maintiennent quelques populations sédentaires indépendantes, par exemple les Lule-Toconoté (en guerre contre les Quechuas, et appelés péjorativement par ceux-ci « surís » ou « nandous »), les Sanavirón dans la zone des provinces de [[Province de Tucumán|Tucumán]], ouest de [[Province de Santiago del Estero|Santiago del Estero]] et nord de [[Province de Córdoba (Argentine)|Córdoba]], ainsi que les Comechingons dans les sierras de Córdoba et de San Luis<ref name=Edwards12/>.


=== Cultures de la Mésopotamie ===
=== Cultures de la Mésopotamie ===
[[Image:Riodelaplatabasinmap-fr.png|vignette|Mésopotamie argentine]]
[[Image:Riodelaplatabasinmap-fr.png|vignette|Mésopotamie argentine.]]
[[Fichier:Manihot esculenta dsc07325.jpg|vignette|Les Guaranís cultivaient le yuca, ou manioc, entre autres plantes]]
[[Fichier:Manihot esculenta dsc07325.jpg|vignette|Les Guaranís cultivaient le yuca, ou manioc, entre autres plantes.]]

Le terme de [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie argentine]] désigne l'ensemble des territoires entre deux fleuves, le [[rio Paraná]] et le [[río Uruguay]].
Le terme de [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie argentine]] désigne l'ensemble des territoires entre deux fleuves, le [[rio Paraná]] et le [[río Uruguay]].


Les '''Avás''' (mieux connus comme « '''Guaranís''' »), en provenance d'[[Amazonie]], s'établissent en territoire argentin entre la fin du {{s-|XV|e}} et le début du {{s-|XVI|e}}, avançant depuis le nord-est principalement par les cours d'eau.
Les '''Avás''' (mieux connus comme « '''Guaranís''' »), en provenance d'[[Amazonie]], s'établirent en territoire argentin entre la fin du {{s-|XV|e}} et le début du {{s-|XVI|e}}, avançant depuis le nord-est principalement par les cours d'eau.
Ils se subdivisent en divers groupes en fonction de l'endroit où ils s'implantent.
On distingue les Guaranís des îles (dans les îles du delta du Paraná), ceux du [[Río Carcarañá|Carcarañá]], de Santa Ana (nord de la [[province de Corrientes]], les ''Cáingangs'' ou Cainguás (en [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie]]) et les ''Chiriguanos'' (au [[Gran Chaco|Chaco]]). Ils font partie du groupe culturel dit des [[Langues tupi-guarani|Tupí-guaraní]].


Ils se subdivisent en divers groupes en fonction de l'endroit où ils s'implantèrent. On distingue les Guaranís des îles (dans les îles du delta du Paraná), ceux du [[Río Carcarañá|Carcarañá]], de Santa Ana (nord de la [[province de Corrientes]], les ''Cáingangs'' ou Cainguás (en [[Mésopotamie (Argentine)|Mésopotamie]]) et les ''Chiriguanos'' (au [[Gran Chaco|Chaco]]). Ils faisaient partie du groupe culturel dit des [[Langues tupi-guarani|Tupí-guaraní]].
Ils vivent dans des villages (tekuas) qui constituent de vraies [[Tribu (ethnologie)|unités tribales]] économiquement indépendantes. Chaque village guaraní est dirigé par un chef politique, le ''Mburuvichá'', et un chef religieux le ''Payé''. L'organisation sociale est chapeautée par un [[Cacique (chef)|cacique]] (''Tuvichá'') héréditaire.


Ils vivaient dans des villages (tekuas) qui constituaient de vraies [[Tribu (ethnologie)|unités tribales]] économiquement indépendantes. Chaque village guaraní était dirigé par un chef politique, le ''Mburuvichá'', et un chef religieux le ''Payé''. L'organisation sociale était chapeautée par un [[Cacique (chef)|cacique]] (''Tuvichá'') héréditaire.
Ces très bons chasseurs en forêt, cueilleurs, pêcheurs et aussi agriculteurs, se déplacent sur eau en [[canoë]]s.
Ils cultivent le [[manioc]] (''mandi'ó''), la [[pomme de terre]] (''jetý''), le [[potiron]] (''andai''), les [[courge]]s (''kurapepê''), le [[maïs]] (''avatí''), les [[haricot]]s (''kumandá''), le [[coton]] (''mandyju'') et le [[maté|yerba mate]] (''ka'á'').


Ces très bons chasseurs en forêt, cueilleurs, pêcheurs et aussi agriculteurs, se déplaçaient sur l’eau en [[canoë]]s. Ils cultivaient le [[manioc]] (''mandi'ó''), la [[pomme de terre]] (''jetý''), le [[potiron]] (''andai''), les [[courge]]s (''kurapepê''), le [[maïs]] (''avatí''), les [[haricot]]s (''kumandá''), le [[coton]] (''mandyju'') et la [[maté|yerba mate]] (''ka'á'').
Les [[Guaranis]] font irruption avec une grande brutalité dans le bassin du [[río de la Plata]], créant une situation de guerre permanente avec les peuples aborigènes non-Guaranís habitant la région. Ils pratiquent le cannibalisme des guerriers prisonniers.


Les [[Guaranis]] firent irruption avec une grande brutalité dans le bassin du [[río de la Plata]], créant une situation de guerre permanente avec les peuples aborigènes non-Guaranís habitant la région. Ils pratiquaient le [[cannibalisme]] des guerriers prisonniers. Leur stratégie guerrière s’appuyait sur un système d'attaques massives. Peu avant l'attaque, ils faisaient tomber sur leurs adversaires une pluie de flèches et de pierres.
Leur stratégie guerrière se fonde sur un système d'attaques massives.
Ensuite venait l’affrontement direct avec des [[lance]]s, des [[macana]]s et des [[gourdin]]s (''garrotes'').
Peu avant l'attaque, ils font tomber sur leurs adversaires une pluie de flèches et de pierres.
Ensuite vient l'affrontement direct avec des [[lance]]s, des [[macana]]s et des [[gourdin]]s (''garrotes'').


=== Cultures du Gran Chaco ===
=== Cultures du Gran Chaco ===
[[Image:Región chaqueña argentina.svg|vignette|Grand Chaco argentin]]
[[Image:Región chaqueña argentina.svg|vignette|Grand Chaco argentin]]

Dans la partie nord du [[Gran Chaco]] on distingue cinq cultures ou familles linguistiques, les cultures « Guaycurú », « Mataco-macá », « Tupí-guaraní », « Arawak » et « Lule-vilela ».
Dans la partie nord du [[Gran Chaco]] on distingue cinq cultures ou familles linguistiques, les cultures « Guaycurú », « Mataco-macá », « Tupí-guaraní », « Arawak » et « Lule-vilela ».


À la '''culture Guaycurú''' appartiennent les [[Toba (peuple d'Argentine)|Tobas ou Qom'lek]], les [[Pilagá]]s, les [[Mocoví]]s et les Abipones. Très habiles guerriers, occupant l'Est et le Sud du Chaco, ils adoptent le cheval, après l'arrivée des Espagnols, et résistent à la colonisation.
À la culture Guaycurú appartiennent les [[Toba (peuple d'Argentine)|Tobas ou Qom'lek]], les [[Pilagá]]s, les [[Mocoví]]s et les Abipones. Très habiles guerriers, occupant l'Est et le Sud du Chaco, ils avaient adopté le cheval, après l’arrivée des Espagnols, et résistèrent à la colonisation. Les Espagnols les appelaient ''frentones'' (surtout les ''Qom'lek''), parce qu'ils s'épilaient le front.
Les Espagnols les appelaient ''frentones'' (surtout les ''Qom'lek''), parce qu'ils s'épilaient le front.


'''La culture Mataco-Macá''' comprend les [[Wichís]] (''Matacos''), les [[Nivaklé]] (''Chulupís'') et les {{Lien|lang=es|trad=Chorotes|fr=Chorotes}} (''yofuasha''), qui occupent la zone ouest du Chaco.
La culture Mataco-Macá comprend les [[Wichís]] (''Matacos''), les [[Nivaklé]] (''Chulupís'') et les {{Lien|lang=es|trad=Chorotes|fr=Chorotes}} (''yofuasha''), qui occupaient la zone ouest du Chaco.


Les Chiriguanos, appartenant à la '''culture [[Langues tupi-guarani|Tupí-guaraní]]''', s'installent à l'ouest de la région.
Les Chiriguanos, appartenant à la culture [[Langues tupi-guarani|Tupí-guaraní]], s'installèrent dans l'ouest de la région. Dans la même zone, se retrouvent les [[Chané]]s de la culture [[Arawak]].
Dans la même zone, se retrouvent les [[Chané]]s de la '''culture [[Arawak]]'''.


Enfin, au nord-ouest du Chaco se trouvent les Vilelas ('''culture Lule-Vilela'''), disparus depuis lors.
Enfin, au nord-ouest du Chaco se trouvaient les Vilelas (culture Lule-Vilela), disparus depuis lors.
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Choroti; lek med trådfigurer. Gran Chaco. Bolivia - SMVK - 0072.0032.tif|Chorotes
Choroti; lek med trådfigurer. Gran Chaco. Bolivia - SMVK - 0072.0032.tif|Chorotes
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En région pampéenne et patagonique, on distingue les [[Het (peuple)|Hets]] (« anciens pampas » ou « querandís »), les [[Tehuelches]] (''Tsonek'') et les [[Mapuches]].
En région pampéenne et patagonique, on distingue les [[Het (peuple)|Hets]] (« anciens pampas » ou « querandís »), les [[Tehuelches]] (''Tsonek'') et les [[Mapuches]].


Les Mapuches, parlant le [[mapudungun]], contrôlent le nord de la Patagonie jusqu'à la fin du {{s-|XIX|e}}.
Les Mapuches, parlant le [[mapudungun]], occupaient le nord de la Patagonie jusqu'à la fin du {{s-|XIX|e}}.


Les études anthropologiques des groupes de chasseurs et de cueilleurs considérés traditionnellement comme plus simples que les peuples agriculteurs, mettent en évidence la complexité atteinte par ces cultures d'un haut degré de symbolisme, comme les [[Selknam]]s, les [[Mánekenk]]s (''Haush''), les [[Yagan]]s, les [[Kawésqar]] (''Alakaluf''), de la [[Terre de Feu]] et du [[détroit de Magellan]].
Les études anthropologiques des groupes de [[Chasseur-cueilleur|chasseurs et de cueilleurs]], considérés traditionnellement comme plus simples que les peuples agriculteurs, mettent en évidence la complexité atteinte par ces cultures d'un haut degré de symbolisme, comme les [[Selknam]]s, les [[Mánekenk]]s (''Haush''), les [[Yagan]]s, les [[Kawésqar]] (''Alakaluf''), de la [[Terre de Feu]] et du [[détroit de Magellan]].
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Mapuche-Tehuelche de Argentina.jpg|Drapeau Mapuche-Tehuelche d'Argentine
Mapuche-Tehuelche de Argentina.jpg|Drapeau Mapuche-Tehuelche d'Argentine
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== 1500c-1810c : période coloniale espagnole ==
== 1500-1810 : période coloniale espagnole ==
[[Image:Gobernaciones españolas en América del Sur (1534-1539).svg|vignette|Gouvernorats espagnols 1534-1539]]
[[Image:Gobernaciones españolas en América del Sur (1534-1539).svg|vignette|Gouvernorats espagnols 1534-1539]]
[[Fichier:Monumento a Juan de Garay.jpg|vignette|Monument à Juan de Garay, fondateur de la ville, à Buenos Aires]]
[[Fichier:Monumento a Juan de Garay.jpg|vignette|Monument à Juan de Garay, fondateur de la ville, à Buenos Aires]]
{{Article détaillé|Argentine coloniale|Peuples amérindiens d'Argentine}}
{{Article détaillé|Argentine coloniale|Peuples amérindiens d'Argentine}}


[[Amerigo Vespucci]] fut le premier Européen à s'approcher des côtes [[argentine]]s en 1502.
[[Amerigo Vespucci]] fut le premier Européen à s'approcher des côtes [[argentine]]s en&nbsp;1502. En&nbsp;1516, Juan Diaz de Solís, un navigateur [[Espagne|espagnol]] visita le territoire qui deviendra l'[[Argentine]]. L'[[Espagne]] allait inclure l'Argentine dans la [[vice-royauté du Pérou]].
En 1516, Juan Diaz de Solís, un navigateur [[Espagne|espagnol]] visite le territoire qui va devenir l'[[Argentine]], que l'[[Espagne]] va inclure l'Argentine dans la [[vice-royauté du Pérou]] : {{Lien|lang=es|trad=Expedición de Solís al Río de la Plata|fr=expédition de Solis au rio de la Plata}} (1515-1516).


=== Une conquête lente et difficile ===
=== Une conquête lente et difficile ===
À l'inverse de ce qu'ils firent au Pérou et en Bolivie, les Espagnols ne soumirent jamais totalement les principaux [[Peuples amérindiens d'Argentine|peuples amérindiens]] qui occupaient le territoire actuel de l'Argentine. La présence espagnole se limitait d'ailleurs au départ à de petits noyaux, essentiellement le long de la route importante dite '''Camino Real''', destinée au début à drainer les richesses minières du Haut-Pérou (Bolivie actuelle) vers le [[Río de la Plata]]. Là fut construite, en [[1536]] une colonie appelée [[Buenos Aires]]. Abandonnée à cause d'un blocus et de raids sanglants des Indiens [[Didiuhet]], elle fut fondée à nouveau en [[1580]].
À l'inverse de ce qu'ils avaient fait au Pérou et en Bolivie, les Espagnols ne soumirent jamais totalement les principaux [[Peuples amérindiens d'Argentine|peuples amérindiens]] qui occupaient le territoire actuel de l'Argentine. La présence espagnole se limitait d'ailleurs au départ à de petits noyaux, essentiellement le long de la route importante dite ''Camino Real'', destinée au début à drainer les richesses minières du Haut-Pérou (Bolivie actuelle) vers le [[Río de la Plata]]. Là fut construite, en 1536 une colonie appelée [[Buenos Aires]]. Abandonnée à cause d'un blocus et de raids sanglants des Indiens [[Didiuhet]], elle fut fondée à nouveau en&nbsp;1580. Cette année-là en effet, [[Juan de Garay]], venu d'[[Asuncion]] au [[Paraguay]] actuel, refonda la ville qu'il appela ''Ciudad de Trinidad y Puerto de Santa María del Buen Ayre'', et qui avec le temps sera connue plus simplement sous son nom actuel.
Cette année-là, venu d'Asunción au Paraguay actuel, [[Juan de Garay]] refonda la ville qu'il appela '''Ciudad de Trinidad y Puerto de Santa María del Buen Ayre''', et qui avec le temps sera connue plus simplement sous son nom actuel.


Du nord au sud les villes espagnoles principales furent créées progressivement, le long de cet axe. Ce sont principalement [[Santiago del Estero (ville)|Santiago del Estero]] (1553), [[San Miguel de Tucumán]] (1565), [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]] (1573), [[Salta]] (1582), [[San Salvador de Jujuy]] (1593) et Buenos Aires (1536 et 1580).
Du nord au sud les villes espagnoles principales furent créées progressivement le long de cet axe. Ce sont principalement [[Santiago del Estero (ville)|Santiago del Estero]] (1553), [[San Miguel de Tucumán]] (1565), [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]] (1573), [[Salta]] (1582), [[San Salvador de Jujuy]] (1593) et Buenos Aires (1536 et 1580).


Autre axe économique important, la voie fluviale du Paraguay-Paraná constituait une excellente route de pénétration vers le centre de l'[[Amérique du Sud]] et ses richesses. Ainsi furent fondées [[Fort Sancti Spiritu|Sancti Spiritu]] (1523), [[Asuncion]] (1537), [[Santa Fe (Argentine)|Santa Fe]] (1573) et [[Corrientes (ville)|Corrientes]] (1588).
Autre axe économique important, la voie fluviale du Paraguay-Paraná constituait une excellente route de pénétration vers le centre de l'[[Amérique du Sud]] et ses richesses. Ainsi furent fondées [[Fort Sancti Spiritu|Sancti Spiritu]] (1523), [[Asuncion]] (1537), [[Santa Fe (Argentine)|Santa Fe]] (1573) et [[Corrientes (ville)|Corrientes]] (1588).


Quelques régions furent cependant facilement conquises et rapidement assimilées, ce qui assura une domination aux Espagnols sans problème. C'est le cas de la région du [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]]. Dès 1561 la ville de [[Mendoza (ville)|Mendoza]] y fut fondée, suivie de [[San Juan (Argentine)|San Juan]] en 1562, et de [[San Luis (Argentine)|San Luis]] en [[1594]]. Cette région était habitée par les [[Huarpes]], pacifiques Indiens, exploités sans scrupule au début (travail dans les mines du Chili), mais qui se métissèrent rapidement. La paix s'installa rapidement.
Quelques régions furent cependant facilement conquises et rapidement assimilées, ce qui assura aux Espagnols une domination sans problème. C'est le cas de la région du [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]]. Dès&nbsp;1561 la ville de [[Mendoza (ville)|Mendoza]] y fut fondée, suivie de [[San Juan (Argentine)|San Juan]] en&nbsp;1562, et de [[San Luis (Argentine)|San Luis]] en 1594. Cette région était habitée par les [[Huarpes]], pacifiques Indiens, exploités sans scrupule au début (travail dans les mines du Chili), mais qui se métissèrent rapidement. La paix ne tarda pas à s'installer.


La colonisation se poursuivit de manière très progressive. La dernière ville argentine à être construite fut [[San Fernando del Valle de Catamarca]] (1683).
La colonisation se poursuivit de manière très progressive. La dernière ville argentine à être construite fut [[San Fernando del Valle de Catamarca]] (1683).


=== 1630c-1670c : Contre-attaques calchaquíes ===
=== Contre-attaques calchaquíes (1630-1670) ===
Mais les conquérants ne réussissent pas à pénétrer les vallées [[calchaquí]]es, où se sont réfugiés plusieurs peuples qui mènent la vie dure aux envahisseurs.
Cependant, les conquérants ne réussissaient pas à pénétrer les vallées [[calchaquí]]es, où s’étaient réfugiés plusieurs peuples qui allaient mener la vie dure aux envahisseurs.
La population espagnole reste faible au sein de ces provinces
De graves contre-attaques et révoltes indiennes font de terribles dégâts.
En [[1630]] éclate la première grande rébellion calchaquíe, sous le commandement du cacique Chalemín, et dure jusqu'en [[1643]], guerre intense avec incendie de La Rioja et destruction de Londres (près de Córdoba).
La seconde rébellion, menée par un Andalou, [[Pedro Chamijo]], se faisant passer pour un descendant d'Inca, fut longue et cruelle. <br />
Les Espagnols dirigés par Mercado et Villacorta défont l'Andalou puis déciment les tribus.
La dernière, celle des [[quilmes (ethnie)|Quilmes]], est battue en [[1665]].
Les survivants sont déportés près de [[Buenos Aires]], là où se dresse aujourd'hui la grande cité de [[Quilmes (ville)|Quilmes]].


Alors que la population espagnole restait faible au sein de ces provinces, de graves contre-attaques et révoltes indiennes faisaient de terribles dégâts. En&nbsp;1630 éclata la première grande rébellion calchaquíe, sous le commandement du cacique Chalemín, et dura jusqu'en 1643, guerre intense avec incendie de La Rioja et destruction de [[Londres (Argentine)|Londres]] (près de [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]]). La seconde rébellion, menée par un Andalou, [[Pedro Chamijo]], se faisant passer pour un descendant d'Inca, fut longue et cruelle. Les Espagnols dirigés par Mercado et Villacorta finirent par vaincre l'Andalou, puis décimèrent les tribus. La dernière, celle des [[quilmes (ethnie)|Quilmes]], fut battue en&nbsp;1665. Les survivants furent déportés près de [[Buenos Aires]], là où se dresse aujourd'hui la grande cité de [[Quilmes (ville)|Quilmes]].
=== 1550c-1770c : Guaranis et missions jésuites ===

=== Guaranis et missions jésuites (1550-1770) ===
{{Article détaillé|Mission jésuite du Paraguay}}
{{Article détaillé|Mission jésuite du Paraguay}}


Au {{s-|XV|e}} les ''karaí'', prophètes guaranís acceptés dans toutes les communautés guaraníes, parcourent les villages ou ''tekuas'' prêchant le message de l'arrivée de profonds changements.
Au {{s-|XV|e}} les ''karaí'', prophètes guaranís acceptés dans toutes les communautés guaraníes, parcouraient les villages ou ''tekuas'' prêchant le message de l'arrivée de profonds changements. Or ces villages s'affrontaient entre eux dans une permanente recherche de l'État d’Aguyé, et pratiquaient le cannibalisme entre eux. Ces ''karaí'' ne faisaient partie d'aucun village ou ''tekua'' en particulier, mais étaient ''panguaranís''. Leur message était donc unificateur.
Or ces villages s'affrontent entre eux dans une permanente recherche de l'État de Aguyé, et pratiquent le cannibalisme entre eux.
Ces ''karaí'' ne font partie d'aucun village ou ''tekua'' en particulier, mais sont ''panguaranís''.
Leur message est donc unificateur.

Cent ans plus tard, avec l'invasion espagnole, arrivent les jésuites dont le message chrétien rivalise directement avec celui des ''karaí''.
Bien qu'étrangers, ils amènent aussi un message unificateur.
Surtout, ce qui joue un rôle très important, les guaranís qui acceptent de vivre avec eux sont automatiquement protégés par les lois du puissant roi d'Espagne.

En effet, en 1556 les Espagnols ont introduit dans ces régions le système de l'[[encomienda]], par lequel chaque ''encomandero'' s'engage à évangéliser et à sortir de la barbarie un certain nombre d'Indiens qui en retour doivent se mettre à son service.

Du fait de ce système d'asservissement impitoyable, les rapports d'abord amicaux entre les Européens et les Indiens se modifient.
Les révoltes se multiplient, atteignant une grande violence en [[1580]], rendant la région ingouvernable.
Pour sortir de ce bourbier, les Espagnols font appel en 1585 aux [[Compagnie de Jésus|Jésuites]].


Cent ans plus tard, avec l'invasion espagnole, les jésuites arrivèrent dont le message chrétien rivalisa directement avec celui des ''karaí''. Bien qu'étrangers, ils apportaient aussi un message unificateur. Surtout, ce qui joua un rôle très important, les guaranís qui acceptaient de vivre avec eux étaient automatiquement protégés par les lois du puissant roi d'Espagne. En effet, en&nbsp;1556 les Espagnols avaient introduit dans ces régions le système de l'[[encomienda]], par lequel chaque ''encomandero'' s'engageait à évangéliser et à sortir de la barbarie un certain nombre d'Indiens qui en retour devaient se mettre à son service.
Ceux-ci proposent de payer directement au roi un tribut proportionnel au nombre d'Indiens mâles, retirant ainsi les Indiens du contrôle de l'empire pour les placer directement sous le leur. Enfin en 1608, le roi [[Philippe III (roi d'Espagne)|Philippe III d'Espagne]] donne pouvoir aux jésuites de convertir et coloniser les tribus de Guayrá.


Du fait de ce système d'asservissement impitoyable, les rapports d'abord amicaux entre les Européens et les Indiens se modifièrent. Les révoltes se multipliaient, atteignant une grande violence en&nbsp;1580, rendant la région ingouvernable. Pour sortir de ce bourbier, les Espagnols firent appel en&nbsp;1585 aux [[Compagnie de Jésus|Jésuites]], qui proposèrent de payer directement au roi un tribut proportionnel au nombre d'Indiens mâles, soustrayant ainsi les Indiens à l’autorité de l’empire pour les placer directement sous la leur. Enfin en&nbsp;1608, le roi [[Philippe III (roi d'Espagne)|Philippe III d'Espagne]] donna pouvoir aux jésuites de convertir et coloniser les tribus de Guayrá.
Simultanément, l'expansion constante du front hispano-portugais, et la menace réelle d'esclavage que cela représente, amènent un grand débat interne chez les chefs guaranís entre les partisans de l'alliance jésuitique (de façon à obtenir la protection de la couronne) et les « durs » qui préfèrent l'affrontement.


Simultanément, l'expansion constante du front hispano-portugais, et la menace réelle d'esclavage que cela représentait, amenèrent un grand débat interne chez les chefs guaranís entre les partisans de l'alliance jésuitique (de façon à obtenir la protection de la couronne) et les « durs » qui préféraient l'affrontement. Après de longs débats, la politique d'alliance des dirigeants politiques guaranís avec les jésuites finit par remporter le consensus et se généralisa. Elle obéissait à une stratégie globale, dans le but de limiter la montée des périls, les Guaranís se trouvant pris entre les gros propriétaires espagnols désireux de se fournir de la main d'œuvre gratuite d'un côté et les [[bandeirante]]s portugais pillards et marchands d'esclaves de l'autre. Il existe de nombreuses sources de témoins présents lors de ces débats internes des chefs guaranís, notamment le « Jardín de Flores paracuaria » du Padre Tadeo Xavier Hednis de la Compagnie de Jésus.
Après de longs débats, la politique d'alliance des dirigeants politiques guaranís avec les jésuites devient bientôt consensuelle et généralisée.
Elle obéit à une stratégie globale, dans le but de limiter la montée des périls, les Guaranís se trouvant pris entre les gros propriétaires espagnols désireux de se fournir de la main d'œuvre gratuite d'un côté et les [[bandeirante]]s portugais pillards et marchands d'esclaves de l'autre.
Il existe de nombreuses sources de témoins présents lors de ces débats internes des leaders guaranís, notamment le « Jardín de Flores paracuaria » du Padre Tadeo Xavier Hednis de la [[Compagnie de Jésus]].


Les jésuites sont donc en réalité utilisés par les Guaranís, pour maintenir leur modèle ou mode de vie : le modèle politique guaraní s'est préparé à être occupé par les jésuites.
Les jésuites furent donc en réalité utilisés par les Guaranís, pour maintenir leur modèle ou mode de vie : le modèle politique guaraní s'était préparé à être occupé par les jésuites. Ainsi s'explique la rapide conclusion de cette alliance et le développement des '''Misiones'''. Les ''[[Mission jésuite du Paraguay|réductions jésuites]]'' étaient en somme des ''tekuas'', ou villages traditionnels, mais avec protection de la couronne, pénétrant ainsi non seulement dans le domaine légal espagnol, mais aussi dans une série d'échanges économiques et culturels qui allaient se maintenir durant deux siècles.
Ainsi s'explique la rapide conclusion de cette alliance et le développement des '''Misiones'''.
Les '''[[mission jésuite du Paraguay|réductions jésuites]]''' sont seulement des ''tekuas'', ou villages traditionnels, avec protection de la couronne, pénétrant ainsi non seulement dans le domaine légal espagnol, mais aussi dans une série d'échanges économiques et culturels qui se maintiennent durant deux siècles.


=== Des indigènes restés non soumis ===
=== Des indigènes restés non soumis ===
La Pampa et la Patagonie, constituent une vaste zone peuplée d'aborigènes totalement libres, jamais conquise par les Espagnols, et depuis le {{XVIIe siècle}} progressivement unifiée dans le cadre de la culture mapuche.
La Pampa et la Patagonie constituaient une vaste zone peuplée d'aborigènes totalement libres, jamais conquise par les Espagnols, et progressivement unifiée à partir du {{s-|XVII}} dans le cadre de la culture [[Mapuches|mapuche]]. Ce ne fut que vers la fin du {{s-|XIX|e}}, plus de {{nobr|300 ans}} après la conquête espagnole du [[Pérou]], que l’[[Argentine]] (comme le [[Chili]] d’ailleurs) parvint à occuper la région grâce à une guerre contre les Mapuches.
Seulement vers la fin du {{s-|XIX|e}}, plus de {{nobr|300 ans}} après la conquête espagnole du [[Pérou]], l'[[Argentine]] (comme le [[Chili]] d'ailleurs) parvient à occuper la région grâce à une guerre contre les [[Mapuches]].
À l'arrivée des Européens, le sud du continent américain, la région pampéenne comme la Patagonie, est peuplée par les Indiens [[Pampa (ethnie)|Pampas]], les [[Tehuelches]] (''Patagons'') en Patagonie orientale et les [[Mapudungun]] (''Mapuches'') en Patagonie occidentale.
À l'arrivée des Européens, le sud du continent américain, la région pampéenne comme la Patagonie, était peuplée par les Indiens [[Pampa (ethnie)|Pampas]], les [[Tehuelches]] (''Patagons'') en Patagonie orientale et les [[Mapudungun]] (''Mapuches'') en Patagonie occidentale. La [[Terre de Feu]] était peuplée par un rameau des Tehuelches, les [[Selknam]]s (''Onas''), par les [[Yagan]]s (''Yamanas'') et par les [[Kawésqar]]s (''Alakalufs'').
La [[Terre de Feu]] est peuplée par un rameau des Tehuelches, les [[Selknam]]s (''Onas''), par les [[Yagan]]s (''Yamanas'') et par les [[Kawésqar]]s (''Alakalufs'').


Peu après le débarquement des conquistadors sur les rives du [[Río de la Plata]] et la fondation de [[Buenos Aires]] au {{s-|XVI|e}}, les premiers affrontements se produisent entre Espagnols et aborigènes, les [[pampa (ethnie)|Pampas]] (ou [[Het (peuple)|Hets]] ou Querandis), appelés plus tard [[Ranquel]]s au {{XVIIIe siècle}}.
Peu après le débarquement des conquistadors sur les rives du [[Río de la Plata]] et la fondation de [[Buenos Aires]] au {{s-|XVI|e}}, les premiers affrontements eurent lieu entre Espagnols et aborigènes, les [[pampa (ethnie)|Pampas]] (ou [[Het (peuple)|Hets]] ou Querandis), appelés plus tard [[Ranquel]]s au {{s-|XVIII}}.


À partir du {{s-|XVII|e}}, quelques bovins abandonnés par les Espagnols en région pampéenne proliféraient naturellement, formant de vastes troupeaux redevenus sauvages. Les Espagnols comme les indigènes Pampas et [[Mapuches]], commencèrent à les chasser, ce qui entraîna des affrontements entre les deux groupes. Les Espagnols construisirent des lignes de fortins entourant [[Buenos Aires]] et [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]], afin de délimiter leur zone exclusive de chasse appelées ''vaquerías''. Les Pampas considéraient que les Espagnols usurpaient leurs terres en les envahissant, et allaient attaquer durant des siècles leurs établissements par une tactique d'attaque en masse appelée ''malones'', utilisant des chevaux, de longues lances et des [[bolas (arme)|boleadoras]] (système composé de plusieurs lanières lestées de gros cailloux destiné à immobiliser les jambes des chevaux).
À partir du {{s-|XVII|e}}, quelques bovins abandonnés par les Espagnols en région pampéenne prolifèrent naturellement, formant de vastes troupeaux redevenus sauvages.
Les Espagnols comme les indigènes Pampas et [[Mapuches]], commencent à les chasser, ce qui entraîne des affrontements entre les deux groupes.
Les Espagnols construisent des lignes de fortins entourant [[Buenos Aires]] et [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]], afin de délimiter leur zone exclusive de chasse appelées '''vaquerías'''.
Les Pampas considèrent que les Espagnols usurpent leurs terres en les envahissant, et durant des siècles attaquent leurs établissements par une tactique d'attaque en masse appelée ''malones'', utilisant des chevaux, de longues lances et des [[bolas (arme)|boleadoras]] (système composé de plusieurs lanières lestées de gros cailloux destiné à immobiliser les jambes des chevaux).


Pendant le même temps, la capitainerie du Chili procède à des attaques systématiques contre les [[Mapuches]] appelés aussi '''Araucans''' (Guerre d'Arauco).
Dans le même temps, la [[Capitainerie générale du Chili|capitainerie du Chili]] procédait à des attaques systématiques contre les [[Mapuches]] appelés aussi ''Araucans'' (Guerre d'Arauco).


Tout au long des {{s mini-|XVII}} et {{s-|XVIII|e}}s les Mapuches imposent leur culture et assimilent les peuples indigènes qui habitent la Pampa et la Patagonie.
Tout au long des {{s mini-|XVII}} et {{s-|XVIII|e}}s les Mapuches imposèrent leur culture et assimilèrent les peuples indigènes qui habitaient la Pampa et la Patagonie. Cependant dès la fin du {{XVIIIe siècle}} les Espagnols progressaient lentement sur le territoire ranquel. La frontière entre les deux civilisations se situait alors sur le [[Río Salado (Buenos Aires)|río Salado]], qui divisait la pampa orientale en deux par son centre.
Cependant, certains indigènes acceptèrent de travailler dans les ''estancias'' (grandes fermes-domaines) espagnoles, se métissant avec les Européens. L'origine des [[gaucho]]s est liée à ce processus de métissage.
Cependant dès la fin du {{XVIIIe siècle}} les Espagnols progressent lentement sur le territoire ranquel.
La frontière entre les deux civilisations se situe alors sur le [[Río Salado (Buenos Aires)|río Salado]], qui divise la pampa orientale en deux en son centre.
Cependant, certains indigènes acceptent de travailler dans les estancias (grandes fermes-domaines) espagnoles, se métissant avec les Européens.
L'origine des [[gaucho]]s est liée à ce processus de métissage.


De même, dans le nord du territoire de l'Argentine actuelle, les tribus peuplant la région du [[Gran Chaco]] restent libres face aux colonisateurs, et cela jusqu'à la fin du {{XIXe siècle}}.
De même, dans le nord du territoire de l'Argentine actuelle, les tribus peuplant la région du [[Gran Chaco]] restèrent libres face aux colonisateurs, et cela jusqu'à la fin du {{XIXe siècle}}.


== Vice-royauté du Río de la Plata ==
== Vice-royauté du Río de la Plata ==
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=== 1762-1777 : guerres portugaises, ouverture sur l'Europe ===
=== Guerres portugaises, ouverture sur l'Europe (1762-1777) ===
En 1680, les Portugais, venus du Brésil tout proche, fondèrent dans le nord du [[Vice-royauté du Río de la Plata|Río de la Plata]], face à [[Buenos Aires]], sous le nom de [[Colonia del Sacramento]], un établissement, qui menaçait gravement les intérêts espagnols. Ceux-ci ripostèrent, en attaquant et en s’emparant de cette ville à plusieurs reprises, mais chaque fois, grâce à un traité international, les Portugais récupéraient la ville. Finalement, en&nbsp;1776, le roi [[Charles III (roi d'Espagne)|Charles III]] entreprit de chasser les Portugais du Río de la Plata, puis institua la [[vice-royauté du Río de la Plata]] (1776-1816). Presque immédiatement, le nouveau vice-roi [[Pedro de Cevallos]] mit sur pied une puissante armée, qui fit mouvement contre les Portugais. S'ajoutèrent à cette armée européenne des contingents de [[Guaranis]], habitués à se battre contre les Portugais. La {{lien|lang=en|trad=Spanish–Portuguese War (1776–77)|fr=guerre hispano-portugaise de 1776-1777}} se termina à l'avantage des Espagnols : Cevallos prit Colonia en&nbsp;1777 et la détruisit totalement, allant symboliquement jusqu'à semer du sel sur ses ruines.
En 1680, les Portugais, venus du Brésil tout proche, fondent au nord du Río de la Plata, face à Buenos Aires, sous le nom de [[Colonia del Sacramento]] un établissement, qui menace gravement les intérêts espagnols.
La ville fut cependant reprise par les Portugais, puis par les [[Brésil]]iens quelques décennies plus tard.
Ceux-ci ripostent, attaquent et prennent cette ville à plusieurs reprises, mais chaque fois, grâce à un traité international, les Portugais récupèrent la ville.


Le {{lien|lang=es|trad=Reglamento de libre comercio (1778)|fr=règlement de libre commerce dans l'Empire espagnol}}, mis en place par étapes entre&nbsp;1765 et&nbsp;1789, mit fin au monopole de l'axe Pérou-Cuba-Cadix et permettait à l'Amérique espagnole d'échanger directement avec les ports espagnols et européens.
Finalement, en 1776, le roi [[Charles III (roi d'Espagne)|Charles III]] entreprend de chasser les Portugais du Río de la Plata.
Cette mesure entraîna un recul sectoriel des productions artisanales, relativement importantes dans les régions de [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]] et [[Province de Tucumán|Tucumán]], et surtout des [[Bassin méditerranéen#Secteur primaire|cultures méditerranéennes]], [[Viticulture en Argentine|vin]], [[huile d'olive]], [[Fruit séché|fruits séchés]], inférieurs en qualité à ceux de la métropole. En revanche, elle profita à la bourgeoisie marchande du Río de la Plata<ref>{{ouvrage|langue=es|auteur1=Carlos Daniel Malamud Rikles|auteur2=Pedro Perez Herrero|titre=L'Amérique espagnole à l'époque des Lumières. Tradition-innovation, représentations ''(ouvrage collectif, actes du colloque franco-espagnol de septembre 1986, sous la direction de Joseph Perez)''|chapitre=Le règlement du commerce libre en Espagne et en Amérique. Principaux problèmes d’interprétation|lieu=Paris|éditeur=éd. du CNRS|année=1987|pages totales=375|isbn=2-222-03977-0|passage=126-140}}.</ref>.
Il institue la '''[[vice-royauté du Río de la Plata]]''' (1776-1816).
Presque immédiatement, le nouveau vice-roi [[Pedro de Cevallos]] organise une puissante armée et la mène contre les Portugais.
S'ajoutent à cette armée européenne des contingents de [[Guaranis]], habitués à se battre contre les Portugais.
La '''{{lien|lang=en|trad=Spanish–Portuguese War (1776–77)|fr=guerre hispano-portugaise de 1776-1777}}''' se termine à l'avantage des Espagnols : Cevallos prend Colonia en 1777 et la détruit totalement, allant symboliquement jusqu'à semer du sel sur ses ruines.
La ville est cependant occupée à nouveau par les Portugais puis par les [[Brésiliens]] quelques décennies plus tard.


La création de la [[vice-royauté du Río de la Plata]] allait apporter beaucoup à Buenos Aires, où en peu d'années vinrent s’installer toutes les autorités : administration bureaucratique vice-royale, douane, [[Consulat de commerce de Buenos Aires|Consulat de commerce]] (1794), [[Audience (juridiction)|Audiencia]] (1785), Académie navale, et des écoles. On commença à éditer des journaux, activité difficile à cause de la censure du vice-roi.
Le {{lien|lang=es|trad=Reglamento de libre comercio (1778)|fr=règlement de libre commerce dans l'Empire espagnol}}, mis en place par étapes entre 1765 et 1789, met fin au monopole de l'axe Pérou-Cuba-Cadix et permet à l'Amérique espagnole d'échanger directement avec les ports espagnols et européens.
Cette mesure entraîne un recul sectoriel des productions artisanales, relativement importantes dans les régions de [[Cuyo (Argentine)|Cuyo]] et [[Province de Tucumán|Tucumán]], et surtout des [[Bassin méditerranéen#Secteur primaire|cultures méditerranéennes]], [[Viticulture en Argentine|vin]], [[huile d'olive]], [[Fruit séché|fruits séchés]], inférieurs en qualité à ceux de la métropole.
En revanche, elle profite à la bourgeoisie marchande du Río de la Plata<ref>Carlos D. Malamud et Pedro Perez Herrero in Joseph Perez (dir.), ''L'Amérique espagnole à l'époque des Lumières'', CNRS, Paris, 1987, {{p.|126-140}}.</ref>.


La population de la ville s’accrut de {{nb|9568}} en&nbsp;1744 à {{nb|32069}} habitants en&nbsp;1778, puis à plus de {{nb|40000}} en&nbsp;1797 et à presque {{nb|100000}} en&nbsp;1810, chiffre très important pour l'époque et constituant près du tiers de la population totale de l'Argentine espagnole d'alors.
La création de la [[vice-royauté du Río de la Plata]] apporte beaucoup à Buenos Aires, où en peu d'années s'installent toutes les autorités : administration bureaucratique vice-royale, douane, [[Consulat de commerce de Buenos Aires|Consulat de commerce]] ([[1794]]), [[Audience (juridiction)|Audiencia]] ([[1785]]), Académie navale, et des écoles.
On commence à éditer des journaux, activité difficile à cause de la censure du vice-roi.

La population de la ville s'accroît de {{nb|9568}} en 1744 à {{nb|32069}} habitants en 1778, puis à plus de {{nb|40000}} en 1797 et à presque {{nb|100000}} en 1810, chiffre très important pour l'époque et constituant près du tiers de la population totale de l'Argentine espagnole d'alors.


=== Invasions britanniques ===
=== Invasions britanniques ===
[[Fichier:John whitelocke.jpg|vignette|John Whitelocke qui envahit Buenos Aires en 1807]]
[[Fichier:John whitelocke.jpg|vignette|John Whitelocke qui envahit Buenos Aires en 1807.]]
Avec l'entrée en guerre de l'Espagne du côté napoléonien, le [[Royaume-Uni]] commence à chercher à améliorer son influence dans les colonies espagnoles. En [[1806]], après avoir pris la colonie hollandaise du cap de Bonne Espérance, la flotte britannique cingle vers le [[Río de la Plata]], apparemment sur initiative propre. La flotte ne tarde pas à prendre [[Montevideo]], puis se dirige vers [[Buenos Aires]].
Avec l'entrée en guerre de l'Espagne au côtés de [[Napoléon 1er|Napoléon]], le [[Royaume-Uni]] chercha à renforcer son influence dans les colonies espagnoles. En&nbsp;1806, après avoir pris la colonie hollandaise du cap de Bonne Espérance, la flotte britannique cingla vers le [[Río de la Plata]], apparemment sur initiative propre. La flotte ne tarda pas à prendre [[Montevideo]], puis se dirigea vers [[Buenos Aires]].


Le vice-roi [[Rafael de Sobremonte]] suppose que les Britanniques ne se risqueraient pas à se lancer sur la capitale de la vice-royauté, et décide d'affecter la majorité des troupes de la ville à traverser le río de la Plata pour reprendre [[Montevideo]]. Lorsqu'on lui annonce le débarquement des Britanniques, il abandonne la ville pour se réfugier à [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]], muni des précieuses rentes de la vice-royauté, prêtes à être expédiées en [[Espagne]], avec l'intention d'organiser une armée pour reconquérir sa capitale.
Le vice-roi [[Rafael de Sobremonte]], supposant que les Britanniques ne se risqueraient pas à se lancer sur la capitale de la vice-royauté, décida d’affecter la majorité des troupes de la ville à traverser le río de la Plata pour reprendre [[Montevideo]]. Lorsqu'on lui annonça le débarquement des Britanniques, il abandonna la ville pour se réfugier à [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]], muni des précieuses rentes de la vice-royauté, prêtes à être expédiées en [[Espagne]], dans le but d’organiser une armée pour reconquérir sa capitale.


En {{date|juin 1806}}, les Britanniques sous le commandement de [[William Carr Beresford]] se rendirent [[invasions britanniques|maîtres de Buenos Aires]] et furent bien reçus par les partisans de l'indépendance. Mais ceux-ci déchantèrent vite en comprenant que les envahisseurs désiraient convertir la région de la Plata en une colonie britannique et s’unirent à ceux qui voulaient résister. [[Jacques de Liniers]], marin français né à [[Niort]], commandant du port d’[[Ensenada (province de Buenos Aires)|Ensenada]], traversa le fleuve pour la [[bande orientale]], où il organisa une armée à destination de Buenos Aires. En chemin, des milliers de volontaires enthousiastes se joignirent aux troupes. Une bataille de rue s'engagea et les Britanniques, bientôt encerclés dans la [[Fort de Buenos Aires|citadelle de la ville]], durent capituler.
En juin 1806 les Britanniques sous le commandement de [[William Carr Beresford]] prennent Buenos Aires, bien reçus par les partisans de l'indépendance.
Mais ceux-ci déchantent vite en comprenant que les envahisseurs désirent convertir la région de la Plata en une colonie britannique : '''[[invasions britanniques]]'''
Ils s'unissent à ceux qui veulent résister.
[[Jacques de Liniers]], marin français né à Niort, commandant du port de [[Ensenada (province de Buenos Aires)|Ensenada]], traverse le fleuve pour la [[bande orientale]] où il organise une armée à destination de Buenos Aires.
En chemin des milliers de volontaires enthousiastes se joignent aux troupes.
Une bataille de rue s'engage et les Britanniques, bientôt encerclés dans la citadelle de la ville, doivent capituler.
Revenue dans la cité, l'[[Audience (juridiction)|Audience]], tribunal suprême, décide d'assumer le pouvoir civil et de confier la capitainerie générale à Liniers.
Prudemment le vice-roi se retire à Montevideo.


Revenue dans la cité, l’[[Audience (juridiction)|Audience]], tribunal suprême, décida d’assumer le pouvoir civil et de confier la capitainerie générale à Liniers. Prudemment, le vice-roi Sobremonte se retira à Montevideo.
En [[1807]] les Britanniques reviennent envahir le pays, mais cette fois officiellement et avec une puissante armée de {{nb|11000|soldats}} sous les ordres du général [[John Whitelocke]].
Au départ, celui-ci et sa flotte ont pour mission de s'emparer du [[Chili]] et de renforcer leurs troupes supposées toujours maîtresses de Buenos Aires.
Mis au courant de la capitulation de ces dernières, Whitelocke décide de reprendre la cité.
Ils reprennent Montevideo, débarquent à [[Buenos Aires]] et pénètrent dans la capitale, confiants dans leur suprématie face à des forces hispano-argentines très inférieures.
Très vite ils se heurtent à une résistance acharnée des habitants qui les arrosent d'eau et d'huile bouillante, et les mettent finalement en déroute.
Le général [[John Whitelocke]] est acculé à la capitulation générale, et le [[Royaume-Uni]] subit là une défaite particulièrement humiliante.


En 1807, les Britanniques revinrent envahir le pays, mais cette fois officiellement et avec une puissante armée de {{nb|11000|soldats}} sous les ordres du général [[John Whitelocke]]. Au départ, celui-ci et sa flotte avaient pour mission de s'emparer du [[Chili]] et de renforcer leurs troupes supposées toujours maîtresses de Buenos Aires. Mis au courant de la capitulation de ces dernières, Whitelocke décida de reprendre la cité. Après avoir pris Montevideo, ils débarquèrent à Buenos Aires et pénétrèrent dans la capitale, confiants dans leur suprématie face à des forces hispano-argentines très inférieures. Très vite, ils se heurtèrent à une résistance acharnée des habitants qui les arrosaient d'eau et d'huile bouillantes, et les mirent finalement en déroute. Le général [[John Whitelocke]] était acculé à la capitulation générale, et le [[Royaume-Uni]] subit là une défaite particulièrement humiliante.
À la suite de cette franche victoire, un jugement destitue Sobremonte de sa charge de vice-roi, et l'envoie en Espagne pour y être jugé.
Liniers est alors nommé vice-roi par intérim, décision ratifiée plus tard par le roi.


À la suite de cette franche victoire, un jugement destitua Sobremonte de sa charge de vice-roi, et l'envoya en Espagne pour y être jugé. Liniers fut alors nommé vice-roi par intérim, décision ratifiée plus tard par le roi.
== 1810-1852 : naissance de la nation ==
Les [[Invasions britanniques|Invasions anglaises]] sont très importantes dans l'histoire de l'Argentine, car elles sont le prélude à l'indépendance. Elles démontrent la capacité du peuple à l'autodéfense, grâce à des milices civiles, et révèlent que les [[Argentins]] sont désormais en mesure de déterminer seuls leur propre destin.


== Naissance de la nation (1810-1852) ==
=== 1810 : révolution de Mai, indépendance ===
Les [[Invasions britanniques|Invasions anglaises]] ont joué un rôle très important dans l'histoire de l'Argentine, car elles sont le prélude à l'indépendance. Elles démontrent la capacité du peuple à l'autodéfense, grâce à des milices civiles, et révèlent que les [[Argentins]] sont désormais en mesure de déterminer seuls leur propre destin.

=== Révolution de Mai (1810) et indépendance ===
[[Fichier:Statue for José de San Martín in Berlin.jpg|vignette|droite|Monument à San Martín]]
[[Fichier:Statue for José de San Martín in Berlin.jpg|vignette|droite|Monument à San Martín]]
{{article détaillé|Révolution de Mai}}
Les nouvelles de la [[Révolution française]] font germer les idées libérales en [[Amérique latine]].
Le pays engage son processus d'affranchissement de l'[[Espagne]] le 25 mai [[1810]], lors de l'épisode appelé '''[[révolution de Mai]]''', en s'engageant dans des hostilités contre les Espagnols et leurs partisans (les ''royalistes'') : '''[[guerre d'indépendance de l'Argentine]]'''.
Les nouvelles de la [[Révolution française]] avaient fait germer les idées libérales en [[Amérique latine]]. Le pays engagea son processus d'affranchissement de l'[[Espagne]] le {{date|25 mai 1810}}, avec l’épisode appelé ''[[révolution de Mai]]'', en s’engageant dans des hostilités contre les Espagnols et leurs partisans (les ''royalistes'') : ''[[guerre d'indépendance de l'Argentine]]''.

Certaines régions du [[Río de la Plata]], craignant la domination de la riche et puissante Buenos Aires, sont autant intéressées par leur indépendance face à la capitale que par leur affranchissement de l'Espagne.
Certaines régions du [[Río de la Plata]], craignant la domination de la riche et puissante Buenos Aires, étaient autant intéressées par leur indépendance face à la capitale que par leur affranchissement de l'Espagne.
En [[1811]], le [[Paraguay]] produit sa propre déclaration d'indépendance.
En&nbsp;1811, le [[Paraguay]] rédigeait sa propre déclaration d'indépendance.

En 1812, les batailles victorieuses livrées par [[Manuel Belgrano]] à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]] et [[Salta]] assurèrent le succès de l'indépendance. [[José Gervasio Artigas]] put alors réunir un premier Congrès de l'Indépendance argentine, à ''Arroyo de la China'' (actuelle [[Concepción del Uruguay]]) en mars et {{date|avril 1815}}.
Les campagnes militaires conduites par [[José de San Martín]] et [[Simón Bolívar]] entre&nbsp;1814 et&nbsp;1817 firent augmenter les espoirs d'indépendance face à l'Espagne, indépendance finalement proclamée à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]] le {{date|9 juillet 1816}}.


Le désordre règne dans les provinces. Le {{date|18 mai 1813}}, une loi sur la Monnaie permettait de frapper les premières pièces de l'indépendance, instituant le [[réal argentin]]<ref>{{en}} [https://artsandculture.google.com/story/GwWB7KYbIQ2wJQ « First patriotic coins »], ''Historical and Numismatic Museum "Héctor Carlos Janson" of the Central Bank of Argentina''.</ref>.
En [[1812]], les batailles victorieuses que [[Manuel Belgrano]] livre à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]] et [[Salta]], assurent le succès de l'indépendance.
[[José Gervasio Artigas]] peut alors réunir un premier Congrès de l'Indépendance argentine, à ''Arroyo de la China'' (actuelle [[Concepción del Uruguay]]) en mars et avril [[1815]].
Les campagnes militaires conduites par [[José de San Martín]] et [[Simón Bolívar]] entre [[1814]] et [[1817]] augmentent les espoirs d'indépendance face à l'Espagne, qui est finalement proclamée à [[San Miguel de Tucumán|Tucumán]] le 9 juillet [[1816]].
Le désordre règne dans les provinces.
Le 18 mai 1813, une loi sur la Monnaie permet de frapper les premières pièces de l'indépendance, instituant le [[réal argentin]]<ref>{{en}} [https://artsandculture.google.com/story/GwWB7KYbIQ2wJQ « First patriotic coins »], ''Historical and Numismatic Museum "Héctor Carlos Janson" of the Central Bank of Argentina''.</ref>.


En [[1820]], José de San Martín prépare une armée destinée à libérer le Chili et le Pérou, objectif brillamment atteint, et en [[1822]] a lieu la réunion historique de San Martin avec [[Simón Bolívar]] à [[Guayaquil]].
En 1817, José de San Martín réunit une armée destinée à libérer le Chili et le Pérou, objectif qu’il atteignit finalement en&nbsp;1820. En &nbsp;1822 eut lieu la rencontre historique de San Martin avec [[Simón Bolívar]] à [[Guayaquil]].


=== 1816 : congrès de Tucumán ===
=== Congrès de Tucumán (1816) ===
[[Image:Mapa de argentina en 1816.svg|vignette|1816]]
[[Image:Mapa de argentina en 1816.svg|vignette|1816]]
{{article détaillé|Congrès de Tucumán}}
Le congrès national se réunit donc à Tucumán et commença ses sessions le 24 mars [[1816]].
Presque toutes les provinces participent à ce '''[[congrès de Tucumán]]''', qui procède à l'élection d'un ''[[Directoire (Argentine)|Directeur Suprême]]'' capable de maintenir l'ordre et d'établir l'autorité centrale, un homme appuyé tant par Buenos Aires que par les provinces de l'intérieur.
Le congrès national se réunit donc à [[Tucumán]] et commença ses sessions le {{date|24 mars 1816}}. Ce [[congrès de Tucumán]], auquel participaient presque toutes les provinces, procéda à l'élection d'un ''[[Directoire (Argentine)|Directeur Suprême]]'' capable de maintenir l'ordre et d'établir l'autorité centrale, un homme appuyé tant par [[Buenos Aires]] que par les provinces de l'intérieur. [[Juan Martín de Pueyrredón]], apprécié de tous, fut élu à cet effet. L'autre objectif important était de consolider l'unité nationale du pays : il fut décidé de faire intervenir l'armée là où se manifestaient des mouvements ''localistes''. Finalement, la Déclaration d’indépendance envers les rois d'Espagne et la métropole fut votée publiquement le {{date|9|juillet|1816}}.
On élit pour cela [[Juan Martín de Pueyrredón]], apprécié de tous.
L'autre objectif important est de consolider l'unité nationale du pays : on décide donc l'intervention de l'armée là où se manifestent des mouvements localistes.


Deux positions s'affrontaient dans toute l'Amérique espagnole concernant l'administration des territoires libérés : la position ''américaniste'' et la position ''localiste''. La position ''américaniste'' proposait l'union des peuples d'[[Amérique hispanique]] : unir les forces afin de terminer les guerres d'indépendance et organiser un système stable qui garantisse l'union. La position ''localiste'' défendait l'autonomie des régions, craignant qu'une union qui regrouperait tant de pays et de terres ne retarde la restauration de la prospérité locale, redoutant surtout de perdre du pouvoir à la suite d’une telle intégration. [[Bernardino Rivadavia]] était l’un des principaux représentants des ''localistes''.
Finalement, la Déclaration d'Indépendance face aux rois d'Espagne et à la métropole, est votée publiquement le {{Date|9|juillet|1816}}.


Le problème de la forme de gouvernement se posa également. Parmi les différentes options s'était constitué un groupe de partisans de la monarchie constitutionnelle, qui considérait que ce système stable garantirait l'ordre et les droits de l'homme. [[Manuel Belgrano|Belgrano]] proposait une monarchie ayant à sa tête un descendant des [[Civilisation inca|Inca]]. Ce projet fut bien accueilli par les représentants du Haut Pérou et des villes du nord, et eçut l'appui de [[José de San Martín]] et de [[Martín Miguel de Güemes]]. Mais les hommes de Buenos Aires s'y opposèrent, craignant d'y perdre leur position hégémonique, et proposaient d'offrir la couronne à un prince européen. De son côté, [[Tomás de Anchorena]], député de Buenos Aires, défendait une république fédérale. Au début de 1817, le congrès fut transféré vers la capitale, et la résolution de ce problème remis à plus tard ; cependant, les idées monarchistes perdurèrent au sein du congrès.
Deux positions s'affrontent dans toute l'Amérique espagnole concernant l'administration des territoires libérés : la position américaniste et la position localiste.


=== Directoire de Pueyrredón (1816-1819) ===
La position américaniste propose l'union des peuples d'[[Amérique hispanique]] : unir les forces afin de terminer les guerres d'indépendance et organiser un système stable qui garantisse l'union.
{{article détaillé|Directoire (Argentine)}}
La position localiste défend l'autonomie des régions, craignant qu'une union qui regrouperait tant de pays et de terres retarde la récupération de la prospérité locale, redoutant surtout de perdre du pouvoir avec cette intégration. [[Bernardino Rivadavia]] est un des principaux représentants des localistes.
L'objectif principal du [[Directoire (Argentine)|Directeur suprême]] [[Juan Martín de Pueyrredón|Pueyrredón]] était de réaliser l’expédition libératrice au [[Chili]] et au [[Pérou]], en accord avec [[José de San Martín|San Martín]], afin de terminer la [[Guerre d'indépendance de l'Argentine|guerre d’indépendance]]. Il mit au point la création de l'[[Armée des Andes]] (1816-1824), nomma San Martín général en chef et ordonna d'exécuter la campagne libératrice. Mais le financement de la campagne du Pérou nécessite une hausse des impôts douaniers.


Le Directoire fut durement critiqué par les [[Parti fédéraliste (Argentine)|fédéralistes]], qui l'accusaient de complicité avec les Portugais en tolérant l'invasion de la [[Bande orientale]] (actuel Uruguay). Le [[Portugal]] avait déjà perpétré une première invasion en 1811-1812. La seconde agression eut lieu en 1816-1820, et les Portugais réussirent à annexer la province sous le nom de [[province cisplatine]] (1816-1828).
Le problème de la forme de gouvernement se pose aussi. Parmi les différentes options, un groupe de partisans de la monarchie constitutionnelle s'est constitué, considérant que ce système stable garantirait l'ordre et les droits de l'homme. [[Manuel Belgrano|Belgrano]] propose une monarchie ayant à sa tête un descendant d'[[Civilisation inca|Inca]].
Finalement Pueyrredón imposa son autorité, en exilant les principaux chefs du parti fédéraliste de la capitale. À l'intérieur, il étouffe les mouvements fédéralistes par les interventions de l'armée du nord.
Ce projet est bien reçu par les représentants du Haut Pérou et des villes du nord, avec l'appui de [[José de San Martín]] et de [[Martín Miguel de Güemes]]. Mais les hommes de Buenos Aires s'y opposent, craignant d'y perdre leur position hégémonique, et proposent d'offrir la couronne à un prince européen.
De son côté, [[Tomás de Anchorena]], député de Buenos Aires, défend une république fédérale.


À la décharge de Pueyrredón, il y a lieu de signaler que lorsqu'il arriva au pouvoir, l'invasion portugaise de la [[Bande orientale]] avait déjà débuté. Le congrès adopta une position neutre que le directeur suprême ne partageait pas. Cependant le manque de ressources l'empêcha de prendre des mesures militaires : il dut donc se contenter d'exiger que les Portugais ne dépassent pas la ligne du fleuve [[Río Uruguay|Uruguay]]. Cette politique perçue comme « tolérante » face aux agresseurs augmenta le ressentiment des habitants des provinces du [[Litoral (Argentine)|Litoral]].
Au début de [[1817]], le congrès se transfère dans la capitale, et remet la résolution de ce problème à plus tard : les idées monarchistes perdurent au sein du congrès.


=== Guerres civiles entre unitaires et fédéralistes (1810c-1850) ===
=== 1816-1819 : directoire de Pueyrredón ===
{{article détaillé|Guerres civiles argentines}}
L'objectif principal du '''[[Directoire (Argentine)|Directeur suprême]]''' [[Juan Martín de Pueyrredón|Pueyrredón]] est la réalisation de l'expédition libératrice au [[Chili]] et au [[Pérou]], en accord avec San Martín, afin de terminer la Guerre d'Indépendance.
Les luttes intestines ([[guerres civiles argentines]]) allaient se succéder en Argentine pendant plus de {{nobr|40 ans}}.
Il met au point la création de l'[[Armée des Andes]] (1816-1824), nomme San Martín général en chef et ordonne l'exécution de la campagne libératrice.
Mais le financement de la campagne du Pérou nécessite une hausse des impôts douaniers.


Les [[caudillo]]s provinciaux dominèrent l’histoire et la politique de la première moitié du {{s-|XIX}}. Petits chefs locaux, seigneurs de guerre, ils géraient leur province avec leur propre armée. Les griefs qu’ils entretenaient entre eux nourrissaient des haines et entraînaient des combats parfois féroces. Les uns se rangeaint sous la bannière de l’[[Parti unitaire|unitarisme]], d’autres, plus nombreux, sous celle du [[Parti fédéraliste (Argentine)|fédéralisme]]. La plupart d’entre eux n’étaient pas des militaires, mais des civils.
Le Directoire est durement critiqué par les fédéralistes qui l'accusent de complicité avec les Portugais en tolérant l'invasion de la [[Bande orientale]] (actuel Uruguay).
Certains, comme [[Juan Manuel de Rosas]] et [[Justo José de Urquiza]], étaient propriétaires de vastes haciendas, détenant par là un important pouvoir économique.
Le Portugal a déjà perpétré une première invasion en [[1811]]-[[1812]].
La seconde agression a lieu en [[1816]]-[[1820]], et les [[Portugal|Portugais]] réussissent à annexer la province sous le nom de [[province cisplatine]] (1816-1828).
Finalement Pueyrredón impose son autorité, en exilant les principaux chefs du parti fédéraliste de la capitale.
À l'intérieur, il étouffe les mouvements fédéralistes avec les interventions de l'armée du nord.


Dans l’histoire de l’Argentine, le caudillo était un personnage traditionaliste, totalement opposé au ''Porteño'' ou habitant de [[Buenos Aires]], et lié à la cause fédéraliste qui représentait son intérêt personnel. Les caudillos s'opposaient au centralisme de la métropole Buenos Aires, ainsi qu’à la modernité. On les taxait de "barbares", car ils détestaient Buenos Aires, qui concentrait le pouvoir, basé sur la possession du port et sur les recettes douanières, qui n’avaient encore jamais été utilisées au bénéfice des provinces de l’intérieur.
Pour la défense de Pueyrredón : lorsqu'il arrive au pouvoir, l'invasion portugaise de la [[Bande orientale]] a déjà débuté.
L'histoire du pays s'illustre de très nombreux caudillos, dont certains noms méritent d'être retenus, dont notamment :
Le congrès prend une position neutre que le directeur suprême ne partage pas.
* [[José Gervasio Artigas]] (1764-1850),
Cependant le manque de ressources l'empêche de prendre des mesures militaires : il doit donc se contenter d'exiger que les Portugais ne dépassent pas la ligne du fleuve [[Río Uruguay|Uruguay]].
* [[Juan Manuel de Rosas]] (1793-1877),
Cette politique perçue comme « tolérante » face aux agresseurs augmente le ressentiment des habitants des provinces du [[Litoral (Argentine)|Litoral]].
* [[Justo José de Urquiza]] (1801-1870),
* [[Martín Miguel de Güemes]] (1785-1821),
* [[Francisco Ramírez]] (1786-1821).


=== Rosas et le rosisme (1829-1852) ===
=== 1810c-1850c : guerres civiles entre unitaristes et fédéralistes ===
[[Image:Mapa 14 provincias argentinas y territorios indígenas1840s.jpg|vignette|Provinces argentines, 1840.]]
Les luttes intestines ([[guerres civiles argentines]]) se succèdent en Argentine pendant plus de {{nobr|40 ans}}.
[[Fichier:Juan Manuel de Rosas.jpg|droite|vignette|[[Juan Manuel de Rosas]], gouverneur de la [[province de Buenos Aires]] et caudillo dominant de l'Argentine.]]
Les caudillos provinciaux ont dominé l'histoire et la politique de la première moitié du {{XIXe siècle}}.
{{article détaillé|Juan Manuel de Rosas}}
Petits chefs locaux, seigneurs de la guerre, ils gèrent leur province avec leur armée propre.
En 1826, le congrès nomma [[Bernardino Rivadavia]] premier président constitutionnel du pays. La cession de l’[[Uruguay]] actuel au [[Brésil]] provoqua la démission de Rivadavia en {{date|juin 1827}}. Son successeur [[Manuel Dorrego]], partisan des autonomies provinciales, liquida le conflit avec le Brésil en reconnaissant l'indépendance de la [[Bande orientale]]. Les [[Parti unitaire (Argentine)|unitaires]] soulevés par [[Juan Lavalle]] fusillèrent Dorrego (1828), ce qui ralluma la guerre civile entre unitaires et [[Parti fédéraliste|fédéralistes]].
Ils ont des griefs les uns contre les autres, qui nourrissent des haines et des combats parfois féroces.
Les uns se rangent sous la bannière de l'[[Parti unitaire|unitarisme]], d'autres plus fréquemment sous celle du [[Parti fédéraliste (Argentine)|fédéralisme]].


La [[Bolivie]] se déclara indépendante en&nbsp;1825, de même que l’[[Uruguay]] en&nbsp;1828.
La majorité d'entre eux ne sont pas des militaires, mais des civils.
Certains, comme [[Juan Manuel de Rosas]] et [[Justo José de Urquiza]], possèdent de grandes haciendas et ont donc un important pouvoir économique.
Dans l'histoire de l'Argentine, le caudillo est un personnage traditionaliste, totalement opposé au ''Porteño'' ou habitant de Buenos Aires, et lié à la cause fédéraliste qui représente son intérêt personnel.
Les caudillos s'opposent au centralisme de la métropole platéenne de [[Buenos Aires]], ainsi qu'à la modernité.
On les a appelés "barbares", car ils détestent Buenos Aires, qui concentre le pouvoir, qui émane de la possession du port et des bénéfices douaniers qui n'ont encore jamais été utilisés au bénéfice des provinces de l'intérieur.
L'histoire du pays s'illustre de très nombreux caudillos, dont certains noms méritent d'être retenus, dont :
* [[José Gervasio Artigas]] ([[1764]] - [[1850]]),
* [[Juan Manuel de Rosas]] ([[1793]]-[[1877]]),
* [[Justo José de Urquiza]] ([[1801]]-[[1870]]),
* [[Martín Miguel de Güemes]] ([[1785]]-[[1821]]),
* [[Francisco Ramírez]] ([[1786]] - [[1821]])...


La figure dominante à cette époque devint [[Juan Manuel de Rosas]] (1793-1877), vu par beaucoup comme un tyran. Il gouvernait la province de Buenos Aires et représentait les intérêts de l’Argentine à l'étranger de&nbsp;1829 à&nbsp;1852, sans qu'existe encore de gouvernement central pour l'ensemble du pays.
=== 1829-1852 : Rosas et le rosisme ===
Pour ses partisans, il figurait comme anti-impérialiste argentin en raison de son opposition à d'autres tyrans, amis d’empires étrangers ; dans sa politique, il n'accepta jamais comme définitive la désagrégation des [[Provinces-Unies du Río de la Plata]] (1810-1835), mais lutta au contraire pour que ces évènements menaçants ne s'aggravent pas, et avec l'espoir que les factions argentines comprendraient bientôt que l'unification était l'intérêt commun ; il était avant tout stigmatisé comme tyran par ceux qui étaient à la solde d'intérêts étrangers, ainsi que par les victimes de sa « para-police » implacable, la [[Mazorca]], dirigée par sa propre épouse. Pour le point de vue opposé, il n'y avait pas, sous son gouvernement, de liberté de presse, ni de parole, ni de pensée, et l’instruction publique était inexistante. Une figure de proue de l’opposition à Rosas était [[Domingo Faustino Sarmiento]], qui fut forcé de s’exiler au Chili à plusieurs reprises sous les menaces de mort émises par le gouvernement de Rosas à cause de ses écrits mettant en avant des idées « modernes, progressistes et européennes » (voir notamment son ouvrage intitulé ''[[Facundo]]''), telles que l'école gratuite, laïque et obligatoire pour tous.
[[Image:Mapa 14 provincias argentinas y territorios indígenas1840s.jpg|vignette|Provinces argentines, 1840]]
[[Fichier:Juan Manuel de Rosas.jpg|droite|vignette|[[Juan Manuel de Rosas]], gouverneur de la province de Buenos Aires et caudillo dominant de l'Argentine]]
En 1826, le congrès nomme [[Bernardino Rivadavia]] premier président constitutionnel du pays.
La cession de l'[[Uruguay]] actuel au [[Brésil]] provoque la démission de Rivadavia (juin 1827).
[[Manuel Dorrego]] reprend la charge.
Partisan des autonomies provinciales, il liquide le conflit avec le Brésil en reconnaissant l'indépendance de la [[Bande orientale]].
Les unitaires soulevés par [[Juan Lavalle]] fusillent Dorrego (1828), ce qui rallume la guerre civile entre unitaires et fédéralistes.


Pendant cette période l’[[Argentine]] était peuplée d'indigènes, ainsi que d'immigrés espagnols et de leurs descendants, les ''créoles'' (criollos). Certains d'entre eux étaient concentrés dans les villes, mais d’autres vivaient dans les pampas comme [[gaucho]]s. L'économie rurale était basée presque exclusivement sur l'élevage de bétail. Cependant les attaques indigènes ou « malones » se poursuivaient, menaçant les frontières, surtout à l'ouest. L’Argentine avait acquis l'indépendance vis-à-vis de l'[[Espagne]], mais la conquête espagnole de l’Argentine n'avait toujours pas été menée à bout.
La [[Bolivie]] se déclare indépendante en 1825, de même que l'[[Uruguay]] en 1828.
La figure dominante à cette époque devient '''[[Juan Manuel de Rosas]]''' (1793-1877), vu par beaucoup comme un tyran.
Rosas gouverne la [[province de Buenos Aires]] et représente les intérêts de l'Argentine à l'étranger de 1829 à 1852, sans qu'existe encore de gouvernement central pour l'ensemble du pays.
Il est qualifié d'impérialiste argentin en raison de son opposition à d'autres tyrans, amis d'empires étrangers.
Dans sa politique il n'accepte jamais la désagrégation des [[Provinces-Unies du Río de la Plata]] (1810-1835) comme définitive, mais lutte au contraire pour que ces évènements menaçants ne s'aggravent pas, et avec l'espoir que les factions argentines comprendraient bientôt que l'unification est l'intérêt commun.
Il est avant tout stigmatisé comme tyran par ceux qui sont à la solde d'intérêts étrangers, ainsi que par les victimes de sa « para-police » implacable, la [[Mazorca]], dirigée par sa propre épouse.
D'un autre point de vue, sous Rosas, il n'y a pas de liberté de presse, ni de parole, ni de pensée et le système d'éducation brille par son absence.
Par exemple : Domingo Faustino Sarmiento doit s'exilier au Chili à plusieurs reprises sous les menaces de mort émises par le gouvernement de Rosas à cause de ses écrits mettant de l'avant des idées « modernes, progressistes et européennes» (voir son ouvrage intitulé « ''Facundo'' ») telles que l'école gratuite, laïque et obligatoire pour tous.


Durant son long gouvernement, Rosas réussit à se faire beaucoup d'ennemis à l'intérieur, non seulement des unitaires bourgeois réfugiés à Montevideo, mais aussi d’autres caudillos, et ce même s'ils défendaient une position fédéraliste et qu'ils étaient en désaccord avec le monopole que continuait de détenir Buenos Aires sur son port. Ce monopole fut momentanément brisé durant le conflit de Rosas avec les impérialismes [[France|français]] et surtout [[Royaume-Uni|britannique]]. L'émergence de la [[navigation à vapeur]] permettait désormais de remonter les fleuves avec rapidité, raison pour laquelle le Royaume-Uni et la France avaient armé d'importantes flottes commerciales et militaires composées de vaisseaux à vapeur et exigeaient la libre circulation sur les fleuves, ce qui leur assurerait le libre commerce. Les deux puissances réclamaient donc le droit de navigation sur le [[rio Paraná]] pour y commercer avec les autres ports, ce que Buenos Aires refusait.
Pendant cette période l'[[Argentine]] est peuplée d'indigènes, ainsi que d'immigrés espagnols et de leurs descendants, les créoles. Certains d'entre eux sont concentrés dans les villes, mais d'autres vivent dans les pampas comme [[gaucho]]s.
L'économie rurale se base presque exclusivement sur l'élevage de bétail.
Cependant les attaques indigènes ou « malones » continuent, menaçant les frontières, surtout à l'ouest.
L'[[Argentine]] a acquis l'indépendance de l'[[Espagne]], mais que la conquête espagnole de l'Argentine n'est toujours pas terminée.


Le conflit se mua en guerre avec le [[Bataille de la Vuelta de Obligado|combat de Vuelta de Obligado]], où les forces fédéralistes de Rosas tentèrent de bloquer le passage aux flottes étrangères. La bataille tourna à la déroute pour les forces de Rosas ({{date|20 novembre 1845}}). Cependant elle fut perçue comme un symbole de défense de la [[souveraineté nationale]]. L'action diplomatique habile du gouvernement de Rosas, doublé de l’appui de [[José de San Martín]], finirent par transformer la défaite en victoire politique pour le gouvernement de la [[Confédération argentine]], obligeant les puissances à reconnaître son droit à la souveraineté sur les eaux intérieures.
Durant son long gouvernement, Rosas réussit à se faire beaucoup d'ennemis à l'intérieur.
Pas seulement des unitaires bourgeois réfugiés à Montevideo, mais aussi d'autres caudillos et ce, même s'ils défendent une position fédéraliste et qu'ils ne sont pas d'accord avec le monopole du port que Buenos Aires continue à posséder.


[[Fichier:Tropa de carretas.jpg|thumb|redresse=1.8|centre|[[Caravane (convoi)|Caravane]] de chariots dans la pampa, peinture de [[Juan León Pallière]], 1858.]]
Ce monopole est momentanément brisé durant le conflit de Rosas avec les impérialismes français et surtout britannique.
L'émergence de la navigation à vapeur permet de remonter les fleuves avec rapidité.
Pour ces motifs le [[Royaume-Uni]] et la [[France]] qui ont armé d'importantes flottes commerciales et militaires composées de vaisseaux à vapeur exigent la libre circulation sur les fleuves, ce qui leur assurerait le libre commerce.
Les deux puissances exigent donc le droit de navigation sur le [[rio Paraná]] pour y commercer avec les autres ports, ce que Buenos Aires refuse.
Le conflit se mue en guerre avec le [[Bataille de la Vuelta de Obligado|combat de Vuelta de Obligado]], où les forces fédéralistes de Rosas tentent de bloquer le passage aux flottes étrangères.
La bataille tourne à la déroute pour les forces de Rosas (20 novembre 1845).
Cependant elle est perçue comme un symbole de défense de la souveraineté nationale.
L'action diplomatique habile du gouvernement de Rosas, doublé de l'appui de [[José de San Martín]], finissent par transformer la défaite en victoire politique pour le gouvernement de la [[Confédération argentine]], obligeant les puissances à reconnaître son droit à la souveraineté sur les eaux intérieures.
[[File:Tropa de carretas.jpg|thumb|redresse=1.8|centre|[[Caravane (convoi)|Caravane]] de chariots dans la pampa, peinture de [[Juan León Pallière]], 1858.]]
Mais ces évènements montrent aux caudillos (et surtout à [[Justo José de Urquiza]], gouverneur d'Entre Ríos) le pouvoir que donne à Buenos Aires le monopole du commerce extérieur. Cela engendre un rapprochement entre les unitaires et les fédéralistes opposés à Rosas.
Il se forme dès lors un clan anti-rosiste qui donne lieu à la création de la ''[[Grande Armée (Argentine)|Grande Armée]]'', qui bat Rosas à la bataille de Caseros (le 3 février [[1852]]).
Le gouvernement rosiste est renversé, et l'unité argentine est atteinte, ou menacée, du moins théoriquement.


Mais ces évènements avaient montré aux caudillos (et surtout à [[Justo José de Urquiza]], gouverneur d'[[Province d'Entre Ríos]]) le pouvoir que donnait à Buenos Aires le monopole du commerce extérieur, ce qui favorisa un rapprochement entre les unitaires et les fédéralistes opposés à Rosas. Il se forma dès lors un clan anti-rosiste donnant lieu à la création de la ''[[Grande Armée (Argentine)|Grande Armée]]'', qui vainquit Rosas à la [[bataille de Caseros]] {{date|le 3 février 1852}}. Le gouvernement rosiste était renversé, et l'unité argentine accomplie, ou menacée, du moins théoriquement.
== 1853-1916 : naissance de l'Argentine moderne ==

== Naissance de l’Argentine moderne (1853-1916) ==
=== Adoption de la Constitution de 1853 ===
=== Adoption de la Constitution de 1853 ===
{{article détaillé|Constitution argentine de 1853}}
Urquiza organise le Congrès constituant de [[Santa Fe (Argentine)|Santa Fe]] (1853), qui approuve une [[Constitution argentine de 1853|Constitution]] de caractère républicain, représentatif et [[Administration de l'Argentine|fédéral]] atténué, élaboré selon le texte “Bases y puntos de partida para la organización política de la República Argentina” de [[Juan Bautista Alberdi]].
Urquiza est proclamé président de la [[Confédération argentine|Confédération]]. La Constitution est amendée en 1860.
Urquiza convoqua le Congrès constituant de [[Santa Fe (Argentine)|Santa Fe]] (1853), qui approuva une [[Constitution argentine de 1853|Constitution]] de caractère républicain, représentatif et [[Administration de l'Argentine|fédéral]] atténué, élaboré selon le texte “Bases y puntos de partida para la organización política de la República Argentina” de [[Juan Bautista Alberdi]]. Urquiza fut proclamé président de la [[Confédération argentine|Confédération]]. La Constitution fut amendée en&nbsp;1860.


=== Dernières guerres civiles ===
=== Dernières guerres civiles ===
{{Article détaillé|Guerres civiles argentines}}
[[Santiago Derqui]] est élu [[Liste des chefs d'État argentins|président]] et Urquiza et [[Bartolomé Mitre]] sont nommés respectivement gouverneurs de l'[[Province d'Entre Ríos|Entre Ríos]] et de [[province de Buenos Aires|Buenos Aires]].
[[Santiago Derqui]] fut élu [[Liste des chefs d'État argentins|président]] et Urquiza et [[Bartolomé Mitre]] furent nommés respectivement gouverneurs d’[[Province d'Entre Ríos|Entre Ríos]] et de [[province de Buenos Aires|Buenos Aires]].
Les divergences dans le camp des vainqueurs (entre unitaires et caudillos anti-rosistes) conduisent la province de Buenos Aires à rejeter cette Constitution et à se séparer de la Confédération argentine, qui établit dès lors sa capitale dans la ville de [[Paraná (Argentine)|Paraná]].
En [[1861]], les armées de Buenos Aires mettent celles de la Confédération en déroute à la [[bataille de Pavón]] : Mitre reste vainqueur face à Urquiza, à la suite de quoi il est nommé président constitutionnel en [[1862]] pour une période de {{nobr|6 ans}}.
En [[1868]], [[Domingo Faustino Sarmiento]] lui succède.


Les divergences dans le camp des vainqueurs (entre [[Parti unitaire (Argentine)|unitaires]] et caudillos anti-[[Juan Manuel de Rosas|rosistes]]) conduisirent la province de Buenos Aires à rejeter cette Constitution et à se séparer de la Confédération argentine, qui établit dès lors sa capitale dans la ville de [[Paraná (Argentine)|Paraná]]. En&nbsp;1861, les armées de Buenos Aires mettent celles de la Confédération en déroute à la [[bataille de Pavón]] : Mitre, vainqueur face à Urquiza, fut nommé président constitutionnel en&nbsp;1862 pour une période de {{nobr|6 ans}}. [[Domingo Faustino Sarmiento]] allait lui succéder en&nbsp;1868.
La guerre entre unitaristes et fédéralistes resurgit à plusieurs reprises, opposant Mitre à [[Ricardo López Jordán]] en 1870-1871 puis à [[Nicolás Avellaneda]] en 1874, et enfin ce dernier à [[Carlos Tejedor]] en 1880.
* [[Guerres civiles argentines]]


La guerre entre unitaires et fédéralistes resurgit à plusieurs reprises, opposant Mitre à [[Ricardo López Jordán]] en&nbsp;1870-1871 puis à [[Nicolás Avellaneda]] en&nbsp;1874, et enfin ce dernier à [[Carlos Tejedor]] en&nbsp;1880.
=== 1864-1870 : guerre contre le Paraguay ===
En 1865, l'[[Argentine]] se voit impliquée dans le conflit qui oppose le [[Paraguay]] au [[Brésil]].
Mitre joint ses troupes aux armées brésilienne et uruguayenne.
Ainsi constituées, les forces de la '''[[Guerre de la Triple-Alliance|Triple-Alliance]]''' mettent finalement en déroute le maréchal paraguayen [[Francisco Solano López]] en 1870.


=== 1878-1885 : guerre contre les Indiens ===
=== Guerre contre le Paraguay (1864-1870) ===
En 1865, l'[[Argentine]] se vit impliquée dans le conflit opposant le [[Paraguay]] au [[Brésil]]. [[Bartolomé Mitre|Mitre]] joignit ses troupes aux armées brésilienne et uruguayenne. Ainsi constituées, les forces de la [[Guerre de la Triple-Alliance|Triple-Alliance]] mirent en déroute le maréchal paraguayen [[Francisco Solano López]] en&nbsp;1870.
[[Image:Uniedprovinces3.jpeg|vignette|Évolution territoriale de l'Argentine]]
La fin victorieuse de la guerre contre le Paraguay établit une frontière sûre au nord-est du pays, et assure à celui-ci la possession des territoires de [[Province de Misiones|Misiones]] et de [[Province de Formosa|Formosa]].
[[Nicolás Avellaneda]] succède à Sarmiento en [[1874]], et s'attache à soumettre les terres encore occupées par les indigènes amérindiens.
Durant la décennie suivante, lors de la '''''[[Conquête du Désert]]''''', le général [[Julio Argentino Roca]] établit le contrôle du gouvernement national sur les vastes régions de [[Patagonie argentine|Patagonie]] et du [[Gran Chaco|Chaco]], en annihilant les peuples indigènes qui les peuplent depuis toujours.
Le 20 septembre [[1880]], le Congrès national déclare Buenos Aires capitale fédérale de la République.


=== Guerre contre les Indiens (1878-1885) ===
=== 1880-1916 : prospérité économique, république conservatrice ===
[[Fichier:Uniedprovinces3.jpeg|vignette|Évolution territoriale de l'Argentine]]
[[Fichier:DéboisementArgentineAncienPort.jpg|vignette|Amoncellements de bois en attente de chargement sur le port de [[Santa Fe (Argentine)|Santa-Fe]]. Comme au [[Chili]], une partie de la prospérité du pays s'est faite grâce à l'exportation massive de bois vendu à bas prix vers le Royaume-Uni et autres pays d'Europe, induisant une [[déforestation]] suivie d'une [[régression et dégradation des sols]]]]
{{article détaillé|Conquête du désert}}
[[File:Comodoro Rivadavia - primer pozo.jpg|thumb|La découverte de gisements de pétrole à [[Comodoro Rivadavia]] en Patagonie, en 1907, donne lieu à une exploitation importante.]]
La fin victorieuse de la guerre contre le Paraguay avait établi une frontière sûre au nord-est du pays et assuré à celui-ci la possession des territoires de [[Province de Misiones|Misiones]] et de [[Province de Formosa|Formosa]].


[[Nicolás Avellaneda]], successeur de [[Domingo Faustino Sarmiento|Sarmiento]] en 1874, s'attacha à soumettre les terres encore occupées par les indigènes amérindiens. Durant la décennie suivante, lors de la [[Conquête du Désert]], le général [[Julio Argentino Roca]] établit l’autorité du gouvernement national sur les vastes régions de [[Patagonie argentine|Patagonie]] et du [[Gran Chaco|Chaco]], en annihilant les peuples indigènes qui les peuplaient depuis toujours.
Roca est élu en 1880, bénéficiant d'une grande popularité à la suite de ses succès lors de la '''[[Conquête du Désert]]'''.

Après lui, est élu [[Miguel Juárez Celman]] (1886), qui démissionne en 1890, à la suite d'une tentative de soulèvement mené par [[Leandro N. Alem]] et d'autres dirigeants de l'[[Union civique radicale]] (UCR), fondée peu après.
Le {{date|20 septembre 1880}}, le Congrès national déclara [[Buenos Aires]] capitale fédérale de la République.
Le vice-président [[Carlos Pellegrini]] le remplace.

=== Prospérité économique, République conservatrice (1880-1916) ===
{{Article détaillé|République conservatrice (Argentine)}}
[[Fichier:DéboisementArgentineAncienPort.jpg|vignette|Amoncellements de bois en attente de chargement sur le port de [[Santa Fe (Argentine)|Santa-Fe]]. Comme au [[Chili]], une partie de la prospérité du pays s'est faite grâce à l'exportation massive de bois vendu à bas prix vers le Royaume-Uni et autres pays d'Europe, induisant une [[déforestation]] suivie d'une [[régression et dégradation des sols]].]]
[[Fichier:Comodoro Rivadavia - primer pozo.jpg|vignette|La découverte de gisements de pétrole à [[Comodoro Rivadavia]] en Patagonie, en&nbsp;1907, donne lieu à une exploitation importante.]]

Roca, bénéficiant d'une grande popularité à la suite de ses succès lors de la [[Conquête du Désert]], fut élu président de la république en&nbsp;1880. Après lui fut élu [[Miguel Juárez Celman]] (1886), qui démissionna en&nbsp;1890, à la suite d'une tentative de soulèvement mené par [[Leandro N. Alem]] et d'autres dirigeants de l'[[Union civique radicale]] (UCR), fondée peu après ; le vice-président [[Carlos Pellegrini]] le remplaça.
Ses successeurs sont [[Luis Sáenz Peña]] (1892), [[José Evaristo Uriburu]] (1895), puis de nouveau [[Julio Argentino Roca]] (1898). Ensuite, les présidents sont [[Manuel Quintana]] (1904), [[José Figueroa Alcorta]] (1906), [[Roque Sáenz Peña]] (1910), et [[Victorino de la Plaza]] (1914).
Ses successeurs sont [[Luis Sáenz Peña]] (1892), [[José Evaristo Uriburu]] (1895), puis de nouveau [[Julio Argentino Roca]] (1898). Ensuite, les présidents sont [[Manuel Quintana]] (1904), [[José Figueroa Alcorta]] (1906), [[Roque Sáenz Peña]] (1910), et [[Victorino de la Plaza]] (1914).


Pendant toute cette période, dite de '''[[République conservatrice (Argentine)|république conservatrice]]''', l'[[économie de l'Argentine|économie]] se développe fortement, pour globalement une époque de grande prospérité, l'Argentine devenant une des dix premières puissances mondiales, en termes de [[Produit national brut|PNB]], au début du {{s-|XX|e}}.
Pendant toute cette période, dite [[République conservatrice (Argentine)|République conservatrice]], l’[[économie de l'Argentine|économie]] se développa fortement, déterminant une époque globalement de grande prospérité, l’Argentine devint l’une des dix premières puissances mondiales, du point de vue du [[Produit national brut|PNB]], au début du {{s-|XX|e}}. Elle restait néanmoins loin derrière l'[[Australie]] et le [[Canada]], si l'on prend en compte le pouvoir d'achat. Trois facteurs sont la cause de cet important essor : d'abord, la fin des guerres indiennes et donc la conquête de vastes nouveaux territoires agricoles ; ensuite, la modernisation de l'économie, l'adoption de techniques modernes et l'intégration du pays dans l'économie mondiale (essor du commerce et des investissements étrangers) ; enfin, l'arrivée massive d'[[Immigration en Argentine|immigrants]] européens dans une [[démocratie]] relativement stable, sans faire abstraction d’importants conflits sociaux.
Elle reste néanmoins loin derrière l'[[Australie]] et le [[Canada]], si l'on prend en compte le pouvoir d'achat.
Trois facteurs sont la cause de cet important essor : d'abord, la fin des guerres indiennes et donc la conquête de vastes nouveaux territoires agricoles ; ensuite, la modernisation de l'économie, l'adoption de techniques modernes et l'intégration du pays dans l'économie mondiale (essor du commerce et des investissements étrangers) ; enfin, l'arrivée massive d'immigrants européens dans une [[démocratie]] relativement stable, sans oublier d'importants conflits sociaux.
Dès 1901, la ''Federación Obrera Argentina'' est créée, donnant lieu en 1904 à l'importante [[Fédération ouvrière régionale argentine]] (FORA), dominée par l'[[anarcho-syndicalisme]].
Celle-ci compte des figures telles que [[Diego Abad de Santillán]], qui s'oppose dans les années 1930, lors de la '''[[décennie infâme]]''', à la « [[propagande par le fait]] », prônée par [[Severino Di Giovanni]].


En 1901, la ''Federación Obrera Argentina'' fut créée, donnant lieu en&nbsp;1904 à l'importante [[Fédération ouvrière régionale argentine]] (FORA), dominée par l’[[anarcho-syndicalisme]], et comprenant des figures telles que [[Diego Abad de Santillán]], qui s'opposa dans les années&nbsp;1930, lors de la [[Décennie infâme]], à la « [[propagande par le fait]] », prônée par [[Severino Di Giovanni]].
Les associations socialistes se constituent dans les années 1890.
En 1896 est formé le [[Parti socialiste (Argentine)|Parti ouvrier socialiste argentin]], qui fait paraître ''[[La Vanguardia (Argentine)|La Vanguardia]]'', « journal socialiste scientifique défenseur de la classe ouvrière ».
En 1904, [[Alfredo Palacios]] devient le premier député socialiste d'Amérique latine.
Le [[Parti communiste de l'Argentine|Parti communiste argentin]] est fondé en 1918<ref name=":1" />.


Les associations socialistes allaient se constituent dans les années&nbsp;1890. En&nbsp;1896 fut formé le [[Parti socialiste (Argentine)|Parti ouvrier socialiste argentin]], qui faisait paraître ''[[La Vanguardia (Argentine)|La Vanguardia]]'', « journal socialiste scientifique défenseur de la classe ouvrière ». En&nbsp;1904, [[Alfredo Palacios]] devient le premier député socialiste d'Amérique latine. Le [[Parti communiste de l'Argentine|Parti communiste argentin]] fut fondé en&nbsp;1918<ref name=":1" />.
Les investissements étrangers proviennent surtout du [[Royaume-Uni]] et sont principalement destinés aux infrastructures (chemins de fer et ports notamment construits pour le transport et l'exportation du bois et de produits agricoles).


Les investissements étrangers provenaient surtout du [[Royaume-Uni]] et étaient principalement destinés aux infrastructures (chemins de fer et ports notamment construits pour le transport et l'exportation du bois et de produits agricoles).
Les immigrants travaillent beaucoup au développement du pays, surtout dans les pampas occidentales.
Ils arrivent essentiellement de toute l'Europe, mais aussi d'ailleurs (chrétiens du [[Moyen-Orient]]).
De 1880 à la [[Grande Dépression|crise de 1929]], l'Argentine est donc économiquement prospère, mais l'économie est de plus en plus orientée vers l'exportation de matières premières et de produits agricoles et l'importation de produits industriels manufacturés.
L'industrialisation ne se réalise pas, le modèle d'agro-exportation, au profit du Royaume-Uni, favorisant au sein du pays l'oligarchie des propriétaires terriens, tenant de gigantesques domaines [[Latifundium (agriculture)|latifundiaires]].


Les immigrants contribuaient beaucoup au développement du pays, surtout dans les pampas occidentales.
Alors que les ressources naturelles forestières les plus faciles à exploiter s'épuisent, la situation devient politiquement et socialement moins brillante.
Ils arrivaient essentiellement de toute l'Europe, mais aussi d'ailleurs (chrétiens du [[Moyen-Orient]]).
Les gouvernements de Roca et de ses successeurs s'alignent sur les intérêts de l'oligarchie argentine.

Les élections sont entachées de fraude et de clientélisme électoral, le vote se faisant à main levée.
De 1880 à la [[Grande Dépression|crise de 1929]], l'Argentine était donc économiquement prospère, mais l'économie s’orientait de plus en plus vers l'exportation de [[matières premières]] et de produits agricoles et vers l'importation de produits industriels manufacturés. L'industrialisation ne se réalisa pas, et le modèle d'agro-exportation continuait de prévaloir, au profit du Royaume-Uni, et favorisant au sein du pays l'oligarchie des propriétaires terriens, qui détenaient de gigantesques domaines [[Latifundium (agriculture)|latifundiaires]].
Les forces conservatrices dominent la république jusqu'en [[1916]], lorsque la [[loi Sáenz Peña]] du « suffrage universel » masculin, instituant le [[vote à bulletin secret]], vient bouleverser l'ordre ancien et permet le triomphe électoral des radicaux de l'[[Union civique radicale|UCR]], rivaux traditionnels des conservateurs, et dirigés par [[Hipólito Yrigoyen]].

Les radicaux, qui ont déjà effectué des tentatives de soulèvement contre le ''régime fallacieux et discrédité'' et qui ont proposé l'abstention pour lutter contre la fraude électorale, représentent les classes moyennes en expansion auxquelles ils ouvrent les portes.
Alors que les ressources naturelles forestières les plus faciles à exploiter s'épuisaient, la situation devenait politiquement et socialement moins brillante. Les gouvernements de Roca et de ses successeurs s'alignaient sur les intérêts de l'oligarchie argentine. Les élections étaient entachées de fraude et de clientélisme électoral, le vote se faisant à main levée. Les forces conservatrices dominaient la république jusqu'en 1916, lorsque la [[loi Sáenz Peña]] sur le « suffrage universel » masculin, instituant le [[vote à bulletin secret]], vint bouleverser l'ordre ancien et permit la victoire électorale des radicaux de l’[[Union civique radicale|UCR]], rivaux traditionnels des conservateurs, et dirigés par [[Hipólito Yrigoyen]]. Les radicaux, qui avaient déjà effectué des tentatives de soulèvement contre le ''régime fallacieux et discrédité'' et proposé l'abstention pour lutter contre la fraude électorale, représentaient les [[Classe moyenne|classes moyennes]] en expansion auxquelles ils ouvrirent les portes.


=== Naissance du tango ===
=== Naissance du tango ===
Sur les bords du [[Río de la Plata]] de la fin du {{s-|XIX|e}}, nait un art nouveau : le [[Tango (musique)|tango-musique]] et le [[Tango (danse)|tango-danse]].
Sur les bords du [[Río de la Plata]] de la fin du {{s-|XIX|e}}, naissait un art nouveau : le [[Tango (musique)|tango-musique]] et le [[Tango (danse)|tango-danse]].


== 1916-1930 : radicalisme ==
== Radicalisme (1916-1930) ==
* [[Union civique radicale]]
{{Article détaillé|Union civique radicale}}
=== 1916-1922 : premier mandat d'Hipólito Yrigoyen ===
=== Premier mandat d'Hipólito Yrigoyen (1916-1922) ===
[[Fichier:Hipólito Yrigoyen.jpg|vignette|200px|[[Hipólito Yrigoyen]] fut le premier président élu par vote [[Vote à bulletin secret|secret]].]]
[[Fichier:Hipólito Yrigoyen.jpg|vignette|200px|[[Hipólito Yrigoyen]] fut le premier président élu par vote [[Vote à bulletin secret|secret]].]]
{{article détaillé|Hipólito Yrigoyen}}
En 1916, [[Hipólito Yrigoyen]], représentant de l’aile gauche de l’[[Union civique radicale]] (UCR), fut élu président grâce au [[suffrage universel]] et au [[Vote à bulletin secret|secret du vote]]. Les conservateurs gardaient cependant la haute main sur le [[Sénat (Argentine)|Sénat]] ainsi que sur la plupart des [[Provinces de l'Argentine|provinces]]. La [[démocratie]] s’installa progressivement en Argentine, avec les réformes sociales d’Yrigoyen, qui rompaient avec le refus de l’[[interventionnisme]] d’État prôné par le [[libéralisme économique]] classique de l’[[école de Manchester]], et tendaient à favoriser l’[[industrialisation]] équilibrée du pays, tandis que la [[Cour suprême d'Argentine|Cour suprême]] jouissait, jusqu'au [[Coup d'État de 1930 en Argentine|coup d’État]] du général [[José Félix Uriburu|Uriburu]], d’une indépendance prometteuse.


==== Politique économique ====
En 1916, [[Hipólito Yrigoyen]], représentant de l'aile gauche de l'[[Union civique radicale]] (UCR), fut élu président grâce au suffrage universel et secret. Les conservateurs conservent cependant le contrôle du [[Sénat (Argentine)|Sénat]] ainsi que celui de la majorité des provinces. La [[démocratie]] s'installait progressivement en Argentine, avec les réformes sociales d'Yrigoyen, qui rompt avec le refus de l'[[interventionnisme]] étatique prôné par le [[libéralisme économique]] classique de l'[[école de Manchester]], tente de favoriser l'[[industrialisation]] équilibrée du pays, tandis que la [[Cour suprême d'Argentine|Cour suprême]] jouit, jusqu'au coup d'État du général Uriburu, d'une indépendance prometteuse.
Elle se caractérise par un « Plan de la Terre et du Pétrole », octroyant à l'État un rôle important d’[[interventionnisme|intervention]] dans l'économie. [[Hipólito Yrigoyen|Yrigoyen]] déclara ainsi :

'''Politique économique'''


{{Citation bloc|La politique du président est de maintenir aux mains de l'État l'exploitation des sources naturelles de richesse, dont les produits sont des éléments vitaux du développement du pays… L'État doit acquérir une position chaque jour plus prépondérante dans les activités industrielles qui répondent principalement à la réalisation de services publics. }}
Elle se caractérise par un « Plan de la Terre et du Pétrole », octroyant à l'État un rôle important d'intervention dans l'économie. [[Hipólito Yrigoyen|Yrigoyen]] déclare ainsi :


En 1922, il décida la création de l'entreprise d'État pétrolière ''[[Yacimientos Petrolíferos Fiscales]]'' (YPF), bientôt la plus importante du pays.
{{début citation}} La politique du président est de maintenir aux mains de l'État l'exploitation des sources naturelles de richesse, dont les produits sont des éléments vitaux du développement du pays… L'État doit acquérir une position chaque jour plus prépondérante dans les activités industrielles qui répondent principalement à la réalisation de services publics.{{fin citation}}


Il fit voter des lois concernant les baux à métayage, pour protéger les colons face aux gros propriétaires terriens. La "Banque hypothécaire" fut réorganisée pour aider les petits propriétaires ruraux. Une législation sociale destinée à améliorer les conditions de vie de la [[classe ouvrière]] est adoptée (abolition du travail des enfants, salaire minimum pour certaines catégories de travailleurs, repos dominical obligatoire, recours à l'arbitrage pour les conflits sociaux)<ref name=":1">{{ouvrage|langue=es|auteur1=Leslie Manigat|titre=L’Amérique latine au XXe siècle,1889-1929|lieu=Paris|éditeur=[[ Éditions du Seuil|Seuil]]|collection=Histoire|année=1991|pages totales=488|page=267-280|isbn=978-2020123730}}.</ref>.
En 1922, il décide la création de l'entreprise d'État pétrolière ''[[Yacimientos Petrolíferos Fiscales]]'' (YPF), bientôt la plus importante du pays.


Enfin, la "Marine marchande nationale" fut créée. Yrigoyen lança également une politique d'expansion des chemins de fer d'État, provoquant quelques heurts avec de puissantes entreprises ferroviaires étrangères, notamment britannique. Il ordonna la construction d’une nouvelle voie ferrée vers le nord du [[Chili]] et l’[[Océan Pacifique]].
Il fait voter des lois concernant les loyers ruraux, pour protéger les colons face aux gros propriétaires terriens.
On réorganise la "Banque hypothécaire" pour aider les petits propriétaires ruraux.
Une législation sociale destinée à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière est adoptée (abolition du travail des enfants, salaire minimum pour certaines catégories de travailleurs, repos dominical obligatoire, recours à l'arbitrage pour les conflits sociaux)<ref name=":1">{{Ouvrage|auteur1=Leslie Manigat|titre=L’Amérique latine au XXe siècle,1889-1929|année=1991|passage=267-280}}</ref>.


==== Politique internationale ====
Enfin on crée la "Marine marchande nationale".
Yrigoyen soutint fondamentalement le principe d’[[Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes|autodétermination des peuples]] et d’égalité des nations face aux grandes puissances, sur la base suivante :
Yrigoyen lance également une politique d'expansion des chemins de fer d'État, provoquant quelques heurts avec de puissantes entreprises ferroviaires étrangères, notamment britannique.
* maintien de la neutralité argentine pendant la [[Première Guerre mondiale]], mais avec de forts appels aux pays belligérants des deux camps.
Il fait construire une nouvelle voie ferrée vers le nord du [[Chili]] et l'[[Océan Pacifique]].
* convocation en 1917 d’un Congrès des nations latino-américaines non belligérantes pour définir une position commune face à la Première Guerre mondiale, qui échoua à la suite de la forte opposition des États-Unis.
* face au [[traité de Versailles]] et à la création de la [[Société des Nations]], soutien apporté à la séparation des deux actes, avec l’idée que le Traité est un problème limité aux pays qui s’étaient battus, mais que la SDN doit être une association égalitaire et volontaire de toutes les nations du monde, y compris les nations [[colonisation|colonisées]].


'''Politique internationale'''
==== Politique du travail ====
Celle-ci demeure équivoque. D'un côté [[Hipólito Yrigoyen|Yrigoyen]] fit voter les lois du travail et demanda au Congrès un projet de [[Code du travail (Argentine)|code du travail]], réclamé depuis le début du siècle par le [[Parti socialiste (Argentine)|Parti socialiste]] (PS) et le mouvement ouvrier, et agit souvent comme médiateur dans des conflits. Mais d’un autre côté, il eut des relations conflictuelles avec le PS et avec le secteur majoritaire du mouvement ouvrier, lui déniant le droit de représenter les travailleurs argentins lors de la fondation de l'[[Organisation internationale du travail|OIT]] en[...]1919.


Sous son gouvernement également eurent lieu les plus grands massacres ouvriers de l’histoire du pays : la [[Semaine tragique (Argentine)|Semaine tragique]] de&nbsp;1919, à [[Buenos Aires]], et les exécutions de masse lors des grèves insurrectionnelles, dites ''[[Patagonie rebelle]]'', dans la province [[patagonie]]nne de [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]] en&nbsp;1921-1922. Certains militants ouvriers se dirigèrent alors vers la lutte armée, comme en&nbsp;1929 quand l’anarchiste [[Kurt Gustav Wilckens]] lança une bombe qui tua le colonel Varela, responsable des massacres de la Patagonie rebelle<ref name=":1" />.
Il soutient fondamentalement le principe d'[[Droit des peuples à disposer d'eux-mêmes|autodétermination des peuples]] et d'égalité des nations face aux grandes puissances, sur la base suivante :
* Il maintient la neutralité pendant la [[Première Guerre mondiale]], mais avec de forts appels aux pays belligérants des deux camps.
* En 1917, il convoque un Congrès des nations latino-américaines non belligérantes pour définir une position commune face à la Première Guerre mondiale, qui échoue à la suite de la forte opposition des États-Unis.
* Face au [[traité de Versailles]] et à la création de la [[Société des Nations]], il soutient la séparation des deux actes, avec l'idée que le Traité est un problème limité aux pays qui se sont battus, mais que la SDN doit être une association égalitaire et volontaire de toutes les nations du monde, y compris les nations [[colonisation|colonisées]].


Par ailleurs, sur le plan de l’enseignement, il soutient la [[Réforme universitaire de 1918 en Argentine|Réforme universitaire]] de&nbsp;1918, mouvement engagé par la [[Fédération universitaire d'Argentine|Fédération universitaire argentine]] (FUA).
'''Politique du travail'''


=== Présidence de Marcelo Torcuato de Alvear (1922-1928) ===
Celle-ci demeure équivoque.
{{article détaillé|Marcelo Torcuato de Alvear}}
D'un côté [[Hipólito Yrigoyen|Yrigoyen]] fait voter les lois du travail et demande au Congrès un projet de [[Code du travail (Argentine)|code du travail]], réclamé depuis le début du siècle par le [[Parti socialiste (Argentine)|Parti socialiste]] (PS) et le mouvement ouvrier : agissant souvent comme médiateur dans des conflits.
Élu comme successeur d’[[Hipólito Yrigoyen|Yrigoyen]], [[Marcelo Torcuato de Alvear|Marcelo de Alvear]] (1868-1942), représentant de l’aile droite de l'[[UCR (Argentine)|UCR]], prit le contrepied de son prédécesseur, entraînant une violente lutte politique entre ''yrigoyénistes'' et ''alvéaristes'', aussi appelés ''anti-personnalistes''. Chaque secteur du parti présente son propre candidat aux élections suivantes, les anti-personnalistes présentant comme candidat à la présidence [[Leopoldo Melo]], tandis que Yrigoyen se présenta à nouveau.
Mais d'un autre côté, il a des relations conflictuelles avec le PS et avec le secteur majoritaire du mouvement ouvrier, lui déniant le droit de représenter les travailleurs argentins lors de la fondation de l'[[Organisation internationale du travail|OIT]] en 1919.


=== Second mandat d’Hipólito Yrigoyen (1928-1930) ===
Sous son gouvernement également, ont lieu les plus grands massacres ouvriers de l'histoire du pays : la [[Semaine tragique (Argentine)|Semaine tragique]] de [[1919]], à [[Buenos Aires]], et les exécutions de masse lors des grèves insurrectionnelles, dites ''[[Patagonie rebelle]]'', dans la province [[patagonie]]nne de [[Province de Santa Cruz|Santa Cruz]] en 1921-1922.
Yrigoyen ayant emporta le scrutin avec 60 % des voix, il constitua son nouveau gouvernement le {{date|12|octobre|1928}}.
Certains militants ouvriers se dirigent alors vers la lutte armée, comme en 1929 quand l'anarchiste [[Kurt Gustav Wilckens]] lance une bombe qui tue le colonel Varela, responsable des massacres de la Patagonie rebelle<ref name=":1" />.


En 1929 se produisit la [[Grande Dépression]] mondiale. Le radicalisme, avec Yrigoyen à sa tête, se montra incapable de répondre à la crise. Entre les deux ailes du parti radical éclata un conflit virulent, à un niveau de violence politique sans précédent dans l’histoire du pays depuis la fin des [[Guerres civiles argentines|guerres civiles]].
Par ailleurs, sur le plan de l'éducation, il soutient la [[Réforme universitaire de 1918 en Argentine|Réforme universitaire]] de 1918, initiée par la [[Fédération universitaire d'Argentine|Fédération universitaire argentine]] (FUA).


=== Coup d’État d’Uriburu, ''Décennie infâme'' (1930-1940) ===
=== 1922-1928 : présidence de Marcelo Torcuato de Alvear ===
{{article détaillé|Coup d'État de 1930 en Argentine}}
Élu comme successeur d'Yrigoyen, [[Marcelo Torcuato de Alvear|Marcelo de Alvear]] (1868-1942), représentant de l'aile droite de l'[[UCR (Argentine)|UCR]], prend le contrepied de son prédécesseur, entraînant une violente lutte politique entre les Yrigoyénistes et les Alvéaristes, aussi appelés anti-personnalistes.
{{article détaillé|Décennie infâme}}
Chaque secteur du parti présente son propre candidat aux élections suivantes, les anti-personnalistes présentant comme candidat à la présidence [[Leopoldo Melo]], tandis que Yrigoyen se présente à nouveau.
Le {{date|6 septembre 1930}}, le général [[José Félix Uriburu]] (1868-1932) [[Coup d'État de 1930 en Argentine|renverse le gouvernement constitutionnel]], amorçant une série de coups d'État et de gouvernements militaires qui s’étendra jusqu’en 1983 et écrasera par la force tous les gouvernements issus d'élections libres lors d'un vote populaire.


Plongée dans la crise, l'Argentine s’engagea dans la période dite [[Décennie infâme]], marquée par la [[fraude électorale]] et la corruption, par l’autoritarisme militaire et par le poids prépondérant de l'oligarchie, qui maintenait l'Argentine dans un statut de dépendance économique envers le Royaume-Uni.
=== 1928-1930 : second mandat Hipólito Yrigoyen ===
Yrigoyen l'emporte avec 60 % des voix. Son nouveau gouvernement se constitue le {{Date|12|octobre|1928}}.
En [[1929]] se produit la [[Grande Dépression]] mondiale.
Le radicalisme, avec Yrigoyen à sa tête, est incapable de répondre à la crise.
Le conflit est total entre les deux ailes du parti radical, à un niveau encore de violence politique dans l'histoire du pays depuis la fin des guerres civiles.


Le "Parti fasciste argentin", succédant à la ''Légion civique argentine'' (1931), et future [[Alliance libératrice nationaliste]] (ALN, 1937-1955 puis 1973-1976), fut fondée en&nbsp;1932. Le [[fascisme]] avait une influence plus large : ainsi, en {{date|novembre 1935}}, [[Manuel Fresco]], admirateur de [[Benito Mussolini|Mussolini]] et d'[[Adolf Hitler|Hitler]], réussit, dans un contexte de fraudes massives, à se faire élire gouverneur de la [[province de Buenos Aires]].
=== 1930-1940 : coup d'État d'Uriburu, ''décennie infâme'' ===
Le 6 septembre 1930 le général [[José Félix Uriburu]] (1868-1932) [[Coup d'État de 1930 en Argentine|renverse le gouvernement constitutionnel]], initiant une série de coups d'État et de gouvernements militaires qui va se prolonger jusqu'en [[1983]] et, fait plus grave encore, écrasant par la force tous les gouvernements issus d'élections libres lors d'un vote populaire.

Plongée dans la crise, l'Argentine renoue alors avec la fraude électorale et la corruption, initiant ce qui fut appelé la '''[[décennie infâme]]''', marquée par l'autoritarisme militaire et le poids prépondérant de l'oligarchie, qui maintenait l'Argentine dans un statut de dépendance économique envers le Royaume-Uni.
Le "Parti fasciste argentin", succédant à la ''Légion civique argentine'' (1931), et future [[Alliance libératrice nationaliste]] (ALN, 1937-1955 puis 1973-1976), est créé en 1932.
Le [[fascisme]] a une influence plus large : ainsi, en novembre 1935, [[Manuel Fresco]], admirateur de [[Benito Mussolini|Mussolini]] et d'[[Adolf Hitler|Hitler]], est élu, dans un contexte de fraudes massives, gouverneur de la [[province de Buenos Aires]].


== 1946-1955 : Juan Perón et le péronisme ==
== 1946-1955 : Juan Perón et le péronisme ==
[[Fichier:Peron tomando un café.jpg|vignette|Juan Perón et son café]]
[[Fichier:Peron tomando un café.jpg|vignette|[[Juan Perón]] prenant un café.]]
[[Fichier:Juan Peron con banda de presidente.jpg|vignette|Juan Domingo Perón Président]]
[[Fichier:Juan Peron con banda de presidente.jpg|vignette|Juan Perón revêtu de l’écharpe de président.]]
Les militaires organisent un « [[Révolution de 1943|putsch]] » en 1943.
{{article détaillé|Révolution de 1943}}
{{article détaillé|Juan Perón}}
'''[[Juan Perón|Juan Domingo Perón]]''' (1895-1974), un colonel de l'armée, participe à ce [[coup d'État]] et devient ministre de l'[[emploi]], puis [[Administration de l'Argentine|vice-président]] du pays.
En 1943, [[Juan Perón|Juan Domingo Perón]] (1895-1974), alors colonel de l'armée, participa au [[Révolution de 1943|coup d’État]] organisé par les militaires, et fut ensuite nommé secrétaire au Travail, puis [[Administration de l'Argentine|vice-président]] du pays.
L'Argentine reste neutre lors de la [[Seconde Guerre mondiale]] jusqu'en 1944, puis déclare la guerre à l'Allemagne et au Japon dès cette année. Entre-temps, la popularité de Juan Perón augmente rapidement, au point d'inquiéter sérieusement ses adversaires ainsi que l'ambassade américaine.
Il est forcé de démissionner le {{Date|9|octobre|1945}}, arrêté et emprisonné sur l'[[Martín García (île)|île Martín García]].
Mais d'imposantes manifestations populaires, organisées par la [[Confédération générale du travail de la République argentine|CGT]] d'Angel Borlenghi, aboutissent à sa libération le 17 octobre 1945. De ce jour naît le '''[[péronisme]]'''.


L'Argentine resta [[Neutralité (relations internationales)|neutre]] lors de la [[Seconde Guerre mondiale]] jusqu'en&nbsp;1944, puis déclara la guerre à l'[[Allemagne nazie|Allemagne]] et au [[Japon]] dès la même année. Entre-temps, la popularité de Juan Perón augmentait rapidement, au point d'inquiéter sérieusement ses adversaires ainsi que l'ambassade américaine, avec à sa tête [[Spruille Braden]].
Juan Perón, le 20 février 1946, remporte l’[[élection présidentielle]].
Il mène une politique en faveur des ouvriers (congés payés, augmentations de salaires, projets sociaux, etc), et encourage le renforcement des [[syndicat]]s, désormais pièce maitresse du régime péroniste.
Il nationalise également les voies de communication appartenant jusqu'alors aux étrangers.


Perón fut forcé de démissionner le {{date|9|octobre|1945}}, arrêté et emprisonné sur l'[[Martín García (île)|île Martín García]]. Cependant, d'imposantes manifestations populaires, organisées par la [[Confédération générale du travail de la République argentine|CGT]] d'[[Ángel Borlenghi]], aboutirent à sa libération le {{date|17 octobre 1945}}. De ce jour est né le [[péronisme]].
Perón admire [[Benito Mussolini]] et [[Francisco Franco|Franco]], et un certain [[culte de la personnalité]] est mis en œuvre. Cependant, malgré le style populiste et autoritaire de sa présidence, le général maintient le [[multipartisme]] et les élections démocratiques tout au long de son mandat, interdisant ainsi toute assimilation hâtive du [[péronisme]] au [[fascisme]].
L'Argentine devient aussi, pendant cette période, un point de chute pour les [[réseaux d'exfiltration nazis]]<ref>[http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/argentine/dossier.asp?ida=418659&p=6 Sur la piste des derniers nazis<!-- Titre généré automatiquement -->]</ref>.
Plus pragmatique qu'idéologique, cette politique est moins destinée à accueillir des criminels nazis qu'à profiter du savoir-faire de techniciens et de savants allemands.


Le {{date|20 février 1946}}, Juan Perón remporta l’[[élection présidentielle]] et mena ensuite une politique en faveur des ouvriers ([[congés payés]], augmentations de salaire, projets sociaux{{, etc.}}), tout en encourageant le renforcement des [[syndicat]]s, désormais pièce maitresse du régime péroniste. Il nationalisa également les voies de communication appartenant jusqu'alors à des sociétés étrangères.
Son épouse [[Eva Perón]], surnommée « Evita », une ancienne actrice d'origine modeste, très populaire auprès des pauvres, d'abord parce qu'elle est à la tête d'une organisation de charité, meurt en 1952 d'un cancer.


Perón admirait [[Benito Mussolini]] et [[Francisco Franco|Franco]], et un certain [[culte de la personnalité]] était mis en œuvre. Cependant, malgré le style [[Populisme|populiste]] et [[Autoritarisme|autoritaire]] de sa présidence, le général maintint le [[multipartisme]] et les élections démocratiques tout au long de son mandat, interdisant ainsi toute assimilation hâtive du [[péronisme]] au [[fascisme]]. Pendant cette période, l’Argentine figura aussi comme point de chute pour les [[réseaux d'exfiltration nazis]]<ref>[http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/argentine/dossier.asp?ida=418659&p=6 Sur la piste des derniers nazis]</ref>. Plus pragmatique qu'idéologique, cette politique était moins destinée à accueillir des criminels nazis qu'à profiter du savoir-faire de techniciens et de savants allemands.
Les femmes obtiennent le [[droit de vote]] en 1947 et la légalisation du divorce est rendue effective en 1954 (rapidement supprimé par le putsch anti-péroniste)<ref>{{Lien web|langue=es|nom1=Clarin.com|titre=Breve historia del divorcio en la Argentina|url=https://www.clarin.com/sociedad/Breve-historia-divorcio-Argentina_0_HJnhZStvXx.html|site=www.clarin.com|consulté le=2017-08-07}}</ref>.


Son épouse [[Eva Perón]], surnommée « Evita », ancienne actrice d'origine modeste, très populaire auprès des pauvres, d'abord parce qu'elle était à la tête d'une organisation de charité, mourut en&nbsp;1952 d'un [[Cancer du col utérin|cancer]].
== 1955-1983 : années de violence et d'instabilité ==
Le 6 septembre 1955 les militaires sous le commandement du général [[Eduardo Lonardi]] effectuèrent un coup d'État [[National-catholicisme|national-catholique]] contre [[Juan Perón]], forcé à l'exil, et établissent le régime dit de la « [[Révolution libératrice]] » (''Revolución Libertadora''). C'est seulement le premier de plusieurs coups d'État, tentatives et putschs<ref>{{Lien web|langue=en |url=http://www.acig.info/CMS/index.php?option=com_content&task=view&id=80&Itemid=47 |titre=Argentina, 1955-1965 |site=ACIG |auteur= 26 août 2007|consulté le= 30 janvier 2015}}.</ref>.


Les femmes obtinrent le [[droit de vote]] en&nbsp;1947 et la légalisation du divorce fut rendue effective en&nbsp;1954 (mais rapidement supprimé par le putsch antipéroniste de 1955)<ref>{{Lien web|langue=es|nom1=Clarin.com|titre=Breve historia del divorcio en la Argentina|url=https://www.clarin.com/sociedad/Breve-historia-divorcio-Argentina_0_HJnhZStvXx.html|site=www.clarin.com|consulté le=2017-08-07}}</ref>.
=== 1955 : ''révolution libératrice'' des militaires ===
Peu après, le général [[Pedro Eugenio Aramburu]] (1903-1970), représentant des secteurs les plus violemment antipéronistes, fomente un [[Coup d'État de septembre 1955 en Argentine|nouveau coup d'État]], remplace Lonardi, prend le titre de président et abolit la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] réformée en 1949, sous le nom de [[Révolution libératrice]].
Le [[Parti justicialiste]] (péroniste) est mis hors-la-loi.
Un long cycle de violence et de conflits internes commence.


== Années de violence et d'instabilité (1955-1983) ==
En 1956, le gouvernement militaire ordonne l'exécution de {{nobr|31 militaires}} et civils péronistes, dont le général [[Juan José Valle]], initiateur d'un soulèvement péroniste : de ce massacre de José Leon Suárez (rapporté dans {{Lien|lang=es|trad=Operación Masacre|fr=Operation Massacre}}, [[Julio Troxler]] est l'un des rares survivants.
{{article détaillé|Coup d'État de septembre 1955 en Argentine}}
Le {{date|6 septembre 1955}}, les militaires sous le commandement du général [[Eduardo Lonardi]] accomplirent un [[Coup d'État de septembre 1955 en Argentine|coup d'État]] [[National-catholicisme|national-catholique]] contre [[Juan Perón]], forcé à l'exil, et établirent le régime dit de la « [[Révolution libératrice]] » (''Revolución Libertadora''). Ce n’est que le premier d’une série de coups d'État et de tentatives de putsch<ref>{{Lien web|langue=en|url=http://www.acig.info/CMS/index.php?option=com_content&task=view&id=80&Itemid=47 |titre=Argentina, 1955-1965|site=ACIG date=26 août 2007|consulté le=30 janvier 2015}}.</ref>.


=== Régime militaire dit ''Révolution libératrice'' (1955-1958) ===
En 1957, on organise des élections pour réformer la [[Constitution argentine de 1853|Constitution argentine]], sans le péronisme (maintenu dans l'illégalité).
{{article détaillé|Révolution libératrice}}
L'{{Lien|lang=es|trad=Unión Cívica Radical del Pueblo|fr=Unión Cívica Radical del Pueblo}} (UCRP, 1957-1972), de [[Ricardo Balbín]] (1904-1981), anti-péroniste, obtient la première place.
Peu après, le général [[Pedro Eugenio Aramburu]] (1903-1970), représentant des milieux les plus violemment antipéronistes, remplaça Lonardi à la faveur d’une [[révolution de palais]], prit le titre de président et abolit la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] réformée en 1949. Le [[Parti justicialiste]] (péroniste) fut mis hors-la-loi, amorçant un long cycle de violence et de conflits internes.
L'[[Union civique radicale intransigeante]] (UCRI), d'[[Arturo Frondizi]], soutient que l'abolition de la constitution et la convocation d'une constituante sans les péronistes sont des actions illégales, et quitte l'assemblée constituante.
Celle-ci valide l'abolition de la constitution de Perón de 1949 et rétablit celle de 1853 en y ajoutant une réforme concernant la protection du travail.


En 1956, le gouvernement militaire ordonna l'exécution de {{nobr|31 militaires}} et civils péronistes, dont le général [[Juan José Valle]], auteur d'un soulèvement péroniste : de ce massacre, perpétré dans la localité de José Leon Suárez, dans la banlieue de [[Buenos Aires]], [[Julio Troxler]] est l’un des rares survivants.
=== 1958-1962 : présidence Arturo Frondizi ===


En 1957, une élection fut organisée pour réformer la [[Constitution argentine de 1853|Constitution argentine]], sans la participation des péronistes (maintenus dans l'illégalité). L’{{Lien|lang=es|trad=Unión Cívica Radical del Pueblo|fr=Unión Cívica Radical del Pueblo}} (UCRP, 1957-1972), de [[Ricardo Balbín]] (1904-1981), anti-péroniste, remporta la première place. L’[[Union civique radicale intransigeante]] (UCRI), d’[[Arturo Frondizi]], soutenait que l’abolition de la constitution et la convocation d'une [[Assemblée constituante|constituante]] sans les péronistes étaient des actions illégales, et quitta l’assemblée constituante.
En 1958 [[Arturo Frondizi]] (1908-1995), leader de l'Unión Cívica Radical Intransigente, sur un projet de développement du pays, remporte l’élection présidentielle, avec l'appui du péronisme toujours illégal, mais bien actif.
Celle-ci valida l'abolition de la constitution de Perón de 1949 et rétablit celle de 1853, en y ajoutant une réforme concernant la protection du travail.


=== Présidence d’Arturo Frondizi (1958-1962) ===
=== 1962-1963 : coup d'État militaire, présidence José Maria Guido ===
{{article détaillé|Arturo Frondizi}}
Le gouvernement de Frondizi est destitué en 1962 par un nouveau coup d'État militaire, après que le parti péroniste a remporté une série d'élections provinciales, obtenant notamment, avec [[Andrés Framini]], la gouvernance de la [[province de Buenos Aires]].
En 1958, [[Arturo Frondizi]] (1908-1995), dirigeant de l’Unión Cívica Radical Intransigente, porteur d’un projet de développement du pays, remporta l’élection présidentielle, avec l'appui du péronisme toujours illégal, mais bien actif.
Au cours de la grande confusion qui règne, la Cour Suprême désigne [[José María Guido]], alors président provisoire du Sénat, comme nouveau président de la Nation : la décision est avalisée par la [[Dictature militaire|junte militaire]].


=== 1963-1966 : présidence Arturo Umberto Illia ===
=== Coup d'État militaire, présidence José Maria Guido (1962-1963) ===
{{article détaillé|José María Guido}}
[[Fichier:illiadegaulle.jpg|vignette|Arturo Illia reçoit le Président français, Charles de Gaulle<ref>{{Article|prénom1=Maria Gabriela|nom1=Dascalakis-Labrèze|titre=De Gaulle en Argentine (octobre 1964) : une “mise en scene” ?|périodique=Synergies Argentine|date=2013-07|lire en ligne=https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02417568|consulté le=2020-01-17}}</ref>. (Photo de ''[[Clarín]]'' du 4 octobre 1964)|alt=]]
En 1962, le gouvernement [[Arturo Frondizi|Frondizi]] fut destitué par un nouveau coup d'État militaire, après que le parti péroniste eut remporté une série d'élections provinciales, obtenant notamment, avec [[Andrés Framini]], la gouvernance de la [[province de Buenos Aires]].
[[Fichier:Arturo Illia.jpg|vignette|Arturo Illia quittant la [[Casa Rosada]] après son renversement. (Photo de la revue ''Gente'')]]


Au cours de la grande confusion régnant alors, la [[Cour suprême d'Argentine|Cour Suprême]] désigna [[José María Guido]], pour lors président provisoire du [[Sénat (Argentine)|Sénat]], comme nouveau président de la Nation : la décision fut avalisée par la [[Dictature militaire|junte militaire]].
L'élection présidentielle du {{Date|7|juillet|1963}}, de laquelle le [[péronisme]] reste exclu, est remportée par '''[[Arturo Umberto Illia]]''' (1900-1983), candidat de l'Unión Cívica Radical del Pueblo, avec [[Carlos Perette]] comme colistier. Les candidats de l'UCRI, {{Lien|langue=es|fr=Oscar Alende}} et {{Lien|langue=es|fr=Celestino Gelsi}}, arrivent deuxièmes, tandis que l'Unión del Pueblo Adelante, (général [[Pedro Eugenio Aramburu]] - Horacio Thedy) arrive troisième.
Cependant, avec près d'{{nb|1,7|million}} de votes blancs, l'abstention, signe de l'influence péroniste, est le second parti du pays.


=== Présidence d’Arturo Umberto Illia (1963-1966) ===
<!--
[[Fichier:illiadegaulle.jpg|vignette|[[Arturo Umberto Illia|Arturo Illia]] recevant le président français, [[Charles de Gaulle]]<ref>{{Article|prénom1=Maria Gabriela|nom1=Dascalakis-Labrèze|titre=De Gaulle en Argentine (octobre 1964) : une “mise en scene” ?|périodique=Synergies Argentine|date=2013-07|lire en ligne=https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02417568|consulté le=2020-01-17}}.</ref>. (Photo de ''[[Clarín]]'' du 4 octobre 1964)|alt=]]
Les résultats sont les suivants :
[[Fichier:Arturo Illia.jpg|vignette|Arturo Illia quittant la [[Casa Rosada]] après son renversement (photo de la revue ''Gente'').]]
{{article détaillé|Arturo Umberto Illia}}
L'élection présidentielle du {{date|7|juillet|1963}}, de laquelle le [[péronisme]] demeura exclu, fut remportée par [[Arturo Umberto Illia]] (1900-1983), candidat de l'Unión Cívica Radical del Pueblo, avec [[Carlos Perette]] comme colistier. Les candidats de l'UCRI, {{Lien|langue=es|fr=Oscar Alende}} et {{Lien|langue=es|fr=Celestino Gelsi}}, arrivèrent deuxièmes, tandis que l'Unión del Pueblo Adelante, (représenté par le binôme [[Pedro Eugenio Aramburu]] - Horacio Thedy) arriva troisième. Cependant, avec près d'{{nb|1,7|million}} de votes blancs, l'abstention, signe de l'influence péroniste, était la seconde force politique du pays<ref group="note">Les résultats sont les suivants :
*Unión Cívica Radical del Pueblo ([[Arturo Umberto Illia|Arturo Illia]] - Carlos Perette) : 2 440 536 suffrages
*Unión Cívica Radical del Pueblo ([[Arturo Umberto Illia|Arturo Illia]] - Carlos Perette) : 2 440 536 suffrages
*Unión Cívica Radical Intransigente (Oscar Alende - Celestino Gelsi) : 1 592 872 suffrages
*Unión Cívica Radical Intransigente (Oscar Alende - Celestino Gelsi) : 1 592 872 suffrages
*Unión del Pueblo Adelante (Général [[Pedro Eugenio Aramburu]] - Horacio Thedy) : 726 663 votes
*Unión del Pueblo Adelante (Général [[Pedro Eugenio Aramburu]] - Horacio Thedy) : 726 663 suffrages
*Votes en blanc : 1 694 718
*Votes blancs : 1 694 718


Au sein du collège électoral, la formation d'Arturo Illia obtient 270 votes sur 476 grands électeurs, le {{Date|31|juillet|1963}}.
Au sein du collège électoral, la formation d'Arturo Illia obtient 270 voix sur 476 grands électeurs, le {{date|31|juillet|1963}}.</ref>.
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Son premier acte consiste à éliminer partiellement les restrictions et proscriptions pesant sur le [[péronisme]].
Le [[Parti justicialiste]] reste cependant interdit.
En [[1965]], le gouvernement convoque des élections législatives, remportées par le camp péroniste avec {{unité|3278434|voix}} contre {{unité|2734970}} pour l'UCRP.


Le premier acte d’Illia consista à éliminer partiellement les restrictions et proscriptions pesant sur le [[péronisme]]. Le [[Parti justicialiste]] restait cependant interdit.
Les trois années du mandat d'Illia se soldent par un succès économique certain.
Le [[Produit intérieur brut]] s'accroît de quelque 17,5 % de 1963 à 1965 {{refnec}}.
L'évolution de la production industrielle s'élève à près de 30 % {{refnec}}.
La dette extérieure diminue notablement.
Le taux de chômage régresse de 8,8 % en 1963 à 5,2 % en [[1966]] {{refnec}}.


En 1965, le gouvernement convoqua des élections législatives, remportées par le camp péroniste avec {{unité|3278434|voix}} contre {{unité|2734970}} pour l'UCRP.
Cependant le triomphe du péronisme crée de sérieux remous au sein des forces armées, dont une partie reste liée aux péronistes, pendant qu'une autre leur est farouchement opposée.


Les trois années du mandat d'Illia se soldent par un succès économique certain : le [[Produit intérieur brut]] s'accrut de quelque 17,5 % de 1963 à 1965 {{refnec}} ; la croissance de la production industrielle s’élève à près de 30 % {{refnec}} ; la dette extérieure diminua notablement ; et le [[taux de chômage]] régressa de 8,8 % en 1963 à 5,2 % en 1966 {{refnec}}.
À cela s'ajoute une intense campagne de dénigrement impulsée par des secteurs économiques au travers de certains médias.
Ces journalistes surnomment Illia ''« la tortuga »'' (''la tortue''), critiquant sa gestion comme timorée et incitant les militaires à le démettre, ce qui contribue à aggraver la faiblesse politique réelle du gouvernement.


Cependant la montée en puissance du péronisme provoqua de sérieux remous au sein des forces armées, dont une partie restait liée aux péronistes, pendant qu'une autre leur était farouchement opposée. À cela s'ajoute une intense campagne de dénigrement menée par des milieux économiques au travers de certains médias. Ces journalistes surnommaient Illia « la tortuga » (''la tortue''), critiquaient sa gestion comme timorée et incitaient les militaires à le démettre, ce qui contribua à aggraver la faiblesse politique réelle du gouvernement.
Le général {{Lien|langue=es|fr=Julio Alsogaray}} planifie un [[coup d'État]] qui amène au pouvoir le général [[Juan Carlos Onganía]].
L'idée du coup est soutenue par des factions militaires, mais aussi par des secteurs du syndicalisme et même par des politiciens comme Oscar Alende et l'ex-président [[Arturo Frondizi]].


Le général {{Lien|langue=es|fr=Julio Alsogaray}} conçut un [[coup d'État]] qui amena au pouvoir le général [[Juan Carlos Onganía]]. L'idée du coup de force était soutenue par des factions militaires, mais aussi par des secteurs du syndicalisme et même par des personnalités politiques telles qu’Oscar Alende et l’ancien président [[Arturo Frondizi]].
=== 1966-1973 : dictature militaire ===
Au milieu d'une indifférence quasi-générale, le général '''[[Juan Carlos Onganía]]''' (1914-1995) dirige, le {{date|28|juin|1966}}, un nouveau coup d'État [[National-catholicisme|national-catholique]].
Le général Alsogaray se présente à {{nobr|5 heures}} au bureau présidentiel de la [[Casa Rosada]], et somme Illia de se retirer.
Celui-ci refuse, mais quelque temps après, le palais est envahi par des policiers munis de pistolets lance-gaz et entouré par des troupes armées.
Illia doit se retirer et le lendemain Onganía le destitue.


=== Dictature militaire (1966-1973) ===
La mise en place du gouvernement d'Ongania est un véritable choc autoritaire : '''[[dictature de la Révolution argentine]]'''.
{{article détaillé|Dictature de la Révolution argentine}}
Le parlement est dissous, les partis politiques également (leurs biens sont confisqués et vendus afin de confirmer la fin irréversible de la vie politique {{refinc}}<ref>Luis A. Romero, ''Breve historia contemporanea de la Argentina'', <!-- date & maison d'édition ? --> {{p.|232}}</ref>).
Le {{date|28|juin|1966}}, au milieu d'une indifférence quasi-générale, le général [[Juan Carlos Onganía]] (1914-1995) exécuta un nouveau coup d'État [[National-catholicisme|national-catholique]]. Le général Alsogaray se présenta à {{nobr|5 heures}} au bureau présidentiel de la [[Casa Rosada]], sommant [[Arturo Umberto Illia|Illia]] de se retirer. Celui-ci ayant refusé, le palais fut envahi quelque temps après par des policiers munis de pistolets lance-gaz et entouré par des troupes armées. Illia dut se retirer et fut destitué le lendemain par Onganía.
Le dictateur Ongania proclame le nouveau régime « Révolution argentine ».
Cette dernière peut être divisée en trois temps : économique, social et politique.
Ongania concentre en ses mains tous les pouvoirs.
Le gouvernement commence à corseter la société (censure, répressions diverses, violences anti-sociales, anti-universitaires avec la {{Lien|langue=es|trad=Noche de los Bastones Largos|fr=nuit des longs bâtons}} du {{date|29|juin|1966}}, etc.).
Les protestations syndicales intenses sont combattues dans la violence.


La mise en place du gouvernement d'Ongania fait figure de véritable choc autoritaire : [[dictature de la Révolution argentine]]. Le parlement fut dissous, les partis politiques également (leurs biens sont confisqués et vendus afin de confirmer la fin irréversible de la vie politique<ref>{{ouvrage|langue=es|auteur1=Luis Alberto Romero|titre=Breve historia contemporanea de la Argentina|lieu=Mexico|éditeur=Fondo de Cultura Económica|collection= |année=2012|édition=3|pages totales=432|page=232|isbn= 978-9505579242|id=Romero2012}}.</ref>. Le dictateur Ongania proclama le nouveau régime dit « Révolution argentine », qui allait se déployer en trois temps : économique, social et politique. Ongania concentra en ses mains tous les pouvoirs, le gouvernement commençant à corseter la société (censure, répressions diverses, violences anti-sociales, anti-universitaires avec la {{Lien|langue=es|trad=Noche de los Bastones Largos|fr=nuit des longs bâtons}} du {{date|29|juin|1966}}, etc.) et combattant par la violence les vives protestations syndicales.
La politique du général Ongania débouche sur le '''''[[Cordobazo]]''''' du {{date|29|mai|1969}}, équivalent du [[mai 68]] français.
Cette révolte spontanée a lieu dans la deuxième ville du pays, très industrialisée (fabrication automobile) et caractérisée par l'activisme des ouvriers et des étudiants.
La répression très dure de la police engendre un affrontement violent (barricades, prises de commissariats, incendies, attaques de magasins…).
Les milliers de personnes qui contrôlent le centre ville n'ont aucune consigne, aucun organisateur.
Les syndicats, les partis politiques (interdits), les centres étudiants sont débordés par l'action.
Le 30 mai, le pays est paralysé par une grève générale.


La politique du général Ongania déboucha sur le ''[[Cordobazo]]'' du {{date|29|mai|1969}}, équivalent du [[mai 68]] français. Cette révolte spontanée eut lieu à [[Córdoba (Argentine)|Córdoba]], deuxième ville du pays, très industrialisée (fabrication automobile) et caractérisée par un activisme ouvrier et étudiant. La répression policière très dure donna lieu à de violents affrontement (avec barricades, prises de commissariats, incendies, attaques de magasins…). Les milliers de personnes qui avaient pris le contrôle du centre-ville n’avaient aucune consigne et aucun organisateur. Les syndicats, les partis politiques (interdits), les centres étudiants étaient débordés par l’action. Le {{date|30 mai }}, le pays était paralysé par une [[grève générale]].
Le ''Cordobazo'' est la première des ''puebladas'' (insurrections urbaines dans les villes argentines entre 1969 et 1975).
Leur spontanéité surprend considérablement : ces révoltes populaires expriment un profond mécontentement et un ensemble de demandes.
Le pouvoir autoritaire a coupé tous les moyens normaux d'expression, et des formes originales de protestations ont lieu dans des petites villes, des quartiers…


Le ''Cordobazo'' est la première des ''puebladas'' (insurrections urbaines dans les villes argentines entre&nbsp;1969 et&nbsp;1975). D’une spontanéité surprenante, ces révoltes populaires exprimaient un profond mécontentement et un ensemble de revendications. Le pouvoir autoritaire avait coupé tous les moyens normaux d'expression, et des formes originales de protestations eurent lieu dans des petites villes, des quartiers…
La situation économique continue à se détériorer, tandis que les ''puebladas'' ont encouragé plusieurs groupes, péronistes ou non, à prendre le chemin d'abord de l'[[action directe (théorie politique)|action directe]] (distribution d'aliments volés, etc.) puis de la [[lutte armée]].
Ces groupes, qui prennent souvent des acronymes liés aux armes fabriquées en Argentine, sont nombreux, et parfois liés à la [[Jeunesse péroniste]], qui devient progressivement le mouvement de masse du péronisme.
Il s'agit ainsi des [[Forces armées de libération (Argentine)|Forces armées de libération]] (FAL), des [[Forces armées révolutionnaires (Argentine)|Forces armées révolutionnaires]] (FAR), des [[Fuerzas Armadas Peronistas|Forces armées péronistes]] (FAP), de l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|Armée révolutionnaire du peuple]] (ERP) ou encore des [[Montoneros]].


La situation économique continuait à se détériorer, tandis que les ''puebladas'' encourageaient plusieurs groupes, péronistes ou non, à prendre le chemin d’abord de l’[[action directe (théorie politique)|action directe]] (distribution d’aliments volés{{, etc.}}) puis de la [[lutte armée]]. Ces groupes, qui prenaient souvent des [[acronyme]]s inspirés des armes fabriquées en Argentine, étaient nombreux, et parfois liés à la [[Jeunesse péroniste]], devenu progressivement le mouvement de masse du péronisme. Il s’agit des [[Forces armées de libération (Argentine)|Forces armées de libération]] (FAL), des [[Forces armées révolutionnaires (Argentine)|Forces armées révolutionnaires]] (FAR), des [[Fuerzas Armadas Peronistas|Forces armées péronistes]] (FAP), de l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|Armée révolutionnaire du peuple]] (ERP) ou encore des [[Montoneros]].
Ces derniers exécutent le général [[Pedro Eugenio Aramburu|Aramburu]] en juin 1970, ce qui pousse la dictature à instaurer la [[
Application de la peine de mort dans le monde|peine de mort]], le 2 juin 1970, pour les actes de terrorisme et d'enlèvements<ref>[http://www.arteuna.com/convocatoria_2005/del70al76/Violencia-70.html Chronologie de la violence politique en Argentine]</ref>.
Les [[Fuerzas Armadas Peronistas|Forces armées péronistes]] (FAP) tentent, sans succès, d'initier un ''[[foco]]'' rural, avant de se lancer, en 1970-1971, dans la [[guérilla urbaine]], inspirée par les [[Tupamaros]] [[uruguay]]ens.
Le mythe de l'ordre, seul capital d'Ongania, s'effondre totalement avec l'apparition de ces mouvements politiques (la Nouvelle Gauche).


Ces derniers exécutent le général [[Pedro Eugenio Aramburu|Aramburu]] en {{date|juin 1970}}, ce qui pousse la dictature à instaurer la [[Application de la peine de mort dans le monde|peine de mort]] le {{date|2 juin 1970}}, pour les actes de terrorisme et d’enlèvement<ref>[http://www.arteuna.com/convocatoria_2005/del70al76/Violencia-70.html Chronologie de la violence politique en Argentine]</ref>. Les [[Fuerzas Armadas Peronistas|Forces armées péronistes]] (FAP) tentèrent, sans succès, de mettre sur pied un ''[[foco]]'' rural, avant de se lancer, en&nbsp;1970-1971, dans la [[guérilla urbaine]], inspirée par les [[Tupamaros]] [[uruguay]]ens. Le mythe de l’ordre, seul capital d’Ongania, s'effondra totalement avec l'apparition de ces mouvements politiques (la Nouvelle Gauche).
Cela provoque la chute d'Ongania, remplacé le 8 juin 1970 par le général '''[[Roberto Marcelo Levingston|Levingston]]''' (1903-2015), qui décide d'approfondir la « Révolution argentine ».
Cette ligne politique échoue, provoquant une deuxième révolution de palais, le général '''[[Alejandro Agustín Lanusse|Alejandro Lanusse]]''' remplaçant Levingston en 1971.
Lanusse tente de manœuvrer afin de permettre à l'armée de pratiquer son retrait de la vie politique du pays, tout en essayant de ne pas perdre la face : c'est le « [[Grand Accord National]] », annoncé le {{1er}} mai 1971, qui aboutit à la levée de l'interdiction des partis politiques et, finalement, après d'ardues négociations, aux [[Élection présidentielle argentine de mars 1973|élections de mars 1973]].
Toutefois, cette ouverture de la vie politique coïncide avec une répression accrue, la plupart des dirigeants des [[
Forces armées de libération (Argentine)|FAL]] étant ainsi soit assassinés, soit incarcérés en 1971, tandis que la spectaculaire évasion de la prison de haute sécurité de [[Rawson]], en août 1972, se solde par le [[massacre de Trelew]], considéré aujourd'hui comme un des actes fondateurs du [[terrorisme d'État]] argentin.
Les premières [[Disparition forcée|disparitions forcées]] ont aussi lieu à cette époque (Juan Pablo Maestre et son épouse, ainsi que le couple Verd, tous des [[Forces armées révolutionnaires (Argentine)|FAR]], en juillet 1971, etc.).


Cette situation finit par provoquer la chute d’Ongania, remplacé le {{date|8 juin 1970}} par le général [[Roberto Marcelo Levingston|Levingston]] (1903-2015), qui se mit en devoir d’approfondir la « Révolution argentine ». Cette ligne politique cependant échoua, provoquant une deuxième [[révolution de palais]], où le général [[Alejandro Agustín Lanusse|Alejandro Lanusse]] vint remplacer Levingston en&nbsp;1971. Lanusse tenta de manœuvrer afin de permettre à l’armée de se retirer de la vie politique du pays, tout en essayant de ne pas perdre la face : c'est le « [[Grand Accord National]] », annoncé le {{date|1 mai 1971}}, qui aboutit à la levée de l'interdiction des partis politiques et, finalement, au bout d’âpres négociations, aux [[Élection présidentielle argentine de mars 1973|élections de mars 1973]].
De façon générale, le ''[[Cordobazo]]'' a ouvert une étape révolutionnaire pour l'Argentine, où certains secteurs sociaux ont pris conscience de leur force face à la faiblesse de l'État bureaucratique et autoritaire, qui est alors acculé à chercher une sortie de l'impasse dans laquelle il s'est lui-même engagé à partir de 1966.


Pourtant, cette ouverture de la vie politique coïncida avec une répression accrue, où la plupart des dirigeants des [[Forces armées de libération (Argentine)|FAL]] furent soit assassinés, soit incarcérés en&nbsp;1971, tandis que la spectaculaire évasion de la prison de haute sécurité de [[Rawson]], en {{date|août 1972}}, se soldait par le [[massacre de Trelew]], considéré aujourd'hui comme un des actes fondateurs du [[terrorisme d'État]] argentin. C’est aussi à cette époque qu’eurent lieu les premières [[Disparition forcée|disparitions forcées]] (Juan Pablo Maestre et son épouse, ainsi que le couple Marcelo Verd et Sara Palacio, tous membres des [[Forces armées révolutionnaires (Argentine)|FAR]], en {{date|juillet 1971}}{{, etc.}}).
=== 1973-1976 : retour du péronisme ===
Le général Lanusse obtient que Peron ne soit pas candidat aux élections. C'est donc [[Héctor José Cámpora]] qui se présente pour le [[Parti justicialiste]], qui dirige la coalition du [[Frente Justicialista de Liberación|FreJuLi]] (Front justicialiste de libération), laquelle sort largeusement victorieuse des [[Élection présidentielle argentine de mars 1973|élections de mars 1973]], le candidat justicialiste obtenant près de 50 % des votes. Le 11 mars 1973, le pays vote ainsi massivement contre les militaires et le pouvoir autoritaire et croit que ces derniers partent pour ne plus jamais revenir<ref>Luis A. Romero, ''Breve historia contemporanea de la Argentina'', {{p.|261}}</ref>. Mais les Argentins qui ont voté pour la coalition gagnante ne l'ont pas tous fait pour les mêmes raisons.


De façon générale, le ''[[Cordobazo]]'' avait inauguré une phase révolutionnaire en Argentine, où certains secteurs sociaux avaient pris conscience de leur force face à la faiblesse de l’État bureaucratique et autoritaire, alors acculé à chercher une sortie de l’impasse dans laquelle il s’était lui-même engagé à partir de&nbsp;1966.
[[Juan Perón]] ne peut pas participer à ces premières élections depuis 1965, et les premières sans limitation des libertés civiles ni proscription d'un parti depuis 1946.
Toutefois, Campora est poussé en juillet 1973 à la démission par la « bureaucratie syndicale » et la droite péroniste : de nouvelles élections sont organisées.
Le retour définitif du général Perón est marqué par le [[massacre d'Ezeiza]] qui divise le camp péroniste.
En octobre 1973, quelques semaines après le [[Coup d'État de 1973 au Chili|coup d'État chilien]] contre [[Salvador Allende]], Perón redevient président, aux côtés de sa troisième épouse et vice-présidente, [[Isabel Martínez de Perón]].
Fin 1973, après plusieurs fusions, les mouvements armés se réduisent à deux : les [[Montoneros]], péronistes, et l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|ERP]], trotskyste.
Les tensions internes au justicialisme explosent, forçant le gouverneur de Buenos Aires, [[Oscar Bidegain]] (péroniste de gauche), à la démission, en janvier 1974, tandis que le gouverneur péroniste de Cordoba, {{Lien|langue=en|fr=Ricardo Obregón Cano}}, est victime en février d'un putsch policier, entériné ''a posteriori'' par Perón lui-même.
Ces deux hommes, avec d'autres figures importantes du péronisme de gauche, créent alors le [[Parti péroniste authentique]], lequel subit les vexations du pouvoir.


=== Retour du péronisme (1973-1976) ===
À la mort de Perón, le {{1er}} juillet 1974, la violence est déjà devenue, depuis la normalisation imparfaite du [[Parti justicialiste]] enclenchée en 1971-1972, un mode ordinaire de règlement des conflits au sein du péronisme, lequel agglomère désormais de plus en plus de groupes, dont des nationalistes auparavant peu enclins à soutenir Perón (ainsi de la ''[[Concentración Nacional Universitaria]]'', qui s'était illustrée en 1971 en assassinant l'étudiante [[Affaire Silvia Filler|Silvia Filler]] (1953-1971) à [[Mar del Plata]]).
Le général [[Alejandro Agustín Lanusse|Lanusse]] obtint que [[Juan Perón|Perón]] ne soit pas candidat aux élections. Ce fut donc [[Héctor José Cámpora]] qui se présenta pour le [[Parti justicialiste]], à la tête de la coalition [[Frente Justicialista de Liberación|FreJuLi]] (Front justicialiste de libération), laquelle sortit largement victorieuse des [[Élection présidentielle argentine de mars 1973|élections de mars 1973]], le candidat justicialiste obtenant près de 50 % des suffrages. Le {{date|11 mars 1973}}, le pays avait ainsi voté massivement contre les militaires et le pouvoir autoritaire, et croyait que ces derniers partiraient pour ne plus jamais revenir{{sfn|L. A. Romero|(2012)|p=261|id=Romero2012}}. Toutefois, les Argentins qui avaient voté pour la coalition gagnante ne l’avaient pas tous fait pour les mêmes raisons.
Son épouse devient présidente, mais elle doit faire face à de graves problèmes économiques, aux luttes intestines dans son parti politique et à l'escalade de la violence politique provenant de nombreux secteurs de la société, l'extrême-gauche et l'extrême-droite péroniste s'entre-tuant, avec les premiers attentats de la [[Alliance anticommuniste argentine|Triple A]] dirigée par le ministre d'Isabel Perón, [[José López Rega]] (1916-1989).


[[Juan Perón]] ne pouvait pas participer à ce scrutin, le premier depuis&nbsp;1965, et le premier à se tenir sans limitation des libertés civiles ni proscription d’un parti depuis&nbsp;1946. Toutefois, en {{date|juillet 1973}}, Campora fut poussé à la démission par la « bureaucratie syndicale » et la droite péroniste, à la suite de quoi de nouvelles élections furent organisées.
=== 1976-1983 : guerre sale et dictature militaire ===

Le retour définitif du général Perón fut marqué par le [[massacre d'Ezeiza]], qui allait diviser le camp péroniste. En {{date|octobre 1973}}, quelques semaines après le [[Coup d'État de 1973 au Chili|coup d'État chilien]] contre [[Salvador Allende]], Perón redevint président, aux côtés de sa troisième épouse et vice-présidente, [[Isabel Martínez de Perón]].

Fin 1973, après plusieurs fusions, les mouvements armés se réduisaient à deux : les [[Montoneros]], péronistes, et l’[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|ERP]], [[Trotskisme|trotskiste]].

Les tensions internes au justicialisme éclatèrent au grand jour, forçant le gouverneur de [[province de Buenos Aires|Buenos Aires]], [[Oscar Bidegain]] (péroniste de gauche), à la démission, en {{date|janvier 1974}}, tandis que le gouverneur péroniste de [[Province de Córdoba|Córdoba]], {{Lien|langue=en|fr=Ricardo Obregón Cano}}, était victime en février d’un putsch policier, entériné ''a posteriori'' par Perón lui-même. Ces deux hommes, avec d’autres figures importantes du péronisme de gauche, créèrent alors le [[Parti péroniste authentique]], lequel allait subir les vexations du pouvoir.

À la mort de Perón, le {{date|1 juillet 1974}}, la violence était déjà devenue, depuis la normalisation imparfaite du [[Parti justicialiste]] enclenchée en&nbsp;1971-1972, un mode ordinaire de règlement des conflits au sein du péronisme, lequel agglomérait désormais de plus en plus de groupes, dont des nationalistes auparavant peu enclins à soutenir Perón (ainsi de la ''[[Concentración Nacional Universitaria]]'', qui s'était illustrée en&nbsp;1971 en assassinant l’étudiante [[Affaire Silvia Filler|Silvia Filler]] (1953-1971) à [[Mar del Plata]]).
L’épouse de Perón, devenue présidente, devait faire face à de graves problèmes économiques, aux luttes intestines dans son parti politique et à l'escalade de la violence politique, pratiquée par de nombreux secteurs de la société ; l'extrême-gauche et l'extrême-droite péroniste notamment commençant à s'entretuer, avec les premiers attentats de la [[Alliance anticommuniste argentine|Triple A]] dirigée par le ministre d'Isabel Perón, [[José López Rega]] (1916-1989).

=== Guerre sale et dictature militaire (1976-1983) ===
{{Article détaillé|Dictature militaire en Argentine (1976-1983)}}
{{Article détaillé|Dictature militaire en Argentine (1976-1983)}}
[[Fichier:Antoniobussi.jpg|vignette|droite|redresse=0.7|Le général [[Antonio Domingo Bussi]], chargé de l'[[Opération Indépendance]] en 1975-1976, gouverneur de Tucuman en 1976-1977, puis de 1995 à 1999, est condamné en 2008 pour [[crimes contre l'humanité]] et [[génocide]].]]
[[Fichier:Antoniobussi.jpg|vignette|droite|redresse=0.7|Le général [[Antonio Domingo Bussi]], chargé de l'[[Opération Indépendance]] en 1975-1976, gouverneur de Tucuman en 1976-1977, puis de 1995 à 1999, est condamné en&nbsp;2008 pour [[crimes contre l'humanité]] et [[génocide]].]]

Après avoir initié l'« {{Lien|langue=es|trad=Operativo Independencia|fr=Opération Indépendance}} » de [[contre-insurrection]] contre la guérilla de l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|ERP]] dans la [[province de Tucumán]], promulgué les décrets dits d'{{citation|annihilation de la subversion}} et généralisé l'état d'urgence, livrant ainsi le pays aux militaires, le gouvernement d'[[Isabel Martínez de Perón|Isabel Perón]] est évincé par le [[Coup d'État de 1976 en Argentine|coup d'État du 24 mars 1976]].
À cette époque, les deux derniers mouvements guérilleros, l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|ERP]] et les [[Montoneros]], sont quasiment démantelés, la guérilla de Tucuman ayant été annihilée tandis que nombre de Montoneros ont été assassinés.
Après avoir engagé l’« {{Lien|langue=es|trad=Operativo Independencia|fr=Opération Indépendance}} » de [[contre-insurrection]] contre la guérilla de l'[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|Armée révolutionnaire du peuple]] (ERP) dans la [[province de Tucumán]], avoir [[Promulgation|promulgué]] les décrets dits d'{{citation|annihilation de la subversion}} et avoir généralisé l’[[état d'urgence]], livrant ainsi le pays aux militaires, le gouvernement d'[[Isabel Martínez de Perón|Isabel Perón]] fut évincé par le [[Coup d'État de 1976 en Argentine|coup d'État du 24 mars 1976]]. À cette époque, les deux derniers mouvements guérilleros, l’ERP et les [[Montoneros]], étaient quasiment démantelés, la guérilla de Tucuman ayant été annihilée tandis que nombre de Montoneros avaient été assassinés.

Le putsch est dirigé par le [[Jorge Rafael Videla|général Videla]] avec l'appui des organisations patronales, notamment du secteur agricole.
La Junte reçoit immédiatement le soutien des [[États-Unis]], avertis du coup d’État en préparation.
Le putsch était dirigé par le [[Jorge Rafael Videla|général Videla]], avec l'appui des organisations patronales, notamment du secteur agricole. La Junte reçoit immédiatement le soutien des [[États-Unis]], avertis du coup d’État en préparation. L’ambassadeur Robert Hill expliqua dans un câble diplomatique :
L’ambassadeur Robert Hill explique dans un câble diplomatique : « Nous devons clairement éviter d’être assimilés à la junte. Ce ne serait bon ni pour elle ni pour nous. Néanmoins, dans la mesure où le nouveau gouvernement conservera cette position modérée, nous devons prêter attention à toute sollicitation d'aide qu'il nous adressera. »
{{Citation bloc|Nous devons clairement éviter d’être assimilés à la junte. Ce ne serait bon ni pour elle ni pour nous. Néanmoins, dans la mesure où le nouveau gouvernement conservera cette position modérée, nous devons prêter attention à toute sollicitation d'aide qu'il nous adressera.»

En avril, les États-Unis fournissent {{nobr|50 millions}} de dollars en aide militaire au régime de Videla.
Le [[FMI]] accorde de son côté un crédit de {{nobr|127 millions}} de dollars<ref name=":0">{{Ouvrage|auteur1=Maurice Lemoine|titre=Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation|éditeur=Don Quichotte|année=2015|passage=108}}</ref>.
En avril, les États-Unis fournirent {{nobr|50 millions}} de dollars en aide militaire au régime de Videla. Le [[FMI]] accorde de son côté un crédit de {{nobr|127 millions}} de dollars<ref name=":0">{{Ouvrage|auteur1=[[Maurice Lemoine]]|titre=Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation|éditeur=Don Quichotte|lieu=Paris|année=2015|page=108|pages totales=704|isbn=978-2-35949-406-8}}.</ref>.}}

La [[Dictature militaire|junte militaire]] allait gouverner l’Argentine jusqu'au {{date|10|décembre|1983}}, généralisant les [[Disparition forcée|disparitions forcées]] (''desaparecidos''), l'internement arbitraire et la [[torture]] contre les opposants politiques, leurs familles (y compris les petits enfants), les amis, les voisins{{, etc.}}, dans les 500&nbsp;[[Centre clandestin de détention|centres clandestins de détention]]. Dans le même esprit que l'Opération Indépendance, la junte utilisait les méthodes de la police française lors de la [[bataille d'Alger]], notamment les ''[[Vols de la mort|vuelos de la muerte]]'' qui consistent à jeter à la mer depuis un avion les prisonniers préalablement drogués. Elle justifia cette ''[[guerre sale]]'' par la nécessité de lutter contre une « subversion communiste » (inexistante), comptant sur l'appui des milieux catholiques conservateurs, dont la [[Jean_Ousset#La_Cité_catholique|Cité catholique]] fondée par le [[Charles Maurras|maurrassien]] [[Jean Ousset]] (1914-1994)<ref>María Cécilia Gómez Pinilla, ''Argentine, 1976-2007 - Le chemin sinueux de la lutte contre l’impunité'', [http://www.acatfrance.fr/medias/campagne_sensibilisation/doc/acat-rapport-argentine.pdf Rapport de l'ACAT-France].</ref>, et reprenant la rhétorique de l'Occident catholique assiégé, en se plaçant dans la continuité de la [[bataille de Lépante]] de&nbsp;1571…

Dans les années 2000, le général [[Antonio Domingo Bussi|Bussi]] put ainsi continuer à justifier les crimes de la dictature, en affirmant que les guérilleros avaient infiltré la population civile. De nombreux Argentins furent contraints à l’[[exil]], qui ne fut autorisé que plusieurs années plus tard, et la plupart durent fuir le pays clandestinement, les [[Visa (document)|visas]] n’étant pas accordés.
[[Fichier:2ª Marcha de la Resistencia 9 y 10 diciembre 1982.jpg|vignette|redresse=1.5|{{2e}} marche des [[Mères de la place de Mai]] à Buenos Aires dénonçant les [[Disparition forcée|disparitions forcées]] d'opposants les&nbsp;9 et {{date|10 décembre 1982}}.]]

[[Jorge Rafael Videla|Videla]], [[Roberto Eduardo Viola|Viola]] et [[Leopoldo Galtieri|Galtieri]] se succèdent à la tête de la junte. Les services secrets argentins, conjointement à ceux du [[Chili]], de la [[Bolivie]], du [[Brésil]], du [[Paraguay]] et de l'[[Uruguay]], mirent en route l'[[Opération Condor]], répression violente au cours de laquelle ils systématisaient les arrestations, assassinats, [[Centre clandestin de détention|tortures et enlèvements politiques]]. Les militaires prirent des mesures sévères contre ceux qu'ils qualifiaient de terroristes et contre les personnes qu'ils soupçonnaient de les soutenir. Ces « terroristes » appartenaient pour la plupart à la jeunesse militante de gauche.

Entre 1973 et 1983, {{unité|30000|personnes}} auraient disparu sans compter les centaines d'enfants et de bébés nés dans les [[centre clandestin de détention|centres clandestins de détention]], qui furent soustraits à leur famille naturelle et adoptés sous de faux noms par des militaires et ceux qui les appuyaient. La plupart de ces enfants sont toujours recherchés par leurs grands-parents.


Dès 1977, le mouvement des [[mères de la place de Mai]], infiltré par l'agent [[Alfredo Astiz]], dénonce les disparitions et les assassinats, ce qui valut à ses fondatrices d'être enlevées, en même temps que les nonnes françaises [[Léonie Duquet]] et [[Alice Domon]].
La [[Dictature militaire|junte militaire]] gouverne alors l'Argentine jusqu'au {{Date|10|décembre|1983}}, généralisant les [[Disparition forcée|disparitions forcées]] (''desaparecidos''), l'internement arbitraire et la [[torture]] contre les opposants politiques, leurs familles (y compris les petits enfants), les amis, les voisins, etc., dans les 500 [[Centre clandestin de détention|centres clandestins de détention]].
Dans le même esprit que l'Opération Indépendance, la junte utilise les méthodes de la police française lors de la [[bataille d'Alger]], notamment les ''[[Vols de la mort|vuelos de la muerte]]'' qui consistent à jeter à la mer depuis un avion les prisonniers préalablement drogués.
Elle justifie cette '''[[guerre sale]]''' par la nécessité de lutter contre une « subversion communiste » (inexistante), comptant sur l'appui de secteurs catholiques conservateurs, dont la [[Jean_Ousset#La_Cité_catholique|Cité catholique]] fondée par le [[Charles Maurras|maurrassien]] [[Jean Ousset]] (1914-1994)<ref>María Cécilia Gómez Pinilla, ''Argentine, 1976-2007 - Le chemin sinueux de la lutte contre l’impunité'', [http://www.acatfrance.fr/medias/campagne_sensibilisation/doc/acat-rapport-argentine.pdf Rapport de l'ACAT-France]</ref>, et reprenant la rhétorique de l'Occident catholique assiégé, se plaçant dans la continuité de la [[bataille de Lépante]] de 1571…
Dans les années 2000, le général [[Antonio Domingo Bussi|Bussi]] peut ainsi continuer à justifier les crimes de la dictature, en affirmant que les guérilleros ont infiltré la population civile (''sic'').
D'innombrables Argentins sont alors contraints à l'[[exil]], qui n'est autorisé qu'après quelques années, la plupart doivent fuir le pays clandestinement, les [[Visa (document)|visas]] n'étant pas accordés.
[[File:2ª Marcha de la Resistencia 9 y 10 diciembre 1982.jpg|thumb|redresse=1.5|{{2e}} marche des [[Mères de la place de Mai]] à Buenos Aires dénonçant les [[Disparition forcée|disparitions forcées]] d'opposants les 9 et 10 décembre 1982.]]
[[Jorge Rafael Videla|Videla]], [[Roberto Eduardo Viola|Viola]] et [[Leopoldo Galtieri|Galtieri]] se succèdent à la tête de la junte.
Les services secrets argentins, conjointement à ceux du [[Chili]], de la [[Bolivie]], du [[Brésil]], du [[Paraguay]] et de l'[[Uruguay]], instituent l'[[Opération Condor]], répression violente au cours de laquelle ils systématisent les arrestations, assassinats, [[Centre clandestin de détention|tortures et enlèvements politiques]].
Les militaires prennent des mesures sévères contre ceux qu'ils qualifient de terroristes et les personnes qu'ils soupçonnent de les soutenir.
Ces « terroristes » appartiennent pour la plupart à la jeunesse militante de gauche.
Entre 1973 et 1983, {{unité|30000|personnes}} auraient disparu sans compter les centaines d'enfants et de bébés nés dans les [[centre clandestin de détention|centres clandestins de détention]], qui ont été soustraits à leur famille naturelle et adoptés sous de faux noms par des militaires et ceux qui les appuient.
La plupart de ces enfants sont toujours recherchés par leurs grands-parents.
Dès 1977, le mouvement des [[mères de la place de Mai]], infiltré par l'agent [[Alfredo Astiz]], dénonce les disparitions et les assassinats, ce qui vaut à ses fondatrices d'être enlevées, en même temps que les nonnes françaises [[Léonie Duquet]] et [[Alice Domon]].
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Jorge Rafael Videla 1976.PNG|[[Jorge Rafael Videla]] 1976-1981
Jorge Rafael Videla 1976.PNG|[[Jorge Rafael Videla]] 1976-1981
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Les militaires argentins généralisent aussi dans toute l'Amérique latine les méthodes de contre-insurrection ([[Opération Charly]]).
Les militaires argentins généralisèrent aussi dans toute l'Amérique latine les méthodes de contre-insurrection ([[Opération Charly]]), soutenant et entraînant les [[Contras]] au [[Nicaragua]], intervenant au [[Honduras]], au [[Salvador]] et au [[Guatemala]], participant au coup d'État de [[Luis García Meza Tejada]] en Bolivie{{, etc.}}
Ils soutiennent et entraînent ainsi les [[Contras]] au [[Nicaragua]], interviennent au [[Honduras]], au [[Salvador]] et au [[Guatemala]], participent au coup d'État de [[Luis García Meza Tejada]] en Bolivie, etc.
Sous la conduite du ministre de l’Économie José Alfredo Martinez de Hoz, la Junte favorise des réformes économiques d'inspiration néolibérale<ref name=":0" />.


Sous la conduite du ministre de l’Économie [[José Alfredo Martinez de Hoz]], la Junte engagea des réformes économiques d'inspiration néolibérale<ref name=":0" />.
Alors que le régime devient de plus en plus contesté, il tente de galvaniser les forces patriotiques de la nation en déclarant la guerre au [[Royaume-Uni]], au nom de la souveraineté argentine sur les [[îles Malouines]].
Si la [[guerre des Malouines]], commencée en mars 1982, atteint partiellement l'objectif d'unification patriotique, elle provoque aussi la chute du régime, défait en trois mois par l'[[British Army|armée britannique]].


Alors que le régime était de plus en plus contesté, il tenta de galvaniser les forces patriotiques de la Nation en déclarant la guerre au [[Royaume-Uni]], au nom de la souveraineté argentine sur les [[îles Malouines]].
== 1983- : retour à la démocratie ==
Si la [[guerre des Malouines]], commencée en {{date|mars 1982}}, atteignit partiellement l'objectif d'unification patriotique, elle provoqua aussi la chute du régime, défait en trois mois par l’[[British Army|armée britannique]].
=== 1983-1989 : présidence Raúl Alfonsín ===
[[Fichier:Argentina.RaulAlfonsin.01.jpg|redresse=0.7|droite|vignette|Raul Alfonsin]]


== Retour à la démocratie (1983) ==
Des élections sont organisées le {{Date|30|octobre|1983}} pour renouveler le président, le vice-président, les gouverneurs de province et représentants locaux. Les observateurs internationaux approuvent ces élections. [[Raúl Alfonsín]] (1927-2009), de l'[[Union civique radicale]], remporte l’élection présidentielle avec 52 % des voix. Son mandat de 6 ans débute le 10 décembre 1983. Il œuvre notamment pour le rétablissement des institutions publiques et des droits et garanties constitutionnels, instituant le 15 décembre 1983 la [[Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas]] (''Commission nationale sur la disparition des personnes'', CONADEP) présidée par l'écrivain [[Ernesto Sábato]], tandis que les principaux dirigeants de la junte sont jugés, en 1985, lors du [[Procès de la junte]]. Cependant, la « [[théorie des deux démons]] » est alors en vogue, mettant sur le même plan violences des groupes révolutionnaires et [[terrorisme d'État]], comme si le second était une réponse au premier alors que les guérillas ont été démantelées avant le coup d'État. L'ex-gouverneur {{Lien|langue=es|fr=Ricardo Obregon Cano}} est aussi condamné, lors du Procès de la junte, pour {{citation|association illicite}} avec les [[Montoneros]], tandis qu'[[Oscar Bidegain]] est de nouveau contraint à s'exiler. Certains secteurs de l'armée s'opposent par ailleurs aux procès contre les militaires, suscitant plusieurs soulèvements armés des [[Carapintadas]]. À la suite de cette instabilité politique, le gouvernement Alfonsin promulgue des lois amnistiant les crimes commis par les militaires avec la [[loi du Point final]] en 1986.
=== Présidence de Raúl Alfonsín (1983-1989) ===
[[Fichier:Argentina.RaulAlfonsin.01.jpg|redresse=0.7|droite|vignette|Raul Alfonsín.]]
{{article détaillé|Raúl Alfonsín}}
Le {{date|30|octobre|1983}}, des élections furent organisées pour renouveler le président, le vice-président, les gouverneurs de province et les représentants locaux. Le scrutin fut validé par les observateurs internationaux. [[Raúl Alfonsín]] (1927-2009), de l'[[Union civique radicale]], remporta l’élection présidentielle avec 52 % des voix. Son mandat de {{nombre|6|ans}} débuta le {{date|10 décembre 1983}}. Il œuvre notamment pour le rétablissement des institutions publiques et des droits et garanties constitutionnels, instituant le {{date|15 décembre 1983}} la [[Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas]] (''Commission nationale sur la disparition des personnes'', CONADEP) présidée par l'écrivain [[Ernesto Sábato]], tandis que les principaux dirigeants de la junte sont jugés, en&nbsp;1985, lors du [[Procès de la junte]]. Cependant, la « [[théorie des deux démons]] » est alors en vogue, mettant sur le même plan violences des groupes révolutionnaires et [[terrorisme d'État]], comme si le second était une réponse au premier alors que les guérillas avaient été démantelées dès avant le coup d'État. L'ex-gouverneur {{Lien|langue=es|fr=Ricardo Obregon Cano}} est aussi condamné, lors du Procès de la junte, pour {{citation|association illicite}} avec les [[Montoneros]], tandis qu'[[Oscar Bidegain]] est de nouveau contraint à s'exiler. Certains secteurs de l'armée s'opposent par ailleurs aux procès contre les militaires, suscitant plusieurs soulèvements armés des [[Carapintadas]]. À la suite de cette instabilité politique, le gouvernement Alfonsín promulgue des lois amnistiant les crimes commis par les militaires avec la [[loi du Point final]] en&nbsp;1986.


Le retour à la démocratie entraîne de sérieuses améliorations au niveau des relations extérieures. Sous le mandat de Raúl Alfonsín se règle un différend frontalier avec le [[Chili]] qui écarte un risque de conflit, qui avait failli provoquer une guerre en 1978 ([[conflit du Beagle]]). Les deux pays signent le 29 novembre 1984 un traité de paix et d'amitié. C'est ensuite avec son rival régional le [[Brésil]] que l'Argentine se réconcilie le 30 novembre 1985, date de la ''déclaration de [[Foz do Iguaçu]]''. Cette déclaration est la première pierre de ce qui va devenir le [[Marché commun du Sud|Mercosur]].
Le retour à la démocratie entraîne de sérieuses améliorations au niveau des relations extérieures. Sous le mandat de Raúl Alfonsín se règle un différend frontalier avec le [[Chili]] qui écarte un risque de conflit, qui avait failli provoquer une guerre en&nbsp;1978 ([[conflit du Beagle]]). Les deux pays signent le {{date|29 novembre 1984}} un traité de paix et d'amitié. C'est ensuite avec son rival régional le [[Brésil]] que l'Argentine se réconcilie le {{date|30 novembre 1985}}, date de la ''déclaration de [[Foz do Iguaçu]]''. Cette déclaration est la première pierre de ce qui va devenir le [[Marché commun du Sud|Mercosur]].


Au niveau économique, la situation du pays, tout au long de son mandat, est extrêmement difficile. Les prix sont en [[hyperinflation]] constante, atteignant déjà des records mondiaux en 1983<ref>433,7 % d'inflation annuelle en 1983 selon [[the New York Times]] : [https://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=990CE4DE1038F93BA35752C0A962948260]</ref>. Durant l'année 1984, l'inflation annuelle s'établit à 625 %, alors que l'augmentation moyenne des salaires n'est que 35 %. À l'approche de la fin du mandat présidentiel en mai [[1989]], l'inflation mensuelle est 78 %, accompagnée d'une hausse vertigineuse du taux de [[pauvreté]], passant de 25 % en mai à 47 % en octobre.
Au niveau économique, la situation du pays, tout au long de son mandat, est extrêmement difficile. Les prix sont en [[hyperinflation]] constante, atteignant déjà des records mondiaux en&nbsp;1983<ref>433,7 % d'inflation annuelle en 1983 selon le [[The New York Times|New York Times]] : [https://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=990CE4DE1038F93BA35752C0A962948260].</ref>. Durant l'année&nbsp;1984, l'inflation annuelle s'établit à 625 %, alors que l'augmentation moyenne des salaires n'est que 35 %. À l'approche de la fin du mandat présidentiel en {{date|mai 1989}}, l'inflation mensuelle est 78 %, accompagnée d'une hausse vertigineuse du taux de [[pauvreté]], passant de 25 % en mai à 47 % en octobre.


Sur ce fond d'emballement économique, Raúl Alfonsín annonce une élection présidentielle anticipée, qui a lieu le 14 mai 1989, et voit la défaite de l'Union civique radicale et l'élection de [[Carlos Menem]] ([[parti justicialiste]]).
Sur ce fond d'emballement économique, Raúl Alfonsín annonce une élection présidentielle anticipée, qui a lieu le {{date|14 mai 1989}}, et voit la défaite de l'Union civique radicale et l'élection de [[Carlos Menem]] ([[parti justicialiste]]).


=== 1989-1999 : présidence Carlos Menem ===
=== Présidence de Carlos Menem (1989-1999) ===
{{article détaillé|Carlos Menem}}
Économiquement, le gouvernement de Carlos Menem mène une politique très libérale. Il réalise de nombreuses privatisations, notamment le pétrolier YPF (''[[Yacimientos Petrolíferos Fiscales]]''), le gazier ''Gas del Estado'', ainsi que des services publics dans les médias télévisés, la poste, la téléphonie, la distribution d'eau et d'électricité, les transports ferroviaires etc. Pour attirer les capitaux étrangers, il relâche le contrôle de l'État sur l'économie, et le ministre des finances [[Domingo Cavallo]] instaure une loi de convertibilité entre le [[dollar américain]] et l'[[Austral (monnaie)|austral argentin]] (remplacé par la suite par le [[peso argentin|peso convertible]], pour obtenir la parité 1 dollar valant 1 peso). Ces mesures permettent de diminuer drastiquement l'inflation, la ramenant à un taux proche de zéro au début des [[années 1990]]. Le pays souffre cependant encore d'un taux de [[chômage]] élevé, en lente diminution lors de ses premières années de mandat, puis à nouveau en hausse jusqu'à atteindre un pic à 18,4 % en mai 1995 à la suite de la ''crise de la Tequila'' au [[Mexique]] en [[1994]], qui touche aussi l'Argentine. Bien qu'en meilleur état qu'à la fin des [[années 1980]], l'[[Économie de l'Argentine|économie argentine]] reste fragile, car très dépendante de l'étranger.
Économiquement, le gouvernement de Carlos Menem mène une politique très libérale. Il réalise de nombreuses [[privatisation]]s, notamment du pétrolier YPF (''[[Yacimientos Petrolíferos Fiscales]]''), le gazier ''Gas del Estado'', ainsi que des services publics dans les médias télévisés, la poste, la téléphonie, la distribution d'eau et d'électricité, les transports ferroviaires etc. Pour attirer les capitaux étrangers, il relâche le contrôle de l'État sur l'économie, et le ministre des finances [[Domingo Cavallo]] instaure une loi de convertibilité entre le [[dollar américain]] et l'[[Austral (monnaie)|austral argentin]] (remplacé par la suite par le [[peso argentin|peso convertible]], pour obtenir la parité 1 [[Dolar américain|dollar]] valant 1 [[Peso argentin|peso]]). Ces mesures permettent de diminuer drastiquement l'inflation, la ramenant à un taux proche de zéro au début des [[années 1990]]. Le pays souffre cependant encore d'un taux de [[chômage]] élevé, en lente diminution lors de ses premières années de mandat, puis à nouveau en hausse jusqu'à atteindre un pic à 18,4 % en {{date|mai 1995}} à la suite de la ''crise de la Tequila'' au [[Mexique]] en 1994, qui touche aussi l'Argentine. Bien qu'en meilleur état qu'à la fin des [[années 1980]], l'[[Économie de l'Argentine|économie argentine]] reste fragile, car très dépendante de l'étranger.


L'Argentine sous Menem continue de promouvoir la création d'une [[zone de libre-échange]] en [[Amérique du Sud]], notamment grâce à la signature du traité d'[[Asuncion]] le {{Date|26|mars|1991}} avec le [[Brésil]], le [[Paraguay]] et l'[[Uruguay]], traité qui donne officiellement naissance au Mercosur. Toujours en 1991, l'Argentine normalise ses relations diplomatiques avec le [[Royaume-Uni]], interrompues depuis la [[guerre des Malouines]].
L'Argentine sous Menem continue de promouvoir la création d'une [[zone de libre-échange]] en [[Amérique du Sud]], notamment grâce à la signature du traité d'[[Asuncion]] le {{date|26|mars|1991}} avec le [[Brésil]], le [[Paraguay]] et l'[[Uruguay]], traité qui donne officiellement naissance au Mercosur. Toujours en&nbsp;1991, l'Argentine normalise ses relations diplomatiques avec le [[Royaume-Uni]], interrompues depuis la [[guerre des Malouines]].


[[Fichier:Carlos menem.jpg|redresse=0.7|droite|vignette|Carlos Menem]]
[[Fichier:Carlos menem.jpg|redresse=0.7|droite|vignette|Carlos Menem]]
Au début des [[années 1990]], deux [[attentat]]s touchent les [[Histoire des Juifs en Argentine|Juifs en Argentine]] : tout d'abord un attentat contre l'ambassade d'Israël à [[Buenos Aires]] le {{Date|17|mars|1992}}, faisant 29 morts, puis le {{Date|18|juillet|1994}}, [[Attentat de l'Amia|une camionnette chargée d'explosifs]] qui tue 85 personnes, visant les locaux de l'[[Association mutuelle israélite argentine]] (AMIA)<ref name=TankStorper>{{Article|langue=fr|prénom1=Sébastien|nom1=Tank-Storper|titre=L’attentat contre la AMIA à Buenos Aires. Une histoire argentine ?|périodique=Diasporas. circulations, migrations, histoire |numéro=27 |date=2016-10-27 |issn=1637-5823 |doi=10.4000/diasporas.457 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/diasporas/457 |consulté le=2020-01-28 |pages=143–159 }}</ref>. Cet attentat n'est toujours pas élucidé mais cette violence terroriste à caractère antisémite a favorisé conjointement à la crise économique qui sévissait un départ vers l'étranger et une revitalisation de l'ultra-orthodoxie juive<ref name=TankStorper/>.
Au début des [[années 1990]], deux [[attentat]]s touchent les [[Histoire des Juifs en Argentine|Juifs en Argentine]] : tout d'abord un attentat contre l'ambassade d'Israël à [[Buenos Aires]] le {{date|17|mars|1992}}, faisant {{nombre|29|morts}}, puis le {{date|18|juillet|1994}}, [[Attentat de l'Amia|une camionnette chargée d'explosifs]] qui tue {{nombre|85 personnes}}, visant les locaux de l'[[Association mutuelle israélite argentine]] (AMIA). Cet attentat n'est toujours pas élucidé mais cette violence terroriste à caractère antisémite a favorisé conjointement à la crise économique qui sévissait un départ vers l'étranger et une revitalisation de l'ultra-orthodoxie juive<ref name=TankStorper>{{Article|prénom1=Sébastien|nom1=Tank-Storper|titre=L’attentat contre la AMIA à Buenos Aires. Une histoire argentine ?|périodique=Diasporas. circulations, migrations, histoire|numéro=27|date=2016-10-27|issn=1637-5823|doi=10.4000/diasporas.457 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/diasporas/457|consulté le=2020-01-28|pages=143–159}}</ref>.


En 1994, [[Carlos Menem]] négocie avec l'opposition une réforme de la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] autorisant un second mandat présidentiel et ramenant la durée du mandat de 6 à 4 ans. Il peut ainsi se présenter à sa propre succession. Il est réélu en [[1995]] pour un second mandat, qui débute le 10 décembre de cette année.
En 1994, [[Carlos Menem]] négocie avec l'opposition une réforme de la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] autorisant un second mandat présidentiel et ramenant la durée du mandat de 6 à 4 ans. Il peut ainsi se présenter à sa propre succession. Il est réélu en 1995 pour un second mandat, qui débute le 10 décembre de cette année.


En 1995, le [[Conscription|service militaire]] obligatoire en temps de paix est abrogé<ref>{{Article |langue=fr |titre=ARGENTINE Le président Menem annonce la suppression du service militaire obligatoire en 1995 |périodique=Le Monde.fr |date=1994-06-30 |lire en ligne=https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/06/30/argentine-le-president-menem-annonce-la-suppression-du-service-militaire-obligatoire-en-1995_3816957_1819218.html |consulté le=2020-01-28 }}</ref>.
En 1995, le [[Conscription|service militaire]] obligatoire en temps de paix est abrogé<ref>{{Article|titre=Argentine. Le président Menem annonce la suppression du service militaire obligatoire en 1995|périodique=Le Monde.fr |date=1994-06-30 |lire en ligne=https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/06/30/argentine-le-president-menem-annonce-la-suppression-du-service-militaire-obligatoire-en-1995_3816957_1819218.html|consulté le=2020-01-28 }}</ref>.


Pour ce second mandat, Menem maintient le même cap politique. Cependant sa popularité décroît rapidement. Il ne parvient pas à maîtriser le chômage qui reste élevé (12,4 % en octobre [[1998]], 13,8 % à la fin de son mandat), entraînant l'apparition du mouvement ''[[piquetero]]'' : il s'agit d'un mouvement social engagé à la suite du licenciement de travailleurs par la compagnie pétrolière YPF récemment privatisée, mouvement qui gagne peu à peu l'ensemble du pays.
Pour ce second mandat, Menem maintient le même cap politique. Cependant sa popularité décroît rapidement. Il ne parvient pas à maîtriser le chômage qui reste élevé (12,4 % en {{date|octobre 1998}}, 13,8 % à la fin de son mandat), entraînant l'apparition du mouvement ''[[piquetero]]'' : il s'agit d'un mouvement social engagé à la suite du licenciement de travailleurs par la compagnie pétrolière YPF récemment privatisée, mouvement qui gagne peu à peu l'ensemble du pays.


De plus, l'Argentine augmente trop sa [[dette extérieure]], qui franchit durant les mandats de Menem la barre des 40 % du [[Produit intérieur brut|PIB]]. Le troisième trimestre 1998 voit débuter une [[Récession (économie)|récession économique]]. Le bilan des privatisations est critiqué, les entreprises privatisées ayant contribué à augmenter le chômage, et si la qualité du service est jugée positive dans certains secteurs (électricité, téléphonie), elle l'est beaucoup moins notamment dans les transports ferroviaires. Enfin, de sérieux scandales de [[corruption]] achèvent de noircir ce mandat.
De plus, l'Argentine augmente trop sa [[dette extérieure]], qui franchit durant les mandats de Menem la barre des 40 % du [[Produit intérieur brut|PIB]]. Le troisième trimestre 1998 voit débuter une [[Récession (économie)|récession économique]]. Le bilan des privatisations est critiqué, les entreprises privatisées ayant contribué à augmenter le chômage, et si la qualité du service est jugée positive dans certains secteurs (électricité, téléphonie), elle l'est beaucoup moins notamment dans les transports ferroviaires. Enfin, de sérieux scandales de [[corruption]] achèvent de noircir ce mandat.


=== Poursuites contre les criminels de la dictature et amnistie de 1990 ===
=== Poursuites contre les criminels de la dictature et amnistie de 1990 ===


L'une des premières décision du nouveau président [[Raúl Alfonsín]], en 1983, est de créer la [[Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas|Commission nationale sur la disparition de personnes]] (CONADEP) afin d'enquêter sur les disparitions forcées commises par les [[Dictature militaire|juntes militaires]] entre 1976 et 1983. La CONADEP publie un rapport en [[1984]]<ref>[http://www.nuncamas.org/index.htm Le rapport peut se trouver sur le site « nuncamas.org » ]</ref>.
En 1983, l’une des premières décision du nouveau président [[Raúl Alfonsín]] avait été de créer la [[Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas|Commission nationale sur la disparition de personnes]] (CONADEP) afin d'enquêter sur les disparitions forcées commises par les [[Dictature militaire|juntes militaires]] entre&nbsp;1976 et&nbsp;1983. La CONADEP publie un rapport en 1984<ref>[http://www.nuncamas.org/index.htm Le rapport peut se trouver sur le site « nuncamas.org » ]</ref>.


Le {{Date|22|avril|1985}} s'ouvre le ''[[procès des juntes]]'', qui doit juger les responsables militaires au pouvoir entre 1976 et 1983. Un tel procès n'a pas de précédent en [[Amérique latine]]. Il met en évidence un grand nombre de crimes commis par les juntes. Cependant, le gouvernement d'Alfonsín empêche le jugement de nombreux responsables, selon lui à cause des pressions effectuées par des militaires, dont l'influence reste importante. Il promulgue d'abord la loi du ''punto final'', entrée en vigueur le 24 décembre 1986, qui suspend une grande partie des procès contre les militaires.
Le {{date|22|avril|1985}} s'ouvre le ''[[procès des juntes]]'', qui doit juger les responsables militaires au pouvoir entre&nbsp;1976 et&nbsp;1983. Un tel procès n'a pas de précédent en [[Amérique latine]]. Il met en évidence un grand nombre de crimes commis par les juntes. Cependant, le gouvernement d'Alfonsín empêche le jugement de nombreux responsables, selon lui à cause des pressions effectuées par des militaires, dont l'influence reste importante. Il promulgue d'abord la loi du ''punto final'', entrée en vigueur le {{date|24 décembre 1986}}, qui suspend une grande partie des procès contre les militaires.


Le {{Date|15|avril|1987}} les ''[[Carapintadas]]'', un groupe de militaires mutins dirigé par le lieutenant colonel Aldo Rico, exige l'annulation des procès des militaires non exemptés par la loi du ''punto final''. Les mutins sont tous neutralisés mais seulement deux sont arrêtés. Toujours est-il que le [[4 juin]] de la même année, la loi de l'''obediencia debida'' est promulguée : elle absout de toute responsabilité les militaires chargés de la répression. Plus de {{unité|2000|militaires}} auraient ainsi échappé à des poursuites<ref>[http://www.latinreporters.com/argentinesoc15082003.html Argentine-crimes contre l'humanité : Kirchner et le juge Garzon brisent l'impunité - Compétence universelle de la justice espagnole (LatinReporters.com)]</ref>.
Le {{date|15|avril|1987}} les ''[[Carapintadas]]'', un groupe de militaires mutins dirigé par le lieutenant colonel Aldo Rico, exige l'annulation des procès des militaires non exemptés par la loi du ''punto final''. Les mutins sont tous neutralisés mais seulement deux sont arrêtés. Toujours est-il que le {{date|4 juin}} de la même année, la loi de l'''obediencia debida'' est promulguée : elle absout de toute responsabilité les militaires chargés de la répression. Plus de {{nombre|2000|militaires}} auraient ainsi échappé à des poursuites<ref>[http://www.latinreporters.com/argentinesoc15082003.html Argentine-crimes contre l'humanité : Kirchner et le juge Garzon brisent l'impunité - Compétence universelle de la justice espagnole (LatinReporters.com)]</ref>.


En 1988, les ''carapintadas'' se rebellent encore à deux reprises, se rendant chaque fois dans les jours suivants mais parvenant à obtenir des concessions de la part du gouvernement.
En 1988, les ''carapintadas'' se rebellent encore à deux reprises, se rendant chaque fois dans les jours suivants mais parvenant à obtenir des concessions de la part du gouvernement.


En 1989, une organisation armée d'extrême gauche, le ''[[Movimiento Todos por la Patria]]'' (MTP), attaque le régiment militaire de ''La Tablada'' dans la [[province de Buenos Aires]]. Le groupe composé de {{nobr|40 membres}} est mené par [[Enrique Gorriarán Merlo]], fondateur de l'''[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|Armée révolutionnaire du peuple]]'' (ERP), qui prétend agir pour empêcher un [[coup d'État]] de la part des ''carapintadas''<ref>Voir [[Clarín]] : « El ataque a La Tablada, la última aventura de la guerrilla argentina » {{es}} [http://www.clarin.com/diario/2004/01/23/p-01403.htm]</ref>. L'armée réplique avec des armes au [[phosphore blanc]], dont l'utilisation est prohibée par une [[Convention sur certaines armes classiques|convention internationale]]. {{nobr|39 personnes}} sont tuées (dont 28 appartenant au MTP), et {{nobr|60 personnes}} blessées durant l'assaut.
En 1989, une organisation armée d'extrême gauche, le ''[[Movimiento Todos por la Patria]]'' (MTP), attaque le régiment militaire de ''La Tablada'' dans la [[province de Buenos Aires]]. Le groupe composé de {{nobr|40 membres}} est mené par [[Enrique Gorriarán Merlo]], fondateur de l'''[[Armée révolutionnaire du peuple (Argentine)|Armée révolutionnaire du peuple]]'' (ERP), qui prétend agir pour empêcher un [[coup d'État]] de la part des ''carapintadas''<ref>Voir [[Clarín]] : « El ataque a La Tablada, la última aventura de la guerrilla argentina » {{es}} [http://www.clarin.com/diario/2004/01/23/p-01403.htm].</ref>. L'armée réplique avec des armes au [[phosphore blanc]], dont l'utilisation est prohibée par une [[Convention sur certaines armes classiques|convention internationale]]. Durant l'assaut, {{nobr|39 personnes}} sont tuées (dont 28 appartenant au MTP) et {{nobr|60 personnes}} blessées.


Juste après son élection, en [[1990]], [[Carlos Menem]] proclame, dans la continuité des lois déjà votées sous Alfonsín, une amnistie pour une « réconciliation nationale » visant aussi bien des militaires (dont [[Jorge Rafael Videla]], [[Emilio Eduardo Massera]] et [[Leopoldo Galtieri]]) que des civils (dont des anciens [[Guérilla|guérilleros]] ou l'ex-gouverneur [[Oscar Bidegain]]) impliqués dans la ''[[guerre sale]]'', avec une volonté affichée, selon les termes de Menem, de tourner « une page noire et triste de l'histoire de l'Argentine ». Par ailleurs Carlos Menem effectue des coupes drastiques dans le budget militaire.
Juste après son élection, en 1990, [[Carlos Menem]] proclame, dans la continuité des lois déjà votées sous Alfonsín, une amnistie pour une « réconciliation nationale » visant aussi bien des militaires (dont [[Jorge Rafael Videla]], [[Emilio Eduardo Massera]] et [[Leopoldo Galtieri]]) que des civils (dont des anciens [[Guérilla|guérilleros]] ou l'ex-gouverneur [[Oscar Bidegain]]) impliqués dans la ''[[guerre sale]]'', avec une volonté affichée, selon les termes de Menem, de tourner « une page noire et triste de l'histoire de l'Argentine ». Par Carlos Menem effectue des coupes drastiques dans le budget militaire.


La même année, la justice française condamne par contumace le militaire argentin [[Alfredo Astiz]] à la prison à perpétuité pour l'assassinat de deux religieuses dans la funeste [[Escuela de Mecánica de la Armada|École supérieure de mécanique de la marine]].
La même année, la justice française condamne par contumace le militaire argentin [[Alfredo Astiz]] à la prison à perpétuité pour l'assassinat de deux religieuses dans la funeste [[Escuela de Mecánica de la Armada|École supérieure de mécanique de la marine]].


En mars 1996, la [[justice]] [[Espagne|espagnole]] est saisie pour juger les criminels des juntes militaires entre 1976 et 1983. En effet la justice espagnole se déclare compétente pour juger certains crimes comme les [[Crime contre l'humanité|crimes contre l'humanité]] commis ou non sur le sol espagnol et par des étrangers comme par des Espagnols<ref>Fédération des Associations pour la Défense et la Promotion des Droits de l'Homme - Espagne : [http://www.derechos.org/nizkor/arg/espana/t82.html]</ref>.
En {{date|mars 1996}}, la [[justice]] [[Espagne|espagnole]] est saisie pour juger les criminels des juntes militaires entre&nbsp;1976 et&nbsp;1983. En effet la justice espagnole se déclare compétente pour juger certains crimes comme les [[Crime contre l'humanité|crimes contre l'humanité]] commis ou non sur le sol espagnol et par des étrangers comme par des Espagnols<ref>Fédération des Associations pour la Défense et la Promotion des Droits de l'Homme - Espagne : [http://www.derechos.org/nizkor/arg/espana/t82.html].</ref>.


De plus, en dépit de l'amnistie, l'ancien dictateur Videla est placé en détention en 1998, sous le chef d'accusation de « vol de bébés », s'agissant d'enfants de victimes du régime, ce crime reconnu par la justice argentine n'étant couvert ni par l'amnistie de Carlos Menem, ni par les lois du ''punto final'' ou de l'''obediencia debida''.
De plus, en dépit de l'amnistie, l'ancien dictateur Videla est placé en détention en&nbsp;1998, sous le chef d'accusation de « vol de bébés », s'agissant d'enfants de victimes du régime, ce crime reconnu par la justice argentine n'étant couvert ni par l'amnistie de Carlos Menem, ni par les lois du ''punto final'' ou de l'''obediencia debida''.


=== 1999- : crise économique de 1999-2002 et redressement ===
=== Crise économique de 1999-2002 et redressement ===
==== 1999-2001 : présidence Fernando de la Rúa ====
==== Présidence de Fernando de la Rúa (1999-2001) ====
{{article détaillé|Fernando de la Rúa}}
Les élections du {{Date|24|octobre|1999}} donnent la victoire à '''[[Fernando de la Rúa]]''' (1937-2019), candidat d'une alliance de centre-gauche dirigée par l'Union Civique Radicale face au candidat du parti justicialiste.
Les élections du {{Date|24|octobre|1999}} donnent la victoire à [[Fernando de la Rúa]] (1937-2019), candidat d'une alliance de centre-gauche dirigée par l'Union Civique Radicale face au candidat du parti justicialiste.


Devant la [[Crise économique argentine|détérioration de l'économie et des finances publiques]], de la Rúa demande l'aide du [[Fonds monétaire international|FMI]] tout en maintenant la parité peso/dollar. La récession dans laquelle est plongé le pays provoque un début de fuite des capitaux étrangers et le début de la [[crise économique argentine]].
Devant la [[Crise économique argentine|détérioration de l'économie et des finances publiques]], de la Rúa demande l'aide du [[Fonds monétaire international|FMI]] tout en maintenant la parité peso/dollar. La récession dans laquelle est plongé le pays provoque un début de fuite des capitaux étrangers et le début de la [[crise économique argentine]]. Le gouvernement annonce un investissement de {{unité|20|milliards}} de [[Dollar américain|dollars]] pour des programmes de travaux publics afin de raviver l'économie, mais cela ne suffit pas à enrayer la [[fuite des capitaux]].
Le gouvernement annonce un investissement de 20 milliards de dollars pour des programmes de travaux publics afin de raviver l'économie, mais cela ne suffit pas à enrayer la fuite des capitaux.


Le système politique apparaît totalement mis en échec à partir de la démission du vice-président [[Carlos Álvarez]], le 8 octobre 2000, en plein scandale de [[Corruption|pots-de-vin]] au sénat pour l'approbation d'une loi du travail qui ôterait aux travailleurs argentins leurs droits historiques.
Le système politique apparaît totalement mis en échec à partir de la démission du vice-président [[Carlos Álvarez]], le {{date|8 octobre 2000}}, en plein scandale de [[Corruption|pots-de-vin]] au sénat pour l'approbation d'une loi du travail qui ôterait aux travailleurs argentins leurs droits historiques.


En 2001, les gens perdent confiance et se mettent à retirer autant que possible des espèces qu'ils convertissent en dollars. Le gouvernement gèle les comptes, provoquant des émeutes qui finissent par s'en prendre aux compagnies étrangères. Fin 2001, des saccages, des grèves, des manifestations populaires déferlent sur tout le pays : l'état d'urgence est déclaré, les manifestations ([[concert de casseroles]], ''cacerolazo'') font des morts.
En 2001, les gens perdent confiance et se mettent à retirer autant que possible des espèces qu'ils convertissent en dollars. Le gouvernement gèle les comptes, provoquant des émeutes qui finissent par s'en prendre aux compagnies étrangères. Fin&nbsp;2001, des saccages, des grèves, des manifestations populaires déferlent sur tout le pays : l'état d'urgence est déclaré, les manifestations ([[concert de casseroles]], ''cacerolazo'') font des morts.
À la fin de 2001, le chômage atteint le taux de 20 %. De la Rúa décrète l'[[état de siège]], et ordonne une répression féroce, qui provoque plus de 35 morts les 19 et 20 décembre.
La rébellion populaire, loin de cesser, reçoit l'appui des classes moyennes dont les dépôts bancaires ont été expropriés. Le mot d'ordre principal des manifestations est, en décembre 2001 : « ''¡Que se vayan todos!'' » - « ''Qu'ils s'en aillent tous !'' ».
Le 21 décembre, De la Rúa fuit en hélicoptère et démissionne, ayant à peine accompli la moitié de son mandat. Trois présidents intérimaires lui succèdent en moins d'un an, incapables de stabiliser la situation.


À la fin de 2001, le chômage atteint le taux de 20 %. De la Rúa décrète l'[[état de siège]], et ordonne une répression féroce, qui provoque plus de {{nombre|35|morts}} les 19 et {{date|20 décembre }}. La rébellion populaire, loin de cesser, reçoit l'appui des classes moyennes dont les dépôts bancaires ont été expropriés. Le mot d'ordre principal des manifestations est, en {{date|décembre 2001}} : « ''¡Que se vayan todos!'' » - « ''Qu'ils s'en aillent tous !'' ».
==== 2002-2003 : présidence Eduardo Duhalde ====
En janvier 2002, le Congrès nomme [[Eduardo Duhalde]] (1941-), du parti justicialiste, pour achever le terme présidentiel. L'État est en cessation de paiement et les entreprises du pays connaissent de graves problèmes ; le nouveau président tente de rétablir la situation. Il supprime la parité du peso argentin avec le dollar, ce qui entraîne immanquablement une inflation galopante. Il consacre l'expropriation des petits dépôts bancaires du secteur privé, protégeant ainsi les intérêts des grandes banques et le secteur exportateur, ce qui aggrave la rébellion populaire.


Le {{date|21 décembre }}, De la Rúa fuit en hélicoptère et démissionne, ayant à peine accompli la moitié de son mandat. Trois présidents intérimaires lui succèdent en moins d'un an, incapables de stabiliser la situation.
Cependant, en 2002 la récession économique prend fin, et Duhalde provoque des élections anticipées pour le 27 avril 2003, qui amènent la victoire de [[Néstor Kirchner]], à la tête du ''Front pour la victoire''.


==== Présidence d’Eduardo Duhalde (2002-2003) ====
==== 2003-2007 : présidence de Néstor Kirchner ====
{{article détaillé|Eduardo Duhalde}}
[[Fichier:Néstor Kirchner y Hugo Chávez-Venezuela-Julio 2004.jpg|vignette|droite|Rencontre en juillet 2004 entre [[Néstor Kirchner]] et le président du [[Venezuela]] [[Hugo Chávez]].]]
En {{date|janvier 2002}}, le Congrès nomme [[Eduardo Duhalde]] (1941-), du parti justicialiste, pour achever le terme présidentiel. L'État est en cessation de paiement et les entreprises du pays connaissent de graves problèmes ; le nouveau président tente de rétablir la situation. Il supprime la parité du [[peso argentin]] avec le dollar, ce qui entraîne immanquablement une inflation galopante. Il consacre l'expropriation des petits dépôts bancaires du secteur privé, protégeant ainsi les intérêts des grandes banques et le secteur exportateur, ce qui aggrave la rébellion populaire.


Cependant, en 2002 la récession économique prend fin, et Duhalde provoque des élections anticipées pour le {{date|27 avril 2003}}, qui amènent la victoire de [[Néstor Kirchner]], à la tête du ''Front pour la victoire''.
Le 25 mai 2003, '''[[Néstor Kirchner]]''' (1950-2010) accède au pouvoir dans une Argentine économiquement ravagée. Malgré la fin de la crise annoncée par les analystes, le pays reste étranglé par sa dette extérieure et {{nobr|20 millions}} de personnes sont toujours sous le [[seuil de pauvreté]] avec un chômage record, vivant grâce à une économie parallèle que l'État ne contrôle pas, les Argentins organisant par endroits leur autonomie alimentaire et éducative, refusant parfois toute aide de l'État.

==== Présidence de Néstor Kirchner (2003-2007) ====
[[Fichier:Néstor Kirchner y Hugo Chávez-Venezuela-Julio 2004.jpg|vignette|droite|Rencontre en juillet 2004 entre [[Néstor Kirchner]] et le président du [[Venezuela]] [[Hugo Chávez]].]]
{{article détaillé|Néstor Kirchner}}
Le {{date|25 mai 2003}}, [[Néstor Kirchner]] (1950-2010) accède au pouvoir dans une Argentine économiquement ravagée. Malgré la fin de la crise annoncée par les analystes, le pays reste étranglé par sa dette extérieure et {{nobr|20 millions}} de personnes sont toujours sous le [[seuil de pauvreté]] avec un chômage record, vivant grâce à une économie parallèle que l'État ne contrôle pas, les Argentins organisant par endroits leur autonomie alimentaire et éducative, refusant parfois toute aide de l'État.


Kirchner garde dans son gouvernement le précédent ministre de l'Économie, [[Roberto Lavagna]].
Kirchner garde dans son gouvernement le précédent ministre de l'Économie, [[Roberto Lavagna]].
Les deux hommes parviennent à négocier en février 2005 la diminution de la dette argentine auprès de ses créanciers, achevant ainsi un processus qui durait depuis plus de trois ans.
Les deux hommes parviennent à négocier en {{date|février 2005}} la diminution de la dette argentine auprès de ses créanciers, achevant ainsi un processus qui durait depuis plus de trois ans.
Le bilan inclut une réduction d'environ 70 % des {{nobr|82 milliards}} de dollars de dette, une conversion de cette dette en bons du trésor et un échelonnement des remboursements sur {{nobr|42 ans}}.
Le bilan inclut une réduction d'environ 70 % des {{nobr|82 milliards}} de dollars de dette, une conversion de cette dette en bons du trésor et un échelonnement des remboursements sur {{nobr|42 ans}}.
Malgré l'opposition de leurs partenaires (notamment l'[[Italie]]), ils réussissent à imposer cet accord avec un soutien massif de la population.
Malgré l'opposition de leurs partenaires (notamment l'[[Italie]]), ils réussissent à imposer cet accord avec un soutien massif de la population.


Au point de vue diplomatique, Kirchner rompt avec l'{{lien|lang=en|trad=Argentina–United States relations|fr=Relations entre l'Argentine et les États-Unis|texte=alignement traditionnel de Buenos Aires sur Washington}}, préférant favoriser des alliances régionales notamment au sein du [[Marché commun du Sud|Mercosur]], refusant par exemple l'[[Zone de libre-échange des Amériques|accord de libre-échange des Amériques]] (ZLEA)<ref>{{en}} Kirchner Reorients Foreign Policy : [http://www.worldpress.org/Americas/1416.cfm]</ref>.
Au point de vue diplomatique, Kirchner rompt avec l'{{lien|lang=en|trad=Argentina–United States relations|fr=Relations entre l'Argentine et les États-Unis|texte=alignement traditionnel de Buenos Aires sur Washington}}, préférant favoriser des alliances régionales notamment au sein du [[Marché commun du Sud|Mercosur]], refusant par exemple l'[[Zone de libre-échange des Amériques|accord de libre-échange des Amériques]] (ZLEA)<ref>{{en}} Kirchner Reorients Foreign Policy : [http://www.worldpress.org/Americas/1416.cfm].</ref>. Critique du [[néolibéralisme]] et dans la mouvance du [[Brésil]] de [[Luiz Inácio Lula da Silva|Lula]], l'Argentine sous Kirchner s'ouvre davantage vers des pays comme le [[Venezuela]], qui rejoint d'ailleurs le [[Marché commun du Sud|Mercosur]] le {{date|17 juin 2006}}. À l'initiative de l'Argentine et du Venezuela, six pays sud-américains s'associent en&nbsp;2007 en vue de la création de la [[Banque du Sud]]. Il relance par ailleurs le [[Programme nucléaire de l'Argentine|programme nucléaire argentin]] en collaboration avec le Brésil.
Critique du [[néolibéralisme]] et dans la mouvance du [[Brésil]] de [[Luiz Inácio Lula da Silva|Lula]], l'Argentine sous Kirchner s'ouvre davantage vers des pays comme le [[Venezuela]], qui rejoint d'ailleurs le [[Marché commun du Sud|Mercosur]] le 17 juin 2006. À l'initiative de l'Argentine et du Venezuela, six pays sud-américains s'associent en 2007 en vue de la création de la [[Banque du Sud]].
Il relance par ailleurs le [[Programme nucléaire de l'Argentine|programme nucléaire argentin]] en collaboration avec le Brésil.


Depuis 2005, les relations avec le voisin [[uruguay]]en se détériorent sérieusement à la suite d'un différend concernant la construction d'usines de [[cellulose]] sur le [[Río Uruguay]], qui marque la frontière entre les deux pays. Les médias francophones donnent le surnom de « [[guerre du papier]] » à ces évènements.
Depuis 2005, les relations avec le voisin [[uruguay]]en se détériorent sérieusement à la suite d'un différend concernant la construction d'usines de [[cellulose]] sur le [[Río Uruguay]], qui marque la frontière entre les deux pays. Les médias francophones donnent le surnom de « [[guerre du papier]] » à ces évènements.
Ligne 796 : Ligne 622 :
Début 2008, le pays connaît d'importantes manifestations de fermiers en raison des taxes à l'exportation et de leurs impôts, ainsi qu'une pénurie de monnaie.
Début 2008, le pays connaît d'importantes manifestations de fermiers en raison des taxes à l'exportation et de leurs impôts, ainsi qu'une pénurie de monnaie.


==== 2003 : levée de l'impunité à l'encontre des criminels de la dictature ====
==== Levée de l'impunité à l'encontre des criminels de la dictature (2003) ====
Néstor Kirchner est élu notamment avec la promesse de lever l'immunité des criminels qui répandirent le sang dans le pays pendant les périodes de dictature.
Néstor Kirchner est élu notamment avec la promesse de lever l'immunité des criminels qui répandirent le sang dans le pays pendant les périodes de dictature.


Le 25 juillet 2003, Nestor Kirchner abroge le décret interdisant l'extradition des criminels de la dictature. En août, les députés argentins adoptent à l'unanimité un projet de loi visant à inscrire dans la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des [[Crime contre l'humanité|crimes contre l'humanité]]<ref>[http://www.latinreporters.com/argentinesoc15082003.html Voir Latin Reporters ]</ref>. Le Congrès national annule les lois du ''punto final'' et de l'''Obediencia debida'', décision confirmée par la Cour suprême de justice le 14 juin 2005.
Le {{date|25 juillet 2003}}, Nestor Kirchner abroge le décret interdisant l'extradition des criminels de la dictature. En août, les députés argentins adoptent à l'unanimité un projet de loi visant à inscrire dans la [[Constitution de l'Argentine|Constitution]] l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des [[Crime contre l'humanité|crimes contre l'humanité]]<ref>[http://www.latinreporters.com/argentinesoc15082003.html Voir Latin Reporters].</ref>. Le Congrès national annule les lois du ''punto final'' et de l'''Obediencia debida'', décision confirmée par la [[Cour suprême d'Argentine|Cour suprême de justice]] le {{date|14 juin 2005}}.


En septembre 2006, le juge fédéral Norberto Oyarbide lève l'amnistie prononcée en 1990 par Carlos Menem pour [[Jorge Rafael Videla|Videla]] et deux de ses anciens ministres. Le {{date|25|avril|2007}}, la Cour suprême confirme le caractère anticonstitutionnel de cette amnistie. Cette décision valide à nouveau les condamnations de prison à perpétuité rendues par la justice argentine lors du procès de [[1985]]. Cependant, [[Roberto Eduardo Viola|Roberto Viola]] et [[Leopoldo Galtieri]] sont aujourd'hui décédés, quant à [[Emilio Eduardo Massera|Emilio Massera]], est victime en décembre 2002 d'une [[Hémorragie intracérébrale|hémorragie cérébrale]] et ne saurait plus comparaître devant les juges.
En {{date|septembre 2006}}, le juge fédéral Norberto Oyarbide lève l'amnistie prononcée en 1990 par Carlos Menem pour [[Jorge Rafael Videla|Videla]] et deux de ses anciens ministres. Le {{date|25|avril|2007}}, la Cour suprême confirme le caractère anticonstitutionnel de cette amnistie. Cette décision valide à nouveau les condamnations de prison à perpétuité rendues par la justice argentine lors du procès de&nbsp;1985. Cependant, [[Roberto Eduardo Viola|Roberto Viola]] et [[Leopoldo Galtieri]] sont aujourd'hui décédés, quant à [[Emilio Eduardo Massera|Emilio Massera]], est victime en {{date|décembre 2002}} d'une [[Hémorragie intracérébrale|hémorragie cérébrale]] et ne pouvait plus comparaître devant les juges. Le général [[Antonio Domingo Bussi]], chargé de l'[[Operativo Independencia]], est cependant condamné pour crimes contre l'humanité en août 2008, bien qu'il purge sa peine à domicile.
Le général [[Antonio Domingo Bussi]], chargé de l'[[Operativo Independencia]], est cependant condamné pour crimes contre l'humanité en août 2008, bien qu'il purge sa peine à domicileL
L'année suivante, c'est au tour du général [[Santiago Omar Riveros]], chargé notamment du [[centre clandestin de détention]] de [[Campo de Mayo]], d'être condamné, avec d'autres hauts militaires, à la prison perpétuelle pour crimes contre l'humanité.
L'année suivante, c'est au tour du général [[Santiago Omar Riveros]], chargé notamment du [[centre clandestin de détention]] de [[Campo de Mayo]], d'être condamné, avec d'autres hauts militaires, à la prison perpétuelle pour crimes contre l'humanité.


En mai 2017, des manifestations contre un allègement de peine dont pourrait bénéficier un ex-agent paramilitaire, accusé d'enlèvements et de tortures d’opposants sous le régime militaire, réunissent des centaines de milliers d'Argentins<ref>{{Article|langue=fr|titre=Argentine : un demi-million de foulards blancs contre l’impunité d’un tortionnaire de la dictature|périodique=Le Monde.fr|date=2017-05-11|lire en ligne=https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/05/11/argentine-un-demi-million-de-foulards-blancs-contre-l-impunite-d-un-tortionnaire-de-la-dictature_5125755_3222.html}}</ref>.
En {{date|mai 2017}}, des manifestations contre un allègement de peine dont pourrait bénéficier un ex-agent paramilitaire, accusé d'enlèvements et de tortures d’opposants sous le régime militaire, réunissent des centaines de milliers d'Argentins<ref>{{Article|titre=Argentine : un demi-million de foulards blancs contre l’impunité d’un tortionnaire de la dictature|périodique=Le Monde.fr|date=2017-05-11|lire en ligne=https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/05/11/argentine-un-demi-million-de-foulards-blancs-contre-l-impunite-d-un-tortionnaire-de-la-dictature_5125755_3222.html}}</ref>.
[[File:AFPapa1.jpg|thumb|[[Alberto Fernández]] visitant [[François (pape)|François]], premier pape argentin, en janvier 2020.]]
[[File:AFPapa1.jpg|vignette|[[Alberto Fernández]] visitant [[François (pape)|François]], premier pape argentin, en {{date|janvier 2020}}.]]


==== 2007-2023 : présidences Cristina Fernández de Kirchner, Mauricio Macri, Alberto Fernández ====
==== Présidences de Cristina Fernández de Kirchner, Mauricio Macri, Alberto Fernández (2007-2023) ====
La candidate du [[Parti justicialiste]], [[Cristina Fernández de Kirchner]], femme du président sortant, remporte l'[[Élections générales argentines de 2007|élection présidentielle d'octobre 2007]], et est investie en décembre.
La candidate du [[Parti justicialiste]], [[Cristina Fernández de Kirchner]], femme du président sortant, remporte l'[[Élections générales argentines de 2007|élection présidentielle d'octobre 2007]], et est investie en décembre. Elle est réélue en 2011 mais, ne pouvant se représenter en 2015, elle soutient la candidature de son vice-président qui est battu par [[Mauricio Macri]], candidat de centre-droit.
Elle est réélue en 2011 mais, ne pouvant se représenter en 2015, elle soutient la candidature de son vice-président qui est battu par [[Mauricio Macri]], candidat de centre-droit.
En 2019, l'élection présidentielle est remportée par [[Alberto Fernández]] avec Cristina Fernández de Kirchner comme vice-présidente.
En 2019, l'élection présidentielle est remportée par [[Alberto Fernández]] avec Cristina Fernández de Kirchner comme vice-présidente.

Cette période est marquée par un redressement de l'économie et un lent retour des investisseurs étrangers, échaudés par la cessation de paiement de 2002.
Cette période est marquée par un redressement de l'économie et un lent retour des investisseurs étrangers, échaudés par la cessation de paiement de 2002.
* [[Économie de l'Argentine]]
* [[Économie de l'Argentine]]

==== 2023- : présidence Javier Milei ====
==== 2023- : présidence Javier Milei ====
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== Références ==
== Notes et références ==
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=== Références ===
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== Annexes ==
== Annexes ==

Version du 24 février 2024 à 23:52

Argentine
Carte de l'Amérique méridionale dressée en 1840 par le géographe français Antoine Houzé ; le nom Argentine n'existait pas encore et le pays se dénommait Río de la Plata.

L’histoire de l’Argentine est celle des événements survenus sur l’actuel territoire de la République argentine depuis les premiers peuplements humains jusqu’à nos jours.

Elle débute par les vestiges les plus anciens de l’homo sapiens sur le sol argentin, c’est-à-dire ceux qui ont été découverts dans l’extrême sud de la Patagonie et qui remontent à une période aux environs de 13000 av. J.C. Les premières civilisations agro-céramiques se sont implantées à partir du XVIIIe siècle av. J.C. dans la zone andine du nord-est du pays.

L’histoire écrite de ce qui est aujourd’hui l’Argentine commence avec les observations du chroniqueur allemand Ulrich Schmidl consignées lors de expédition menée en 1516 par Juan Díaz de Solís dans le Río de la Plata. Cette expédition préfigure la conquête espagnole d’une partie de cette région qui sera accomplie dans les décennies suivantes.

En 1776, la couronne espagnole créa, par scission d’avec la vice-royauté du Pérou, la nouvelle vice-royauté du Río de la Plata, entité administrative regroupant divers territoires et au départ de laquelle va se dérouler, avec la révolution de Mai 1810, un processus graduel de formation de plusieurs États indépendants, dont entre autres les Provinces-Unies du Río de la Plata, conglomérat de provinces plus ou moins autonomes les unes vis-à-vis des autres.

La souveraineté de l’Argentine fut formalisée par la déclaration d’indépendance du à Tucumán, puis avec la défaite militaire des troupes de l’Empire espagnol en 1824, dans l’actuel département péruvien d’Ayacucho. En 1833, l’Empire britannique prit possession des îles Malouines, alors une comandancia militaire ressortissant aux Provinces-Unies, et dont l’Argentine n’a cessé depuis lors de réclamer la restitution.

À l’issue d’une longue période de guerres intestines se mit en place entre 1853 et 1860, sur la base de la constitution adoptée en 1853, une république fédérale sous la dénomination de République argentine.

Par une série de campagnes militaires menées contre les peuples mapuche, tehuelche, ranquel, wichi et qom, et désignées par conquête du Chaco et conquête du Désert, la République argentine s’empara respectivement des plaines du Gran Chaco au nord et de la Pampa et de la Patagonie orientale au sud, donnant corps ainsi à son territoire actuel qui, pour la superficie, occupe le huitième rang mondial.

La période entre 1862 et 1930, remarquable de stabilité constitutionnelle, vit la population du pays, à la faveur d’une vaste vague migratoire en provenance principalement d’Italie et d’Espagne, augmenter cinq fois plus vite que dans l’ensemble du monde. L’instauration en 1912 du suffrage universel (masculin), complété en 1951 par le droit de vote des femmes, permit l’avènement d’une série de gouvernements dûment élus par le vote populaire, mais qui à partir de 1930 alterneront au pouvoir avec des dictatures militaires et des gouvernements frauduleux. La dernière en date de ces dictatures s’effondra en 1982 en conséquence de la défaite argentine dans la guerre des Malouines contre la Grande-Bretagne, et ses protagonistes furent traduits en justice pour crimes contre l’humanité. En 1983 s’est engagée une longue période de démocratie, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

La population du pays est estimée à 47 millions d’habitants en 2024 (hors diasporas ou émigrations), contre 40 en 2010, 20 en 1960, 4 en 1895, 2 en 1870, 1 en 1840, à 0,5 vers 1800. Mais ce ne sont pas encore des Argentins.

Préhistoire et premières populations humaines

Photo prise dans la « Cueva de las Manos » ou grotte des mains, Río Pinturas, Santa Cruz, Argentine, 7 300 av. J.-C.

Une hypothèse voudrait que les premiers êtres humains à pénétrer en Argentine y soient parvenus par l'extrême sud de la Patagonie chilienne. Les témoignages les plus anciens sont rassemblés au musée lapidaire de la province de Santa Cruz et remontent au XIe millénaire av. J.-C.

D'autres établissements ont été relevés à Los Toldos, également en province de Santa Cruz, avec des vestiges datant du Xe millénaire av. J.-C.

Ces premiers habitants chassent les milodons[1] (animaux semblables à de grands ours, mais avec une tête ressemblant à celle d'un camélidé, aujourd'hui disparus) et les hippidions[2] (chevaux nains sud-américains disparus eux aussi, il y a environ 10 000 ans), en plus des guanacos, lamas et nandous[3].

Près de là, il est possible de voir les peintures de mains et de guanacos dessinés vers 13 000 ans, pour le groupe « stylistique A », le niveau culturel le plus ancien, puis vers 7 300 av. J.-C. pour le second niveau culturel, groupe « stylistique B », sur les parois de la Cueva de las Manos (Río Pinturas, Santa Cruz, déclarés patrimoine culturel de l'Humanité par l’UNESCO).

Les résultats d'une étude de paléogénétique publiée en 2021 suggèrent que les premiers colons de la Pampa faisaient partie d'une dispersion unique et rapide il y a 15 600 ans[4], tandis que le nord-ouest argentin a reçu ses premiers habitants vers le début du VIIe millénaire av. J.-C.[réf. nécessaire].

Avant 1500 : civilisations et cultures indigènes, dites précolombiennes

Grandes zones agricoles indigènes
La papa ou pomme de terre, inventée par les cultures sud-américaines
Langues du cône sud
Urne funéraire santamarienne (56 cm x 32 cm.)

Les peuples aborigènes argentins se sont divisés en deux grands groupes, d’une part les chasseurs-cueilleurs nomades qui habitaient la Patagonie, la Pampa et le Chaco, et d’autre part les agriculteurs sédentaires, installés dans le nord-ouest, le Cuyo, les Sierras de Córdoba et plus tardivement, en Mésopotamie.

Cultures andines de l'Ouest et du Nord-Ouest

Culture d'Ansilta

Une des premières cultures à avoir développé une forme d’agriculture primitive sur le territoire argentin actuel est la Culture d'Ansilta (es), située aux abords de Mendoza, San Juan et San Luis. Mal connue, cette surprenante culture va de 1 800 av. J.-C. jusqu'à 500 apr. J.-C., soit plus de 2 000 ans, ce qui est un cas unique de continuité. Sans doute s’agit-il des prédécesseurs des ethnies Huarpes[5].

Culture Condorhuasi

Cette culture apparut en -200 dans la province de Catamarca. Pour ces éleveurs de lamas et pasteurs, l’agriculture était un complément. Dans leur religion cruelle et violente, les chamans utilisaient des hallucinogènes, tels que le Anadenanthera colubrina (aussi appelé cebil), et accomplissaient des sacrifices humains. Grands forgerons, ils furent les premiers à utiliser des alliages métalliques. Leurs sculptures anthropomorphes font l’objet d'études approfondies : les suplicantes (les suppliants) sont de belles sculptures abstraites en pierre, représentant des êtres humains en position de supplication, appelant sans doute la pluie et la fertilité. Cette culture disparut entre le IIIe siècle et la fin du Ve siècle.

Culture Tafí (de -300 à 600)

Presque contemporaine de la culture de la Ciénaga (de -200 à +800), la culture tafí (es), elle apparut dans la vallée de Tafí, sur l'actuel territoire de Tucumán. Ces agriculteurs cultivaient notamment le maïs, sur des terrasses. Ils savaient aussi domestiquer le lama.

Culture de la Ciénaga (1c-700)

Au Ier siècle faisait son apparition sur le sol argentin la première société totalement agricole, la culture de la Ciénaga (es), également dans la région de Catamarca. Il s'y développa des plantations de maïs et des systèmes d'irrigation avec canaux. On y élévait aussi des lamas, qu'on utilisait en caravanes pour réaliser des échanges entre différentes localités. On construisait de petites localités de trente habitations au plus. Ce sont des précurseurs directs de la culture de la Aguada.

Culture de la Aguada (500-900)

Entre les IVe siècle et Xe siècle, la culture de la Aguada (es) se développa sur le territoire des provinces de Catamarca et La Rioja. C'est la plus andine des cultures du nord-ouest argentin, fortement liée à la culture de Tiwanaku. La Aguada se caractérise par un fort développement artistique autour de la représentation du jaguar. Sans doute à ce moment se constitua une nouvelle forme politique dans les cultures du nord-ouest : celle des Seigneuries, au pouvoir d'un seigneur, qui dominait une certaine région et avait la main sur les excédents de production agricole. Parmi les représentations artistiques, on remarque celle du sacrificateur.

L'économie de cette culture se basait sur une agriculture en terrasses irriguées par des systèmes hydrauliques complexes. On produisait du maïs, des haricots, des potirons et des arachides. On faisait le commerce de ces productions avec des endroits très éloignés comme San Pedro de Atacama ou la vallée de Copiapó au Chili, de l'autre côté des Andes, en utilisant les lamas. La métallurgie est très avancée, et on découvre le bronze, bien avant l'arrivée des Espagnols.

Vers 900, La Aguada disparu. Son héritage se retrouve dans la culture Belén et la culture de Santa María.

Culture de Santa María (850/1200-1470)

Grâce à ses cultures en terrasses et systèmes d'irrigation très complexes, la culture de Santa María réussit à avoir une forte population et à accumuler des excédents, qui étaient emmagasinés dans des silos souterrains. On cultivait le maïs, la pomme de terre (appelée papa), le haricot, le quinoa, le piment et les courges. On cueillait intensivement les fruits du caroubier créole ou algarroba et du chañar. Ces grands experts en élevage utilisent le fourrage.

Ils pratiquaient le commerce à grande distance, avec des caravanes de lamas. Ils développèrent la métallurgie du cuivre, de l'argent et de l'or, et fabriquaient des articles en bronze d'excellente qualité.

La culture de Santa María se caractérise par une grande complexité sociopolitique, avec au sommet de la hiérarchie un seigneur dont les pouvoirs étaient héréditaires, des guerriers et des chamans. Cette culture correspond en grande partie à l'ethnie Paziocas, connue sous sa dénomination quechua de Diaguitas.

Culture de Sanagasta (1000-1500)

Culture de Belén (1100-1535)

Empire inca (1430-1530)

Un siècle avant l'arrivée des Espagnols, la formation du Tucumán, au nord-ouest argentin, comprenait une grande variété de peuples sédentaires avec leurs caractéristiques propres, et parmi eux, les Paziocas, les Alpatamas, les Omaguacas et les Huarpes.

Au XVe siècle ce territoire fut envahi et annexé par les Quechuas à la zone méridionale du Kollasuyu (ou Collasuyu ou Qullasuyu). Étant donné l'éloignement de ces régions par rapport à Cuzco, l'ensemble formait un territoire spécial du Tahuantinsuyu, connu sous le nom de « Le Tucumán » et le « Kiri-Kiri ») et intégré dans l'Empire inca.

Cultures andines indépendantes (1400-1520)

Hors du Tahuantinsuyu ou Tawantinsuyu, se maintiennent quelques populations sédentaires indépendantes, par exemple les Lule-Toconoté (en guerre contre les Quechuas, et appelés péjorativement par ceux-ci « surís » ou « nandous »), les Sanavirón dans la zone des provinces de Tucumán, ouest de Santiago del Estero et nord de Córdoba, ainsi que les Comechingons dans les sierras de Córdoba et de San Luis[5].

Cultures de la Mésopotamie

Mésopotamie argentine.
Les Guaranís cultivaient le yuca, ou manioc, entre autres plantes.

Le terme de Mésopotamie argentine désigne l'ensemble des territoires entre deux fleuves, le rio Paraná et le río Uruguay.

Les Avás (mieux connus comme « Guaranís »), en provenance d'Amazonie, s'établirent en territoire argentin entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, avançant depuis le nord-est principalement par les cours d'eau.

Ils se subdivisent en divers groupes en fonction de l'endroit où ils s'implantèrent. On distingue les Guaranís des îles (dans les îles du delta du Paraná), ceux du Carcarañá, de Santa Ana (nord de la province de Corrientes, les Cáingangs ou Cainguás (en Mésopotamie) et les Chiriguanos (au Chaco). Ils faisaient partie du groupe culturel dit des Tupí-guaraní.

Ils vivaient dans des villages (tekuas) qui constituaient de vraies unités tribales économiquement indépendantes. Chaque village guaraní était dirigé par un chef politique, le Mburuvichá, et un chef religieux le Payé. L'organisation sociale était chapeautée par un cacique (Tuvichá) héréditaire.

Ces très bons chasseurs en forêt, cueilleurs, pêcheurs et aussi agriculteurs, se déplaçaient sur l’eau en canoës. Ils cultivaient le manioc (mandi'ó), la pomme de terre (jetý), le potiron (andai), les courges (kurapepê), le maïs (avatí), les haricots (kumandá), le coton (mandyju) et la yerba mate (ka'á).

Les Guaranis firent irruption avec une grande brutalité dans le bassin du río de la Plata, créant une situation de guerre permanente avec les peuples aborigènes non-Guaranís habitant la région. Ils pratiquaient le cannibalisme des guerriers prisonniers. Leur stratégie guerrière s’appuyait sur un système d'attaques massives. Peu avant l'attaque, ils faisaient tomber sur leurs adversaires une pluie de flèches et de pierres. Ensuite venait l’affrontement direct avec des lances, des macanas et des gourdins (garrotes).

Cultures du Gran Chaco

Grand Chaco argentin

Dans la partie nord du Gran Chaco on distingue cinq cultures ou familles linguistiques, les cultures « Guaycurú », « Mataco-macá », « Tupí-guaraní », « Arawak » et « Lule-vilela ».

À la culture Guaycurú appartiennent les Tobas ou Qom'lek, les Pilagás, les Mocovís et les Abipones. Très habiles guerriers, occupant l'Est et le Sud du Chaco, ils avaient adopté le cheval, après l’arrivée des Espagnols, et résistèrent à la colonisation. Les Espagnols les appelaient frentones (surtout les Qom'lek), parce qu'ils s'épilaient le front.

La culture Mataco-Macá comprend les Wichís (Matacos), les Nivaklé (Chulupís) et les Chorotes (es) (yofuasha), qui occupaient la zone ouest du Chaco.

Les Chiriguanos, appartenant à la culture Tupí-guaraní, s'installèrent dans l'ouest de la région. Dans la même zone, se retrouvent les Chanés de la culture Arawak.

Enfin, au nord-ouest du Chaco se trouvaient les Vilelas (culture Lule-Vilela), disparus depuis lors.

Cultures de la pampa et de la Patagonie

En région pampéenne et patagonique, on distingue les Hets (« anciens pampas » ou « querandís »), les Tehuelches (Tsonek) et les Mapuches.

Les Mapuches, parlant le mapudungun, occupaient le nord de la Patagonie jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Les études anthropologiques des groupes de chasseurs et de cueilleurs, considérés traditionnellement comme plus simples que les peuples agriculteurs, mettent en évidence la complexité atteinte par ces cultures d'un haut degré de symbolisme, comme les Selknams, les Mánekenks (Haush), les Yagans, les Kawésqar (Alakaluf), de la Terre de Feu et du détroit de Magellan.

1500-1810 : période coloniale espagnole

Gouvernorats espagnols 1534-1539
Monument à Juan de Garay, fondateur de la ville, à Buenos Aires

Amerigo Vespucci fut le premier Européen à s'approcher des côtes argentines en 1502. En 1516, Juan Diaz de Solís, un navigateur espagnol visita le territoire qui deviendra l'Argentine. L'Espagne allait inclure l'Argentine dans la vice-royauté du Pérou.

Une conquête lente et difficile

À l'inverse de ce qu'ils avaient fait au Pérou et en Bolivie, les Espagnols ne soumirent jamais totalement les principaux peuples amérindiens qui occupaient le territoire actuel de l'Argentine. La présence espagnole se limitait d'ailleurs au départ à de petits noyaux, essentiellement le long de la route importante dite Camino Real, destinée au début à drainer les richesses minières du Haut-Pérou (Bolivie actuelle) vers le Río de la Plata. Là fut construite, en 1536 une colonie appelée Buenos Aires. Abandonnée à cause d'un blocus et de raids sanglants des Indiens Didiuhet, elle fut fondée à nouveau en 1580. Cette année-là en effet, Juan de Garay, venu d'Asuncion au Paraguay actuel, refonda la ville qu'il appela Ciudad de Trinidad y Puerto de Santa María del Buen Ayre, et qui avec le temps sera connue plus simplement sous son nom actuel.

Du nord au sud les villes espagnoles principales furent créées progressivement le long de cet axe. Ce sont principalement Santiago del Estero (1553), San Miguel de Tucumán (1565), Córdoba (1573), Salta (1582), San Salvador de Jujuy (1593) et Buenos Aires (1536 et 1580).

Autre axe économique important, la voie fluviale du Paraguay-Paraná constituait une excellente route de pénétration vers le centre de l'Amérique du Sud et ses richesses. Ainsi furent fondées Sancti Spiritu (1523), Asuncion (1537), Santa Fe (1573) et Corrientes (1588).

Quelques régions furent cependant facilement conquises et rapidement assimilées, ce qui assura aux Espagnols une domination sans problème. C'est le cas de la région du Cuyo. Dès 1561 la ville de Mendoza y fut fondée, suivie de San Juan en 1562, et de San Luis en 1594. Cette région était habitée par les Huarpes, pacifiques Indiens, exploités sans scrupule au début (travail dans les mines du Chili), mais qui se métissèrent rapidement. La paix ne tarda pas à s'installer.

La colonisation se poursuivit de manière très progressive. La dernière ville argentine à être construite fut San Fernando del Valle de Catamarca (1683).

Contre-attaques calchaquíes (1630-1670)

Cependant, les conquérants ne réussissaient pas à pénétrer les vallées calchaquíes, où s’étaient réfugiés plusieurs peuples qui allaient mener la vie dure aux envahisseurs.

Alors que la population espagnole restait faible au sein de ces provinces, de graves contre-attaques et révoltes indiennes faisaient de terribles dégâts. En 1630 éclata la première grande rébellion calchaquíe, sous le commandement du cacique Chalemín, et dura jusqu'en 1643, guerre intense avec incendie de La Rioja et destruction de Londres (près de Córdoba). La seconde rébellion, menée par un Andalou, Pedro Chamijo, se faisant passer pour un descendant d'Inca, fut longue et cruelle. Les Espagnols dirigés par Mercado et Villacorta finirent par vaincre l'Andalou, puis décimèrent les tribus. La dernière, celle des Quilmes, fut battue en 1665. Les survivants furent déportés près de Buenos Aires, là où se dresse aujourd'hui la grande cité de Quilmes.

Guaranis et missions jésuites (1550-1770)

Au XVe siècle les karaí, prophètes guaranís acceptés dans toutes les communautés guaraníes, parcouraient les villages ou tekuas prêchant le message de l'arrivée de profonds changements. Or ces villages s'affrontaient entre eux dans une permanente recherche de l'État d’Aguyé, et pratiquaient le cannibalisme entre eux. Ces karaí ne faisaient partie d'aucun village ou tekua en particulier, mais étaient panguaranís. Leur message était donc unificateur.

Cent ans plus tard, avec l'invasion espagnole, les jésuites arrivèrent dont le message chrétien rivalisa directement avec celui des karaí. Bien qu'étrangers, ils apportaient aussi un message unificateur. Surtout, ce qui joua un rôle très important, les guaranís qui acceptaient de vivre avec eux étaient automatiquement protégés par les lois du puissant roi d'Espagne. En effet, en 1556 les Espagnols avaient introduit dans ces régions le système de l'encomienda, par lequel chaque encomandero s'engageait à évangéliser et à sortir de la barbarie un certain nombre d'Indiens qui en retour devaient se mettre à son service.

Du fait de ce système d'asservissement impitoyable, les rapports d'abord amicaux entre les Européens et les Indiens se modifièrent. Les révoltes se multipliaient, atteignant une grande violence en 1580, rendant la région ingouvernable. Pour sortir de ce bourbier, les Espagnols firent appel en 1585 aux Jésuites, qui proposèrent de payer directement au roi un tribut proportionnel au nombre d'Indiens mâles, soustrayant ainsi les Indiens à l’autorité de l’empire pour les placer directement sous la leur. Enfin en 1608, le roi Philippe III d'Espagne donna pouvoir aux jésuites de convertir et coloniser les tribus de Guayrá.

Simultanément, l'expansion constante du front hispano-portugais, et la menace réelle d'esclavage que cela représentait, amenèrent un grand débat interne chez les chefs guaranís entre les partisans de l'alliance jésuitique (de façon à obtenir la protection de la couronne) et les « durs » qui préféraient l'affrontement. Après de longs débats, la politique d'alliance des dirigeants politiques guaranís avec les jésuites finit par remporter le consensus et se généralisa. Elle obéissait à une stratégie globale, dans le but de limiter la montée des périls, les Guaranís se trouvant pris entre les gros propriétaires espagnols désireux de se fournir de la main d'œuvre gratuite d'un côté et les bandeirantes portugais pillards et marchands d'esclaves de l'autre. Il existe de nombreuses sources de témoins présents lors de ces débats internes des chefs guaranís, notamment le « Jardín de Flores paracuaria » du Padre Tadeo Xavier Hednis de la Compagnie de Jésus.

Les jésuites furent donc en réalité utilisés par les Guaranís, pour maintenir leur modèle ou mode de vie : le modèle politique guaraní s'était préparé à être occupé par les jésuites. Ainsi s'explique la rapide conclusion de cette alliance et le développement des Misiones. Les réductions jésuites étaient en somme des tekuas, ou villages traditionnels, mais avec protection de la couronne, pénétrant ainsi non seulement dans le domaine légal espagnol, mais aussi dans une série d'échanges économiques et culturels qui allaient se maintenir durant deux siècles.

Des indigènes restés non soumis

La Pampa et la Patagonie constituaient une vaste zone peuplée d'aborigènes totalement libres, jamais conquise par les Espagnols, et progressivement unifiée à partir du XVIIe siècle dans le cadre de la culture mapuche. Ce ne fut que vers la fin du XIXe siècle, plus de 300 ans après la conquête espagnole du Pérou, que l’Argentine (comme le Chili d’ailleurs) parvint à occuper la région grâce à une guerre contre les Mapuches.

À l'arrivée des Européens, le sud du continent américain, la région pampéenne comme la Patagonie, était peuplée par les Indiens Pampas, les Tehuelches (Patagons) en Patagonie orientale et les Mapudungun (Mapuches) en Patagonie occidentale. La Terre de Feu était peuplée par un rameau des Tehuelches, les Selknams (Onas), par les Yagans (Yamanas) et par les Kawésqars (Alakalufs).

Peu après le débarquement des conquistadors sur les rives du Río de la Plata et la fondation de Buenos Aires au XVIe siècle, les premiers affrontements eurent lieu entre Espagnols et aborigènes, les Pampas (ou Hets ou Querandis), appelés plus tard Ranquels au XVIIIe siècle.

À partir du XVIIe siècle, quelques bovins abandonnés par les Espagnols en région pampéenne proliféraient naturellement, formant de vastes troupeaux redevenus sauvages. Les Espagnols comme les indigènes Pampas et Mapuches, commencèrent à les chasser, ce qui entraîna des affrontements entre les deux groupes. Les Espagnols construisirent des lignes de fortins entourant Buenos Aires et Córdoba, afin de délimiter leur zone exclusive de chasse appelées vaquerías. Les Pampas considéraient que les Espagnols usurpaient leurs terres en les envahissant, et allaient attaquer durant des siècles leurs établissements par une tactique d'attaque en masse appelée malones, utilisant des chevaux, de longues lances et des boleadoras (système composé de plusieurs lanières lestées de gros cailloux destiné à immobiliser les jambes des chevaux).

Dans le même temps, la capitainerie du Chili procédait à des attaques systématiques contre les Mapuches appelés aussi Araucans (Guerre d'Arauco).

Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles les Mapuches imposèrent leur culture et assimilèrent les peuples indigènes qui habitaient la Pampa et la Patagonie. Cependant dès la fin du XVIIIe siècle les Espagnols progressaient lentement sur le territoire ranquel. La frontière entre les deux civilisations se situait alors sur le río Salado, qui divisait la pampa orientale en deux par son centre. Cependant, certains indigènes acceptèrent de travailler dans les estancias (grandes fermes-domaines) espagnoles, se métissant avec les Européens. L'origine des gauchos est liée à ce processus de métissage.

De même, dans le nord du territoire de l'Argentine actuelle, les tribus peuplant la région du Gran Chaco restèrent libres face aux colonisateurs, et cela jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Vice-royauté du Río de la Plata

Guerres portugaises, ouverture sur l'Europe (1762-1777)

En 1680, les Portugais, venus du Brésil tout proche, fondèrent dans le nord du Río de la Plata, face à Buenos Aires, sous le nom de Colonia del Sacramento, un établissement, qui menaçait gravement les intérêts espagnols. Ceux-ci ripostèrent, en attaquant et en s’emparant de cette ville à plusieurs reprises, mais chaque fois, grâce à un traité international, les Portugais récupéraient la ville. Finalement, en 1776, le roi Charles III entreprit de chasser les Portugais du Río de la Plata, puis institua la vice-royauté du Río de la Plata (1776-1816). Presque immédiatement, le nouveau vice-roi Pedro de Cevallos mit sur pied une puissante armée, qui fit mouvement contre les Portugais. S'ajoutèrent à cette armée européenne des contingents de Guaranis, habitués à se battre contre les Portugais. La guerre hispano-portugaise de 1776-1777 (en) se termina à l'avantage des Espagnols : Cevallos prit Colonia en 1777 et la détruisit totalement, allant symboliquement jusqu'à semer du sel sur ses ruines. La ville fut cependant reprise par les Portugais, puis par les Brésiliens quelques décennies plus tard.

Le règlement de libre commerce dans l'Empire espagnol (es), mis en place par étapes entre 1765 et 1789, mit fin au monopole de l'axe Pérou-Cuba-Cadix et permettait à l'Amérique espagnole d'échanger directement avec les ports espagnols et européens. Cette mesure entraîna un recul sectoriel des productions artisanales, relativement importantes dans les régions de Cuyo et Tucumán, et surtout des cultures méditerranéennes, vin, huile d'olive, fruits séchés, inférieurs en qualité à ceux de la métropole. En revanche, elle profita à la bourgeoisie marchande du Río de la Plata[6].

La création de la vice-royauté du Río de la Plata allait apporter beaucoup à Buenos Aires, où en peu d'années vinrent s’installer toutes les autorités : administration bureaucratique vice-royale, douane, Consulat de commerce (1794), Audiencia (1785), Académie navale, et des écoles. On commença à éditer des journaux, activité difficile à cause de la censure du vice-roi.

La population de la ville s’accrut de 9 568 en 1744 à 32 069 habitants en 1778, puis à plus de 40 000 en 1797 et à presque 100 000 en 1810, chiffre très important pour l'époque et constituant près du tiers de la population totale de l'Argentine espagnole d'alors.

Invasions britanniques

John Whitelocke qui envahit Buenos Aires en 1807.

Avec l'entrée en guerre de l'Espagne au côtés de Napoléon, le Royaume-Uni chercha à renforcer son influence dans les colonies espagnoles. En 1806, après avoir pris la colonie hollandaise du cap de Bonne Espérance, la flotte britannique cingla vers le Río de la Plata, apparemment sur initiative propre. La flotte ne tarda pas à prendre Montevideo, puis se dirigea vers Buenos Aires.

Le vice-roi Rafael de Sobremonte, supposant que les Britanniques ne se risqueraient pas à se lancer sur la capitale de la vice-royauté, décida d’affecter la majorité des troupes de la ville à traverser le río de la Plata pour reprendre Montevideo. Lorsqu'on lui annonça le débarquement des Britanniques, il abandonna la ville pour se réfugier à Córdoba, muni des précieuses rentes de la vice-royauté, prêtes à être expédiées en Espagne, dans le but d’organiser une armée pour reconquérir sa capitale.

En , les Britanniques sous le commandement de William Carr Beresford se rendirent maîtres de Buenos Aires et furent bien reçus par les partisans de l'indépendance. Mais ceux-ci déchantèrent vite en comprenant que les envahisseurs désiraient convertir la région de la Plata en une colonie britannique et s’unirent à ceux qui voulaient résister. Jacques de Liniers, marin français né à Niort, commandant du port d’Ensenada, traversa le fleuve pour la bande orientale, où il organisa une armée à destination de Buenos Aires. En chemin, des milliers de volontaires enthousiastes se joignirent aux troupes. Une bataille de rue s'engagea et les Britanniques, bientôt encerclés dans la citadelle de la ville, durent capituler.

Revenue dans la cité, l’Audience, tribunal suprême, décida d’assumer le pouvoir civil et de confier la capitainerie générale à Liniers. Prudemment, le vice-roi Sobremonte se retira à Montevideo.

En 1807, les Britanniques revinrent envahir le pays, mais cette fois officiellement et avec une puissante armée de 11 000 soldats sous les ordres du général John Whitelocke. Au départ, celui-ci et sa flotte avaient pour mission de s'emparer du Chili et de renforcer leurs troupes supposées toujours maîtresses de Buenos Aires. Mis au courant de la capitulation de ces dernières, Whitelocke décida de reprendre la cité. Après avoir pris Montevideo, ils débarquèrent à Buenos Aires et pénétrèrent dans la capitale, confiants dans leur suprématie face à des forces hispano-argentines très inférieures. Très vite, ils se heurtèrent à une résistance acharnée des habitants qui les arrosaient d'eau et d'huile bouillantes, et les mirent finalement en déroute. Le général John Whitelocke était acculé à la capitulation générale, et le Royaume-Uni subit là une défaite particulièrement humiliante.

À la suite de cette franche victoire, un jugement destitua Sobremonte de sa charge de vice-roi, et l'envoya en Espagne pour y être jugé. Liniers fut alors nommé vice-roi par intérim, décision ratifiée plus tard par le roi.

Naissance de la nation (1810-1852)

Les Invasions anglaises ont joué un rôle très important dans l'histoire de l'Argentine, car elles sont le prélude à l'indépendance. Elles démontrent la capacité du peuple à l'autodéfense, grâce à des milices civiles, et révèlent que les Argentins sont désormais en mesure de déterminer seuls leur propre destin.

Révolution de Mai (1810) et indépendance

Monument à San Martín

Les nouvelles de la Révolution française avaient fait germer les idées libérales en Amérique latine. Le pays engagea son processus d'affranchissement de l'Espagne le , avec l’épisode appelé révolution de Mai, en s’engageant dans des hostilités contre les Espagnols et leurs partisans (les royalistes) : guerre d'indépendance de l'Argentine.

Certaines régions du Río de la Plata, craignant la domination de la riche et puissante Buenos Aires, étaient autant intéressées par leur indépendance face à la capitale que par leur affranchissement de l'Espagne. En 1811, le Paraguay rédigeait sa propre déclaration d'indépendance.

En 1812, les batailles victorieuses livrées par Manuel Belgrano à Tucumán et Salta assurèrent le succès de l'indépendance. José Gervasio Artigas put alors réunir un premier Congrès de l'Indépendance argentine, à Arroyo de la China (actuelle Concepción del Uruguay) en mars et . Les campagnes militaires conduites par José de San Martín et Simón Bolívar entre 1814 et 1817 firent augmenter les espoirs d'indépendance face à l'Espagne, indépendance finalement proclamée à Tucumán le .

Le désordre règne dans les provinces. Le , une loi sur la Monnaie permettait de frapper les premières pièces de l'indépendance, instituant le réal argentin[7].

En 1817, José de San Martín réunit une armée destinée à libérer le Chili et le Pérou, objectif qu’il atteignit finalement en 1820. En  1822 eut lieu la rencontre historique de San Martin avec Simón Bolívar à Guayaquil.

Congrès de Tucumán (1816)

1816

Le congrès national se réunit donc à Tucumán et commença ses sessions le . Ce congrès de Tucumán, auquel participaient presque toutes les provinces, procéda à l'élection d'un Directeur Suprême capable de maintenir l'ordre et d'établir l'autorité centrale, un homme appuyé tant par Buenos Aires que par les provinces de l'intérieur. Juan Martín de Pueyrredón, apprécié de tous, fut élu à cet effet. L'autre objectif important était de consolider l'unité nationale du pays : il fut décidé de faire intervenir l'armée là où se manifestaient des mouvements localistes. Finalement, la Déclaration d’indépendance envers les rois d'Espagne et la métropole fut votée publiquement le .

Deux positions s'affrontaient dans toute l'Amérique espagnole concernant l'administration des territoires libérés : la position américaniste et la position localiste. La position américaniste proposait l'union des peuples d'Amérique hispanique : unir les forces afin de terminer les guerres d'indépendance et organiser un système stable qui garantisse l'union. La position localiste défendait l'autonomie des régions, craignant qu'une union qui regrouperait tant de pays et de terres ne retarde la restauration de la prospérité locale, redoutant surtout de perdre du pouvoir à la suite d’une telle intégration. Bernardino Rivadavia était l’un des principaux représentants des localistes.

Le problème de la forme de gouvernement se posa également. Parmi les différentes options s'était constitué un groupe de partisans de la monarchie constitutionnelle, qui considérait que ce système stable garantirait l'ordre et les droits de l'homme. Belgrano proposait une monarchie ayant à sa tête un descendant des Inca. Ce projet fut bien accueilli par les représentants du Haut Pérou et des villes du nord, et eçut l'appui de José de San Martín et de Martín Miguel de Güemes. Mais les hommes de Buenos Aires s'y opposèrent, craignant d'y perdre leur position hégémonique, et proposaient d'offrir la couronne à un prince européen. De son côté, Tomás de Anchorena, député de Buenos Aires, défendait une république fédérale. Au début de 1817, le congrès fut transféré vers la capitale, et la résolution de ce problème remis à plus tard ; cependant, les idées monarchistes perdurèrent au sein du congrès.

Directoire de Pueyrredón (1816-1819)

L'objectif principal du Directeur suprême Pueyrredón était de réaliser l’expédition libératrice au Chili et au Pérou, en accord avec San Martín, afin de terminer la guerre d’indépendance. Il mit au point la création de l'Armée des Andes (1816-1824), nomma San Martín général en chef et ordonna d'exécuter la campagne libératrice. Mais le financement de la campagne du Pérou nécessite une hausse des impôts douaniers.

Le Directoire fut durement critiqué par les fédéralistes, qui l'accusaient de complicité avec les Portugais en tolérant l'invasion de la Bande orientale (actuel Uruguay). Le Portugal avait déjà perpétré une première invasion en 1811-1812. La seconde agression eut lieu en 1816-1820, et les Portugais réussirent à annexer la province sous le nom de province cisplatine (1816-1828). Finalement Pueyrredón imposa son autorité, en exilant les principaux chefs du parti fédéraliste de la capitale. À l'intérieur, il étouffe les mouvements fédéralistes par les interventions de l'armée du nord.

À la décharge de Pueyrredón, il y a lieu de signaler que lorsqu'il arriva au pouvoir, l'invasion portugaise de la Bande orientale avait déjà débuté. Le congrès adopta une position neutre que le directeur suprême ne partageait pas. Cependant le manque de ressources l'empêcha de prendre des mesures militaires : il dut donc se contenter d'exiger que les Portugais ne dépassent pas la ligne du fleuve Uruguay. Cette politique perçue comme « tolérante » face aux agresseurs augmenta le ressentiment des habitants des provinces du Litoral.

Guerres civiles entre unitaires et fédéralistes (1810c-1850)

Les luttes intestines (guerres civiles argentines) allaient se succéder en Argentine pendant plus de 40 ans.

Les caudillos provinciaux dominèrent l’histoire et la politique de la première moitié du XIXe siècle. Petits chefs locaux, seigneurs de guerre, ils géraient leur province avec leur propre armée. Les griefs qu’ils entretenaient entre eux nourrissaient des haines et entraînaient des combats parfois féroces. Les uns se rangeaint sous la bannière de l’unitarisme, d’autres, plus nombreux, sous celle du fédéralisme. La plupart d’entre eux n’étaient pas des militaires, mais des civils. Certains, comme Juan Manuel de Rosas et Justo José de Urquiza, étaient propriétaires de vastes haciendas, détenant par là un important pouvoir économique.

Dans l’histoire de l’Argentine, le caudillo était un personnage traditionaliste, totalement opposé au Porteño ou habitant de Buenos Aires, et lié à la cause fédéraliste qui représentait son intérêt personnel. Les caudillos s'opposaient au centralisme de la métropole Buenos Aires, ainsi qu’à la modernité. On les taxait de "barbares", car ils détestaient Buenos Aires, qui concentrait le pouvoir, basé sur la possession du port et sur les recettes douanières, qui n’avaient encore jamais été utilisées au bénéfice des provinces de l’intérieur. L'histoire du pays s'illustre de très nombreux caudillos, dont certains noms méritent d'être retenus, dont notamment :

Rosas et le rosisme (1829-1852)

Provinces argentines, 1840.
Juan Manuel de Rosas, gouverneur de la province de Buenos Aires et caudillo dominant de l'Argentine.

En 1826, le congrès nomma Bernardino Rivadavia premier président constitutionnel du pays. La cession de l’Uruguay actuel au Brésil provoqua la démission de Rivadavia en . Son successeur Manuel Dorrego, partisan des autonomies provinciales, liquida le conflit avec le Brésil en reconnaissant l'indépendance de la Bande orientale. Les unitaires soulevés par Juan Lavalle fusillèrent Dorrego (1828), ce qui ralluma la guerre civile entre unitaires et fédéralistes.

La Bolivie se déclara indépendante en 1825, de même que l’Uruguay en 1828.

La figure dominante à cette époque devint Juan Manuel de Rosas (1793-1877), vu par beaucoup comme un tyran. Il gouvernait la province de Buenos Aires et représentait les intérêts de l’Argentine à l'étranger de 1829 à 1852, sans qu'existe encore de gouvernement central pour l'ensemble du pays. Pour ses partisans, il figurait comme anti-impérialiste argentin en raison de son opposition à d'autres tyrans, amis d’empires étrangers ; dans sa politique, il n'accepta jamais comme définitive la désagrégation des Provinces-Unies du Río de la Plata (1810-1835), mais lutta au contraire pour que ces évènements menaçants ne s'aggravent pas, et avec l'espoir que les factions argentines comprendraient bientôt que l'unification était l'intérêt commun ; il était avant tout stigmatisé comme tyran par ceux qui étaient à la solde d'intérêts étrangers, ainsi que par les victimes de sa « para-police » implacable, la Mazorca, dirigée par sa propre épouse. Pour le point de vue opposé, il n'y avait pas, sous son gouvernement, de liberté de presse, ni de parole, ni de pensée, et l’instruction publique était inexistante. Une figure de proue de l’opposition à Rosas était Domingo Faustino Sarmiento, qui fut forcé de s’exiler au Chili à plusieurs reprises sous les menaces de mort émises par le gouvernement de Rosas à cause de ses écrits mettant en avant des idées « modernes, progressistes et européennes » (voir notamment son ouvrage intitulé Facundo), telles que l'école gratuite, laïque et obligatoire pour tous.

Pendant cette période l’Argentine était peuplée d'indigènes, ainsi que d'immigrés espagnols et de leurs descendants, les créoles (criollos). Certains d'entre eux étaient concentrés dans les villes, mais d’autres vivaient dans les pampas comme gauchos. L'économie rurale était basée presque exclusivement sur l'élevage de bétail. Cependant les attaques indigènes ou « malones » se poursuivaient, menaçant les frontières, surtout à l'ouest. L’Argentine avait acquis l'indépendance vis-à-vis de l'Espagne, mais la conquête espagnole de l’Argentine n'avait toujours pas été menée à bout.

Durant son long gouvernement, Rosas réussit à se faire beaucoup d'ennemis à l'intérieur, non seulement des unitaires bourgeois réfugiés à Montevideo, mais aussi d’autres caudillos, et ce même s'ils défendaient une position fédéraliste et qu'ils étaient en désaccord avec le monopole que continuait de détenir Buenos Aires sur son port. Ce monopole fut momentanément brisé durant le conflit de Rosas avec les impérialismes français et surtout britannique. L'émergence de la navigation à vapeur permettait désormais de remonter les fleuves avec rapidité, raison pour laquelle le Royaume-Uni et la France avaient armé d'importantes flottes commerciales et militaires composées de vaisseaux à vapeur et exigeaient la libre circulation sur les fleuves, ce qui leur assurerait le libre commerce. Les deux puissances réclamaient donc le droit de navigation sur le rio Paraná pour y commercer avec les autres ports, ce que Buenos Aires refusait.

Le conflit se mua en guerre avec le combat de Vuelta de Obligado, où les forces fédéralistes de Rosas tentèrent de bloquer le passage aux flottes étrangères. La bataille tourna à la déroute pour les forces de Rosas (). Cependant elle fut perçue comme un symbole de défense de la souveraineté nationale. L'action diplomatique habile du gouvernement de Rosas, doublé de l’appui de José de San Martín, finirent par transformer la défaite en victoire politique pour le gouvernement de la Confédération argentine, obligeant les puissances à reconnaître son droit à la souveraineté sur les eaux intérieures.

Caravane de chariots dans la pampa, peinture de Juan León Pallière, 1858.

Mais ces évènements avaient montré aux caudillos (et surtout à Justo José de Urquiza, gouverneur d'Province d'Entre Ríos) le pouvoir que donnait à Buenos Aires le monopole du commerce extérieur, ce qui favorisa un rapprochement entre les unitaires et les fédéralistes opposés à Rosas. Il se forma dès lors un clan anti-rosiste donnant lieu à la création de la Grande Armée, qui vainquit Rosas à la bataille de Caseros . Le gouvernement rosiste était renversé, et l'unité argentine accomplie, ou menacée, du moins théoriquement.

Naissance de l’Argentine moderne (1853-1916)

Adoption de la Constitution de 1853

Urquiza convoqua le Congrès constituant de Santa Fe (1853), qui approuva une Constitution de caractère républicain, représentatif et fédéral atténué, élaboré selon le texte “Bases y puntos de partida para la organización política de la República Argentina” de Juan Bautista Alberdi. Urquiza fut proclamé président de la Confédération. La Constitution fut amendée en 1860.

Dernières guerres civiles

Santiago Derqui fut élu président et Urquiza et Bartolomé Mitre furent nommés respectivement gouverneurs d’Entre Ríos et de Buenos Aires.

Les divergences dans le camp des vainqueurs (entre unitaires et caudillos anti-rosistes) conduisirent la province de Buenos Aires à rejeter cette Constitution et à se séparer de la Confédération argentine, qui établit dès lors sa capitale dans la ville de Paraná. En 1861, les armées de Buenos Aires mettent celles de la Confédération en déroute à la bataille de Pavón : Mitre, vainqueur face à Urquiza, fut nommé président constitutionnel en 1862 pour une période de 6 ans. Domingo Faustino Sarmiento allait lui succéder en 1868.

La guerre entre unitaires et fédéralistes resurgit à plusieurs reprises, opposant Mitre à Ricardo López Jordán en 1870-1871 puis à Nicolás Avellaneda en 1874, et enfin ce dernier à Carlos Tejedor en 1880.

Guerre contre le Paraguay (1864-1870)

En 1865, l'Argentine se vit impliquée dans le conflit opposant le Paraguay au Brésil. Mitre joignit ses troupes aux armées brésilienne et uruguayenne. Ainsi constituées, les forces de la Triple-Alliance mirent en déroute le maréchal paraguayen Francisco Solano López en 1870.

Guerre contre les Indiens (1878-1885)

Évolution territoriale de l'Argentine

La fin victorieuse de la guerre contre le Paraguay avait établi une frontière sûre au nord-est du pays et assuré à celui-ci la possession des territoires de Misiones et de Formosa.

Nicolás Avellaneda, successeur de Sarmiento en 1874, s'attacha à soumettre les terres encore occupées par les indigènes amérindiens. Durant la décennie suivante, lors de la Conquête du Désert, le général Julio Argentino Roca établit l’autorité du gouvernement national sur les vastes régions de Patagonie et du Chaco, en annihilant les peuples indigènes qui les peuplaient depuis toujours.

Le , le Congrès national déclara Buenos Aires capitale fédérale de la République.

Prospérité économique, République conservatrice (1880-1916)

Amoncellements de bois en attente de chargement sur le port de Santa-Fe. Comme au Chili, une partie de la prospérité du pays s'est faite grâce à l'exportation massive de bois vendu à bas prix vers le Royaume-Uni et autres pays d'Europe, induisant une déforestation suivie d'une régression et dégradation des sols.
La découverte de gisements de pétrole à Comodoro Rivadavia en Patagonie, en 1907, donne lieu à une exploitation importante.

Roca, bénéficiant d'une grande popularité à la suite de ses succès lors de la Conquête du Désert, fut élu président de la république en 1880. Après lui fut élu Miguel Juárez Celman (1886), qui démissionna en 1890, à la suite d'une tentative de soulèvement mené par Leandro N. Alem et d'autres dirigeants de l'Union civique radicale (UCR), fondée peu après ; le vice-président Carlos Pellegrini le remplaça. Ses successeurs sont Luis Sáenz Peña (1892), José Evaristo Uriburu (1895), puis de nouveau Julio Argentino Roca (1898). Ensuite, les présidents sont Manuel Quintana (1904), José Figueroa Alcorta (1906), Roque Sáenz Peña (1910), et Victorino de la Plaza (1914).

Pendant toute cette période, dite République conservatrice, l’économie se développa fortement, déterminant une époque globalement de grande prospérité, où l’Argentine devint l’une des dix premières puissances mondiales, du point de vue du PNB, au début du XXe siècle. Elle restait néanmoins loin derrière l'Australie et le Canada, si l'on prend en compte le pouvoir d'achat. Trois facteurs sont la cause de cet important essor : d'abord, la fin des guerres indiennes et donc la conquête de vastes nouveaux territoires agricoles ; ensuite, la modernisation de l'économie, l'adoption de techniques modernes et l'intégration du pays dans l'économie mondiale (essor du commerce et des investissements étrangers) ; enfin, l'arrivée massive d'immigrants européens dans une démocratie relativement stable, sans faire abstraction d’importants conflits sociaux.

En 1901, la Federación Obrera Argentina fut créée, donnant lieu en 1904 à l'importante Fédération ouvrière régionale argentine (FORA), dominée par l’anarcho-syndicalisme, et comprenant des figures telles que Diego Abad de Santillán, qui s'opposa dans les années 1930, lors de la Décennie infâme, à la « propagande par le fait », prônée par Severino Di Giovanni.

Les associations socialistes allaient se constituent dans les années 1890. En 1896 fut formé le Parti ouvrier socialiste argentin, qui faisait paraître La Vanguardia, « journal socialiste scientifique défenseur de la classe ouvrière ». En 1904, Alfredo Palacios devient le premier député socialiste d'Amérique latine. Le Parti communiste argentin fut fondé en 1918[8].

Les investissements étrangers provenaient surtout du Royaume-Uni et étaient principalement destinés aux infrastructures (chemins de fer et ports notamment construits pour le transport et l'exportation du bois et de produits agricoles).

Les immigrants contribuaient beaucoup au développement du pays, surtout dans les pampas occidentales. Ils arrivaient essentiellement de toute l'Europe, mais aussi d'ailleurs (chrétiens du Moyen-Orient).

De 1880 à la crise de 1929, l'Argentine était donc économiquement prospère, mais l'économie s’orientait de plus en plus vers l'exportation de matières premières et de produits agricoles et vers l'importation de produits industriels manufacturés. L'industrialisation ne se réalisa pas, et le modèle d'agro-exportation continuait de prévaloir, au profit du Royaume-Uni, et favorisant au sein du pays l'oligarchie des propriétaires terriens, qui détenaient de gigantesques domaines latifundiaires.

Alors que les ressources naturelles forestières les plus faciles à exploiter s'épuisaient, la situation devenait politiquement et socialement moins brillante. Les gouvernements de Roca et de ses successeurs s'alignaient sur les intérêts de l'oligarchie argentine. Les élections étaient entachées de fraude et de clientélisme électoral, le vote se faisant à main levée. Les forces conservatrices dominaient la république jusqu'en 1916, lorsque la loi Sáenz Peña sur le « suffrage universel » masculin, instituant le vote à bulletin secret, vint bouleverser l'ordre ancien et permit la victoire électorale des radicaux de l’UCR, rivaux traditionnels des conservateurs, et dirigés par Hipólito Yrigoyen. Les radicaux, qui avaient déjà effectué des tentatives de soulèvement contre le régime fallacieux et discrédité et proposé l'abstention pour lutter contre la fraude électorale, représentaient les classes moyennes en expansion auxquelles ils ouvrirent les portes.

Naissance du tango

Sur les bords du Río de la Plata de la fin du XIXe siècle, naissait un art nouveau : le tango-musique et le tango-danse.

Radicalisme (1916-1930)

Premier mandat d'Hipólito Yrigoyen (1916-1922)

Hipólito Yrigoyen fut le premier président élu par vote secret.

En 1916, Hipólito Yrigoyen, représentant de l’aile gauche de l’Union civique radicale (UCR), fut élu président grâce au suffrage universel et au secret du vote. Les conservateurs gardaient cependant la haute main sur le Sénat ainsi que sur la plupart des provinces. La démocratie s’installa progressivement en Argentine, avec les réformes sociales d’Yrigoyen, qui rompaient avec le refus de l’interventionnisme d’État prôné par le libéralisme économique classique de l’école de Manchester, et tendaient à favoriser l’industrialisation équilibrée du pays, tandis que la Cour suprême jouissait, jusqu'au coup d’État du général Uriburu, d’une indépendance prometteuse.

Politique économique

Elle se caractérise par un « Plan de la Terre et du Pétrole », octroyant à l'État un rôle important d’intervention dans l'économie. Yrigoyen déclara ainsi :

« La politique du président est de maintenir aux mains de l'État l'exploitation des sources naturelles de richesse, dont les produits sont des éléments vitaux du développement du pays… L'État doit acquérir une position chaque jour plus prépondérante dans les activités industrielles qui répondent principalement à la réalisation de services publics. »

En 1922, il décida la création de l'entreprise d'État pétrolière Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), bientôt la plus importante du pays.

Il fit voter des lois concernant les baux à métayage, pour protéger les colons face aux gros propriétaires terriens. La "Banque hypothécaire" fut réorganisée pour aider les petits propriétaires ruraux. Une législation sociale destinée à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière est adoptée (abolition du travail des enfants, salaire minimum pour certaines catégories de travailleurs, repos dominical obligatoire, recours à l'arbitrage pour les conflits sociaux)[8].

Enfin, la "Marine marchande nationale" fut créée. Yrigoyen lança également une politique d'expansion des chemins de fer d'État, provoquant quelques heurts avec de puissantes entreprises ferroviaires étrangères, notamment britannique. Il ordonna la construction d’une nouvelle voie ferrée vers le nord du Chili et l’Océan Pacifique.

Politique internationale

Yrigoyen soutint fondamentalement le principe d’autodétermination des peuples et d’égalité des nations face aux grandes puissances, sur la base suivante :

  • maintien de la neutralité argentine pendant la Première Guerre mondiale, mais avec de forts appels aux pays belligérants des deux camps.
  • convocation en 1917 d’un Congrès des nations latino-américaines non belligérantes pour définir une position commune face à la Première Guerre mondiale, qui échoua à la suite de la forte opposition des États-Unis.
  • face au traité de Versailles et à la création de la Société des Nations, soutien apporté à la séparation des deux actes, avec l’idée que le Traité est un problème limité aux pays qui s’étaient battus, mais que la SDN doit être une association égalitaire et volontaire de toutes les nations du monde, y compris les nations colonisées.

Politique du travail

Celle-ci demeure équivoque. D'un côté Yrigoyen fit voter les lois du travail et demanda au Congrès un projet de code du travail, réclamé depuis le début du siècle par le Parti socialiste (PS) et le mouvement ouvrier, et agit souvent comme médiateur dans des conflits. Mais d’un autre côté, il eut des relations conflictuelles avec le PS et avec le secteur majoritaire du mouvement ouvrier, lui déniant le droit de représenter les travailleurs argentins lors de la fondation de l'OIT en[...]1919.

Sous son gouvernement également eurent lieu les plus grands massacres ouvriers de l’histoire du pays : la Semaine tragique de 1919, à Buenos Aires, et les exécutions de masse lors des grèves insurrectionnelles, dites Patagonie rebelle, dans la province patagonienne de Santa Cruz en 1921-1922. Certains militants ouvriers se dirigèrent alors vers la lutte armée, comme en 1929 quand l’anarchiste Kurt Gustav Wilckens lança une bombe qui tua le colonel Varela, responsable des massacres de la Patagonie rebelle[8].

Par ailleurs, sur le plan de l’enseignement, il soutient la Réforme universitaire de 1918, mouvement engagé par la Fédération universitaire argentine (FUA).

Présidence de Marcelo Torcuato de Alvear (1922-1928)

Élu comme successeur d’Yrigoyen, Marcelo de Alvear (1868-1942), représentant de l’aile droite de l'UCR, prit le contrepied de son prédécesseur, entraînant une violente lutte politique entre yrigoyénistes et alvéaristes, aussi appelés anti-personnalistes. Chaque secteur du parti présente son propre candidat aux élections suivantes, les anti-personnalistes présentant comme candidat à la présidence Leopoldo Melo, tandis que Yrigoyen se présenta à nouveau.

Second mandat d’Hipólito Yrigoyen (1928-1930)

Yrigoyen ayant emporta le scrutin avec 60 % des voix, il constitua son nouveau gouvernement le .

En 1929 se produisit la Grande Dépression mondiale. Le radicalisme, avec Yrigoyen à sa tête, se montra incapable de répondre à la crise. Entre les deux ailes du parti radical éclata un conflit virulent, à un niveau de violence politique sans précédent dans l’histoire du pays depuis la fin des guerres civiles.

Coup d’État d’Uriburu, Décennie infâme (1930-1940)

Le , le général José Félix Uriburu (1868-1932) renverse le gouvernement constitutionnel, amorçant une série de coups d'État et de gouvernements militaires qui s’étendra jusqu’en 1983 et écrasera par la force tous les gouvernements issus d'élections libres lors d'un vote populaire.

Plongée dans la crise, l'Argentine s’engagea dans la période dite Décennie infâme, marquée par la fraude électorale et la corruption, par l’autoritarisme militaire et par le poids prépondérant de l'oligarchie, qui maintenait l'Argentine dans un statut de dépendance économique envers le Royaume-Uni.

Le "Parti fasciste argentin", succédant à la Légion civique argentine (1931), et future Alliance libératrice nationaliste (ALN, 1937-1955 puis 1973-1976), fut fondée en 1932. Le fascisme avait une influence plus large : ainsi, en , Manuel Fresco, admirateur de Mussolini et d'Hitler, réussit, dans un contexte de fraudes massives, à se faire élire gouverneur de la province de Buenos Aires.

1946-1955 : Juan Perón et le péronisme

Juan Perón prenant un café.
Juan Perón revêtu de l’écharpe de président.

En 1943, Juan Domingo Perón (1895-1974), alors colonel de l'armée, participa au coup d’État organisé par les militaires, et fut ensuite nommé secrétaire au Travail, puis vice-président du pays.

L'Argentine resta neutre lors de la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1944, puis déclara la guerre à l'Allemagne et au Japon dès la même année. Entre-temps, la popularité de Juan Perón augmentait rapidement, au point d'inquiéter sérieusement ses adversaires ainsi que l'ambassade américaine, avec à sa tête Spruille Braden.

Perón fut forcé de démissionner le , arrêté et emprisonné sur l'île Martín García. Cependant, d'imposantes manifestations populaires, organisées par la CGT d'Ángel Borlenghi, aboutirent à sa libération le . De ce jour est né le péronisme.

Le , Juan Perón remporta l’élection présidentielle et mena ensuite une politique en faveur des ouvriers (congés payés, augmentations de salaire, projets sociaux, etc.), tout en encourageant le renforcement des syndicats, désormais pièce maitresse du régime péroniste. Il nationalisa également les voies de communication appartenant jusqu'alors à des sociétés étrangères.

Perón admirait Benito Mussolini et Franco, et un certain culte de la personnalité était mis en œuvre. Cependant, malgré le style populiste et autoritaire de sa présidence, le général maintint le multipartisme et les élections démocratiques tout au long de son mandat, interdisant ainsi toute assimilation hâtive du péronisme au fascisme. Pendant cette période, l’Argentine figura aussi comme point de chute pour les réseaux d'exfiltration nazis[9]. Plus pragmatique qu'idéologique, cette politique était moins destinée à accueillir des criminels nazis qu'à profiter du savoir-faire de techniciens et de savants allemands.

Son épouse Eva Perón, surnommée « Evita », ancienne actrice d'origine modeste, très populaire auprès des pauvres, d'abord parce qu'elle était à la tête d'une organisation de charité, mourut en 1952 d'un cancer.

Les femmes obtinrent le droit de vote en 1947 et la légalisation du divorce fut rendue effective en 1954 (mais rapidement supprimé par le putsch antipéroniste de 1955)[10].

Années de violence et d'instabilité (1955-1983)

Le , les militaires sous le commandement du général Eduardo Lonardi accomplirent un coup d'État national-catholique contre Juan Perón, forcé à l'exil, et établirent le régime dit de la « Révolution libératrice » (Revolución Libertadora). Ce n’est que le premier d’une série de coups d'État et de tentatives de putsch[11].

Régime militaire dit Révolution libératrice (1955-1958)

Peu après, le général Pedro Eugenio Aramburu (1903-1970), représentant des milieux les plus violemment antipéronistes, remplaça Lonardi à la faveur d’une révolution de palais, prit le titre de président et abolit la Constitution réformée en 1949. Le Parti justicialiste (péroniste) fut mis hors-la-loi, amorçant un long cycle de violence et de conflits internes.

En 1956, le gouvernement militaire ordonna l'exécution de 31 militaires et civils péronistes, dont le général Juan José Valle, auteur d'un soulèvement péroniste : de ce massacre, perpétré dans la localité de José Leon Suárez, dans la banlieue de Buenos Aires, Julio Troxler est l’un des rares survivants.

En 1957, une élection fut organisée pour réformer la Constitution argentine, sans la participation des péronistes (maintenus dans l'illégalité). L’Unión Cívica Radical del Pueblo (es) (UCRP, 1957-1972), de Ricardo Balbín (1904-1981), anti-péroniste, remporta la première place. L’Union civique radicale intransigeante (UCRI), d’Arturo Frondizi, soutenait que l’abolition de la constitution et la convocation d'une constituante sans les péronistes étaient des actions illégales, et quitta l’assemblée constituante. Celle-ci valida l'abolition de la constitution de Perón de 1949 et rétablit celle de 1853, en y ajoutant une réforme concernant la protection du travail.

Présidence d’Arturo Frondizi (1958-1962)

En 1958, Arturo Frondizi (1908-1995), dirigeant de l’Unión Cívica Radical Intransigente, porteur d’un projet de développement du pays, remporta l’élection présidentielle, avec l'appui du péronisme toujours illégal, mais bien actif.

Coup d'État militaire, présidence José Maria Guido (1962-1963)

En 1962, le gouvernement Frondizi fut destitué par un nouveau coup d'État militaire, après que le parti péroniste eut remporté une série d'élections provinciales, obtenant notamment, avec Andrés Framini, la gouvernance de la province de Buenos Aires.

Au cours de la grande confusion régnant alors, la Cour Suprême désigna José María Guido, pour lors président provisoire du Sénat, comme nouveau président de la Nation : la décision fut avalisée par la junte militaire.

Présidence d’Arturo Umberto Illia (1963-1966)

Arturo Illia recevant le président français, Charles de Gaulle[12]. (Photo de Clarín du 4 octobre 1964)
Arturo Illia quittant la Casa Rosada après son renversement (photo de la revue Gente).

L'élection présidentielle du , de laquelle le péronisme demeura exclu, fut remportée par Arturo Umberto Illia (1900-1983), candidat de l'Unión Cívica Radical del Pueblo, avec Carlos Perette comme colistier. Les candidats de l'UCRI, Oscar Alende (es) et Celestino Gelsi (es), arrivèrent deuxièmes, tandis que l'Unión del Pueblo Adelante, (représenté par le binôme Pedro Eugenio Aramburu - Horacio Thedy) arriva troisième. Cependant, avec près d'1,7 million de votes blancs, l'abstention, signe de l'influence péroniste, était la seconde force politique du pays[note 1].

Le premier acte d’Illia consista à éliminer partiellement les restrictions et proscriptions pesant sur le péronisme. Le Parti justicialiste restait cependant interdit.

En 1965, le gouvernement convoqua des élections législatives, remportées par le camp péroniste avec 3 278 434 voix contre 2 734 970 pour l'UCRP.

Les trois années du mandat d'Illia se soldent par un succès économique certain : le Produit intérieur brut s'accrut de quelque 17,5 % de 1963 à 1965 [réf. nécessaire] ; la croissance de la production industrielle s’élève à près de 30 % [réf. nécessaire] ; la dette extérieure diminua notablement ; et le taux de chômage régressa de 8,8 % en 1963 à 5,2 % en 1966 [réf. nécessaire].

Cependant la montée en puissance du péronisme provoqua de sérieux remous au sein des forces armées, dont une partie restait liée aux péronistes, pendant qu'une autre leur était farouchement opposée. À cela s'ajoute une intense campagne de dénigrement menée par des milieux économiques au travers de certains médias. Ces journalistes surnommaient Illia « la tortuga » (la tortue), critiquaient sa gestion comme timorée et incitaient les militaires à le démettre, ce qui contribua à aggraver la faiblesse politique réelle du gouvernement.

Le général Julio Alsogaray (es) conçut un coup d'État qui amena au pouvoir le général Juan Carlos Onganía. L'idée du coup de force était soutenue par des factions militaires, mais aussi par des secteurs du syndicalisme et même par des personnalités politiques telles qu’Oscar Alende et l’ancien président Arturo Frondizi.

Dictature militaire (1966-1973)

Le , au milieu d'une indifférence quasi-générale, le général Juan Carlos Onganía (1914-1995) exécuta un nouveau coup d'État national-catholique. Le général Alsogaray se présenta à 5 heures au bureau présidentiel de la Casa Rosada, sommant Illia de se retirer. Celui-ci ayant refusé, le palais fut envahi quelque temps après par des policiers munis de pistolets lance-gaz et entouré par des troupes armées. Illia dut se retirer et fut destitué le lendemain par Onganía.

La mise en place du gouvernement d'Ongania fait figure de véritable choc autoritaire : dictature de la Révolution argentine. Le parlement fut dissous, les partis politiques également (leurs biens sont confisqués et vendus afin de confirmer la fin irréversible de la vie politique[13]. Le dictateur Ongania proclama le nouveau régime dit « Révolution argentine », qui allait se déployer en trois temps : économique, social et politique. Ongania concentra en ses mains tous les pouvoirs, le gouvernement commençant à corseter la société (censure, répressions diverses, violences anti-sociales, anti-universitaires avec la nuit des longs bâtons (es) du , etc.) et combattant par la violence les vives protestations syndicales.

La politique du général Ongania déboucha sur le Cordobazo du , équivalent du mai 68 français. Cette révolte spontanée eut lieu à Córdoba, deuxième ville du pays, très industrialisée (fabrication automobile) et caractérisée par un activisme ouvrier et étudiant. La répression policière très dure donna lieu à de violents affrontement (avec barricades, prises de commissariats, incendies, attaques de magasins…). Les milliers de personnes qui avaient pris le contrôle du centre-ville n’avaient aucune consigne et aucun organisateur. Les syndicats, les partis politiques (interdits), les centres étudiants étaient débordés par l’action. Le , le pays était paralysé par une grève générale.

Le Cordobazo est la première des puebladas (insurrections urbaines dans les villes argentines entre 1969 et 1975). D’une spontanéité surprenante, ces révoltes populaires exprimaient un profond mécontentement et un ensemble de revendications. Le pouvoir autoritaire avait coupé tous les moyens normaux d'expression, et des formes originales de protestations eurent lieu dans des petites villes, des quartiers…

La situation économique continuait à se détériorer, tandis que les puebladas encourageaient plusieurs groupes, péronistes ou non, à prendre le chemin d’abord de l’action directe (distribution d’aliments volés, etc.) puis de la lutte armée. Ces groupes, qui prenaient souvent des acronymes inspirés des armes fabriquées en Argentine, étaient nombreux, et parfois liés à la Jeunesse péroniste, devenu progressivement le mouvement de masse du péronisme. Il s’agit des Forces armées de libération (FAL), des Forces armées révolutionnaires (FAR), des Forces armées péronistes (FAP), de l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP) ou encore des Montoneros.

Ces derniers exécutent le général Aramburu en , ce qui pousse la dictature à instaurer la peine de mort le , pour les actes de terrorisme et d’enlèvement[14]. Les Forces armées péronistes (FAP) tentèrent, sans succès, de mettre sur pied un foco rural, avant de se lancer, en 1970-1971, dans la guérilla urbaine, inspirée par les Tupamaros uruguayens. Le mythe de l’ordre, seul capital d’Ongania, s'effondra totalement avec l'apparition de ces mouvements politiques (la Nouvelle Gauche).

Cette situation finit par provoquer la chute d’Ongania, remplacé le par le général Levingston (1903-2015), qui se mit en devoir d’approfondir la « Révolution argentine ». Cette ligne politique cependant échoua, provoquant une deuxième révolution de palais, où le général Alejandro Lanusse vint remplacer Levingston en 1971. Lanusse tenta de manœuvrer afin de permettre à l’armée de se retirer de la vie politique du pays, tout en essayant de ne pas perdre la face : c'est le « Grand Accord National », annoncé le , qui aboutit à la levée de l'interdiction des partis politiques et, finalement, au bout d’âpres négociations, aux élections de mars 1973.

Pourtant, cette ouverture de la vie politique coïncida avec une répression accrue, où la plupart des dirigeants des FAL furent soit assassinés, soit incarcérés en 1971, tandis que la spectaculaire évasion de la prison de haute sécurité de Rawson, en , se soldait par le massacre de Trelew, considéré aujourd'hui comme un des actes fondateurs du terrorisme d'État argentin. C’est aussi à cette époque qu’eurent lieu les premières disparitions forcées (Juan Pablo Maestre et son épouse, ainsi que le couple Marcelo Verd et Sara Palacio, tous membres des FAR, en etc.).

De façon générale, le Cordobazo avait inauguré une phase révolutionnaire en Argentine, où certains secteurs sociaux avaient pris conscience de leur force face à la faiblesse de l’État bureaucratique et autoritaire, alors acculé à chercher une sortie de l’impasse dans laquelle il s’était lui-même engagé à partir de 1966.

Retour du péronisme (1973-1976)

Le général Lanusse obtint que Perón ne soit pas candidat aux élections. Ce fut donc Héctor José Cámpora qui se présenta pour le Parti justicialiste, à la tête de la coalition FreJuLi (Front justicialiste de libération), laquelle sortit largement victorieuse des élections de mars 1973, le candidat justicialiste obtenant près de 50 % des suffrages. Le , le pays avait ainsi voté massivement contre les militaires et le pouvoir autoritaire, et croyait que ces derniers partiraient pour ne plus jamais revenir[15]. Toutefois, les Argentins qui avaient voté pour la coalition gagnante ne l’avaient pas tous fait pour les mêmes raisons.

Juan Perón ne pouvait pas participer à ce scrutin, le premier depuis 1965, et le premier à se tenir sans limitation des libertés civiles ni proscription d’un parti depuis 1946. Toutefois, en , Campora fut poussé à la démission par la « bureaucratie syndicale » et la droite péroniste, à la suite de quoi de nouvelles élections furent organisées.

Le retour définitif du général Perón fut marqué par le massacre d'Ezeiza, qui allait diviser le camp péroniste. En , quelques semaines après le coup d'État chilien contre Salvador Allende, Perón redevint président, aux côtés de sa troisième épouse et vice-présidente, Isabel Martínez de Perón.

Fin 1973, après plusieurs fusions, les mouvements armés se réduisaient à deux : les Montoneros, péronistes, et l’ERP, trotskiste.

Les tensions internes au justicialisme éclatèrent au grand jour, forçant le gouverneur de Buenos Aires, Oscar Bidegain (péroniste de gauche), à la démission, en , tandis que le gouverneur péroniste de Córdoba, Ricardo Obregón Cano (en), était victime en février d’un putsch policier, entériné a posteriori par Perón lui-même. Ces deux hommes, avec d’autres figures importantes du péronisme de gauche, créèrent alors le Parti péroniste authentique, lequel allait subir les vexations du pouvoir.

À la mort de Perón, le , la violence était déjà devenue, depuis la normalisation imparfaite du Parti justicialiste enclenchée en 1971-1972, un mode ordinaire de règlement des conflits au sein du péronisme, lequel agglomérait désormais de plus en plus de groupes, dont des nationalistes auparavant peu enclins à soutenir Perón (ainsi de la Concentración Nacional Universitaria, qui s'était illustrée en 1971 en assassinant l’étudiante Silvia Filler (1953-1971) à Mar del Plata). L’épouse de Perón, devenue présidente, devait faire face à de graves problèmes économiques, aux luttes intestines dans son parti politique et à l'escalade de la violence politique, pratiquée par de nombreux secteurs de la société ; l'extrême-gauche et l'extrême-droite péroniste notamment commençant à s'entretuer, avec les premiers attentats de la Triple A dirigée par le ministre d'Isabel Perón, José López Rega (1916-1989).

Guerre sale et dictature militaire (1976-1983)

Le général Antonio Domingo Bussi, chargé de l'Opération Indépendance en 1975-1976, gouverneur de Tucuman en 1976-1977, puis de 1995 à 1999, est condamné en 2008 pour crimes contre l'humanité et génocide.

Après avoir engagé l’« Opération Indépendance (es) » de contre-insurrection contre la guérilla de l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP) dans la province de Tucumán, avoir promulgué les décrets dits d'« annihilation de la subversion » et avoir généralisé l’état d'urgence, livrant ainsi le pays aux militaires, le gouvernement d'Isabel Perón fut évincé par le coup d'État du 24 mars 1976. À cette époque, les deux derniers mouvements guérilleros, l’ERP et les Montoneros, étaient quasiment démantelés, la guérilla de Tucuman ayant été annihilée tandis que nombre de Montoneros avaient été assassinés.

Le putsch était dirigé par le général Videla, avec l'appui des organisations patronales, notamment du secteur agricole. La Junte reçoit immédiatement le soutien des États-Unis, avertis du coup d’État en préparation. L’ambassadeur Robert Hill expliqua dans un câble diplomatique :

« Nous devons clairement éviter d’être assimilés à la junte. Ce ne serait bon ni pour elle ni pour nous. Néanmoins, dans la mesure où le nouveau gouvernement conservera cette position modérée, nous devons prêter attention à toute sollicitation d'aide qu'il nous adressera.»

En avril, les États-Unis fournirent 50 millions de dollars en aide militaire au régime de Videla. Le FMI accorde de son côté un crédit de 127 millions de dollars[16]. »

La junte militaire allait gouverner l’Argentine jusqu'au , généralisant les disparitions forcées (desaparecidos), l'internement arbitraire et la torture contre les opposants politiques, leurs familles (y compris les petits enfants), les amis, les voisins, etc., dans les 500 centres clandestins de détention. Dans le même esprit que l'Opération Indépendance, la junte utilisait les méthodes de la police française lors de la bataille d'Alger, notamment les vuelos de la muerte qui consistent à jeter à la mer depuis un avion les prisonniers préalablement drogués. Elle justifia cette guerre sale par la nécessité de lutter contre une « subversion communiste » (inexistante), comptant sur l'appui des milieux catholiques conservateurs, dont la Cité catholique fondée par le maurrassien Jean Ousset (1914-1994)[17], et reprenant la rhétorique de l'Occident catholique assiégé, en se plaçant dans la continuité de la bataille de Lépante de 1571…

Dans les années 2000, le général Bussi put ainsi continuer à justifier les crimes de la dictature, en affirmant que les guérilleros avaient infiltré la population civile. De nombreux Argentins furent contraints à l’exil, qui ne fut autorisé que plusieurs années plus tard, et la plupart durent fuir le pays clandestinement, les visas n’étant pas accordés.

2e marche des Mères de la place de Mai à Buenos Aires dénonçant les disparitions forcées d'opposants les 9 et .

Videla, Viola et Galtieri se succèdent à la tête de la junte. Les services secrets argentins, conjointement à ceux du Chili, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay, mirent en route l'Opération Condor, répression violente au cours de laquelle ils systématisaient les arrestations, assassinats, tortures et enlèvements politiques. Les militaires prirent des mesures sévères contre ceux qu'ils qualifiaient de terroristes et contre les personnes qu'ils soupçonnaient de les soutenir. Ces « terroristes » appartenaient pour la plupart à la jeunesse militante de gauche.

Entre 1973 et 1983, 30 000 personnes auraient disparu sans compter les centaines d'enfants et de bébés nés dans les centres clandestins de détention, qui furent soustraits à leur famille naturelle et adoptés sous de faux noms par des militaires et ceux qui les appuyaient. La plupart de ces enfants sont toujours recherchés par leurs grands-parents.

Dès 1977, le mouvement des mères de la place de Mai, infiltré par l'agent Alfredo Astiz, dénonce les disparitions et les assassinats, ce qui valut à ses fondatrices d'être enlevées, en même temps que les nonnes françaises Léonie Duquet et Alice Domon.

Les militaires argentins généralisèrent aussi dans toute l'Amérique latine les méthodes de contre-insurrection (Opération Charly), soutenant et entraînant les Contras au Nicaragua, intervenant au Honduras, au Salvador et au Guatemala, participant au coup d'État de Luis García Meza Tejada en Bolivie, etc.

Sous la conduite du ministre de l’Économie José Alfredo Martinez de Hoz, la Junte engagea des réformes économiques d'inspiration néolibérale[16].

Alors que le régime était de plus en plus contesté, il tenta de galvaniser les forces patriotiques de la Nation en déclarant la guerre au Royaume-Uni, au nom de la souveraineté argentine sur les îles Malouines. Si la guerre des Malouines, commencée en , atteignit partiellement l'objectif d'unification patriotique, elle provoqua aussi la chute du régime, défait en trois mois par l’armée britannique.

Retour à la démocratie (1983)

Présidence de Raúl Alfonsín (1983-1989)

Raul Alfonsín.

Le , des élections furent organisées pour renouveler le président, le vice-président, les gouverneurs de province et les représentants locaux. Le scrutin fut validé par les observateurs internationaux. Raúl Alfonsín (1927-2009), de l'Union civique radicale, remporta l’élection présidentielle avec 52 % des voix. Son mandat de 6 ans débuta le . Il œuvre notamment pour le rétablissement des institutions publiques et des droits et garanties constitutionnels, instituant le la Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas (Commission nationale sur la disparition des personnes, CONADEP) présidée par l'écrivain Ernesto Sábato, tandis que les principaux dirigeants de la junte sont jugés, en 1985, lors du Procès de la junte. Cependant, la « théorie des deux démons » est alors en vogue, mettant sur le même plan violences des groupes révolutionnaires et terrorisme d'État, comme si le second était une réponse au premier alors que les guérillas avaient été démantelées dès avant le coup d'État. L'ex-gouverneur Ricardo Obregon Cano (es) est aussi condamné, lors du Procès de la junte, pour « association illicite » avec les Montoneros, tandis qu'Oscar Bidegain est de nouveau contraint à s'exiler. Certains secteurs de l'armée s'opposent par ailleurs aux procès contre les militaires, suscitant plusieurs soulèvements armés des Carapintadas. À la suite de cette instabilité politique, le gouvernement Alfonsín promulgue des lois amnistiant les crimes commis par les militaires avec la loi du Point final en 1986.

Le retour à la démocratie entraîne de sérieuses améliorations au niveau des relations extérieures. Sous le mandat de Raúl Alfonsín se règle un différend frontalier avec le Chili qui écarte un risque de conflit, qui avait failli provoquer une guerre en 1978 (conflit du Beagle). Les deux pays signent le un traité de paix et d'amitié. C'est ensuite avec son rival régional le Brésil que l'Argentine se réconcilie le , date de la déclaration de Foz do Iguaçu. Cette déclaration est la première pierre de ce qui va devenir le Mercosur.

Au niveau économique, la situation du pays, tout au long de son mandat, est extrêmement difficile. Les prix sont en hyperinflation constante, atteignant déjà des records mondiaux en 1983[18]. Durant l'année 1984, l'inflation annuelle s'établit à 625 %, alors que l'augmentation moyenne des salaires n'est que 35 %. À l'approche de la fin du mandat présidentiel en , l'inflation mensuelle est 78 %, accompagnée d'une hausse vertigineuse du taux de pauvreté, passant de 25 % en mai à 47 % en octobre.

Sur ce fond d'emballement économique, Raúl Alfonsín annonce une élection présidentielle anticipée, qui a lieu le , et voit la défaite de l'Union civique radicale et l'élection de Carlos Menem (parti justicialiste).

Présidence de Carlos Menem (1989-1999)

Économiquement, le gouvernement de Carlos Menem mène une politique très libérale. Il réalise de nombreuses privatisations, notamment du pétrolier YPF (Yacimientos Petrolíferos Fiscales), le gazier Gas del Estado, ainsi que des services publics dans les médias télévisés, la poste, la téléphonie, la distribution d'eau et d'électricité, les transports ferroviaires etc. Pour attirer les capitaux étrangers, il relâche le contrôle de l'État sur l'économie, et le ministre des finances Domingo Cavallo instaure une loi de convertibilité entre le dollar américain et l'austral argentin (remplacé par la suite par le peso convertible, pour obtenir la parité 1 dollar valant 1 peso). Ces mesures permettent de diminuer drastiquement l'inflation, la ramenant à un taux proche de zéro au début des années 1990. Le pays souffre cependant encore d'un taux de chômage élevé, en lente diminution lors de ses premières années de mandat, puis à nouveau en hausse jusqu'à atteindre un pic à 18,4 % en à la suite de la crise de la Tequila au Mexique en 1994, qui touche aussi l'Argentine. Bien qu'en meilleur état qu'à la fin des années 1980, l'économie argentine reste fragile, car très dépendante de l'étranger.

L'Argentine sous Menem continue de promouvoir la création d'une zone de libre-échange en Amérique du Sud, notamment grâce à la signature du traité d'Asuncion le avec le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, traité qui donne officiellement naissance au Mercosur. Toujours en 1991, l'Argentine normalise ses relations diplomatiques avec le Royaume-Uni, interrompues depuis la guerre des Malouines.

Carlos Menem

Au début des années 1990, deux attentats touchent les Juifs en Argentine : tout d'abord un attentat contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires le , faisant 29 morts, puis le , une camionnette chargée d'explosifs qui tue 85 personnes, visant les locaux de l'Association mutuelle israélite argentine (AMIA). Cet attentat n'est toujours pas élucidé mais cette violence terroriste à caractère antisémite a favorisé conjointement à la crise économique qui sévissait un départ vers l'étranger et une revitalisation de l'ultra-orthodoxie juive[19].

En 1994, Carlos Menem négocie avec l'opposition une réforme de la Constitution autorisant un second mandat présidentiel et ramenant la durée du mandat de 6 à 4 ans. Il peut ainsi se présenter à sa propre succession. Il est réélu en 1995 pour un second mandat, qui débute le 10 décembre de cette année.

En 1995, le service militaire obligatoire en temps de paix est abrogé[20].

Pour ce second mandat, Menem maintient le même cap politique. Cependant sa popularité décroît rapidement. Il ne parvient pas à maîtriser le chômage qui reste élevé (12,4 % en , 13,8 % à la fin de son mandat), entraînant l'apparition du mouvement piquetero : il s'agit d'un mouvement social engagé à la suite du licenciement de travailleurs par la compagnie pétrolière YPF récemment privatisée, mouvement qui gagne peu à peu l'ensemble du pays.

De plus, l'Argentine augmente trop sa dette extérieure, qui franchit durant les mandats de Menem la barre des 40 % du PIB. Le troisième trimestre 1998 voit débuter une récession économique. Le bilan des privatisations est critiqué, les entreprises privatisées ayant contribué à augmenter le chômage, et si la qualité du service est jugée positive dans certains secteurs (électricité, téléphonie), elle l'est beaucoup moins notamment dans les transports ferroviaires. Enfin, de sérieux scandales de corruption achèvent de noircir ce mandat.

Poursuites contre les criminels de la dictature et amnistie de 1990

En 1983, l’une des premières décision du nouveau président Raúl Alfonsín avait été de créer la Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP) afin d'enquêter sur les disparitions forcées commises par les juntes militaires entre 1976 et 1983. La CONADEP publie un rapport en 1984[21].

Le s'ouvre le procès des juntes, qui doit juger les responsables militaires au pouvoir entre 1976 et 1983. Un tel procès n'a pas de précédent en Amérique latine. Il met en évidence un grand nombre de crimes commis par les juntes. Cependant, le gouvernement d'Alfonsín empêche le jugement de nombreux responsables, selon lui à cause des pressions effectuées par des militaires, dont l'influence reste importante. Il promulgue d'abord la loi du punto final, entrée en vigueur le , qui suspend une grande partie des procès contre les militaires.

Le les Carapintadas, un groupe de militaires mutins dirigé par le lieutenant colonel Aldo Rico, exige l'annulation des procès des militaires non exemptés par la loi du punto final. Les mutins sont tous neutralisés mais seulement deux sont arrêtés. Toujours est-il que le de la même année, la loi de l'obediencia debida est promulguée : elle absout de toute responsabilité les militaires chargés de la répression. Plus de 2 000 militaires auraient ainsi échappé à des poursuites[22].

En 1988, les carapintadas se rebellent encore à deux reprises, se rendant chaque fois dans les jours suivants mais parvenant à obtenir des concessions de la part du gouvernement.

En 1989, une organisation armée d'extrême gauche, le Movimiento Todos por la Patria (MTP), attaque le régiment militaire de La Tablada dans la province de Buenos Aires. Le groupe composé de 40 membres est mené par Enrique Gorriarán Merlo, fondateur de l'Armée révolutionnaire du peuple (ERP), qui prétend agir pour empêcher un coup d'État de la part des carapintadas[23]. L'armée réplique avec des armes au phosphore blanc, dont l'utilisation est prohibée par une convention internationale. Durant l'assaut, 39 personnes sont tuées (dont 28 appartenant au MTP) et 60 personnes blessées.

Juste après son élection, en 1990, Carlos Menem proclame, dans la continuité des lois déjà votées sous Alfonsín, une amnistie pour une « réconciliation nationale » visant aussi bien des militaires (dont Jorge Rafael Videla, Emilio Eduardo Massera et Leopoldo Galtieri) que des civils (dont des anciens guérilleros ou l'ex-gouverneur Oscar Bidegain) impliqués dans la guerre sale, avec une volonté affichée, selon les termes de Menem, de tourner « une page noire et triste de l'histoire de l'Argentine ». Par Carlos Menem effectue des coupes drastiques dans le budget militaire.

La même année, la justice française condamne par contumace le militaire argentin Alfredo Astiz à la prison à perpétuité pour l'assassinat de deux religieuses dans la funeste École supérieure de mécanique de la marine.

En , la justice espagnole est saisie pour juger les criminels des juntes militaires entre 1976 et 1983. En effet la justice espagnole se déclare compétente pour juger certains crimes comme les crimes contre l'humanité commis ou non sur le sol espagnol et par des étrangers comme par des Espagnols[24].

De plus, en dépit de l'amnistie, l'ancien dictateur Videla est placé en détention en 1998, sous le chef d'accusation de « vol de bébés », s'agissant d'enfants de victimes du régime, ce crime reconnu par la justice argentine n'étant couvert ni par l'amnistie de Carlos Menem, ni par les lois du punto final ou de l'obediencia debida.

Crise économique de 1999-2002 et redressement

Présidence de Fernando de la Rúa (1999-2001)

Les élections du donnent la victoire à Fernando de la Rúa (1937-2019), candidat d'une alliance de centre-gauche dirigée par l'Union Civique Radicale face au candidat du parti justicialiste.

Devant la détérioration de l'économie et des finances publiques, de la Rúa demande l'aide du FMI tout en maintenant la parité peso/dollar. La récession dans laquelle est plongé le pays provoque un début de fuite des capitaux étrangers et le début de la crise économique argentine. Le gouvernement annonce un investissement de 20 milliards de dollars pour des programmes de travaux publics afin de raviver l'économie, mais cela ne suffit pas à enrayer la fuite des capitaux.

Le système politique apparaît totalement mis en échec à partir de la démission du vice-président Carlos Álvarez, le , en plein scandale de pots-de-vin au sénat pour l'approbation d'une loi du travail qui ôterait aux travailleurs argentins leurs droits historiques.

En 2001, les gens perdent confiance et se mettent à retirer autant que possible des espèces qu'ils convertissent en dollars. Le gouvernement gèle les comptes, provoquant des émeutes qui finissent par s'en prendre aux compagnies étrangères. Fin 2001, des saccages, des grèves, des manifestations populaires déferlent sur tout le pays : l'état d'urgence est déclaré, les manifestations (concert de casseroles, cacerolazo) font des morts.

À la fin de 2001, le chômage atteint le taux de 20 %. De la Rúa décrète l'état de siège, et ordonne une répression féroce, qui provoque plus de 35 morts les 19 et . La rébellion populaire, loin de cesser, reçoit l'appui des classes moyennes dont les dépôts bancaires ont été expropriés. Le mot d'ordre principal des manifestations est, en  : « ¡Que se vayan todos! » - « Qu'ils s'en aillent tous ! ».

Le , De la Rúa fuit en hélicoptère et démissionne, ayant à peine accompli la moitié de son mandat. Trois présidents intérimaires lui succèdent en moins d'un an, incapables de stabiliser la situation.

Présidence d’Eduardo Duhalde (2002-2003)

En , le Congrès nomme Eduardo Duhalde (1941-), du parti justicialiste, pour achever le terme présidentiel. L'État est en cessation de paiement et les entreprises du pays connaissent de graves problèmes ; le nouveau président tente de rétablir la situation. Il supprime la parité du peso argentin avec le dollar, ce qui entraîne immanquablement une inflation galopante. Il consacre l'expropriation des petits dépôts bancaires du secteur privé, protégeant ainsi les intérêts des grandes banques et le secteur exportateur, ce qui aggrave la rébellion populaire.

Cependant, en 2002 la récession économique prend fin, et Duhalde provoque des élections anticipées pour le , qui amènent la victoire de Néstor Kirchner, à la tête du Front pour la victoire.

Présidence de Néstor Kirchner (2003-2007)

Rencontre en juillet 2004 entre Néstor Kirchner et le président du Venezuela Hugo Chávez.

Le , Néstor Kirchner (1950-2010) accède au pouvoir dans une Argentine économiquement ravagée. Malgré la fin de la crise annoncée par les analystes, le pays reste étranglé par sa dette extérieure et 20 millions de personnes sont toujours sous le seuil de pauvreté avec un chômage record, vivant grâce à une économie parallèle que l'État ne contrôle pas, les Argentins organisant par endroits leur autonomie alimentaire et éducative, refusant parfois toute aide de l'État.

Kirchner garde dans son gouvernement le précédent ministre de l'Économie, Roberto Lavagna. Les deux hommes parviennent à négocier en la diminution de la dette argentine auprès de ses créanciers, achevant ainsi un processus qui durait depuis plus de trois ans. Le bilan inclut une réduction d'environ 70 % des 82 milliards de dollars de dette, une conversion de cette dette en bons du trésor et un échelonnement des remboursements sur 42 ans. Malgré l'opposition de leurs partenaires (notamment l'Italie), ils réussissent à imposer cet accord avec un soutien massif de la population.

Au point de vue diplomatique, Kirchner rompt avec l'alignement traditionnel de Buenos Aires sur Washington (en), préférant favoriser des alliances régionales notamment au sein du Mercosur, refusant par exemple l'accord de libre-échange des Amériques (ZLEA)[25]. Critique du néolibéralisme et dans la mouvance du Brésil de Lula, l'Argentine sous Kirchner s'ouvre davantage vers des pays comme le Venezuela, qui rejoint d'ailleurs le Mercosur le . À l'initiative de l'Argentine et du Venezuela, six pays sud-américains s'associent en 2007 en vue de la création de la Banque du Sud. Il relance par ailleurs le programme nucléaire argentin en collaboration avec le Brésil.

Depuis 2005, les relations avec le voisin uruguayen se détériorent sérieusement à la suite d'un différend concernant la construction d'usines de cellulose sur le Río Uruguay, qui marque la frontière entre les deux pays. Les médias francophones donnent le surnom de « guerre du papier » à ces évènements.

Début 2008, le pays connaît d'importantes manifestations de fermiers en raison des taxes à l'exportation et de leurs impôts, ainsi qu'une pénurie de monnaie.

Levée de l'impunité à l'encontre des criminels de la dictature (2003)

Néstor Kirchner est élu notamment avec la promesse de lever l'immunité des criminels qui répandirent le sang dans le pays pendant les périodes de dictature.

Le , Nestor Kirchner abroge le décret interdisant l'extradition des criminels de la dictature. En août, les députés argentins adoptent à l'unanimité un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité[26]. Le Congrès national annule les lois du punto final et de l'Obediencia debida, décision confirmée par la Cour suprême de justice le .

En , le juge fédéral Norberto Oyarbide lève l'amnistie prononcée en 1990 par Carlos Menem pour Videla et deux de ses anciens ministres. Le , la Cour suprême confirme le caractère anticonstitutionnel de cette amnistie. Cette décision valide à nouveau les condamnations de prison à perpétuité rendues par la justice argentine lors du procès de 1985. Cependant, Roberto Viola et Leopoldo Galtieri sont aujourd'hui décédés, quant à Emilio Massera, est victime en d'une hémorragie cérébrale et ne pouvait plus comparaître devant les juges. Le général Antonio Domingo Bussi, chargé de l'Operativo Independencia, est cependant condamné pour crimes contre l'humanité en août 2008, bien qu'il purge sa peine à domicile. L'année suivante, c'est au tour du général Santiago Omar Riveros, chargé notamment du centre clandestin de détention de Campo de Mayo, d'être condamné, avec d'autres hauts militaires, à la prison perpétuelle pour crimes contre l'humanité.

En , des manifestations contre un allègement de peine dont pourrait bénéficier un ex-agent paramilitaire, accusé d'enlèvements et de tortures d’opposants sous le régime militaire, réunissent des centaines de milliers d'Argentins[27].

Alberto Fernández visitant François, premier pape argentin, en .

Présidences de Cristina Fernández de Kirchner, Mauricio Macri, Alberto Fernández (2007-2023)

La candidate du Parti justicialiste, Cristina Fernández de Kirchner, femme du président sortant, remporte l'élection présidentielle d'octobre 2007, et est investie en décembre. Elle est réélue en 2011 mais, ne pouvant se représenter en 2015, elle soutient la candidature de son vice-président qui est battu par Mauricio Macri, candidat de centre-droit. En 2019, l'élection présidentielle est remportée par Alberto Fernández avec Cristina Fernández de Kirchner comme vice-présidente.

Cette période est marquée par un redressement de l'économie et un lent retour des investisseurs étrangers, échaudés par la cessation de paiement de 2002.

2023- : présidence Javier Milei

Galerie présidentielle récente

Notes et références

Notes

  1. Les résultats sont les suivants :
    • Unión Cívica Radical del Pueblo (Arturo Illia - Carlos Perette) : 2 440 536 suffrages
    • Unión Cívica Radical Intransigente (Oscar Alende - Celestino Gelsi) : 1 592 872 suffrages
    • Unión del Pueblo Adelante (Général Pedro Eugenio Aramburu - Horacio Thedy) : 726 663 suffrages
    • Votes blancs : 1 694 718
    Au sein du collège électoral, la formation d'Arturo Illia obtient 270 voix sur 476 grands électeurs, le .

Références

  1. El Milodón fue un animal prehistórico que vivió hace 10 o 13 millones de años atrás
  2. Fauna del ambiente terrestre
  3. (es) Laura Lucía Miotti, Darío Hermo, Enrique Terranova et Rocío Blanco, « Edenes en el desierto. Señales de caminos y lugares en la historia de la colonización de Patagonia Argentina », Antípoda. Revista de Antropología y Arqueología, no 23,‎ , p. 161-185 (ISSN 1900-5407, DOI 10.7440/antipoda23.2015.08)
  4. (en) Xavier Roca-Rada, Gustavo Politis et al., Ancient mitochondrial genomes from the Argentinian Pampas inform the early peopling of the Southern Cone of South America, Iscience, , doi.org/10.1016/j.isci.2021.102553
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  20. « Argentine. Le président Menem annonce la suppression du service militaire obligatoire en 1995 », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. Le rapport peut se trouver sur le site « nuncamas.org »
  22. Argentine-crimes contre l'humanité : Kirchner et le juge Garzon brisent l'impunité - Compétence universelle de la justice espagnole (LatinReporters.com)
  23. Voir Clarín : « El ataque a La Tablada, la última aventura de la guerrilla argentina » (es) [2].
  24. Fédération des Associations pour la Défense et la Promotion des Droits de l'Homme - Espagne : [3].
  25. (en) Kirchner Reorients Foreign Policy : [4].
  26. Voir Latin Reporters.
  27. « Argentine : un demi-million de foulards blancs contre l’impunité d’un tortionnaire de la dictature », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne)

Annexes

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Bibliographie

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  • François Gèze et Alain Labrousse, Argentine : Révolution et contre-révolutions, Paris, Seuil, coll. « Combat », , 286 p.

Articles connexes

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