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Jean Marais

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Jean Marais
Description de cette image, également commentée ci-après
Jean Marais en 1948, studio Harcourt.
Nom de naissance Jean Alfred Villain-Marais
Naissance
Cherbourg, France
Nationalité France Française
Décès (à 84 ans)
Cannes, France
Profession Acteur
Films notables L'Éternel Retour
La Belle et la Bête
Le Bossu
Le Capitan
Le Capitaine Fracasse
trilogie Fantômas

Jean Alfred Villain-Marais, dit Jean Marais, né le à Cherbourg (Manche) et mort le à Cannes (Alpes-Maritimes), est un acteur français. Actif au théâtre comme au cinéma, il fut également metteur en scène, écrivain, peintre, sculpteur, potier et réalisait la plupart de ses cascades. Il reçut en 1993 un César d'honneur.

Biographie

Signature.

Enfance et adolescence perturbées

Jean Alfred Villain-Marais est officiellement[1] le fils d'Alfred Villain-Marais (1882-1959) et d'Aline Marie Louise Vassord (1887-1973), selon l'extrait de l'acte de naissance n°756/163, ville de Cherbourg.

Biographe de l’acteur, Sandro Cassati précise que la mère de Jean, d’origine alsacienne, née dans une famille déglinguée, fut recueillie par sa tante et prit le nom d’Henriette Bezon, nom officiel qu’elle utilisa pour son mariage en 1906, à Neuilly-sur-Seine.

Jean Marais n'a que cinq ans lorsque sa mère, décide de quitter son mari, de retour de guerre, qui exerce la profession de vétérinaire à Cherbourg. Elle part vivre en région parisienne avec ses deux fils (Henri et Jean), en banlieue ouest : au Vésinet, puis à Chatou. Comme elle est souvent absente, le petit Jean lui écrit alors des lettres d'amour mais c'est sa tante Joséphine qui inscrit l'adresse sur l'enveloppe. Il comprendra plus tard le secret de sa mère : kleptomane, elle effectuait des séjours en prison. Se faisant appeler Morel, elle adopte le prénom d'Henriette puis de Rosalie. La relation mère-fils complexe, passionnée et intense, va se faire plus forte encore du fait de l’absence du père. Jean Marais ne le reverra que près de quarante ans plus tard ; sa mère lui avouera alors que son vrai père était en fait son parrain, présenté comme étant son oncle, Eugène Houdaille[2]. Version par la suite contredite par un ami médecin de son père, le docteur Hervé.

Jean Marais a un fils adoptif, Serge Ayala (1942-2012, suicide), qui eut une brève carrière de chanteur en 1965-1966[3]. Dans l'émission L'Invité du jeudi présentée par Alain Cances diffusée le sur Antenne 2, Jean Marais conteste cette information et annonce qu'il a reconnu cet enfant[4]. D'abord jockey, Serge Alaya se lancera dans la chanson en 1966, avant de jouer aux côtés de Jean Marais dans le film Sept hommes et une garce (1967)[5].

Très jeune, Jean va souvent au cinéma entraîné avec sa mère et il tombe en admiration de l’actrice américaine Pearl White pour ses chevauchées fantastiques et ses qualités de cascadeuse. Mais Jean, lui rendant visite plus tard, sera très déçu en apprenant par elle-même qu’elle était toujours doublée dans ses films. « En somme, déclara Marais, toute ma carrière est partie de mon admiration pour cette femme qui ne faisait pas ce qu’on voyait à l’écran. » Douglas Fairbanks, le Zorro du cinéma muet et Mary Pickford, pour sa grâce juvénile, sont aussi ses stars préférées.

Enfant de chœur, Jean est cependant un élève très médiocre, sauf en récitation et en gymnastique au collège de Saint-Germain-en-Laye, où il devient chef de bande et bagarreur. Mauvaises notes, conduite dissipée, il est renvoyé. Inscrit au collège du Petit-Condorcet, puis interne à Janson-de-Sailly, avant retour à Saint-Germain où il intercepte la lettre d’exclusion de l’établissement. Après un séjour en pensionnat religieux réputé pour sa sévérité, Jean quitte la scolarité en classe de seconde, âgé de seize ans, pour entrer dans la vie active. Il est apprenti chez un fabricant d’appareils de radio, puis à l’usine Pathé de Chatou. C’est dans un atelier de photographie qu’il fait la connaissance d’Henri Manuel, un photographe portraitiste, qui lui donne ses premiers conseils de lecture, car Jean est alors totalement inculte, et l’aide à réaliser ses rêves de théâtre en lui indiquant un cours d’art dramatique à Montmartre. En 1932, Jean quitte la dernière habitation commune avec sa mère, rue des Petits-Hôtels (10e arrondissement de Paris) et part au service militaire âgé de dix-neuf ans.

Débuts au théâtre et au cinéma

Il démarre comme figurant en 1933 dans les films de Marcel L'Herbier. Celui-ci cependant ne lui donne jamais sa chance en tant qu'acteur, desservi, il est vrai, par sa voie de fausset.

Après avoir échoué au concours d'entrée au Conservatoire, en 1936, il étudie chez Charles Dullin, au théâtre de l'Atelier. Il y découvre les pièces classiques, où il tient des rôles de figuration, durant trois ans, payé dix francs par jour qui lui permettent de financer ses cours.

Rencontre avec Jean Cocteau

Jean Marais en 1942 (photo studio Harcourt)

En 1937, Jean décroche le graal en rencontrant Jean Cocteau, lors d'une audition pour la mise en scène de sa réécriture d'Œdipe Roi. Cette rencontre marque le véritable lancement de sa carrière : « Je suis né deux fois, le 11 décembre 1913 et ce jour de 1937 quand j’ai rencontré Jean Cocteau. » Le cinéaste et dramaturge tombe amoureux du jeune acteur, qui devient son amant, mais sera pour lui son mentor, s’occupant de son instruction littéraire et artistique, ne se moquant jamais de son inculture. De son côté Marais ne cessera jamais d’aider Cocteau à lutter contre son intoxication à l’opium. Marais « refusa d’entrer dans le cercle infernal de la drogue, révélant ainsi un trait constant de son caractère, son indépendance totale à l’égard de tous et de tout. » écrit Carole Weisweller, auteure d’une biographie de l’acteur.

En 1937, Cocteau donne à Jean Marais un premier rôle muet dans Œdipe Roi : il y joue le rôle du Chœur. Son rôle est muet car Jean ne maîtrise pas encore assez sa voix pour le théâtre, la cigarette l'aide à la transformer, au risque d'altérer sa santé. Dans cette pièce, Jean Marais apparaît vêtu de bandelettes, costume créé par Coco Chanel, amie de Cocteau et cela fait jaser. Quasiment nu, couché devant la scène, Jean regardant droit dans les yeux imposait le silence aux spectateurs qui chuchotaient ou ricanaient. La photo de Marais dans cette tenue scandaleuse, parut dans de nombreux journaux, à cette époque.

Puis la même année, Marais le chanceux obtient, en remplacement de Jean-Pierre Aumont, le double rôle de Galaad et du Galaad faux dans Les Chevaliers de la Table ronde de Jean Cocteau. Les critiques n’épargnèrent pas le jeune acteur : « Quant à Jean Marais, il est beau, un point c’est tout. » écrivait Pierre Brisson dans Le Figaro. Marais, le premier, reconnut qu’il manquait de métier et se résolut à travailler dur pour remplacer son physique par le talent. Il gagnait à présent soixante francs par jour, une fortune pour Marais lui permettant d’aider financièrement sa mère.

En 1938, Cocteau lui écrit rapidement une pièce sur mesure : Les Parents terribles qui devait sceller le destin théâtral de Marais lui donnant la reconnaissance de la profession. Marais y interprète le rôle de Michel : un jeune homme moderne, âgé de vingt-deux ans, avec des sentiments extrêmes qui rit, pleure, crie, se roule par terre. La pièce connut à plusieurs reprises la censure pour immoralité et excitation à la débauche. Les censeurs y voyaient un inceste entre la mère et le fils. Dix ans plus tard, en 1948, Cocteau donna une version cinématographique de la pièce avec Jean Marais, déjà âgé de trente-cinq ans, dans le rôle du fils et dans le rôle de la mère : Yvonne de Bray dont Marais avait une admiration débordante. Après la disparition de Cocteau en 1963, à son tour Jean Marais assurera la continuité et la fidélité de ce couple devenu mythique. Le 17 janvier 1977, au théâtre Antoine à Paris, Marais mit en scène Les parents terribles et interpréta, cette fois à l’âge de 64 ans, le rôle de Georges, le père de Michel.

Été 1939, Jean Marais est mobilisé, affecté à la base de Versailles puis transféré dans la Somme. Durant cette « drôle de guerre », il a pour mission de guetter l’arrivée des avions allemands du haut d’un clocher à Roye, oublié par sa compagnie, jusqu’à la débâcle et l’armistice.

Idole et résistant malgré lui

En 1941, au théâtre des Bouffes-Parisiens, Marais se lance, pour la première fois, dans la mise en scène de Britannicus la tragédie de Racine, réalisant les décors et costumes. Il s’attribue le rôle de Néron tandis que Serge Reggiani joue celui de Britannicus. Esprit frondeur, n’obéissant qu’à sa propre loi, Marais demande aux acteurs de jouer d’abord la situation et de ne pas ajouter de la musique aux vers comme c’était la mode à l’époque. Ce fut un succès mais la pièce ne se joua que dix fois.

Puis, il interprète le double rôle de Maxime et Pascal dans la nouvelle pièce de Cocteau, La Machine à écrire créée, dans une mise en scène de Raymond Rouleau, le 29 avril 1941 au théâtre Hébertot. D’abord refusée par la censure allemande, qui y voit une critique de l’Occupation, puis autorisée après suppression d’une scène, la pièce était partie pour faire des remous. En effet, elle fut à l’origine de l’un des plus grands scandales que connut Cocteau. L’attaque vient de la presse collaborationniste et particulièrement du journal Je suis partout. Le 12 mai 1941, François Vinneuil, alias Lucien Rebatet, auteur antisémite, signe un article intitulé « Marais et marécage » affirmant que cette pièce « est le type même du théâtre d’invertis ». Alain Laubreaux, quinze jours après, poursuit dans le même journal ce travail de destruction, accusant la pièce de décadence et de perversité. Selon lui, La Machine à écrire, avec ses lettres anonymes prétendant faire justice, à une époque où le régime de Vichy appelait quotidiennement à la délation, représentait l’exemple caractéristique du théâtre de l’anti-France. La suite du scandale est proprement spectaculaire : Jean Marais, croisant un soir de juin dans un restaurant Alain Laubreaux, « lui cassa la figure ». Cette scène violente sera reprise par François Truffaut dans son film Le Dernier Métro, en 1980.

En 1941, Jean Marais entre à la Comédie-Française mais n’y joue pas, à la suite de ses démêlés de contrat avec « le Français », provoquées par son engagement illicite pour un film de Marcel Carné Juliette ou la Clé des songes qui ne fut réalisé qu’en 1950 avec Gérard Philipe.

Ayant raté son entrée dans le monde du cinéma, Marais se reprend en partant pour Rome, en 1942, dans une Italie mussolinienne sinistre, pour jouer dans l'adaptation par Christian-Jaque de Carmen, avec Viviane Romance. Pour son premier grand rôle au cinéma, il est Don José, apprenant à monter à cheval et à effectuer ses premières cascades. Mais le film ne sortira sur les écrans qu'en 1945.

Toujours en conflit avec la Comédie-Française, Marais ne peut pas jouer Renaud et Armide de Jean Cocteau ; ce dernier est à nouveau victime d'une cabale, vraisemblablement menée par les collaborationnistes, et les représentations sont rapidement annulées.

En 1943, Marais joue un Tristan moderne dans L'Éternel Retour de Jean Delannoy. Le film connaît un triomphe. Jean Marais et Madeleine Sologne, deux blondeurs éthérées, formeront pour l’époque une sorte d’idéal romantique, les icônes d'une jeunesse qui voulait se reconnaître en eux. Jean Marais, devenu une star, lança la mode du pull Jacquard qu’il portait dans le film. Cependant il ne sera pas épargné par la critique d'Alain Laubreaux qui le qualifie de « L'homme au Cocteau entre les dents » et affirme qu'il ne doit son statut qu'aux hautes relations de Cocteau.

Le , Marais met en scène Andromaque de Racine au Théâtre Édouard VII, avec Alain Cuny mais la pièce est interdite dès le 28 mai par le secrétaire d'État à l'Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy, Philippe Henriot, qui déclare au micro de Radio-Paris que « les poses plastiques prises par messieurs Marais et Cuny dans Andromaque nuisent plus à la France que les bombes anglaises.» Jean Guehenno donne dans son Journal des années noires une note d'un journal dont il tait le nom sur cette interdiction : « La milice française est soucieuse de la protection intellectuelle de la France ainsi que de la moralité publique. C'est pourquoi le chef régional de la milice française pour l'Ile-de-France a prévenu le préfet de police qu'elle allait s'opposer à la représentation de la pièce scandaleuse de MM. Jean Marais et Alain Cuny, jouée actuellement au théâtre Édouard VII. M. le préfet de police a pris un arrêté interdisant immédiatement la pièce »[6]. Idole d'une génération, Marais gagne encore en popularité et devient un symbole de résistance à l'occupant.

Après la Libération de Paris durant laquelle il se joint aux combats, en , il s'engage dans l'armée française et rejoint la 2e DB du général Leclerc. Il y sert, accompagné de son célèbre chien Moulouk (qu'il a trouvé attaché en forêt de Compiègne en 1940 et adopté, et qui est apparu dans le film L'Éternel Retour), au sein du 501e régiment de chars de combat, ravitaille en vivres et carburant les chars, et y conduit une jeep baptisée Célimène, puis des camions. On salue sa bravoure, étant un des seuls conducteurs à rester au volant de son véhicule lors du bombardement de sa colonne à Marckolsheim en Alsace (modestement, il tiendra à relativiser dans ses interviews ultérieures cette attitude courageuse, l'expliquant par une volonté à ce moment d'être tranquille au chaud pour déguster des confitures de cerises)[7]. Il reste sous les drapeaux jusqu'en .

Jean Marais en 1947, photographié par Carl Van Vechten.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Cocteau écrit pour Marais La Belle et la Bête. Dans son Journal d'un film, Cocteau mentionne que le tournage de son film, auquel personne ne croit, démarre à Rochecorbon en août 1945, pour se terminer en janvier 1946. Le tournage a été très difficile à réaliser car Cocteau souffrait d’une grave maladie de peau. Hospitalisé à Pasteur, dans une cage de verre stérile, il ne fut sauvé de l'eczéma, que grâce à un nouveau médicament venu des États-Unis, la pénicilline. Avec ce film, y interprétant un triple rôle, Marais entre alors dans la légende.

En 1946, Marais abandonne son rôle dans Les Parents terribles à Daniel Gélin, pour jouer sur scène Stanislas, l'anarchiste amoureux de la Reine (Edwige Feuillère) dans la nouvelle pièce que Cocteau a écrit pour lui : L'Aigle à deux têtes. La pièce se joue durant un an à guichets fermés. La critique est dure pour l’auteur et cruelle pour son acteur : « C’est un acrobate, un point c’est tout », en parlant de la scène finale où chaque soir Marais meurt en tombant à la renverse du haut d’un escalier dans une chute spectaculaire, après avoir tué la reine. La pièce est jouée au théâtre de  la Fenice de Venise pour la Biennale du théâtre.  Après la version filmique de la pièce, l’année suivante, le couple Marais-Feuillère ne se reformera qu’en 1980 pour la pièce de de G B Shaw Cher menteur, adapté par Cocteau.

En 1947-48, Marais tourne au cinéma auprès de certaines des plus grandes vedettes féminines françaises de l'époque : Les Chouans avec Madeleine Robinson, Ruy Blas avec Danielle Darrieux, Aux yeux du souvenir avec Michèle Morgan, film qui scelle ses retrouvailles avec Jean Delannoy ; ce dernier l'engage à nouveau au cinéma plus tard dans La Princesse de Clèves avec Marina Vlady.

Changement de registre : L'émancipation

En 1948, Marais quitte l’appartement de Cocteau, au 36, rue de Montpensier, sous les arcades du Palais-Royal, pour une péniche à Neuilly-sur-Seine, Le Nomade, avant d'habiter en 1954 dans sa maison à Marnes-la-Coquette. Marais s'éloigne de Cocteau. Les rapports Cocteau-Marais se transforment en simples rapports mentor-disciple. Mais si son amour pour Cocteau se change en amitié, c'est une amitié à laquelle Marais restera toujours fidèle jusqu’au dernier jour du poète, décédé le 11 octobre 1963, dans sa maison de Milly-la-Forêt.

En 1948, il joue au théâtre dans Chéri une pièce de Colette avec Valentine Tessier mais pas dans la version filmique de 1950, laissant son rôle au profit de Jean Desailly, par solidarité pour sa partenaire de scène, évincée de son rôle à l’écran.

En 1950, il est Orphée dans l'un des plus célèbres films de Jean Cocteau, Orphée avec Maria Casarès et François Périer. « Tourné Orphée était pour moi une tâche plus glorieuse : c’était la plus belle récompense que j’aie jamais rêvée », déclara-t-il. Le film sera récompensé par le Grand Prix international de la Critique à la Mostra de Venise. C’est la dernière fois que Marais tourne avec Cocteau, auteur-metteur en scène, exceptée une courte apparition dans l’ultime film de Cocteau Le Testament d’Orphée en 1959, où Cocteau dans le rôle d’Orphée âgé croise, sans le voir, Marais jouant Œdipe aveugle.

En 1950, Marais fait la connaissance d’un danseur américain, George Reich. Ils resteront ensemble neuf ans.

En 1951, il est de retour pensionnaire de la Comédie-Française. Il y est à la fois comédien, metteur en scène et décorateur. C'est la première fois qu'une telle fonction est donnée à un comédien aussi jeune (il a moins de quarante ans). Pour la deuxième fois, il remet en scène Britannicus avec les comédiens de la salle Richelieu et lui dans le rôle de Néron. Son parti pris est de casser la déclamation, de ne pas faire « donner de la voix » comme c’est la règle dans la maison : « Les vers de Racine sont si beaux et si riches qu’il n’y a pas besoin de rajouter du chant : le vers est là, la rime et là » déclare-t-il dans son entretien avec Carole Weisweiller. Côté scandale, Marais est servi : huées, cris, sifflets avant qu’il ouvre la bouche. Chaque séance se termine par des bravos frénétiques mêlés aux vociférations outrageantes. On parle d’une nouvelle « Querelle des Anciens et des Modernes », d’une nouvelle « bataille d’Hernani ». C’est une véritable cabale organisée contre ce jeune présomptueux, vedette de l’écran venu s’exhiber dans le temple du répertoire classique. Étant pensionnaire du Français, Marais ne peut tenir le rôle d’Hans, le jeune paysan, dans Bacchus, la nouvelle pièce de Cocteau, montée par la compagnie Renaud-Barrault. En 1988, Marais aura à cœur de mettre en scène la pièce mais en interprétant le rôle de son âge, celui du Duc.

En 1952, il interprète consciencieusement Salle Richelieu, le rôle de Xipharès  dans Mithridate, et obtient un congé de trois mois pour aller tourner à Venise L'Appel du destin en jouant le rôle du père du jeune prodige, Roberto Benzi. À son retour exaspéré, il quitte définitivement la Comédie-Française en 1953 après une altercation avec l'administrateur Pierre-Aymé Touchard qui voulait l’obliger à jouer, malgré lui, le rôle de Roméo dans une adaptation de « Roméo et Juliette » qu'il n'aimait pas.

En 1954, Albert Willemetz, directeur du Théâtre des Bouffes-Parisiens, le nomme au poste de directeur artistique. Marais met en scène et joue aux côtés de Jeanne Moreau dans la pièce de Cocteau, créée en 1934, La Machine infernale. Et en 1955, dans le même théâtre, il met en scène, en réalisant les décors et costumes, la pièce de George Bernard Shaw Pygmalion avec Jeanne Moreau, remarquable dans le rôle d'Elisa.

Dans les années 1950, Marais est à l’apogée de sa gloire, le comédien enchaîne film sur film. Il retrouve celle avec qui il forme « le couple idéal du cinéma français », Michèle Morgan, dans un film de René Clément. Il tourne avec Alida Valli, Dany Robin, Jeanne Moreau, Danièle Delorme , Danielle Darrieux et la jeune Brigitte Bardot. Il tourne pour de grands cinéastes dont, Marc Allégret, Pabst, Sacha Guitry, Jean Renoir dans Elena et les Hommes où il partage la vedette avec Ingrid Bergman.

1954 est l'année de son plus grand succès au cinéma avec Le Comte de Monte Cristo, seconde adaptation, en couleurs, par Robert Vernay du roman d'Alexandre Dumas.

Jean Marais, photographié au milieu de la troupe des Blue Bell Girls du Lido de Paris, arrivant à l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol le 13 avril 1965.

En 1957, Luchino Visconti l'engage pour son film Nuits blanches avec un trio international d’acteurs : lui français, l’autrichienne Maria Schell et l’italien Marcello Mastroianni. Le film reçoit le Lion d'argent à la Mostra de Venise. L'année suivante, en 1959, Visconti reprend Marais dans la pièce Deux sur la balançoire, avec Annie Girardot.

Les films de cape et d'épée

En mars 1957, pour le Gala de l'union des artistes au Cirque d'Hiver (Paris), Marais présente un dangereux numéro de haute voltige, sans harnais de sécurité, au sommet d'une perche flexible à dix-huit mètres du sol, pour prouver que «les artistes peuvent ne pas tricher». Le réalisateur André Hunebelle, présent dans la salle, remarque sa performance et lui propose de mettre à profit son sens de la cascade. De poétique, sa carrière devient athlétique. Avec Le Bossu, son premier grand film de cape et d’épée, tourné en 1959, avec la complicité de Bourvil, Marais escalade, galope, ferraille, tenant avec panache, un double rôle. C'est le début d'une nouvelle destinée, à quarante-six ans. Marais est toujours aussi populaire, et ce nouveau registre, plus familial, lui permet de séduire un nouveau public encore plus important.

En 1960, il retrouve à nouveau Bourvil et André Hunebelle dans Le Capitan puis enchaîne une série de films de cape et d'épée dont Le Capitaine Fracasse en 1961 ou encore Le Masque de Fer d'Henri Decoin en 1962, son dernier film du genre, où il interprète, à presque cinquante ans, le rôle de d’Artagnan vieillissant.

Les films d’aventure et d’espionnage

Descendu de son cheval, Marais change de registre en s’essayant dans le film d’espionnage interprétant un  agent secret dans le doublé Stanislas en 1963 et 1965. Mais dans ce genre cinématographique, la concurrence est redoutable avec l’arrivée de la série des James Bond.

En perte d’audience, Marais change encore de registre et, cette fois, il connaît un nouveau triomphe au cinéma avec la trilogie Fantômas (1964-1967) dans laquelle il joue le double rôle du journaliste Fandor et de Fantômas. Il y effectue souvent ses propres cascades. Mais bien que le public afflue dans les salles et que le nombre d'entrées explose, Jean Marais estime que ces films n'ont pas le prestige des précédents. De plus, après avoir dû partager, dans la bonne entente, la vedette avec Bourvil, le voilà désormais presque relégué au rang de premier second rôle par Louis de Funès qui interprète le rôle du commissaire Juve. Un quatrième opus (Fantômas à Moscou) était prévu. Mais les deux acteurs, en compétition, ne s'entendaient pas et refusèrent de retravailler ensemble.

La série des films d’aventure n’est pas terminée mais l’étoile du cinéma commence à perdre de son éclat. Marais est toujours demandé mais dans ce genre où il ne convaincra pas entièrement et où le succès lui sera mesuré. L’audience baisse de plus en plus. Après les films de cape et d’épée où il fit merveille, le voici en costume moderne voué aux rôles de gentleman aventurier dont Le Gentleman de Cocody (1965) et Le Saint prend l’affût (1966) marqué par l’accident mortel de Gil Delamare en plein tournage.

À cette époque, Marais aurait dû interpréter le père du tout jeune Alain Delon dans un film sur l’histoire de Marco Polo. Le film se fit plus tard mais sans eux.

Fin de carrière

Jean Marais en 1993, à la 18e cérémonie des César.

En 1968, il semble délaisser pour un temps le grand écran et privilégie dès lors le théâtre où il met en scène, en réalisant les décors et costumes, Le Disciple du Diable de George Bernard Shaw, par fidélité pour Cocteau qui avait écrit l’adaptation en français en 1962.

En 1969, quelle ne fut pas sa joie lorsque Marcel Cravenne lui demande enfin d’être l’interprète du rôle de Renaud dans la version télévisée de la tragédie de Cocteau Renaud et Armide, rôle dont il avait été privé en 1943. C'est sa 1re expérience d’interprétation à la télévision.

En 1970, Jacques Demy lui offre dans Peau d'âne son dernier grand rôle au cinéma, celui  de ce roi amoureux de sa fille, interprétée par Catherine Deneuve.

Marais espère jouer le rôle principal du film de Visconti Mort à Venise mais c’est Dirk Bogarde qui est retenu. Le même Visconti envisage de porter à l’écran À la recherche du temps perdu avec Marais dans le rôle du prince de Guermantes. Projet abandonné. Autres déceptions, faute d’accords de producteurs, Marais doit renoncer à ses ambitions d’adapter le roman de Victor Hugo Les Travailleurs de la mer et  de réaliser un film musical, Mila, selon un scenario tiré d’un de ses contes. Son rêve de jouer dans un vrai western américain ne se réalisa jamais car ce genre cinématographique était passé de mode. Alors Marais vend sa maison de Marnes-la-Coquette (ne gardant qu’un petit studio à Montmartre, rue Norvins) et se retire dans les Alpes-Maritimes, d'abord à Cabris où meurt sa mère, en 1973 puis à Vallauris où il pratique, dans un style très fortement influencé par Cocteau, la poterie, la sculpture tout en poursuivant son activité théâtrale. Il y ouvre un magasin et même une galerie d'art grâce à un couple d'amis potiers, Jo et Nini Pasquali. « Je suis un artisan, pas un artiste. L’art m’attire, me fascine. J’aime m’en approcher, je respecte l’artiste, je l’aime, j’aimerais lui ressembler. Mais je place trop haut l’art pour me croire un artiste. » déclare-t-il à Gilles Durieux, auteur d’une biographie de l'acteur.

En 1973, sur le petit écran, il retrouve le succès pour sa huitième et ultime collaboration avec André Hunebelle dans le téléfilm en sept épisodes  : Joseph Balsamo. Il apparaît dans l'émission de télévision littéraire Italiques pour parler de Cocteau - Moretti, l'âge du verseau de Louis Nucera[8].

En 1976, il ouvre également un magasin où il vend ses poteries et ses peintures à Paris au 91, rue Saint-Honoré à l'enseigne Jean Marais, potier. La boutique est tenue par l'actrice Mila Parély qui joue le rôle de la sœur de la Belle dans La Belle et la Bête[9].

En 1983, il monte le spectacle Cocteau-Marais qu’il interprète seul en scène et devient le gardien de l'œuvre de Cocteau, sans en avoir légalement les droits.

En 1985, Jean-Luc Godard le contacte pour jouer le rôle de Joseph dans son film Je vous salue Marie, mais en vain.

En 1988, il enregistre la chanson On n'oublie rien, de François Valéry et Gilbert Sinoué, chez Franceval.

Au cours des années 1980 et 1990, il poursuit son abondante carrière au théâtre, avec de grands rôles comme celui de Don Diègue dans Le Cid, et joue aussi dans des pièces telles que Le Roi Lear, L'Alcade de Zalamea, Du vent dans les branches de sassafras, Don Gomès dans Hernani, La Maison du Lac avec Edwige Feuillère et Les Monstres sacrés avec Michèle Morgan.

On le retrouve, plus discrètement, au cinéma, en particulier dans Parking de Jacques Demy et Les Misérables du XXe siècle de Claude Lelouch. Il tourne un dernier film, Beauté volée, de Bernardo Bertolucci en 1996,

Dans une interview accordée à Bernard Pivot, Jean Marais précise n'avoir jamais fait de figuration dans Drôle de drame et avoir été remplacé à la dernière minute. Pourtant il suffit de visionner le film pour voir qu'il a bien joué le rôle d'un passant habillé en costume et haut de forme qui est assommé par un brigand travaillant pour le tenancier chinois du B&B où M. et Mme Molyneux se sont installés. Soit Jean Marais avait oublié, soit il ne voulait pas en parler.

Au cours d'un entretien télévisé pour Cinéma, Cinémas en 1987, après avoir évoqué sa violente altercation avec Alain Laubreaux, laquelle inspirera une scène du film Le Dernier Métro, Jean Marais confie à Raoul Sangla sa surprise de n'avoir jamais été engagé par François Truffaut, réalisateur dudit long métrage, et cinéaste régulièrement présent à chacune des représentations de l'acteur sur scène[10].

Il écrit quelques livres, contes et poèmes et dont ses Mémoires, Histoires de ma vie. Il est aussi l'auteur de L'Inconcevable Jean Cocteau. Sculpteur, il réalise, entre autres, une évocation du Passe-muraille, figée dans un mur de la rue Norvins à Montmartre, devant la maison de Marcel Aymé, auteur de la nouvelle éponyme.

Pour ses quatre-vingt ans, en 1993, Jean-Claude Brialy organise une grande fête en présence des personnalités du Tout-Paris. Moment intense d’émotion, d’autant plus que sa santé se dégrade. Il reçoit un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. En 1996, le 2 mai, le Président Jacques Chirac lui remet la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur.

Dernier passage sur les planches, au printemps 1997, interprète le berger Balthazar dans L'Arlésienne, aux Folies Bergère, aux côtés de Bernadette Lafont.

À l'automne 1997, Marais prépare son interprétation pour le rôle de Prospéro dans La Tempête de Shakespeare mais pour cause de maladie il doit interrompre les répétitions et par la suite le spectacle est définitivement annulé et l'acteur ne remontera plus sur les planches.

Souffrant d'un œdème pulmonaire (comme Jean Cocteau, trente-cinq avant), Jean Marais meurt, âgé de 85 ans, d'une insuffisance cardiaque à Cannes le . Il est enterré dans le petit cimetière de Vallauris, la ville des potiers, où il a passé les dernières années de sa vie.

Sa tombe y est profanée dans la nuit du 7 au [11].

Postérité

En septembre 1998, répondant à une interview de Denis Taranto, paru dans Paris-Match du 11 novembre 1998, Marais dit : « Je me fiche de la postérité » ; « ma postérité c’est Jean Cocteau »

À Paris, l’exposition Hommage à Jean Marais, Héros romantique d’aujourd’hui a lieu du 28 mai au 5 septembre 1999, au Musée de la Vie romantique

À Montmartre, près de la basilique du Sacré-Cœur, une place Jean-Marais est inaugurée le .

Une exposition Jean Marais, l'éternel retour lui est consacrée au Musée de Montmartre, du 4 novembre 2008 au 3 mai 2009, afin de saluer sa mémoire, dix ans après sa mort.

À L’Isle-Adam (Val-d’Oise), sa statue de Siaram en bronze est présente dans la perspective de l'Allée Verte. La salle de cinéma du Vésinet porte son nom, de même que le Théâtre de la mer de Golfe Juan et un boulevard à Cabris.

Au début des années 1950, il avait fait l'acquisition d'une grande propriété à Marnes-la-Coquette, mitoyenne au parc de Saint-Cloud, où il fit édifier un long pavillon encadré de deux courtes ailes, « subtil mariage de classique français et de colonial anglais », et aménager un atelier dans un ancien pavillon de musique du XVIIIe siècle[12]. Plus tard, il acquiert une maison à Vallauris dans l'arrière-pays provençal[13].

Jean Marais a eu une liaison avec l'actrice Mila Parély (1942–1944) qu'il manque d’épouser ; Cocteau, compagnon de l'acteur, était d'ailleurs d'accord avec cette union, décrite par Marais dans deux de ses livres, Histoires de ma vie (ses Mémoires) et L'Inconcevable Jean Cocteau.

Croyant mais non pratiquant, Jean Marais n'a jamais caché son homosexualité[14].

Filmographie complète

Distinctions

Récompenses


Nominations

Théâtre

Comédien

Metteur en scène

Disque

  • Jean Marais chante et dit Jean Cocteau, Disque Columbia, 1965.
  • David et Goliath, Disque le petit ménestrel, 1968.
  • Le Capitan, Disque Festival, 1971.
  • On n'oublie rien, Disque Franceval, 1988.

Bibliographie

  • Gilles Durieux, Jean Marais : Biographie , Paris, Éditions Flammarion, 2005 (ISBN 9782080684325)
  • Jacqueline Dellatana, Jean Marais, le gentleman du Midi, Éditions Autres temps, 2008 (ISBN 978-2-84521-329-6)
  • Romain Leray, Jean Marais, l’éternel retour, Éditions Arts’Talents, 2008 (ISBN 978-2-9532901-0-3)
  • Bertrand Meyer-Stabley, Cocteau-Marais, les amants terribles, Paris, Éditions Pygmalion, 2009.
  • Christian Dureau, Jean Marais, l’éternelle présence, Éditions Didier Carpentier, 2010   (ISBN 978-2-84167-645-3)
  • Bernard Splindler, Cocteau-Marais, un si joli mensonge, Éditions du Rocher, 2011 (ISBN 2268004414 et 9782268004419)
  • Carole Weisweiller et Patrick Renaudot, Jean Marais, le bien-aimé, Éditions de La Maule – 2013  (ISBN 978-2-87623-317-1)
  • Sandro Cassati, Jean Marais, une histoire vraie, City Éditions 2013 (ISBN 978-2-8246-0377-3)
  • Christian Soleil, Jean Marais, le Dernier héros, Paris, Éditions Édilivre, 2014 (ISBN 9782332674272)
  • Michel Mourlet, "Une visite à Jean Marais", chapitre d'Une Vie en liberté, Éditions Séguier, 2016.

Box-office France

Box-office français en millions de spectateurs (films ayant dépassé les 2 millions de spectateurs en salles) :

Prix et récompenses

Publications

Notes et références

  1. Dans sa dernière biographie, Jean Marais révèle qu'il est né d'une liaison de sa mère avec un homme marié, de la bourgeoisie cherbourgeoise.
  2. Jean Marais, Histoires de ma vie, page 228.
  3. « Serge Ayala », sur Discogs (consulté le )
  4. Photo de Serge Villain-Marais. Il peut y avoir eu confusion entre "adoption" et "reconnaissance". Par facilité de langage, les termes "fils adoptif" ont pu être utilisés au lieu de "fils reconnu", mais dans les deux cas, adoption ou reconnaissance, cela a créé un lien de filiation entre Jean Marais et Serge Alaya
  5. L'Écho républicain de la Beauce et du Perche, 20 juillet 1966 : "Serge Ayala débute dans la chanson et le cinéma et n'aime pas que l'on dise qu'il est le fils adoptif de Jean Marais"
  6. Jean Guehenno, Journal des années noires, Folio Gallimard no 517, 2002, p. 410
  7. Sandro Cassati, Jean Marais une histoire vraie, , 240 p. (ISBN 978-2-8246-4999-3, lire en ligne), p. 99.
  8. Italiques, deuxième chaîne de l'ORTF, le 28 septembre 1973.
  9. Télé 7 Jours no 838, semaine du 5 au 11 juin 1976, pages 52 et 53, article de Georges Hilleret : "Parce qu'il ne joue plus assez, Jean Marais ouvre, à Paris, un magasin de poteries".
  10. Thomas Boujut, « Cinéma Cinémas - Jean Marais - 1987 », (consulté le ).
  11. « La tombe de Jean Marais pillée au cimetière de Vallauris - France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur », France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  12. Demeures et jardins de vacances / Du côté de Marnes-La-Coquette "Plaisir de France" no 201, juin 1955, p. 12-13
  13. Françoise de Valence, « Une maison à cœur ouvert », dans Maison et Jardin no 320, février 1986, p. 110 à 114 ; une des photos de l'intérieur par Gérard Martinet montre dans la bibliothèque un grand portrait en pied de Jean Cocteau peint par A. Quellier.
  14. Jean Marais, Histoires de ma vie, Albin Michel, 1975
  15. inamediapro site de l'INA, consulté le 19 février 2010

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