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Guerre du Rif

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Guerre du Rif
Description de l'image Infobox collage for Rif War.jpg.
Informations générales
Date 1921-1927
Lieu Protectorat espagnol (au nord du Maroc)
Issue Fin de la république du Rif
Belligérants
Espagne
(1921-1927)
Drapeau de la France France
(1925-1927)
Drapeau de la République du Rif République du Rif
Commandants
Manuel Sylvestre
Dámaso Berenguer
José Millán-Astray
Miguel Primo de Rivera
Drapeau de la France Philippe Pétain
Drapeau de la France Hubert Lyautey
Drapeau du Maroc Moulay Youssef
Abdelkrim el-Khattabi
Abdel-Salam Mohammed Abdel-Karim
Mhamadi Bojabbar Mohamed, les Aït Ghannou
Ahmed Heriro jebli
Haddou Mouh-Ameziane
Mohamed Cheddi
Caid Bohout
Forces en présence
63 000 à 125 000 soldats[1]

Drapeau de la France 60 000 soldats[1]
Sources espagnoles :
80 000 irréguliers[1],

Autres sources :
1925 : 35 000-50 000[2]
1926 : moins de 20 000[2]
Pertes
50 000 morts[3]
Drapeau de la France 10 000 morts[3]
100 000 morts[4]

Batailles

La guerre du Rif était une succession de conflits armés opposant les armées des puissances coloniales espagnole (de 1921 à 1927), alliées aux troupes françaises (de 1925 à 1927), aux tribus berbères du Rif, coalisées autour de leur chef, Abdelkrim el-Khattabi.

Contexte historique

Face aux Espagnols et aux Français exploitant le « terrain conquis » au XIXe siècle, la société rifaine est composée de tribus, dirigée par une assemblée et présidée par un chef, l’Amghar. Les uns comme les autres, outre leur rayonnement culturel ou économique, manifestent leur pouvoir par des démonstrations de force.

Dans le cadre de sa politique de colonisation face à celle de la France, l'Espagne voulait ainsi étendre son contrôle sur des territoires au nord est du Maroc afin de protéger les ports qu'elle exploitait sur les côtes de la Méditerranée.

Toutefois, c'était sans compter avec les autochtones, soucieux de préserver leur propre autorité et leur propre culture et de les défendre, d'où les exactions. De surcroît, le mode de vie et les structures sociales des parties en présence entrent en permanence en conflit indirect avec ceux des puissances coloniales, récemment implantées sur leur territoire.

De conflits isolés, les affrontements deviennent peu à peu une guerrilla, face à laquelle les méthodes militaires classiques doivent être adaptées. C'est aussi ce qui explique le décalage de l'implication française.

Compte tenu du rapport des forces et des méthodes employées — utilisation du gaz « moutarde » d'un coté, bouclier humain de l'autre —, la lutte, d'abord inégale, devint donc confuse.

La tactique rifaine sera employée dans des conflits ultérieurs, aspirant cette fois à servir non plus l'intérêt d'un seul mais un intérêt général commun : l'indépendance d'une nation. Alberto Bayo enseignera aux Cubains ces techniques de guérilla : Che Guevara (Cuba), Mao Zedong (Chine) et Hô Chi Minh (Vietnam) s'en inspireraient[5],[6].

Contexte géographique

Fichier:Ancien protectorat espagnol au nord du Maroc (Ancien Rif espagnol).png
Carte du Nord du Maroc indiquant les territoires sous protectorat espagnol.

La zone nord du protectorat espagnol, telle qu'établie par le traité franco-marocain de Fès, puis de la convention franco-espagnole de Madrid de 1912, est couverte en partie par la chaîne de montagnes du Rif, qui est une des quatre chaînes du territoire marocain. Elle comprend alors, de l'ouest vers l'est, les territoires de quatre tribus :

  • la Jbala-Luxos entre Tanger au nord et Alcazarquivir (Ksar El Kébir) au sud (Rif occidental) ;
  • la Gomara (ou Chaouen) entre Oued-Laou au nord et Chaouen au sud (Rif occidental) ;
  • le Rif central englobant la baie d'Al Hoceïma (anciennement Villa Sanjurjo) et enfin ;
  • le Rif oriental ou Kert, de Midar à Berkane, comprenant Nador et Melilla (une partie du Rif oriental étant sous protectorat français et s'agissant de la province de Berkane et du nord des provinces de Taza, Guercif et Taourirt).

Opérations militaires

Soulèvement d'el-Raisuni

Le commandant espagnol Manuel Fernández Silvestre souhaite devancer une éventuelle poussée française vers Tanger et Larache. Il se heurte toutefois à un chef de guerre local, Mohamed ben Abdallah el-Raisuni, qui irrite les puissances occidentales par ses exactions pour son profit personnel (prise d'otages étrangers, libérés contre rançon), qui menacent la sécurité de la route de Tétouan. Après des combats dans l'oued Ras et Beni Sidel, il subit un échec face à Gonzalo Queipo de Llano à Alcazarquivir. Il se livre alors à une guérilla dans la Jbala et provoque des agitations dans la région de Melilla. Le Djebel Gurugu est à son tour menacé en 1916.

Anoual

Le général Silvestre avec ses officiers près de Melilla le 6 février 1921.

C'est alors que Mohamed Abdelkrim el-Khattabi, dit Abd el-Krim, remet la colonisation tant espagnole que française en question. Il cherche à unifier les Rifains et à organiser une armée de libération du Rif, contre l'Espagne et à la France.

En 1921, l'armée espagnole fait face aux rebelles à la bataille d'Anoual.

Le général Manuel Fernández Silvestre dispose d'une puissante armée de 60 000 soldats espagnols pour contrer la tribu des Beni Ouriaghel à laquelle s'allient les tribus Ibaqouyen, Aït Touzine, les Aït Oulichek, Tafersit et Temsamane.

Toutefois, le , il subit une écrasante défaite où périssent 12 000 de ses hommes. Vaincu et humilié, le général espagnol se suicide le . Les Espagnols abandonnent l'arrière-pays à Abd el-Krim, qui y fondera la République du Rif.

Après Anoual

Après la victoire spectaculaire d’Anoual, Abd el-Krim renforce son pouvoir en créant un État, la République du Rif, avec un gouvernement et une administration centralisée. La présidence n'est pas élue mais dévolue à Abd el-Krim el-Khattabi, une délégation générale attribuée à son frère d’Abd el-Krim, M’hamed el-Khattabi, ministère de la Guerre dirigé par Ahmed Boudra, celui de l’Intérieur conduit par le caïd Lyazid, celui des Affaires Étrangères octroyé à Azerkane, celui des Finances donné à Abd es-Salam el Khattabi, celui de la Justice et de l’Instruction confié au faqih Zerhouni.

Ces institutions sont renforcées par l’application de la charia islamique qui interdit les affrontements entre les différentes tribus au sein de la République. Cela est particulièrement important dans une région marquée par les solidarités claniques et où la logique de la vendetta se substitue souvent au droit. De plus, une intense action d’éducation est menée par des caïds et des fouqaha chargés d’expliquer le nouvel ordre local ou encore des mesures comme l’interdiction du thé ou du tabac.

Les formations militaires, fortes de vingt à trente mille hommes, âgés de 16 à 50 ans, sont divisées en « mia », des compagnies d'une centaine d'hommes, qui sont elles-mêmes subdivisées en groupes de vingt-cinq à cinquante hommes, encadrés respectivement par des mokaddem et des caïds khamsine[7], assez bien équipés en armes saisies à l’ennemi ou achetées à l’étranger.

République du Rif

Abd-el Krim réunit ainsi les chefs tribaux, et proclame la République confédérée des tribus du Rif dont il est président le . Les tribus rifaines prêtent allégeance au leader du Rif, Abd-el Krim, lors d'une cérémonie appelée la bay'a. Cette bay'a est un défi lancé au protectorat français et au sultan Moulay Youssef surnommé le sultan des Français. En effet, la bay'a est une cérémonie traditionnellement réservée aux monarques chérifiens. De plus, Abd-el Krim s'octroie le titre de Commandeur des combattants de la foi concurrençant une fois de plus la légitimité du sultan Moulay Youssef. Ce dernier ne voyait pas d'un bon œil, l'émergence d'un leader, luttant contre les colonialismes français et espagnols au Maroc. C'est la raison pour laquelle Moulay Youssef déclara au Maréchal Lyautey : "Je ne veux pas traiter avec Abd-el Krim, j'espère que vous me débarrassez le Maroc de ce rebelle". La résistance rifaine menaçait non seulement les protectorats français et espagnols au Maroc, mais également le pouvoir alaouite qui ne respectait pas ses engagements envers les tribus notamment la préservation de l'indépendance du pays. Effectivement, au Maroc, de tout temps, la soumission des tribus à un pouvoir était conditionnée à sa capacité à conserver l'indépendance du pays, sinon ces dernières se rebellaient et portaient au pouvoir une nouvelle dynastie.

Intervention franco-britannique

Les Français et les Britanniques, sentant leur projet colonial menacé, interviennent aux côtés des Espagnols à partir de 1925.

Légion espagnole

Une guerre contre les Espagnols s'ensuit, qui doivent se retirer sur la côte. Ils n'occupent plus en 1924 que Ceuta, Melilla, Assilah et Larache.
L’Espagne refuse progressivement d'exposer ses conscrits et envoie à la rescousse au Maroc surtout les Regulares et en , la Légion espagnole, d'abord commandée par Millán-Astray puis par Franco. Ce dernier se retrouve à la tête de deux banderas puis à la tête du Tercio[8].

Comme commandant de la 1re Bandera, il engage le combat à Driouch en . Il contient les Rifains qui menaçaient Melilla. Puis, la bandera est engagée contre les positions rifaines et il enlève à la baïonnette Tizi Azza. Le , le colonel Rafael Valenzuela, qui commande le Tercio, est tué en portant secours à Tizi Azza. Francisco Franco est nommé commandant du Tercio le et bat les rebelles d'Abdelkrim le à Tifarouine, à l'est de Melilla.

Guerre chimique

À ce moment débutent les bombardements chimiques. D'après le général de l'aviation espagnole Hidalgo de Cisneros dans son autobiographie Cambio de rumbo[9], il est le premier à larguer, depuis son Farman F60 Goliath au cours de l'été 1924, une bombe de 100 kilogrammes de gaz moutarde, arme chimique fabriquée avec l'aide du chimiste allemand de Hambourg Hugo Stoltzenberg[10].

Intervention française

En , le Tercio couvre la retraite de Xauen. L'Espagne cherche à négocier un accord avec Abdelkrim, qui déclenche une insurrection générale en Yebala et en Gomara.

Abdelkrim attaque alors par surprise la zone française, ce qui entraîne immédiatement une alliance de l'Espagne avec la France. La France intervient pour secourir l'Espagne et éviter la contagion au reste du Maroc, alors sous domination française. Des postes avancés sont installés par l'armée française et provoquent donc l'affrontement avec les troupes rifaines, écrasées lors de l'offensive française vers Fès pendant l'hiver et le printemps 1925. La France envoie en particulier plusieurs divisions de l'Armée du Rhin, soit des milliers d'hommes en renfort appuyés par des chars FT, une puissante aviation et de l'artillerie lourde.

En , la flotte française soutient le débarquement espagnol d'Al Hoceima[11], première opération amphibie aéronavale de l'histoire[11].

Le maréchal Lyautey, résident général au Maroc depuis 1912, écrit en 1925 : « En présence des éventualités créées par la soudaineté et la violence de l'irruption des Rifains..., il est impossible de rester dans cette situation, sous peine, je le dis nettement, de risquer de perdre le Maroc[12] ».

Il obtient des victoires, mais il est remplacé par le maréchal Pétain. L'aide de camp de Pétain, Charles de Gaulle, reproche à son supérieur d'avoir accepté de succéder au résident général et rompt avec ce premier[13].

Presque tous Les journaux français soutiennent les opérations visant à réprimer l'insurrection : « Il faut renforcer les effectifs, il faut de l’aviation, il faut intensifier notre action », affirme le Petit Journal. À gauche, L'Humanité s'y oppose cependant : « Pétain et Primo de Rivera ont préparé une liquidation aussi prompte et aussi complète que possible de l’aventure rifaine. De beaux jours en perspective pour les bouchers étoilés et les fabricants de munitions »[14].

La promotion 1924-1926 de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr porte le nom de « Promotion du Rif ».

Défaite rifaine

En automne 1925, des négociations échouent à cause des exigences des colons européens.
Depuis plusieurs mois, Franco et le général Dámaso Berenguer ont présenté un plan de débarquement dans la baie d'Alhucemas. Les troupes franco-espagnoles repoussent les Rifains.
Le Tercio établit une tête de pont dans la nuit du et prend le les hauteurs du Djebel Amekran, nid d'aigle d'Abdelkrim.
Le , le débarquement franco-espagnol reçoit l'appui de l'artillerie d'une escadre franco-espagnole. La route d'Ajdir est ouverte. Abdelkrim est contraint à la reddition, à Targuist le [15].

Abdelkrim captif

Abd el-Krim en couverture de Time le .

Abdelkrim est envoyé en exil à l'île de la Réunion en 1926, d'où il s'évade vingt ans plus tard pour fuir en Égypte, où il meurt en 1963.

Des opérations de police suffisent à briser les dernières dissidences des derniers montagnards rifains résistants.

Abdelkrim se plaignit à la Société des Nations de l'utilisation par les aviations espagnole et française de gaz moutarde sur les douars et les villages[16].

Émergence de l'aviation comme arme déterminante

La guerre du Rif marque l'émergence de la première génération de pilotes militaires formés dans les écoles de l'armée française.

On ne parle d'ailleurs pas encore d'armée de l'air mais encore d'aviation militaire, dépendant du ministère de la guerre.

De nombreux jeunes pilotes découvrent alors la réalité des manœuvres de l'aviation militaire, embarqués sur des appareils d'observation et de bombardements d'une grande vétusté. Contrairement à leur supérieurs hiérarchiques, ce ne sont pas des "héros" de la Première Guerre mondiale, mais, engagés dans des opérations de reconnaissance et d'appuis à l'armée de terre, ils apportent une nouvelle dynamique aux opérations.

Conclusion

Le but de cette guerre pour les forces françaises était de conserver l'influence de la France sur son protectorat marocain mais aussi de soumettre les autochtones berbères à l'autorité arabe du « Sultan » Moulay Youssef, dont le troisième fils est devenu, à l'indépendance du Maroc, le roi Mohammed V, premier souverain du pays indépendant et grand-père du roi actuel Mohammed VI. De nombreuses opérations de l'armée française sont alors effectuées à la demande du Service des « affaires indigènes » (bureau de renseignement). Par ailleurs, la défaite de Ouargha en 1925 signe la fin de la souveraineté de Lyautey sur le Maroc et l'émergence de Pétain, plus implacable que son prédécesseur, et celle d'un autre géneral, Francisco Franco.

Voir aussi

Bibliographie

Filmographie

Articles connexes

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Liens externes

Notes et références

  1. a b et c Timeline for the Third Rif War (1920–25) Steven Thomas.
  2. a et b David E. Omissi: Air Power and Colonial Control: The Royal Air Force, 1919–1939, Manchester University Press, 1990, (ISBN 0-7190-2960-0), page 188.
  3. a et b Micheal Clodfelter: Warfare and armed conflicts: a statistical reference to casualty and other figures, 1500–2000, McFarland, 2002, (ISBN 0-7864-1204-6), page 398.
  4. Maghreb : la traversée du siècle, Juliette Bessis, 1997, page 54.
  5. (en) Mevliyar Er, « Abd-el-Krim al-Khattabi: The Unknown Mentor of Che Guevara », Terrorism and Political Violence, vol. 2, no 1,‎ , p. 137-159 (DOI 10.1080/09546553.2014.997355)
  6. Jean-Louis Miège, « 'Abd el-Krim », Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence, Edisud, vol. 1 « Abadir – Acridophagie »,‎ , p. 73-77 (lire en ligne)
  7. Cyril B., « La guerre du Rif : un conflit méconnu entre guerre coloniale et conflit de la Décolonisation », La Revue d'Histoire Militaire,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. voir Philippe Conrad (1997), p. 21
  9. Hidalgo, de Cisneros. Cambio de Rumbo, p. 193-7
  10. (en) Sebastian Balfour, Deadly Embrace: Morocco and the road to the Spanish Civil War, Oxford University Press, 2002 (ISBN 0-1992-5296-3), p. 142
  11. a et b Julie d'Andurain, « Al Huceima (6-8 septembre 1925) : modèle de RETEX et première opération combinée de l’histoire », Lettre du RETEX-Recherche, no 25,‎ , p. 1-5
  12. La guerre du Rif n'aura pas lieu, critique sur nonfiction.fr par Anne Pédron
  13. Henry Rousso, Paule Muxel et Bertrand de Solliers, documentaire « Philippe Pétain » sur Arte, 2010
  14. Alain Ruscio, « Pétain, bourreau en chef du peuple marocain du Rif », sur L'Humanité,
  15. voir Philippe Conrad (1997), p. 23-24
  16. Omar Mezoug, « Chronique du livre de Courcelle-Labrousse et Marmié », La guerre du Rif, Maroc 1921-1926, dans La Quinzaine littéraire no 973, 16 juillet 2008, p. 26.