Campagne d'Italie (1796-1797)

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Campagne d'Italie
Description de l'image Italian campaigns 1796.JPG.
Informations générales
Date -
Lieu Italie du Nord, archiduché d'Autriche
Issue Victoire française
Belligérants
Drapeau de la France République française
Drapeau de l'Autriche Archiduché d'Autriche
Royaume de Sardaigne Royaume de Sardaigne[Note 3]
Drapeau du Royaume de Naples Royaume de Naples[Note 4]
Drapeau de la Grande-Bretagne. Grande-Bretagne[Note 5]
 États pontificaux[Note 6]
Drapeau de la République de Venise République de Venise[Note 7]
Commandants
Napoléon Bonaparte
André Masséna
Pierre Augereau
Jean Sérurier
Amédée Laharpe
Jean Lannes
Claude-Victor Perrin
Joachim Murat
Jean-Baptiste Bessières
Auguste-Frédéric-Louis de Marmont
Antoine de Lasalle
Barthélémy Joubert
Jean-Baptiste Bernadotte
Johann von Beaulieu
Eugène-Guillaume Argenteau
Giovanni Provera
Dagobert von Wurmser
Josef Alvinczy
Archiduc Charles
Michelangelo Colli-Marchi
Horatio Nelson
Forces en présence
Initialement :
30 000 hommes
Initialement :
70 000 hommes

Notes

Première Coalition

Batailles

La première campagne d’Italie est une campagne militaire menée par le général français Napoléon Bonaparte en Italie du Nord et sur le territoire autrichien du au . Pendant un an, elle oppose principalement l'armée d'Italie de la République française aux forces de l'Empire d'Autriche et du Royaume de Piémont-Sardaigne. Avec la guerre du Roussillon, le siège de Toulon et les actions en Corse, elle fait partie du théâtre méridional de la guerre de la Première Coalition.

La première campagne d'Italie entraîne la conclusion de ce conflit engagé en 1792, donnant une importance majeure au front italien jusqu'alors secondaire. Commencée avec le mouvement français sur Voltri le , elle amène l'armée d'Italie de Nice dans les Alpes-Maritimes à Leoben dans l'archiduché d'Autriche à 120 kilomètres de Vienne, où les Autrichiens signent un armistice le . La République force successivement à se retirer de la coalition chacun des belligérants, d'abords les Sardes (armistice de Cherasco, ) puis les Autrichiens (traité de Leoben, ), laissant seule l'Angleterre qui n'avait pas participé activement à la campagne. Le , le traité de Campo-Formio signé par le général Bonaparte consacre la paix entre la France et l'Autriche et dissout la Première Coalition.

La première campagne d'Italie bouleverse durablement l'ordre géopolitique de la péninsule italienne. Elle y implante pour près de deux décennies l'influence française, qui y prospérera à des degrés variables jusqu'en 1815. Chemin faisant, l'armée d'Italie met au pas la totalité des États italiens, dans l'ensemble massivement hostiles à la Révolution, de la guerre ouverte déclarée par le royaume de Sardaigne à la neutralité ambigüe dont fait montre la Toscane. Les États pontificaux signent le la paix de Tolentino, qui cède définitivement à la France Avignon et le Comtat Venaissin. Deux nouvelles entités politiques apparaissent, la République cispadane et la République transpadane, qui fusionneront en République cisalpine devenue République d'Italie en 1802 et Royaume d'Italie en 1805 pour former le socle de l'influence républicaine puis impériale dans la péninsule. Enfin, la millénaire République de Venise disparaît à l'issue des opérations, annexée à l'Empire d'Autriche.

En 1795 (an III), le Directoire décida que les armées des généraux Jourdan et Moreau iraient combattre les Autrichiens sur le Main et le Danube, tandis que Napoléon Bonaparte, nommé général en chef de l’armée d’Italie le 2 mars 1796 (12 ventôse an IV), attaquerait les Austro-Sardes dans la vallée du . L'armée d'Italie ne devait, en fait, servir que de diversion pour que l'Autriche se mobilise en Italie. Cette armée devant être faite pour une offensive factice, elle fut mal équipée et mal nourrie, et ne devait recevoir aucun renfort.

L'armée d’Italie, dirigée par le général Bonaparte, vainc successivement sept armées piémontaise et autrichiennes. De 1796 à 1797, elle conquiert l’Italie et l’Empire d’Autriche doit abandonner non seulement l’Italie, mais aussi la rive gauche du Rhin, où les Autrichiens sont pourtant victorieux. Les victoires de Bonaparte poussent le royaume de Piémont-Sardaigne, puis l’Autriche à se retirer de la Première Coalition, qui est ainsi dissoute.

On l'appelle première campagne d'Italie pour la distinguer de la deuxième campagne d'Italie, menée deux ans plus tard également par Napoléon Bonaparte devenu Premier Consul.

Contexte

L'acteur

Le général Bonaparte lors de la campagne d'Italie. Peinture d'Édouard Detaille.

En octobre 1795, Napoléon Bonaparte, petit général corse de 26 ans qui commande maintenant l'armée de Paris, est devenu un grand personnage. Lieutenant-colonel au 2e bataillon de volontaires de la Corse, chassé de l'île par les paolistes en 1793, il a dirigé avec succès l'artillerie au siège de Toulon puis auprès de l'armée d'Italie, avant de se voir marginalisé pour ses positions jacobines à la suite de la chute de Robespierre le (9 thermidor an II). Le (13 vendémiaire an IV), il est cependant chargé par le Conventionnel Paul Barras de faire échec à un coup de force royaliste à Paris, et maintient la République en dispersant les insurgés à coups de mitraille. Le , il est promu général de division, le plus haut grade des armées de la République, et prend la suite de Barras à la tête de l'armée de Paris.

Le témoignage d'époque recueilli sur lui par le docteur Augustin Cabanès reflète la physionomie qu'il a alors acquis et qui sera la sienne pendant la campagne d'Italie :

« Petit, imberbe, pâle et maigre, mais d'une maigreur excessive, il ne payait pas de mine. Les épaules droites dans l'uniforme plissé par les mouvements brusques, le cou enveloppé dans une cravate tortillée, les tempes dissimulées par de longs cheveux plats et retombants, les joues creuses, les lèvres sérieuses et serrées par l'attention, les yeux vifs et scrutateurs, telle était la physionomie de notre héros. La voix était creuse, le timbre sourd, la parole rare, brève et sèche, tous les signes de la fermeté et de l'obstination empreints sur le visage[1]... »

De plus, les observateurs notent son regard frappant, ainsi que son teint olivâtre, qui donne l'impression d'une santé fragile. Bonaparte souffre en effet de maux nombreux face auxquels la médecine de l'époque se montre impuissante, paludisme, tuberculose, rétention biliaire et urinaire, ainsi qu'une gale contractée à Toulon dont il subit les effets intermittents[2]. Si sa résistance physique aura toujours raison de ces défaillances, son état général de santé ne cessera d'entretenir l'inquiétude tout au long de la campagne d'Italie.

Le , Bonaparte obtient du Directoire le commandement de l'armée d'Italie en remplacement du général en chef Schérer. Convoitée depuis trois ans, cette nomination est une continuation logique à son parcours personnel : il a commandé en 1794 l'artillerie de cette armée, exerçant alors une influence prépondérante dans les conseils de représentants du peuple[3] et inspirant en fait l'essentiel des opérations. Déclenchées le 6 février 1794, ces dernières mènent l'armée à une première série de succès : le col de Tende est occupé le , tandis que les Français avancent sur la côte en direction de Gênes[4]. Cet élan s'arrête net avec les purges consécutives au 9 thermidor (), notamment l'arrestation du général Bonaparte le 19 (). L'année suivante, il est employé à Paris au « Bureau militaire » du Comité de Salut public, où il tente sans succès de faire prévaloir ses idées novatrices sur la campagne à mener dans le Piémont et rédige les instructions envoyées aux généraux[3].

Le scénario

Situation stratégique de l'Europe début 1796

Au début de l'année 1796, la coalition formée quatre ans plus tôt contre la France révolutionnaire compte encore l'Angleterre, l'Autriche et le royaume de Piémont-Sardaigne. Face à ces puissances, le Directoire organise trois armées principales :

À ces théâtres d'opérations principaux viennent s'ajouter deux armées secondaires, déployées pour faire face aux menaces les plus passives :

Les dotations en hommes et en matériel de ces unités expliquent la pensée stratégique du Directoire : l'affrontement principal doit avoir lieu autour du Rhin et être le fait des grandes armées des généraux Jourdan et Moreau, tandis que l'armée d'Italie faiblement pourvue a pour simple visée de contenir les Piémontais, fixer des forces autrichiennes et prévenir des tentatives de débarquement anglais sur les côtes de Provence. Ce sont la vision stratégique et les capacités tactiques du général Bonaparte qui vont faire de ce front depuis longtemps secondaire le théâtre d'une campagne décisive pour le conflit entier.

Plan stratégique du général Bonaparte

Éléments tactiques

Plan stratégique du directeur Carnot

Le théâtre

Situation politique de l'Italie début 1796

À la fin du XVIIIe siècle, l'Italie n'est plus, ou n'est encore, qu'une « expression géographique »[5] : la péninsule est partagée en 10 États indépendants, tous affiliés à la maison d'Autriche ou à la maison de Bourbon. Elle sort d'une longue période de paix[Note 8] dont son économie a tiré parti, en améliorant ses voies de communications et en accroissant sensiblement sa population[6]. Dès 1789, les dirigeants conservateurs de ces États monarchiques appréhendent avec inquiétude la Révolution, ses désordres et ses idées libérales. L'expansionnisme français est de même historiquement redouté, préoccupations justifiées dès 1791 par les annexions au royaume de France des enclaves papales d'Avignon et du Comtat Venaissin, puis l'année suivante de Nice et de la Savoie, possessions du roi de Sardaigne. De plus, les prêtres français émigrés qui affluent dans cette péninsule république profondément catholique y créent une émotion considérable en racontant les persécutions subiesn[7]. Au début de 1796, les états italiens sont tous dans l'orbite de la Coalition et dans l'ensemble hostiles à la République française, bien que cette hostilité se décline sur un spectre qui de la neutralité ambigüe à la guerre ouverte.

  • Le royaume de Naples, le plus grand d'Italie, recouvre la moitié méridionale de la péninsule ainsi que la grande île de Sicile. Il borde au nord les États du Pape et est entouré par la mer de tous les autres côtés. Il compte environ 6 millions d'habitants, dont 400 000 à Naples, et peut lever une armée de 60 000 à 80 000 hommes appuyée par une faible marine[8]. Son roi Ferdinand IV est un Bourbon, et son épouse la soeur de Marie-Antoinette, reine de France décapitée à ce titre. Le régime tient donc la Révolution française en abomination, mais son éloignement le contraint à limiter son effort militaire à l'envoi d'un corps de 2 000 cavaliers auprès du Piémont, auquel le Pape a accordé le droit de passage[7].
  • Les États pontificaux occupent en effet le centre de l'Italie, bordés au sud par le royaume de Naples, à l'ouest par la Tyrrhénienne et à l'est par l'Adriatique. Ils regroupent 2 400 000 habitants dont 140 000 à Rome, la capitale. Le Pape peut mettre sous les armes une armée médiocre de 6 000 à 7 000 hommes[8]. Homme à l'origine libéral en politique, Pie VI a rejoint la Coalition en mars 1793, ne pouvant accepter la constitution civile du clergé, l'annexion d'Avignon et du Comtat Venaissin, ou encore les exactions perpétrées par les révolutionnaires à l'encontre de l'Église française. S'il est incapable de se joindre militairement à la Coalition, il s'y est associé pour en constituer l'un des piliers idéologiques les plus virulents, incarnant le combat de l'Europe chrétienne contre l'anticléricalisme de la Révolution[7].
  • Le grand-duché de Toscane compte 1 million d'habitants, dont 80 000 à Florence sa capitale. Géré par un archiduc autrichien qui garde la neutralité avec la République française, qu'il a reconnu[9], il possède notamment le grand port de Livourne sur la Tyrrhénienne.
  • La république de Lucques, neutre, compte 100 000 habitants[8].
  • Le duché de Modène, qui compte 350 000 habitants dont 20 000 à Modène. Il est géré par le dernier descendant de l'ancienne maison d'Este, dont l'héritière est mariée à un archiduc autrichien[8]. Il peut mettre environ 6 000 hommes sous les armes et garde la neutralité avec la France[8].
  • Le duché de Parme, Plaisance et Guastalla regroupe 250 000 habitants et possède une armée de 2 500 à 3 500 hommes[8]. Il se trouve dans l'orbite de l'Autriche et garde la neutralité avec la France[10].
  • La Lombardie autrichienne, la région la plus riche d'Italie, compte 1 100 000 habitants, dont 30 000 à Milan sa capitale, d'où elle est gérée par un archiduc pour le compte de l'Autriche. Cette puissance y entretient un important contingent pour mener la guerre contre la France et protéger son accès au port de Gênes sur la Méditerranée. La Lombardie possède plusieurs places fortes, notamment la citadelle de Milan et Mantoue[11].
  • La république de Gênes compte 500 000 habitants, dont 120 000 dans la ville de Gênes[8]. Cet État maritime compte 220 kilomètres de côtes et sauvegarder son commerce maritime en gardant la neutralité avec les belligérants, à qui il prête de l'argent. Le peuple soutient la France tandis que le gouvernement et la haute société de noblesse lui sont hostiles. Gênes peut mettre 10000 hommes sous les armes qu'elle pourrait renforcer par la levée en masse[9].
  • La sérénissime république de Venise possède le Frioul, l'Istrie et la Dalmatie (côte est de l'Adriatique), ainsi que les villes occidentales de Bergame, Brescia, Vérone, et Padoue. Elle compte 3 500 000 habitants dont 140 000 à Venise. Elle entretient une armée de plus de 30 000 hommes, soutenus par une flotte puissante et un arsenal de construction maritime[11]. Elle garde la neutralité avec les belligérants, mais « détestait tout le monde, et tout le monde la détestait »[10]: elle n'apprécie pas la France républicaine, mais se trouve excentrée des théâtres d'opérations et entretient une ambassade importante à Paris, qu'elle espère susceptible d'assurer son intégrité si la guerre se rapprochait de ses frontières. Elle se méfie davantage des visées expansionnistes de l'Autriche, d'autant qu'elle n'avait pu éviter d'accorder le droit de passage à ses troupes.
  • Le royaume de Piémont-Sardaigne, qui a sa capitale à Turin, compte 3 millions d'habitants en comptant le comté de Nice, le duché de Savoie et la grande île de Sardaigne. Le roi Victor-Amédée III entretient une armée de 25 000 hommes en temps de paix, portée au double en temps de guerre[11]. Engagé depuis 1792 dans la Coalition contre la France révolutionnaire, il s'est fait successivement enlever la Savoie et Nice avant que le front ne se fixe sur les Alpes en 1794. Soutenu financièrement par l'Angleterre, il est surtout maintenu dans la Coalition par la proximité de l'armée autrichienne, dont l'armée présente en Lombardie interdit sa défection[9].

Seuls le Piémont, l'Autriche (Lombardie) et Naples se trouvent donc en guerre contre la France, puissances auxquelles se trouvent associées les États pontificaux, involontairement sur le plan militaire : la paix n'a pas été signée depuis l'annexion d'Avignon, mais le Pape n'a pas d'armée et peut tout craindre d'une irruption française en Italie. Les effectifs dérisoires des petits états les poussent à garder la neutralité tout en soutenant l'Autriche auxquels ils sont affiliés. Venise et Gênes sont les deux puissances moyennes qui restent neutres malgré l'existence chez eux d'une force militaire. Il faut adjoindre la Corse à ces états italiens : un éphémère royaume anglo-corse proclamé en 1793 par Pascal Paoli, l'adversaire insulaire de Bonaparte, se trouve de facto en guerre contre la France qu'il avait chassé de l'île. Enfin, la participation marginale des Anglais, absents de la péninsule mais en guerre contre la France depuis 1793, se fera principalement par l'intermédiaire de l'escadre de l'amiral Nelson qui bénéficie des ports corses et italiens.

Situation militaire sur les Apennins

Positions d'ouverture de la campagne d'Italie.

Nommé le 2 mars à la tête de l'armée d'Italie, le nouveau général en chef Napoléon Bonaparte arrive à Nice le . Sa nomination est une continuation logique à son parcours personnel : il commande en 1794 l'artillerie de cette armée, avant d'être rappelé à Paris pour rédiger les instructions du Comité de salut public puis du Directoire aux généraux sur le front italien, poste auquel il pourra faire prévaloir ses idées novatrices sur la campagne à mener dans le Piémont. Cependant, il n'a jamais commandé une division en propre, et son expérience militaire se limite à la direction de l'artillerie au siège de Toulon (1793) et à la répression de l'insurrection royaliste du 13 Vendémiaire (1795). Au départ, la nomination d'un général d'origine corse de 26 ans à ce poste d'importance est donc difficilement acceptée par l'état-major de l'armée, mais Bonaparte se pose en maître auprès de ses généraux dès sa première entrevue.

Le corps de cavalerie, conduit par le général Henri Stengel, rassemble deux divisions à Loano commandées respectivement par Stengel et le général Kilmaine.

Le corps d'avant-garde du général André Masséna regroupe les 1re et 2e divisions, respectivement commandées par les généraux Amédée Emmanuel François Laharpe et Jean-Baptiste Meynier. Il s'échelonne le long de la côte, de Savone à Loano, chaque division se gardant par des avant-postes sur la crête de l'Apennin.

La 3e division du général Pierre Augereau occupe les alentours d'Albenga.

La 4e division du général Jean-Mathieu-Philibert Sérurier est vers Orméa.

Les 5e et 6e divisions, commandées par les généraux François Macquart et Pierre Dominique Garnier, tiennent avec 6 200 hommes le col de Tende sur la route de Nice.

Enfin, les 7e, 8e et 9e divisions des généraux Mouret, Casabianca, et Casalta emploient 9 000 hommes de troupes médiocres à surveiller la côte jusqu'à Toulon.

La guerre éclair (24 mars - 31 mai 1796)

Campagne du Piémont

Bataille de Voltri

Les conditions de l'engagement de la campagne se décident avant l'arrivée à Nice du nouveau général en chef français. À la fin du mois de mars, le commissaire Salicetti, qui tentait sans succès d'obtenir un prêt de la République de Gênes, demande au général en chef Schérer d'envoyer un détachement intimider les autorités de la ville[12]. Le , le général Pijon quitte Savone pour Voltri dans la banlieue génoise avec deux demi-brigades (3 000 hommes, division Laharpe) et l'ordre de saisir la farine des grands moulins qui s'y trouvent.

Envoyée sur Voltri, la brigade Pijon/Cervoni attire toute l'aile droite de Beaulieu dans la plaine de Gênes avant de se retirer habilement vers Savone en combattant.

Informé trois jours plus tard, Beaulieu prend ce mouvement pour le préavis d'une marche de toute l'armée d'Italie sur Gênes. Il accorde de l'importance à la défense de ce port neutre, moins par préoccupation pour l'intégrité territoriale de la ville que pour assurer ses communications avec la flotte anglaise de Nelson. Le mouvement de Pijon crée une faiblesse dans les positions françaises, qu'il étend de 45 kilomètres à l'est en exposant une unité pour l'instant isolée. Convaincu de l'importance de Gênes comme enjeu stratégique de la campagne à venir, le général autrichien engage ses forces sur cet axe et espère encercler puis réduire le détachement français. Le , il ordonne au général Pittoni de franchir la passe de Bochetta pour se porter sur Voltri au-devant de la brigade Pijon. Au centre, le général Sebottendorf doit descendre de la passe de Turchino pour la prendre à revers, tandis que l'aile droite autrichienne le général Argenteau est supposé avancer de Montenotte vers la côte, pour lui couper la retraite autant que pour empêcher l'avance du reste des troupes républicaines.

Arrivé à Nice ce même , Bonaparte est mécontent de cette action impromptue et ordonne de la suspendre dès le lendemain, avant de décider de tenir la position. En effet, l'obsession des Autrichiens pour la défense d'une ville pas réellement menacée s'apparente moins à une menace pour ses troupes avancées qu'à une opportunité : Beaulieu est focalisé sur l'axe stratégique de Gênes, alors que lui-même se propose d'attaquer plus à l'ouest sur l'axe Savone-Carcare pour couper en deux le dispositif adverse. Le , Bonaparte quitte Nice pour Albenga, avec l'intention de faire son mouvement offensif le 15. Malade, Pijon est quant à lui remplacé par le général Jean-Baptiste Cervoni.

Pittoni met une semaine à atteindre la passe de Bochetta, mais c'est suffisamment tôt pour permettre à Beaulieu de prendre l'initiative. Le 10, son général engage Cervoni à Voltri dans le premier combat de la campagne. Face aux seuls 8 000 hommes qui lui sont opposés, le général français résiste vigoureusement en reculant vers Savone : « mal organisée, pauvrement coordonnée et mobilisant un nombre surprenamment faible de troupes »[13], l'attaque échoue à écraser la brigade française, qui exécute sa retraite en perdant environ 225 hommes contre 50 chez les Autrichiens. Beaulieu, qui lui a pu contacter Nelson dans la nuit, s'abstient de poursuivre Cervoni vers l'ouest et commence à transférer ses unités vers son aile droite par des routes difficiles.

La résistance des 2 000 hommes du général Rampon face à Argenteau donne à Augereau et Masséna le temps d'envelopper et de réduire le général autrichien à Montenotte.

Bataille de Montenotte

En effet, Argenteau, la deuxième pince de la tenaille, a reçu ses ordres en retard et vient seulement de se mettre en marche de Montenotte vers la côte. Sa division ne devait pas aller loin, car elle rencontre le 11 les avant-postes français, en la personne du général Rampon et retranchés sur les contreforts du Montelegino, qui courent de Montenotte à Savone. Les 1 200 hommes de Rampon résistent toute la nuit aux assauts de 4 000 Autrichiens, donnant le temps à Bonaparte d'enclencher une offensive qu'il ne peut plus ajourner sans danger pour son aile droite. Il calcule d'après le combat de Voltri que Beaulieu doit avoir environ 8 000 hommes sur la côte, plus 3 000 à 4 000 à la Stella, ce qui n'en laisse pas plus de 15 000 à Argenteau sur Montenotte. Or, il dispose lui-même de 25 000 hommes à jeter sur la zone, le gros de son armée.

Le 12 au matin, Argenteau, toujours aux prises avec le général Rampon avec maintenant 9 000 hommes, se voit abordé de front par 14 000 soldats des divisions Augereau et Laharpe, et de flanc par 4 000 hommes de la division Masséna venue d'Altare. Argenteau est blessé durant la bataille et les Autrichiens se retirent en désordre vers Dego par la vallée de la Bormida, laissant derrière eux 1 000 morts, 5 canons et 2 000 prisonniers, qui ne prendront le chemin de la France qu'une fois déshabillés et déchaussés au bénéfice de la troupe victorieuse. Les Français comptent environ 800 tués, blessés ou disparus. Le lendemain, Argenteau se plaindra de ne pouvoir rallier que 700 hommes sous les couleurs autrichiennes, le reste étant tué, prisonnier, disparu ou débandé.

La bataille de Montenotte constitue la première victoire tactique du général Bonaparte dans la campagne d'Italie. Argenteau retire ce qui lui reste de troupes jusqu'à Acqui et y adresse un rapport alarmant où il annonce que son corps est « presque totalement détruit ». Sur le plan stratégique, Bonaparte obtient la position centrale qu'il souhaitait occuper entre ses deux adversaires sur Carcare, et a définitivement séparé les Sardes des Autrichiens : ces derniers, sérieusement éprouvés sur le plan tactique, doivent désormais effectuer un détour de 70 kilomètres pour porter secours à leurs alliés. Depuis cette position, Bonaparte peut engager chacun de ses deux adversaires, sur deux fronts à la fois : à l'est vers Dego, les Autrichiens d'Argenteau, pour exploiter son avantage moral, accentuer la séparation entre les deux alliés et éviter un retour en force des troupes autrichienne sur sa droite ; à l'ouest vers Millesimo, les Piémontais du général Colli-Marchi et le corps de liaison de l'Autrichien Provera, pour réduire les armées sardes et forcer l'un des belligérants à déposer les armes.

Bataille de Millesimo

Malgré une marche forcée de 12 heures, la division Augereau n'atteint Carcare que tard dans la soirée, et ne peut poursuivre les fuyards autrichiens à cause de la nuit.

La principale difficulté de la campagne consistait dans la disjonction des armées piémontaise et autrichienne avec, ensemble, 70 000 hommes ; la première, commandée par Giovanni Provera et Colli, et l’autre par Von Beaulieu et Argenteau. Ce but fut atteint par une manœuvre[Note 9] savante et inattendue : Napoléon Bonaparte fond d’abord avec toutes ses forces sur Argenteau qui commandait le centre de l’armée ennemie situé à Montenotte le 12 avril (23 germinal) (victoire des généraux Masséna et Laharpe sur Argenteau), et le rejette sur Dego et Sassello. Pour les séparer, il culbuta l'armée adverse à la Bataille de Millesimo le 13 (24 germinal) (victoire de Augereau sur le corps de Provera). Beaulieu, apprenant les désastres du centre, se retire avec précipitation sur Acqui. Provera est fait prisonnier à Cosseria ; les Piémontais, défaits à Montezemolo et à Mondovi le 22 avril (3 floréal) (victoire de Bonaparte sur le baron Colli-Marchi), chassés de Ceva, fuient sur la route de Turin.

Ces divers combats qui durèrent six jours, eurent pour résultats la prise de quarante pièces de canon, la mise hors de combat de 12 000 Autrichiens, la possession des forteresses de Coni, de Ceva, de Tortonel, d’Alexandrie : l’occupation presque totale du Piémont, évacué par les Autrichiens ; ce qui mit le roi de Sardaigne dans la nécessité de demander la paix au gouvernement de la première République française. Les Sardes, effrayés, demandèrent un armistice le 26 avril (7 floréal) qui fut signé à Cherasco.

Manœuvre de Lodi

L'armistice de Cherasco met les forces sardes hors-jeu seulement pour le temps nécessaire au texte pour atteindre Paris, y être discuté et en revenir avec la décision du Directoire, c'est-à-dire entre 25 jours et un mois. Si les conditions de paix proposées par la capitale sont jugées trop dures à Turin, les Sardes pourraient reprendre les armes contre la France si l'armée autrichienne est toujours capable de les soutenir. L'enjeu de la campagne concerne donc l'isolement stratégique des Sardes : l'objectif du général Beaulieu est de l'éviter en se maintenant en Lombardie autrichienne, donnant la possibilité à son ancien allié de reprendre la lutte à ses côtés, voire le maintenant de force dans la Coalition. À l'inverse, l'objectif du général Bonaparte consiste à chasser les Autrichiens hors de Lombardie, ce qui contraindra le roi de Sardaigne isolé à accepter les conditions de paix du Directoire, aussi lourdes soient-elles, et sortira définitivement cet acteur du conflit.

Après leurs défaites de Montenotte et Dego, les Autrichiens se sont retirés au-delà du , au point de passage de Valenza. Cette position, qui leur assure la défense de la Lombardie par l'établissement de lignes de résistance successives sur le et ses affluents (l'Agogna, le Terdoppio, le Tessin), remplit les conditions propres à l'objectif de Beaulieu. L'attaque frontale de Valenza par les troupes françaises apparaît dès lors comme une action attendue, allant contre le terrain, coûteuse en hommes et en temps, qui ne constitue pas une réponse efficace à la situation stratégique du général Bonaparte. Il imagine de lui substituer une manœuvre sur les derrières adverses, qui en franchissant le par surprise à Plaisance, tourne le dispositif autrichien et ne rencontre pas d'obstacle sur la route de Milan.

  • Le résultat minimum de cette manœuvre est la retraite de Beaulieu : pour l'atteindre, il suffit à Bonaparte de surprendre le passage du à Plaisance, action réalisable puisque de Valenza à Plaisance, Beaulieu a 34 lieues à parcourir, contre 24 lieues pour l'avant-garde française à Tortone. Menacé sur ses arrières, le général autrichien n'aura plus qu'à se retourner vers les Français, soit pour les affronter en position de faiblesse, soit plutôt pour repasser l'Adda vers le Mantouan. En garantissant l'évacuation par les Autrichiens de la Lombardie, le résultat minimum de la manœuvre atteint d'emblée l'objectif stratégique de Bonaparte.
  • Le résultat maximum est la capture de Beaulieu : elle sera atteinte si l'armée française parvient à intercepter les lignes de retraite autrichiennes à l'endroit où elles franchissent l'Adda, c'est-à-dire à Cassano et Lodi. Coupé de ses magasins, Beaulieu se trouvera réduit soit à capituler, soit à forcer le passage à l'armée française dans une situation à front renversé où les Français occupent des positions d'une valeur stratégique plus importante.

L'exécution de cette manœuvre commence dès l'armistice de Cherasco : dans une clause secrète dont il se doute qu'elle sera divulguée aux Autrichiens, Bonaparte se fait accorder le libre passage du Pô sur le point de Valenza. C'est une feinte qui vise à pousser l'ennemi à maintenir ses forces autour de cette ville, le temps pour l'armée française de surprendre le passage du Pô à Plaisance puis de se positionner sur l'Adda pour couper la retraite autrichienne. Beaulieu à Valenza n'ayant que 24 lieues à franchir pour atteindre Lodi, contre 32 pour l'avant-garde française à Tortone, il est capital à la réussite de la manœuvre française que l'armée autrichienne se mette en marche trop tard pour venir disputer aux Français le passage du Pô à Plaisance, voire de l'Adda à Lodi et Cassano. Bonaparte contribuera donc à donner le change à l'ennemi en laissant une division devant Valenza y fixer l'armée autrichienne par des démonstrations de l'autre côté du fleuve.

De là, il marche rapidement sur Lodi : un pont long et étroit jeté sur l’Adda, qui baigne les murs de la place, est franchi malgré le feu meurtrier de la mitraille des Autrichiens qui défendaient ce passage difficile et dangereux. Napoléon repoussa les Autrichiens au pont de Lodi le 10 mai (21 floréal) (victoire sur Beaulieu). Lodi est enlevé, et l’occupation de cette place assure à l’armée victorieuse la conquête de la haute Italie.

Manœuvre de Castelnovo

Mais le projet de porter la guerre en Allemagne par le Tyrol, qui est toujours l’idée dominante de Bonaparte ne peut s’effectuer avec sécurité tant que la forteresse de Mantoue sera au pouvoir de l’ennemi. La phase suivante de la guerre va se dérouler autour de Mantoue.

Le général fait ses dispositions pour exécuter les plans qu’il a combinés, et dont la réussite lui parait si certaine qu’il écrit au directeur Carnot[Note 10]

Le Directoire prit la détermination de ne plus le laisser seul arbitre de la guerre et de la paix : tout en le félicitant sur sa conquête du Piémont, il le remerciait d’avoir abandonné au commissaire civil, Christophe Saliceti, le soin de traiter des préliminaires pour la paix.

Bonaparte apprit en même temps qu’on avait le projet de diviser le commandement de l’armée d’Italie entre lui et le général François Christophe Kellermann. Cette nouvelle l’affecta singulièrement. Il écrit au Directoire « J’ai fait la campagne sans consulter personne ; je n’eusse fait rien de bon s’il eût fallu me concilier avec la manière de voir d’un autre. Si vous m’imposez des entraves de toute espèce, s’il faut que je réfère de tous mes pas aux commissaires du gouvernement, s’ils ont le droit de changer mes mouvements, de m’ôter ou de m’envoyer des troupes, n’attendez plus rien de bon. Si vous affaiblissez vos moyens en partageant vos forces, si vous rompez en Italie la pensée militaire, je vous le dis avec douleur, vous aurez perdu la plus belle occasion d’imposer des lois en Italie. Chacun a sa manière de faire la guerre : le général Kellermann a plus d’expérience et la fera mieux que moi ; mais tous les deux ensemble, nous la ferons fort mal. Je sens qu’il faut beaucoup de courage pour vous écrire cette lettre ; il serait si facile de m’accuser d’ambition et d’orgueil… » mais écrivit également confidentiellement au directeur Carnot « Je crois que réunir Kellermann et moi en Italie, c’est vouloir tout perdre : je ne puis servir volontiers avec un homme qui se croit le premier général de l’Europe ; et, d’ailleurs, je crois qu’un mauvais général vaut mieux que deux bons. La guerre est comme le gouvernement, c’est une affaire de tact. »

André Masséna s’empare de Milan, et Bonaparte y fait son entrée solennelle le lendemain ; et ce jour même, est signé à Paris, un traité de paix par lequel le Duché de Savoie, Tende, le comté de Nice et autres places, sont enlevées au roi de Sardaigne et passent sous la domination de la France.

Peu de jours après, le Directoire, cédant aux instances de Bonaparte, lui abandonne sans partage la conduite des affaires d’Italie.

De ce moment date la haute influence que Bonaparte va exercer sur les affaires, tant civiles que militaires de Milan, qu’il occupe en souverain. Il poursuit l’exécution des clauses qui sont convenues avec le Piémont, conclut des traités avec Rome, Naples et le duché de Parme ; il réprime en personne les mouvements de la Lombardie, qui vient de se révolter et il contient dans leur neutralité les États de Gênes et de Venise.

Enfin, le château de Milan, qui avait résisté jusque-là, tombe dans les mains françaises, et le vainqueur en tire 150 pièces de canon qu’il fait diriger sur Mantoue. D’autres équipages de siège pris à Bologne, Ferrare, au fort d'Urbino sont conduits par ses ordres vers le même point. Beaulieu, avant de quitter l’Italie, avait eu le temps de jeter 13 000 hommes dans la place, et 30 000 Autrichiens, détachés de l’armée du Rhin, accouraient pour la secourir.

Enfin, Wurmser est à la tête de 60 000 hommes pour faire lever le siège, et Bonaparte n’en a pas 40 000 à lui opposer ; sa position était fort embarrassante, ayant à combattre, d’un côté, contre une armée d’un tiers plus forte que la sienne ; et, de l’autre, à contenir une forte garnison, et garder en outre, tous les passages du fleuve, depuis Brescia jusqu’à Vérone et Legnano.

Attente stratégique sur l'Adige (31 mai 1796 - 2 février 1797)

Bataille de Castiglione

Le général en chef autrichien commet la faute grave de diviser ses forces en deux corps : 35 000 hommes sous ses ordres marchent droit sur Mantoue par la vallée de l’Adige, tandis que Quasdanovich marche avec 25 000 hommes sur Brescia. Bonaparte profite de la faute de ses adversaires : il quitte brusquement le siège de Mantoue (début du siège le 18 juillet 1796) (30 messidor an IV), et laisse devant la place sa grosse artillerie, concentre ses troupes à Roverbella, tombe sur Quasdanovich, le bat successivement à Salò et Lonato (3 août - 16 thermidor), et le force à se réfugier dans les montagnes du Tyrol. Ce succès obtenu, il court sur Wurmser, le bat complètement à la bataille de Castiglione (5 août - 18 thermidor), passe le Mincio en sa présence et le rejette dans le pays de Trente.

Ces divers combats, qui durèrent depuis le 1er jusqu’au 5 août (14 - 18 thermidor), et appelée « la bataille des cinq jours », coûtèrent à l’Autriche plus de 20 000 hommes et 50 pièces de canon. Bonaparte, après ces avantages, se met à la poursuite de Quasdanovich, l’atteint, le bat à Serra-Valla, Ponte-San-Marco, Rovereto, et dans les gorges de Calliano. Cependant Wurmser avait repris le chemin de Mantoue, et son armée filait par les gorges de Brenta. Bonaparte, qui a prévu ce mouvement, abandonne le Tyrol et va se montrer aux Autrichiens à Bassano del Grappa (8 septembre - 22 fructidor), aux gorges de Primolano, au fort de Cavalo.

Wurmser à Mantoue

Néanmoins Wurmser, séparé encore une fois du corps de Quasdanovich, trouve le moyen d’entrer dans Mantoue. Cette place, dont la garnison vient de recevoir un renfort considérable, semble pouvoir soutenir les attaques des assiégeants, d’autant plus qu’une nouvelle armée arrivait pour la secourir. L’Autriche, victorieuse sur le Rhin, résolut de reprendre à tout prix les possessions qu’elle avait perdues en Italie et de faire lever le siège de Mantoue.

Une nouvelle armée autrichienne surgit, commandée par Alvinczy, général expérimenté : elle est chargée d’aller faire cette conquête à la tête de 45 000 hommes. Ce général, en partageant ses forces, commet la même faute que Wurmser : il laisse 15 000 hommes à Davidovitch, avec ordre de descendre les vallées de l’Adige, et lui-même se dirige sur Mantoue, par le Véronais, avec 30 000 hommes. Dans ce moment, le général français, affaibli par les combats et les garnisons qu’il a dû laisser dans les forteresses qu’il a prises, ne peut disposer que de 33 000 hommes ; mais, par les dispositions qu’il prend, il supplée à l’insuffisance de ses moyens.

Les Français perdirent du terrain face à Alvinczy à Bassano (9 novembre - 19 brumaire an V) et face à Davidovitch à Calliano (12 novembre - 22 brumaire). Bonaparte abandonne le blocus, place 3 000 hommes à Vérone, se porte sur Ronco, jette un pont sur l’Adige, le traverse avec l’armée, et prend le chemin d’Arcole, lieu devenu célèbre par l’action meurtrière que les deux armées se livrèrent dans ses environs. Une chaussée étroite conduisait au port. Selon la légende, Bonaparte ordonne de marcher sur la chaussée et d’aller forcer le passage du pont ; mais sa colonne de grenadiers, prise en flanc par le feu de l’ennemi, s’arrête ; Bonaparte descend de cheval, saisit un drapeau et le jette sur le pont en s’écriant : « Soldats ! n’êtes-vous plus les braves de Lodi ? suivez-moi ! » Le feu des Autrichiens devient si terrible que les troupes refusent d’avancer : l’attaque n’eut point de succès.

Le passage du pont d'Arcole.

Arcole

Les Français prendront leur revanche à San Massimo all'Adige hameau de Vérone (victoire de Caldiero) et à la bataille du pont d'Arcole (15 au 17 novembre - 25 au 27 brumaire). Désespérant de réussir sur ce point, il prend la résolution de retourner à Ronco et dérobe sa marche à Alvinczi. Il fait allumer des feux sur la chaussée d’Arcole, et, le lendemain, il se trouve libre de livrer bataille à celui des trois corps autrichiens qu’il lui plaira ; il choisit celui d’Alvinczi, qu’il repousse au-delà de Vicence, après lui avoir tué 5 000 hommes, fait 8 000 prisonniers, et pris 30 pièces de canon. Le général Joubert, quant à lui, vainc Davidovitch le 19 novembre (29 brumaire) à Campara, et l'oblige à se réfugier dans le Tyrol. Wurmser qui commande le troisième corps, n’a que le temps de rentrer dans Mantoue, où il se voit de nouveau bloqué par Sérurier.

Rivoli

Alvinczi et Provera descendent tout à coup du Tyrol à la tête d’une armée nouvelle et nombreuse. Provera se dirige sur Mantoue avec 12 000 hommes ; Alvinczi, avec le gros de l’armée, se met à la poursuite de Joubert, qui se retire sur Rivoli : Bonaparte, qui n’avait que 20 000 hommes disponibles pour livrer bataille, donne ordre à Joubert de tenir ferme à Rivoli, et il va attendre l’ennemi derrière cette position. Le général autrichien, trop confiant dans la supériorité de son armée, en détache une partie sous les ordres du général Lusignan (en), et il s’engage avec le gros de ses forces dans les vallées de l’Adige et de la Carona (it), dont le plateau de Rivoli est le nœud.

Il s’empare de ce plateau, sur lequel il place 2 000 hommes ; mais au moment où il se croit maître de la division Joubert, il se voit coupé ; le plateau de Rivoli est pris, et ceux qui le gardaient mettent bas les armes. Enfin la colonne de Lusignan vient attaquer l’armée française sur ses derrières : elle est prise presque en entier par Masséna avec son général. Le 16 janvier (27 nivôse), Bonaparte vainquit Provera aux portes de Mantoue. Wurmser est repoussé dans Mantoue, et dix-sept jours après, ayant vu détruire sous ses murs les restes de la quatrième armée autrichienne, il se voit dans la nécessité de capituler le 17 janvier (28 nivôse).

Marche sur Vienne et préliminaires de Léoben (2 février - 13 avril 1797)

Bilan de la Campagne d'Italie

L'armée d’Italie, dirigée par le général Bonaparte, vainc successivement sept[Note 11] armées piémontaise et autrichiennes. Plus particulièrement, les batailles de Rivoli et de la Favorite, et la prise de Mantoue, coûtèrent, en trois jours, à l’Autriche, 45 000 hommes tués ou faits prisonniers et 600 bouches à feu.

Le général en chef, pour punir les États pontificaux d’avoir enfreint l’armistice de Bologne, leur impose le traité de Tolentino.

En moins de douze mois, à l’âge de 28 ans, Bonaparte a détruit quatre armées autrichiennes, donné à la France une partie du Piémont, fondé deux républiques en Lombardie, conquis toute l’Italie, depuis le Tyrol jusqu’au Tibre, signé des traités avec les souverains du Piémont, de Parme, de Naples, de Rome. Le Directoire, dont il a éclipsé la considération et le pouvoir, l’invite à poursuivre ses conquêtes et à marcher sur la capitale de l’Autriche.

Propagande

Le général Bonaparte utilise à son profit le Courrier de l’armée d’Italie, le journal officiel de l’armée d’Italie, dont chaque armée de la Révolution était doté. Il crée ensuite grâce au butin deux autres journaux, La France vue de l’armée d’Italie et Le Journal de Bonaparte et des hommes vertueux. Bonaparte fera un bilan flatteur de cette campagne dans 300 pages de ses Mémoires.

L'Autriche

L'Autriche, atterrée par la chute de Mantoue et se voyant menacée dans ses propres États, ordonne à l’archiduc Charles d’aller, avec l’élite de l’armée qu’il commande, sur le Rhin, s’opposer en Italie aux progrès de Bonaparte. Celui-ci, apprenant la marche de son adversaire, fait mettre en mouvement une armée de 53 000 hommes, à laquelle s’étaient réunies la division Delmas et la division Bernadotte[Note 12]

Continuant sur sa lancée, le conquérant chercha à gagner Vienne. Bonaparte, à la tête d’une division de 37 000 hommes, emporte Tarri. Il passa la Piave. Il envoie trois autres divisions forcer le passage du Tagliamento, défendu par l’archiduc en personne : elles obtiennent l’avantage. Elles passent le col de Tarvis sans que les Autrichiens de l'archiduc Charles puissent l'arrêter (mouvement du 1er au 21 mars - 11 ventôse au 1er germinal). Elles poursuivent ce prince sur l’Isonzo, et s’emparent de l’importante forteresse de Palmanova ; et vingt jours plus tard, l'archiduc, ayant perdu le quart de son armée, est obligé de se retirer sur Saint-Weith et sur la Muhr. Cependant, Bonaparte avait détaché 16 000 hommes sous la conduite du général Joubert, qui culbute les généraux Alexis Laudon et Kerpen et force tous les défilés du Tyrol, pendant que Bernadotte marchait sur Laybach.

Enfin, le 31 mars (11 germinal), un an après son départ de Nice, le vainqueur, arrivé à Klagenfurt, offre la paix à l’Autriche, qui, d’abord, la refuse. L’armée républicaine se remet en marche. Masséna force les défilés de Neumarkt en Styrie, s’empare de la position d’Hundsmark.

Les préliminaires de paix

Le moment approchait où une grande bataille allait décider du sort de Bonaparte et de celui de la Maison d'Autriche ; mais deux ennemis se rendirent au quartier général français, et le 7 avril (18 germinal) un armistice est accordé à Indenburg, et le 15 (26 germinal), les préliminaires de la paix sont convenus à Leoben. Les Français sont à cent kilomètres de Vienne lorsque des pourparlers de paix furent entamés avec Merveldt[Note 13].

La dépêche du 19 avril (30 germinal), qui apprend au Directoire la signature des préliminaires, lui révèle aussi toute l’indépendance de son général, et peut lui donner des craintes sur son avenir[Note 14].

Bonaparte ne demanda pas d'instructions au Directoire. Dès ses premières victoires, il montra son indépendance en faisant la loi en Lombardie.

L'insurrection vénitienne

Pendant que Bonaparte marchait sur Vienne par les défilés de la Carinthie, les nobles et le clergé vénitiens levaient des troupes pour l’empêcher de rentrer en Italie ; et tandis qu’il stipulait à Léoben les conditions de la paix, le meurtre des Français commandé par le Sénat était prêché dans toutes les églises. Lors de la deuxième fête de Pâques, au son des cloches, tous les Français qui se trouvaient à Vérone et qui ne s’étaient pas retranchés dans les forts, sont égorgés. Il s’agit principalement de malades, laissés dans les hôpitaux par le général Antoine Balland. Cet épisode est connu sous le nom de Pâques véronaises.

Traité de Campo-Formio

Traité de Campo-Formio. Archives Nationales AE-III-50bis.

Le 16 vendémiaire an VI (7 octobre 1797), Bonaparte signa un traité à Campo-Formio avec l'Autriche par lequel ces derniers cédèrent à la République leurs Pays-Bas et renoncent au Milanais, puis s'engagent à reconnaître à la France la possession des territoires de la rive gauche du Rhin. La Première Coalition fut dissoute. Seule la Grande-Bretagne ne déposa pas les armes.

Congrès de Rastadt

Après la concession de ce traité, Bonaparte reçut ordre d’aller présider au congrès de Rastadt la légation française. Il y signa, avec le comte de Cobentzel, la convention militaire relative à l’évacuation respective des deux armées.

Le retour à Paris

Enfin, Bonaparte quitta Rastadt pour venir triompher à Paris ; il y fut reçu avec un enthousiasme extraordinaire. Le Directoire fut justement effrayé de cette gloire, cependant il se décida à donner à Napoléon, dans la cour du palais du Luxembourg, une fête extraordinaire. Cette fête eut lieu le 20 frimaire (10 décembre 1797), en présence de presque tous les ambassadeurs des puissances armées. La vaste cour du Luxembourg offrait, entre autres ornements, les drapeaux conquis par l’armée d’Italie. Bonaparte, en remettant solennellement au pouvoir exécutif le traité de Campo-Formio, prononça un discours[Note 15]

Quelques jours après, Napoléon fut fêté avec non moins d’éclat par les Conseils, dans la grande galerie du Musée, et le département donna le nom de Victoire à la rue Chantereine, dans laquelle il avait sa maison. L’Institut le choisit pour remplacer Carnot, alors proscrit comme royaliste[réf. nécessaire].

La guerre contre le pape

La France avait annexé Avignon et le Comtat Venaissin. Le 19 février 1797, Napoléon Bonaparte avait contraint Pie VI à signer le traité de Tolentino (appelé aussi Paix de Tolentino) avec la France du Directoire, qui concède à la France les légations de Romagne, de Bologne et de Ferrare. À la nouvelle de la mort du général Duphot, le Directoire ordonne le 11 janvier 1798 l'occupation de Rome. Gaspard Monge part le 6 février pour Rome. La Révolution éclate dans la ville le 15 février. La « République romaine » est proclamée par le peuple réuni au Campo Vaccino (ancien forum).

Le pape Pie VI est contraint par la République française de renoncer à son pouvoir temporel et de se contenter de son pouvoir spirituel. On l'oblige à quitter Rome sous deux jours. Pie VI quitte le Vatican dans la nuit du 19 au 20 février 1798. Après le renvoi de Masséna, Gaspard Monge fait toutes les nominations (sauf les finances). Réfugié à Sienne puis à la chartreuse de Florence (en juin 1798), Pie VI est rattrapé par les troupes françaises et fait prisonnier. Il est successivement emmené à Bologne, Parme, Turin, puis Briançon, Grenoble et enfin Valence .

Notes et références

Notes

  1. À partir d'octobre 1796. Réorganisant les ci-devant légations pontificales de Bologne et de Ferrare et le duché de Modène et Reggio, la République cispadane lève une armée de 4 000 hommes sous contrôle français, qui participe à l'invasion des États pontificaux en février 1797 et permet de libérer les garnisons françaises, qui viennent renforcer d'autant l'armée d'opérations.
  2. À partir d'octobre 1796. Réorganisant le ci-devant duché de Milan, la République transpadane lève une armée de 12 000 hommes sous contrôle français, qui permet de libérer les garnisons en Lombardie.
  3. Jusqu'à avril 1796. Les Sardes quittent la coalition dès l'armistice de Cherasco à l'issue de la campagne de Montenotte.
  4. Jusqu'au . Bien que très hostile à la République sur le plan idéologique, le royaume de Naples limite sa participation à l'envoi d'un corps de 2 000 cavaliers à Turin, du fait de son éloignement géographique. Les négociations de paix traînent en fait depuis la fin de la campagne du Piémont, chaque irruption autrichienne remettant ensuite en question ce qui avait été durement acquis.
  5. Les Anglais sortent invaincus de la guerre de la Première coalition : de fait, leur rôle en Italie se résume à une présence navale en Mer Ligure et Tyrrhénienne, un soutien financier aux états sympathisants de la Coalition et leur expulsion de la Corse par le général Casalta.
  6. Le , les Français envahissent les États pontificaux qui signent la paix de Tolentino le .
  7. À partir du . Les Français déclarent la guerre à la République de Venise jusque là neutre et hostile, en réponse aux exactions perpétrées lors des Pâques véronaises. Elle disparaît le .
  8. L'Italie connaît la paix depuis la fin des opérations de la guerre de Succession d'Autriche sur son territoire, en 1747, c'est-à-dire depuis 49 ans en 1796.
  9. Connue sous le nom de « manœuvre en position centrale »
  10. « Si l’action des deux armées françaises qui combattent sur le Rhin n’est point arrêtée par un armistice, il serait digne de la République d’aller signer le traité de paix avec les trois armées réunies au cœur de la Bavière ou de l’Autriche étonnée. »
  11. L'armée piémontaise (Mondovi), l'armée de Beaulieu (Montenotte/Dego/Lodi), les deux armées de Wurmser (Castiglione, Bassano), les deux armées d'Alvinczy (Arcole, Rivoli), l'armée de l'archiduc Charles.
  12. En arrivant à l’armée de Bonaparte, ce dernier avait dit à ses soldats « Soldats de l’armée du Rhin, songez que l’armée d’Italie nous regarde. »
  13. C’est à cette occasion que Bonaparte dit aux négociateurs autrichiens : « Votre gouvernement a envoyé contre moi quatre armées sans généraux, et cette fois un général sans armée. » Bel éloge des talents militaires du prince Charles.
  14. Voici quelques passages de cette importante dépêche : « Si je me fusse, au commencement de la campagne, obstiné à aller à Turin, je n’aurais jamais passé le Pô ; si je m’étais obstiné à aller à Rome, j’aurais perdu Milan ; si je m’étais obstiné à aller à Vienne, peut-être aurais-je perdu la République. Dans la position des choses, les préliminaires de la paix, même avec l’empereur, sont devenus une opération militaire. Cela sera un monument de la gloire de la République française, et un présage infaillible qu’elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l’Europe. Je n’ai pas, en Allemagne, une seule contribution ; il n’y a pas eu une seule plainte contre nous. J’agirai de même en évacuant ; et, sans être prophète, je sens que le temps viendra où nous tirerons parti de cette sage conduite. Quant à moi, je vous demande du repos. J’ai justifié la confiance dont vous m’avez investi ; je ne me suis jamais considéré, pour ainsi dire, dans toutes mes opérations, et je me suis aujourd’hui lancé sur Vienne, ayant acquis plus de gloire qu’il n’en faut pour être heureux, et ayant derrière moi les superbes plaines d’Italie, comme j’avais fait au commencement de la campagne dernière, en cherchant du pain pour l’armée, que la République ne pouvait plus nourrir. »
  15. Dans lequel on remarqua cette phrase : « Lorsque le peuple français sera assis sur les meilleures lois organiques, l’Europe entière deviendra libre. » Barras, chargé de lui répondre au nom de ses collègues, dit que la nature avait épuisé toutes ses richesses pour créer Bonaparte. Bonaparte, ajouta-t-il, a médité ses conquêtes avec la pensée de Socrate : il a réconcilié l’homme avec la guerre.

Références

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  2. Amiot 1998, p. 34
  3. a et b Camon 1999, p. 3
  4. Amiot 1998, p. 25
  5. Metternich, lettre à l'ambassadeur de France, avril 1847.
  6. Amiot 1998, p. 38
  7. a b et c Amiot 1998, p. 39
  8. a b c d e f et g Le Mémorial de Sainte-Hélène, Emmanuel de Las Cases, tome IV, chapitre 9, vendredi 20, topographie de l'Italie.
  9. a b et c Camon 1999, p. 2
  10. a et b Amiot 1998, p. 40
  11. a b et c Le Mémorial de Sainte-Hélène, Emmanuel de Las Cases, tome IV, chapitre 9, vendredi 20, topographie de l'Italie
  12. Boycott-Brown 2001, p. 128-129
  13. Boycott-Brown 2001, p. 194

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

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  • Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, tome I, Fayard,
  • Henry Lachouque, Napoléon, 20 ans de campagnes, Arthaud, , 435 p.
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  • Yves Amiot, La fureur de vaincre-Campagne d'Italie (1796-1797), Flammarion, , 234 p. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Gérard Bouan, La première campagne d'Italie, 2 avril 1796 - 10 décembre 1797, Economica, , 302 p.
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