Coup de Prague
Coup de Prague | |
Type | Coup d’État |
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Pays | Tchécoslovaquie |
Organisateur | Parti communiste tchécoslovaque |
Date | 17 – |
Résultat | Remplacement de la Troisième République par un régime communiste |
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Le coup de Prague est le nom donné à la prise de contrôle de la Tchécoslovaquie en par le Parti communiste tchécoslovaque, avec le soutien de l'Union soviétique, qui aboutit au remplacement de la Troisième République par un régime communiste. Du 17 au se déroule une crise politique, accentuée le 21 par la démission des ministres non-communistes du gouvernement ; deux semaines de pressions intenses des communistes et des Soviétiques conduisent le président de la République tchécoslovaque, Edvard Beneš, à céder le pouvoir aux staliniens et à leurs dirigeants, Klement Gottwald et Rudolf Slánský. Le régime communiste est resté en place en Tchécoslovaquie jusqu'au , date de la démission en bloc du Comité central et du Bureau politique.
L'importance du coup de Prague dépasse les frontières de la Tchécoslovaquie. La prise du pouvoir par les communistes dans un pays qui était apparu dans l'entre-deux-guerres comme un bastion de la démocratie en Europe centrale, sans intervention directe de l'Armée rouge, alarma les dirigeants et la part hostile au communisme de l'opinion publique des pays occidentaux. Elle accéléra le regroupement des pays européens non-communistes au sein de l'OTAN ainsi que la réalisation du plan Marshall, ce qui en fit une étape importante de la genèse de la guerre froide.
Les historiens tchèques désignent simplement l'événement par l'expression « Février 1948 ». Pendant la période socialiste, le terme Vítězný únor (« Février victorieux ») en était l'appellation officielle.
Genèse
[modifier | modifier le code]De tous les pays d'Europe centrale qui ont été libérés de l'Allemagne nazie et occupés par les Soviétiques, la Tchécoslovaquie est le seul à avoir une longue tradition démocratique et un Parti communiste puissant. Celui-ci obtient 38 % des suffrages aux élections de 1946, c'est la première force politique du pays[1],[2], et tient trois postes-clés au gouvernement : Klement Gottwald est un Premier ministre aux pouvoirs étendus, il a le contrôle des principaux médias et notamment de la radio, le ministre de l'Intérieur (et donc de la police) est Václav Nosek et celui de la Défense est le général Ludvík Svoboda[2],[3],[4]. Mais au total, malgré leur succès aux élections, sur les vingt-six portefeuilles ministériels, seuls neuf sont détenus par les communistes.
Les élections demeurent pluralistes et démocratiques, et le pouvoir politique est partagé entre le Parti communiste et quatre autres partis démocrates (sociaux démocrates, socialistes-nationaux, populistes catholiques et démocrates slovaques). Ces cinq partis, seuls à être reconnus par la légalité, parce qu'ils se sont opposés au nazisme et ont lutté pour l'unité de leur pays, sont rassemblés au sein du Front national, « sorte d'institution suprême [5]» et participent donc chacun au gouvernement d'union nationale. La prédominance communiste au gouvernement est aussi le produit d’accords passés entre la résistance communiste et le gouvernement Bénès en exil à Londres en 1943. Benès s'était rendu à Moscou en 1943 et y avait négocié une alliance avec Staline[6]. Il s'en est expliqué au Général de Gaulle : « Les Russes arrivent aux Carpathes. Mais les Occidentaux ne sont pas près de débarquer en France. C'est donc l'armée rouge qui libérera mon pays..., c'est avec Staline qu'il faut m'accorder. Je viens de le faire, et à des conditions qui n'hypothèquent pas l'indépendance de la Tchécoslovaquie. »[6].
Après la Seconde Guerre mondiale, alors que le gouvernement tente de se positionner en tant que pays charnière entre les deux blocs émergents, l'annonce du plan Marshall en vient mettre un terme à toute ouverture possible vers l'Ouest. Dans un premier temps, approuvé à l'unanimité par le gouvernement, le plan est finalement rejeté à l'unanimité quelques jours plus tard[7], sous l'injonction de Staline qui a convoqué Gottwald à Moscou[2],[3],[4],[6]. La Tchécoslovaquie est désormais clairement alliée à l'Union soviétique, qui renforce son influence idéologique et politique sur le pays. Dans l'opinion publique et le monde politique tchécoslovaque, la vivacité du lien avec les Soviétiques devait encore beaucoup au souvenir de 1938 et des défaillances des puissances occidentales, notamment de la France, face à Hitler[4],[6]. De plus, selon l'historien Gabriel Kolko, les Américains entendaient s’opposer aux nationalisations des biens allemands en Tchécoslovaquie, notamment dans le secteur pétrolier où l'Amérique avait des intérêts, ce qui fragilisait encore, mais de façon moindre, leur position dans le pays[8],[9].
En 1947, au cours de son congrès tenu à Brno, le Parti social-démocrate tchèque prend conscience du danger que représente la puissance du Parti communiste tchécoslovaque pour ses intérêts et pour la liberté ; aussi, entreprend-il un virage à droite. Zdeněk Fierlinger, partisan social-démocrate de l'union de la gauche avec les communistes est éliminé de la direction du parti et remplacé par Bohumil Laušman[4].
La crise
[modifier | modifier le code]La crise éclate le quand le ministre de l'Intérieur promeut huit nouveaux commissaires de police à Prague, tous communistes[10]. Ces nominations provoquent la protestation, suivie de la démission le 20 février de onze ministres non-communistes du gouvernement (agrariens, démocrates slovaques et socialistes-nationaux, le parti de Beneš), sur vingt-six. Le 19 février, Valerian Zorine, vice-ministre des affaires étrangères de l'U.R.S.S., arrive dans la capitale tchécoslovaque. Les ministres démissionnaires pensent provoquer une crise politique. Mais au contraire, ils créent un vide au sein du pouvoir exécutif propice à leurs adversaires : les communistes comprennent l'opportunité, le moment leur semble désormais décisif pour s'emparer du pouvoir[2],[3],[4],[6].
Ce , seuls les communistes et les sociaux-démocrates assistent au conseil des ministres. Une requête formelle est adressée par les partis non-communistes au gouvernement afin de compléter l'agenda du jour. À la suite de leur rejet, les onze ministres qui ne sont ni socialistes ni communistes démissionnent et en informent Jan Masaryk. Les sociaux-démocrates ne démissionnent pas mais ne soutiennent pas les communistes. Gottwald rencontre Edvard Beneš et lui propose de pourvoir aux postes vacants avec des communistes et des sociaux-démocrates, pour constituer un gouvernement « sans réactionnaires ». Les communistes préparent une manifestation de masse, place de la Vieille-Ville, en soutien de leur projet[2],[3],[4],[6].
Dénouement
[modifier | modifier le code]Klement Gottwald et Rudolf Slánský agissent rapidement et font accepter le projet d'un nouveau gouvernement, où l'emprise communiste est renforcée, à Edvard Beneš qui a été affaibli par une attaque cérébrale. Les démissionnaires sont remplacés par des personnalités issues de l'aile gauche du Parti social-démocrate favorables au Parti communiste, puis Gottwald et Slánský mobilisent leurs milices ouvrières. Des centaines d'opposants atlantistes chez les responsables politiques et dans la presse ainsi que des officiers jugés suspects dans l'armée sont arrêtés ou consignés chez eux. Jan Masaryk, ministre des Affaires étrangères de la Tchécoslovaquie, favorable à un rapprochement aves les puissances occidentales, est retrouvé mort le [2],[3],[4],[6]. Officiellement, il s'est suicidé en sautant d'un immeuble ; selon une contre‑enquête de 2004, il aurait été assassiné par défenestration[11].
Après l'épuration, le parlement approuve à l'unanimité le nouveau gouvernement mais le président Beneš refuse son aval. Le , le président démissionne[12]. Il meurt au mois de septembre suivant[13].
Le Parti communiste et le Parti social-démocrate fusionnent, et les partis de droite se retrouvent isolés au sein du Front national, élargi depuis les manifestations de février à d'autres organisations politiques influencées par les communistes. Des élections sont organisées le 30 mai 1948[14] avec des listes uniques sans opposition électorale, et donnent officiellement 90 % des voix au gouvernement.
Conséquences
[modifier | modifier le code]Par le coup de Prague, Klement Gottwald et Rudolf Slánský sont élus et dirigent tous les rouages du pays. Celui-ci prend le chemin du socialisme pour quarante ans : le 9 mai 1948, une nouvelle constitution entre en vigueur, dans laquelle la République tchécoslovaque est proclamée République populaire[15].
Dans tout le pays, l'opposition est muselée, sous l’influence de conseillers soviétiques. Pour discréditer les opposants à cette République dite populaire ainsi que l'ancienne élite du pays, des campagnes de propagande sont menées, de prétendus complots en vue de tenter un coup d'État ou des sabotages servent de prétexte à des arrestations suivies de procès politiques « pour l'exemple » et de condamnations, y compris à la peine capitale. Milada Horáková, députée socialiste, est ainsi exécutée par pendaison en 1950[16],[17],[18].
À l'Ouest, le coup de Prague provoque une émotion considérable, parce que la Tchécoslovaquie était le plus occidentalisé des pays d'Europe centrale et orientale sur les plans historique et politique. Pour les opinions publiques dans le monde, ce Coup de Prague marque véritablement l'entrée de l'Europe dans la guerre froide[19].
Article connexe
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- François Fejtő, Le Coup de Prague 1948, Paris, Seuil 1976.
- Henry Bogdan, Histoire des Pays de l'Est, Paris, Perrin 1990.
- Torsten Hartleb, La France antimunichoise. Genèse, phénoménologie et fonction décisionnelle d’un complexe historique en 1947/48, Fribourg (Allemagne), Carsten Drecoll 2007.
- Jean-Pierre Rageau, Prague 48, le rideau de fer s'est abattu, Éditions Complexe, 1988.
- en tchèque
- František Čapka Jitka Lunerová, 1948: Vítězný únor: Cesta k převratu, Brno: CPress, 2012. 152 p. (ISBN 978-80-264-0089-9).
- Karel Kaplan, Pět kapitol o únoru, Brno: Doplněk, 1997. 556 p. (ISBN 80-85765-73-X).
- Poslední rok prezidenta: Edvard Beneš v roce 1948, Brno: Doplněk, 1993. 174 p. (ISBN 80-85270-18-8).
- Pravda o Československu 1945-1948. Praha: Panorama, 1990. 245 p. (ISBN 80-7038-193-0).
- Hubert Ripka, Únorová tragédie : Svědectví přímého účastníka. Brno: Atlantis, 1995. 304 p. (ISBN 80-7108-098-5).
- Václav Veber, Osudové únorové dny, Praha: Nakladatelství Lidové noviny, 2008. 426 p. (ISBN 978-80-7106-941-6).
Notes et références
[modifier | modifier le code]- « Les élections tchécoslovaques », Le Monde, (lire en ligne)
- Jan Krauze, « Le coup de Prague de 1948 », Le Monde, (lire en ligne)
- André Sellier et Jean Sellier, Atlas des peuples d'Europe centrale, La Découverte, , « Les Tchèques et les Slovaques. Du coup de Prague à la Révolution de velours », p. 118-120
- « Il y a quarante ans Le coup de Prague », Le Monde, (lire en ligne)
- Jean-Pierre Rageau, Prague 48 - le rideau de fer s'est abattu, 1981, Complexes, 218 p.
- André Fontaine, « Il y a 25 ans, le coup de Prague », Le Monde, (lire en ligne)
- Ivo Duchacek, « Comment le Kremlin prit ombrage de l'attachement des Tchèques à leurs libertés démocratiques », Le Monde, (lire en ligne)
- (en) Gabriel Kolko, The roots of American foreign Policy : an analysis of power and purpose", Boston, , p. 12 et 13
- (en) Gabriel Kolko et Joyce Kolko, The Limits of Power. The World and US foreign policy. 1945-1954, New York, , chap. 7
- Paul Lenormand, « 25 février 1948 : Le « coup de Prague » », sur Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe - EHNE, mis en ligne le 01/09/22 (consulté le )
- « Mort de Jan Masaryk : un enregistrement audio inédit pourrait permettre de rouvrir l’enquête », Radio Prague, (lire en ligne)
- Ivan Herben, « Le cas Bénès », Le Monde, (lire en ligne)
- « Edouard Bénès est mort », Le Monde, (lire en ligne)
- « 1948 : le Coup de Prague », sur Académie de Paris
- « La nouvelle constitution tchécoslovaque », Le Monde, (lire en ligne)
- « Les Autorités de Prague prépareraientT un procès des partisans de Benès », Le Monde, (lire en ligne)
- « Quatre condamnations à mort au procès de Prague », Le Monde, (lire en ligne)
- Petr Koura et Pavlína Kourová, « La campagne de propagande qui accompagna le procès politique de ”Milada Horáková et Cie” », Cahiers du CEFRES, Centre Français de Recherche en Sciences Sociales, , p. 59-103 (lire en ligne)
- « Histoire de comprendre. Épisode 22 : 25 février 1948, le coup de Prague », sur Le Figaro