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Cagot

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À Saint-Léger-de-Balson (Gironde), la source Saint-Clair est « double » : l'une réservée aux pèlerins chrétiens, l'autre aux cagots (février 2010).
Derniers cagots (« Agotes ») à Bozate (Navarre), fin du XIXe siècle. Montage photographique de 1900.
Langues pré-indo-européennes documentées, dont le Basque.
Répartition des langues indo-européennes au VIe siècle av. J.-C..

Le terme Cagots — ou Caqueux — désigne des hommes et des femmes soumis à une ségrégation, puis à une discrimination persistante, entre le XIIIe siècle et le XIXe siècle, dans une aire géographique couvrant les Pyrénées, du sud de la Garonne au nord de l’Èbre.

Ces individus sont injustement soupçonnés d’être porteurs de lèpre (sous forme héréditaire ou dite « blanche ») ou considérés comme les descendants d’une « race maudite » (notamment les Goths, les Cathares ou les Sarrasins). Rejetés en marge de la société, ils ne peuvent exercer que des professions artisanales liées au travail du bois. La ségrégation perdure notamment en raison de l’obligation d’endogamie entre cagots. Les formes et l’intensité de cette discrimination, ainsi que les appellations employées, varient selon les époques et les régions.

Dans le sud-ouest de la France, un cagot (féminin : cagote) est appelé agote sur le versant sud des Pyrénées, en Espagne. D’autres dénominations existent, comme carròts, cascarròts, capots, coquets, ou encore collibertus — terme désignant à l’origine le serf et le traître, puis l’appelant de chasse aux canards sauvages. Ces appellations s’emploient de la Normandie[réf. nécessaire] au Pays basque, sur un territoire allant du Massif central au littoral atlantique.

Des populations comparables sont présentes en Bretagne (les caqueux, caquins ou caquous), considérées comme descendants de lépreux. Les termes utilisés sont péjoratifs, excluants et employés par les populations sédentaires.

Les archives attestent que les familles cagotes établies dans le sud de la France subissent l’exclusion et la répulsion dès le XIIIe siècle, dans leurs quartiers et villages du Pays basque et de Gascogne. À partir de la Renaissance, la discrimination s’étend de part et d’autre du Piémont pyrénéen[1],[2]. Outre de probables raisons religieuses liées à l’hérésie, la réputation des cagots se dégrade dès le Moyen Âge, lorsqu’ils sont assimilés à la menace épidémique de la lèpre. Leur situation se détériore encore lorsqu’ils sont également associés aux gens du voyage de la Petite Égypte, migrants en Europe.

Étymologie de « cagot »

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Migrations wisigothes entre 376 et 418.
Le Royaume wisigoth vers 500.
Dialectes actuels du sud de la France :
  • gascon
  • languedocien
  • limousin
  • auvergnat
  • languedocien en cha
  • vivaro-alpin
  • provençal
  • Sous-dialectes de l'occitan dans le sud de la France (selon D. Sumien[3]).

    Jacques Fonlupt, dans Le crépuscule des cagots, rejoint l’analyse du chercheur en anthroponymie Pierre-Henri Billy : « Le mot gascon cagot résulte d’une déformation de l’ancien mot basque kakote, qui signifie "petit crochet"[4] ». Cette hypothèse, jugée étymologiquement solide, s’appuie sur le fait que l’expression « petit crochet » pouvait désigner des personnes suspectées de lèpre, en raison des rétractions nerveuses donnant aux doigts de certains malades une forme recourbée. Le terme gaffet, dont le sens occitan initial est « crochet », s’emploie également pour qualifier les lépreux, puis les cagots, en Gascogne[4].

    Une autre hypothèse propose que cagot provienne de la contraction de ca-nes-goth en ca-goth, puis ait évolué phonétiquement en cagotte, agote, cagot et capot[réf. nécessaire]. Les Goths, repoussés vers le sud par les Francs, se réfugient alors massivement dans les Pyrénées. Sur leur chemin, les populations locales leur attribuent des appellations injurieuses. Des documents latins attestent l’expression canes gothi (« chiens de Goths »)[5], utilisée dès 507 pour qualifier les Wisigoths, notamment en raison de leur attachement à l’arianisme, considéré comme une hérésie par les chrétiens catholiques.

    Selon cette interprétation, les cagots — descendants de Goths ariens — subissent la persécution des Francs christianisés après leur victoire à la bataille de Vouillé en 507, au cours de laquelle Clovis Ier tue Alaric II, roi des Wisigoths. Contraints de se retirer dans des zones montagneuses isolées pour préserver leurs pratiques religieuses, ils contractent, en plus de la consanguinité, la lèpre et une hypothyroïdie, maladies endémiques pouvant conduire à un état de crétinisme (à rapprocher du « crétin des Alpes »).

    Par la suite, les cagots abjurent l’arianisme pour rejoindre la communion romaine (en 589 pour les Wisigoths). Cependant, la communauté cagote demeure suspecte : accusée d’héberger des traîtres (collibertus), des hérétiques (canes gothi), voire des lépreux (ladres). Les plus anciennes formes attestées — cacor, cacos, cagou — sont probablement des variantes dialectales du terme cagot.

    Rabelais emploie dès 1535 le mot cagot dans Gargantua, interdisant par inscription l’entrée de l’abbaye de Thélème aux « hypocrites, bigots, cagots ». Les termes bigots et cagots, rapprochés ici par la rime et le suffixe -got, partagent également une connotation péjorative similaire.

    L’Académie française, dans son édition 1932-1935, définit cagot comme : « Celui, celle qui a une dévotion fausse ou mal entendue », en précisant que got, en langue germanique, signifie « Dieu » ; de là viendraient bigot et cagot, désignant des personnes faisant preuve d’une superstition excessive.

    Étienne Pasquier[6] note au XVIe siècle : « Got, en langue germanique et française, signifiait Dieu, et de là nous tirons les mots bigot et cagot ».

    P.-M. Quitard[7] avance encore une autre piste : Court de Gebelin fait dériver ce mot du latin caco-deus, rapporté par Ducange, où caco signifie « faux, mauvais, fourbe ». Ainsi, caco-goth devient un traître, puis un cagot. Du grec kakos, on rappelle que les Wisigoths, originaires du nord de la Grèce, passent par ce pays avant de conquérir Rome puis de s’installer dans les Pyrénées.

    Les lexicographes modernes retiennent plutôt une origine liée au latin cacare, devenu cagar en occitan (« déféquer »), appliqué par dérision aux populations pyrénéennes isolées, peut-être affectées de lèpre, et par extension aux bigots[8],[9]. En béarnais, cagot serait un diminutif de cac-osus : cac- (du bas latin cacare, à rapprocher de cagole en occitan et de chier en français) + suffixe -osus (« breneux »)[10],[11].

    Des formes voisines existent en moyen français : cacor (1285[12]), cacos (1321[13]), cagou (1426[14]) et caqueux (XVe siècle)[9],[11]. Le breton cagou, lié à cagal (« crotte »), prend aussi le sens de « misérable » ou « mendiant », et pourrait correspondre au béarnais cagot.

    En résumé, cagot en béarnais semble avant tout une appellation dépréciative occasionnelle, la désignation plus neutre de crestian étant la plus répandue (notamment en toponymie). La prononciation béarnaise [ca'ɣɔt], avec le suffixe diminutif occitan -òt, donne au mot le sens littéral de « crotte » ou « petit merdeux ».

    Localisation et désignation

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    Un lépreux agitant sa crécelle. Enluminure du Livre des propriétés de choses de Barthélémy l’Anglais, France, fin du XVe siècle, Paris, BnF, département des Manuscrits.
    Porte réservée aux cagots dans l’église de Sauveterre-de-Béarn.
    À gauche, dans l’ombre d’un escalier, des personnes effrayées se cachent et se bousculent pour fuir un lépreux qui agite sa cloche pour se signaler.

    Les cagots vivent en Gascogne (des portes de Toulouse[15] jusqu’au Pays basque, en Armagnac, en Chalosse, dans le Béarn, en Bigorre et dans les vallées pyrénéennes), ainsi que dans le nord de l’Espagne (Aragon, Navarre nord et sud, Pays basque et Asturies), où ils sont appelés Agotes[16].

    Réduits depuis des siècles à entretenir des relations presque exclusivement entre eux, ils ne constituent pas un groupe homogène. Ils vivent au contraire dispersés, par petits groupes de deux ou trois familles, en périphérie de nombreuses villes ou villages des régions citées[17].

    Ces hameaux portent le nom de crestianies, puis, à partir du XVIe siècle, de cagoteries[18],[19], ou encore « aux Capots ». En Béarn, leur répartition — souvent charpentiers — correspond à celle d’autres artisans nombreux dans le piémont. Les crestians se répartissent dans 137 villages et bourgs. En dehors des montagnes, 35 à 40 % des communautés comptent des cagots, principalement dans les plus importantes, à l’exclusion des très petites localités[20].

    La toponymie et la topographie indiquent des constantes : quartiers excentrés, hors des murs, souvent nommés « crestian » (et dérivés) ou « place » (le patronyme Laplace est fréquent), toujours proches d’un point d’eau, indispensable à la vie et à l’exercice de leurs métiers.

    Insigne en façade signalant l’habitation d’un cagot à Langogne (Lozère).

    Avant le XVIe siècle : « Cagots », « Crestians » et « Gésitains » pour raisons religieuses et sanitaires

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    Les chercheurs situent l’apparition des termes « crestians » ou « chrestias » au XIIIe siècle[21]. Ce terme pourrait être synonyme, en gascon, de « lépreux blanc ». Les lépreux sont alors appelés pauperes Christi (« pauvres du Christ »), à rapprocher des Anawim (« pauvres de Yahvé »), ce qui reflète sans doute un principe de précaution d’inspiration religieuse.

    À Bordeaux, les crestias sont appelés ladres (voleur en gascon), mot qui signifie lèpre en ancien français et qui se rapproche de l’espagnol ladrón (« voleur », « pillard ») et du terme bagaude, dont cagot pourrait dériver. Les chroniques mentionnent aussi capos, gaffos ou Lazare, termes injurieux synonymes de lépreux. Dans certains textes du XVIe siècle, cagot et ses équivalents sont employés comme synonymes de « lépreux ». En béarnais, il signifie « lépreux blanc ». D’autres appellations existent : gahets (gahets, gahetz, gafets, gaffets) et Gahouillet (forme pyrénéenne du castillan gajo, « lépreux »).

    Au Moyen Âge, « lèpre » désigne diverses maladies cutanées : la lèpre rouge, presque toujours mortelle, et la lèpre blanche ou tuberculeuse, aux symptômes proches mais plus stables. Toute affection cutanée visible est assimilée à la lèpre et entraîne un isolement. L’ignorance médicale conduit à croire ces maladies héréditaires et hautement contagieuses.

    En Gascogne, on parle aussi de lo mau de sent Lop (« le mal de saint Loup ») ou, plus souvent, de lo malandrèr (« le mal-aller »), issu du latin malandria, à rapprocher de l’italien malandato et des mots français « malandrin » et « maladrerie ». Le terme ladre (de Lazare) est également utilisé[22].

    Le terme Gésitas, Gésites ou Gésitains apparaît après 1517, à la suite d’un procès consécutif à une pétition de cagots aux États de Navarre. Caxarnaut, opposant à cette demande, cite un passage de l’Ancien Testament où le prophète Élisée guérit un prince de la lèpre mais punit son valet Géhazi en lui transmettant la maladie. Caxarnaut s’appuie sur ce récit pour affirmer que la lèpre est incurable et d’origine divine[23]. Ce terme savant reste cantonné aux textes officiels et n’est pas adopté par le peuple[24].

    Au fil des siècles : nouvelles appellations

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    Pattes palmées de l’oie, un palmipède.

    Le mot cagot apparaît vers le XVIe siècle, lorsque la théorie d’une origine gothique remplace celle du lien avec la lèpre[23]. À la Renaissance, crestia et crestian disparaissent de l’usage courant. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en Armagnac, Condomois et Lomagne, on parle de capots ; en Béarn de cagots ; au Pays basque français et en Navarre espagnole d’agots[24]. On trouve aussi agotasBordeaux, dans l’Agenais et les Landes) et agotz (Pays basque).

    Durant cette période apparaissent aussi mèstres (« maîtres » dans le travail du bois) et charpentiers. Les Parlements tentent d’imposer ce dernier terme pour remplacer capot ou cagot, jugés insultants[24].

    Dans d’autres régions, les cagots sont appelés :

    Le terme collibertus, en latin, désigne originellement un pauvre ou un serf dans l’Antiquité, puis un « traître » au Moyen Âge. En Poitou, il sert aussi à nommer le canard colvert, dont l’appelant est utilisé pour tromper les colverts sauvages en migration.

    Cette migration annuelle évoque celle des compagnons cagots et de leurs familles : ouvriers qualifiés contraints à l’itinérance hivernale, faute de pouvoir travailler sur les toitures dangereuses. Les cagots apparaissent ainsi comme des semi-nomades économiques, proches des Mercheros (Espagne) et des Yéniches (centre et est de la France), eux aussi artisans itinérants vivant en marge des sociétés sédentaires.

    Dès le XVe siècle, le rejet envers les cagots s’intensifie avec l’arrivée en Europe de groupes de la Petite Égypte (premiers Roms), affirmant avoir quitté leur pays pour expier une apostasie chrétienne. Assimilés à ces gens du voyage, les cagots subissent un mépris et une exclusion accrus.

    Une population réprouvée

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    Bagnères-de-Bigorre - l'Adour et le quartier des cagots

    Les cagots vivent comme des proscrits et sont frappés de tabou. Un grand nombre d’interdictions, dictées par la superstition, pèsent sur eux : certaines sont transmises oralement, d’autres sont inscrites dans les « fors » (lois) de Navarre et du Béarn aux XIIIe et XIVe siècles.

    Lorsqu’un cagot est reconnu et que la décision de le proscrire est prise, il est arraché à sa famille, recouvert d’un drap mortuaire, puis le chef de la paroisse vient le prendre en procession. Il le conduit à l’église, où il est placé en chapelle ardente pour entendre les prières des morts et recevoir des aspersions, avant d’être mené à la maison qu’il doit désormais occuper.

    « Arrivé à la porte, au-dessus de laquelle se trouve une petite cloche surmontée d’une croix, le lépreux, avant de se dépouiller de son habit, se met à genoux. Le curé prononce alors un discours touchant, l’exhorte à la patience, lui rappelle les tribulations de Jésus-Christ et lui montre, au-dessus de sa tête, le ciel prêt à le recevoir, séjour réservé à ceux qui ont été affligés sur la terre. Le malade retire ensuite son vêtement, revêt sa tartarelle de ladre, prend sa cliquette pour que, désormais, chacun le fuie. Alors le curé, d’une voix forte, lui énonce les interdictions prescrites par le rituel :

    « : Je te défends de sortir sans ton habit de ladre.

    Je te défends de sortir nu-pieds.
    Je te défends de passer par les ruelles étroites.
    Je te défends de parler à quelqu’un lorsqu’il sera sous le vent.
    Je te défends d’aller dans aucune église, dans aucun moutier, dans aucune foire, dans aucun marché, dans aucune réunion d’hommes.
    Je te défends de boire et de laver tes mains, soit dans une fontaine, soit dans une rivière.
    Je te défends de manier aucune marchandise avant de l’avoir achetée.
    Je te défends de toucher les enfants. Je te défends de leur rien donner.
    Je te défends enfin d’habiter avec toute autre femme que la tienne[28]. »


    Interdits et obligations

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    Les interdits pesant sur les cagots ne se cumulent pas toujours. Ils varient selon les régions, de part et d’autre des Pyrénées, et évoluent au fil des siècles, sur près de 800 ans.

    Discriminations de lieu d'habitation

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    Mis à l’écart et victimes d’un racisme populaire profondément enraciné localement, les cagots ne peuvent, dans certains lieux et sous les peines les plus sévères, habiter les villes ou les villages. Ils résident dans des quartiers spéciaux, des hameaux ou des villages isolés, souvent établis dans d’anciennes léproseries. Ces hameaux possèdent leur propre fontaine, leur lavoir et souvent leur église, parfois accompagnée d’un petit établissement hospitalier géré par un ordre religieux[23].

    Obligation de porter un insigne et obligations vestimentaires

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    Pièce monnaie "Gros à la fleur de lys" dite Patte d'oie (à gauche) sous le roi Jean II le Bon - 1358

    Les cagots doivent porter un signe distinctif, généralement en forme de patte d'oie (« pédauque ») ou de canard, découpé dans du drap rouge et cousu sur leurs vêtements. Francisque Michel montre, dans l’une des chansons anciennes contre la cagoterie qu’il compile et publie (Noces de Marguerite de Gourrigues, du XVIIe siècle), qu’en plus de la patte de canard cousue sur la poitrine, les cagots portent aussi une cocarde rouge au chapeau[29]. À Marmande, en 1396, le règlement municipal impose aux gahets de porter, cousu sur leur vêtement extérieur, du côté gauche, un signe en tissu rouge, long d’une main et large de trois doigts[30].

    Un arrêt du parlement de Bordeaux leur interdit, sous peine de fouet, d’apparaître en public autrement que chaussés et habillés de rouge, à l’instar des Cacous en Bretagne.

    En 1460, les États de Béarn demandent à Gaston IV de Foix-Béarn de leur interdire de marcher pieds nus dans les rues sous peine d’avoir les pieds percés d’un fer, et de les obliger à porter sur leurs vêtements leur ancienne marque en forme de pied d’oie ou de canard. Le prince ne donne pas suite à cette requête.

    Contrairement aux lépreux, dont le signe distinctif principal est la cliquette ou un instrument sonore comme les cliquets, la crécelle ou la tartavelle, le chercheur Yves Guy souligne qu’aucune source ne mentionne un cagot s’annonçant par un instrument bruyant[31].

    À Jurançon, les cagots doivent placer devant la porte principale de leur maison une sculpture en pierre représentant un homme. Toutes ces figures sont par la suite détruites avec soin, mais il est probable qu’elles servent à signaler la présence d’un cagot[29].

    Discriminations à l'église

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    Sculpture de « cagot » de l’église Saint-Girons de Monein.

    Les cagots ne se rendent au village que pour leurs besoins les plus pressants et pour aller à l'église. Dans de nombreux cas, ils n’entrent que par une porte latérale, souvent plus petite, comme celle de l’église d’Arras-en-Lavedan ou de l’Abbaye de Saint-Savin-en-Lavedan — une petite ouverture au ras du sol appelée « fenêtre des cagots »[32]. Ils prennent l’eau bénite uniquement au bout d’un bâton, et le curé leur tend l’hostie sur une planchette lors de la messe.

    Parfois, ils disposent de leur propre bénitier, simple pierre creusée et incrustée dans un mur de l’église, sans ornementation notable. Plusieurs bénitiers sur pied représentant des Atlantes ou des Maures sont à tort attribués aux cagots, notamment à Pierrefitte-Nestalas et à l’abbaye de Saint-Savin-en-Lavedan[23].

    Dans certains lieux, les sacrements leur sont refusés, pour les mêmes raisons qu’aux animaux. Ils ne peuvent recevoir le sacrement de l’Ordre et ne peuvent entrer dans la cité de Lourdes que de jour, par une porte qui leur est réservée : la Capdet pourtet[23].

    Discriminations liées à l'état civil

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    La naissance dans une famille de cagots établit pour la vie la condition de « cagot ». La marginalisation débute dès le baptême, célébré sans carillon et à la nuit tombée : la mention « cagot », ou son synonyme érudit « gézitain », figure alors sur le registre paroissial, et l'inhumation s'effectue dans un cimetière distinct[31]. Les cagots ne portent pas de nom de famille dans les registres : seul un prénom, suivi de la mention « crestian » ou « cagot », est inscrit sur l'acte de baptême. Sur les registres paroissiaux comme sur les actes civils, leur nom s'accompagne systématiquement de l'épithète dépréciative « cagot ». Ils sont exclus des honneurs et des fonctions publiques ; on ne les admet pas comme combattants, bien que leurs compétences de charpentiers soient requises pour certains travaux de siège. Il leur est interdit de porter toute arme ou tout outil de fer autre que ceux strictement nécessaires à leur profession.

    Les mariages entre cagots sont la règle ; une union avec une personne extérieure entraîne le déshonneur de la famille d'accueil[33]. Pour limiter la consanguinité, les cagots cherchent souvent épouse dans d'autres communautés cagotes, plus ou moins proches, ou s'expatrient à courte distance en apportant leur patronyme d'origine dans la communauté d'accueil[24]. Les noces cagotes suscitent fréquemment l'hostilité villageoise : cris, chansons injurieuses et cortèges moqueurs accompagnent le passage des mariés, et des rixes peuvent éclater — rixes au cours desquelles les mariés et leurs convives, en infériorité numérique, sont généralement désavantagés[33].

    Discriminations juridiques

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    Les cagots ne sont entendus en justice qu'à défaut d'autres témoignages, et il faut la déposition de quatre, voire de sept d'entre eux, pour équivaloir à un témoignage ordinaire[33]. Selon l'ancien for de Béarn, sept témoignages cagots sont requis pour valider une déposition. Leur pouvoir juridique n'est cependant pas nul : ils ne sont pas serfs et peuvent conclure des contrats. Ainsi, ils passent un accord de gré à gré avec Gaston Fébus dans l’église de Pau, en présence de témoins et devant notaire[34], par lequel ils s’engagent à construire le château de Montaner en échange d’une exonération de la taille.

    Interdictions concernant les activités liées à la nourriture et à l'eau

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    Les interdits liés aux croyances selon lesquelles les cagots peuvent contaminer l'eau sont nombreux : il leur est interdit de boire aux fontaines publiques et ils doivent se servir uniquement de fontaines qui leur sont réservées. Ils ne peuvent pas laver leur linge aux lavoirs communs. Par exemple, à Cauterets, ils ne peuvent se baigner qu'après les autres habitants et seulement par une entrée dérobée menant à des bains réservés aux cagots[23].

    Ils n’ont pas le droit d’entretenir de bétail, à l’exception d’un cochon pour leur propre consommation et d’une bête de somme — sans pour autant bénéficier de la jouissance des biens communaux pour ces animaux[33]. Il leur est interdit de vendre le produit de leur exploitation aux habitants du village[23] (interdiction de commerce).

    Ils ne peuvent pas labourer, danser ou jouer avec leurs voisins[33]. Certains métiers leur sont interdits, en particulier ceux considérés comme susceptibles de transmettre la lèpre, comme les professions liées à la terre, au feu et à l’eau. Ainsi, ils ne sont jamais cultivateurs et ne doivent pas porter d’objet tranchant, ni arme ni couteau.

    En 1606, les États de Soule leur interdisent la profession de meunier. Les règlements les plus anciens ne précisent pas toujours qu’ils ne peuvent être que charpentiers, mais leur interdisent plusieurs autres métiers, notamment ceux liés à l’alimentation. Ainsi, la coutume de Marmande (1396) interdit aux gaffets de vendre du vin ou de faire commerce dans les tavernes ; ils ne peuvent pas non plus vendre du porc, du mouton ou d’autres animaux comestibles, ni extraire l’huile de noix. La coutume du Mas d’Agenais (1388) leur interdit d’être embauchés pour les vendanges[34].

    Le clergé comme l’aristocratie justifient ces discriminations, parfois jusqu’en plein XVIIIe siècle, bien que les cagots soient catholiques. Cependant, ils condamnent les excès commis par les manants à leur encontre, ces derniers supportant les corvées et la taille, dont les cagots sont parfois exempts selon les époques et les régions.

    Aucune étude ou recensement ne répertorie les cagots protestants, bien qu’il soit probable qu’il en existe dans les régions majoritairement réformées du sud-ouest.

    Statut fiscal des cagots

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    Charpente de l'église Saint-Girons de Monein, construite par les cagots.

    Dans les années 1360 et 1365, les cagots paient des redevances pour leurs terres ou fiefs, ainsi que des taxes sur le revenu de celles-ci[34]. L’exemption de la taille n’est pas uniforme. Au XVe siècle, dans la plupart des pays d'élection (les plus nombreux), la taille concerne les chefs de famille roturiers et est répartie arbitrairement selon les signes apparents de richesse et les réseaux d’influence. Dans les régions soumises à la « taille réelle » (principalement dans les pays d'État), la taille[35] porte sur les biens fonciers.

    L’Armagnac stricto sensu, avec le Béarn où les cagots représentent aussi environ 2 % de la population, constitue le seul territoire où ils disposent d’un statut fiscal spécifique[20].

    Le 6 décembre 1379, alors que la taille seigneuriale existe depuis environ 300 ans, les cagots, représentés par leurs procureurs, concluent un traité avec Gaston Fébus : ils s’engagent à réaliser toute la charpente du château de Montaner, ainsi que les ferrures nécessaires, à leurs frais. En contrepartie, le prince leur accorde une remise de deux francs sur l’imposition de chaque feu (foyer), les dispense de la taille et leur permet de prendre du bois dans ses forêts. Ces exemptions ne concernent que les cagoteries existantes en 1379, et non celles créées ultérieurement, comme le précise le For de 1551[34]. Ce privilège est aboli en 1707. On ignore si les cagoteries abandonnées en 1385 (Aydie, Montardon, Lagor, Laas) bénéficient de ce traité lorsqu’elles sont à nouveau occupées. Plusieurs cagots recensés en 1385 semblent toutefois ne pas payer le droit de feu. La reconnaissance envers Gaston Fébus s’exprime dès 1383 par un hommage collectif réunissant quatre-vingt-dix-huit d’entre eux[34]. Après la mort du prince, la rénovation du for en 1398 maintient ces exemptions pour les cagoteries, au même titre que les ecclésiastiques pour leurs bénéfices[20]. En 1379, certains serfs bénéficient aussi d’exemptions de corvées, en échange de paiements affectés aux travaux du château[36].

    Dans les Landes et en Chalosse, où leur présence est importante, les cagots paient des droits paroissiaux spécifiques[20]. Le nombre de questes prélevées sur eux dans les recettes du comte d’Armagnac correspond globalement à la fréquence de la toponymie cagote. La queste ou emparanse (impôts) semble théoriquement reposer sur les chefs de famille, mais la réalité est plus complexe.

    En matière de cens, les gahets de Bordeaux, charpentiers regroupés dans un faubourg formant une communauté, disposent d’une chapelle au milieu des vignes, appelée Saint-Nicolas-des-Gahets[37]. Ils paient collectivement un cens annuel de 16 sous au chapitre de la cathédrale Saint-André. Ils ne peuvent pas toucher aux vivres des marchés ni entrer dans les boucheries, les tavernes ou les boulangeries[38].

    Sous les Albret, les cagots sont dispensés de la Gabelle en Béarn, Bigorre et Chalosse. Cette exemption, lorsqu’elle existe, perdure jusqu’au règne de Louis XIV, époque où environ 2 500 cagots vivent en Béarn. Par ordonnance royale, ils rachètent alors leur « affranchissement » moyennant une compensation financière correspondant aux impôts dont ils étaient exemptés.

    Métiers cagots

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    Au Moyen Âge, on considère que le fer et le bois ne transmettent pas la lèpre. De nombreux cagots exercent donc des métiers liés à ces matériaux : charpentiers, menuisiers, bûcherons, sabotiers, tonneliers ou forgerons. Le choix de la profession varie selon les régions : en Béarn, ils ne peuvent être que charpentiers, tandis que dans le Gers, ils sont limités au métier de bûcheron[31].

    Cagots bâtisseurs

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    Le château de Montaner, construit par les cagots pour Gaston Fébus.
    Bénitier destiné aux cagots, cathédrale d'Oloron, Béarn

    Les cagots excellent dans le travail du bois et participent à la construction de nombreuses charpentes d’édifices, dont certains sont aujourd’hui classés monuments historiques.

    • Au XIIIe siècle, des cagots du Béarn se voient confier la construction de la charpente de Notre-Dame de Paris[17],[39].
    • En 1379, sous la direction de Sicard de Lordat et de vingt-cinq maîtres maçons, les cagots construisent le château de Pau[34]. Dans le Béarn, la liste des cagots ayant travaillé à la charpente du château de Montaner (engagement pris en 1379, réalisé en 1398) et le dénombrement général de la vicomté en 1385 permettent d’estimer leur nombre à cette époque entre 600 et 1 000 personnes[40]. Pour le château de Montaner, le maître charpentier cagot Pierre Doat s’engage à installer des fours pour cuire 100 000 briques par an. Pour achever le donjon et l’ossature des bâtiments intérieurs, quatre-vingt-huit charpentiers cagots fournissent toutes les pièces de bois taillées, leurs ferrures, les posent et recouvrent les charpentes de lauzes livrées sur place[36].
    • En 1396, Berdot de Candau et Arnaud de Salafranque, sous la direction du chef des cagots de Lucq, Peyrolet, réalisent les réparations de l’église d’Ogenne[34].
    • En 1404 et 1414, les cagots réparent le moulin de Navarrenx sous la direction de Berduquet de Caresuran, architecte reconnu[34].
    • En 1464, à Monein (qui compte en 1385 environ 2 300 habitants), la réalisation de la charpente exceptionnelle de l’église Saint-Girons leur est confiée[41]. Comme dans d’autres églises de la région, un bénitier et une petite porte sont réservés aux cagots[42].
    • Au XVIe siècle, ils travaillent aux abattoirs et au temple protestant de Pau[34].
    • En 1597, après un incendie qui endommage l’église de Campan, ils reconstruisent la charpente.
    • En 1694, le 19 novembre, un nouvel incendie détruit l’église de Campan, la halle et 70 maisons. Les cagots reconstruisent l’église ainsi que la halle de Campan, lieu d’un important marché aux bestiaux. L’église et la halle actuelles datent de cette époque. La halle, classée monument historique depuis le 14 mars 1927, est la plus ancienne des Hautes-Pyrénées.
    • Ils réalisent également de nombreux autres travaux à Morlaas, Loubieng, Arzacq et dans d’autres localités[34].

    Règlements et pratiques

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    En 1471, un règlement établi par un notaire d’Oloron précise que les cagots doivent vivre exclusivement de leur métier de charpentiers, conformément à un usage ancien, et leur interdit toute autre profession. Pour éviter que le monopole dont ils disposent ne fasse augmenter les prix, ce règlement stipule que le cagot de Moumour — pour qui le document est rédigé — doit honorer en priorité les commandes des habitants de son village, à un tarif raisonnable[34].

    Lorsqu’ils refusent de travailler sans rémunération, les cagots sont accusés de délaisser les plus pauvres et de ne travailler que pour les riches, moyennant un double salaire, « encore qu’ils ne restassent à l’ouvrage que la moitié du jour ». Les États demandent alors qu’on les oblige à travailler soit à la journée, soit à prix fait, fixé par un expert, et cela aussi bien pour les pauvres que pour les riches[34].

    La plupart accomplissent pourtant leur tâche avec honnêteté et compétence. Jean Darnal, évoquant le règlement de police de Bordeaux en 1555, note qu’ils sont « charpentiers et bons travaillans, qui gagnent leur vie en cet art dans la ville et ailleurs »[43]. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, leur maîtrise du travail du bois est telle qu’on les considère comme des « maîtres », appelés couramment « lous mèstres » ou « les charpentiers »[24]. Ils sont recherchés pour les ouvrages les plus complexes ou les plus périlleux[24].

    Les cagots exploitent également les ressources naturelles de leur environnement. À Navarrenx, par exemple, la pêche au saumon constitue une source de revenus importante pour le village. Certains cagots, habiles charpentiers, participent activement à la fabrication d’engins de pêche tels que le crochet (ancêtre du râteau), le barau (filet tournant), les nasses ou encore les coffres à moulin[44].

    En 1604, sous Henri IV, lorsque les cagots de Nay entreprennent de vendre toutes sortes de marchandises, les États de Béarn réaffirment qu’ils ne peuvent exercer d’autre profession que charpentier ou menuisier, métiers auxquels ils sont assujettis par le For, et leur interdisent « de s’adonner à aucun art mécanique, et moins encore à la vente de marchandises »[34].

    Compagnonnage

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    Campan - La halle, construite par les cagots, classée monument historique.
    Rue du pont des cagots à Campan.

    Au retour de leur pèlerinage à Compostelle, les cagots peuvent s’inscrire comme compagnons de Saint-Jacques à la confrérie des charpentiers de leur village[23]. La relégation professionnelle des cagots peut favoriser l’émergence du compagnonnage, comme le suggère René Descazeaux[réf. nécessaire], mais seulement après leur mise à l’écart, et principalement dans les métiers du bois. Certains auteurs, dont le *Larousse*, avancent que les Gavots (compagnons du Devoir de Liberté) sont des descendants des cagots[45].

    Les cagots[46] ne sont acceptés *que* parmi les compagnons du Devoir de Liberté, l’une des branches du compagnonnage apparue en 1804 et regroupant les compagnons ne se reconnaissant pas dans le catholique « Saint devoir de Dieu » : loups, étrangers, indiens, gavots.

    Tous les cagots ne sont pas charpentiers

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    Le chercheur Yves Guy, en étudiant les actes paroissiaux de familles de Saint-Savin, réfute l’affirmation selon laquelle « tous les cagots sont des charpentiers ». Selon lui, le terme « charpentier » devient une étiquette de substitution pour désigner les cagots[47].

    Les autres professions les plus souvent exercées par les cagots sont celles de menuisier, vannier, cordier et tisserand. Les tisserands travaillent principalement pour l’extérieur, les habitants locaux leur confiant rarement des commandes, prétextant que leur drap serait encagotté[33].

    Lorsque les instruments de torture sont en bois — ce qui est fréquent dans les bourgs et villages — certains cagots exercent comme bourreaus, constructeurs de cercueils et fossoyeurs. Ces fonctions ne contribuent pas à améliorer leur image auprès des populations locales, ni leur condition sociale. En 1607, sous Henri IV, à Garos, ils refusent de fabriquer cercueils et tréteaux pour les supporter. Les jurats et députés de la ville publient alors une ordonnance les contraignant à exécuter ces travaux funèbres sur simple sommation, contre un salaire fixe payé par le maître de la maison où le décès est constaté. Les récalcitrants sont passibles d’une « loi majeure »[34].

    Certains cagots exercent également comme chirurgiens et on leur attribue volontiers des dons de guérisseurs, car vivant à proximité des forêts, ils possèdent une bonne connaissance des plantes médicinales[23].

    Les femmes sont souvent sages-femmes ; jusqu’au XVe siècle, les cagotes détiennent même l’exclusivité de cette activité.

    La profession exercée par les cagots les préserve de la misère et, surtout, les maintient dans une relation constante avec le reste de la population[24]. C’est sans doute cet élément qui contribue, plus tard, à leur réintégration définitive[24].

    Contexte historique du phénomène des cagots

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    En France, une ordonnance de Louis XIV tenta de mettre fin à l'emploi du terme cagot. Mais le clergé persista à employer le terme pendant une grande partie du XVIIIe siècle. Puis cagot disparut presque partout. Le terme continua néanmoins d'être utilisé en Navarre, et en Espagne où le phénomène survécut jusqu'en 1819, et même avec des traces au XXe siècle.

    Origines du phénomène

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    Les explications avancées pour comprendre le phénomène sont multiples. La documentation écrite concernant l’Aquitaine avant le XIe siècle étant presque inexistante, chaque époque et chaque auteur formulent leurs hypothèses selon leurs propres conceptions.

    L’explication traditionnelle veut qu’il s’agisse de familles lépreuses ou de descendants de lépreux. Cependant, le docteur Yves Guy, du CNRS, auteur notamment du rapport « Sur les origines possibles de la ségrégation des cagots », et ayant soigné des lépreux, démontre que la notion — encore admise à la fin du XIXe siècle — de « lèpre blanche » héréditaire est invalidée par les connaissances médicales contemporaines[48]. La caractérisation des cagots comme lépreux héréditaires relève donc d’un fantasme collectif localisé. Les cagots ne sont pas lépreux, mais ils sont désignés comme tels[25]. Dès le XIIe siècle, avec le développement de la lecture morale et allégorique de la Bible, les théologiens considèrent la lèpre comme la figure biblique du péché universel[25]. Sur fond d’ignorance radicale de la nature réelle de la maladie et de peur panique face au fléau, cette vision religieuse légitime l’idée d’une « lèpre héréditaire »[25].

    Plusieurs origines ethniques leur sont également attribuées : certains historiens les font descendre des Goths[49], des Sarrasins[50] ou encore des Cathares.

    L’hypothèse cathare s’appuie sur une supplique adressée en 1514 au pape Léon X (voir infra) : « (…) parce que l’on dit que leurs ancêtres avaient prêté main-forte au comte Raymond de Toulouse, dans sa révolte contre la sainte Église romaine (…) »[51]. Les pétitionnaires ne contestent pas ces faits mais ajoutent : « (…) Ils supplient le Saint Père d’ordonner que, puisqu’ils n’ont trempé en rien dans la conduite de leurs aïeux, ils soient remis en possession de tout ce qu’on leur dénie (…) Car ils sont bons catholiques et fils soumis de sainte mère l’Église (…) ». De plus, le terme « crestians » évoque le nom que se donnent les Cathares : « bons crestians »[52]. En général, cette thèse est rejetée par les historiens (par exemple De Marca[53] et Lardizábal[réf. souhaitée]), qui soulignent que les premiers Cathares apparaissent en Languedoc vers 1170 et qu’il n’existe pas d’Église cathare en Gascogne. Le catharisme organisé ne dépasse guère la rive droite de la Garonne, alors que les cagots se trouvent surtout en rive gauche (Bigorre, Béarn, Gascogne, Pays basque, Navarre). Toutefois, rien n’interdit de penser qu’un certain nombre de Cathares[réf. souhaitée], fuyant massacres et répression, se réfugient en rive gauche, avant d’être englobés sous l’appellation générique de « cagots » et de se déclarer fidèles à l’Église de Rome pour échapper à la persécution[54].

    Une hypothèse sociale voit dans les cagots des réprouvés en raison de leur métier (charpentiers)[réf. souhaitée]. Mais les sources[réf. souhaitée] indiquent que ce ne sont pas les corporations qui provoquent l’ostracisme, mais au contraire les restrictions imposées qui les conduisent à adopter certains métiers.

    Alain Guerreau, directeur de recherche au CNRS, analyse les conditions qui permettent qu’un groupe soit stigmatisé de cette manière[55]. Selon lui, la réorganisation de la société féodale dans le sud-ouest de la France aux XIIe et XIIIe siècles, dans un contexte économique et politique figé, crée une catégorie d’exclus (fils cadets sans terre) vivant à la marge. Les lépreux étant également rejetés à la même époque, l’assimilation entre les deux groupes se maintient ensuite, une fois leur origine oubliée.

    La lente lutte des cagots vers l'intégration

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    Maisons de cagots dans le quartier Mailhòc (maillet de bois), Saint-Savin, carte postale ancienne (1906). Cette maison est aujourd’hui démolie.

    En 1425, dans son château de L'Isle-Jourdain, le comte Jean IV d'Armagnac reçoit une « plainte et supplique » des Crestias de Lectoure. Il écrit au juge de Lomagne que ces Crestias sont quotidiennement inquiétés et molestés par les bailes de Lectoure, sans crime ni délit justifiant ces vexations, dans le seul but de leur extorquer de l’argent. Il ordonne alors d’interdire et de défendre à ces officiers, sous peine sévère, toute nouvelle oppression à l’encontre des Crestias, sauf en cas d’accusation formelle[24].

    En 1514, les cagots de Navarre s’adressent au pape Léon X, dénonçant les discriminations dans les églises. Par bulle, Léon X ordonne de « les traiter avec bienveillance sur le même pied que les autres fidèles » et confie l’application de cette décision au chanoine de Pampelune. Mais cette mesure entraîne de longs procès, malgré l’appui de l’empereur Charles Quint en 1524[24].

    En 1515, plus de deux cents agots issus de soixante-cinq villages des diocèses de Pampelune, Huesca, Jaca, Bayonne et Dax saisissent le parlement de Pampelune, qui leur donne raison. Mais la situation locale reste inchangée, l’hostilité de la population — notamment rurale et en connivence avec le bas-clergé[18] — demeurant[24].

    Pendant plus de trois siècles, le scénario se répète : brimades persistantes, procès de plus en plus souvent gagnés, appui du haut clergé et des princes, mais résistance des autorités locales et du peuple.

    Un exemple notable est la lutte des cagots de Saint-Clar et de Lectoure à partir du milieu du XVIe siècle. Subissant violences et injures, ils perdent un procès en 1560[56], font appel en 1579, puis connaissent de nouvelles affaires en 1599 et 1600. Le Parlement de Toulouse ordonne un examen médical pour vérifier leur état de santé : le 15 juin 1600, les médecins confirment qu’ils sont sains. En 1627, le Parlement leur accorde enfin la jouissance de tous les droits refusés jusque-là. Ce jugement semble marquer un tournant, aucun nouveau procès n’étant relevé avant la fin du XVIIe siècle[34].

    Au XVIe siècle, les cagots représentent environ 10 % de la population locale. L’isolement commence à se relâcher, et leurs noms, inscrits dans les registres paroissiaux, ne permettent plus de les distinguer des autres. De nombreuses familles du sud-ouest de la France et du versant espagnol des Pyrénées comptent aujourd’hui au moins un ascendant cagot.

    En 1683, un événement administratif accélère ce processus. Louis XIV et Colbert, ayant besoin de fonds pour financer leurs guerres, envisagent d’instaurer la gabelle au Béarn, à la Bigorre et à la Chalosse, territoires jusque-là exemptés. L’intendant de Béarn, M. Dubois du Baillet, propose d’offrir aux cagots la possibilité d’acheter leur affranchissement. L’idée est acceptée et des Lettres Patentes sont distribuées. Les cagots obtiennent ainsi la suppression partielle des interdits (ordonnance de l’intendant de Bezons en 1696), avec l’appui de l’évêque de Tarbes Mgr de Poudenx, puis leur abolition totale en 1789. En 1768, son successeur Mgr de la Romagère ordonne prêtre le premier cagot. À la fin du XVIIIe siècle, leur intégration dans les communautés villageoises est quasiment acquise, bien que certains non-cagots persistent à les rejeter[23].

    La Révolution française leur accorde la pleine citoyenneté[57], à la suite des Juifs et des Protestants réintégrés par l’édit de Versailles (1787).

    En 1809, le sous-préfet d’Argelès écrit au ministre de l’Intérieur que la population cagote « s’est tellement fondue et mélangée par les alliances avec les autres communautés du pays que tous les caractères physiques et moraux, s’il en existe, ont entièrement disparu, et que ces familles ne sont plus distinguées que par l’ancienne tradition locale dont le souvenir s’efface chaque jour »[23].

    Au XIXe siècle, le terme « cagot » subsiste comme injure dans le sud-ouest, bien que l’origine en soit déjà oubliée.

    En Espagne, en Navarre, la ségrégation prend officiellement fin en 1819, lorsque le Parlement interdit toute marginalisation des agotes. Toutefois, les mentalités évoluent lentement. La localité de Bozate, dans la commune d'Arizkun, vallée du Baztan, reste la dernière enclave connue des agotes, du XIVe siècle au début du XXe siècle : porte séparée à l’église, espace distinct au cimetière, absence de mariages mixtes, ségrégation scolaire, etc.

    La rue des Capots, et la "porte Anglaise" - Mézin (Lot-et-Garonne).
    Porte murée dite « des cagots » de l'église Saint-Martin de Moustey

    En Espagne, dans la localité de Bozate, le sculpteur Xabier Santxotena[58], né à Arizkun et descendant d’Agotes, crée un musée consacré aux cagots. Selon lui, les cagots proviennent de groupes issus d’une ancienne guilde française dédiée à la construction de cathédrales. L’exclusion viendrait de leurs idées religieuses divergentes de l’orthodoxie catholique : incinération des morts, rejet de la hiérarchie ecclésiastique, etc.[59]. Considérés comme hérétiques, les Agotes se voient attribuer symboliquement une « lèpre spirituelle ». Le musée présente les œuvres de Santxotena dans un parc, ainsi qu’une Casa Gorrienea, ouverte en 2003, qui illustre la vie quotidienne de ces ancêtres cagots.

    En France, le seul musée des cagots se trouve à Arreau dans les Hautes-Pyrénées[60]. Il est installé dans le château des Nestes, rue Saint-Exupère[61].

    La toponymie perpétue aussi leur mémoire. Plusieurs localités conservent des noms rappelant leur présence : rue des cagots (Montgaillard, Lourdes)[62], impasse des cagots (Laurède)[62], place des cagots (Roquefort)[62], place des capots (Saint-Girons), rue des Capots (Mézin, Sos, Vic-Fezensac, Aire-sur-l'Adour, Eauze, Gondrin)[62], chemin des capots (Villeneuve-de-Marsan), ruelle des capots (Vérines). À Aubiet, un lotissement nommé « Les Mèstres » rappelle l’ancien hameau des cagots (mestres), situé sur la rive gauche de l’Arrats, séparé du village par la rivière. Dans ce cas, la découverte du nom déclenche un travail pédagogique mené par des enseignants[63]. D’autres lieux-dits évoquent également les cagots, comme Salazar (Villefranche-de-Lauragais), Saint-Lézé et Larrazet (Tarn-et-Garonne)[62]. Jusqu’au début du XXe siècle, plusieurs quartiers de cagots portent encore le nom de Charpentier.

    Un exemple de discrimination fondée sur la peur et les préjugés

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    Peur de la contagion

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    L’histoire des cagots illustre la peur viscérale que les populations éprouvent face à la lèpre, la terreur que cette maladie inspire et, plus largement, les effets dévastateurs que produit la crainte collective : fantasmes, réactions irrationnelles et ségrégation d’une partie de la société.

    Si leur situation présente des parallèles avec celle de groupes marginalisés dans d’autres cultures — tels que les parias et poulichis en Inde ou les burakumin au Japon — la particularité des cagots dans l’histoire des discriminations réside dans le fait qu’il s’agit d’une relégation **héréditaire et socio-économique vernaculaire**, sans justification religieuse ou politique structurée.

    Contrairement aux systèmes de castes, aux ghettos juifs ou aux bannissements organisés, cette exclusion ne vise ni à l’éradication physique ni à la conversion religieuse : aucune trace de pogroms ou de bûchers visant les cagots en raison de leur seule appartenance communautaire n’a été relevée. Il s’agit d’un processus discriminatoire ancré dans la peur d’une maladie jugée impure ou héréditaire, inscrit dans une structure socio-économique d’exclusion au sein même du terroir villageois.

    Considérés comme physiquement différents, les cagots conservent ainsi un statut distinct dans les sociétés médiévale puis moderne, servant parfois de bouc émissaire pour conjurer la peur de la lèpre, maladie dont on ignore l’origine et que l’on ne sait pas traiter.

    Ce n’est qu’avec le renforcement progressif du pouvoir central et de ses politiques uniformisatrices que le phénomène décline, jusqu’à disparaître, pour le cas des cagots, à la fin du XVIIe siècle.

    Préjugés sociologiques

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    Les préjugés envers les cagots reposent, d’une part, sur la croyance en un stéréotype physique. Certains[réf. souhaitée] documents les décrivent tantôt comme petits et bruns, à la peau olivâtre, tantôt comme grands, aux yeux bleus — bien qu’aucune origine ethnique homogène ou particulière ne soit clairement attestée, et qu’aucun trait distinctif net ne les différencie du reste de la population.

    Le 13 juin 1600, des médecins mandatés par le Parlement de Toulouse examinent vingt-deux d’entre eux[réf. nécessaire] et concluent qu’ils sont exempts de toute pathologie. Malgré cette conclusion, les préjugés persistent, attribuant aux cagots[17] des caractéristiques physiques supposées et des traits abstraits. Parmi ces croyances figure l’idée qu’ils dégageraient une odeur désagréable.

    D’autre part, ces préjugés se fondent sur des stéréotypes moraux : les cagots sont parfois décrits comme nuisibles ou maléfiques, soupçonnés de pratiquer la sorcellerie, et accusés de divers vices et maux. À ces représentations s’ajoutent des croyances fantasmatiques leur prêtant des anomalies physiques — absence de lobe aux oreilles, mains et pieds palmés, ou goitre. Certains de ces traits évoquent les séquelles physiques de la lèpre, tandis que le goitre est fréquent dans les populations montagnardes privées de nourriture iodée.

    Quant à l’« arriération mentale » supposée chez une partie de cette population, aucune donnée n’établit un taux supérieur à celui du reste des habitants. Par ailleurs, les sociétés médiévales, contrairement aux sociétés contemporaines, ne pratiquent pas de discrimination fondée sur ce critère.

    Enfin, certains préjugés associent les cagots à un éloignement de l’Église catholique. Cette perception transparaît dans un quatrain de Ronsard (1562), extrait de la *Remonstrance au peuple de la France*, où le terme « cagot » est rapproché de Goths, Wisigoths et Huguenots :

    « Je n'aime point ces noms qui sont finis en os,
    Gots, cagots, austrogots, visgots et huguenots,
    Ils me sont odieux comme peste, et je pense
    Qu'ils sont prodigieux à l'empire de France. »

    Patronymes cagots

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    Patronymes dérivés de cagots en France

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    Au XIXe siècle, une procession de cagots, « Parias des Pyrénées », portant l'habit marqué d'une patte de palmipède, arrive sur les bords du Lapaca aux sons de la crécelle et de la cliquette qui les signalent.
    - (Histoire épisodique du vieux Lourdes, Béarn)

    Les noms de famille dérivés des métiers, tels que Charpentier ou Cordier, sont fréquemment présents dans les descendances des cagots, en raison de l’absence initiale de nom de famille dans les registres paroissiaux. Le surnom de Chrétien, qui leur est donné, entraîne aussi une forte occurrence de ses dérivés (Chrétien, Chrestia, Crestien, Cretin, etc.) dans les noms actuels, sans qu’il soit possible d’exclure d’autres origines pour ces patronymes.

    Les cagots vivant souvent hors des villes, il est fréquent que la place où ils habitent soit désignée simplement comme « la place ». Ainsi, le nom de famille Laplace peut provenir de familles cagotes.

    Plus directement, les dérivés des divers surnoms donnés aux cagots se retrouvent aujourd’hui dans leurs descendances. Parmi eux figurent notamment les formes issues de Colibert (Colbert, Colvert, Collibert, Collibet, etc.), de Caquin ou Kakou (Coquin, Coquet, Caque, Caquette, Caqueux, Cacou, etc.), de Gahet (Gaffet, Gaffez, Gavot, etc.), dAgot, ou encore de Canard, en référence à la patte de canard (Canard, Canar, etc.) ou à la patte d’oie qu’ils doivent porter en signe distinctif.

    Enfin, certains noms de famille désignant des lépreux peuvent aussi avoir été attribués à des cagots : Lépreux, Lazare, Lazaru, Salazar, Leze, etc.

    Autres patronymes portés par les cagots

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    Le premier cagot béarnais identifié par son nom est Domengoo de Momas, originaire d’Artiguelouve. Momas est un village du Béarn. Lorsqu’un cagot s’installe dans la cagoterie d’un autre village, il peut conserver, comme additif à son nom de baptême, le nom du village d’origine dont il a été exclu[64].

    En premier lieu, les cagots portent pour patronymes des prénoms, car ils n’ont pas le droit d’inscrire un nom de famille dans les registres paroissiaux. Cette pratique semble indiquer que le baptême a lieu le jour de la fête d’un saint, dont le nom se substitue à celui du catéchumène : Guillem (Guillaume), Bertran (Bertrand), Baslia (Bastien), Arnaut (Arnaud)[65]. On relève également une forte proportion de diminutifs, traduisant une moindre considération sociale : Janiet (Petit Jean), Guilhaumet (Petit Guillaume), Peyrolet (Petit Pierre), Bernadou (Petit Bernard), Lucalou (Petit Lucas), etc.[65].

    Certains noms proviennent d’objets : Cagotte (petit couvre-chef en osier d’origine normande), Tislès (paniers), Caplisteig (tête de panier) ou encore Tamboury (tambourin), surnom lié à l’usage ancien du tambour de basque par les cagots, ce qui laisse supposer une origine espagnole ou mauresque[65]. Dans de nombreuses variantes, on retrouve la référence à un ustensile rond porté en main, rappelant l’obligation faite aux lépreux du Pays Chartrain de porter un linge blanc sur la tête et un instrument sonore (cloche, crécelle, cliquette, etc.) pour signaler leur présence[66].

    On trouve également des appellations exclusivement cagotes : Berdot, Blazy (Blaise), Estrabou, Doat et Douau, Feuga, Louncaubi et Mouncaubi, Menjou et Menjoulet[65].

    Le paysan pyrénéen porte plus rarement qu’en pays de langue d’oïl un surnom comme patronyme. Toutefois, certains de ces surnoms, tous attestés chez des descendants de cagots, sont : Chibalet (petit cheval), Cournel (cornet, peut-être cornard), Joarï Soulel (Jean qui est seul), Pistole (pistole), Lachoune (parties génitales féminines)[réf. nécessaire], Matagrabe (tue-boue, vainqueur de la boue, en référence probable à une cabane construite sur un bourbier), Lamoune (le singe), Mounau et Mounou (le petit singe), Testaroüye (tête rouge, rouquin)[65].

    Certains noms de lieux sont également spécifiques : Caussade (chaussée), Castagnède (châtaigneraie), Junca/Junqua (jonchaie), Tuya (terrain planté de bruyères et d’ajoncs). Ces toponymes désignent souvent des sites malsains ou isolés, correspondant à l’habitat traditionnel de ces parias. Un nom de métier, réservé aux cagots — tisserand — est fréquent en Béarn et en Bigorre : Tisné et son pluriel Tisnès[65].

    Plusieurs patronymes sont communs aux cagots et à des populations d’Aragon ou de pays de langue catalane, certains répandus jusqu’en Valence et même en Castille. Ils témoignent d’une possible origine espagnole : Antonio, Arraza et Darraza, Berdolo, Monico et Monicolo, Oliva, Rozès, Ramonet et Ramonau, Rotger. Les formes sont parfois altérées par la prononciation gasconne, mais les racines hispaniques restent reconnaissables. Parmi les patronymes d’origine espagnole figurent aussi Chicouyou et Chicoy (du castillan chico, petit, devenu chicou en béarnais, terme servant à désigner les Espagnols dans certaines régions des Basses-Pyrénées), Espagnac et Despagnat. Quelques noms peuvent renvoyer à des origines marranes ou morisques : Moura, Boulan, Boumata, Bourjou, Laouan[65].

    D’autres noms comme Fusler, Miro ou Rey sont fréquents dans les Îles Baléares chez les chuetas, juifs convertis au Xe siècle, et apparaissent ponctuellement dans les Pyrénées. Les noms Marrân et Marrant, quoique rares, correspondent au mot espagnol marrano, désignant un juif converti et, par extension, un porc. Enfin, Gahet et Gahouillet représentent la forme pyrénéenne du castillan gajo (lépreux), exclusivement portée par des cagots.

    Les patronymes de cagots se rencontrent notamment dans les registres paroissiaux — où figure parfois la mention « gézitain » en marge des noms — ainsi que dans les registres notariaux ou fiscaux. L’inventaire des ressources domaniales dans les bailliages de Pau, Lembeye et Montanérès, vers 1550, comporte ainsi de longues listes d’impôts (« francaus ») dus par des cagots, tels que : lo crestia de Gerderest, Menyolet crestia de Gerderest, Dangavo maeste Guillem du crestia du ssus, Margalide du crestia de bat, Johan de Feaas, maeste Bernadon deu Bosq, maeste Bernadon, maeste Bemad de Poguet, maeste Pascaou de Balente[67].

    Sens dérivé

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    Jusqu’au milieu du XXe siècle, le terme cagot, employé comme insulte, désigne aussi bien un « crétin » qu’un « idiot du village », un « bigot » ou un « goitreux ». Beaucoup d’observateurs confondent alors crétins et cagots, en raison de l’endogamie à laquelle ces derniers sont contraints, ce qui entraîne chez certains un aspect physique évoquant un arrêt de croissance. Cependant, ce n’est pas la règle, et les cagots observés par la Société d’anthropologie de Paris en 1867 ne présentent aucune difformité[23].

    Le mot « cagot » prend, par analogie avec « bigot » et sans doute sous l’influence de leur sonorité commune, le sens de « personne dévote à l’excès », sens qui provient probablement des efforts acharnés des cagots pour s’intégrer dans les communautés locales.

    Attesté chez Rabelais, le terme acquiert également la nuance d’« hypocrite » ou de religiosité affectée, annonçant le sens de « tartuffe ».

    « Quoi ? je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique
    Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ? »

    — Molière, Le Tartuffe I, 1.

    « Sénécal se rembrunit, comme les cagots amenés dans les réunions de plaisir. »

    — Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale.

    Notes et références

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    1. [1]
    2. (eu + fr) Marikita Tambourin, Agoten in memoriam, Baiona, Maiatz, , 291 p. (ISBN 9791092009309, OCLC 959549522)
    3. Domergue Sumien (2009), « Classificacion dei dialèctes occitans », Linguistica occitana, 7.
    4. a et b Jacques Fonlupt, Le crépuscule des cagots, histoire de la disparition au XIXe siècle d'une discrimination française, Pau, Presses universitaires de Pau et des pays de l'Adour, , 320 p. (ISBN 978-2-35311-176-3), p. 20
    5. Michel, Histoire des races maudites, I, p. 284.
    6. Étienne Pasquier, Œuvres choisies, p. 101.
    7. p. 1182-1183, Dictionnaire Étymologique, Historique et Anecdotique des Proverbes et des Locutions Proverbiales de la Langue Française. Paris, 1842, P. Bertrand, Libraire-éditeur.
    8. CNRTL (France), ibidem.
    9. a et b Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d'Alain Rey, 4e éd. enrichie, Le Robert, 2012, t. 1, p. 546b.
    10. mensuel CQFD, [2], mai 2011
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    13. Chronique parisienne anonyme, ibidem.
    14. Plouzané, Bretagne, d’après Esn.
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    49. Par exemple le germaniste Pierre Bertaux.
    50. L'historien Claude Larronde, comme Pierre de Marca, pense qu'« Il s'agit de descendants de Sarrasins qui restèrent en Gascogne après que Charles Martel eut défait Abdel-Rahman. Ils se convertirent et devinrent chrétiens. » ; Claude Larronde, Vic-Bigorre et son patrimoine, Société académique des Hautes-Pyrénées, 1998, p. 120.
    51. Loubès 1998, p. 26.
    52. Lafont, R., Duvernoy, J., Roquebert, M., Labal, P., Les Cathares en Occitanie, Fayard, 1982, p. 7.
    53. « L'Israël des Alpes », Revue des deux Mondes,‎ , tome 74. page 595 (lire en ligne)
    54. voir ci-dessus le passage cité de la supplique à Léon X [réf. incomplète]
    55. Les Cagots du Béarn. Recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen de Alain Guerreau et Yves Guy, éditions Minerve, Paris, 1988
    56. Michel Figeac, Les affrontements religieux en Europe : Du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, Coédition CNED/SEDES,
    57. Koffi Serge N'Guessan, « Le peuple Cagot existe-t-il toujours ? », caminteresse.fr,‎ (lire en ligne) :

      « L'évolution du statut des Cagots vers une pleine citoyenneté s'est faite progressivement. La Révolution Française de 1789 a marqué un tournant majeur dans ce processus. En effet, les principes universels de liberté, d'égalité et de fraternité proclamés par la Révolution s'appliquaient théoriquement à tous les citoyens, y compris les Cagots »

    58. (es) Xabier Santxotena Alsua (es)
    59. (es) « Le quartier Bozate »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur diariodenavarra.es (consulté le ).
    60. « Les cagots à Arreau »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Les Hautes-Pyrénées et le village de Loucrup (consulté le ).
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    62. a b c d et e « google maps », sur google maps.
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    65. a b c d e f et g J.H Probst-Biraben, Cagots des Pyrénées et Mudejares d'Espagne, Revue du Folklore Français, , 27-28 p. (lire en ligne)
    66. Robert, Ulysse, Les signes d'infamie au Moyen Âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques, Paris, H. Champion, (lire en ligne), p. 157
    67. Françoise Bériac, Une minorité marginale du Sud-Ouest : les cagots, (lire en ligne)

    Bibliographie

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    Livre d'Anatole France qui a écrit La Rôtisserie de la reine Pédauque (1893).
    Cette reine du royaume wisigoth qui habitait en sa capitale de Toulouse (Tolosa) ou de Rennes-le-Château (Rhedae) était dénommée Pédauque (de Péd=pied et Auca=oie). Car elle avait les pieds palmés et en forme de "patte d'oie". Elle aurait pu être l'une des premières cagotes en raison de sa malformation génétique et de sa religion devenue hérétique: l'Arianisme...
    • Anatole France, 1893, La Rôtisserie de la reine Pédauque, Gallimard, 1989.
    • Antolini, P., 1991, Au-delà de la rivière. Les cagots : histoire d'une exclusion, Nathan (1989 en italien), (ISBN 2091904309).
    • Beñat Le Cagot, Minutes of a Village Meeting, 1979 et That Fox-of-a-Beñat, 1984 (2 nouvelles signées Beñat Le Cagot par Rodney William Whitaker lorsqu'il vivait en reclus avec sa famille dans les Pyrénées basques. Dans Shibumi, il évoque une figure locale, Beñat Le Cagot, barde basque, truculent indépendantiste qui vit dans un village perdu de la Haute-Soule, au Pays basque. Son répertoire religieux, clairement hérétique est composé de jurons bibliques : « par les couilles épistolaires de St-Paul ! » ; « par les couilles perfides de Judas ! » ; « par les couilles humides de St-Jean-le-Baptiste ! »
    • Bouillet, M.-N., et Chassang, A. (dir.), 1878, « Cagots »,
    • François Caradec, Dictionnaire du français argotique & populaire, Paris, Larousse, 1977, 256 p. ; réédité sous le titre N’ayons pas peur des mots en 1988. Nouvelle édition mise à jour, Paris, Larousse, coll. « Références Larousse », 2001, XXII-298 p.
    • Charpentier, L., 1971, Les Jacques et le mystère de Compostelle, Robert Laffont (éditions J'ai Lu) (pages 135-141), (ISBN 2277513679).
    • Cordier, E., 1866-1867, « Les Cagots des Pyrénées », Bulletin de la Société Ramond.
    • Cursente Benoît, Les cagots, histoire d'une ségrégation, 2018, Cairn Edition
    • Descazeaux, R., 2002, Les Cagots, histoire d'un secret, Pau, Princi Néguer, (ISBN 2846180849).
    • Fabre, M., 1987, Le Mystère des cagots, race maudite des Pyrénées, Pau, MCT, (ISBN 2905521619).
    • Fay, H.-M., 1910, Lépreux et Cagots du Sud-Ouest, Paris, 1910, reprint ICN, Pau, 2000, 784 p.
    • Guerreau, A. et Guy, Y., 1988, Les Cagots du Béarn. Recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen, Paris.
    • Jean-Emile Cabarrouy, 1995, Les cagots - Exclus et maudits des terres du sud. J&D Éditions, Biarritz;
    • Loubès, G., 1998, L'énigme des cagots, éditions Sud Ouest, (ISBN 2879012775).
    • Francisque Michel, L'Histoire des races maudites de la France et de l'Espagne, Paris, A. Franck, , 341 p. (lire en ligne) ; rééd. deux tomes, Ed. des Régionalismes, Cressé, 2010, (ISBN 2846183198) & (ISBN 2846185638).
    • Ricau, O., 1999, Histoire des cagots, réédition Pau, Princi Néguer, (ISBN 2905007818).
    • Robb, Graham, Une histoire buissonnière de la France, Flammarion / Champs 2011 (ISBN 978-20812-8946-8).
    • Victor de Rochas, Les parias de France et d'Espagne (cagots et bohémiens), Paris, Hachette, (lire en ligne)
    • Vincent Raymond Rivière-Chalan, La marque infâme des lépreux et christians sous l'ancien régime. Des cours des miracles aux cagoteries, La pensée universelle, 1978
    • Ulysse Robert, Les Signes d'infamie au Moyen Âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles, Paris, H. Champion, 1891, p. 146-158
    • Jean-Jacques Rouch, Jean le cagot : Maudit en terre d'oc, Toulouse, Privat, coll. « Roman historique », , 215 p., 22 cm (ISBN 978-2-7089-5903-3)
    • (eu) Tambourin, Marikita, Agoten in memoriam, 2016, Maiatz

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    Articles connexes

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    Liens externes

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