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Hannah Arendt

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Hannah Arendt
Hannah Arendt en 1958
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Cimetière de Bard College (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Johanna ArendtVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalités
Prusse (-)
apatride (-)
américaine (à partir de )Voir et modifier les données sur Wikidata
Domiciles
Berlin (à partir de ), New York (jusqu'en ), Königsberg, Hanovre, Heidelberg, Marbourg, Lindener Marktplatz 2 (Hanovre) (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Formation
Activités
Conjoints
Günther Anders (de à )
Heinrich Blücher (de à )Voir et modifier les données sur Wikidata
Parentèle
Henriette Arendt (en) (tante)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
New School for Social Research (en) (à partir de )
Université de Chicago (-)
Jewish Cultural Reconstruction, Inc. (en) (-)
Schocken Books (en) (-)
Conference on Jewish Social Studies (en) (-)
The New Yorker
Brooklyn College
Université Columbia
Université de Californie à Berkeley
Université Yale
Université Northwestern
Université Wesleyenne
Université de PrincetonVoir et modifier les données sur Wikidata
Membre de
Mouvement
Maîtres
Influencée par
Distinctions
Prononciation
Œuvres principales
signature de Hannah Arendt
Signature
Plaque commémorative sur le lieu d'inhumation au cimetière du Bard College, à Annandale-on-Hudson (État de New York).

Hannah Arendt, née Johanna Arendt[1] le à Hanovre et morte le dans l'Upper West Side (New York), est une politologue, philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme, la modernité et la philosophie de l'histoire.

Elle soulignait toutefois que sa vocation n'était pas la philosophie mais la théorie politique (« Mein Beruf ist politische Theorie »)[2]. C'est pourquoi elle se disait « politologue » (« political scientist »)[3] plutôt que philosophe. Son refus de la philosophie est notamment évoqué dans Condition de l'homme moderne où elle considère que « la majeure partie de la philosophie politique depuis Platon s'interpréterait aisément comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique »[4].

Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. Néanmoins, certaines de ses thèses, comme le développement de la notion de Totalitarisme ont été vivement critiqués par certains historiens, à l'instar de Ian Kershaw. Ses livres les plus célèbres sont Les Origines du totalitarisme (1951 ; titre original : The Origins of Totalitarianism), Condition de l'homme moderne (1958) et La Crise de la culture (1961). Le mot totalitarianism exprime l'idée que la dictature ne s'exerce pas seulement dans la sphère politique, mais dans toutes, y compris les sphères privée et intime, quadrillant toute la société et tout le territoire. Son livre Eichmann à Jérusalem, publié en 1963 à la suite du procès d'Adolf Eichmann en 1961, où elle développe le concept de la banalité du mal, a fait l'objet d'une controverse internationale.

L'université de Heidelberg comme lieu d'étude et de rencontre dans les années 1920.

Vie et études en Allemagne

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Hannah Arendt naît à Hanovre en 1906. Son père est ingénieur de formation et sa mère pratique le français et la musique. Des deux côtés, les grands-parents sont des Juifs laïcs. Son père meurt en 1913 de la syphilis.

À quinze ans, en 1921, Arendt lit la Psychologie des conceptions du monde de Karl Jaspers, son futur directeur de thèse, et s'intéresse dans la foulée à Søren Kierkegaard, auteur fondamental pour la philosophie de Jaspers[5].

En 1924, après avoir passé son Abitur — équivalent allemand du baccalauréat français ou du diplôme d'études secondaires au Québec — en candidate libre avec un an d'avance, elle étudie la philosophie, la théologie et la philologie classique aux universités de Marbourg, Fribourg-en-Brisgau et Heidelberg où elle suit les cours de Heidegger, de Husserl puis de Jaspers. Elle s'y révèle d'une brillante intelligence et d'un non-conformisme encore peu commun[6].

Sa rencontre avec Martin Heidegger en 1925 est un événement majeur de sa vie, tant sur le plan intellectuel que sentimental. Cet événement a toutefois souvent fait ombrage à la contribution originale de Arendt et occupe une place importante dans la compréhension de sa trajectoire intellectuelle. Arendt voue une grande admiration à Heidegger, de dix-sept ans son aîné. C'est le début d'une relation secrète (Heidegger est marié et père de deux enfants), passionnée et irraisonnée, qui laisse chez elle des traces durant toute sa vie, bien que Karl Jaspers ait été sa véritable figure d'influence intellectuelle. Après avoir interrompu leur relation, Arendt poursuit ses études à Fribourg-en-Brisgau pour devenir l'élève de Husserl, puis, sur recommandation d'Heidegger, à Heidelberg pour suivre l'enseignement de Karl Jaspers sous la direction duquel elle rédige sa thèse sur Le Concept d'amour chez Augustin. Quelle que soit la position ambiguë de Heidegger à l'égard du judaïsme et du nazisme, elle reste fidèle à leur relation et au souvenir du rôle de la pensée de Heidegger dans son propre parcours[7]. Par-delà la guerre et l'exil, elle se fait l'infatigable promotrice du philosophe, aussi éminent que controversé, aux États-Unis[8].

En 1929, Hannah Arendt épouse Günther Stern (nommé plus tard Günther Anders), un jeune philosophe allemand rencontré en 1925 dans le milieu universitaire et devenu son compagnon en 1927[5]. La même année, elle obtient une bourse d'études qui lui permet de travailler jusqu'en 1933 à une biographie de Rahel Varnhagen, une juive allemande de l'époque du romantisme (cet ouvrage ne paraîtra qu'en 1958). Avec la montée de l'antisémitisme et l'arrivée des nazis au pouvoir, elle s'intéresse de plus près à ses origines juives. Elle se rapproche dès 1926 de Kurt Blumenfeld, ancien président de l'Organisation sioniste mondiale, vitrine du mouvement sioniste, président de l'Union sioniste allemande depuis 1924 et ami de la famille[5]. Chargée par Blumenfeld[2] de recenser les thèmes de la propagande antisémite, elle est arrêtée en 1933 par la Gestapo et relâchée grâce à la sympathie d'un policier[9]. Elle quitte l'Allemagne sur-le-champ[9].

Fuite hors d'Allemagne et exil aux États-Unis

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Arrivée en France en 1933, elle devient la secrétaire particulière de la baronne Germaine de Rothschild, milite pour la création d'une entité judéo-arabe en Palestine, participe à l'accueil des juifs, pour la plupart communistes, qui fuient le nazisme et contribue à faciliter leur émigration vers la Palestine[10]. Divorcée en 1937, elle se remarie le avec Heinrich Blücher, un réfugié allemand, ancien spartakiste.

En , en raison de l'avancée éclair de l'Armée allemande en France, elle se retrouve internée par le Gouvernement français avec d'autres apatrides au camp de Gurs (Basses-Pyrénées[11]). Dans la confusion qui suit la signature de l'armistice en , elle est libérée et parvient à s'enfuir à Montauban, où elle retrouve son mari[12]. Puis elle gagne Marseille où elle obtient, grâce au Centre américain d'Urgence de Varian Fry, un visa pour le Portugal qu'elle rejoint en train. Elle vit alors quelque temps à Lisbonne dans l'espoir d'embarquer pour l'Amérique, ce qui est rendu possible en mai 1941, par l'intervention du diplomate américain Hiram Bingham IV, qui lui délivre illégalement un visa d'entrée aux États-Unis, en même temps qu'à environ 2 500 autres réfugiés juifs. À l'issue d'une traversée éprouvante, elle s'installe à New York. En situation de dénuement matériel, elle doit gagner sa vie et trouve un emploi d'aide à domicile dans le Massachusetts. Elle envisage un temps de devenir assistante sociale. Elle décide finalement de regagner New York, et y collabore à plusieurs journaux, dont l'hebdomadaire Aufbau.

Après la Seconde Guerre mondiale, elle retourne en Allemagne, où elle travaille pour une association d'aide aux rescapés juifs. Elle reprend contact avec Heidegger, témoignant en faveur du philosophe lors de son procès en dénazification[réf. nécessaire]. Elle renoue également avec le couple Jaspers dont elle devient une amie intime. En 1951, naturalisée citoyenne des États-Unis, elle entame une carrière universitaire comme conférencière et professeur invité en sciences politiques dans différentes universités : Berkeley, Princeton (où elle devient la première femme nommée professeur), Columbia, Brooklyn College, Aberdeen, Wesleyan. C'est également en 1951 qu'elle publie son livre Les Origines du totalitarisme, puis Condition de l'homme moderne en 1958, et le recueil de textes intitulé La Crise de la culture en 1961.

Le procès Eichmann, Chicago et la New School de New York

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Après ces trois livres fondamentaux, elle couvre à Jérusalem le procès du responsable nazi Adolf Eichmann, en qui elle voit l'incarnation de la « banalité du mal ». Les articles qu'elle écrit alors, réunis dans Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, publié en 1963, nourrissent une importante polémique[13]. La même année, elle publie également Essai sur la révolution.

Son ami Gershom Scholem, spécialiste de mystique juive, polémique avec Arendt par lettres au sujet de la banalité du mal et d'autres thèmes[14].

À partir de 1963, elle devient titulaire de la chaire de sciences politiques à l'université de Chicago, avant d'être nommée professeur à la New School for Social Research (New York) en 1967, où elle restera jusqu'à sa mort. En 1966, elle apporte son soutien à la pièce de théâtre de l'Allemand Rolf Hochhuth, Le Vicaire, œuvre qui déclenche une violente controverse en critiquant l’action du pape Pie XII face à la Shoah[15].

Dernières années

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En 1973, elle commence une série de conférences à Aberdeen sur « La pensée » et « Le vouloir » : elles constituent les deux premières parties de son livre posthume La Vie de l'esprit, dont elle n'a pas eu le temps d'écrire la troisième et dernière partie, « Juger ».

Elle meurt le à New York d'une crise cardiaque. Elle est enterrée au Bard College d'Annandale-on-Hudson (en), où son mari avait enseigné pendant de nombreuses années. Lors des obsèques, son ami Hans Jonas, après avoir prononcé le kaddish, lui dira : « Avec ta mort tu as laissé le monde un peu plus glacé qu'il n'était. »

Présentation de sa pensée

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Thèmes principaux et influences

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La philosophie politique d'Hannah Arendt échappe aux catégories traditionnelles de la pensée politique (socialisme, libéralisme). Elle aborde un ensemble de problématiques variées, dont celles de la révolution, du totalitarisme, de la culture, de la modernité et de la tradition, de la liberté, des facultés de la pensée et du jugement, ou encore de ce qu'elle désigne comme la « vie active », et ses trois composantes que représentent les notions qu'elle forge du travail, de l’œuvre et de l'action. C'est notamment au travers de la distinction qu'elle opère entre ces trois types d'activités que ressort l'un des axes centraux de sa réflexion, concernant ce qu'est la vie politique et la nature de la politique, thématique qu'elle aborde sous un angle largement phénoménologique, influencé en cela par Heidegger et Jaspers[16]. Elle s'inspire cependant aussi de nombreux autres penseurs pour construire sa philosophie, parmi lesquels Aristote, Augustin, Kant, ou encore Nietzsche.

Le totalitarisme et l'extermination des Juifs

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La réflexion politique d'Hannah Arendt, appuyée sur la question de la modernité, c'est-à-dire de la rupture du fil de la tradition[17], l'a amenée à prendre position sur le monde contemporain, notamment sur des sujets très polémiques, comme le sionisme[18], le totalitarisme et le procès d'Adolf Eichmann. Ces prises de position ont grandement contribué à sa célébrité.

La question du totalitarisme

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Arendt souhaitait penser son époque, et elle s'est ainsi intéressée au totalitarisme. Dans le livre Les Origines du totalitarisme, elle met sur le même plan stalinisme et nazisme, contribuant ainsi à systématiser le nouveau concept de « totalitarisme ».

Eichmann et la banalité du mal

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Sur le droit

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La politologue Hannah Arendt remet en question les idées prévalentes de son temps sur le droit à plusieurs égards. Elle est témoin du régime nazi qui justifie toutes ses actions par un discours juridique, puis des premiers procès pénaux internationaux qui tentent de créer un cadre judiciaire pour des évènements historiques. Hostile à ces discours qui utilisent le droit pour dissimuler les rapports de pouvoir réels, Arendt défend une vision de la loi et de la justice comme intrinsèquement liées à la politique. Pour elle, c'est la tension entre les combats politique et la promesse d'harmonie du droit qui permet de fonder des communautés humaines véritablement libres. Ses idées sur le droit international, particulièrement sa critique des droits humains, sont débattues jusqu'à aujourd'hui.

La vita activa, oïkos et polis

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L'espace public et l'espace privé

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La pensée d'Hannah Arendt est avant tout une nouvelle conception de la politique, développée dans Condition de l'homme moderne et La Crise de la culture. L'espace public y est appréhendé comme un lieu fait de fragilité car continuellement soumis à la natalité, c'est-à-dire à l'émergence de nouveaux êtres humains.

Elle a tout à la fois étudié les conditions historiques de disparition d'un tel espace public (en particulier dans Condition de l'homme moderne avec la question de la sécularisation et de l'oubli de la quête d'immortalité), et les événements qui indiquent de nouvelles possibilités (en particulier dans son Essai sur la révolution).

Elle distingue et hiérarchise selon leur ordre d'importance trois types d'activités qui caractérisent la condition humaine : le travail, l’œuvre et l'action.

Son analyse de l'espace public repose sur la distinction conceptuelle entre le domaine privé et le domaine public, chacune des principales activités de l'homme devant être bien localisée, sans quoi ce sont les conditions de possibilité de la liberté humaine qui ne sont pas réalisées. C'est d'ailleurs sous cet angle qu'elle critique la modernité, en ce que justement celle-ci serait caractérisée par la disparition d'une véritable sphère publique, par laquelle seulement l'humain peut être libre.

Ces propositions au sujet de la nécessaire distinction entre ce qui doit participer de la vie privée (l'« idion », qui se déroule dans l'« oïkos », la maisonnée) et de la vie publique (« koinon », qui se déroule au sein de la « polis », sphère publique lié à la communauté politique) s'inspirent principalement de l'expérience sociale et politique de l'Antiquité grecque et romaine. Arendt perçoit dans cette expérience l'origine de ces répartitions et, par suite, de l'expérience de la liberté, entendue comme participation à l'activité politique et donc à la vie publique.

Le travail et l'« animal laborans »

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Le travail chez Hannah Arendt correspond à l'activité visant à assurer la conservation de la vie, par la production des biens de consommation subvenant aux besoins vitaux. En cela, il renvoie d'une part à la nécessité, d'autre part à la production de ce qui est rapidement consommé, et donc de ce qui doit être constamment renouvelé, ne créant ainsi aucune permanence[16],[19]. En tant que référée à la satisfaction des besoins biologiques, et donc en ce qu'elle se caractérise par la non-liberté, il s'agit là pour Arendt de l'activité qui nous rapproche le plus de l'existence animale, et par conséquent l'activité la moins humaine, se rapportant pour cette raison à l'humain comme animal laborans.

À ses yeux, le travail doit rester dans le domaine privé, sous peine que la vie de l'homme devienne une quête d'abondance sans fin, subordonnée à la production et consommation, et donc à ce qui participe de l'éphémère. Cette critique de la société de consommation et cette invitation à l'auto-limitation du travail préfigure l'écologie politique et la notion de simplicité volontaire. Citée par Yves Frémion parmi les pionniers de l'écologie[20], elle est aussi comptée au nombre des inspirateurs de la décroissance[21] et ses concepts, notamment le travail, sont utilisés par des penseurs de ce courant, par exemple : Michel Dias[22] et Bernard Guibert[23].

L’œuvre et l'« Homo Faber »

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L’œuvre, qui caractérise l'humain comme Homo Faber, désigne pour Arendt la production d'objets destinés à l'usage plutôt qu'à être simplement consommés. Se référant notamment à la production de bâtiments, d'institutions ou d’œuvres d'art, l’œuvre participe à la fabrication d'un « monde commun » s'inscrivant dans une certaine durée et stabilité[16]. À la différence du travail, l’œuvre renvoie à la « non-naturalité » de l'être humain, en cela qu'en œuvrant, l'humain crée un monde distinct du monde strictement naturel — monde au sein duquel peut se dérouler la vie humaine comme vie collective. Néanmoins, en tant qu'activité finalisée, elle n'est pas totalement libre, mais se rapporte encore à une certaine nécessité.

L'œuvre doit selon H. Arendt être créée au sein de la sphère privée avant d'être exposée publiquement : c'est ainsi qu'elle crée un monde dans lequel l'action peut prendre place. Ce point, développé dans Condition de l'homme moderne, explique que Hannah Arendt dénonce la massification de la culture et la transformation de l'art en objet de consommation dans son célèbre essai « La crise de la culture : sa portée sociale et politique » (dans La Crise de la culture).

L'action, la liberté et l'humain comme « zoon politikon »

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La Politique d'Aristote, qui contient la citation « l'homme est un animal politique » commentée par Arendt.

Au sommet de la hiérarchie de la tripartition de la vita activa (vie active), Hannah Arendt situe l'action, caractérisant l'humain comme zoon politikon (animal politique). L'expression est reprise à Aristote (ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον, « l'homme est par nature un animal politique »)[24], l'une des principales influences d'Arendt en philosophie politique.

L'action appartient donc au domaine politique, et représente le moyen pour l'humain, en agissant et parlant dans la sphère publique, d'affirmer sa singularité et d'actualiser sa liberté (« Être libre et agir ne font qu'un »[25]). Par l'action et la parole, l'individu révèle ou « divulgue » son identité aux autres en interagissant avec eux, ce que ne permettraient ni le travail ni l’œuvre, au sein desquels nous avons à remplir des fonctions, et où nous ne pouvons manifester que nos talents, non la singularité de notre identité. Par le travail et l’œuvre, nous ne pouvons divulguer que ce que nous sommes (« What » we are), et non qui nous sommes (« Who » we are)[26].

L'action et la parole requièrent un espace public au sein duquel les individus entrent en relation. Arendt écrit que « L'action, en tant que distincte de la fabrication, n'est jamais possible dans l'isolement ; être isolé, c'est être privé de la faculté d'agir »[27], manifestant à la fois leur unicité et la communauté qui les lie, et faisant ainsi émerger un espace d'apparence, soit « l'espace où j'apparais aux autres comme les autres m'apparaissent, où les hommes n'existent pas simplement comme d'autres objets vivants ou inanimés, mais font explicitement leur apparition »[28]. Par suite, action et parole se rapportent à ce qu'elle nomme la « pluralité », en tant que condition de l'action et du domaine public : « […] pluralité, qui est la condition sine qua non de cet espace d'apparence qu'est le domaine public. C'est pourquoi, vouloir se débarrasser de cette pluralité équivaut toujours à vouloir supprimer le domaine public »[29].

Arendt renvoie au réseau des relations humaines, qui, constitué comme domaine politique, comme polis, est l'espace où tous sont égaux en tant qu'appartenant à l'humanité, mais aussi où chacun se distingue des autres en ayant une perspective sur le monde qui lui soit propre : « la pluralité humaine, condition fondamentale de l'action et de la parole, a le double caractère de l'égalité et de la distinction »[30]. L'action « est l'actualisation de la condition humaine de pluralité, qui est de vivre en être distinct et unique parmi des égaux »[31].

Natalité et fragilité

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Cette notion d'action est aussi fortement liée à celle de la « natalité », en ce que c'est par l'action que l'humain produit de la nouveauté véritable, car inattendue, imprévisible, et irréductible à la simple causalité. C'est en ce sens que Hannah Arendt considère l'homme libre comme « faiseur de miracle » : « le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que l'homme est capable d'action signifie que de sa part on peut s'attendre à l'inattendu, qu'il est en mesure d'accomplir ce qui est infiniment improbable »[32]. De fait, Arendt ne conçoit pas la liberté comme une souveraineté de la volonté intérieure ou un libre arbitre, et selon elle, il ne faut pas chercher à maîtriser toutes les conséquences de ses actes, puisque celles-ci ne sont pas prévisibles.

Par-là même, l'action, par laquelle seulement l'humain peut exercer sa liberté, est aussi liée à la notion de « fragilité », puisqu'il résulte de l'action et de la liberté une instabilité et une indétermination concernant l'avenir. Hannah Arendt invite à assumer la fragilité de l'espace public, à rester sensible à la natalité, aux événements qui surgissent. D'où son intérêt pour les révolutions spontanées (Essai sur la révolution) comme la Commune ou la révolution hongroise : « Dans les conditions de vie modernes, nous ne connaissons donc que deux possibilités d’une démocratie dominante : le système des partis, victorieux depuis un siècle, et le système des conseils, sans cesse vaincu depuis un siècle » et pourtant « seul système démocratique capable de se rallier le peuple, dans cette Europe où le système des partis était discrédité depuis sa naissance », écrit-elle dans ses « Réflexions sur la révolution hongroise »[33].

Le système qu'elle soutient, en théorie comme en pratique, et dont elle déplore l'écrasement en Hongrie, est le système des conseils— les soviets —, parce qu'il donne à chacun la même possibilité de se distinguer ; elle exprime la même préférence dans un article sur Rosa Luxemburg[34], repris en chapitre dans Vies politiques[35], où elle salue les apports de cette figure du marxisme — mais non marxiste orthodoxe, note-t-elle, et « si peu orthodoxe… qu'on pourrait douter qu'elle ait été marxiste tout court »[36] — à la critique de la théorie politique léniniste et du système parlementaire libéral, exprimant le souhait qu'une place soit faite à ces conceptions dans les programmes de science politique des pays occidentaux[37].

La conception arendtienne de la modernité

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Hannah Arendt développe une réflexion critique sur la modernité au sein de l'un de ses ouvrages majeurs : The Human Condition (littéralement : La condition humaine, publié en français sous le titre Condition de l'homme moderne). Elle décrit la modernité comme correspondant à la société de masse et de consommation, et à une époque où l'administration bureaucratique et le travail anonyme de « l'animal laborans » se sont progressivement substitués à la politique et à « l'action » qui s'y rapporte.

En ce sens, elle critique l'essor du social et de l'économique (c'est-à-dire de l'activité travail, vouée à la production des biens de consommation et non à l'édification de ce qui s'inscrit dans la durée) au détriment de la politique, et ainsi dénonce la disparition de la sphère publique au profit de la sphère privée et de ses valeurs (production, consommation).

L'exercice de la pensée

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Les réflexions de Arendt sur l'action ne l'ont pas empêchée de s'interroger sur le rôle de la pensée, en particulier dans La Vie de l'esprit. Il ne s'agit plus d'une vita contemplativa, censée permettre d'accéder à la vérité avant de décider comment agir. La pensée a un rôle purgatoire : elle est l'occasion de se retirer du monde, de s'en rendre spectateur. C'est en restant ainsi dans le domaine privé qu'il est possible d'utiliser la volonté pour décider ce qui est bien et ce qui est mal (ce qui peut donner lieu à la méchanceté, au mal radical). Mais c'est surtout par cette purgation par la pensée qu'il est possible face à un événement dans le domaine public de faire preuve de discernement, de juger ce qui est beau et ce qui est mal (et c'est faute d'un tel jugement que peut apparaître la banalité du mal comme dans le cas d'Eichmann). Pour Hannah Arendt, la pensée la plus haute n'est pas celle qui se réfugie dans la contemplation privée, mais celle qui, après la pensée purgatrice et la volonté légiférante, s'expose dans le domaine public en jugeant les événements, en faisant preuve de goût dans ses paroles et ses actions[citation nécessaire].

Mais elle se méfie de ceux qu'elle qualifie de professionnels de la pensée, tels les philosophes, en remarquant qu'ils s'allient trop souvent avec des dictateurs, à l'exemple de Platon ou Heidegger. Elle défend la position de Socrate, penseur qui, selon elle, ne prétendait à rien. Ce n'est pas enseigner la vertu qui animait Socrate, mais seulement la possibilité de penser la vertu. Socrate maintient une démarche aporétique dans ses dialogues, dans une argumentation qui ne mène nulle part, en dehors de tout savoir qu'il aurait déjà. Ce mécanisme de la pensée par dialogue indique un dédoublement de la personnalité du penseur, dédoublement qui cesse quand il revient au monde courant[38].

Pour concrétiser la pensée, on développe le « jugement ». Hannah Arendt n'a pu vivre assez de temps pour développer complètement ce point. Elle travaillait à partir des conceptions de Kant sur le jugement réfléchissant dans la Critique de la faculté de juger, qui procède en dérivant un particulier vers le général, contrairement au jugement déterminant, qui contraint le particulier dans des règles générales. Ce jugement réfléchissant peut s'assimiler à ce que fait un spectateur, au théâtre, en situation de pouvoir juger l'ensemble d'une pièce, alors qu'un comédien qui y participe ne le peut pas. Le spectateur procède à partir de ses propres goûts et imaginations, en les mettant en relation avec un sens commun. Le jugement se fait toujours en présence d'une autre personne. Ainsi, la capacité de juger vient de la capacité de penser avec plusieurs points de vue, sans changer l'identité de celui qui pense et juge. Le jugement exprime l'identité auprès de la diversité[38].

Influence de la pensée de Heidegger

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L'influence de la pensée de Martin Heidegger, qui fut son professeur mais aussi son amant, est régulièrement débattue, notamment du fait de ses liens avec l'idéologie nazie. Arendt affirme dans une lettre à Heidegger de 1960 que son livre Condition de l'homme moderne lui doit « à peu près tout, à tous égards »[39]. Sur une feuille à part, qu'elle n'envoya pas, elle avait écrit une dédicace à « toi mon si proche ami / à qui je suis restée fidèle / et infidèle »[40].

De fait, Jacques Taminiaux relève dans ce livre « les signes d’une déconstruction des simplifications et des amalgames auxquels donnent lieu les analyses heideggériennes dans la mesure où elles se réclament de la préséance » de la « vie contemplative ». Alors que Heidegger « néglige tout ce qui dans la description aristotélicienne de la praxis a trait à l’exercice démocratique de la citoyenneté en interaction avec une pluralité d’égaux », Arendt pose que la praxis a pour condition per quam la pluralité qu'elle oppose ainsi à la singularité solitaire du Dasein heideggérien. De même, elle oppose à l’être-vers-la mort la natalité et à la « préoccupation » le labeur et la production d'œuvres auxquelles elle rend selon Taminiaux leur « dignité »[41].

Cependant, Emmanuel Faye remarque que la critique arendtienne de l’animal laborans reprend et développe celle proposée par Heidegger en 1954 de « l’animal laborieux » (arbeitende Tier)[42]. Et c'est aussi en référence à Heidegger qu’elle parle de la pluralité selon lui puisqu'elle « lui fait crédit de parler à la même époque des 'Mortels' au pluriel[43]. » C'est encore à lui que se réfère Arendt lorsqu'elle affirme, dans La Vie de l'esprit, s’être « clairement rangée sous la bannière de ceux qui, depuis pas mal de temps, s'efforcent de démanteler la métaphysique ainsi que la philosophie et ses catégories »[44]. En , dans une conférence devant l'Association Américaine de Sciences politiques, Arendt introduit dans la théorie politique les existentiaux de Être et temps, celui de l'être-au-monde et celui de l'être en commun (Mitsein). Emmanuel Faye soutient qu'elle reprend à la Lettre sur l’humanisme de Heidegger l'opposition entre la « pensée » et la « philosophie » qu'elle récuse comme lui en se faisant collaboratrice de sa « destruction de la pensée » comme l'indique le titre du livre d'Emmanuel Faye paru en 2016 : Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée[45]. Emmanuel Faye y accuse Hannah Arendt d'avoir « pris la responsabilité intellectuelle d’élever les écrits de Heidegger, dont elle sait qu’ils comportent un vibrant éloge du mouvement national-socialiste, au rang de paradigme du penser »[46] et « de faire passer pour démocratique — du moins pour une lecture rapide et superficielle — une vision radicalement sélective et aristocratique, si ce n'est même fascisante par son approbation de la 'domination des maîtres' dans la sphère économique et sociale[47]. » Faye cite à l'appui de cette interprétation un passage des Réflexions sur la révolution hongroise.

« En réalité, il n'est pas sûr du tout que les principes politiques d'égalité et d'autonomie puissent s'appliquer à la sphère de la vie économique. Après tout, la théorie politique des Anciens n'avait peut-être pas tort lorsqu'elle affirmait que l'économie, liée comme elle est aux nécessités de la vie, requérait pour bien fonctionner la domination des maîtres[48]. »

Toujours selon Faye, Arendt aurait en outre entrepris, dans Les Origines du totalitarisme, de disculper entièrement les élites intellectuelles du nazisme. Dans les années 1960, c'est Martin Heidegger en personne qu’elle défend. Elle le présente en 1969, dans un discours pour ses 80 ans, comme « le roi secret dans le royaume du penser ». Dans son livre posthume La Vie de l’esprit, elle oppose, pour mieux le disculper, Heidegger, le penseur à l’écoute de « l’appel de l’être » à Adolf Eichmann, l’exécutant, l’un des maîtres d’œuvre de l’extermination des Juifs d’Europe, qu’elle suppose « dépourvu de pensée » et sans aucun motif. En s'appuyant sur le vocabulaire de la version en allemand des Origines du totalitarisme, Emmanuel Faye soutient qu’Arendt reprend la vision heideggérienne de la modernité et son interprétation du national-socialisme rapporté à la technicisation des sociétés modernes et à la « désolation », à l’« absence de patrie » (Heimatlosigkeit) qui s’ensuit. Les camps d'extermination sont « présentés par elle comme les paradigmes de la condition de l'homme moderne » et sa « vision du monde » est de ce fait « aussi fausse que toxique »[49].

Les thèses critiques d'Emmanuel Faye sur la pensée d'Hannah Arendt ont fait l'objet de présentations positives par Roger-Pol Droit dans Le Point[50] et par Nicolas Weill dans Le Monde[51]. Cette interprétation a au contraire été qualifiée de « délirante » par Martin Legros dans Philosophie Magazine[52], de « discutable » par Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère[53] et de « provocation » par un collectif d'universitaires qui en réaction organisa à Paris un colloque international en hommage à Hannah Arendt[54]. Facundo Vega y défend la thèse selon laquelle celle-ci « ne revient à la pensée de Heidegger que pour la dépasser »[55] et rappelle que pour elle, contrairement à Heidegger qui croyait à la nécessité du Führer, les fondations politiques ne reposent pas sur « la force d’un architecte, mais sur la puissance combinée de la multitude »[56].

Totalitarisme

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Ian Kershaw, historien du nazisme qui a critiqué la méthode d'Arendt.

L'œuvre de Hannah Arendt a suscité de nombreuses critiques dès le Procès de Nuremberg[réf. nécessaire], notamment de la part d'historiens. Certaines de ses analyses autour du thème du totalitarisme seraient un peu dépassées par l'avancée des recherches[Lesquelles ?], ou souffriraient de contradictions et d'un manque de cohérence, par exemple celles sur la « république plébiscitaire », sur le rôle de la « populace », sur la « société de masse » comme vivier du totalitarisme, sur le fascisme, de sorte que sa typologie des systèmes totalitaires est contestée par l'historiographie actuelle.

Ainsi, pour Ian Kershaw, « elle ne parvient pas à élaborer une théorie claire ou une conception satisfaisante des systèmes totalitaires. Enfin, son argument essentiel pour expliquer le développement du totalitarisme — la disparition des classes et leur remplacement par une « société de masse » — est à l'évidence erroné »[57].

Les conseils juifs

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Dans Eichmann à Jérusalem, Arendt évoque notamment « le comportement des membres de certains Judenräte (conseils juifs) », qui furent selon elle « amenés à collaborer avec les autorités nazies » ou qui, en cachant la vérité sous prétexte d'humanité, conduisirent des gens à se porter volontaires pour être déportés à Auschwitz. Ces remarques, qui reprennent celles formulées par Raul Hilberg sur la coopération et qui ont été rappelées par le United States Holocaust Memorial Museum[58], provoquèrent une importante polémique.

Le terme « collaboration » concernant les Judenräte n'est pas utilisé par le mémorial de Yad Vashem[59].

Max Weinreich déjà au procès de Nuremberg[60] et, plus récemment l'historien Simon Epstein ont eux aussi et sévèrement mis en cause les thèses d'Arendt, selon Epstein : « Brillante et caustique, libre de toute empathie, elle trace un tableau trompeur, voire falsifié, de l'attitude des juifs pendant la guerre mondiale. […] Les expertises n'auront aucun mal à démontrer la fausseté de la base documentaire étayant ses thèses »[61].

L’historienne Annette Wieviorka estime pour sa part que parler de « collaborateurs » pour les Judenräte est inadéquat[62]. Dans une interview publiée dans Libération en 2013, l’historienne critique Hannah Arendt en ces termes : « Donc, la petite phrase d’Hannah Arendt sur la responsabilité de la collaboration des Juifs dans leur propre mort est absurde. En Union soviétique, les Allemands ont fusillé plus d’un million et demi de Juifs, et il n’y avait pas de conseils juifs. Pourquoi Arendt s’est-elle tant fourvoyée ? Elle n’a suivi qu’une petite partie du procès. Elle a écrit ses articles, devenus un livre, deux ans après le procès. Elle l’a rédigé très vite, et « dans un étrange état d’euphorie », écrit-elle à son amie Mary McCarthy. Si elle a une expérience de l’Allemagne nazie et des camps d’internement en France, elle ne semble pas avoir perçu la situation à l’Est »[63].

Judéité et sionisme

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La publication d'Eichmann à Jérusalem provoque très tôt des critiques, qui ne mettent pas seulement en cause la pertinence ou le bien-fondé des propos qui y sont tenus, mais la responsabilité supposée d'Hannah Arendt à l'égard d'un peuple juif de l'image duquel elle serait tributaire.

Dans une lettre du , Gershom Scholem lui adresse ainsi ce reproche : « Dans la langue juive, il y a une chose que l'on ne peut définir complètement, mais qui est tout à fait concrète et que les Juifs appellent Ahavat Israël, « l'amour pour les Juifs ». En vous, chère Hannah, comme en beaucoup d'intellectuels issus de la gauche allemande, je n'en trouve que peu de traces »[64]. Tout en assumant sa judéité — de même que son statut de femme — comme constitutifs de son être, Arendt se refuse en effet à identifier son discours à celui d'un groupe constitué, d'un peuple ou d'une collectivité[65]. La correspondance avec Gershom Scholem laisse d'ailleurs affleurer des critiques répétées envers la politique d'Israël - notamment envers David Ben Gourion ou Golda Meir - qui constituent l'un des aspects, souvent sous-estimé, de la controverse internationale de 1963 et qui nourrit une intense polémique à l'intérieur du monde juif[66].

Selon Yakov M. Rabkin, aussitôt que Hannah Arendt, anciennement activiste sioniste, articule des critiques à l'égard de ce mouvement, ses écrits sont rejetés et elle est mise au ban de ce mouvement. Gershom Scholem, établi à Jérusalem depuis 1924, ne discuterait pas les arguments d'H. Arendt mais s'en prendrait au « caractère » supposé de son interlocutrice de sorte que, toujours selon Yakov M. Rabkin, son caractère serait symptomatique de la difficulté que rencontrent les intellectuels en général à « former une opposition loyale au sionisme », puisqu'on leur impose ce choix réducteur : « vous êtes avec nous ou contre nous[67] ».

La personnalité d'Eichmann

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La philosophe allemande Bettina Stangneth (2014) montre que l'interprétation de Hannah Arendt sur la personnalité d'Eichmann ne correspond pas à la réalité, se basant sur son engagement, avant, pendant, et après la guerre[68],[69]. Ces études postérieures accréditeraient la thèse selon laquelle la médiocrité d'Eichmann repérée par Arendt serait un simulacre adopté le temps du procès, mais ne révèlerait rien de la personnalité de l'accusé, ce qui remet en cause la pertinence du recours à la notion de banalité.

Suprématisme blanc

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Hannah Arendt oppose sauvagerie et civilisation, par exemple le peuple hottentot et les peuples civilisés dans l'Origine du totalitarisme[70]. Malgré ses critiques contre l'impérialisme, elle ne serait pas défavorable à la colonisation[71], dont elle traite en particulier dans le contexte sud-africain. Le journaliste Seth J. Frantzman va jusqu'à la qualifier de « suprémaciste blanche » dans un article de 2016 pour le Jerusalem Post[72].

D'autre part, elle a exprimé sa désapprobation envers la création de cursus universitaires dits de Black Studies aux États-Unis dans son essai On Violence (1970), ce qui a pu être interprété comme une posture raciste, mais que Brian Smith interprète plutôt comme un refus de voir l'université s'adapter à la demande de ses étudiants dans une logique mercantile[73].

L'astéroïde (100027) Hannaharendt, découvert en 1990, est nommé en son honneur[74].

Ouvrages publiés de son vivant

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(Ordre chronologique de publication de l'édition originale en français)

  • Le Concept d'amour chez Augustin, Paris, Rivages, 1999 (Der Liebesbegriff bei Augustin, Springer, Berlin, 1929).
  • Hannah Arendt et Günther Anders, Les Élégies de Duino de Rilke, in Rainer Maria Rilke, Élégies de Duino, Paris, Rivages, 2007 (article initialement paru en 1930).
  • Les Origines du totalitarisme[75] (The Origins of Totalitarianism), 3 volumes (Antisemitism, Imperialism, Totalitarianism), 1951 ; nouvelles éditions en 1958, 1966, 1973. Traduction française en trois ouvrages séparés (puis réunis en un seul volume, Paris, Gallimard, 2002) :
    1. Sur l’antisémitisme, trad. par Micheline Pouteau, Paris, Calmann-Lévy, 1973 ; trad. révisée par Hélène Frappat, Paris, Gallimard, coll. « Quatro », 2002 ; éd. poche, Paris, Le Seuil, coll. Points/Essais, no 360, 2005. (ISBN 978-2-02-086989-8)
    2. L’Impérialisme, trad. Martine Leiris, Paris, Fayard, 1982; trad. révisée Hélène Frappat, Paris, Gallimard, coll. « Quatro », 2002; éd. poche, Paris, Le Seuil, 2006, coll. Points-Essais, no 356, (ISBN 978-2-02-079890-7).
    3. Le Système totalitaire, trad. Jean-Louis Bourget, Robert Davreu, Patrick Lévy, Paris, Le Seuil, 1972 ; trad. révisée Hélène Frappat, Paris, Gallimard, coll. « Quatro », 2002 ; éd. poche, Paris, Le Seuil, 2005, coll. Points/Essais, no 307, (ISBN 978-2-02-079890-7).
  • Hannah Arendt (trad. de l'anglais par G. Fradier), Condition de l'homme moderne [« The Human Condition »], Paris, Calmann-Lévy, (réimpr. 1994 Paris, Calmann-Lévy - 1983, préface Paul Ricœur, éd. poche, Paris, Presses-Pocket, 1988, 1992) (1re éd. 1958, Londres et Chicago, University of Chicago Press)
  • Rahel Varnhagen, la Vie d'une juive allemande à l'époque du romantisme, trad. Henri Plard, Paris, Tierce, 1986 ; réédition, Paris, Presses-Pocket, 1994 (Rahel Varnhagen : The Life of a Jewess, 1958).
  • La Crise de la culture, trad. Patrick Lévy et al. Paris, Gallimard, 1972, 1989 (Between Past and Future : Six Exercices in Political Thought, New York, 1961, augmenté de deux essais en 1968).
  • Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, trad. A. Guérin, Paris, Gallimard, 1966 ; revue par Michelle-Irène Brudny de Launay, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1991 (Eichmann in Jerusalem : A Report on the Banality of Evil, New York, The Vinking Press, 1963). Compte-rendu du procès du responsable nazi à l'occasion duquel elle inventa l'expression « banalité du mal » et mit en question l'action des Conseils juifs dans la déportation.
  • Essai sur la révolution, trad. M. Chrestien, Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », 1967 ; éd. poche, trad. Marie Berrane, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2013 (On Revolution, New York, Viking Press, 1963).
  • Vies politiques, trad. E. Adda et al. Paris, Gallimard, 1974 ; éd. poche, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1986 (Men in Dark Times, 1968, édition augmentée en 1971).
  • Walter Benjamin 1892-1940, trad. Agnès Oppenheimer-Faure et Patrick Lévy, Allia, 2007 (texte publié initialement dans Vies politiques, Gallimard, 1974), Extrait en ligne
  • Du mensonge à la violence, trad. G. Durand, Paris, Calmann-Lévy, 1972 ; éd. poche, Paris, Presses-Pocket, 1989 (Crises of the Republic, 1972).

Ouvrages publiés à titre posthume

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  • La Tradition cachée. Le juif comme paria, trad. S. Courtine-Denamy, Paris, Christian Bourgois, 1987 ; éd. poche, Paris, 10/18, 1997.
  • La Vie de l'esprit : I. La pensée, II. Le vouloir, trad. L. Lotringer, Paris, PUF, 1981 (1992) et 1983 ; éd.poche, Paris, PUF, coll. « Quadrige ». 1999). [The Life of the Mind (1 Thinking ; 2 Willing), New York, Harcourt Barce Jovanovich, 1978-1981].
  • Considérations morales, 1970, trad. Marc Ducassou, Paris, Rivages-Poche, 1996.
  • « L’Intérêt pour la politique dans la pensée philosophique européenne contemporaine », Les Cahiers de philosophie, no 4, Lille, 1987.
  • Juger, Paris, Le Seuil, 1991 (Lectures on Kant's Political Philosophy).
  • Penser l’événement, trad. Cl. Habib et al. Paris, Belin, 1989.
  • La Nature du totalitarisme, trad. Michelle-Irène Brudny de Launay, Paris, Payot, 1990.
  • Responsabilité et Jugement, trad. Jean-Luc Fidel, Paris, Payot, 2005
  • Qu'est-ce que la politique ?, texte établi et commenté par Ursula Ludz, trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 1995 ; nouvelle traduction et édition augmentée en 2014 : texte établi par Jerome Kohn, édition française, préface et notes de Carole Widmaier, Paris, Le Seuil, 2014.
  • La Philosophie de l'existence, et Autres Essais, Paris, Payot, 2000.
  • Journal de pensée (1950–1973), Paris, Le Seuil, 2005 (transcription de 23 cahiers manuscrits de réflexions non destinés à une publication, écrits entre 1950 et 1973), (ISBN 978-2-02-062061-1).
  • Édifier un monde, Interventions 1971-1975, Paris, Le Seuil, 2007, coll. « Traces écrites ».
  • Idéologie et Terreur, trad. Marc de Launay), Paris, Hermann, 2008, coll. « Le Bel aujourd'hui », introduction et notes par Pierre Bouretz.
  • Écrits juifs, Paris, Fayard, 2011.
  • Heureux celui qui n'a pas de patrie, Poèmes de pensée (édition bilingue), trad. François Mathieu, Paris, Payot & Rivages - (ISBN 978-2-228-91409-3)
  • Nous autres réfugiés, Paris, Allia, 2019. - (ISBN 9791030410211) (nouvelle traduction d'un texte déjà traduit dans La Tradition cachée)
  • La liberté d'être libre, Paris, Payot&Rivages, 2019. - (ISBN 9782228923569)
  • Il n'y a qu'un seul droit de l'homme, précédé de Nous réfugiés, trad. et introduction Emmanuel Alloa, Paris, Payot&Rivages 2021. - (ISBN 978-2-228-92926-4)

Correspondances

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  • Hannah Arendt – Karl Jaspers, Correspondance, 1926-1969, trad. de l'allemand Éliane Kaufholz-Messmer, Paris, Payot, 1995 ; éd. de poche sous le titre La philosophie n'est pas tout à fait innocente, lettres choisies par Jean-Luc Fidel, Paris, Payot & Rivages, 2006, coll. PBP, no 608 (ne comporte que les lettres depuis 1945).
  • Hannah Arendt – Mary McCarthy, Correspondance, 1949-1975, Paris, Stock, 1996 (rééd. 2009).
  • Hannah Arendt – Heinrich Blücher, Correspondance, 1936-1968, Paris, Calmann-Lévy, 1999.
  • Hannah Arendt – Kurt Blumenfeld, Correspondance, 1933-1963, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.
  • Hannah Arendt – Martin Heidegger, Lettres et autres documents, Paris, Gallimard, 2001.
  • Hannah Arendt – Gershom Scholem, Correspondance, Paris, Le Seuil, 2012.
  • Hannah Arendt - Günther Anders, Correspondance 1939-1975, suivie d'écrits croisés, trad. Annika Ellenberger et Christophe David, Paris, Éditions Fario, 2019.

Notes et références

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  44. Arendt: La vie de l’esprit. I. Paris 1981, p. 237.
  45. On peut se rapporter sur ces différents points à la présentation d’« Arendt et Heidegger » par Emmanuel Faye dans les Rencontres avec Perrine Simon-Nahum « Les rencontres de Périne Simon-Nahum, invité Emmanuel Faye sur RCJ », sur Chaîne YouTube de Radio RCJ, .
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  47. Emmanuel Faye: Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée, Paris 2016, pp. 450 et 465
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  49. Emmanuel Faye: Arendt et Heidegger. Extermination nazie et destruction de la pensée, Paris 2016, p.?
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  73. (en) Brian Smith, « Hannah Arendt on anti-Black racism, the public realm, and higher education », Educational Philosophy and Theory, vol. 54, no 12,‎ , p. 2054–2071 (ISSN 0013-1857 et 1469-5812, DOI 10.1080/00131857.2021.1978071, lire en ligne, consulté le )
  74. « (100027) Hannaharendt = 1990 TR3 », sur Centre des planètes mineures
  75. Pour une critique de ce livre, voir « Hannah Arendt : l'art de l'alerte », Politique, revue de débats, no 46, octobre 2006, p. 56-59.

Bibliographie

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Biographies

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Filmographie

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En 2016, Hannah Arendt est l'un des personnages apparaissant dans Benjamin, dernière nuit, drame lyrique en quatorze scènes de Michel Tabachnik, d'après le livret de Régis Debray, consacré au philosophe allemand Walter Benjamin, créé à l'Opéra de Lyon le .

Littérature jeunesse

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  • Le petit théâtre de Hannah Arendt, raconté par Marion Muller-Colard et illustré par Clémence Pollet, Paris, Les petits Platons, 2014.

Bande dessinée

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  • Hannah Arendt, scénario de Béatrice Fontanel, dessins de Lindsay Grime, Naïve coll. « Grands destins de Femmes », 2015
  • Les Trois Vies de Hannah Arendt, dessins et scénario de Ken Krimstein, Calmann-Levy, 2018

Groupes de recherche

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Articles connexes

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Liens externes

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En anglais