Démocratie chrétienne

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La démocratie chrétienne est un courant de pensée politique et religieux qui a inspiré des partis politiques[1],[2] qui ont été ou sont importants notamment en Europe de l'Ouest et en Amérique du Sud. Il s'exprime en Europe à partir de la fin du XIXe siècle.

La démocratie chrétienne cherche à promouvoir, au sein d’une société démocratique et pluraliste, les valeurs véhiculées par les Églises chrétiennes : la liberté, le respect de l'être humain, les droits de l'homme, la fraternité, l'aide aux plus démunis.

Sur le plan politique, les démocrates-chrétiens occupent une position variable selon les pays avec un positionnement parfois à droite, parfois au centre ou même à gauche. Tout en acceptant l'économie de marché, ils placent l'humain au centre des préoccupations et considèrent que l'État doit conserver un pouvoir d'intervention dans la société, notamment dans l'économie[3],[4].

Historique[modifier | modifier le code]

Révolution française et XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Il semble que l'expression « démocratie chrétienne » ait été employée pour la première fois le , devant l'Assemblée législative, par Antoine-Adrien Lamourette, évêque constitutionnel de Rhône-et-Loire. La formule n'a alors guère de sens politique. Elle évoque l'Église des humbles, la fraternité chrétienne.

Ce n'est que plus tard, à partir de 1848, que la formule sera popularisée par Frédéric Ozanam et les rédacteurs de L'Ère nouvelle et prendra son sens actuel, c'est-à-dire celui d'un gouvernement démocratique cherchant à mettre en œuvre la doctrine sociale de l'Église. Frédéric Ozanam et ses amis se veulent proches des idées développées par Lamennais et que l'on désigne généralement par catholicisme libéral. Au XXe siècle l'historien Jean-Baptiste Duroselle a parlé à leur propos d'une « première démocratie chrétienne » qui sera éliminée par la réaction contre-révolutionnaire.

En effet, à cette époque, l'idée d'un gouvernement cherchant à mettre en œuvre, dans un cadre démocratique, la doctrine de l'Église, n'est absolument pas évidente. L'Église catholique reste alors attachée à l'idée d'un pouvoir politique d'origine divine, et rejette donc toute forme de pouvoir politique démocratique. Accepter que des mouvements politiques cherchent, dans un cadre démocratique, à mettre en œuvre la doctrine de l'Église reviendrait à accepter tacitement l'idée de démocratie, et donc à renoncer à cet idéal de légitimation religieuse du pouvoir politique. Jusqu'au début du XXe siècle, l'Église sera partagée entre, d'une part, réaffirmer la légitimation religieuse du pouvoir politique, et de l'autre, admettre que les catholiques puissent participer à la vie de la cité pour y imposer leur doctrine.

Ce débat demeurera très vif tout au long du XIXe siècle, notamment en France, à partir de 1870 : beaucoup de religieux rejettent alors l'idée républicaine et font du rétablissement de la monarchie une question de principe. L’Église apporte son soutien aux classes dirigeantes lors de la restauration et condamne les principes du libéralisme (notamment la liberté de conscience). En Italie également, après l’unification du pays réalisée en 1870 par les chemises rouges, le pape interdit d'abord aux catholiques de participer à la vie politique. Ce non expedit est levé devant la menace de la propagation des idées socialistes dans les milieux ouvriers et populaires[5].

Influence de la doctrine sociale de l’Église catholique[modifier | modifier le code]

Une « deuxième démocratie chrétienne » voit le jour à la fin du XIXe siècle, à l'initiative du pape Léon XIII. Dans l'encyclique Rerum novarum du , il reconnaît la misère ouvrière, tout en rejetant les mouvements nationalistes et socialistes, et invite les catholiques à investir l'action sociale. Cette encyclique est habituellement considérée comme l'un des fondements de la doctrine sociale de l'Église catholique.

Le , Léon XIII fait publier l'encyclique « Au milieu des sollicitudes », dans laquelle il appelle les catholiques français à se rallier à la République.

Un clivage s'établit alors entre les catholiques :

  • ceux qui demeurent attachés au régime monarchique, et que l'on retrouvera plus tard au sein de l'Action française ;
  • ceux qui veulent s'investir prioritairement dans le domaine social, poursuivant en cela une action initiée en 1871 par Albert de Mun et René de La Tour du Pin avec la création des cercles catholiques ouvriers ;
  • et ceux qui veulent en plus s'investir dans le domaine politique.

Ces interventions pontificales sont le signe que beaucoup de catholiques français attendaient. Associations, journaux, mouvements ouvriers voient alors le jour.

Des partis politiques d'inspiration démocrate-chrétienne voient également le jour. Ainsi, une « Union Démocratique Chrétienne » apparaît en Belgique dans le canton de Liège en 1892. En 1894, l'abbé Adolf Daens, représentant le Christene Volkspartij , est élu au parlement belge. En France, un « Parti démocratique chrétien » se crée en 1896, mais disparaît rapidement, victime de la division entre partisans de l'action politique et ceux du combat social. Le , Léon XIII fait paraître l'encyclique Graves de communi re qui, pour la première fois dans un document pontifical, explique le terme de démocratie chrétienne qu'il oppose à celui de social-démocratie. Ce document eut un grand retentissement en Italie et en Allemagne.

XXe siècle et succès grandissant des partis démocrates-chrétiens[modifier | modifier le code]

À l'approche de la Première Guerre mondiale, la démocratie chrétienne n'existe alors en France qu'à l'état de courant de pensée, ou de groupements dont l'action est limitée, soit dans l'espace (groupements locaux), soit dans le domaine d'intervention (la méfiance à l'égard du politique restant forte).

La dernière tentative de créer, avant-guerre, un mouvement dynamique entraînant les catholiques sur le terrain politique est le Sillon de Marc Sangnier. Ce mouvement connaît alors une belle expansion, avant d'être condamné par le pape Pie X dans une lettre adressée à l'épiscopat français le . Cette condamnation semble marquer un retour en arrière dans la volonté papale de favoriser l'intervention des catholiques dans le champ politique. Elle témoigne surtout de la difficulté à concilier les deux aspirations contradictoires évoquées plus haut. Le Sillon renaîtra quelques années plus tard sous la forme d'une ligue, Jeune République, abandonnant toute référence confessionnelle.

Après la Première Guerre mondiale, le pape Benoît XV multiplie les initiatives pour rapprocher les chrétiens des différents pays divisés par la guerre. En France, Marc Sangnier œuvre notamment à un rapprochement avec l'Allemagne. À cette époque, des partis démocrates-chrétiens voient le jour dans différents pays d'Europe. Le Parti populaire italien est fondé en 1919 par le prêtre Luigi Sturzo. En France, le Parti démocrate populaire est ainsi créé en 1924. Dans un souci de peser plus lourd pour imposer leur idéologie, ces partis se rassemblent dans un Secrétariat international des partis démocratiques d'inspiration chrétienne, créé à Paris en 1925. C'est à cette occasion que se créent des contacts entre des hommes tels que Robert Schuman, Konrad Adenauer ou Alcide De Gasperi. C'est sans doute dans ce combat pour l'unité mené dans les années 1920 que l'idéologie européenne des démocrates-chrétiens trouve son origine.

En France, le mouvement démocrate-chrétien s'exprimera cependant assez peu par le biais du Parti démocrate populaire, qui demeurera un parti de cadre plus qu'un parti de masse, mais davantage par le biais d'autres structures telles que les organes de presse (par exemple L'Ouest-Éclair - qui deviendra Ouest-France après la guerre 39-45), les syndicats de travailleurs (la Confédération française des travailleurs chrétiens) ou les syndicats agricoles (la Jeunesse agricole catholique). La Ligue de la jeune République représente pour sa part l'aile gauche de la mouvance démocrate-chrétienne. Démocrate et en pointe dans le domaine du droit du travail ou du régime coopératif, elle participe au Front populaire[5].

Affirmation des partis démocrates-chrétiens dans le contexte de la guerre froide[modifier | modifier le code]

À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, les militants démocrates-chrétiens des différents pays européens se retrouveront dans leur refus des totalitarismes menaçants à cette époque.

Après la guerre, la conception démocratique du pouvoir politique n'est plus guère contestée au sein de l'Église catholique. En France, la droite conservatrice et une partie de l'épiscopat sont discrédités par leur collaboration avec le régime de Vichy et l'occupant. On assiste à la création d'un parti d'inspiration démocrate-chrétienne : ce sera le Mouvement républicain populaire. Marc Sangnier est son président d'honneur. Dès 1946, ce parti devient le premier de France. Il connaîtra d'importants succès électoraux tout au long de la IVe République, se présentant paradoxalement, au moins à ses débuts, comme le « parti du général de Gaulle » tout en s'opposant à lui en approuvant la constitution, avant de décliner rapidement après le retour au pouvoir de Charles de Gaulle[5].

En 2002, Christine Boutin fonde le Forum des républicains sociaux qui deviendra par la suite le Parti chrétien-démocrate (PCD). En 2012, Jean-Louis Borloo fonde l'UDI dont l'une des composantes est démocrate chrétienne, progressiste sur les questions de société.

Idées fondamentales et programme[modifier | modifier le code]

Même si le mouvement démocrate-chrétien est très hétérogène, il s'accorde tout de même sur certains thèmes.

  • la préoccupation de la dimension spirituelle de toute personne, telle qu'elle avait été exprimée dans l'encyclique Rerum Novarum ;
  • l'idée selon laquelle la source du droit provient, non de l'État, mais des individus, images de la personnalité divine, et qu'il faut donc reconnaître à toute personne un droit fondamental ;
  • le principe de subsidiarité dans tous les corps sociaux : famille, profession, commune, province, État, etc. ;
  • la primauté de la famille comme cellule de base de la société, premier lieu d'éducation, de responsabilité et de solidarité ;
  • l'autorisation de l'enseignement confessionnel ;
  • une décentralisation administrative assez poussée ;
  • l'écologie et le développement durable, dans la mouvance des mouvements scouts (« §6 - Le scout voit dans la nature l'œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux. »[6]).

D'une manière générale, sa conception de l'État est différente de celle des libéraux : celui-ci doit être décentralisé, constitué de différents organes, mais reconnaître un pouvoir certain aux corps intermédiaires, expression de la liberté des individus. Cela inclut les institutions religieuses.

Les démocrates-chrétiens voient l'économie comme étant au service des hommes et ne remettent pas en cause le capitalisme.

Partis démocrates chrétiens dans le monde[modifier | modifier le code]

Europe[modifier | modifier le code]

Europe de l'Ouest[modifier | modifier le code]

Jusque dans les années 1960, les démocrates-chrétiens se présentaient comme une alternative à la fois aux libéraux et aux socialistes. L’influence de la guerre froide et la force grandissante du communisme dans plusieurs pays occidentaux les a cependant conduits dans ces régions à se positionner plus à droite sur la scène politique, avec des fortunes diverses selon les configurations nationales.

Mais avec la fin de la guerre froide, ces partis se sont retrouvés en difficulté. Dans certains pays ils ont disparu (comme en Italie) ou ont dû évoluer pour survivre (Allemagne)[7].

Europe centrale et orientale[modifier | modifier le code]

Amérique[modifier | modifier le code]

Amérique du Nord[modifier | modifier le code]

  • Au Québec (Canada), le Parti démocratie chrétienne du Québec est rebaptisé Parti unité nationale en 2018.

Amérique centrale et Caraïbes[modifier | modifier le code]

Amérique du Sud[modifier | modifier le code]

Afrique[modifier | modifier le code]

Océanie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jean-Dominique Durand, « Aux origines du succès de la démocratie chrétienne en Italie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale », Matériaux pour l'histoire de notre temps, vol. 39, no 1,‎ , p. 16–19 (ISSN 0769-3206, DOI 10.3406/mat.1995.402755, lire en ligne, consulté le )
  2. Stathis N. Kalyvas et Kees van Kersbergen, « Christian Democracy », Annual Review of Political Science, vol. 13, no 1,‎ , p. 183–209 (ISSN 1094-2939 et 1545-1577, DOI 10.1146/annurev.polisci.11.021406.172506, lire en ligne, consulté le )
  3. C'est la définition que donne dans ses ouvrages Pierre Letamendia, par exemple La démocratie chrétienne, PUF, collection Que-sais-je, 1977.
  4. « Démocratie chrétienne », Politique.net,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a b et c Jean-Luc Pouthier, La droite depuis 1789. Les hommes, les idées, les réseaux, Seuil, , p. 77-87
  6. Père Jacques Sevin, La Loi Scoute (lire en ligne), §6
  7. Ronan Teyssier, « Steven Van Hecke, Emmanuel Gérard (éds.), Christian Democratic Parties in Europe since the End of the Cold War », Archives de sciences sociales des religions, no 138,‎ , p. 97–251 (ISSN 0335-5985 et 1777-5825, DOI 10.4000/assr.7402, lire en ligne, consulté le ).
  8. Brij Lal et Kate Fortune, The Pacific Islands: An Encyclopedia, Volume 1, University of Hawaii Press, 2000, (ISBN 0-8248-2265-X), p. 197

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Geoffrey Pridham, « Christian democracy in Western Europe : A bibliographical survey », West European Politics, vol. 3, no 3,‎ , p. 431-442 (DOI 10.1080/01402388008424296).
  • Bruno Dumons, Catholiques en politique. Un siècle de Ralliement, Paris, Desclée de Brouwer, 1993, 141 p.
  • Philippe Portier, Église et politique en France au XXe siècle, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs. Politique », , 160 p. (ISBN 2-7076-0564-6, présentation en ligne).
  • (en) Steven Van Hecke (dir.) et Emmanuel Gerard (dir.), Christian Democratic Parties in Europe since the End of the Cold War, Louvain, Leuven University Press, coll. « KADOC Studies on Religion, Culture and Society » (no 1), , 343 p. (ISBN 90-5867-377-4, présentation en ligne), [présentation en ligne], [présentation en ligne], [présentation en ligne].
  • Émile-François Callot, Le Mouvement républicain populaire : origine, structure, doctrine, programme et action politique, Paris, Marcel Rivière, , 443 p. (présentation en ligne), [présentation en ligne], [présentation en ligne], [présentation en ligne].
  • Jean-Claude Delbreil, Centrisme et Démocratie-chrétienne en France : le Parti démocrate populaire des origines au MRP (1919-1944), Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « France XIX-XX » (no 30), , 481 p. (ISBN 2-85944-182-4, présentation en ligne).
  • Jean-Dominique Durand, L'Europe de la Démocratie chrétienne, Bruxelles, Complexe, coll. « Questions au XXe siècle » (no 45), , 382 p. (ISBN 2-87027-536-6, présentation en ligne).
  • Joseph Hours, « Les origines d'une tradition politique. La formation en France de la doctrine de la Démocratie chrétienne et des pouvoirs intermédiaires », in Robert Pelloux (dir.), Libéralisme, traditionalisme, décentralisation, Armand Colin, 1952, p. 79‑123.
  • Pierre Letamendia (préf. François Bayrou), Le Mouvement républicain populaire : histoire d'un grand parti français, Paris, Beauchesne, coll. « L'Histoire dans l'actualité », , IX-381 p. (ISBN 2-7010-1327-5, présentation en ligne).
  • Émile Poulat, « La démocratie mais chrétienne », in Église contre Bourgeoisie (chapitre 4), Tournai, Castermann, 1977, p. 136‑172.
  • Émile Poulat, « Pour une meilleure compréhension de la Démocratie chrétienne », Revue d’Histoire Ecclésiastique, t. LXX, n° 1, 1975, p. 5‑38.
  • Jean-Marie Mayeur, « Catholicisme intransigeant, catholicisme social, démocratie chrétienne », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, Paris, Armand Colin, no 2 (27e année),‎ , p. 483-499 (lire en ligne).
  • Jean-Marie Mayeur, Des partis catholiques à la démocratie chrétienne, XIXe – XXe siècles, Paris, Armand Colin, coll. « U / Histoire contemporaine », , 247 p. (présentation en ligne).
  • Jean-Marie Mayeur, Catholicisme social et démocratie chrétienne : principes romains, expériences françaises, Paris, Éditions du Cerf, coll. « Histoire », , 247 p. (ISBN 2-204-02439-2, présentation en ligne).
  • René Rémond (dir.), Forces religieuses et attitudes politiques dans la France contemporaine : Colloque de Strasbourg, 23-, Institut d'études politiques de Strasbourg, Paris, Armand Colin / Fondation nationale des sciences politiques, coll. « Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques » (no 130), , X-397 p. (présentation en ligne), [présentation en ligne].
  • René Rémond, « Droite et gauche dans le catholicisme français contemporain », Revue Française de Science Politique, 1958, p. 529‑544.
  • René Rémond, « Le vocabulaire de la Démocratie chrétienne », in Formation et aspects du vocabulaire politique français, XVII-XXe siècles, Cahiers de Lexicologie, 1969, t. II, p. 87‑92. Ce bref article présente de manière très suggestive l’évolution de la perception de la société par la Démocratie chrétienne à travers l’étude de son champ lexical.
  • René Rémond, « Le cas de la France », in L’Église et la Démocratie chrétienne, Communio, 1987, n° 2‑3, p. 89‑98
  • Anne Sa'adah, « Le Mouvement républicain populaire et la reconstitution du système partisan français, 1944-1951 », Revue française de science politique, no 1 (37e année),‎ , p. 33-58 (lire en ligne).
  • Stathis N. Kalyvas et Kees van Kersbergen, « Christian Democracy », Annual Review of Political Science, mai 2010, vol. 13, n° 1, p. 183‑209.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]