Géopolitique

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Le terme — forgé à partir du grec γη (« terre ») et πολιτική (« politique ») — apparaît pour la première fois sous la plume de Gottfried Wilhelm Leibniz dans un manuscrit inédit de 1679[1],[2]. Mais son usage ne se répand que plus tard, quand il apparaît en 1889 sous la plume du professeur de science politique et de géographie suédois Rudolf Kjellén (1864-1922) dans un article de presse qui évoque les frontières suédoises[3], puis dans un ouvrage, Stormakterna (Les grandes puissances)[4].

« La géopolitique est la science de l'État comme organisme géographique ou comme entité dans l'espace : c'est-à-dire l'État comme pays, territoire, domaine ou, plus caractéristique, comme règne. Comme science politique, elle observe fermement l'unité étatique et veut contribuer à la compréhension de la nature de l'État. »[5].

C'est en Allemagne que la notion de géopolitique se construit, sous l'impulsion fondatrice de Friedrich Ratzel (1844-1904) puis se développe dans ce pays, mais aussi en Grande-Bretagne et aux États-Unis .

Cependant du fait qu'elle a pu servir à légitimer la puissance et l'expansionnisme allemand, ainsi que l'idéologie nazie cette discipline — fortement connotée dans le contexte de l'immédiat après guerre — est temporairement proscrite notamment en France.

Pourtant, la nécessité pour les décideurs politiques et les citoyens de mieux comprendre les conflits qui les entourent et ainsi d'en comprendre les enjeux a contribué, depuis les années 1980, au renouveau de cette discipline. À ce titre, c'est au cours de la guerre du Viêt Nam puis du conflit qui oppose les Khmers rouges aux Nord-Vietnamiens, que la géopolitique retrouve sa pleine légitimité.

Selon Alexandre Defay, professeur au centre de géostratégie de l'ENS, « La géopolitique a pour objet l'étude des interactions entre l'espace géographique et les rivalités de pouvoirs qui en découlent. […] elle est le terrain de manœuvre de la puissance locale, régionale ou mondiale. […] »[6]. L'approche géopolitique ne tente pas seulement de décrire et d'analyser des enjeux et conflits « objectifs » , elle traite « de conflits relatifs à des territoires représentés, c'est-à-dire des territoires qui — pour ceux qui les habitent, qui les convoitent ou encore qui les décrivent — sont imaginés. […] Autrement dit, on peut aller jusqu'à affirmer comme le fait Thierry de Montbrial[7] que la géopolitique est la partie de la géographie politique qui s'occupe des idéologies relatives aux territoires. »

Genèse de la géopolitique

La pratique précède le concept

La géopolitique est pratiquée bien avant que le terme n'apparaisse. Les rivalités de pouvoirs se sont exprimées dans toutes les sociétés, même dans les sociétés sans État[8]. « Mais c'est avec la naissance de l'État, au proche-Orient, trois mille ans avant notre ère que l'espace acquiert une dimension géopolitique permanente . désormais l'espace n'est plus seulement façonné et cloisonné par la diversité du milieu naturel et par celle du peuplement mais aussi par l'exercice de souverainetés étatiques concurrentes. Au regard de ces dernières, l'espace est le théâtre et l'enjeu de leurs rivalités. » .

Sur un mode pragmatique les écrits d'auteurs comme Machiavel ou Clausewitz explicitent les « bonnes pratiques » à employer pour comprendre et exploiter les rapports de forces.

La célèbre formule de Napoléon Bonaparte « Tout État fait la politique de sa géographie » signifie selon A. Defay[9], d'une part la représentation que l'état se fait à un moment donné de sa géographie mais aussi d'autre part les moyens concrets (humains et économiques) dont il dispose pour l'appréhender. « Faute de quoi cette formule pourrait laisser croire à un déterminisme du milieu sur le politique, piège dans lequel sont tombés plusieurs des premiers théoriciens de la géopolitique

Contexte de fondation de la géopolitique

Née comme d'autres sciences humaines dans les dernières décennies du XIXe siècle, la discipline est le produit d'un contexte historique particulier[10] : ses débuts portent résultent d'une composante scientifique (marquée par le Scientisme et le Darwinisme), d'une composante technologique (les inventions technologiques raccourcissent l'espace, et les enjeux prennent une dimension planétaire), d'une composante politique (exacerbation de l'État-nation et du sentiment national, appétits territoriaux avivés par la question coloniale).

Le terme de géopolitique avancé par le géographie suédois Rudolf Kjellén (1864-1922) reprend des éléments de géographie politique énoncés par le géographe allemand Friedrich Ratzel, considéré comme le père de la Geopolitik allemande. Ratzel analyse l'État en rapport avec sa géographie, son espace, son milieu, les deux sont en interactions. Dans son ouvrage Politische Geographie oder die Geographie der Staaten, des Verkehrs und des Krieges[11], l'État est perçu comme un être vivant. À la suite des analyses de Kjellén et de Friedrich Ratzel, nombre d'universitaires et de militaires vont mettre au point des analyses géopolitiques au service de leur pays.

Premières écoles de Géopolitique

Plusieurs écoles de pensée alimentent le mouvement :

L'École allemande : die Geopolitik

Friedrich Ratzel.

La géopolitique allemande – ou Geopolitik – repose sur les approches théoriques de Ratzel (1844-1904), qui donnera naissance à l'École de Berlin. Cette Geopolitik émerge avec la naissance du IIe Reich, dans la deuxième partie du XIXe siècle, qui cherche à se donner une légitimité territoriale et renforcer sa puissance. Elle est fortement influencée par des approches naturalistes ou environnementales comme celle du géographe Carl Ritter, de la pensée hégélienne notamment diffusée par son disciple Ernst Gapp, ou encore le darwinisme social passé entre les mains du biologiste philosophe Ernst Haeckel, le père du terme « écologie ».

L'approche géographique de Ratzel, interprétée comme géopolitique, s'applique à démontrer que l'État, thème principal des travaux géopolitiques, est « comme un être vivant qui naît, grandit, atteint son plein développement, puis se dégrade et meurt »[12]. L'État, pour vivre (ou survivre), doit s'étendre et fortifier son territoire. À travers ce prisme, Ratzel défend l'idée que l'Allemagne pour vivre doit devenir un véritable empire et donc posséder un territoire à sa mesure. Pour cela, il faut que le politique mette en place une politique volontariste afin d'accroître la puissance de l'État. Ce dernier a donc besoin pour se développer de territoires, d'un espace, l'espace nourricier, le Lebensraum (terme inventé par Ratzel), l'espace de vie (souvent traduit par espace vital).

Les successeurs de Ratzel mettent cette nouvelle discipline au service du Prince et elle sera appliquée sous le IIIe Reich. Ils proposent au régime nazi une approche cartographique du monde où les « Grands Peuples » (grandes puissances) se partagent la planète en fonction d'alliances et d'une hiérarchie raciale des peuples. Cette Geopolitik active s'inscrit contre l'idée du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes émise par la SDN. Parmi les disciples de Ratzel, il faut citer le général bavarois Karl Haushofer (1869-1946) qui affine la notion d'espace de vie et la perception de l'espace dans un but hégémonique. Après la défaite de 1918, il devient l'un des chantres de la puissance allemande. Haushofer prévoit un partage du monde en quatre zones :

  1. une zone paneuropéenne recouvrant l'Afrique et dominant le Moyen-Orient ; dominée par l'Allemagne,
  2. une zone panaméricaine dominée par les États-Unis,
  3. une zone panrusse incluant l'Asie centrale et l'Asie du Sud dominée par la Russie,
  4. une zone panasiatique dominée par le Japon, alliée de l'Allemagne, recouvrant l'Extrême-Orient (Chine), l'Asie du Sud-Est et le Pacifique Nord. Cette partition du monde permet de contrer l'encerclement anglo-saxon.

Cette application par le politique d'une discipline percevant l'État comme un organisme et à but hégémonique est appliquée au cours de la Seconde Guerre mondiale.

À la suite de ses dérives, au sortir de la guerre, la géopolitique tant en Allemagne qu'ailleurs dans le monde est bannie des milieux universitaires et des États-majors, au profit d'autres approches du monde. D'ailleurs, les disciplines géographiques ont renoncé à réutiliser ces approches jusqu'aux années 1970-1980.

L'École anglo-américaine : Théorie du Heartland, Rimland et Sea power

On doit à l'historien hongrois Emil Reich l'apparition du terme en anglais[13] dès 1902, puis plus tard en 1904 dans son ouvrage Foundations of Modern Europe[14],[15],[16].

Alfred Thayer Mahan et le sea power

Cette École définit la puissance d'un État (en l'espèce le Royaume-Uni) par la domination des mers ou océans (théorie de l'empire maritime). Alfred Thayer Mahan, commentateur de la stratégie navale mondiale et des relations internationales pensait que le leadership international était étroitement liée à la mer tant dans une optique commerciale en temps de paix que du contrôle de cette dernière en temps de guerre. Son travail consiste donc dans l'étude des principes stratégiques historiques régissant le contrôle des mers. Ce dernier s'inspire du travail de Jomini, en se focalisant sur la question des positionnements stratégiques.

Mackinder et le Heartland

Principal contributeur, Halford Mackinder (1861-1947) conçoit la planète comme un ensemble composé par un océan mondial (9/12e), une île mondiale (2/12e - Afrique, Asie, Europe) et de grandes îles périphériques ou Outlyings Islands (1/12e - Amérique, Australie).

Pour Mackinder, afin de dominer le monde, il faut dominer l'île mondiale et principalement le cœur de cette île, le Heartland, véritable pivot géographique du monde (allant de la plaine de l'Europe centrale à la Sibérie occidentale et en direction de la Méditerranée, du Moyen-Orient et de l'Asie du Sud). Ainsi, l'Empire britannique, qui s'est construit sur la domination des océans, doit désormais, pour rester une grande puissance mondiale, s'attacher à se positionner sur terre en maîtrisant les moyens de transport par voie de chemin de fer. L'approche géopoliticienne anglaise renvoie à cette volonté de domination du monde via le commerce, en contrôlant les mers, puis désormais les terres, se faisant l'héritière directe, non seulement de la géopolitique allemande, mais aussi des premiers navigateurs anglais, comme Walter Raleigh : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ».

La géopolitique de Mackinder est à replacer dans une perspective de concurrence entre la puissance maritime britannique et la puissance allemande qui, à travers son contrôle de la Mitteleuropa, tend vers le contrôle du heartland (voir Théorie du Heartland).

Nicholas Spykman et le Rimland

Nicholas Spykman peut être considéré comme un disciple critique d'Alfred Mahan et Halford Mackinder. Son travail se fonde sur les mêmes postulats que ceux de Mackinder: L'unité de la politique globale et des mers. Ce dernier étend en outre cette théorie à la dimension aérienne. Spykman tout en adoptant les divisions géographiques de Mackinder renomme certaines:

  • Le Heartland;
  • Le Rimland; Les coastlands de Mackinder - qu'il appelle "bord des terres" ou "anneau des terres". Ce territoire périphérique serait coincé entre le cœur européen (Allemagne, Russie) et les mers contrôlés par les Anglais.

Spykman pense que les États-Unis doivent contrôler les États de ce rimland afin de s'imposer comme puissance entre ces empires européens et ainsi dominer le monde.

L'École américaine a aussi expliqué comment les grands empires d'Asie avaient réussi à se stabiliser dans le temps en se basant seulement sur l'administration très hiérarchisée de l'irrigation dans les territoires ou l'Asie des moussons. C'est la théorie des despotismes orientaux, grande thèse de géopolitique. L'École américaine – ou École de Berkeley - s'est toujours intéressée à la dimension culturelle qui marque l'espace terrestre.

Le retour de la géopolitique américaine se poursuit au XXe siècle avec les thèses de Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations.

L'École française

Montesquieu et la théorie des climats

Montesquieu (1689-1755) dote la théorie des climats d'une force retentissante en l'appliquant au seul domaine politique. Il l'esquisse d'abord dans les Lettres persanes, puis lui donne une place considérable dans De l'esprit des lois :

« Ce sont les différents besoins dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois »

— Montesquieu, L’Esprit des lois, 3e partie, Livre XIV, chap. X.

Montesquieu évoque l'idée selon laquelle l'Homme est influencé par son climat. Pour lui, le climat tempéré de la France est idéal pour le développement d'un système politique.

Élisée Reclus

Géographe libertaire[17], Élisée Reclus (1830 – 1905) est considéré comme l'un des précurseurs de la pensée géopolitique française notamment par son ouvrage, Nouvelle Géographie universelle.

Comme Ratzel, il envisage la géographie dans une vision globale, toutefois ce dernier s'oppose à Ratzel car il considère que la géographie n'est pas immuable, elle évolue en fonction de sa dimension sociale. L’École française de géopolitique s'est développée en réponse à la conception allemande de la géopolitique. D'après Yves Lacoste, l'un des ouvrages de Paul Vidal de la Blache (1845-1918), père de l'École française de géographie, La France de l'Est (1917) doit être analysé comme un ouvrage géopolitique dans la mesure où Vidal de la Blache explique les raisons de l'appartenance de l'Alsace et la Lorraine à la France.

Fernand Braudel, Vidal de la Blache et les temps longs

Fernand Braudel en s'inspirant des travaux de Paul Vidal de la Blache (1845-1918) s'emploie à développer une méthode d'analyse historico-géographique. Cette Méthode est incarnée par ses ouvrages La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Grammaire des civilisations, et plus tard par une série d’articles méthodologiques qu’il publie en 1969 dans Écrits sur l'Histoire.

Ces travaux consistant à s'intéresser à des zones particulières sur de longues périodes en se détachant d'événements particuliers considérés comme non pertinents sont à rapprocher des échelles mutiscalaires (diachronie) développées par Yves Lacoste.

Jacques Ancel

Le géographe Jacques Ancel (1882-1943), auteur d'ouvrages sur la question des nationalités dans l'Empire austro-hongrois, s'intéresse aux questions des frontières définies comme des « isobare(s) politique(s), qui fixe(nt), pour un temps, l'équilibre entre deux pressions ; équilibre de masses, équilibre de force »[18], reprenant les travaux d'André Chéradame[19].

S'il existe une géopolitique française, c'est surtout dans la contestation de l'approche géopolitique allemande et de ses légitimations déterministes. Chéradame, dès 1916, condamne les dérives de la Geopolitik allemande dans son ouvrage Le plan pangermaniste démasqué. Le redoutable piège berlinois de la partie nulle. Dans l'entre-deux guerre, l'amiral Raoul Castex (1878-1968) synthétise la stratégie navale dans son ouvrage à portée géopolitique Théories stratégiques(1929).

Il semble toutefois que ces trois directions ne soient pas aussi éloignées les unes des autres. En effet, toutes trois proposent une géopolitique dynamique, active, percevant l'État comme un organisme qui doit vivre ou survivre face à la concurrence d'autres États.

Fin de la géopolitique avec la Seconde Guerre mondiale ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la notion de géopolitique, traduisant mal une répartition de plus en plus complexe des pouvoirs institutionnels dans le monde, recule au profit de quatre disciplines de sciences humaines :

  • les relations internationales, appuyées sur la théorie du droit international ;
  • la sociologie politique, sociologie des relations internationales[20]. Sur ce point, l'évolution reste limitée, puisque la notion d'international reflète la division du monde en nations souveraines, ce qui se traduit en pratique par l'intergouvernemental plutôt que par une mondialisation institutionnelle ;
  • la géographie politique qui étudie :
    • l'organisation du pouvoir et des territoires à la surface de la Terre,
    • le découpage social de l'espace dans les relations de pouvoir,
    • la cartographie électorale ;
  • La géostratégie, étude des intérêts des États et des acteurs politiques dans l'espace surtout international.
    C'est un espace du droit international, des alliances, des conflits, des positions parce que la stratégie consiste à projeter les intérêts d'un État dans le monde (et par extension pour les entreprises).
    Le géostratège envisage les conséquences d'un conflit localisé.

Yves Lacoste

Depuis la fin des années soixante, cette école de pensée a été réactualisée à travers les différents ouvrages de Yves Lacoste et l'Institut français de géopolitique (IFG) de Saint-Denis (Université Paris 8), dirigé par Béatrice Giblin-Delvallet. Disciple de Lacoste, Pascal Lorot travaille sur les relations entre géopolitique et économie et fonde la géoéconomie.

L'analyse géopolitique aujourd'hui

Retour de la géopolitique en France

La géopolitique, après avoir été bannie comme savoir scientifique, a retrouvé une nouvelle légitimité d'approche à la suite des différents conflits qui ont émergé dans les années 1970. Dans son essai, le géographe Yves Lacoste dénonce la mainmise des différents États-majors (politique, militaire, financier, économique) sur les savoirs cartographiques et géographiques limités à des perspectives stratégiques. Il souhaite une vulgarisation de l'approche géographique. À la même période, autour d'un cénacle d'enseignants de divers horizons, il lance la Revue Hérodote qui se veut une revue de stratégie et de géopolitique. Lacoste définit la nouvelle géopolitique comme « l'étude des interactions entre le politique et le territoire, les rivalités ou les tensions qui trouvent leur origine ou leur développement sur le territoire ».

La géopolitique, afin d'éviter de retomber dans les travers du passé, se doit d'utiliser l'ensemble des connaissances liées à la géographie (géographie physique, mais aussi la géographie humaine dans toutes ses composantes (sociales, économiques, culturelles, sanitaires), les matières premières et les flux de ressources), mais aussi utiliser l'histoire, la science politique, etc.

Fichier:Geonomie du MNHN.jpg
Diachronie du quartier du Jardin des Plantes de Paris : l'évolution des environnements depuis 3000 ans.

La mondialisation pourra peut-être conforter la légitimité de nouvelles approches géopolitiques.

Représentation, diachronie, diatopie, horogénèse

Dans ses nombreux ouvrages, Yves Lacoste développe trois concepts clefs permettant de conduire une analyse géopolitique [21]: l'étude de la diachronie (évolution à travers le temps), de la diatopie (évolution à travers l'espace) et des représentations.

L'étude de la diachronie est l'analyse d'une situation, d'une culture ou d'une population à travers le temps, y compris sur des temps longs (plusieurs époques). Exemple : l'évolution, l'expansion et le recul des langues et des populations celtiques.

L'étude de la diatopie est l'analyse d'une situation à différentes échelles cartographiques (analyse multiscalaire). On peut ainsi examiner les déplacements, la gestion, la consommation et le coût de l'eau et/ou des carburants partir d'une propriété personnelle (habitation, jardin) jusqu'à la planète Terre en passant par le quartier, la commune, l'agglomération urbaine ou l'espace rural, les divers échelons administratifs, le pays, les unions auxquelles ce pays appartient (Alena, Mercosur, U.E., C.E.I., O.U.A., Asean, O.T.A.N., O.P.E.P., O.C.I. ou l'O.N.U. par exemple).

Le concept de représentation en géopolitique réside dans l'analyse des conceptions que peuvent avoir une personne ou un groupe (par exemple une ethnie ou une confession) par rapport à un sujet. Ainsi on peut étudier la façon dont ils se perçoivent par rapport à leurs territoires, milieux et ressources et comment ils les gèrent et exploitent, ou encore par rapport au groupe auquel ils appartiennent et par rapport aux autres groupes. À titre d'exemples (pris dans Fragments d'Europe sous la direction de Michel Foucher) la notion de « patriote » est à géométrie très variable : elle est souvent territoriale dans les pays nordiques (on prend soin du territoire, des ressources, du patrimoine) mais plus communautariste dans les pays méditerranéens, latins et slaves (plutôt que soigner le territoire, on s'identifie fortement à son groupe d'origine) et peut aussi être à coloration confessionnelle (comme chez les Bosniens-Herzégovins catholiques donc Croates, orthodoxes donc Serbes ou musulmans donc Bosniaques) ou régionale locale (cas des Kosovars, des Macédoniens, des Moldaves ou des Monténégrins, mais on peut aussi analyser la façon dont se perçoit un Corse par rapport aux autres français, et comment les autres français le perçoivent…). Autre exemple :

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Fichier:MittelEuropa1914.JPG
Horogenèse des frontières (en rouge) du domaine des Habsbourg : carte de l'Autriche-Hongrie en 1914 avec les zones linguistiques selon le recensement de 1890.
Fichier:MittelEuropa1919.JPG
Horogenèse de 1919, réalisée en application (partielle) des Quatorze points de Wilson : le géographe français Emmanuel de Martonne joua un rôle essentiel dans l'horogenèse de ces frontières (en rouge), pour la plupart encore en place au début du XXIe siècle.

Par ailleurs, Michel Foucher développe le concept d'horogenèse, néologisme qui se définit comme une discipline s'intéressant à la genèse des frontières (du grec hôra, le territoire).

Les axes d'analyses

Le terme de géopolitique revêt une connotation stratégique, voire militaire, tandis que le terme de géographie politique fait plutôt référence à l'organisation des États, des régions, des entités administratives, des frontières, et des habitants. On constate que de nos jours la mondialisation et l'effondrement d'un monde bipolaire ont multiplié et complexifié les liens entre toutes les populations de la planète. Depuis une dizaine d'années, les centres universitaires multiplient les sections géopolitiques afin de répondre à une demande croissante d'analyse dite géopolitique.

Par sa recherche des interactions entre les grandes zones du monde (énergie et matières premières, flux de ressources, passages à risques), la géopolitique s'intéresse naturellement à la politique internationale et à ses aspects diplomatiques. Certains auteurs Béatrice Giblin se sont toutefois penchés sur des questions de géopolitique interne.

Dès le début des années 1980 étaient entrevus des risques de marginalisation géopolitique de l'Europe, qui pourraient s'accentuer aujourd'hui si la réaction n'est pas adaptée :

  • liaisons sur l'océan Pacifique prenant le pas sur celles de l'océan Atlantique;
  • impact de la fonte de la banquise dans l'Arctique sous l'effet du changement climatique, et évolutions structurelles du transport maritime et aérien.
  • Accès aux champs pétrolifères du Moyen-Orient, construction d'oléoducs et de gazoducs, transport pétrolier, pic pétrolier, montée de la consommation de pétrole de la Chine (Géopolitique du pétrole).
  • Retour du charbon (propre) : Australie, Chine, Canada, etc.

Les enjeux

  • enjeux démographiques liés à la surpopulation mondiale ;
  • enjeux humains liés aux flux désordonnés de populations, aux migrations non contrôlées, etc. ;
  • dans ce contexte, la pérennité des langues dans le monde est un enjeu très important ;
  • enjeux culturels associés à l'utilisation d'une langue ;
  • recrudescence des menaces terroristes ;
  • risques de prolifération nucléaire (Iran, Corée du Nord) ;
  • recherche de la maîtrise du cycle fermé de l'uranium, et partenariats mondiaux ;
  • accès à l'eau potable et à l'assainissement (Turquie, Syrie, Israël, Asie, Afrique, etc.) ;
  • ressources halieutiques et zones de pêche ;
  • agroressources au Brésil, usines biochimiques ;
  • accès aux ressources naturelles en Afrique, au Moyen-Orient, etc. ;
  • polarisation et maillages mondiaux: villes à stature mondiale, pôles de compétence économique et technologiques, imbrications économiques, fracture numérique ;
  • gisements éoliens ou hydroliens ;
  • risques sur les tunnels transfrontaliers ;
  • remises en cause internes de l'État (régionalisme, autonomie, séparatisme, indépendantisme) : au Canada (Québécois) ; Europe (Bretons, Catalans, Flamands, Ligue du Nord, Savoie, Wallons D.O.M [voir les états généraux de l'outre-mer]) ; Afrique… ;
Le détroit d'Ormuz : point de tension géostratégique entre l'Iran, Oman (péninsule de Musandam) et les Émirats arabes unis.

Les facteurs décisifs dans les alliances

La géopolitique s'attache à étudier les différents facteurs qui aboutissent à la constitution des alliances.

La géopolitique s'intéresse aux différents facteurs qui influencent les stratégies :

  • maîtrise globale des mers et/ou de la terre (peuples de la mer, peuples de la terre) : on assiste souvent à des différences de stratégie entre une puissance ou une alliance entre puissances maritimes et une puissance ou une alliance entre puissances continentales, ce facteur influence les autres ;
  • contrôle des points de passage et des moyens de transport : détroits, cols, tunnels, aéroports, ports, gares ;
  • facteurs financiers (impôts, taxes…) ;
  • accès aux ressources naturelles et aux matières premières ;
  • maîtrise des techniques (navigation, aéronautique et espace…) ;
  • types de régimes politiques (démocratie, etc.) ;
  • facteurs culturels, sociologiques et philosophiques ;

Aspects militaires et énergétiques

Les États-Unis ont mis en place depuis la fin des années 1980 une stratégie globale visant à assurer la suprématie de l'armée américaine et des entreprises américaines sur le monde[22]. Elle est structurée autour d'un consortium de grandes entreprises des secteurs de l'informatique et de l'aéronautique, qui a permis de projeter les forces américaines en Irak, lors des deux guerres du Golfe en 1991 et en 2003. Cette stratégie globale concerne maintenant presque tous les secteurs d'activité, et s'appuie sur une utilisation très structurée des technologies de l'information (Internet, réseaux).

L'accès aux ressources pétrolières conduit à définir des stratégies spécifiques (voir géopolitique du pétrole).

On constate ses effets également dans l'alliance que les États-Unis ont réalisée, en réponse au protocole de Kyoto, avec la Chine, l'Inde, le Japon, et l'Australie, visant à développer le charbon propre, et les nouvelles générations de réacteurs nucléaires (réacteurs de génération IV, Integral Fast Reactor (en)).

Aspects linguistiques

La langue est un facteur essentiel de la communication entre les peuples. Ainsi, la précision du langage peut-elle jouer un rôle décisif dans des négociations internationales.

C'est sans doute l'un des facteurs qui a fait que la langue française était la langue parlée dans les cours européennes au siècle des Lumières (XVIIIe siècle). En effet, le français a été normalisé et « défendu » dès 1635 par l'Académie française.

Il en a résulté des règles strictes de droit international public, reconnues dans le statut des langues officielles retenues par l'Organisation des Nations unies. Le français est ainsi l'une des six langues officielles reconnues par l'ONU pour les négociations internationales. Le français joue donc un rôle important dans la diplomatie.

Les noms des habitants d'un continent, d'un pays ou d'une région sont un aspect relativement invariable de la géographie et de la géopolitique. Pour la précision scientifique et sémantique, on distingue les gentilés se référant à un État et écrits avec une majuscule (par exemple Allemand, Belge, Britannique, Français, Néerlandais ou Suisse) des glottonymes se référant à une langue (écrits avec une minuscule et suivis du suffixe phone comme dans anglophone, germanophone, francophone ou néerlandophone) et des gentilés se référant à une région culturelle, géographique ou historique (Anglais, Flamand, Wallon, Bourguignon, Québecois ou Romand).

Dans un contexte de mondialisation, où l'utilisation de l'Internet se répand de plus en plus de par le monde, on peut s'interroger sur la pérennité des langues. L'attribution d'un nom à une langue est un « enjeu géopolitique » essentiel : ainsi une même langue du point de vue linguistique (c'est-à-dire dont les locuteurs se comprennent spontanément et totalement, sans dictionnaire ni traducteur) peut s'écrire à l'aide d'alphabets différents et/ou porter des noms différents selon les pays (Hindi/Ourdou ou Croate-Bosnien/Monténégrin-Serbe par exemple).

La langue est de même un enjeu crucial pour les relations entre les États avec la constitution de blocs linguistiques intercontinentaux. C'est ainsi un véritable enjeu de puissance[23].

Quelques grands mouvements géopolitiques dans l'Histoire

Avec le recul de l'Histoire, on perçoit plus facilement les grandes tendances, et les motivations qui ont conduit les États à adopter des stratégies géopolitiques[24] :

Selon Joseph Stiglitz[25] il ne faudrait pas pour autant croire que la terre soit divisée en civilisations opposées comme l'affirme Samuel Huntington : s'il y a bien un « choc des civilisations » sur notre planète mondialisée, il n'est pas tant géographique ou militaire, que social et individuel : c'est à l'intérieur de chaque société, et dans la mentalité de chaque citoyen que se télescopent des visions géopolitiques du monde, des ressources et de l'« autre » héritées de l'Antiquité, du Moyen Âge, du XIXe siècle ou plus modernes, avec les différents modèles familiaux, identitaires, économiques, sociaux et politiques qui en sont issus, et qui se confrontent dans l'arène politique et culturelle, dégénérant parfois en guerres civiles.

Voir aussi

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Bibliographie générale

Dictionnaires

  • Antoine Bailly, FERRAS (R), Denise Pumain, dir., 1995, Encyclopédie de Géographie, Economica
  • Pascal Gauchon (dir.), Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, Paris, PUF, 2011.
  • Aymeric Chauprade, François Thual, 1998, Dictionnaire de Géopolitique. États, Concepts, Auteurs, Paris, Ellipses
  • Yves Lacoste, dir., 1995, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion. 2003, De la Géopolitique aux Paysages. Dictionnaire de la Géographie, Paris, Colin
  • Jacques Lévy, Michel Lussault, dir., (2003) Dictionnaire de la géographie, Paris, Belin
  • Pascal Lorot (dir.), 2003, Dictionnaire de la mondialisation, Paris, Ellipses
  • Philippe Moreau Defarges, 1994, Introduction à la géopolitique, Paris, Éditions du Seuil. 2002, Dictionnaire de Géographie, Colin

Ouvrages généraux

  • Ouvrages anciens :
    • Jacques Ancel, 1936, Géopolitique, Delagrave. 1938, Géographie des frontières, Paris, Gallimard
    • Karl Haushofer, 1932, Wehr-Geopolitik, Berlin, Junker und Dünnhaupt. Ses textes fondamentaux ont été publiés dans la revue Zeitschrift für Geopolitik
    • Rudolf Kjellén, 1905, Stormakterna (les Grandes puissances). 1916, Staten som lifsform (l'État comme forme). 1920, Världspolitiken 1911-1919 (la politique mondiale 1911-1919).
    • Alfred Mahan, 1890, The influence of sea power upon history, 1660-1783, Boston (trad. 1899, Influence de la puissance maritime dans l'histoire, 1660-1783, Paris).
    • Friedrich Ratzel, 1897, Politische Geographie, München, Oldenbourg, (trad. 1988, Géographie politique, Paris, Economica)
    • Nicholas Spykman, 1942, America's strategy in world politics, the United States and the balance of power.
  • Ouvrages récents :
    • Guy Ankerl, Coexisting contemporary civilizations. Arabo-muslim, bharati, chinese, and western. Genève, INUPRESS, 2000, ISBN 2-88155-004-5
    • Bertrand Badie, 1995, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l'utilité sociale du respect, coll. L'espace du politique, Paris, Fayard
    • C. Bardot (direct.), Histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain, collect. Cap Prépas, Pearson Education France, juin 2008
    • Pierre Buhler, 2011, La puissance au XXIe siècle ; les nouvelles définitions du monde, Paris, CNRS Éditions (Prix du Festival géopolitique 2012)
    • Aymeric Chauprade, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2007
    • Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations, du 11 septembre au Printemps arabe, éditions Chronique, septembre 2011
    • Paul Claval, 1978, Espace et pouvoir, PUF. 1994, Géopolitique et géostratégie : la pensée politique, l'espace et le territoire au XXe siècle, Paris, Nathan
    • A Defay, 2005, La Géopolitique, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris.
    • Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy, Denis Retaillé, 1992, Le monde : espaces et systèmes, Paris, Presses FNSP
    • Frédéric Encel, 2009, Horizons géopolitiques, Paris, Éditions du Seuil, ISBN 978-2-02-084799-5
    • Michel Foucher, 1988, Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard
    • Patrice Gourdin, 2010, Géopolitiques, manuel pratique, Paris, Choiseul.
    • Samuel P. Huntington, 1993, The Clash of the Civilization?, Foreign Affairs. 1996, The Clash of Civilizations and the remaking of world order, New York : Simon and Schuster (trad. 1997, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob).
    • Yves Lacoste, 1976, La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre, Paris, Éditions la Découverte.
    • Yves Lacoste, 2006, Géopolitique. La longue histoire d'aujourd'hui, Larousse ISBN 2-03-505421-4
    • Pascal Lorot, 1995, Histoire de la géopolitique. Paris, Economica. & François Thual, 2002, La géopolitique, Montchrestien
    • Florian Louis, 2014, Les grands théoriciens de la géopolitique, Paris, Puf, 2014.
    • Claude Raffestin, D Lopreno, Y Pasteur, 1995, Géopolitique et histoire, Éditions Payot
    • Stéphane Rosière, 2003, Géographie politique et géopolitique, Paris, Ellipses.
    • Criekemans, David, Geopolitiek, 'geografisch geweten' van de buitenlandse politiek?, Garant, Antwerpen/Apeldoorn, 2007.- 848 p.: ill..- ISBN 90-441-1969-9
    • Jacques Soppelsa, Lexique de Géopolitique, Dalloz, 1997.
    • Pascal Boniface, "Comprendre le monde", Éditions du Moment, 2010.
    • Pascal Boniface, "La géopolitique", Éditions Eyrolles, 2011.

Quelques centres d'analyses et leurs revues

Articles connexes

Notes et références

  1. Florian Louis, Les grands théoriciens de la géopolitique, Paris, Puf, 2014, p. 13.
  2. André Robinet, L'il a été: destin et liberté. Paris : J. Vrin, 2006, p. 115.
  3. Frédéric Encel, Horizons géopolitiques, 2009, page 36
  4. 1re édition 1905.
  5. Stormakterna. Konturer kring samtidens storpolitik, första delen, 1905, Stockholm, Hugo Gebers förlag.
  6. La Géopolitique, PUF Paris 2005, p. 4.
  7. in « La question Turque » Politique étrangère, mars 2004 et « l'action et le système du monde » Paris PUF 2003.
  8. A. Defay, Op cit p. 4
  9. A. Defay, op.cit. p. 9
  10. A. Defay, op. cit. p. 10
  11. 1897, trad. fra. 1988.
  12. Politische Geographie, Munich : Oldenbourg, 1897, Osnabrück : Zeller.
  13. Christopher Lloyd GoGwilt, The Geopolitical Image: Imperialism, Anarchism, and the Hypothesis of Culture in the Formation of Geopolitics, Modernism/modernity, Volume 5, Number 3, September 1998, p. 49-70 et The Fiction of Geopolitics: Afterimages of Culture, from Wilkie Collins to Alfred Hitchcock, Stanford. Stanford University Press, 2000, p. 35-36.
  14. Foundations of Modern Europe, London, George Bell, 1904, 284 pages
  15. http://www.pascalvenier.com/recherche/?p=1
  16. http://www.pascalvenier.com/recherche/?p=26 l'apparition du terme en anglais et au diplomate Robert Strausz-Hupé sa popularisation
  17. Élisée Reclus, géographe libertaire, Revue Hérodote, no 22, 1981, texte intégral.
  18. Géographie des frontières, 1938
  19. L'Allemagne, la France et la question d'Autriche, 1902
  20. cf. Guerre et Paix entre les nations (Raymond Aron)
  21. Broché, Choiseul; ISBN 978-2-36159-001-7; 268 pages
  22. L'autre guerre des États-Unis, Éric Denécé et Claude Revel, 2005
  23. " La langue : quelle place dans les relations internationales ? " - Les Yeux du Monde, site d'actualité et de géopolitique
  24. Yves Lacoste (dir.): Dictionnaire de Géopolitique, Flammarion 1993, ISBN 2-08-035101-X et La Légende de la Terre Flammarion 2000 ; Alexandre de Marenches: Atlas géopolitique, Stock 1988, ISBN 2-234-02021-2.
  25. Joseph Stiglitz: La grande désillusion, Plon 2002 et Livre de Poche, 2003

Liens externes