Histoire de l'agence Reuters

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L'histoire de l'agence Reuters a vu une petite société de traduction de nouvelles, recourant à des pigeons voyageurs, devenir un siècle et demi plus tard la dixième plus grande capitalisation de la Bourse de Londres, en devenant à la fois une agence de presse, un courtier et un réseau électronique d'échanges boursiers.

Le premier siècle, de 1848 à 1941

Débuts à Berlin et Paris, puis Aix la Chapelle et Londres

Paul Julius Reuter, immigrant juif, fils de rabbin, commence sa carrière comme éditeur d'un journal publiant des pamplets politiques à Berlin, le Vossichen Buchhandlung[1], où il travaille avec Bernhard Wolff, qui créera lui aussi une agence de presse à stature mondiale, l'Agence Continentale, ancêtre de la Deutsche Presse-Agentur.

Comme beaucoup d'Allemands, ils fuient Berlin[2] après la révolution de 1848. Certains partent en Amérique, eux s'installent à Paris, où ils travaillent pour Charles Havas, qui a créé l'agence Havas en 1835. Ils sont rejoints par Sigismund Kolisch et Sigismund Englander, deux autres créateurs de journaux, le premier de Vienne, l'autre de Berlin.

Au printemps 1849, Paul Julius Reuters créé sa propre agence de presse, rue Jean-Jacques-Rousseau à Paris, près de la poste centrale, traduisant des informations de la presse française en allemand pour les journaux régionaux, à des prix très modestes. Mais il fait faillite après un mois, ce qui l'amène à s'installer à Aix la Chapelle pour diffuser plutôt vers les centres d'affaires de Paris, Bruxelles et Berlin[2]. Sa société s'appelle alors l'Institut pour la transmission des messages par télégraphe.

Le recours au câble sous-marin à partir de Londres

Paul Julius Reuter s'installe à Londres en 1851, pour profiter du premier câble sous-marin transmanche, entre Douvres et Calais. La Bourse de Londres, la première d'Europe, intéresse tous les investisseurs et il y domicile sa société, la "St Josaphat and Co.'s Continental Telegraph"[3].

En 1855, la suppression d'une taxe sur les timbres permet à la presse quotidienne britannique de se développer. Le Times of London, qui a déjà son réseau de correspondants en Europe, au Proche-Orient, en Inde et en Chine et aux États-Unis refuse de s'abonner. Mais en 1858 Paul Julius Reuter parvient à convaincre les autres quotidiens et le Times se rallie lui aussi. Reuters invente l'information sous embargo en 1859, en persuadant Napoléon III de lui donner à l'avance une copie de son discours sur la guerre de libération en Italie.

L'agence ouvre des bureaux de télégraphe tous les deux ou trois ans, à travers les pays européens, suivant la maxime de Paul Julius Reuter : « Follow the cable ». La technique du télégraphe effectue alors des progrès rapides et la demande de nouvelles fraiches a été stimulée par les révolutions dans plusieurs pays européens, en 1848, qui est aussi l'année de la Ruée vers l'or en Californie.

Le "cartel des agences" de 1856

Reuters profite dès sa création de la très forte croissance économique mondiale des années 1850. Le maillage international est accéléré par des accords signés en 1856 [4], d'abord pour les informations financières, puis pour les informations politiques, avec Charles-Louis Havas et Bernhard Wolff, créateur du Wolff’s Telegraphisches Bureau. Reuters devient ainsi l'un des trois piliers de la "triarchie" des agences de presse européennes. Tous trois signent un traité officialisation en 1859 la création du Cartel des agences de presse.

Le 23 novembre 1878, télégramme de Reuters annonçant la bataille d'Ali Masjid

Le réseau international, né de la Guerre de Sécession

Mais dès l'année suivante, la Guerre de Sécession ouvre les horizons. En 1862[5], Reuters noue un accord supplémentaire avec l'Associated Press américaine, pour couvrir cette guerre, qui fait flamber les cours du coton et déplace la production en Inde et en Egypte. Le premier bureau ouvert hors d'Europe est Alexandrie en 1865. Bombay suit dès 1866. Il ne reste plus qu'à prolonger le câble jusqu'à la Chine et le Japon, cinq ans plus tard en 1871, et l'Australie en 1872. Valparaiso n'est connecté qu'en 1874[5]. En 1876, Le Cap est relié, plus de 200 câbles déjà déployés, et Havas laisse l'Asie à Reuters, qui lui abandonne l'Amérique latine, moins lucrative, par un accord affinant le Traité quadripartite des agences de presse de 1875, accordant aussi à Havas l'Italie et l'Espagne tandis que l'Agence Continentale contrôle la Scandinavie et les empires austro-hongrois, russes, et ottomans, même si la guerre de 1876 entre ces deux derniers est couverte avec succès par Sigismund Engländer directeur du bureau de Constantinople, tandis que le Korbureau austro-hongrois est en contrat depuis 1869 avec Havas et Reuters.

Entre-temps, peu avant d'entrer en Bourse avec un capital modeste de 250000 sterling, Reuters a révélé à l'Europe l'assassinat du président Abraham Lincoln: un petit bateau rapide est venu à la rencontre du paquebot Australasian. Quatre versions du reportage, de plus en plus détaillées, se succèdent au fil du départ de quatre paquebots de New-York vers l'Europe. À l’arrivée en Irlande, 14 jours après, la première version, de quelques lignes, est télégraphiée assez tôt pour le bouclage de l'édition du 25 avril 1865 du quotidien Le Temps : son tirage modeste lui permet d'imprimer tard dans la nuit[6]. Une liaison télégraphique transatlantique est assurée l'année suivante, qui voit la création à Chicago d'une Western Associated Press, passant contrat dès 1869 avec l'Agence Continentale allemande.

L'Angleterre réagit par le Telegraph Act de 1869, qui donne un coup de pouce, sur le marché intérieur, aux trois agences de presse anglaises. Il impose une modération, relative, des tarifs du télégraphe, qui est nationalisé. Jusqu'aux année 1880, les sociétés européennes de télégraphe bénéficient pour la plupart d'un monopole local et se coordonnent dans des conférences: 1865 à Paris, 1868 à Vienne, 1871 à Rome, 1875 à Saint-Pétersbourg et 1879 à Londres.

L'invention du ticker, en 1867

En 1867, Thomas Edison, 20 ans, travaille de nuit sur le télégraphe de l'Associated Press à Louisville dans le Kentucky où il réalise sa première invention, une machine permettant d'imprimer directement du télégraphe des cours de bourse[7], perfectionnée la même année par Edward A. Calahan. Bousculés par les télégraphiste qui font l'aller-retour entre des grands courtiers et le New York Stock Exchange, il décide d'imprimer sur des bandes de papier de 1,9 centimètres de large, produisant un son ressemblant au mot « tick » d'où le nom de « ticker » donné au codes des actions. Il fonde la Gold and stock ticker company, qui loue cette machine pour six dollars par semaine [8]. Elle va augmenter la demande en provenance des marchés financiers. En Angleterre, elle est utilisée à partir de 1872[8]. le nombre de lignes dédiées en la Bourse de Londres et les bourses régionales passe de 11 en 1870 à 60 en 1899 et le pic de télégrammes quotidiens dans la première passe de 2 884 à 28 142. La proportion des sociétés de chemin de fer écossaises cotées à Londres comme à Glasgow passe de 22% à 62%, les cours sur les deux marchés convergeant au jour le jour.

La concurrence éphémère de l'Agence Dalziel

Pendant trois ans, de 1890 à 1892, Reuters subit l'arrivée d'une agence de presse britannique visant directement à l'affaiblir. L'Agence Dalziel, créée en 1890 par le journaliste Davison Dalziel (1852-1928), a réussi à concurrencer à l'échelle internationale Havas et Reuters, grâce à l'aide discrète du Times de Londres.

Dalziel inonde le marché des nouvelles internationales[9] et pratique le « nouveau journalisme » américain, avec plus de faits divers, comme l'affaire de Jack l'Éventreur, sur laquelle sa couverture est jugée meilleure[10].

Sir Roderick Jones, la Banque Reuters et les projets dans la publicité

En 1900, Reuters peut compter sur un réseau de 260 bureaux et correspondants à travers le monde[11], quand éclate la guerre des Boers dans le Transvaal, en Afrique du Sud. La couverture à peu près équilibrée de l'événement, à partir de sources d'information dans les deux camps, contribue à la bonne image de Reuters auprès de ses clients. Elle révèle en 1902 la fin du Siège de Mafeking, combat central de la guerre des boers: le reporter franchit les lignes Boers pour arriver au Mozambique, télégraphier la nouvelle, qui arrive dès le lendemain et deux jours avant la communication militaire[5]. Sir Roderick Jones, directeur du bureau de Johannesburg, revient à Londres auréolé du prestige de ce scoop et se lie d'amitié avec le baron Herbert de Reuter, fils du fondateur.

La rentabilité des agences de presse est dopée par la croissance de leurs clients de la presse quotidienne, portés par le boom de la publicité. Reuters voit ainsi ses réserves tripler, passant de 30000 sterling à 100000 sterling entre 1900 et 1910. Elle décide de créer la Reuters Bank, rebaptisée British Commercial Bank en 1912, avec 500000 sterling de capital[12] en vue de financer un département "publicité" sur le modèle de celui qui a enrichi sa rivale Havas. Cependant, les trois agences de presse américaines, AP, United Press et International News Service sont en expansion encore plus rapide: la part de marché mondiale des agences européennes diminue progressivement.

Le krach de 1915 et la censure de guerre

Le 28 avril 1915, Herbert de Reuter se suicide, trois jours après la mort de sa femme[13]. Il était aussi très affecté par le Krach de sa British Commercial Bank, dont les fonds ont été gelés dans plusieurs pays en raison de la censure liée à la Première Guerre mondiale. Hubert de Reuter, autre fils du fondateur, meurt au front l'année suivante[14]. À la Bourse de Londres, l'action perd trois quarts de sa valeur, tombant à 3 livres sterling[15]. C'est Sir Roderick Jones, entre-temps annobli, qui prend le relais: en 1916, grâce à un prêt de 55 000 sterling, garanti par le gouvernement et procuré par le beau-frère du premier ministre Herbert Asquith, avec l'aide de Mark Napier et de deux autres investisseurs, il fait une offre publique d'achat sur Reuters. Le prix 11, sterling l'action, supérieur au prix de 10 sterling proposé par le groupe Marconi[16],[17], mis en cause dans un affaire consécutive au naufrage du Titanic.

La réputation d'impartialité de Reuters se dégrade. Le 31 juillet 1918, une audition devant la Chambre des communes fait ressortir que le gouvernement a versé 126 000 sterling d'aides sur l'année pour les câbles télégraphiques, l'essentiel étant versé à Reuters[18]. On découvre que l'agence a passé d'autres accord lucratifs avec l'État pendant la guerre: à l'"Imperial News Service", créé en 1911 pour l'expansion dans le Commonwealth[19], a succédé le Reuter Agence Service, pour rendre service au gouvernement anglais, contre rémunération[12]. Le 16 avril 1917, il reprend une histoire inventée par un journal belge sur une usine allemande accusée de transformer des corps humains en matériaux de guerre. Reuters-Australie demande confirmation qu'il faut signer Reuters sous la dépêche et Sir Roderick Jones répond "oui"[20]. Sir Roderick Jones est de plus lié, en tant que directeur de la propagande, à la cellule de propagande nommée "Wellington House"[21], qui donne naissance en mars 1918 à un nouveau Ministère de l'information britannique[22]. Il affirmera plus tard dans son autobiographie que cette activité était bénévole et sans conséquence.

Les difficultés du début des années 1920

La perte de crédibilité qui découle de la censure entraîne la création d’agences de presse concurrentes de Reuters, au Canada, en Australie, en Asie, mais aussi en Europe. Dans nombre de pays, les gouvernement ou les journaux préfèrent ensuite créer leurs propres agences nationales:

L'arrivée de l'Association de la presse britannique

Ces difficultés amènent en 1925 la coopérative Press Association britannique, créé en 1868 pour regrouper les quotidiens régionaux anglais, à acheter 53% du capital d'un Reuters. L'association fournit déjà Reuters en nouvelles venues d'Angleterre[24]. Reuters acquiert ainsi un statut coopératif qu'elle conservera pendant soixante ans, jusqu'à l'introduction en Bourse de 1984. Cette participation est portée à la quasi-totalité du capital en 1930, seul un millier d'actions restant entre les mais de Sir Roderick Jones.

Le redressement n'est pas immédiat: entre-temps, l'Accord du 26 août 1927 sur l'information ouvre à l'Associated Press le Canada et l'Amérique latine[25]. Cet accord ouvre aussi à l'Agence Havas le Canada, ex-territoire Reuters[26].

En 1941, l'Association des propriétaires de journaux britanniques, qui regroupe la presse londonienne, achète la seconde moitié des actions, à l'instigation de son directeur William Haley, du Manchester Evening News[27]. Il deviendra en 1943 directeur de la BBC.

Les innovations liées à la TSF

Cecil Fleetwood-May propose de valoriser les informations économiques et commerciales dans un nouveau produit, le "Reuters Trade Service"[28], ce qui est accepté par Sir Roderick Jones et commence le 1er janvier 1920, diffusé par la TSF, mais la direction de l'entreprise se montre globalement réticente. Il décide alors en 1922 une association avec le Post Office britannique[28]. Appelé "Reuterian, le nouveau service est diffusé par Reuters en morse et codé[29], à destination des agences qui lui sont liées.

En 1929, le Post Office lui offre un puissant émetteur situé à Leafield, près d'Oxford et ce service devient progressivement le leader européen, dépassant l'allemand Europa Radio. Havas avait suivi le mouvement en créant le 17 décembre 1923 son propre système de diffusion radio, le « Havasian » en accord avec les PTT. En juin 1924, Reuters créés la version politique, ave son « Reuterian politique ». Les concurrents réagissent, avec un « PolyHavas » codé. Et en février 1925? un "Euro-Wolff", lancé par l'Agence Continentale[29].

La BBC nouveau grand client, ne sera pas concurrente

Dès 1923, Reuters avait signé un accord avec la Press Association britannique et deux autres agences de presse britanniques, Central News et The Exchange Telegraph Company, prévoyant que la BBC ne diffuse qu'à l'intérieur des îles britanniques les nouvelles fournies par les quatre agences[30]. L'accord interdit aussi à la BBC, fondée l'année précédente sous l'égide de l'État britannique, de se transformer en agence de presse. Le succès croissant de la BBC apporte un nouveau marché à Reuters, et l'oblige à renouveler le style d'écriture des dépêches, en se rapprochant du langage parlé.

La Seconde Guerre mondiale et l'après guerre

La Seconde Guerre mondiale, base d'une nouvelle neutralité

Au tout début de la Seconde Guerre mondiale, les difficultés financières de Reuters vont attirer les convoitises de repreneurs tels que Marconi, qui s'était déjà manifesté avant la Première Guerre mondiale. Le gouvernement propose alors d'injecter du capital dans l'agence, avec un droit de vote spécial[30]. Ce scénario, soutenu par Sir Roderick Jones, est finalement rejeté. La Press Association demande à l'Association des propriétaires de journaux britanniques de la rejoindre au capital. Les réseaux de l'agence sont désorganisés par la guerre, mais la forte demande de nouvelles fraîches stimule son activité.

En 1941, Sir Roderick Jones, accusé d'avoir compromis Reuters, est même destitué: il avait accepté 64 000 livres sterling depuis août 1938 du gouvernement britannique, à des fins de propagande[24], en plusieurs dons ponctuels[31]. Par ces révélations, le gouvernement décide de participer à l'éviction[2] d'un homme de plus en plus assimilé à l'empire colonial anglais. Reuters tire ainsi les leçons de sa compromission de la Première Guerre mondiale, qui lui avait ensuite coûté très cher dans les années 1920 à international. Dans la foulée, le Reuters Trust est créé pour garantir l'indépendance rédactionelle.

La création du statut coopératif et du Reuters Trust

En 1941 est créé un conseil supérieur, sorte de "syndicat d'intérêt public"[32], chargé de veiller à l'indépendance rédactionelle de l'agence. Il est supervisé par des personnalités indépendantes. Une "convention de trust" définit les missions d'intérêt général[33] que Reuter doit assurer[34], fondée sur une série de principes, appelé le "Reuters Trust". Il veille à ce que soit "respecté ses règles déontologiques" (Reuters Trust Principles)[35] et à éviter toute implication du gouvernement britannique, en professant une volonté d'indépendance rédactionelle, d'impartialité et d'exactitude des faits rapportés.

Au statut coopératif (détention par la Press Association britannique et l'Association des propriétaires de journaux britannique) s'ajoute en 1947 l'idée d'associer le Commonwealth. Les journaux d'Inde, d'Australie et de Nouvelle-Zélande rejoignent la coopérative, via un coentreprise associant l'Australian Associated Press (AAP) et la "New Zealand Press Association" (NZPA). Le "Press Trust of India" s'y intègre aussi en 1949. Le Reuters Trust sera composé en 1947 de dix "trustees": quatre désignés par la "Press Association" britannique, quatre par l'Association des propriétaires de journaux britanniques, un par l'Australian Associated Press et un par la "New Zealand Press Association".

Le nouveau patron, Christopher Chancellor resserre les liens avec la presse en Inde, Australie et Nouvelle-Zélande. En 1951, elle le félicite pour avoir triplé, en une décennie, le nombre des correspondants et le chiffre d'affaires de Reuters, à 7 millions sterling par an[36]. Walton Cole, rédacteur en chef pendant la Seconde Guerre mondiale, lui succède en 1959. Les bénéfices du Comtelburo compensent les pertes de l'info généraliste[37].

L'envol des années 1960 et 1970

Alors que Reuters, l'AFP et Associated Press ont toutes les trois un statut coopératif, c'est Reuters qui en tirera le meilleur bénéfice, même si l'AFP gagne aussi des parts de marché. Pour une bouchée de pain, Reuters récupère en 1944 le Comtelburo, petite agence spécialiste des matières première qu'elle développe progressivement. Le bénéfice du Comtelburo double entre 1950 et 1959, à 143000 sterling, année où ses ventes représentent le tiers du chiffre d'affaires de Reuters[38].

En 1962, le chef de l'économie chez Reuters, Michael Nelson, entend parler de spéculations sur les innovations technologiques de l'ingénieur Jack Scantlin. Il négocie avec lui à New York un accord commercial sur son nouveau service Quotron, qui offre les cours de Bourse sur un mini-boitier électronique. Faute de terrain d'entente, il se tourne en 1963 vers un petit concurrent, Ultronics Systems, et son produit équivalent: Stockmaster. Trois ans après l'accord avec Ultronics Systems, en 1967, l'opérateur télécoms GTE se substitue à AT&T, pour les lignes transatlantiques qui font le succès du produit Reuters Ultronics Report. En plus des informations européennes, Reuters propose alors aux clients américains du Stockmaster ses propres informations américaines, en embauchant progressivement des reporters, ce qui permet de résilier l'accord d'échange de nouvelles avec Associated Press et Dow Jones and Company[39].

Le chiffre d'affaires a déjà triplé en six ans, passant d'environ 3,5 millions de sterling en 1964 à 10 millions de sterling en 1970[40]. Il est multiplié par 15 ans sur la décennie 1964-1974 et par quatorze sur la décennie 1973-1983.

Entretemps, le 24 juin 1966, Nigel Judah, directeur financier de Reuters, s'est tourné vers la coopérative Press Association, qui la contrôle, pour réclamer une injection de 250.000 sterling, mais les journaux membres de la coopérative refusent. Reuters décide de se procurer cet argent en réalisant son 1er emprunt depuis l'après-guerre, auprès de la Morgan Garanty et du Crédit suisse, au taux d'intérêt de 6,75%, et par une grande rigueur dans la gestion des coûts[41]. En 1965, son PDG Gerald Long estime alors que la coopérative Reuters doit augmenter sa rentabilité[41], sachant qu'elle avait affiché une perte de 57092 sterling sur l'année 1964[40].

.
Année Chiffre d'affaires en sterling
1964 3,5 millions[40]
1970 10 millions[40]
1977[42] 50 millions

Cette forte croissance est sans à coups, par des recrutements progressifs, hors d'Angleterre. L'effectif Reuters progresse d'environ 50% en douze ans, entre 1964 et 1976: 193 créations de poste en Angleterre et 480 en Angleterre. Les recrutements se poursuivent après 1976. En 1971, le Money Monitor est conçu pour le marché des devises, qui n'a alors aucune existence physique. C'est un écran d'ordinateurs de bonne taille, qui permet de recevoir une très grande quantités d'information. Les banques y déposent les pages de cours qu'elles proposent à leurs clients. Lancé en 1973, il est immédiatement baptisé "Reuters Monitor", car il inclut aussi les cours de bourse et les matières premières.

Année Effectifs Reuters au siège à Londres Effectifs Reuters hors de l'Angleterre Effectif total
1964 699 personnes[43] 653 personnes[43] 1352 personnes
1976 893 personnes[43] 1143 personnes[43] 2036 personnes

L'accord avec Ultronics Systems lance les transactions électroniques [44] sur petit boitier, puis sur écran informatique. Il se traduit par la création du Nasdaq américain, qui a bientôt 40000 écrans, distribués également par Scantlin Electronics et Bunker Ramo[45], qui avait racheté la société de télégraphie boursière Teleregister[46]. Le service est vendu 950 dollars par mois.

Cette croissance dans la finance est à la fois régulière et spectaculaire: Reuters dépasse l'Associated Press dès 1980. Ses ventes se limitaient encore à 3,5 millions de sterling en 1964, cinq fois moins qu'Associated Press (19 millions de sterling)[47]. Résultat, Reuters s'informatise et affiche progressivement des bénéfices élevés: 1,1 million de sterling dès 1975 contre une perte de 57000 sterling (1,4 % du chiffre d'affaires) en 1964.

L'investissement dans le reportage télévisé

À partir de 1960, Reuters investit dans la société de reportages télévisés Visnews, codétenue avec la BBC. En 1968, 33 % du capital appartient à Reuters. Dès 1981, Visnews produit 40 à 50 reportages télévisés par jour, vendus à des clients internationaux, en profitant du développement des EVN. En 1988, NBC s'y associe, en rachetant à Reuters 37 % du capital. Première agence mondiale d'informations télévisées, Visnews est rebaptisée « Reuters TV » en 1992, puis subit la concurrence d'AP Television News en 1996, et d'AFP TV dans les années 2000.

L'entrée en bourse de 1984

Alors que les profits ont été multipliés par dix entre 1979 et 1982, un débat divise la rédaction du groupe sur une entrée en Bourse, susceptible d'aliéner l'indépendance journalistique. Le directeur général Glen Renfrew fait initialement partie des sceptiques, estimant que Reuters n'en a de toute façon pas besoin, sur le plan financier[48].

Après la cotation réussie de Telerate, son principal concurrent, Glen Renfrew change d'avis. Reuters abandonne son statut de coopérative pour entrer en Bourse en 1984 et réalise une dizaine de petites acquisitions. Le krach d'octobre 1987, qui divise par deux le cours de l'action, calme ensuite le jeu.

Les relais de croissance et la contre-attaque d'AP

La croissance du SEAQ et d'Instinet, des systèmes de négociation électronique avait apporté au début des années 1980 un relais de croissance à Reuters. La rivale Associated Press[49] contribue à son tour à l'histoire de l'information financière en direct, par son association en 1985 avec Dow Jones and Company, qui prend 67 % du capital de Telerate en 1988[50].

Les difficultés des années 2000 et le rachat par Thomson en 2006

L'irruption d'internet, à la fin des années 1990, menace le modèle économique de diffusion de l'information financière tandis que l'éclatement de la bulle internet créé les premières difficultés commerciales depuis trois quarts de siècle. En 2001, Tom Glocer devient le premier américain et le premier non-journaliste à diriger Reuters[51]. Il lance son programme "Fast Forward", de réductions des effectifs et fermetures de centres de production. L'activité baisse pendant cinq années de suite, entre 2001 et 2005[52]. Tout comme le cours du groupe, passé de 17 livres en 2000 à moins de 1 livre trois ans plus tard[53].

Reuters est racheté en 2007, pour 17,2 milliards de dollars, par le groupe d'informations financières canadien Thomson[54], qui possède 53 % du nouvel ensemble, nommé Thomson Reuters. Tom Glocer en devient le président et obtient le feu vert de la Reuters Foundation Share Company, garante de l'indépendance des rédactions de Reuters. Les deux groupes, qui employaient 49000 personnes à eux deux, promettent de réduire de 500 millions de dollars leurs coûts en trois ans[53]. Le siège social de Londres est vendu.

Articles connexes

Notes et références

  1. "L'information mondialisée" par Michael Beaussenat Palmer et Aurélie Aubert, page 239
  2. a b et c Histoire de Reuters sur le site officiel du groupe
  3. "L'information mondialisée", par Michael Beaussenat Palmer et Aurélie Aubert, page 240
  4. "L'information mondialisée", par Michael Beaussenat Palmer et Aurélie Aubert, page 241
  5. a b et c "Breaking News: How the Wheels Came off at Reuters", par Brian Mooney et Barry Simpson, page 6 [1]
  6. Un siècle de chasse aux nouvelles : de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957), par Pierre Frédérix – 1959 -, page 90
  7. Histoire du ticker
  8. a et b Allen 2004
  9. "Presse et plumes: journalisme et littérature au XIXe siècle", par Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, Éditions du Nouveau monde (2004)
  10. "Des petits journaux aux grandes agences", par Michael B. Palmer, chez Aubier, 1983, page 144
  11. "The British world: diaspora, culture, and identity", par Carl Bridge et Kent Fedorowich
  12. a et b Foreign Correspondence: The Great Reporters and Their Times, par John Hohenberg, page 67 [2]
  13. Un siècle de chasse aux nouvelles: de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957) par Pierre Frédérix, Flammarion, 1959 -page 313
  14. Un siècle de chasse aux nouvelles: de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957) par Pierre Frédérix, Flammarion, 1959 -page 311
  15. Foreign correspondence: the great reporters and their times Par John Hohenberg
  16. "The Struggle for Control of Global Communication: The Formative Century Par Jill Hills, page 123 [3]
  17. "Foreign correspondence: the great reporters and their times", par John Hohenberg, page 133
  18. "Foreign Correspondence: The Great Reporters and Their Times", par John Hohenberg, page 134 [4]
  19. "The role of Reuters in the distribution of propaganda news in Australia during World War I", Australian Media Traditions Conference 24 et 25 novembre 2005, par Canberra Peter Putnis et Kerry McCallum, Université de Canberra [5]
  20. The role of Reuters in the distribution of propaganda news in Australia during World War I
  21. "Imperial Defence: The Old World Order 1856-1956" par Greg Kennedy, page 227 [6]
  22. "The role of Reuters in the distribution of propaganda news in Australia during World War I", Australian Media Traditions Conference 24-25 November 2005, par Canberra Peter Putnis et Kerry McCallum, University of Canberra [7]
  23. a et b "Un siècle de chasse aux nouvelles: de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957)", par Pierre Frédérix – 1959, page 342
  24. a et b "Media moguls", par Jeremy Tunstall et Michael Palmer, page 48
  25. "Un siècle de chasse aux nouvelles: de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957)", par Pierre Frédérix – 1959 -, page 365
  26. "Un siècle de chasse aux nouvelles: de l'Agence d'information Havas à l'Agence France-presse (1835-1957)", par Pierre Frédérix – 1959 -, page 366
  27. "Castro and Stockmaster: A Life in Reuters", par Michael Nelson, page 184 [8]
  28. a et b "CECIL FLEETWOOD-MAY The Man Who Kick-Started Thomson Reuters Financial & Economic Services" [9]
  29. a et b "Structure, fonctionnement et évolution du marché international des nouvelles. Les agences de presse de 1835 à 1934", par Jacques Wolff, dans la Revue économique (1991) [10]
  30. a et b "Public Broadcasting and Political Interference", par Chris Hanretty, page 98, chez Taylor & Francis
  31. "International news and the press: an annotated bibliography", par Ralph O. Nafziger", page 20
  32. "Visages de la presse britannique", par Jean-Claude Sergeant, aux Presses universitaires de Nancy (1987)
  33. "Études dédiées à la mémoire du professeur Gérard Dehove, ancien doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques de Lille" par Gérard Dehove, aux Presses universitaires de France (1983), page 427
  34. "La presse écrite et audiovisuelle", par Daniel Junqua, Éditions du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, (1995), page 111
  35. Autoprésentation de Reuters à ses clients
  36. Biographie de Christopher Chancellor par Time Magazine
  37. "Breaking News: How the Wheels Came off at Reuters", par Brian Mooney et Barry Simpson, page 7 [11]
  38. "News revolution: political and economic decisions about global information", par Mark D. Alleyne, page 22 [12]
  39. "Une histoire mondiale de la photographie", de Naomi Rosemblum, commentée par Françoise Denoyelle
  40. a b c et d The power of news: the history of Reuters, 1849-1989", par Donald Read, Oxford University Press, 1992, page 286
  41. a et b The power of news: the history of Reuters, 1849-1989", par Donald Read, Oxford University Press, 1992, page 287
  42. « The Globalization of News », par Oliver Boyd-Barrett, Terhi Rantanen, page [13]
  43. a b c et d The power of news: the history of Reuters, 1849-1989", par Donald Read, Oxford University Press, 1992, page 288
  44. "Go where the money is: a guide to understanding and entering the securities business", par Lawrence R. Rosen, page 183
  45. Émergence d'un marché électronique
  46. "The Story of Telecommunications", par George P. Oslin, page 314
  47. "The globalization of news", par Oliver Boyd-Barrett et Terhi Rantanen, page 29
  48. Biographie de Glen Renfrew dans le Daily Telegraph à son décès
  49. "Media moguls", par Jeremy Tunstall et Michael Palmer, page 82
  50. Histoire de Telerate
  51. "Tom Glocer, prochain CEO de Reuters", dans Stratégies du 07/12/2000 [14]
  52. http://www.challenges.fr/magazine/tetesaffiche/0081.6911/
  53. a et b "L'info financière en ébullition", par Marc Baudriller, dans Challenges du 24 mais 2007.
  54. (en) « Down to the Wire », The Economist, (consulté le )

Bibliographie

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  • "Reuters Century 1851-1951", par Graham Storey, chez London Max Parrish, 1951
  • "The power of news: the history of Reuters, 1849-1989", par Donald Read, Oxford University Press, 1992
  • "The price of Truth: The story of Reuters &&& millions", par John Lawrenson ann Lionel Barber, 1985 Mainstream Publishing
  • "CASTRO AND STOCKASTER a Life in Reuters", par Michael Nelson, décembre 2011, éditions Matador
  • (en)Larry Allen, "Global Financial System 1750-2000", Reaktion Books, (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article