Alexandre Soljenitsyne

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 2 mars 2020 à 13:06 et modifiée en dernier par Emmanuel legrand (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.
Alexandre Soljenitsyne
Description de cette image, également commentée ci-après
Alexandre Soljenitsyne en 1998.
Nom de naissance Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne
Naissance
Drapeau de la république socialiste fédérative soviétique de Russie Kislovodsk (Russie)
Décès (à 89 ans)
Drapeau de la Russie Moscou (Russie)
Activité principale
Distinctions
Prix Nobel de littérature (1970)
Prix Templeton (1983)
Grand prix de l'Académie des sciences morales et politiques (2000)
Prix d'État (Russie) 2007
International Botev Prize (2008)
Auteur
Langue d’écriture russe

Œuvres principales

Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, parfois en français Soljénitsyne (en russe : Александр Исаевич Солженицын, ISO 9 : Aleksandr Isajevič Solženicyn), né le 28 novembre 1918 ( dans le calendrier grégorien) à Kislovodsk et mort le à Moscou, est un écrivain russe et dissident du régime soviétique.

Né dans une famille modeste du nord du Caucase, il fait de brillantes études en mathématiques et en littérature. Il grandit sous le régime communiste, à l'idéologie duquel il adhère alors. Lorsque commence la guerre contre l'Allemagne en 1941, il rejoint l'armée puis intègre une école d'artillerie. Promu officier, il fait preuve d'une conduite exemplaire au front qui lui vaut d'être décoré. Cependant, il est arrêté en 1945 pour avoir critiqué Staline dans un échange de lettres privées, et est condamné pour « activité contre-révolutionnaire » à huit ans de détention dans les camps de travail pénitentiaire.

Rentré du goulag, il publie un premier roman en 1962 à la faveur de la déstalinisation et du relatif adoucissement du régime sous Khrouchtchev, Une journée d'Ivan Denissovitch, première œuvre littéraire témoignant du goulag et de l'existence de camps au pays du socialisme, et qui fait l'effet d'une bombe. Malgré la censure, il parvient à publier d'autres ouvrages et à faire sortir ses textes clandestinement d'URSS. Ils lui valent une réputation mondiale, jusqu'à obtenir le prix Nobel de littérature en 1970.

Alors que le régime se durcit sous l'ère Brejnev et que la police secrète se saisit de certains de ses manuscrits, il donne l'ordre de publier L'Archipel du Goulag en 1973, à Paris. Cette chronique minutieuse du goulag, nourrie de nombreux témoignages secrets de rescapés des camps, connaît un retentissement mondial.

Il est arrêté en 1974, expulsé d’Union soviétique et déchu de sa citoyenneté. Réfugié en Europe de l'Ouest, il s'installe aux États-Unis dans le Vermont, où il passe vingt ans en exil, au cours desquels il écrit sa monumentale Roue rouge. Figure de proue de la dissidence soviétique, il se démarque cependant par une vive critique du matérialisme occidental, notamment dans son Discours de Harvard en 1978 sur le déclin du courage.

Réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev, il rentre en 1994 à Moscou, où il termine sa vie.

Biographie

Origines et formation

Fichier:Солженицын 1.jpg
Soljenitsyne dans son uniforme de l’armée rouge, en 1943.

Alexandre Issaïevitch[1] Soljenitsyne[2] naît le 28 novembre 1918 ( dans le calendrier grégorien)[3] à Kislovodsk, dans le nord du Caucase[4]. Les parents d'Alexandre se sont connus à Moscou lors d'une permission d'Issaaki en et se sont mariés le dans la brigade d'Issaaki[5]. Son père, Issaaki Sémionovitch Soljenitsyne, étudiant en philologie et en histoire à l'université de Moscou, s'engage volontairement dans l'armée russe dès l'été 1914 et sert en Prusse-Orientale[6]. Il sera officier. Au printemps 1918, de retour du front, il se blesse grièvement lors d'un accident de chasse et meurt d'une septicémie le à l'hôpital de Gueorguievsk. La mère d'Alexandre, Taïssia Zakharovna Chtcherbak, d'origine ukrainienne, fille d'un autodidacte paysan de la région de la Kouma, est alors étudiante en agronomie à Moscou.

Jusqu'à ses six ans, le jeune Alexandre est confié à la famille de sa mère tandis qu'elle travaille comme sténodactylo à Rostov-sur-le-Don. Il reçoit des rudiments d'instruction religieuse, tout en étant admis parmi les Pionniers. L'origine sociale « malsaine » de sa famille maternelle lui vaut une exclusion temporaire de l'organisation[7]. À Rostov, il partage avec sa mère[8] un petit logement de neuf mètres carrés situé à proximité de l'immeuble de la Guépéou[9]. Épris très jeune de littérature, ayant fait ses premiers essais littéraires au collège, Alexandre Soljenitsyne choisit néanmoins de poursuivre des études universitaires de mathématiques et de physique, à la fois parce qu'il n'y avait pas de chaire de littérature à l'université de Rostov[10] et pour des raisons alimentaires. Il suit des cours de philosophie et de littérature par correspondance, s'inscrit à un cours d'anglais et suit également des cours de latin[11]. Comme il le reconnait volontiers, à l'époque il adhère à l’idéologie communiste dans laquelle il a grandi[12],[13].

Le , il épouse Natalia Alexeïevna Rechetovskaïa, une étudiante en chimie et pianiste dont il a fait la connaissance en [14]. Il passe avec succès ses examens finaux de mathématiques le [15]. Il est à Moscou pour ses examens de littérature le , quand éclate la guerre contre le Troisième Reich.

Seconde Guerre mondiale

Lors de l'invasion allemande de 1941, il manque d'abord de se faire réformer, mais est engagé comme soldat de l'Armée rouge dans une troupe hippomobile à l'arrière à l'automne 1941, avant d'obtenir le — à sa demande — une place à l'école d'artillerie[16]. En , il est nommé commandant d'une batterie de repérage par le son avec le grade de lieutenant[12]. Blessé à deux reprises, sa conduite exemplaire au feu lui vaut d'être décoré en 1943 de l'Ordre de la Guerre patriotique de 2e classe après la bataille d'Orel et en 1944 de l'Étoile rouge pour sa participation à la prise de Rogatchov[17].

Emprisonnement au Goulag

Le , le capitaine Soljenitsyne est arrêté par le SMERSH pour avoir critiqué dans sa correspondance privée la politique et les compétences militaires de Staline[18]. Dans une lettre interceptée par la censure militaire, Soljenitsyne reprochait au « génialissime maréchal, meilleur ami de tous les soldats[réf. souhaitée] » (selon les qualificatifs officiels) d'avoir décapité l'Armée rouge lors des « purges », fait alliance avec Hitler et d'avoir refusé d'écouter les voix qui le mettaient en garde contre l'attaque allemande, et enfin d'avoir mené la guerre sans aucun égard pour ses hommes et pour les souffrances de la Russie. Le destinataire de la lettre fut également arrêté, Soljenitsyne et lui étant considérés comme formant une « organisation contre-révolutionnaire » et à ce titre, passibles de l'article 52 du code pénal soviétique : « Nous étions deux qui échangions nos pensées en secret : c'est-à-dire un embryon d'organisation, c'est-à-dire une organisation ! ». Accusé d'avoir violé l'article 58 du code pénal, le , Soljenitsyne est condamné par le conseil spécial du NKVD, par contumace, à huit ans de détention dans les camps de travail pénitentiaire pour « activité contre-révolutionnaire[19] ».

Au début 1952, Natalia Rechetovskaïa, renvoyée de l'université d'État de Moscou en tant qu'épouse d'un « ennemi du peuple » en 1948, doit divorcer pour retrouver un emploi[20]. À sa sortie du camp en [21], quelques semaines avant la mort de Staline[12], Soljenitsyne est envoyé en « relégation perpétuelle » à l'aoul de Kok-Terek, dans le district de Djamboul au Kazakhstan, où il est instituteur à l'école du bourg[21]. Grâce à une radiothérapie[22], il guérit en 1954 de ganglions péritonéales, suites de son cancer du testicule (non diagnostiqué) traité par orchidectomie lorsqu'il était au goulag en 1952[23].

Il se remarie avec Natalia le . Il est réhabilité le par la Cour Suprême de l'URSS et s'installe chez sa femme et sa belle-mère à Riazan, à 200 km au sud de Moscou, où il enseigne les sciences physiques[24].

En 1972, il divorce à nouveau (pour des raisons personnelles cette fois)[25] pour épouser, l'année suivante, Natalia Dmitrievna Svetlova, une mathématicienne de 32 ans. En plus de Dimitri, fils de son premier mariage, il aura avec sa seconde épouse trois enfants, Yermolai (né en 1970), Ignat (né en 1972) et Stepan (né 1973)[26].

Auteur en URSS

C'est Une journée d'Ivan Denissovitch, publiée en 1962 dans la revue soviétique Novy Mir, alors dirigée par Alexandre Tvardovski, grâce à l'autorisation de Nikita Khrouchtchev en personne, qui permet à Alexandre Soljenitsyne d’acquérir une renommée tant dans son pays que dans le monde[27]. Le roman décrit les conditions de vie dans un camp de travail forcé soviétique du début des années 1950 à travers les yeux d'un zek, Ivan Denissovitch Choukhov.

Il est reçu au Kremlin par Khrouchtchev. Cependant, deux ans plus tard, sous Léonid Brejnev, il lui est de plus en plus difficile de publier ses textes en Union soviétique. En 1967, dans une lettre au Congrès des écrivains soviétiques, il exige « la suppression de toute censure – ouverte ou cachée – sur la production artistique ». Le , Soljenitsyne est exclu de l'Union des écrivains de l'URSS[28].

Ses romans Le Premier Cercle et Le Pavillon des cancéreux, ainsi que le premier tome de son épopée historique La Roue rouge, paraissent en Occident et lui valent le prix Nobel de littérature en 1970, récompense qu'il ne pourra recevoir que quatre ans plus tard, après avoir été expulsé d'URSS. Il n'a en effet pas pu se rendre à Stockholm de peur d'être déchu de sa nationalité soviétique et de ne pouvoir rentrer en URSS, le gouvernement suédois ayant refusé de lui transmettre le prix à son ambassade de Moscou. Sa vie devient une conspiration permanente pour voler le droit d’écrire en dépit de la surveillance de plus en plus assidue du KGB. Une partie de ses archives est saisie chez un de ses amis en . En 1969, alors qu'il est persécuté par les autorités et ne sait plus où vivre, il est hébergé par Mstislav Rostropovitch[29]. Il manque d'être assassiné en , par un « parapluie bulgare ». Une de ses plus proches collaboratrices échappe de justesse à une tentative d'étranglement et à un accident de voiture.

En , la version russe de L'Archipel du Goulag paraît aux éditions Ymca-Press à Paris, car le manuscrit avait pu être clandestinement sorti d'URSS et remis à l'imprimerie Béresniak, rue du Faubourg-du-Temple à Paris[réf. souhaitée], qui appartient à la famille maternelle de René Goscinny, une des rares imprimeries françaises à disposer des caractères typographiques cyrilliques. Il y décrit le système concentrationnaire soviétique du Goulag, qu'il a vécu de l'intérieur, et la nature totalitaire du régime. L'ouvrage a été écrit entre 1958 et 1967 sur de minuscules feuilles de papier enterrées une à une dans des jardins amis, une copie étant envoyée en Occident, par amis interposés (qui risquent gros) pour échapper à la censure. Il décide sa publication après qu'une de ses aides, Élisabeth Voronianskaïa, eut été retrouvée pendue le  : après cinq jours d'interrogatoire, elle a avoué au KGB la cachette où se trouvait un exemplaire de l’œuvre[30]. L'ouvrage est, comme d'autres avant lui, un témoignage, mais contrairement à ceux qui l'ont précédé, il est extrêmement précis, sourcé, et cite de nombreuses lois et décrets soviétiques servant à la mise en œuvre de la politique carcérale, de sorte qu'il est beaucoup plus difficile aux « négationnistes du Goulag » de nier la véracité des faits décrits. En France, la publication de l'ouvrage est accompagnée par une intense campagne de calomnies organisée par le Parti communiste français et son relais L'Humanité ainsi que des journaux comme Témoignage chrétien qui s'efforcent de présenter le dissident comme ayant des « sympathies pro-nazies » et de neutraliser la portée de l'ouvrage[31].

En dépit de cette campagne, le livre connaît une grande diffusion et le rend célèbre, ce qui lui vaut d'être arrêté le et incarcéré dans la prison de Lefortovo où il prend connaissance de l'acte d'accusation de haute trahison punissable de la peine de mort[32]. Après une nuit passée en cellule, lecture lui est faite du décret le privant de la citoyenneté soviétique et ordonnant son expulsion. Douze heures après son arrestation, il est envoyé par avion spécial à Francfort. En URSS, ses textes continuent cependant d’être diffusés clandestinement, sous forme de samizdats.

Auteur en exil

Soljenitsyne en compagnie d’Heinrich Böll, à Langenbroich (de) (Allemagne de l'Ouest), en 1974.

Grâce à l'aide de l'écrivain allemand Heinrich Böll, il s'installe d'abord à Zurich en Suisse où sa famille (sa femme, ses quatre enfants et sa belle-mère) est autorisée à le rejoindre un mois plus tard, puis émigre aux États-Unis. Soljénitsyne devient une « figure de proue » des dissidents soviétiques, mais déjà apparaît, à travers ses interviews[33], un clivage avec certains de ses interlocuteurs qui le soupçonnent d'être réactionnaire[34] ; il se montre en effet méfiant à l'égard du « matérialisme occidental » et attaché à l'identité russe traditionnelle, où la spiritualité orthodoxe[Laquelle ?] joue un grand rôle.

Après une période agitée faite d'interviews et de discours (comme le discours de Harvard prononcé en 1978) aux États-Unis, Soljenitsyne fut souvent invité à des conférences. Le , il fut invité à donner une conférence sur la situation mondiale au Sénat américain. L'Occident découvre alors un chrétien orthodoxe et slavophile très critique sur la société occidentale de consommation, et que les médias français classent dès lors parmi les conservateurs[12]. Comme Victor Serge ou Victor Kravtchenko avant lui, l'écrivain doit affronter une campagne supplémentaire de diffamation[35].

Il s'installe avec sa famille à Cavendish, dans le Vermont, pour écrire La Roue rouge, une épopée historique qui, sur plusieurs milliers de pages, retrace la plongée de la Russie dans la violence révolutionnaire.

En 1983, il reçoit le prix Templeton.

Le , à l'occasion de l'inauguration du Mémorial de la Vendée aux Lucs-sur-Boulogne, il prononce un discours sur les guerres de Vendée et la Révolution française, comparant ces événements, qu'il qualifie de « génocide », aux soulèvements populaires anti-communistes en Russie.

Retour en Russie et mort

Soljenitsyne prenant le train à Vladivostok, en 1994.

Dans le cadre de la Glasnost menée par Mikhaïl Gorbatchev, sa citoyenneté soviétique lui est restituée, et L'Archipel du Goulag est publié en URSS à partir de 1989. Après la dislocation de l'Union soviétique, il rentre via la France en Russie le , en arrivant par l'est, à Magadan, jadis grand centre de tri carcéral. Il traverse en un mois son pays en train. Il se rend notamment en compagnie de son ami Boris Mojaïev sur le lieu de l'insurrection paysanne menée par Alexandre Antonov en 1920-1921[36]. Il résidera en Russie jusqu'à sa mort. Jusqu'en 1998, il conserve une activité sociale, anime une émission de télévision, voyage en Russie, rencontre des personnes et d'anciens déportés. La maladie interrompt cette activité.

Soljenitsyne vit ensuite retiré près de Moscou, au milieu de sa famille. Le Fonds Soljenitsyne aide les anciens zeks et leurs familles démunies en leur versant des pensions, en payant des médicaments. Après avoir pensé pouvoir jouer un rôle cathartique dans la Russie post-communiste, Soljenitsyne réalise que la nomenklatura a simplement changé d'idéologie, passant du communisme au nationalisme, mais qu'elle s'est maintenue aux affaires et que les démocrates, s'ils veulent convaincre, ne peuvent agir que sur les plans associatif et culturel, le plan politique étant entièrement verrouillé par Boris Eltsine, puis par Vladimir Poutine.

Un colloque international a été consacré à son œuvre en à Moscou. Le , le président Vladimir Poutine rend hommage à Soljenitsyne en lui décernant le prestigieux prix d'État[37].

L'ancien dissident Viktor Erofeev estima que « c'était vraiment un paradoxe douloureux de voir comment l'ancien prisonnier pouvait sympathiser avec l'ancien officier du KGB[38] ». Malgré plusieurs rencontres privées avec Poutine et des marques de sympathie réciproque, Soljenitsyne accusa la politique impérialiste du président russe d'épuiser à l'extérieur les forces vives de la nation et reprocha à son nationalisme de détourner les Russes des vrais enjeux de leur avenir. Ces positions sur la politique de la Russie sont expliquées dès 1990 dans son essai Comment réaménager notre Russie[39].

Il meurt à son domicile de Moscou à 89 ans dans la nuit du 3 au d'une insuffisance cardiaque aiguë[12]. Il est enterré au cimetière du monastère Donskoï. Ses funérailles sont retransmises en direct à la télévision russe[40].

Engagement

Œuvre et vision historique

Symbole de la résistance intellectuelle à l'oppression soviétique, Alexandre Soljenitsyne a été régulièrement attaqué, ses ouvrages et interprétations historiques souvent dénoncés comme « réactionnaires », principalement par la gauche occidentale. Les opérations de déstabilisation à son encontre ont été nombreuses. Le KGB a notamment fait écrire un livre contre lui par son ancien éditeur à Londres, Alec Flegon[41].

Durant sa carrière littéraire, il aurait été accusé d'être nationaliste, tsariste, ultra-orthodoxe, antisémite ou favorable à Israël, traître, complice objectif de la Gestapo, de la CIA, des francs-maçons, des services secrets français et même du KGB. Dans son autobiographie littéraire, Le grain tombé entre les meules, et dans un article de la Litératournaïa Gazeta, « Les barbouilleurs ne cherchent pas la lumière », Soljenitsyne a répondu à ces accusations en les juxtaposant pour montrer leur incohérence.

Soljenitsyne pense que si Staline n'avait pas décapité l'Armée rouge lors des « Grandes Purges » (1937), s'il n'avait pas fait « aveuglément » confiance à Hitler (pacte germano-soviétique 1939-1941), s'il avait écouté les agents (tels Richard Sorge) qui le mettaient en garde contre l'attaque allemande du 22 juin 1941, l'invasion nazie aurait été moins désastreuse pour le pays. Soljenitsyne reproche aussi à Staline d'avoir envoyé au Goulag tous les soldats soviétiques prisonniers des Allemands (se laisser capturer vivant étant considéré comme une « trahison »)[42] alors que la reconstruction du pays nécessitait la participation de tous.

Accusations d'antisémitisme

Alexandre Soljenitsyne a régulièrement fait l'objet d'accusations d'antisémitisme en raison de ses travaux sur la révolution bolchevique (où il étudie l'implication des juifs au sommet de l'appareil d'État et de l'appareil répressif) et de la publication de son ouvrage historique Deux siècles ensemble (en) sur les relations entre Juifs et Russes de 1795 à 1995.

L'écrivain et ancien dissident soviétique Vladimir Voïnovitch a ainsi voulu démontrer le caractère antisémite de ce livre dans une étude polémique[43].

En France, l'historien trotskiste Jean-Jacques Marie a consacré un article à chaque tome de Deux siècles ensemble, qu'il qualifie de « bible antisémite ». Selon lui, « Soljenitsyne expose, dans Deux siècles ensemble, une conception de l'histoire des Juifs en Russie digne de figurer dans un manuel de falsification historique » en écrivant une histoire des pogroms « telle qu'elle a été vue par la police tsariste[44] ».

L'historien britannique Robert Service a défendu le livre de Soljenitsyne, arguant que les rapports de la police avaient intérêt à grossir, non à minimiser les faits, et qu'une étude de la place des juifs dans le parti bolchevique n'était en rien antisémite par elle-même[45].

L'historien américain Richard Pipes[46], dont les travaux sur l'histoire de la Russie avaient été qualifiés par Soljenitsyne de « version polonaise de l'histoire russe », a répondu à celui-ci en le qualifiant d'antisémite et d'ultra-nationaliste. En 1985, Pipes a développé son propos dans sa critique d'Août 14 : « Chaque culture a une forme propre d'antisémitisme (sic). Dans le cas de Soljenitsyne, celui-ci n'est pas racial. Cela n'a rien à voir avec le sang. Il [Soljenitsyne] n'est pas raciste, la question est fondamentalement religieuse et culturelle. Il présente de nombreuses ressemblances avec Dostoïevski, qui était un chrétien fervent, un patriote et un antisémite farouche. Soljenitsyne adhère incontestablement à l'interprétation de la Révolution que fait l'extrême droite russe, celle d'une création des Juifs[47] ».

Positions sur l'avenir de la Russie

Ses prises de position pour « une période autoritaire de transition » lui valurent de sévères critiques de la part de dissidents comme Andreï Siniavski et Andreï Sakharov, pour lesquels la Russie ne saurait se régénérer sans démocratie[48]. En fait, Soljenitsyne n'est pas hostile à la démocratie en général, mais il ne croit pas que la Russie puisse passer du jour au lendemain d'un régime totalitaire à un régime de type occidental. À la démocratie représentative à l'occidentale, qu'il perçoit comme génératrice d'une classe politique corrompue, coupée du peuple et soucieuse avant tout de ses propres intérêts, il oppose son souhait, pour la Russie, d'un pouvoir présidentiel fort, et d'une forme de démocratie locale constituée par un tissu d'associations gérant les affaires indépendamment du pouvoir qui, lui, ne devrait s'occuper que des affaires nationales (armée, politique étrangère, etc.). Il affirme dans son livre sur le réaménagement de la Russie que celle-ci peut emprunter à la Suisse le référendum d'initiative populaire. S’affirmant comme un fervent patriote, notion qu'il oppose au nationalisme du pouvoir, Soljenitsyne a désapprouvé la Première guerre de Tchétchénie (qui visait à empêcher l'indépendance tchétchène et luttait contre des « patriotes »), mais a approuvé la seconde (alors que les indépendantistes étaient devenus « islamistes », et selon lui, « mafieux »). Il a eu un commentaire favorable au président Poutine lors de son arrivée au pouvoir, espérant de lui des changements significatifs.

Alexandre Soljenitsyne n'a jamais démenti les accusations de royalisme portées contre lui : pour lui, le bilan du tsarisme est « supérieur à celui du communisme, en termes de satisfaction des besoins et d'élévation morale du peuple russe ».

Positions sur les démocraties et les dictatures

Ses convictions religieuses orthodoxes suscitent également de la méfiance dans les milieux démocrates.

Il fut accusé d'être favorable aux dictatures militaires dont celle menée par Augusto Pinochet au Chili : en fait, il déplorait surtout que l'Occident s'émeuve beaucoup des crimes de ces dictatures, et fort peu de ceux du régime soviétique, et il déclara en 1976 que l'on entendait plus parler du Chili que du mur de Berlin et que « si le Chili n'existait pas, il faudrait l'inventer[49] ».

Il fut favorable à la dictature militaire menée par Francisco Franco en Espagne ajoutant après la mort de Franco que les Espagnols vivaient « dans la liberté la plus absolue » de son vivant, soulignant la victoire du « concept de vie chrétienne » durant la guerre d'Espagne[50].

Alexandre Soljenitstyne admirait au moins deux formes de démocratie occidentale : celle des États-Unis, qu'il qualifia de « pays le plus magnanime et le plus généreux de la Terre[51] ». En revanche, il a parfois critiqué la politique menée par le gouvernement américain, par exemple sur la paix négociée au Vietnam, qu'il qualifie d'« armistice stupide, incompréhensible, sans garantie aucune[52] ». Il admirait aussi la démocratie suisse et dans son livre Le Grain tombé entre les meules, il écrit : « Ah si l'Europe pouvait écouter son demi-canton d'Appenzell. »

Œuvres traduites en français

La datation des œuvres d'Alexandre Soljenitsyne est difficile à établir avec précision, la plupart d'entre elles ayant connu une gestation très longue et plusieurs versions, parfois même une réécriture quasi complète. En ce sens, l'exergue placé au début du Premier Cercle est significatif : « Écrit de 1955 à 1958. Défiguré en 1964. Réécrit en 1968 ».

Romans

Recueils de nouvelles

  • La Maison de Matriona (1963), contient aussi L'Inconnu de Krétchétovka (retraduit sous le titre Incident à la gare de Kotchétovka) et Pour le bien de la cause.
  • Zacharie l'escarcelle (1971), contient aussi La Main droite, La Procession de Pâques et Études et Miniatures.
  • Ego, suivi de Sur le fil (1995).
  • Nos jeunes (1997).
  • Deux récits de guerre (2000) contient Au hameau de Jeliabouga et Adlig Schwenkitten.
  • Le Clocher de Kaliazine, Études et miniatures (2004). Ce dernier texte faisait déjà partie du recueil Zacharie l'escarcelle.
  • La Confiture d'abricots et autres récits (2012), contient deux récits inédits : Sur les brisures et C'est égal.

Pièces de théâtre et scénarios

  • La Fille d'amour et l'innocent/La République du Travail (écrite en 1954, 4 actes et 11 tableaux) (1971)
  • Flamme au vent (écrite en 1960) (1977)
  • Les Tanks connaissent la vérité (scénario écrit en 1959 et publié en français en 1982)
  • Le Festin des vainqueurs (écrite en 1951 et publié en français en 1986)
  • Le Parasite (scénario écrit en 1968 et publié en français en 1986)
  • Les Prisonniers (écrite en 1951 et publié en français en 1986)

Poésie

  • Le Chemin des forçats (2014)

Essais et Mémoires

Récompenses, distinctions, prix

Hommage

Notes et références

  1. Le patronyme Issaïevitch est une erreur de transcription commise par l'administration de Rostov en 1936. Le patronyme correct était Issaakievitch. Après discussion, Alexandre et sa mère décident de ne pas signaler l'erreur. Saraskina 2010, p. 139.
  2. Le spécialiste de Soljenitsyne Georges Nivat et son éditeur Claude Durand, ou encore l'éditeur Fayard écrivent son nom avec un accent aigu.
  3. La Russie a maintenu le calendrier julien en usage dans l'Empire russe jusqu'en janvier 1918. À cette date, le gouvernement révolutionnaire adopte le calendrier grégorien. Mais son adoption a été retardée dans les parties périphériques du pays. Voir Passage du calendrier julien au calendrier grégorien.
  4. Saraskina 2010, p. 85 et 975.
  5. Saraskina 2010, p. 76.
  6. Soljenitsyne a mis en scène sa famille dans La Roue rouge (en particulier dans Août 14). Son père sous le nom de « Sania Lajenitsyne » et sa mère sous celui de « Xenia Tomtchak » Saraskina 2010.
  7. Saraskina 2010, p. 115.
  8. Taïssia Zakharovna Chtcherbak meurt le .
  9. Saraskina 2010, p. 118.
  10. Saraskina 2010, p. 140.
  11. Saraskina 2010, p. 149.
  12. a b c d et e « La mort d'Alexandre Soljenitsyne », sur Libération.fr, .
  13. Saraskina 2010, p. 150
  14. Saraskina 2010, p. 163, 166 et 977.
  15. Saraskina 2010, p. 175.
  16. Saraskina 2010, p. 200.
  17. Saraskina 2010, p. 256.
  18. (ru) Liudmila Saraskina, Aleksandr Solzhenitsyn, Molodaia Gvardiia, , p. 261-262.
  19. Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag, p. 56.
  20. Nivat 2009, p. 32.
  21. a et b Nivat 2009, p. 33.
  22. http://www.help-patient.ru/social_protection/school/examples/
  23. https://obgyn.livejournal.com/36973.html
  24. Nivat 2009, p. 34-35.
  25. Nivat 2009, p. 45.
  26. Nivat 2009, p. 47-49.
  27. Armand Gaspard, « Dix années de "dégel" », Politique étrangère, vol. 28, no 1,‎ , p. 58-79 (lire en ligne)
  28. Nivat 2009, p. 217.
  29. The Economist, 12 mai 2007, nécrologie de Mstislav Rostropovitch.
  30. Saraskina 2010, p. 689
  31. François Hourmant, Le désenchantement des clercs : Figures de l'intellectuel dans l'après-mai 68, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res publica », .
  32. Nivat 2009, p. 225
  33. L'émission télévisée Apostrophes de Bernard Pivot (visible sur Soljenitsyne chez Bernard Pivot sur ina.fr) où il est invité.
  34. Lors de la première émission de Pivot avec Soljenitsyne, Jean Daniel demanda à Soljénitsyne de le rassurer en confirmant qu'il n'était pas pour le colonialisme. Il fut rassuré au-delà de ce qu'il espérait : les colonisateurs c'est vous ! déclara le maître en bondissant de malice dans son siège : n'essayez-vous pas d'imposer votre mode de vie au monde entier ?, cité par Georges Nivat, Soljenitsyne, Paris, Seuil, collection « Écrivains de toujours », 1980, 189 pp.
  35. Par exemple dans Pierre Daix, Ce que je sais de Soljénitsyne, Éd. du Seuil, Paris 1973, où, sans l'écrire ouvertement,[non neutre] l'auteur considère pratiquement le dissident d'agent de l'impérialisme capitaliste.
  36. Georges Nivat, Le Phénomène Soljénitsyne, Fayard, , 478 p. (ISBN 978-2-213-64741-8, présentation en ligne)
  37. « Vladimir Poutine rend hommage à Soljenitsyne », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, consulté le ).
  38. Alexandre Soljenitsyne, sur Bibliomonde
  39. « Décès d'Alexandre Soljenitsyne, conscience d'un siècle », La Croix, .
  40. Ségolène de Larquier, Le vibrant adieu à Alexandre Soljenitsyne, Le Point, .
  41. Vladimir Volkoff, Petite histoire de la désinformation, Rocher, 1999, p. 122-123.
  42. Colin Thubron (trad. de l'anglais par Katia Holmes), En Sibérie [« In Siberia »], Paris, Gallimard, , 471 p. (ISBN 978-2-07-044616-2, BNF 42659550), p. 72

    « Après le pacte de Staline avec Hitler en 1939,[...] dès 1943, les soldats russes repris aux Allemands furent internés là, accusés de trahison. »

  43. Vladimir Voïnovitch, A Portrait Against the Background of a Myth, 2002.
  44. Jean-Jacques Marie, « L'antisémitisme complaisant de Soljenitsyne », dans les Cahiers du mouvement ouvrier (publication du CERMTRI) no 17, p. 146-147. Voir aussi l'article consacré au tome II de Deux siècles ensemble, dans le Cahier no 22, p. 81-85.
  45. (en) Nick Paton Walsh, « Solzhenitsyn breaks last taboo of the revolution », The Guardian, .
  46. Le contentieux entre Soljénitsyne et Pipes est ancien et remonte à 1974. L'origine de ce contentieux est l'accueil glacial réservé par Soljénitsyne à l'ouvrage de Pipes, Histoire de la Russie des tsars, contentieux dont l'historien américain témoigne dans la préface de son ouvrage (p. 13).
  47. Richard Pipes, The New York Times, .
  48. Jean-Pierre Thibaudat, « Soljenitsyne, l’archipel d’une vie »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), Libération, (consulté le ).
  49. Les Dossiers de l'écran, Antenne 2, . Cité dans Rideau de fer sur le Boul'Mich, Jean Salem, Editions Delga, 2009. Cf. aussi Les intellectuels contre la gauche, Michael Christofferson, Éditions Agone, 2009
  50. Le Monde, . Cité dans Rideau de fer sur le Boul'mich, Jean Salem, Éditions Delga, 2009.
  51. Discours de Washington (), prononcé à l'invitation de l'AFL-CIO, Discours américains, Paris, Seuil, 1975, p. 28
  52. Discours de Washington, loc. cit., p. 31
  53. « LE DÉCLIN DU COURAGE | Perspective monde », sur perspective.usherbrooke.ca (consulté le )
  54. Alexandre Soljenitsyne, Esquisses d'exil. Le Grain tombé entre les meules, tome 1, 1974-1978, Paris, Fayard, 1998, traduit du russe par Geneviève et José Johannet, 548 p., (ISBN 2-213-60186-0).
  55. Alexandre Soljenitsyne, Esquisses d'exil. Le Grain tombé entre les meules, tome 2, 1979-1994, Paris, Fayard, 2005, traduit du russe par Françoise Lesourd.
  56. (ru)Большая биографическая энциклопедия: Солженицын, Александр Исаевич
  57. [1]Académie des sciences morales et politiques : Grand prix de l'Académie 2000 attribué à Alexandre Soljenitsyne pour l'ensemble de son œuvre
  58. Soljenitsyne: l'empreinte d'un grand homme sur la Russie (opinions) sur sputniknews.com
  59. Radio Télévision Suisse: Le "pourfendeur du goulag" porté en terre, 2010
  60. Ed. Ong cnrj : Le prix mondiale de l'humanisme

Voir aussi

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Filmographie

Articles connexes

Liens externes