Philippicos

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Philippikos
Empereur byzantin
Image illustrative de l’article Philippicos
Solidus à l'effigie de Philippicos.
Règne
-
1 an, 5 mois et 23 jours
Période Usurpateur
Précédé par Justinien II
Suivi de Anastase II
Biographie
Décès 714 ou 715
monastère des Dalmates

Philippicos (ou Philippikos; en grec : Φιλιππικός) fut brièvement un empereur et usurpateur byzantin du au . De son vrai nom Bardanès ou Vardanis (Βαρδάνης, arménien Վարդան), il était d'une famille arménienne de haut rang au service des empereurs byzantins. Son court règne de dix-sept mois[N 1] raviva les controverses christologiques et déclencha une lutte contre les images qui, sans avoir de caractère religieux, laissait prévoir les grands conflits de l’iconoclasme[1],[2].

Origine ethnique[modifier | modifier le code]

Il est souvent considéré par les historiens modernes comme un Arménien sur la base de son prénom (une forme hellénisée de « Vardan »)[3]. Celui-ci pousse d'ailleurs le généalogiste Christian Settipani à rattacher Bardanès à la famille Mamikonian à travers son père Nicéphore, patrice en 668, l'année de sa mort, fils de Bardanios, consul et de sa femme, une fille inconnue de Valentin, et petit-fils d'Artabasde et de sa femme — fille du général Philippicos et de sa femme Gordia —, issues d'une colonie arménienne à Pergame, ce dernier peut-être le fils de Vardan III Mamikonian[4], mais selon l'historienne de l'Arménie médiévale, Nina Garsoïan, la thèse de la descendance de Bardanès et d'autres nobles arméno-byzantins des Mamikonian « attrayante qu'elle soit […] ne peut être prouvée, faute de sources »[5].

Premières années[modifier | modifier le code]

Les chroniqueurs Théophane le Confesseur et Michel le Syrien le présentent comme un homme cultivé et éloquent (le premier s'étonnant même du contraste entre l'intelligence de ses discours et l'indignité de son comportement). Ayant manifesté son ambition d'accéder au trône (il aurait rapporté une prédiction selon laquelle il deviendrait empereur), il avait été exilé à Céphalonie par Tibère III pour « avoir rêvé l’Empire »[6], et ensuite rappelé par Justinien II après son rétablissement[7].

En 710, la cité byzantine de Chersonèse, en Crimée, se révolta contre l'empereur Justinien II avec l'aide des Khazars qui occupaient alors l'arrière-pays. Justinien II détestait les habitants de cette ville : en 704, alors qu'il s'y trouvait en exil, il avait échafaudé un plan pour recouvrer le trône, mais les notables de Chersonèse l'avaient dénoncé à Tibère III, et il n'avait dû son salut qu'à la fuite chez les Khazars. Il envoya donc une flotte commandée par le patrice Étienne Asmiktos avec l'ordre de soumettre la ville à un châtiment exemplaire. Le patrice emmenait aussi avec lui Bardanès, que l'empereur avait condamné à un nouveau bannissement. Asmiktos procéda à des exécutions, et ensuite, rappelé par l'empereur, il reprit la direction de Constantinople en octobre, laissant donc Bardanès sur place. Mais en traversant la mer Noire, sa flotte coule lors d'une tempête[8],[9].

Pendant ce temps, les notables de Chersonèse firent à nouveau alliance avec les Khazars. Justinien II envoya une nouvelle flotte commandée par le patrice Georges et l'éparque Jean, mais à leur arrivée, ces deux derniers tombèrent dans un piège et furent tués par les habitants de la ville, tandis que le reste de la troupe était livré aux Khazars, et massacré par eux. C'est alors, probablement en septembre 711, que Bardanès fut proclamé empereur à Chersonèse[10],[9],[11]. Pendant l'été, Justinien II envoya une nouvelle flotte sous le commandement du patrice Mauros. Dans le même temps, les Arabes attaquant sur la frontière orientale, il quitta lui-même la capitale à la tête d'une armée qui atteignit Sinope[11]. Mais à Chersonèse Bardanès s'était entendu avec le khagan des Khazars, et Mauros se retrouva dans l'incapacité évidente de se rendre maître de la ville. Craignant de retourner affronter la colère de Justinien II, il changea de camp, et lui et sa troupe proclamèrent aussi Bardanès empereur sous le nom de Philippikos. Probablement en octobre, la flotte s'en revint à Constantinople[9],[12].

Règne[modifier | modifier le code]

Apprenant le tour pris par les événements, Justinien II rebroussa précipitamment chemin. Quand il arriva sur la rive asiatique du Bosphore, Philippikos et Mauros étaient déjà entrés dans Constantinople[N 2]. Ils firent exécuter les principaux responsables de la cour de Justinien II ; son fils Tibère, six ans, fut arraché à l'autel de l'église Sainte-Marie-des-Blachernes, malgré les supplications de sa grand-mère Anastasie, femme de Constantin IV, et égorgé[13] ,[9]. Ils envoyèrent des hommes débarquer devant le camp de Justinien II près de Chalcédoine, et ceux-ci réussirent à retourner une partie des troupes de l'empereur déchu, à le capturer et à le décapiter. La tête de Justinien fut livrée à Philippicos, qui l'envoya à Ravenne et à Rome[12].

Politique religieuse[modifier | modifier le code]

Comme beaucoup d'Arméniens au service des Byzantins, Philippikos était favorable au monothélisme, une doctrine conçue pour réconcilier l'Église orthodoxe grecque avec les monophysites, mais condamnée comme hérétique par le concile œcuménique de 680 de Constantinople[14]. Deux mois après son entrée à Constantinople, Philippikos déposa le patriarche Cyrus de Constantinople qui défendait les conclusions du concile et le remplaça par Jean VI de Constantinople, d'accord avec lui. Dans un édit impérial, il désavoua les décisions du Sixième Concile œcuménique et décréta le monothélisme seule doctrine autorisée. Un concile purement byzantin fut ensuite organisé : la majorité des évêques souscrivirent à l’édit impérial, y compris le futur patriarche Germain Ier de Constantinople, qui était alors métropolite de Cyzique [15]. Et pour que personne ne se trompe sur ce changement radical, il fit enlever une inscription commémorative du Sixième Concile placée sur la porte du Milion, face au Palais impérial, la remplaçant par une représentation de l’empereur et du patriarche Serge, ancien champion du monothélisme[16],[17],[18]. La même année, il voulut rallier son pays d’origine au patriarcat byzantin et expulsa ceux qui s’y opposèrent. Le résultat fut une émigration des Arméniens, qui cessèrent de voir en Byzance leur protectrice, vers les pays arabes [19],[9].

À Rome la position de l’empereur provoqua une violente opposition. Le pape Constantin (r. 708-715) répondit à la lettre par laquelle Philippikos l’informait de son avènement dans des termes qui lui semblèrent profondément hérétiques, en interdisant de reproduire l’effigie de l’empereur sur des pièces de monnaie, de référer à son règne dans la datation de documents et même d’inclure son nom dans les prières de l’Église. De plus, il donna l’ordre de faire placer dans l’église de Saint-Pierre les images non seulement du Sixième Concile, mais également des cinq précédents [20]. Les divergences théologiques sur la nature du Christ trouvaient ainsi leur expression dans l’adoption ou l’exclusion de certaines images [21].

Lutte contre les Bulgares et les Arabes[modifier | modifier le code]

Profitant de la confusion engendrée par le changement de gouvernement à Constantinople, les troupes arabes, commandées par Maslama ben Abd al-Malik, pénétrèrent très loin en Asie mineure en 712 mettant à sac les villes d'Amasia et de Gangres, sur le territoire des Arméniaques, et de Misthia, sur celui des Anatoliques ; ils hivernèrent dans cette dernière région, et au printemps 713 détruisirent complètement la ville d'Antioche de Pisidie, qui ne s'en releva jamais[19],[15] . Pendant ce temps, le khan bulgare Tervel, voulant venger le meurtre de son ancien allié Justinien, déclara la guerre à Philippikos; après avoir traversé la Thrace sans difficulté, ce qui montre la faiblesse des défenses byzantines en Europe, il arriva jusqu'aux murailles de Constantinople après avoir pillé les riches villas de l’élite constantinopolitaine dans les banlieues où elles aimaient passer l’été[20].

L'empereur n’eut d’autre choix que de rappeler en Europe des troupes du thème de l’Opsikion en Asie mineure sous le commandement du strategos (général) Georges Bouraphos [22].

Chute[modifier | modifier le code]

Ce dernier, allié à un patrice nommé Théodore Myakios, prit la résolution de mettre fin au règne de Philippikos. Le samedi , veille de la Pentecôte, il envoya à Constantinople une troupe de soldats commandée par un de ses officiers, Rouphos[23]. Ceux-ci surprirent Philippikos dans le palais pendant une sieste, s'emparèrent de lui, le conduisirent vers l'hippodrome et lui crevèrent les yeux[20]. Cette mutilation l'empêchait définitivement de régner.

Il est probable que le but était de faire proclamer Georges Bouraphos empereur, mais les conspirateurs perdirent le contrôle des événements, et le lendemain ce fut le protasekretis (Premier secrétaire) de Philippikos, Artémios, qui fut proclamé par une foule rassemblée à Sainte-Sophie, sous le nom d'Anastase II[22],[15]. Ce dernier fit châtier les conspirateurs par la loi du talion : le , Theodore Myaces était aveuglé et exilé, Georges Bouraphos le 17[24]. Quant à Philippikos il fut exilé dans le monastère urbain des Dalmates où il serait mort le (selon Sumner) ou 715 (selon Grierson)[7].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Ce nombre varie selon les sources de l’époque : Théophanes (386) parle d’un règne de 2 ans et 9 mois, Nicéphore d’un règne de deux ans, le Chronicon Altinate et Gradense d’un an, 6 mois et 10 jours (Sumner (1976) p. 288).
  2. Philippikos entra à Constantinople le 4 ou le 24 novembre 711 (cf. P. Grierson, Dumbarton Oak Papers, 16 (1962), 50f et p. 62).

Références[modifier | modifier le code]

  1. Ostrogorsky (1983) p. 180
  2. Bréhier (1969) pp. 70-71
  3. Kountoura-Galaki 1983, p. 203-204.
  4. Settipani 2006, p. 231-236.
  5. Kazhdan (1991) « Mamikonean », vol. 2, pp. 1278-1279
  6. Théophane le Confesseur 372, cité par Bréhier (1968) p. 70 et Sumner (1976) p. 287
  7. a et b Kazhdan (1991) « Philippikos », vol. 3, p. 1654
  8. Treadgold (1997) p. 341
  9. a b c d et e Sumner (1976) p. 289
  10. Theoph. 379; Niceph. 46
  11. a et b Treagold (1997) p. 342
  12. a et b Ostrogorsky (1983) p. 173
  13. Norwich (1989) p. 345
  14. Ostrogorsky (1983) p. 181
  15. a b et c Treadgold (1997) p. 343
  16. Agathon Diacre, cité par Ostrogorsky (1983) p. 181
  17. Treagold (1997) p. 387
  18. Norwich (1989) p. 347
  19. a et b Bréhier (1969) p. 71
  20. a b et c Norwich (1989) p. 348
  21. Liber Pontificalis, cité par Ostrogorsky (1983) p. 181
  22. a et b Ostrogorsky (1983) p. 182
  23. Theoph. 383; Niceph. 49
  24. Sumner (1976) p. 290

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Sources primaires[modifier | modifier le code]

  • (fr) Chronique de Michel le Syrien par J. B. Chabot : Première édition 1899-1910 introduction, corrections et index ajoutés en 1924 ; réimpr. Bruxelles, 1963, et 2010.
  • (la) Liber Pontificalis : Grégoire II.
  • (en) The Chronicle of Theophanes, « Anni mundi 6095-6305 (A.D. 602-813) » by Harry Turtledove, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1982 (ISBN 08-12211286).

Sources secondaires[modifier | modifier le code]

  • (en) Bellinger, Alfred Raymond; Grierson, Philip, eds. Catalogue of the Byzantine Coins in the Dumbarton Oaks Collection and in the Whittemore Collection: Phocas to Theodosius III, 602-717. Part 1. Phocas and Heraclius (602-641). Dumbarton Oaks, 1992. (ISBN 978-0-884-02024-0).
  • (fr) Bréhier, Louis. Vie et Mort de Byzance, coll. « L'évolution de l'humanité », L'âge d'homme éd., Paris, 1969 [1946].
  • (fr) Cheynet, Jean-Claude. Byzance, l’Empire romain d’Orient. Paris, Armand Colin, 2012. (ISBN 978-2-200-28153-3).
  • (fr) Cheynet, Jean-Claude. Le Monde byzantin, II, L’Empire byzantin (641-1204). Paris, Presses Universitaires de France, 2007. (ISBN 978-2-130-52007-8).
  • (en) Philip Grierson, Cyril Mango and Ihor Ševčenko. The Tombs and Obits of the Byzantine Emperors (337-1042), Dumbarton Oaks Papers, Vol. 16 (1962). DOI: 10.2307/1291157.
  • (en) Haldon, John. Warfare, State and Society in the Byzantine World, 565–1204. London, UCL Press, 1999. (ISBN 1-85728-495-X).
  • (en) Herrin, Judith. “Philippikos ‘The Gentle’”. (In) Hagit Amirav, Bas ter Haar Romeny (ed): From Rome to Constantinople: Studies in Honour of Averil Cameron. Leuven 2007, pp.  251–262.
  • (en) Jenkins, Romilly. Byzantium The Imperial centuries AD 610-1071. Weidenfeld & Nicolson, 1966. (ISBN 0-8020-6667-4).
  • (en) Kaegi, Walter Emil. Byzantium and the Early Islamic Conquests. Cambridge, Cambridge University Press, 1992. (ISBN 978-0-521-41172-1).
  • (en) Kazhdan, Alexander (ed). The Oxford Dictionary of Byzantium. Oxford, University of Oxford, 1991, vol. 3. (ISBN 0-19-504652-8)
  • (el) Eleonora Kountoura-Galaki, « Ἡ ἐπανάσταση τοῦ Βαρδάνη Τούρκου », Byzantine Symmeikta, no 5,‎ , p. 203-215, (ISSN 1105-1639, lire en ligne).
  • (en) Norwich, John Julius. Byzantium, vol. 1, The Early Centuries, New York, Alfred A. Knopf, 1989. (ISBN 978-0-394-53778-8).
  • (fr) Ostrogorsky, Georges. Histoire de l’État byzantin. Paris, Payot, 1983 [1956], (ISBN 2-228-07061-0).
  • (fr) Settipani, Christian. Continuité des élites à Byzance durant les siècles obscurs. Les princes caucasiens et l'Empire du VIe au IXe siècle, Paris, de Boccard, 2006, ( (ISBN 978-2-7018-0226-8).
  • (en) Sumner, Graham. “Philippicus, Anastasius II and Theodosius III”. (In) Greek, Roman and Byzantine Studies 17 (1976), pp. 287–294.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]