Anarchie

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Le « A » cerclé est un symbole de l’anarchisme.

L’anarchie (du grec ἀναρχία / anarkhia, composé de an, préfixe privatif : absence de, et arkhê, hiérarchie, commandement) désigne la situation d’une société où il n’existe pas de chef, pas d’autorité unique, autrement dit où chaque sujet ne peut prétendre à un pouvoir sur l’autre. Il peut exister une organisation, un pouvoir politique ou même plusieurs, mais pas de domination unique ayant un caractère coercitif. L’anarchie peut, étymologiquement, également être expliquée comme le refus de tout principe premier, de toute cause première, et comme revendication de la multiplicité face à l’unicité.

Le mot anarchie est employé tantôt péjorativement, comme synonyme de désordre social dans le sens commun ou courant et qui se rapproche de l’anomie, tantôt comme un but pratique désirable à atteindre comme c’est le cas pour les anarchistes.

Pour les anarchistes, l’anarchie est l’ordre social absolu grâce notamment au collectivisme anti-capitaliste qui contrairement à l’idée de possessions privées capitalisées, suggère l’idée de possessions individuelles ne garantissant quant à elles aucun droit de propriété concernant l’accumulation de biens non utilisés[1], et au travers d’une liberté politique organisée autour du mandatement impératif, de l’autogestion, du fédéralisme et de la démocratie directe.

Pour ses partisans, l’anarchie est donc organisée et structurée : c’est selon les mots d’Élisée Reclus « la plus haute expression de l’ordre »[2].

Anarchie et anomie

Sens courant

Le mot anarchie est souvent employé avec une connotation péjorative. Le dictionnaire des synonymes de référence du CRISCO de l'université de Caen Basse-Normandie indique que parmi les 9 synonymes les plus proches, 7 relèvent du désordre (désordre, chaos, confusion, gâchis, trouble, émeute et pagaille) et deux des principes politiques de l'anarchisme (égalité et liberté)[3]. Cette proximité avec le champ lexical du désordre tient, dans les discours politiques dominants, d'une nécessité positive du principe fondamental d’autorité : dans ce sens anarchie sert à désigner une situation de désordre, de désorganisation, de chaos, sur la base de l’hypothèse implicite que l’ordre nécessiterait une hiérarchie. C'est ainsi que l'on trouve déjà dans le Littré (le mot est très peu usité avant le XVIIe siècle) la définition de l’anarchie comme « absence de gouvernement, et par suite désordre et confusion ». Par extension ce sont toutes les formes de trouble et de désordre qui sont appelées anarchie ; c’est cette façon d’employer le mot qui prévaut dans l’usage courant, comme dans la plupart des dictionnaires. Le poète Armand Robin (1912-1961) définit « l'anarchiste » comme celui qui est « purifié volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée et de tout comportement pouvant d'une façon quelconque impliquer domination sur d'autres consciences ».

Anomie

Le mot correct pour une situation de désordre social, sans lois, sans règles, où les différends se régleraient par la seule violence physique (armée ou non), est l’anomie. L’anomie, néologisme durkheimien, est une dissolution des normes sociales, règles, lois, coutumes : cette situation peut être liée à une volonté de domination réciproque de plusieurs pouvoirs concurrents, à une réaction de désespoir (L'anarchie est la formulation politique du désespoir, Léo Ferré) face à une société moribonde.

À ce sujet, bien que anomie soit mieux adapté, le terme « anarchie » est utilisé systématiquement par les pouvoirs pour indiquer une situation politique qu’ils ne maîtrisent pas (et qu’ils désireraient maîtriser), où leur pouvoir politique est en difficulté.

Anomie (en grec ἀνομία) a néanmoins un usage plus ancien, notamment dans le nouveau testament. Les exégètes lui donnent communément un sens similaire à celui de l'iniquité, notamment dans l'expression « mystère d'iniquité »[réf. nécessaire].

Termes historiques

Les exemples historiques tels que l’anarchie militaire dans l’Empire romain dans les années 235-268, ou l’utilisation d'Anarchie (The Anarchy) pour définir la guerre civile anglaise qui opposa deux concurrents au pouvoir, Mathilde l'Emperesse et Étienne de Blois entre 1135 et 1154, est révélateur de ce fait : il ne s’agit pas de situations qui puissent s’apparenter à l’anarchie au sens strict, auquel cas il n’y aurait plus de pouvoir, ni d’autorité, mais d’une désorganisation liée aux pouvoirs concurrents, d’une période politique troublée.

Utilisation péjorative du terme

Bien souvent, le terme « anarchie » est utilisé pour décrire le chaos, les guerres civiles et les situations de désordre social. On peut y voir deux raisons.

La première, sans doute la moins importante, provient du terme « anarchie », interprété comme l’absence d’ordre, de règles et de structures organisées, bref : le chaos de l’anomie sociale. Ce n’est pourtant pas ce que prônent les anarchistes. Pour éviter cette confusion entre anarchie politique et anomie, confusion qui dénature les idées de l’anarchisme, les anarchistes utilisent parfois le mot « acratie » ou libertaire (terme inventé par Joseph Déjacque, défenseur de la liberté politique), comme synonymes d’anarchiste.

La seconde, plus concrète et plus forte, provient des luttes anarchistes au tournant des XIXe et XXe siècle en Europe. À cette époque, le mouvement anarchiste a été marqué par les illégaux ou illégalistes qui voulaient sans attendre pratiquer l’anarchisme (et donc ignorer purement et simplement les « lois », considérées comme illégitimes), le diffuser (théorie de la propagande par le fait) et lutter activement contre les oppressions, y compris par la violence. Concrètement, ces anarchistes "illégaux" ont escroqué, volé et tué au nom de leur doctrine, avec comme victimes des puissants (princes, ministres, riches, compagnies d’assurances, etc.), des serviteurs de l’État (douaniers, policiers, etc.)[réf. nécessaire]. Quelle qu’ait été l’importance réelle de ce courant, il a énormément frappé les esprits. Par ailleurs et inversement, par non-violence, des anarchistes pacifistes, refusaient la conscription et pratiquaient l’insoumission. Tout cela a servi à expliquer la mise en place des « lois scélérates » à la fin du XIXe siècle dans de nombreux pays et stigmatisé l’ensemble des anarchistes, tandis que « anarchiste » ou « Ravachol » devenaient des injures.

L’usage du terme libertaire s’est d’ailleurs répandu en France avec l’interdiction des mots de l’anarchisme, pour des raisons sociales et juridiques (être l’auteur de « propagande anarchiste » est resté passible de prison jusqu’en 1992[4]).

Absence de commandement comme but des anarchistes

Anarchistes face à l’anarchie-anomie

Couverture du livre Communisme et anarchie, de Pierre Kropotkine (1903).

Les anarchistes rejettent en général la conception courante de l’anarchie (utilisée dans le langage courant, par les médias et les pouvoirs politiques). Pour eux, au contraire, l’ordre naît de la liberté, tandis que les pouvoirs engendrent le désordre (voir termes historiques). Certains anarchistes useront du terme acratie, du grec κράτος / krátos (le pouvoir) donc littéralement « absence de pouvoir », plutôt que du terme « anarchie », d’étymologie grecque lui aussi, qui leur semble devenu ambigu, porteur d’un aspect positif mais d’une trop grande connotation négative pour pouvoir être employé comme synonyme d’un objectif désirable. De même, certains anarchistes auront plutôt tendance à utiliser le terme de « libertaires » pour se désigner, ou indifféremment ceux de « fédéralistes », « anti-étatistes » ou « anti-autoritaires ».

Il est arrivé à Bakounine lui-même d’utiliser « anarchie » au sens de désordre, et l’on retrouve cette acception dans les écrits du Comité central de l’Internationale genevoise. Ces formulations ne se retrouvent toutefois plus chez les anarchistes actuels.

Société libertaire

Cependant, les anarchistes utilisent encore le terme, porteur d’une histoire indissociable d’autres notions qui s’y rattachent comme l’anarchisme ou l’anarchie positive de Proudhon (qui est d’ailleurs le premier à donner un sens précis au mot anarchie, utilisé auparavant en guise d’insulte dans les milieux politiques sans avoir jamais été véritablement défini).

L’anarchie aux yeux des anarchistes n’est pas un chaos, mais la situation harmonieuse résultant de l’abolition de l’État et de toutes les formes de l’exploitation de l’humain par l’humain, « c'est l'ordre sans le pouvoir », « la plus haute expression de l'ordre » (Élisée Reclus). Fondée sur l’égalité entre les individus, l’association libre, bien souvent la fédération et l’autogestion, voire pour certains le collectivisme, l’anarchie est donc organisée, structurée, sans admettre pour autant, aux yeux des anarchistes anticapitalistes, de principe de supériorité quelconque de l'organisation sur l'individu. Au début du XXIe siècle, ces principes rejoignent les valeurs propulsées par l'Internet : confiance et autonomie, et que certains libéraux suggèrent d'appliquer aux entreprises et aux administrations[5].

On peut noter que chez tous les anarchistes la qualité indispensable est la responsabilité individuelle (associé au droit naturel) qui permet d’agir dans l’intérêt personnel sans pour autant attenter à la liberté des autres. Les seuls mandatés le sont, par volontarisme et sans durée précise, dans un but et sur un mandat précis, et il n’existe ainsi nulle forme de domination ni de gouvernement.

Expériences historiques (bref aperçu)

En périodes révolutionnaires

En périodes non révolutionnaires

Notes et références

  1. Ely, Richard et al. 'Property and Contract in Their Relations to the Distribution of Wealth' The Macmillan Company (1914)
  2. Élisée Reclus, Développement de la liberté dans le monde,
  3. CRISCO, UFR des Sciences de l'Homme, Département des Sciences du langage, Université de Caen Basse-Normandie, « CRISCO - Dictionnaire des synonymes : anarchie », sur crisco.unicaen.fr (consulté le ).
  4. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=BAFE4FDE26B92D8E54892CCC3C5029DB.tpdjo15v_3?cidTexte=JORFTEXT000000177662&dateTexte=&oldAction=rechJO#LEGIARTI000006491916
  5. Pierre Pezziardi, Serge Soudoplatoff, Xavier Querat-Hément : L'ordre sans le pouvoir, la débureaucratisation par la confiance, 2013.

Annexes

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Bibliographie

Sur le sens d’ « anarchie »:

Vidéos

  • Aurélie Marcireau, L'histoire mondiale de l'Anarchie, LCP, 15 octobre 2014, voir en ligne.

Sources

  • DAUZAT, Pierre-Emmanuel (Traducteur); D'AUZAC DE LAMARTINE, Evelyne (Traducteur); NOZICK, Robert, Anarchie État et utopie, Presses Universitaires de France, 1988, 443 p., résumé en ligne.
  • Marc Deleplace, L'anarchie de Mably à Proudhon 1750-1850, ENS Fontenay / St-Cloud, 2002, lire en ligne.
  • Jacques Monférier, Symbolisme et anarchie, Revue d'Histoire littéraire de la France, Presses Universitaires de France, 65e année, no 2, 1965, p. 233-238, lire en ligne.
  • Miguel Abensour, "Démocratie sauvage" et "Principe d'anarchie", Revue européenne des sciences sociales, Librairie Droz, T. 31, No. 97, La démocratie: une et multiple: Xe colloque annuel du Groupe d'Étude "Pratiques Sociales et Théories", 1993, p. 225-241, lire en ligne.

Articles connexes

Liens externes