Débat autour de l'identité moldave

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La Controverse identitaire en République de Moldavie se déroule dans cet état entre d'une part les « roumanistes » (en roumain Româniști, en russe Румынисты) partisans d'une inclusion de leur identité dans l'identité roumaine, et qui sont dans leur quasi-totalité des autochtones roumanophones, et les « moldavistes » (en roumain Moldoveniști, en russe Молдава́нисты) partisans d'une exclusion de leur identité de l'identité roumaine, et qui sont dans leur majorité des électeurs du parti communiste, regroupant la quasi-totalité des colons slavophones (soit un tiers de la population du pays) ainsi qu'une partie de la population autochtone[1].

Parmi les « roumanistes », une minorité milite pour l'union politique de la Moldavie et de la Roumanie (et, par là, pour l'intégration de la Moldavie dans l'Union européenne et l'OTAN, et pour sa sortie de la sphère d'influence russe), tandis que la majorité revendique la reconnaissance de son identité roumaine dans le cadre de l'état indépendant actuel, mais où toutes les « nationalités » (au sens soviétique du terme) seraient également libres de se définir comme membres de groupes linguistiques et culturels dépassant les frontières du pays (Russes, Ukrainiens, Roumains, Bulgares, etc.)[2]. Parmi les « moldavistes », une controverse secondaire oppose ceux, majoritaires, qui affirment que seuls les « Moldaves » de la République de Moldavie (Republica Moldova) sont des « non-Roumains » à ceux, minoritaires, qui pensent que les Moldaves de la Région de Moldavie en Roumanie (regiunea Moldova) sont eux aussi des « non-Roumains », différents des autres roumanophones de Roumanie mais identiques à ceux de la Moldavie indépendante[3].

Symbole de la controverse identitaire, la louve romaine de Chişinău, cachée à la vue des Moldaves, officiellement pour la protéger.

Histoire

Évolution des définitions

Si le terme moldave désigne en français tout ce qui appartient ou relève de la Moldavie en tant que principauté historique, en tant que région roumaine et en tant qu'État indépendant, l'identité moldave a connu deux étapes radicalement différentes :

À l'époque soviétique, statistiques et cartes ethnographiques ont fait une distinction entre les communautés roumanophones du nord de la Bucovine (région détachée de la Moldavie en 1775 par l'Autriche), comptées en tant que Румынски (roumaines), et celles de Bessarabie (région détachée de la Moldavie en 1812 par la Russie), comptées en tant que Молдаване ("Moldaves"). Cette distinction provient de la thèse soviétique selon laquelle les 105 années de domination russe sur la Bessarabie ont créé ou préservé (selon les auteurs) une nationalité moldave distincte de la nationalité roumaine, alors que les 143 années de domination autrichienne en Bucovine n'ont rien créé, ou bien n'ont pas empêché l'émergence de la nationalité roumaine.

Aujourd'hui les autorités politiques moldaves sont, face aux « roumanistes », les héritières de l'URSS qui officialise le « moldavisme » le 12 octobre 1924 par la création de la République autonome socialiste soviétique moldave (RASS de Moldavie) en Podolie, sur la rive est du Dniestr, au sein de la République socialiste soviétique d'Ukraine (la Bessarabie étant alors roumaine). La RASSM était, selon Hélène Carrère d'Encausse, l'un de ces « bantoustans soviétiques » où les autorités expérimentent des « novlangues », comme Lyssenko expérimentait une nouvelle biologie en créant des règles génétiques sans aucun rapport avec ce qui se passe réellement dans les chromosomes.

Ainsi va apparaître « une langue et une littérature nouvelle » dans la RASS de Moldavie, langue que la plupart des habitants ne savait ni lire ni écrire : le « moldave ». Première étape de rapprochement des langues (donc des populations) « moldave » et russe, cette nouvelle langue est définie comme « romane, mais différente du roumain », considéré comme un élément dangereux par le pouvoir soviétique (la Roumanie était une démocratie parlementaire entre 1921 à 1938). Dans cette nouvelle langue, l'intention russificatrice des autorités de Moscou se manifeste clairement par la substitution de très nombreux mots russes aux mots roumains/moldaves (par exemple mălină au lieu de zmeură pour une framboise, ou bien văgzal au lieu de gară pour une gare de chemin de fer), par le choix systématique des mots d'origine slave au détriment des mots équivalents d'origine romane existant dans la langue usuelle (par exemple duh au lieu de suflet pour l'esprit), par l'interdiction de l'alphabet latin en 1938 (alors que depuis 1859 le roumain s'écrit en caractères latins, également officialisés dans la RASSM en 1932) et par l'adoption du cyrillique russe (alors qu'avant 1859, le roumain s'écrivait en caractères gréco-slavons, que la Bessarabie avait en partie conservés jusqu'en 1919).

En août 1940, lors de l'annexion de la Bessarabie par l'URSS, en application du Pacte germano-soviétique, la RASSM est érigée en République « unionale » à égalité avec l'Ukraine, mais la nouvelle République, officiellement créée « pour » les roumanophones d'URSS, se révèle en pratique être dirigée « contre » eux, et c'est pourquoi lors de la "perestroïka" de Gorbatchev, les autochtones revendiqueront en masse leur rattachement à la Roumanie et c'est un unioniste, Mircea Druc, qui est investi comme président Conseil des ministres de la République socialiste soviétique moldave (25 mai 1990 - 28 mai 1991).

De 1989 à 1991, le retour à l'alphabet latin, l'adoption du drapeau, d'un hymne et d'un nom de monnaie roumains semble sonner le glas du « moldavisme ». Le président moldave Mircea Snegur (agrarien) développa la doctrine « un seul peuple, deux États » pour affirmer l'indépendance de la Moldavie sans nier l'identité roumaine de ses autochtones (pas plus que l'identité russe de ses russophones, etc.). Le président roumain Ion Iliescu déclare en 1992 « nous n'allons pas rompre nos accords avec la Russie pour quelques Moldaves de plus, et puis la Roumanie a déjà deux millions de Magyars et un million de Roms, elle n'a nul besoin d'un million et demi de russophones ! ». Le résultat fut un retour en force du « moldavisme » lors des élections de 1994, lorsque la langue roumaine fut de nouveau officiellement définie comme « moldave », comme à l'époque soviétique.

Accalmies

La controverse identitaire en Moldavie orientale a connu trois périodes d'accalmie[4] :

  • Entre les dates du 2 février 1932 et du 27 février 1938 lorsque les autorités soviétiques ont provisoirement abandonné le « moldavisme » pour donner priorité à la diffusion des idées communistes dans toute la Roumanie, quitte à renoncer à revendiquer la Bessarabie comme ancien territoire de l'Empire russe.
  • Entre les années 1948 et 1975 lorsque la Roumanie communiste s'est docilement alignée sur les positions « moldavistes » de l'URSS : durant cette période, dans les deux pays, quiconque osait suggérer que la doctrine officielle pourrait être discutable, risquait de sévères sanctions allant de la perte d'emploi à la déportation en camp de travail forcé. Après 1975, avec l'apparition de la ligne « national-communiste » en Roumanie sous la présidence Ceaușescu[5] et après 1988 avec l'introduction de la « glasnost » et de la « perestroïka » en URSS sous la présidence Gorbatchev, le « roumanisme » a ressurgi.
  • Entre les années 1990 et 1992 lorsque le « roumanisme » devînt officiel dans les deux pays à la faveur de l'effondrement du « bloc de l'Est » : durant cette période, la Moldavie fut officiellement un état multinational où Bulgares, Gagaouzes, Roumains, Russes, Ukrainiens et autres pouvaient tous, à égalité, se définir comme membres de peuples et de cultures dépassant les frontières de la Moldavie.

Reprise

Avec la reconstitution des mouvements communistes et la reconnaissance internationale de facto d'une zone d'influence exclusive de la Russie sur 12 des 15 anciennes républiques unionales soviétiques[6] (dont la Moldavie), la controverse est réapparue dans le paysage politique, provoquant une guerre civile le long du Dniestr, dégradant les relations entre la Moldavie et la Roumanie et aboutissant, à la date du 29 juin 1994, à ré-officialiser le « moldavisme » en République de Moldavie. Depuis lors, les autochtones qui se déclarent « moldaves » sont officiellement des « citoyens titulaires » (cetăţeni titulari), mais n'ont légalement plus le droit de se définir comme membres d'un peuple et d'une culture dépassant les frontières de la Moldavie, tandis que ceux qui se déclarent « roumains » le peuvent, mais sont officiellement considérés comme une « minorité nationale » dans leur propre pays (voir ci-dessous).

Définition constitutionnelle actuelle de l’identité moldave

Celle-ci ne concerne que la majorité autochtone, et non les minorités. C’est la majorité autochtone et elle seule qui est définie comme "moldave" par les articles 12 et 13 de la Constitution. Plusieurs lois précisent que cette identité exclut l’identité « roumaine »; il est par exemple interdit aux enseignants de cette langue de la qualifier de « roumaine »[7] : toute référence à la roumanophonie est qualifiée par les autorités moldaves de manifestation de l'impérialisme roumain et de ses partisans (décrits comme des adversaires de la nation et agents d'une puissance étrangère)[8].

Par contre, les autres langues (minoritaires) également officielles localement, peuvent librement être dites respectivement "russe", "ukrainienne", "bulgare" ou "gagaouze", sans qu’il soit fait référence à d'éventuels impérialismes russe, ukrainien, bulgare ou turc.

Il est également précisé dans plusieurs décrets que le "moldave" est historiquement antérieur au roumain, puisque la Moldavie a existé comme Principauté (depuis 1359) bien avant la naissance de la Roumanie (1859)[7].

Cette définition officielle de l’identité moldave réserve donc le nom de Moldaves aux seuls roumanophones, et nie leur roumanophonie (puisque le "moldave" est défini comme « langue différente du roumain »).

Si des arguments historiques et ethnologiques sont parfois invoqués dans cette controverse essentiellement politique, c’est le champ linguistique qui est l’enjeu principal de l'argumentation des deux "écoles", « roumaniste » et « moldaviste ».

Références historiques et idéologiques

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Le modèle « suisse » d’une Moldavie réformée, selon les « roumanistes » modérés (non-unionistes), en 1990 (sur la base des raïons de l'époque), et en 2010.

Même s’ils ne sont pas tous hostiles à un partenariat avec l’Union européenne (du moins sur le plan économique), les « moldavistes » se réfèrent explicitement au modèle soviétique et à ses définitions ethniques : Vladimir Voronine, chef du parti communiste et président du pays pendant 8 ans (de 2001 à 2009) est leur chef de file politique et considère les « roumanistes » comme « des fascistes ». Héritiers du passé soviétique, les « moldavistes » craignent le modèle roumain et occidental, et affirment que même si les Moldaves sont liés aux Roumains par une langue et une culture proches, on ne peut pas effacer le fait que la Moldavie a fait partie d'une communauté soviétique constituant elle-même « un univers entier » (Vladimir Voronin)[9]. Les « moldavistes » réclament que le russe (déjà « langue de communication inter-ethnique » légalement) devienne aussi langue d’état à côté du « moldave », et un changement du pavillon national, jugé trop proche de celui de la Roumanie, au profit d’un drapeau aux deux couleurs horizontales rouge en haut, bleu en bas, avec les armoiries jaunes au centre, proche de celui du gouvernement communiste sud-viêtnamien victorieux en 1975[10].

Parmi les « roumanistes », deux modèles coexistent :

  • le modèle « traditionnel roumain » se réfère à la Bessarabie en tant que province de la Roumanie Unie et domine parmi les partisans de la réunification ; une minorité regroupée dans le mouvement « Pro Basarabia et Bucovina » ne reconnaît pas même la légitimité à l’État moldave (considéré comme un instrument soviétique de répression contre les Roumains), réclame l’« abolition des conséquences du pacte Hitler-Staline et le retour aux frontières de 1939[11] ». Ce modèle « traditionnel roumain » souhaite une organisation territoriale unitaire en « Județe » comme en Roumanie. Pour ces « roumanistes » unionistes, l’indépendance de la Moldavie ne constituait que le premier pas vers une réunion à la « mère-patrie » roumaine et, à terme, vers une intégration à l’Union européenne. Pour eux, le terme « moldave » ne devait pas désigner autre chose que l’identité régionale d’une Moldavie réunifiée comme région au sein d'une « Grande Roumanie » démocratique sur le modèle parlementaire de 1918.
  • le modèle « suisse » se réfère au système des cantons et des langues en Suisse : il souhaite une organisation territoriale fédérale mais en entités (« Ocoluri », dans les limites des « raïons » d’inspiration soviétique) égales en droits, autonomes et libres de choisir leurs langues officielles locales, et une politique linguistique nationale donnant à tous les groupes, et pas seulement aux minorités, le droit d’affirmer librement leur appartenance à des cultures dépassant le cadre de la République, y compris la culture roumaine. Ce modèle « suisse » est issu de la doctrine « un peuple, deux pays » de l’ancien président (de 1990 à 1997) Mircea Snegur, qui postule la Moldavie comme un « état multinational, à l’instar de la Suisse et de la Belgique, dans lequel on parle les langues des pays voisins mais qui a sa propre histoire et identité »[12]. Pour ces « roumanistes » non-unionistes, l’indépendance de la Moldavie doit être le moyen de la liberté d’être Roumains au sein d’un état multiculturel dont tous les habitants pourraient se dire Moldaves selon le droit du sol, et non celui du retour au modèle soviétique qui discrimine la majorité autochtone, comme c’est le cas actuellement.
Composition du Parlement moldave en juillet 2009 : en rouge, le P.C.

Les « roumanistes » sont tous en accord pour réclamer que le roumain, langue d’état, devienne aussi la « langue de communication inter-ethnique » (rôle actuellement dévolu au russe).

Si le parti communiste (près de la moitié des sièges au Parlement) a toujours été et demeure fermement le pivot du « moldavisme », les partis libéral et chrétien-démocrate, pivots du « roumanisme », ont infléchi leurs positions en 2005-2006, à la suite de la visite en Moldavie du commissaire européen Günter Verheugen, passant de l’unionisme, jugé depuis lors « facteur de tensions entre l'U.E. et la Russie », à la doctrine « un peuple, deux pays » et au modèle « suisse »[13].

Les humoristes moldaves, tels Valentin Stratan, ont fait de ces controverses un prétexte à rire : « -Comment s’appelle notre langue ? » demandent-ils. « - Notre belle langue ! » répondent-ils, par allusion à l’hymne national (dont c’est le titre).

Enjeux

L'identité moldave historique est compatible tant avec l'identité roumaine (dans laquelle elle est incluse) qu'avec le droit du sol (selon lequel tout habitant de la Moldavie est un moldave quelles que soient ses origines, sa culture, sa langue). L'identité moldave soviétique et post-soviétique, en revanche, n'est compatible ni avec le droit du sol, ni avec l'identité roumaine. Elle relève clairement du droit du sang, car selon cette définition, seuls les autochtones de la Moldavie sont des « moldaves », et cette « moldavité » doit les exclure des Roumains.

De cette incompatibilité découle la controverse identitaire, dont le résultat sur le terrain est qu'à l’ouest du Prut (en Moldavie occidentale, roumaine et incluse dans l'Union européenne soit 43 % de la Moldavie, et où les Moldaves sont 98 % de la population) peuvent être la fois Moldaves et Roumains, tandis qu'à l'est du Prut (en République de Moldavie et en Ukraine, soit 57 % de la Moldavie, où les Moldaves sont 63 % de la population) ils doivent choisir entre être Moldaves ou Roumains (plus de 90 % choisissent la première solution, qui a les faveurs des autorités)[14].

Enjeux linguistiques

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Graffitis politiques "roumaniste" et "moldaviste" en Moldavie : à gauche, sur la plaque de l'association moldaviste "Limba noastră" ("Notre langue") à Chişinău, on a tagué "Română" ("Roumaine") ; la formule à droite (signifiant "je suis moldave, je parle la langue moldave") est calquée du russe Я Молдаване, я говорю на Молда́вский язы́к: un locuteur natif du moldave aurait écrit Sînt moldovean, vorbesc moldovenește[15].

Sur le plan scientifique, cette controverse empêche l’émergence de recherches indépendantes et embrigade toutes les études dans des démonstrations opposées dont les enjeux sont :

  • la reconnaissance ou non d'un ensemble roumanophone différent de l’ensemble politique des citoyens roumains ou moldaves (qui ne sont pas tous roumanophones) et dont les locuteurs se comprennent spontanément et intégralement sans avoir besoin de traducteur ;
  • la reconnaissance ou non de l’antériorité de l'endonyme de "roumain" sur celle de "moldave" pour désigner les habitants et leur langue[16] ;
  • la reconnaissance ou non du fait que les parlers régionaux anciens (de Moldavie, de Transylvanie, de Valachie et de Dobrogée) étaient des variétés du daco-roumain et non des langues différents, variétés inter-intelligibles à l’ensemble des locuteurs et unifiées au XIXe siècle par-delà les frontières politiques, grâce aux progrès de l’éducation, comme ce fut le cas ailleurs en Europe avec d’autres langues.

La querelle qui oppose les « roumanistes » aux « moldavistes » porte d’abord sur deux points :

  • le roumain et le moldave sont-ils deux langues différentes ou s’agit-il d'une même langue ?
  • s’il s’agit d’une même langue, est-on en droit de lui donner plusieurs noms, différents d’un État à l’autre, ou doit-on n'en choisir qu’un seul ?

Les locuteurs, eux, se comprennent spontanément et complètement sans traducteur ni dictionnaire, et aucune distinction n’est faite entre ces deux langues par les linguistes, qui s’accordent à admettre que le fond lexical de base et la structure grammaticale sont identiques, même s’il existe un accent régional et quelques expressions spécifiques (qui se retrouvent d’ailleurs des deux côtés de la frontière séparant Roumanie et Moldavie).

Du point de vue strictement linguistique, le roumain et le moldave sont une seule et même langue : le daco-roumain, langue abstand en termes de sociolinguistique, c’est-à-dire langue dont les dialectes passés ou actuels présentent assez de traits structurels communs scientifiquement établis, pour constituer une langue unitaire dont tous les locuteurs natifs se comprennent spontanément et intégralement. À son tour le daco-roumain fait partie d'un diasystème, terme utilisé en dialectologie: le diasystème roman de l'Est, dont font aussi partie les dialectes disparus istro-roumain et megleno-roumain, et la langue abstand actuelle aroumaine.

Les linguistes appellent ce diasystème ERO (ensemble roman oriental) et considèrent que la langues ausbau actuelle daco-roumaine, appelée "roumain" en Roumanie et "moldave" en Moldavie, est une entité unique.

Le cas du daco-roumain comme langue recevant des dénominations différentes (voire des alphabets différents) dans des états différents pour des raisons politiques, n’est pas unique : voir Bosnien-Croate-Monténégrin-Serbe ou Hindi-Ourdou.

C'est pourquoi, afin de crédibiliser leur point de vue, les « moldavistes » ont publié en juillet 2003 à Chişinău un « dictionnaire moldave-roumain » de 347 pages avec plus de 19 000 entrées, sous la direction de Vasile Stati, président du département de la Culture du Parti des communistes de la République de Moldavie (PCRM). C'est dire si les autorités de Chişinău accordent de l’importance à la question : en dépit des manifestations et grèves du corps enseignant, les « moldavistes » alignent les experts pour accréditer la thèse d'une « différence fondamentale » qu'il y aurait entre :

  • les Roumains de Roumanie qui parlent roumain, issus d'un peuple parlant un fond roman peu influencé par le slave, puisque localisés dans un espace balkanique (malgré 20 % de mots slaves en roumain)
  • et les Moldaves de République de Moldavie, parlant moldave, issus d'un peuple parlant le même fond roman mais très influencé par le slave, compte tenu de leur appartenance à un espace russo-pontique.
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Cartes ethniques soviétiques de 1988 et de 1991 (en ukrainien) montrant les "peuples roumains et moldave" (le premier en jaune, le second en vert clair) comme différents : la première est conforme à la position officielle soviétique des années 1938-1990 (qui est aussi la position officielle actuelle des états membres de la CEI), la seconde au point de vue des « moldavistes maximalistes » qui incluent parmi les Moldaves, ceux de la Roumanie voisine.

Les « moldavistes » sont toutefois divisés entre eux : dans la préface du dictionnaire de 2003, une carte géographique de la Roumanie et de la République de Moldavie montre la zone où l’on parle le moldave : elle s’étend bien à l’intérieur du territoire de la Roumanie, jusqu’aux Carpates. Ainsi, chaque pays soutient une thèse touchant à la population de l’autre pays, par-delà la frontière séparant lesdeux Moldavies. Cependant, les Moldaves de Roumanie manifestent tous la même opinion que leur administration, alors que ceux de République de Moldavie sont plus divisés quand il s’agit de la thèse de leur propre administration.

Le recensement de 2004

La législation moldave suit le « droit du sang » : lors du recensement de 2004[17], les citoyens pouvaient au choix se déclarer « Moldaves » ou « Roumains », mais s'ils prenaient la seconde option, ils étaient considérés comme « minoritaires » dans leur propre pays, car les autorités encouragent l’identité moldave, et considèrent l’identité roumaine comme l'expression d’un expansionnisme étranger ; toutefois, un « Moldave » pouvait déclarer le « roumain » comme langue maternelle. Résultats : parmi les 2 742 005 locuteurs du daco-roumain langue maternelle (70 % de la population),

  • 2 667 729 se sont déclarés « Moldaves », dont :
    • 2 183 497 avec le « moldave » comme langue maternelle (78,42 % des locuteurs) ;
    • 484 232 avec le « roumain » comme langue maternelle ;
  • 74 276 (3 % de la population) ont osé se déclarer « Roumains » avec le « roumain » comme langue maternelle, soit 558 508 locuteurs déclarés du roumain (21,58 % des locuteurs)[18].

Si la législation moldave suivait le « droit du sol » et n'avait pas appelé officiellement « moldave » la langue autochtone, tous les habitants du pays seraient également des « Moldaves » quelles que soient leurs langues, et le « roumain » serait la langue de 70 % d'entre eux, à côté du russe, de l’ukrainien, du gagaouz et du bulgare… sur le modèle suisse où tous les habitants du pays sont également des « Suisses » quelles que soient leurs langues, l'« allemand » (et non le « suisse ») étant la langue de 70 % d'entre eux, à côté du français, de l’italien, du romanche.

L’alphabet

La principauté de Moldavie, comme celle de Valachie et comme les roumanophones transylvains utilisaient initialement l’alphabet cyrillique gréco-slavon[19].

La plupart des lettrés et des journaux de Bessarabie sont passés progressivement à l’alphabet latin dans le courant du XXe siècle, comme ceux de Transylvanie, de Bucovine et de Valachie: ce mouvement était corrélatif du développement du sentiment national roumain dans ces pays. Lors de la première déclaration d'indépendance en 1917, le "Sfatul Ţării" de la République démocratique de Moldavie adopta officiellement l'alphabet latin que le Royaume de Roumanie maintint (et que la République socialiste soviétique autonome moldave d'Ukraine, créée en 1924, utilisa jusqu'en 1938).

En 1938, les Soviétiques décident de revenir à l'alphabet cyrillique dans la RSSA moldave, et en 1940 ils l'étendent à toute la République socialiste soviétique moldave. L'intention officiellement déclarée est alors de revenir aux racines du peuple moldave, d'avant l'occupation impérialiste roumaine. Pourtant, l'alphabet cyrillique adopté n'est pas l'ancien alphabet gréco-slavon[20] de la Principauté de Moldavie, mais l'alphabet russe, légèrement adapté. Et la langue de communication inter-ethnique n'est pas le moldave, mais le russe, ce qui fait qu'en pratique, tous les Moldaves sont obligés de connaître le russe, alors que les non-Moldaves peuvent très bien ignorer la langue du pays.

En 1989, le Soviet suprême de la RSS de Moldavie de celle-ci proclame le roumain « langue de communication inter-ethnique » et décide de revenir à l'alphabet latin, mais la mesure n'est pas appliquée dans les « rayons » de la rive gauche du Dniestr ("Transnistrie"). Depuis l'indépendance (août 1991) la situation inaugurée en 1989 perdure : la langue d'État (officiellement appelée "roumain" de 1991 à 1994) est écrite en caractères latins sur la rive droite du Dniestr, et en caractères cyrilliques russes sur la rive gauche. Depuis 2004, le russe est à nouveau la seule « langue de communication inter-ethnique », ce qui fait qu'en pratique, un tiers des citoyens moldaves sont officiellement dispensés de connaître la langue d'État.

Les noms de lieux

Sous les régimes russe et soviétique, la toponymie avait été « russifiée » : Chişinău (rendu par « Quichinaou » ou par « Kichenaou » sur les cartes d'état-major napoléoniennes d'avant l'annexion russe) est devenue Кишинев (Kichinev ou Kichiniov), Orhei est devenue Оргэев (Orgeev ou Orgueïov) et ainsi de suite. Chaque fois que l'autorité russe ou soviétique a eu à choisir entre un nom moldave et un nom turc, ukrainien ou autre, elle a choisi le second, au détriment du nom moldave : Akkerman, Bender, Bolgrad, Ismail ou Kagul plutôt que Cetatea-Albă, Tighina, Palada, Obluciţa ou Frumoasa. À l'époque soviétique, même des noms de villages ont été russifiés : Ciubărciu est devenu Чобручь (Cioburciu), Ediniţa: Единець (Edineţ), Codăeşti et Jibrieni: Приморске (Primorske), Gălileşti : Десантне (Desantne), Zoreni: Староселье (Staroselje).

En outre, sur le plan étymologique, pour occulter tout lien avec la Moldavie historique, l'historiographie soviétique a systématiquement attribué des origines tatares aux toponymes, fussent-elles difficilement soutenables et sans sources[21]. C'est le cas par exemple de Dubăsari, Chişinău ou Orhei, signifiant respectivement "coracliers" en roumain (un coracle est un bac rond manoeuvré à la rame), Kis-Jenö "la petite source" et Vàrhély "la citadelle" en magyar (il y avait ici des garnisons sicules transylvaines postées par les voïvodes moldaves pour précisément empêcher les raids des Tatars). La version soviétique officielle (toujours en vigueur en Russie et Ukraine, et de ce fait dans de nombreux articles en anglais et allemand) est que ces trois toponymes auraient des origines composites principalement tatares, respectivement de Dîmbu-Sarî (du tatar Sarî, "jaune", avec le roumain Dîmb, "colline" devant), de Kîşla-Nouă (du tatar Kîchla, "hivernage", avec l'adjectif roumain Nouă, "nouvelle") et de Yanği-Şer (du tatar Yanği, "nouvelle" et de l'arabe Shehr, "ville" - cette version allant de pair avec la version fantaisiste qui figure dans certaines éditions de l'Encyclopédie soviétique, selon laquelle nom de « Bessarabie » signifierait "région désarabisée" par l'Empire russe, version qui n'a aucun fondement scientifique, d'autant qu'il n'y a jamais eu d'Arabes dans la région, mais qui a pour rôle d'occulter l'origine roumaine du nom de « Bessarabie »).

Après 1989, le professeur Anatol Eremia de l'Académie des Sciences de Moldavie et son équipe de géographes, d'historiens, de philologues et de cartographes se sont attelés à la tâche de "restauration toponymique", mais lors du changement constitutionnel de 1994, le processus est interrompu et la toponymie officielle de la République de Moldavie officialise les noms de lieux hérités de l'époque russe et soviétique (par exemple Edineţ et Bender plutôt qu'Ediniţa et Tighina)[22].

Le nom du pays

Lors de la première indépendance de la république de Moldavie, le 24 janvier 1918, le "Sfatul Ţării" choisit le nom de "Moldavie" plutôt que "Bessarabie", parce que "Bessarabie" (qui ne désignait avant 1812 que l'actuel "Boudjak") avait été donné en 1812 par les Russes, et parce que les députés voulaient souligner l'identité entre la Moldavie russe et la Moldavie roumaine[23].

Mais paradoxalement, après l'union moldo-roumaine du 27 mars 1918, la Roumanie choisit d'utiliser le nom de Bessarabie pour ce qui devint alors une nouvelle province du royaume. Pour l'administration roumaine, c'était plus commode de distinguer ainsi ce pays de la Moldavie occidentale, appelée « Moldavie » tout court. Du coup, ce sont les Soviétiques qui, le 12 octobre 1924, utiliseront le nom de « Moldavie » pour la région autonome qu'ils créent alors en… Ukraine, sur la rive podolienne du Dniestr, dans le but de reprendre à leur compte l'identité moldave… pour mieux l'opposer à l'identité roumaine[24]. Lors de l'érection de la RSS de Moldavie en république fédérée soviétique en août 1940, sur un territoire incluant désormais 60 % de la "Bessarabie" prise à la Roumanie, le nom de Moldavie est maintenu (traduit en anglais par Moldavian SSR et en allemand par Moldauischer SSR).

Lors de la seconde indépendance, en août 1991, le nom de "Moldavie" n'est pas remis en question, mais il est utilisé contradictoirement par les « roumanistes » et les « moldavistes ». Les premiers s'en servent, comme le "Sfatul Ţării" jadis, pour souligner l'identité entre la république de Moldavie et la Moldavie roumaine; au contraire, les "moldavistes" essaient de différencier le nom de la Moldavie indépendante, de celui de la Moldavie historique. Alors que les "roumanistes" utilisent en anglais, français et allemand les noms historiques de "Moldavia", "Moldavie" et "Republik Moldau"[25], les "moldavistes" parviennent à accréditer à l'ONU, en anglais et dans les langues latines, le néologisme "Moldova" (forme pourtant roumaine du nom) par opposition à la forme historique Moldavia, Moldavie ; et en allemand, le néologisme "Moldawien" par opposition à la forme historique Moldau. L'effacement du nom historique s'accompagne, comme à l'époque soviétique, de distorsions et d'occultations de l'histoire moldave : la tendance est de séparer (notamment dans les livres scolaires d'histoire) le territoire de l'actuelle république du reste de l'ancienne principauté (l'actuelle région roumaine de Moldavie), en affirmant que ce territoire n'a pas été partie intégrante de la Moldavie historique, mais successivement de la Russie kiévienne, de la Lituanie, puis de l'Empire ottoman[26].

Le nom de la majorité autochtone

Ce débat porte sur l'appartenance de la majorité autochtone à l'ensemble historique et géographique moldave, et à l'ensemble linguistique roumain. Pour les "moldavistes", ces ensembles sont exclusifs l'un de l'autre, alors que pour les "roumanistes", l'ensemble moldave est inclus dans l'ensemble roumain.

Les "moldavistes", s'appuyant sur Ernest Gellner qui écrit que "ce sont les États qui créent les nations", affirment que la notion de Roumain (pour roumanophone) n'apparaît qu'avec la Roumanie moderne, tandis que la notion de Moldave seule, serait historique. Selon leur point de vue, l'introduction de l'identité roumaine en Bessarabie est artificielle, c'est le fait de quelques intellectuels citadins et anti-russes du XIXe siècle, et de l’impérialisme roumain qui a annexé le pays en 1918.

Les « roumanistes », eux, soulignent que les premiers témoignages de l'utilisation de l'ethnonyme “Romain” par les roumanophones, pour se désigner eux-mêmes, datent du XVIe siècle. Ainsi Francesco della Valle en 1532 et Tranquillo Andronico en 1534, traversant la Transylvanie et la Moldavie, attestent que les Roumains ("Valachi") "s’appellent eux-mêmes Romains"[27]. En 1542, le saxon transylvain Johann Lebel note que les "Valaques" se désignent eux-mêmes sous le nom de « Romuini“[28] alors que le chroniqueur polonais Orichovius (Stanisław Orzechowski) observe en 1554 qu’ «en leur langue les Moldaves s’appellent Romini»[29]. L'Italien Ferrante Capeci écrit vers 1575 écrit que les habitants de ces Principautés s’appellent eux-mêmes Roumains (Romanesci)[30] tandis que Pierre Lescalopier remarque en 1574 que "Dans tout ces pays de Wallachie et Moldavie et la plupart de la Transilvanie… ceux du pays se disent vrais successeurs des Romains et nomment leur parler romanechte, c'est-à-dire romain… "[31]. Le croate Anton Verancsics remarque vers 1570 que les roumanophones vivant en Transylvanie, Moldavie et Valachie se nomment eux-mêmes Romains (Roumains)[32].

Les chroniqueurs moldaves, tels Grigore Ureche, utilisaient en parallèle le terme Moldave (pour les habitants de la Moldavie) et Roumain (pour ceux de ce pays, de la Valachie et de la Transylvanie)[33].

À cela, les "moldavistes" rétorquent qu'au Moyen Âge, la dénomination ethno-linguistique rumân/român signifiait surtout « roturier » et « serf », de même que la dénomination valaque signifiait aussi « berger ». Pour eux, ces termes n'ont donc pas de sens ethno-linguistique, celui-ci n'étant apparu que tardivement, au XIXe siècle.

Ainsi, les mêmes sources historiques, interprétées dans un sens ou dans l'autre, sont utilisées dans la controverse identitaire moderne, au grand dam des historiens, tels Nicolae Chetraru, Anatol Eremia ou Anatol Petrencu, qui auraient aimé pouvoir, après 1991, faire des recherches indépendantes des considérations politiques actuelles.

Le clivage religieux

Si 98 % des habitants de la Moldavie sont orthodoxes, cette confession n'est pas non plus épargnée par la controverse, les « roumanistes » étant affiliés à l'église roumaine de Moldavie dépendant du Patriarcat de Bucarest, tandis que les « moldavistes » sont affiliés à l'église russe de Moldavie dépendant du Patriarcat de Moscou (mais dont les liturgies utilisent aussi le roumain là où les fidèles le demandent). Dans la pratique, les deux églises se partagent les fidèles, les paroisses et le territoire (dans maints quartiers et villages, on trouve ainsi deux églises) ; dans la théorie, chacune revendique seule la légitimité canonique, les « roumanistes » arguant de l'obédience historique jusqu'en 1836 aux Métropoles de Suceava puis de Iaşi, et de 1918 à 1944 au Patriarcat de Roumanie, les « moldavistes » arguant de l'obédience au Patriarcat de Moscou de 1836 à 1918 et depuis 1944.

Le clivage politique

Sur le plan politique les enjeux sont un héritage de l'histoire soviétique.

Politique intérieure

Sur le plan politique intérieur, la controverse identitaire suscite une tension permanente dans la société moldave :

  • elle suscite les protestations de la majorité du monde scientifique et du corps enseignant (d’où grèves et manifestations continuelles) ;
  • elle introduit parmi les citoyens des différences de droit, en interdisant à la majorité autochtone le libre développement de sa culture par delà les frontières de l’État (comme peuvent le faire les minorités), puisque si un russophone peut librement se prévaloir et se nourrir de la culture russe, un roumanophone ne peut pas librement se prévaloir et se nourrir de la culture roumaine ;
  • elle exclut les minorités de la communauté politique "moldave", ce qui fait qu’elles ne témoignent d’aucun attachement à cet État ;
  • elle entretient une instabilité constitutionnelle et législative (la Constitution, de nombreuses lois, l’hymne de l’État, l’organisation territoriale, les uniformes, les institutions, ont subi de nombreux changements depuis l’indépendance). Cela décourage les investisseurs (le PIB de la Moldavie a longtemps été inférieur à celui du Bangladesh et reste le plus bas d’Europe ; 34 % de la population active est expatriée) ;
  • elle empêche la construction d’un patriotisme local, de donner à l’ensemble de la population confiance dans l’avenir du pays (comme on le voit à travers les graves problèmes de l’enseignement et à travers la proportion élevée de doubles ou triples citoyennetés parmi les ressortissants Moldaves) ;
  • elle s’est traduite par une organisation territoriale où le fédéralisme n’est pas une association à égalité entre unités territoriales aux mêmes droits, mais une discrimination juridique et économique au profit de deux d’entre elles (et au détriment des autres) : celles où le gouvernement n’a aucune autorité et qui constituent des zones de non-droit ouvertes à divers trafics (capitaux illicites, armes, tabac, stupéfiants, prostitution, sang, organes) ;
  • elle biaise les relations de la Moldavie avec les pays voisins, car pour rassembler ses électeurs, chaque parti politique se sert de ses relations privilégiées avec l’un des pays voisins, et pour les effrayer, il dénonce les relations privilégiées des partis adverses avec d’autres pays.

Politique internationale

Sur le plan politique international, depuis les élections de 1994, la controverse détériore les relations entre la Roumanie et la République de Moldavie sans pour autant améliorer celles de la Moldavie avec la Russie ou l’Ukraine, et surtout, sans permettre de réaliser les espérances du gouvernement actuel, à savoir d’établir la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire et notamment en Transnistrie. Depuis que la frontière de l'Union européenne s’est établie sur le Prut, en 2007, la question linguistique grève les relations de la Moldavie avec l’Union européenne, dont la Roumanie fait partie et qui ne reconnaît pas la langue moldave, car la Roumanie refuse de ratifier tout document déniant la « roumanité » des autochtones de la République de Moldavie. Or, dans les pays slaves de l’ex-URSS (et à leur suite, chez beaucoup d’auteurs anglo-saxons et allemands), les habitants roumanophones de la République de Moldavie et d’Ukraine sont comptés comme "Moldaves", ce qui correspond à la position des « moldavistes ». En revanche, concernant la diaspora des citoyens moldaves à travers le monde, ceux-ci sont comptés comme "Moldaves" toutes langues confondues, conformément aux sources du Ministère moldave des affaires étrangères et au droit international ; mais les Moldaves de Roumanie, eux, sont exclus de ce décompte puisque les autorités roumaines les comptent comme Roumains. Ainsi, dans l’approche exclusivement politique et statistique de ces pays et de ces auteurs, le sens du mot Moldaves (russe : Молдаване, anglais : Moldovans) devient confus pour deux raisons :

  • il peut signifier deux choses différentes (seulement un roumanophone en Moldavie et Ukraine, mais un citoyen de la Moldavie y compris de langue russe, ukrainienne, bulgare ou autre, dans la diaspora), emmêlant ainsi les notions d’"ethnie" (telle qu’elle était définie en Union soviétique) et de citoyenneté ;
  • il ne s’applique pas aux Moldaves de Roumanie qui représentent pourtant plus de la moitié des Moldaves (en tant qu’autochtones du territoire de l’ancienne principauté).

Il y a donc, au sein même de l’Union Européenne, dont la Roumanie fait partie, des divergences directement issues de la controverse identitaire, dans l’acception des notions de "Moldaves" et de "Roumains", au point qu’en 2007, le Comité des Ministres de l’Union européenne a été pris à témoin et sollicité pour en juger.

En effet, le 24 novembre 2007, les députés communistes moldaves Irina Vlah et Grigori Petrenco ont été élus, lors du IIe congrès du Parti de la gauche européenne, à Prague, membres du bureau exécutif de ce parti (à dominante communiste).

Courant 2007, Grigori Petrenco a contribué à la fondation en Roumanie d'une « Association des Moldaves de Roumanie » réservée aux natifs de la République de Moldavie, déclarés en tant que « nationalité ». Connaissant la loi roumaine et jouant sur le fait qu’en droit roumain « nationalité » et « citoyenneté » sont deux choses différentes (« nationalité » y signifie « ethnie »), Grigori Petrenco s’attendait à ce que la Roumanie (dont les lois ne reconnaissent pas d’ethnie moldave différente de l'ethnie roumaine) réagisse en interdisant cette association. Ce qui se produisit par la décision no 4094/866/2007 du tribunal de Paşcani (une ville de la Moldavie roumaine).

À la publication de cette décision, Grigori Petrenco, jouant sur le fait qu’en Union européenne (et en droit international) « nationalité » signifie « citoyenneté », accusa la Roumanie de ne pas reconnaître aux Moldaves et aux personnes originaires de la république de Moldavie, le droit constitutionnel de s’associer. « La décision des autorités roumaines », écrit-il, « viole les droits des personnes déclarant appartenir à la nationalité moldave (droit d’association, liberté d’expression, liberté de conscience et identité). Les mesures prises par les autorités roumaines visant à imposer à certaines personnes une identité ainsi que la non-reconnaissance de l’identité des personnes se définissant comme Moldaves, en Roumanie et au-delà des frontières de ce pays, sont inacceptables (les Moldaves ne font même pas partie de la liste officielle des minorités vivant en Roumanie) ».

Le 26 juin 2008, Grigori Petrenco a présenté au Comité des Ministres de l’Union européenne, la question no 551 relative au « refus des autorités roumaines de reconnaître aux personnes déclarant appartenir à la nationalité moldave le droit d'association, la liberté d'expression, la liberté de conscience et d'identité » (document no 11668): « Dans quelle mesure l’attitude des autorités roumaines est conforme avec les normes du Conseil de l’Europe et quelles dispositions le Comité des Ministres compte prendre pour prévenir la violation du droit des Moldaves à l’identité nationale en Roumanie et pour mettre fin à cette violation ? »[34].

Géopolitique

Sur le plan géopolitique, la Moldavie présente ainsi un exemple de ces inventions d'identités nationales par des États post-soviétiques ou post-yougoslaves à la fin du XXe siècle[35]. Cette réinvention, que les dirigeants de ces États ont estimée nécessaire pour légitimer leur indépendance (plutôt que de s'appuyer sur des valeurs universelles et transculturelles), repose sur deux développements principaux :

  • la construction d'une histoire propre insistant sur tout ce qui sépare l'État de ses voisins ;
  • l'affirmation de l'existence d'une langue locale (ici moldave, ailleurs monténégrine ou macédonienne).

L'élite politique et culturelle s'est ainsi divisée en une fraction « pro-unification » (avec la Roumanie en Moldavie, avec la Serbie au Monténégro, avec la Bulgarie en Macédoine) et une fraction indépendantiste (qui dans les trois cas a obtenu la majorité).

Comme en Moldavie, ces constructions d'identités nouvelles ont donné lieu à des dérives hors du champ scientifique : ainsi, des auteurs macédoniens s'appuient sur des sources qui prouveraient un lien de filiation entre le macédonien actuel (langue slave apparue avec la migration des Slaves dans les Balkans au VIe siècle de notre ère) et la langue macédonienne antique (langue thrace hellénisée bien antérieure)[36]

On retrouve ces querelles identitaires en Biélorussie et en Ukraine, où les anciens dissidents de l'époque soviétique, pro-européens et pro-occidentaux, cherchaient à s'éloigner du modèle soviétique et à se rapprocher du modèle polonais ou balte (cf. Révolution orange et Euromaïdan), tandis que les « pro-russes » tels Alexandre Loukachenko ou Viktor Ianoukovytch, craignant ce modèle, cherchent au contraire à reconstituer le monde soviétique et à se rapprocher de Moscou : à cet égard, la politique du gouvernement Voronine en Moldavie a été la même que celle du gouvernement biélorusse[37].

Bibliographie

Articles connexes

Notes et références

  1. Nicolas Trifon, « La Langue roumaine au cœur de la problématique de reconstruction nationale de la république de Moldavie », in Wanda Dressler (éd.), Le Second Printemps des nations, p. 257-281, et Alain Ruzé, La Moldova, L'Harmattan, Paris, 1997, (ISBN 2-7384-6018-6).
  2. Stella Ghervas, "Les Moldaves, le passeport roumain et l'Europe: incompréhensions sur fond de misère", Regard sur l'Est, 15 novembre 2006 et Nicolas Trifon, « La Langue roumaine au cœur de la problématique de reconstruction nationale de la république de Moldavie », in Wanda Dressler (éd.), Le Second Printemps des nations, p. 257-281.
  3. Gheorghe Negru, La Politique ethnolinguistique en Moldavie, Prut International, Chișinău 2000, (ISBN 9975-69-100-5).
  4. Politica etnolingvistică în R.S.S. Moldovenească (Politique ethnolinguistique en RSS Moldave), éd.: „Prut Internaţional”, Chişinău, 2000, 132 pp.
  5. Catherine Durandin: Histoire des Roumains, Ed.: Fayard, 1995, (ISBN 978-2-213-59425-5)
  6. La zone d'influence exclusive de la Russie s'étend sur 12 des 15 anciennes Républiques unionales soviétiques car elle n'inclut pas les trois pays baltes, intégrés dans l'Union européenne.
  7. a et b http://www.parlament.md/download/laws/ro/546-XV-19.12.2003.doc
  8. Academia Romana combate "limba moldoveneasca": ZIUA
  9. Article 20 minutes 07/04/09
  10. Voir site du parti communiste : [1].
  11. Site de ce mouvement : [2]
  12. Site du parti « Renaissance et Conciliation » (Partidul Renaşterii şi Concilierii din Moldova) dirigé par Mircea Snegur : [3]
  13. Positions du Parti communiste sur [4], du Parti chrétien-démocrate sur [5] et du Parti libéral sur Site officiel
  14. Article 13 de la Constitution de la république de Moldavie
  15. Cette précision est systématiquement revertée sur le Wikipédia anglophone par des contributeurs "moldavistes".
  16. Voir notes plus bas.
  17. rezultatele oficiale ale recensămîntului din Republica Moldova
  18. Statistica Moldovei
  19. * Denis Deletant, Inscriptions slavonnes de Moldavie, Transylvanie et Valachie du Xe au XVIIe siècle, Ed. Encyclopédique, Bucarest 1991
  20. Costache Negruzzi, Courrier des deux sexes, I, nr. 22, p. 337–343 et Denis Deletant, Slavonic letters in Moldova, Wallachia & Transylvania from the tenth to the seventeenth centuries, Ed. Enciclopedică, Bucharest 1991 montrent que l'alphabet cyrillique moldave moderne, utilisé pour la langue roumaine en URSS depuis 1938, est dérivé de l'alphabet cyrillique russe, étant différent de l'ancien alphabet cyrillique gréco-slavon utilisé par la langue roumaine avant 1857 (mais ponctuellement jusqu'en 1918 en Bessarabie): А а, Ъ ъ (= ă), Б б, Β β, Ґ γ, Δ δ, Є є, ζ ʝ, С с, І ι, К к, Λ λ, М м, Ν н, О о, П п, Р р, Т m, Υ υ, Ф ф, Х х, Џ џ (= ț), Ч ч, Ш ш, Щ щ (= șt), Ђ ђ (= î, â), Ξ ξ (= x), Ζ z
  21. * Gheorghe Negru: La politique ethno-linguistique en RSS de Moldavie, éd. Prut international, Chişinău, 2000, ISBN 9975-69-100-5.
  22. * Anatol Petrencu, Au service de la muse Clio, université d'État, Chişinău, 2001, ISBN 9975-78-118-7 et Que faire de la toponymie soviétique ? sur Toponimia sovietică, ce facem cu ea? (Part I) et Toponimia sovietică, ce facem cu ea? (Part II-a).
  23. Anthony Babel, La Bessarabie, Félix Alcan, Genève, 1929
  24. Gheorghe Negru, La Politique ethnolinguistique en RSS moldave, Prut international, Chişinău 2000, ISBN 9975-69-100-5
  25. Gouvernement de Moldavie: La république de Moldavie, Universitas, Chişinău, 1991, com. 10.969
  26. Anatol Petrencu : Au service de la muse Clio, université d'État de Chişinău, 2001, ISBN 9975-78-118-7
  27. "nunc se Romanos vocant" A. Verress, Acta et Epistolae, I, p. 243 "...si dimandano in lingua loro Romei...se alcuno dimanda se sano parlare in la lingua valacca, dicono a questo in questo modo: Sti Rominest ? Che vol dire: Sai tu Romano ?…" Cl. Isopescu, Notizie intorno ai romeni nella letteratura geografica italiana del Cinquecento, in Bulletin de la Section Historique, XVI, 1929, p. 1- 90
  28. "Ex Vlachi Valachi, Romanenses Italiani, /Quorum reliquae Romanensi lingua utuntur…/Solo Romanos nomine, sine re, repraesentantes./Ideirco vulgariter Romuini sunt appelanti", Ioannes Lebelius, De opido Thalmus, Carmen Istoricum, Cibinii, 1779, p. 11 – 12
  29. St. Orichovius, Annales polonici ab excessu Sigismundi, in I. Dlugossus, Historiae polonicae libri XII, col 1555
  30. “Anzi essi si chiamano romanesci, e vogliono molti che erano mandati quì quei che erano dannati a cavar metalli…” in Maria Holban, Călători străini despre Ţările Române, vol. II, p. 158 – 161
  31. Voyage fait par moy, Pierre Lescalopier l’an 1574 de Venise a Constantinople, fol 48 in Paul Cernovodeanu, Studii şi materiale de istorie medievală, IV, 1960, p. 444
  32. „…Valacchi, qui se Romanos nominant…„ “Gens quae ear terras (Transsylvaniam, Moldaviam et Transalpinam) nostra aetate incolit, Valacchi sunt, eaque a Romania ducit originem, tametsi nomine longe alieno…“ De situ Transsylvaniae, Moldaviae et Transaplinae, in Monumenta Hungariae Historica, Scriptores; II, Pesta, 1857, p. 120
  33. " În Ţara Ardealului nu lăcuiesc numai unguri, ce şi saşi peste seamă de mulţi şi români peste tot locul…", Grigore Ureche, Letopiseţul Ţării Moldovei, p. 133-134
  34. [assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/WorkingDocs/Doc08/FDOC11668.htm - 15k -] et - 22k -
  35. Petar Bojanic, « Souveraineté, pseudo-souveraineté, tutorat: l'exemple des états ex-yougoslaves », Revue d'études politiques et constitutionnelles est-européennes, n° spécial, Presses universitaires de la faculté de droit de Clermont-Ferrand, ISSN 1632-451X
  36. SystХme universitaire de documentation - Search Short List
  37. Cf. Matei Cazacu et Nicolas Trifon (éds), La Moldavie ex-soviétique : histoire et enjeux actuels, Paris, éd. Acratie, 1993.