National-libéralisme

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Au XIXe siècle, le national-libéralisme (ou libéralisme national) désigne un courant politique allemand.

La formation du nationalisme allemand au début du XIXe siècle

Reprenant souvent dans les premières années du XIXe siècle les idées de la Révolution française (la nation comme « communauté de citoyens », d'abord fondée sur l'ordre juridique de l'État et l'adhésion à une même Constitution, la Staatsnation), le nationalisme allemand[1] va en diverger rapidement. La mainmise par Napoléon Ier sur les États allemands amène une réaction : le patriotisme allemand prend pour moteur la résistance à cette emprise et apparaissent les penseurs qui centrent au contraire leur conception de la nation sur une singularité historique du peuple allemand, la Volksnation : Joseph Görres ou Johann Gottlieb Fichte se font les premiers chantres de la germanitude.

Après le départ des Français, c'est l'influence du Romantisme qui va imprégner le nationalisme allemand. Idéalisation du passé, particulièrement du Moyen Âge, et aussi de Luther en Allemagne protestante : on se fonde sur les grands héros allemands et on met en avant la Kulturnation. Même si ces conceptions sont davantage portées à cette époque par les penseurs les plus réactionnaires tels le Saxon Adam Müller et qu'un libéral comme le Badois Karl von Rotteck déclare préférer la liberté sans unité à l'unité sans liberté[2], les rêves romantiques imprègnent aussi les forces les plus progressistes ; ainsi l'essayiste libéral français Saint-Marc Girardin écrit-il en 1835[3]

« Le libéralisme allemand aime la philosophie de 89, la Révolution française, les journées libératrices de juillet ; en même temps il adore le Moyen Âge avec sa noblesse indépendante et fière, avec ses villes libres (...)» alors qu'il devrait «se rattacher purement et simplement à la philosophie politique que la France a promulguée en 89, il a des tendresses pour les libertés locales et mesquines du XIIIe et du XIVe. siècles »

Première spécificité allemande donc, soulignée par T. Nipperdey (il écrit, à propos de l'époque du Vormärz : «En Allemagne, le nationalisme et le libéralisme ne se contentaient pas de marcher main dans la main, ils étaient en fait identiques.»[4]), les idéologies libérale et nationale sont toutes deux progressistes ; elles attirent ceux qui veulent faire évoluer l'ordre ancien dans le sens de l'autonomie —qu'il s'agisse de libertés individuelles à faire prospérer par des Constitutions libérales ou de l'auto-détermination du peuple allemand conduisant à son unité.

Deuxième spécificité allemande, l'alliance entre une nostalgie réactionnaire qu'on rattacherait ailleurs au seul conservatisme et la pensée économique ou antiautoritaire de la bourgeoisie capitaliste, pour qui l'idéal national allemand est attirant non seulement par ses facettes idéologiques mais aussi par les potentialités de développement commercial qu'il recèle (abolition des frontières douanières)[5].

Vers la constitution d'un parti national-libéral : du Parlement de Francfort à la guerre austro-prussienne

L'ébullition politique de 1848 va marquer un pas important dans la formation en Allemagne d'un système de partis, même si les historiens divergent sur l'appréciation de la structuration des familles politiques au sein du Parlement de Francfort (H. Kaack jugeant qu'on ne peut y voir apparaître des partis au sens moderne, Dieter Langewische estimant au contraire que les fractions parlementaires étaient clairement perçues comme structurantes, même par les contemporains)[6]

C'est d'abord en 1847 que deux rassemblements d'hommes politiques libéraux venus de toute l'Allemagne vont se succéder. Le premier, formé de libéraux «démocrates», se réunit à Offenbourg le  ; le second rassemble 18 libéraux «modérés», convoqués par David Hansemann à Heppenheim le  : ceux-ci vont faire de l'unité allemande le point primordial de leur programme. On peut voir dans cette succession de deux réunions la première manifestation de la division de la famille libérale qui interviendra vingt ans plus tard, et voir dans la réunion d'Heppenheim les prémices de l'organisation d'un parti national-libéral[7] ; d'autres historiens y voient au contraire une analyse abusive, essentiellement issue d'une analyse marxiste de chercheurs est-allemands, et reportent à 1848 les premiers symptômes de la division de la famille libérale.

L'année 1848 c'est celle du parlement de Francfort, un événement majeur tant pour l'histoire de la libéralisation politique que pour celle de la formation de l'unité nationale. Dans ce parlement aussi bien les libéraux que les conservateurs se regroupent en « fractions », sortes de groupes parlementaires informels et nouvelle étape vers la formation de partis politiques constitués. C'est la fraction Casino, la plus nombreuse du Parlement avec près de 200 membres politiquement situés à la droite de la représentation libérale, qui par son positionnement se rapproche sans doute le plus de ce qu'on nommera bientôt national-libéralisme : un libéralisme modérément démocratique, attaché au suffrage restreint, et qui fait de la question de l'unité nationale sa priorité absolue.

Après que Frédéric-Guillaume IV de Prusse a refusé en 1849 de «ramasser la couronne dans le caniveau», les espoirs des révolutionnaires de 1848 s'effondrent, et une période de réaction s'ouvre. État après État on limite la liberté d'association et de réunion ; et surtout toute fédération d'associations est prohibée, interdisant toute formation à l'échelle panallemande de partis politiques. Pendant plus de dix ans, rien n'existe qui établisse une continuité entre les fractions du Parlement de Francfort et le premier parti politique libéral qui sera fondé en 1861. Le Parti libéral national est formé en 1866.

En revanche sur le plan de l'évolution de la doctrine nationale-libérale, on doit noter en 1853 l'invention par le journaliste Ludwig August von Rochau, dans son essai Grundsätze der Realpolitik, d'un terme qui va faire fortune bien au-delà du monde germanophone : le mot Realpolitik[8]. Ses idées vont prospérer parmi l'aile droite du libéralisme, qui l'utilisera pendant des décennies pour justifier de son rapprochement avec la droite conservatrice.

Résurgences du terme

On constate une résurgence du terme, non plus dans l'acception originelle centrée sur l'Allemagne mais bien en tant que terme désignant une idéologie nationaliste politique couplée à un libéralisme économique.

Espace francophone

La revue Réfléchir et agir désigne sous le vocable de nationaux-libéraux (libéraux nationalistes) le réseau de droite de la droite constitué par le Carrefour de l'horloge, la fondation Polémia, Renaissance 95, Radio Courtoisie, une partie du Mouvement national républicain (MNR) et certains aspects du Mouvement pour la France (MPF). Il en désigne comme figures actuelles: Jean-Yves Le Gallou, Henry de Lesquen, Paul-Marie Coûteaux, François-Georges Dreyfus, Alain Dumait et Bruno Mégret[9]. Le Carrefour de l'horloge théorise le national-libéralisme dans son premier ouvrage collectif, Les Racines du futur, publié en 1977, qui plaide pour « une libération de l'initiative individuelle » ancrée sur « les racines identitaires de la Nation française »[10],[11]. Le sociologue Edmond Marc Lipiansky emploie le terme dans son livre de 1979: L'âme française ou le national-libéralisme. Analyse d'une représentation sociale[12]. Le Front national est parfois classifié comme national-libéral[13]. La revue Devenir distingue les nationalistes-révolutionnaires, qu'elle catégorise dans les idéologies ayant une vision sociale développée et les nationaux-libéraux, qu'elle qualifie proches d'un programme économique de droite[14].

Durant l'entre-deux tours de l'élection présidentielle française de 2012, le syndicat SUD Étudiant qualifie dans un communiqué la politique menée par Nicolas Sarkozy depuis 2007 de « nationale-libérale »[15]. Le journaliste Laurent de Boissieu indique qu'« aujourd'hui, l'expression national-libéralisme est couramment utilisée pour désigner ceux des souverainistes qui sont à la fois libéraux à l'intérieur et protectionnistes à l'extérieur » : il prend ainsi comme exemple le Mouvement pour la France et la formule de Philippe de Villiers selon laquelle « la seule politique économique raisonnable est la suivante : à l'extérieur, protéger, à l'intérieur, libérer »[16].

En 2019, Guillaume Larrivé porte un « projet national-libéral » à l'occasion de sa candidature à la présidence des Républicains[17].

États-Unis

L'auteur Yael Tamir emploie le terme dans son livre Liberal Nationalism (1995)[18].

Bibliographie

Articles connexes

Notes et références

  1. Cette section a pour l'essentiel été écrite à partir de Thomas Nipperdey Deutsche Geschichte 1800-1866 — Bürgerwelt und starker Staat Verlag C.H. Beck (consulté sous sa traduction anglaise Germany from Napoléon to Bismarck, 1800-1866 Princeton University Press (ISBN 069102636X))
  2. Alfred Wahl Les forces politiques en Allemagne Armand Colin 1999 (ISBN 2200016670), p. 28
  3. in Notices politiques et littéraires sur l'Allemagne Paris 1835, cité par Lucien Calvié dans l'article Unité nationale et liberté politique chez quelques libéraux allemands au début des années 30 dans Naissance et évolution du libéralisme allemand, Françoise Knopper et Gilbert Merlio éd., Presses Universitaires du Mirail (ISBN 2858162468)
  4. Dans Germany from Napoléon to Bismarck, 1800-1866, op. cité, p. 269
  5. Voir en ce sens Le romantisme politique et l'idée de nation in Naissance et évolution du libéralisme allemand op. cité.
  6. Cité par Alfred Wahl, op. cit. p. 43.
  7. Ainsi Alfred Wahl met-il en relief cette division du courant libéral en deux tendances en 1847 (op. cit. p. 34)
  8. L'influence de cet essai est soulignée par Thomas Nipperdey, (op. cit. p. 639-640)
  9. Réfléchir et agir, n°31, hiver 2009, Les sept familles de l'extrême-droite française, par Eugène Krampon, p. 42.
  10. Renaud Dély, Histoire secrète du Front national, Grasset, , 336 p. (lire en ligne).
  11. Jean-Yves Camus, « Le Front national et la Nouvelle Droite », dans Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Mayer (dir.), Les Faux-Semblants du Front national : sociologie d'un parti politique, Paris, Presses de Sciences Po, (lire en ligne), p. 104.
  12. Edmond Marc Lipiansky, L'âme française ou le national-libéralisme. Analyse d'une représentation sociale, Anthropos, 1979.
  13. Libres, Le Pen: National-Liberalisme
  14. La rédaction, « Éditorial », dans Devenir, n° 21, été 2002, p.3.
  15. http://www.sud-etudiant.org/communiques/communiques-sud-etudiant/article/pour-la-rupture-avec-le-sarkozysme
  16. Laurent de Boissieu, « National-libéralisme », sur europe-politique.eu (consulté le ).
  17. « Guillaume Larrivé candidat à la présidence des Républicains », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  18. Yael Tamir, Liberal Nationalism, Princeton University Press (juillet 1995)