Pierre Boulez

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Pierre Boulez
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Pierre Boulez lors d'une conférence de presse
au Palais des beaux-arts de Bruxelles le 25 octobre 2004.

Naissance (99 ans)
Montbrison, Drapeau de la France France
Activité principale Compositeur, chef d'orchestre
Style Musique contemporaine
Années d'activité depuis 1945
Collaborations Ircam, Orchestre symphonique de la BBC, Orchestre philharmonique de New York, Ensemble intercontemporain
Maîtres Olivier Messiaen, René Leibowitz
Distinctions honorifiques Grammy Award
Praemium Imperiale

Œuvres principales

Pierre Boulez, né à Montbrison dans la Loire le , est un compositeur, pédagogue et chef d'orchestre français.

Il est une personnalité influente du paysage musical et intellectuel[1] français contemporain.

Le compositeur

Boulez apprenti

Il prend ses premiers cours de piano à l’âge de sept ans. Après des études secondaires au petit séminaire de Montbrison, l’institut Victor de Laprade, il est admis à Lyon en classe de mathématiques supérieures pour l’année scolaire 1941-1942 qu’il délaisse l’année suivante pour se préparer au concours du Conservatoire de Paris où il rentrera en 1943. En 1944, il étudie le contrepoint avec Andrée Vaurabourg et entre dans la classe d’harmonie d'Olivier Messiaen dont il finira par bouder les cours au printemps 1945 pour aller étudier le sérialisme avec René Leibowitz. Mais jugeant son enseignement trop rigide quant à l’application des techniques héritées de la seconde école de Vienne, il prend également ses distances avec ce dernier dès l'automne suivant et retrouve assez vite une complicité avec Messiaen : « Échanger Messiaen contre Leibowitz, c’était échanger la spontanéité créatrice, combinée avec la recherche incessante de nouveaux modes d’expression contre le manque total d’inspiration et la menace d’un académisme sclérosant » racontera-t-il plus tard à Antoine Goléa.

Il compose durant cette époque sa Première Sonate pour piano (1946) qui, plus encore que la Sonatine pour flûte et piano, effectue la synthèse des influences récentes du jeune compositeur. Puis se trouvent ses cantates Le Visage nuptial et Le soleil des eaux, appuyées sur des poèmes de René Char et souvent décrites comme sa période lyrique, ainsi que sa 2e sonate pour piano (1948) écrite à 23 ans, chef-d'œuvre du « premier Boulez », d’un lyrisme véhément prenant pour cadre le modèle de la sonate beethovénienne pour mieux le pulvériser en poussant plus loin l’exploration des techniques sérielles.

De la table rase au Marteau sans maître

Au début des années 1950, influencé par le « Mode de valeurs et d’intensités » d'Olivier Messiaen (1949), Boulez s’oriente vers un sérialisme généralisé à d'autres paramètres que les hauteurs dans Polyphonie X et surtout dans l'austère mais fondamental 1er livre des Structures dont l'aridité se fait source d'une sève nouvelle[2] : dans cette œuvre pour deux pianos, il fait table rase de toutes réminiscences stylistiques et vise ce qu’il appelle une « pulvérisation furieuse de la continuité », cherchant d’abord à faire « cligner les oreilles » – y compris les siennes ! - pour ensuite reconquérir une symbiose nouvelle entre hauteurs, dynamiques et durées ; démarche similaire à celle d’un joueur de flipper d’abord confronté aux ricochets chaotiques des billes contre les obstacles - certes contraignants mais non moins ludiques - qu’il finit par apprivoiser par des actions bien senties pour en extraire un mode de jeu plus personnel. Par cette attitude, Boulez recherche en fait un couplage optimal entre système et idée[3]. Très critiqué sur cette œuvre, il fustigera alors autant les détracteurs du sérialisme que leurs épigones, les premiers baissant un peu vite les bras devant ce nouveau terrain de jeux tandis que les seconds, succombant au joies de la découverte, s’y abandonnent parfois jusqu’à une soumission excessive (d’où la brouille avec Leibowitz) sans toujours parvenir à transformer l’essai.

Avec ses « Deux études » pour bande magnétique, Boulez poursuit sa quête d’un sérialisme plus généralisé en se livrant à des expériences au studio de musique concrète de Pierre Schaeffer mais l’entente avec ce dernier n’est pas aisée du fait de leurs préoccupations esthétiques radicalement opposées autant que le seront leurs ouvrages respectifs : Penser la musique aujourd'hui et le Traité des Objets Musicaux, qui n’œuvrent pas dans les mêmes sphères de l’écoute. Le musicien d’écriture qu’est Boulez préfère, comme ses prédécesseurs, compter sur sa forte personnalité pour combiner les sons et semble craindre dans les recherches de Schaeffer le risque de se laisser embobiner par des sons à la trop forte personnalité, « tout aimable qu'elle soit »[4]. En effet, de même que la forme abstraite, très contrainte du 1er livre des Structures évoqué au paragraphe précédent se voyait prise en mains puis vivifiée par Boulez, ce dernier exige aussi de la matière sonore - instrumentale ou électroacoustique - qu’elle puisse se plier à sa volonté. « Je te raconterai toutes les engueulades que j’ai eues avec Schaeffer : ce serait matière à un énorme in folio ! » rapporte-t-il à John Cage en 1953 lors de leurs échanges épistolaires avant que la prise de conscience de leurs propres divergences esthétiques finisse elle aussi par avoir raison de leur amitié par-delà l’Atlantique.

À cette époque, la conviction qu’éprouve Boulez de se trouver à un tournant de l’histoire de la musique (tant au niveau des langages qu’en matière de technologies) s’affirme de plus en plus au travers de propos ou d’écrits pour le moins tranchés ou provocateurs, le compositeur ne ménageant pas davantage les partisans du dodécaphonisme que leurs adversaires :

Ainsi, dans l’article au titre assassin « Schönberg is dead » publié dans la revue anglaise The Score, Boulez porte un regard lucide mais très critique sur le père de la musique à douze sons, pourtant décédé depuis peu, lui reprochant d’avoir un langage certes novateur mais dont les ressorts intérieurs n’ont pas su se libérer suffisamment des amarres de la rhétorique classique, entraînant de ce fait des tensions contradictoires dans les éléments du discours musical. Puis dans un autre article titré « Éventuellement » paru dans la Revue Musicale, il déclare haut et fort que « Tout musicien qui n’a pas ressenti – nous ne disons pas compris, mais bien ressenti - la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE. Car toute son œuvre se place en deçà des nécessités de son époque ».

Pierre Boulez (1968)

Dans ces écrits publiés respectivement en février et mai 1952 puis repris en 1966 dans ses Relevés d’apprenti, Boulez cherche surtout à « dissocier le phénomène sériel de l’œuvre de Schönberg » davantage qu’à rejeter en bloc l’héritage de ce dernier, dont il deviendra en fait un des plus brillants interprètes. Il y précise que la technique sérielle n'est pas un décret mais une constatation, un aboutissement historique plutôt que le postulat hasardeux que se plaisent à y voir les détracteurs. Son insistance sur l’adjectif « ressenti » (occulté il est vrai par le fortissimo des majuscules d’ « INUTILE »...) montre également qu’il a très tôt attaché de l’importance au fait perceptif. « Boulez était révolutionnaire mais partisan de l’évolution, et non pas de la révolution en soi » écrit Daniel Barenboim, interviewé dans le Chicago Sunday Times en mars 2005[5]. Inspiré par Webern chez qui il admire la façon inédite de structurer l’espace sonore, de « le fibrer en quelque sorte » mais également séduit par le couplage hauteur/timbre au sein des pièces pour piano préparé de John Cage, Boulez tente lui aussi d'explorer de nouveaux modes combinatoires en synthétisant les apports de la seconde école de Vienne en matière d’atonalité à ceux de Stravinski et de Messiaen relatifs au rythme et au timbre. Composé en 1954, on peut considérer Le Marteau sans maître comme le fruit de toutes ces réflexions. Comme le rappelle le musicologue Célestin Deliège[6], Boulez y fait usage d'une technique personnelle de multiplication de complexes sériels dont l’importance ira grandissante dans son évolution stylistique et qui lui permet d’allier cohérence interne et souplesse d'écriture, d’articuler la forme de l’intérieur plutôt que de la contraindre de l’extérieur comme pour le 1er livre des Structures. C'est également par ce procédé, sur lequel il reviendra dans Penser la musique aujourd'hui, qu'il repense et élargit les notions classiques d'accord ou de voix musicale et s'écarte davantage du style pointilliste et presque expérimental de Polyphonie X, pièce qu'il finira d'ailleurs par renier. Ainsi, la grande inter-dépendance des relations de hauteur, de rythme, de dynamique et de timbre font du Marteau sans maître - où il retrouve René Char - une œuvre emblématique, probablement l’une de ses plus achevées, des plus closes. Pourtant, l’imbrication complexe des neuf pièces qui la composent – sorte de « combinatoire supérieure » selon Boulez - évoque déjà l’image du labyrinthe dont il finira les années suivantes par rendre les parois plus amovibles avec la notion d’œuvre ouverte, apparemment aux antipodes de celle d’achèvement. Les percussions du Marteau sans maître semblent d’ailleurs parfois se souvenir des pizzicati de son Quatuor de 1949 qu’il rebaptisera Livre pour quatuor et dont les pièces peuvent être jouées ensemble ou séparément.

La période « ouverte »

En effet, en réaction aux techniques de composition aléatoire chez John Cage auquel il reproche, dans ses Relevés d’apprenti, l’usage peu contraignant d’un « hasard par inadvertance », Boulez introduit une part de hasard nettement plus contrôlé dans ses œuvres dès 1957 en laissant à l'interprète le choix d'interpréter ou non certains fragments, ou de changer leur ordonnance, se trouvant en cela une parenté d’inspiration avec Stéphane Mallarmé ; en particulier la typographie particulière du poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ou la structure en feuillets mobiles du « Livre », ouvrage posthume dont Jacques Scherer avait publié les notes la même année. Mais c’est surtout son idée des complexes sériels et de leur capacité à autoriser tout un réseau d’enchaînements dans le temps même de l’écriture qui amena naturellement Boulez à faire usage de procédés similaires dans le temps même de l’interprétation. Sa 3e sonate pour piano constitue avec le Klavierstück XI de Stockhausen l’une des premières œuvres ouvertes. Avec son écriture en chausse-trappes et ses « attaques par en dessous » (comme les qualifie le musicologue Dominique Jameux), cette sonate semble vouloir sortir de ses gonds comme pour mieux faire sauter les verrous du langage sur lequel elle s’appuie. Elle se veut ainsi la plus anonyme possible, ne renvoyant qu'à elle-même et exige de son interprète à la fois précision et distanciation.

Boulez introduit également une dose d'aléatoire les cinq années suivantes – au cours desquelles il s’installe en Allemagne - dans son 2e livre des Structures ainsi que dans Pli selon pli, cycle de cinq pièces sur des poèmes de Mallarmé et aboutissement de cette période créatrice, bien qu'il en fera une révision dans les années 1980 en réduisant la part aléatoire et en remaniant profondément le 4e mouvement. Il s’y nourrit autant de Webern que de Debussy, trouvant dans leur style respectif un sens de l’ellipse, une synergie entre syntaxe instrumentale et structure musicale qui lui rappellent l’écriture mallarméenne : « adéquation parfaite du langage à la pensée, n'admettant aucune déperdition d'énergie », écrivait-il à propos du poète dans ses Relevés d’apprenti. À l'inverse de la 3e sonate qui vise l'anonymat, cette œuvre de grande envergure sous-titrée "portrait de Mallarmé" est parfois considérée, par la synthèse esthétique qu'elle incarne, comme un autoportrait du compositeur ; introduite par un violent accent tutti, la matière musicale s'y déploie par pans successifs - pli selon pli - à la manière d’un éventail auquel Boulez la compare parfois, dévoilant une texture sonore cernée de silences, ces derniers incarnant moins des pauses que des points de tension qui tiennent le discours en embuscade puis finissent, dans une dialectique étirement/rupture, par le précipiter vers sa fin abrupt. La trajectoire globale de l’œuvre s’apparente ainsi à « une dentelle [qui] s’abolit » (sonnet utilisé dans le mouvement central). Dans les nombreuses compositions où il fait appel à des poètes tels Stéphane Mallarmé, René Char ou E. E. Cummings, Boulez s’inspire autant du contenu que de la structure des poèmes, ces derniers irriguant le discours musical en même temps qu’ils sont comme phagocytés ou dissous par lui, « à la fois au centre et absent » de la composition, expression qu’aime à citer Boulez en paraphrasant Henri Michaux.

Durant toutes ces années 1950-60, il est un grand pédagogue, à Darmstadt, à la Musik Akademie de Bâle et à l'université de Harvard puis dans les années 1960-70, alors que son rôle de chef d’orchestre l’accapare de plus en plus, Boulez explore également de nouvelles pistes en matière de composition : dans Figures-Doubles-Prismes, il s’intéresse davantage à l’aspect spatial de l’orchestration en faisant voyager les accords de timbre d’un groupe d’instrumentistes à l’autre et dans Domaines ou Rituel in memoriam Bruno Maderna, il s’écarte nettement de la disposition frontale classique en projetant le discours musical dans l’espace de la représentation scénique ; démarche que le musicologue Philippe Albèra rapproche (dans l'Encyclopédie pour le XXIe siècle) de l’éclatement de l’écriture dans ses œuvres ouvertes, d’autant que ces deux pièces autorisent une certaine flexibilité au chef qui les dirige. On peut considérer Rituel comme l’œuvre la plus accessible mais aussi la plus jouée de Pierre Boulez, son « Boléro » en quelque sorte (mais dont les dernières mesures engendrent puis imposent le silence plutôt qu’un crescendo triomphateur).

Vers une musique plus organique

Durant cette même époque, il écrit Éclat/Multiples, œuvre charnière dont la 1re section « Éclat » avec ses instruments résonnants n’est pas sans rapport avec l’atmosphère éthérée et tendue de Pli selon pli ni même avec ses préoccupations aléatoires (le chef donnant l’ordre ou non d’exécuter telle ou telle partie instrumentale) tandis que le segment « Multiples » préfigure le style plus compact et plus effervescent des œuvres à venir. Cette partition illustre parfaitement les concepts chers à Boulez de « temps lisse » - libéré de la mesure, comme en apesanteur - et de « temps strié » - plus contraint sur le plan du rythme et de la forme - qui furent définis dès 1963 dans Penser la musique aujourd'hui puis souvent évoqués par la suite dans ses cours au Collège de France de 1976 à 1995. Ces notions sont indépendantes de celles d’atonalité ou de tonalité et peuvent même opérer simultanément sur des plans orchestraux différents. Elles rejoignent les préoccupations d'un Paul Klee auquel le compositeur consacra le livre Le pays fertile en 1989 et s’inscrivent dans sa volonté de trouver dans l’écriture des dimensions plus globales, plus à même d’assurer la fonction d’interface entre pensée musicale et médium instrumental ; avec pour corollaire l'instauration d'une relation plus organique, moins analytique entre le compositeur et ses interprètes. Ainsi, si les musiciens d’Éclat se doivent d’obéir dans l’instant à chaque signal de départ initié par le chef, ce dernier doit également composer dans un temps plus déployé avec les résonances qui fusent des instruments[7] et qui le font finalement entrer dans la danse : on passe en somme d’une pensée qui forme à une forme qui pense. En assimilant une dimension libre dans sa structure plus organisée, cette pièce semble se nourrir d’elle-même et pousse d’ailleurs le musicologue Olivier Meston à se demander si Boulez a pensé la structure avant ou après la traduction sonore dont l’écoute ne serait que la partie visible de l’œuvre, telle la partie émergée d’un iceberg qui cacherait ses sources ; changement de paradigme qui s’accentue dans la section suivante de l’œuvre - le segment « Multiples » - qui voit sa forme comme embrasée par le feu qu’Éclat couvait sous sa glace : de façon pour le moins inattendu, Boulez précise avoir été influencé par le son des cornemuses dont le substrat mélodique se trouve progressivement dérangé par les ornementations, les « tortures » dit-il, que lui infligent les joueurs écossais[8]. Dans ses cours au Collège de France[9], il aborde plus généralement ces « dangereuses oscillations » ou ces « étranglements » entre objet et langage qui peuvent néanmoins être exploités afin de conduire à une « véritable radiographie à la fois de l’objet et du langage » ; loin d’être le remplissage d’un cadre formel préétabli, cette section invente en effet sa trajectoire, la mène à « l’inconnu par le RÈGLEMENT de tous les sens »[10] en s’appuyant sur les ressorts internes de sa morphologie, quitte à ce que ces derniers la fassent sortir de ses rails. Un peu comme font des forces agissant de concert sur les infrastructures d’un édifice pour mieux le mettre en branle, parfois jusqu’à la rupture (au pont de Tacoma par exemple[11]). Cette évolution du langage confère à Éclat/Multiples son « atmosphère vibratoire signalant comme l’essence même de la musique » écrit Dominique Jameux. Cette composition prolonge la pièce autonome Éclat et est considérée par son auteur comme une œuvre inachevée, en devenir, susceptible d’accueillir une 3e partie.

Cette manière qu'a Boulez de réviser ses pièces donne souvent l'impression d'un manque de sûreté dans l'acte compositionnel alors que c'est précisément de l'inverse qu'il s'agit. Lorsqu'il fait une nouvelle version, cela ne veut pas dire que l'ancienne est indigne d’intérêt mais qu'elle contient un potentiel de développement qu'il juge utile de (ou dommage de ne pas) poursuivre. On peut dire que le développement d’une œuvre (via l’interface pensée musicale/médium instrumental évoquée plus haut) est à l'image des mutations successives d’une cellule vivante (dont la membrane poreuse sert à échanger les informations biologiques entre milieu extérieur et noyau interne) et que chaque étape de développement s’apparente dans l’esprit de Boulez à une cellule entière et non pas simplement une ébauche. Autrement dit, l'avant ou l’avant-avant-dernière version de telle ou telle partition représentait déjà une œuvre en soi. Précisons néanmoins que cette cellule suscite moins la simple application d’un programme qu’elle ne le contrarie : « le malentendu qui nous guette et dont nous devons terriblement nous méfier, c’est de confondre composition et organisation » écrit en effet Boulez dans l'article « … Après et au loin » en 1954. « J'ai un tempérament qui essaie de fabriquer des règles pour avoir le plaisir de les détruire plus tard » confie-t-il également à Célestin Deliège dans Par volonté et par hasard[12]. Ainsi, les contraintes liées aux langages dodécaphoniques, sériels, etc., incitent son imagination à prendre des chemins que peut-être elle n'aurait pas pris sans elles ; ce qui lui permet précisément de ne pas s'enfermer dans un système, c'est-à-dire de « traverser l'écran » pour faire allusion à l'article que le philosophe Michel Foucault écrivit en 1982 à propos du compositeur[13]. Cette faculté qu’a l’écriture chez Boulez de se nourrir d’elle-même, de façon « fruc-tueuse » pourrait-on dire, pour se développer au-delà d’un cadre formel préétabli lui fit rapprocher sa démarche du concept philosophique de «rhizome» défini en 1976 par Deleuze et Guattari[14]. Répons, composé dans les années 1980, en est un très bon exemple et incarne un nouvel aboutissement dans son parcours esthétique : grâce à la grande complétude architectonique de ses dimensions harmoniques et thématiques (perceptible dès les premières mesures), cette œuvre souvent qualifiée de « spirale » par son auteur dispose de tous les atouts pour se déployer sans se disperser ; elle a connu de multiples extensions et a même donné naissance à deux pièces « satellites » intitulées Dérive 1 et Dérive 2, cette dernière ayant également connu plusieurs révisions. Dans la même logique, on peut citer également Incises, courte pièce pour piano dont l’extension pour ensemble instrumental donna Sur incises aux dimensions nettement plus vastes ou encore les Notations pour orchestre qui dérivent de ses notations pour piano de 1945 sans en être pour autant l’orchestration.

Le temps de l'Ircam et du Collège de France

Du « principe de non-fixité » à la « perpétuelle ductilité »

Confirmant la cohérence de sa démarche, ce souci obsessionnel qu’a Boulez de ne pas vouloir s’enfermer, on le retrouve du reste[15] dans sa conception des institutions telles que l'Ircam, lieu de recherche et de création musicales qu'il fonde en 1969 dans le cadre du centre Georges-Pompidou ou la Cité de la musique, salle d’orchestre dont il a influencé le projet vers une plus grande modularité (ce qu’il avait déjà tenté en vain lors de la construction de l’opéra Bastille) : dans les deux cas, il s’agit d’optimiser l’environnement technologique afin de ne pas étouffer ni circonscrire l’invention musicale et même de la stimuler en favorisant l’éclosion de nouveaux territoires esthétiques (à l’instar de l’ajout d’une 3e pédale lançant les bases du piano moderne au XIXe siècle). Ainsi, loin de mener à une impasse, l’antagonisme apparent entre l’idée de créer un « environnement » et la volonté de « ne rien circonscrire » pousse au contraire ces instituts à se reconfigurer sans cesse au gré des projets ou des concerts; des « œuvres architecturales ouvertes » en quelque sorte. Il n'est donc pas étonnant de retrouver cet intérêt boulezien pour les formes mobiles autant dans la structure en mosaïques[16] toujours renouvelées de sa pièce ...explosante-fixe..., créée à New York en janvier 1973 puis retravaillée dans les départements de l’Ircam, que dans la façon dont il envisageait la fonction et l’imbrication de ces derniers la même année lors de la rédaction du Programme définitif de l’Institut, insistant, comme le rappelle Peter Szendy, sur « le principe de non-fixité, à savoir qu’une structure doit inéluctablement évoluer vers une autre ». Le 13 mai 1968, Boulez prononça à Bordeaux une conférence intitulée « Où en est-on ? » pour faire une mise au point sur la situation du monde de la musique classique et il y enviait celui des variétés qui échappe à la pesanteur des traditions et du répertoire : « Là, les instruments évoluent, par exemple les guitares électriques n’existaient pas il y a dix ans, et on en fabrique maintenant à la demande, et cet instrument lui-même évolue ». C’est un peu dans le même esprit - le rejet de toute forme de sclérose - qu’il avait exprimé sa colère en 1966 via les colonnes du nouvel observateur à propos de la réorganisation de la vie musicale française proposée par André Malraux[17] puis, de façon plus anecdotique, qu’il avait ironiquement suggéré en 1967 à un journaliste du Spiegel sa volonté de « brûler les maisons d’opéra »[18] avec en tête le souci d’y apporter un second souffle mais aussi d’en décloisonner le public.

En fait, derrière toutes ces considérations se trouve une question plus fondamentale qui a toujours intéressé Boulez : qu'est-ce au juste qu’une œuvre « achevée » ? Boulez ne considère pas ses partitions comme des reliques sacrées et les changements qu’il y opère sont moins des corrections que des approfondissements. Il a besoin de poursuivre sa quête intérieure, mais c'est aussi la partition qui lui renvoie des idées, dans un jeu de va-et-vient. Ainsi, la part "aléatoire" de la 3e sonate nous invite à en découvrir les différentes facettes comme on le ferait en marchant autour d’une statue : loin d'être induite par une incapacité à achever un discours musical, la forme ouverte représente plutôt un moyen d’en explorer toutes les potentialités en proposant à l'interprète différents parcours, chacun d'entre eux incarnant l'un des multiples visages d'une même Œuvre rêvée, rejoignant par là l'utopie du "Livre" Mallarméen. Quant à Dérive 2 et ses nombreuses bifurcations, elle semble puiser son énergie dans le fait de ne jamais trouver de point d'équilibre ou plutôt dans le plaisir qu'elle a de les fuir (au point qu’on pourrait rebaptiser l'œuvre « Dérive puissance 2 »…) mais elle n’est pas plus inachevée pour l’oreille que ne l’est un mobile de Calder pour la vue.

Ces deux formes représentent deux pôles de l’écriture boulezienne : d’un côté, l’aléatoire ou l'entropique contrôlé et de l’autre une forme de déterminisme « hors de contrôle », instable par nature car conçue pour accueillir « l'accident » cher au compositeur. Deux formes duales qui opéraient comme une conversion réciproque dans Éclat/Multiples et qui sont davantage couplées dans Répons où l'on assiste à une sorte de double régulation ; notamment dans le climax de l’œuvre qui semble renvoyer à cette « perpétuelle ductilité » évoquée par Boulez dans le chapitre « Entre ordre et chaos » des Leçons de musique et qui permet à l’écriture d’atteindre un rendement maximal. Un rendement également assuré via l’électronique - qui transforme le jeu des solistes autant qu’elle informe celui de l’ensemble - et dont le rôle médiateur prolonge en quelque sorte celui des résonances d’Éclat : libre à l’auditeur d’y percevoir l’écume du discours ou son ferment, c'est-à-dire de l'entendre comme une réminiscence de ce qui fut ou comme une prémonition de ce qui sera (sorte d'extension de la notion de leitmotiv). Pour évoquer Répons, Boulez a d’ailleurs coutume d’utiliser l’image du musée Guggenheim de New York dont l’architecture en hélice permet au visiteur d’apercevoir ce qu'il va voir de près au moment suivant, mais aussi ce qu'il vient de voir et qui est déjà loin[19]. De façon plus générale, Boulez est très friand de ces dualités catégorielles, foyers d’articulation de son langage : ainsi, les agrégats des complexes sériels pouvant être, à la manière de l'éventail, soient plaqués verticalement sous forme d’accords ou soient déployés horizontalement en arpèges composés ; ou encore dans la Sonatine pour flûte et piano, la confrontation entre athématisme et thématisme, prémisse de ce qu’il qualifiera beaucoup plus tard d’écriture « amorphe » ou de « processus » en opposition à une écriture plus « morphe » ou « évènementielle »[20]. L’efficacité d’un tel couplage rejoint ce que dira plus tard le mathématicien René Thom - fondateur de la théorie des catastrophes - à propos de l’unité dans l’œuvre d’art qui selon lui est à chercher moins dans l’exigence de stabilité que dans celle d’optimalité ; une optimalité qu’il compare à la lutte élémentaire pour la survie[21]. Mais soulignons au passage que Boulez reste davantage influencé par les arts (par exemple l’image qu’il emprunte à Klee du promeneur et de son chien pour évoquer la « notion du mobile par rapport au fixe ») et que si sa formation mathématique l'a probablement aidé à formaliser sa pensée, c’est plutôt sa musique comme l’écrit Jonathan Goldman qui mériterait un jour d’alimenter la réflexion scientifique : qui sait si les termes d’« arrachement » et d’« incorporation » sur lesquels il insiste au Collège de France[22] en pensant à la forme de Répons ne partagent pas quelque accointance avec la logique comportementale du prédateur et de sa proie souvent évoquée par René Thom... ou pourquoi pas avec les notions de décohérence et d’intrication chères à la mécanique quantique ! En vérité, à la suite de la rencontre de Boulez avec le mathématicien Alain Connes le 15 juin 2011 à l'Ircam lors du séminaire « la créativité en musique et en mathématiques », ce dernier pourtant très en verve n’ira pas jusqu’à rapprocher son idée selon laquelle « l’effervescence quantique [...] génère le passage du temps »[23] de l’état permanent de variabilité servant de couple moteur au flux temporel de Répons - lui donnant son « régime de croisière » dirait Boulez. « Il est difficile d’accepter des correspondances trop explicites entre les faits scientifiques et artistiques » met en garde Célestin Deliège qui s’autorise néanmoins à voir dans l’introduction de Répons quelque chose comme un « big-bang d’où serait sortie l’œuvre »[24]. « L’auditeur est bien libre de projeter sur l’œuvre les stratégies perceptives qu’il veut » souligne de son côté Jean-Jacques Nattiez (dans l'ouvrage collectif REPONS/BOULEZ) : tous les deux ont raison ! Et si on peut éventuellement voir dans la trajectoire de cette œuvre - qui allie les soubresauts de l’instant à la cohésion inébranlable de son parcours - quelque chose d’une lutte élémentaire pour la survie ou du phénomène d’émergence[25], on ne peut que s’étonner de l’exceptionnelle capacité de renouvellement du compositeur dont le Pli selon pli, par son atmosphère hantée, évoquait davantage une sorte d'énergie du vide ou un univers en gestation, qui « aurait pu naître »[26]...

Les jalons de la perception

Au risque, en paraphrasant Roland Barthes, de se laisser fasciner par « l’envers des choses »[27], il est tentant d’opposer à la dialectique étirement/rupture évoquée schématiquement plus haut pour l’atmosphère tendue de Pli selon pli, celle d’attirance/capture qu’autoriseraient pour Répons les relations harmonie/timbre ou rythme/tempo dans leur façon d’émanciper ou de polariser le discours. Que ce soit dans l’une ou l’autre de ces œuvres, Boulez cherche autant à aimanter l’oreille qu’à hanter la mémoire de l’auditeur. Comme s’il voulait repousser les limites et faire son miel d’une sorte de principe d’incertitude conditionnant les perceptions absolue et relative (qui remplacent ici les mesures de position et de vitesse chères au physicien). On retrouve ces deux niveaux de perception - contemplative et structurelle – dans la peinture, par exemple à la vision des tableaux de Francis Bacon où sont comme amalgamés et représentés dans un même geste le sujet peint et l'idée intérieure qu'il s'en fait[28]. Mais en musique, en particulier pour les formes inventant leur propre hiérarchie, la difficulté de se focaliser à la fois sur le son et sur le sens – sur le bel édifice et les pressentiments dirait René Char - nécessite selon Boulez d’opérer mentalement sur ces instants cumulés des réductions successives « un peu à la manière d’un boulier !» écrit-il dans « Entre ordre et chaos », « avant de pouvoir, tout simplement, « nous y reconnaître »» ajoute-t-il plus loin ; une opération qui n’est pas sans rappeler la notion de réduction du paquet d’ondes en physique quantique notamment dans son interprétation transactionnelle : ici, la subjectivité de l’écoute transforme la « cavalcade de présents qui passent » en une « ronde de passés qui se conservent » pourrait-on dire en reprenant les images de Deleuze[29] ; elle est tout aussi bien l’instrument de mesure que le siège de l’expérience. « Nous saisissons l’objet mais nous ne sommes pas sûrs de ne pas saisir un fantasme » concluait encore Boulez : naviguant entre l’évidence sonore et une matière musicale plus enfouie, l’auditeur est tantôt la proie de ce qu'il appelle précisément les « qualités de l’incertitude » (sans lesquelles l’œuvre serait trop simpliste), tantôt à l’affût de balises perceptives plus saillantes (sans lesquelles elle serait trop hermétique). Pour ces dernières, il évoque les notions de signal et d’enveloppe dont les caractères respectivement ponctuel et global circonscrivent le territoire de l’écoute, celui-ci devenant - au fil d’auditions dont le temps passe plus vite - la frontière perceptive de l’œuvre et le lieu de son véritable achèvement :

« Ecouter, réécouter l’œuvre - ce que le disque nous facilite à l’extrême – ce n’est pas exactement « s’y habituer », jusqu’à l’indifférence, la satiété ou l’allergie. C’est plutôt la connaître, la reconnaître, l’identifier, se l’identifier ; dépasser l'étrangeté, l'obscurité de la première approche pour se laisser gagner par un mystère fait à la fois d’évidence et d’inexpliqué » écrit Boulez en exergue des disques éditées dans l’ancienne collection Erato/EIC/Ircam où il enregistra par exemple les Funérailles de Brian Ferneyhough, compositeur rattaché au courant dit de la nouvelle complexité, mais aussi certaines œuvres de musique spectrale.

Si la dialectique de Répons peut être vue comme une alternative ou une réponse de Boulez, toujours curieux de son temps, à l’esthétique de l’école spectrale - parfois trop obnubilée selon lui par la quête du « plasma primordial »[30] qui voudrait incarner comme un idéal de malléabilité du matériau sonore - son exploitation des techniques de l’instrument dans Anthèmes 2 semble faire écho aux préoccupations de Brian Ferneyhough qui recherche plutôt, en particulier dans ses pièces solistes, le degré ultime de malléabilité chez l’interprète ! Chez ce compositeur britannique connu pour la densité et la « précision presque maniaque »[31] de son écriture – sorte de paquet d’ondes à elle seule... – c’est davantage l’instrumentiste qui se retrouve contraint d’opérer, au fil des répétitions, des réductions successives afin de faire « sienne » une concentration d’informations par nature difficile à saisir en totalité ; un instrumentiste qui pourrait d’ailleurs s’exclamer, en paraphrasant Boulez, « je décrypte l’objet mais je ne suis pas sûr de ne pas interpréter un fantasme » : la difficulté pour lui de gérer les transactions entre l’approche tactile et l’apport énergétique de ses mouvements - entre la table de dissection et la machine à coudre en somme[32] - le confronte en effet à un principe d’incertitude de type position/impulsion où la cavalcade de ses gestes potentiels, à « l’écoute » de l’écriture ainsi interrogée, aspire à s’« imprimer » en figures[33]. Ferneyhough semble repousser les limites de ce que Boulez appelle un phénomène de « bascule » décrit comme un moment ou un mouvement difficilement saisissable où la vision périphérique du texte fait que le passé et le futur enrobent et corroborent le présent pour mieux faire passer l’interprète d’une mémoire volontaire à une mémoire plus instinctive[34]. En fait, l’interprète est autant la proie que le prédateur de la partition, celle-ci étant d'ailleurs considérée par Ferneyhough comme une prison d’invention (donnant son titre au cycle « Carceri d’invenzione»)[35]. Cette perpétuelle ductilité concrétisée ici au sein d’un faisceau de possibilités interprétatives fut assimilée au « rubato » par un Boulez mi-fasciné mi-ironique bien que s’interrogeant sur la capacité de l’exécutant à naviguer sans déperdition d’énergie ou de sens au sein d’une partition dont chaque bifurcation ou « moment ouvert » induit précisément une « déviation de l’interprétation » sous la forme d’un dérapage, contrôlé ou non contrôlé, de son geste[36]. Étonnant en vérité ce parallélisme des démarches - voir ce jeu du chat et de la souris ! – entre les deux compositeurs. À la divergence de l’écoute qu'induit la musique de Boulez répond une convergence sur le geste, qualifiée de « collision », chez celle de Ferneyhough ; au « régime de croisière » recherché par un Boulez soucieux de « rendre justice à la trajectoire » dans la conduite de l’œuvre répond ce que Ferneyhough appelle une «  idéologie de l’expérience » qui vise à faire de l'interprète le « résonateur »[37] de la partition. En associant dans Anthèmes 2, le violon et l’électronique en temps réel (via le suiveur de partition), Boulez crée pour ainsi dire un « hyper interprète » - « obéissant à la pensée » dirait Edgard Varèse. Dans cette pièce qui plus est jouée de mémoire dès sa création en 1997 par la violoniste Hae-Sun Kang, il réussit à composer des agrégats musicaux dont la nature intriquée ou « l’hypersémanticité »[38], notamment dans la section précédent la coda finale, fait office de foyer de rayonnement et donne l’idée d’une musique qui va en somme plus vite que la musique, comme assimilée – mais peut-être devrions nous dire imaginée - avant même d’être consciemment perçue ; telle une image subliminale pour l’auditeur dans l’esprit duquel il s’agit de lever les obstacles et de gagner la partie.

En fait, ce qui a été dit pour l’écoute de l’œuvre vaut également pour celle du timbre instrumental : elle aussi est une synthèse réductive de diverses perceptions absolues et relatives liées aux paramètres plus quantifiables que sont la hauteur, l’intensité et la durée, d’où la difficulté de trouver une définition objective de cette catégorie qualifiée « d’ordre second » par le Boulez de Penser la musique aujourd’hui et dont Pierre Schaeffer disait qu’elle était « une variation musicale assouplissant et compensant une permanence causale »[39]. Dans cette cohabitation parfois difficile du sensible et de l’intelligible, il est intéressant ici d’opposer, ou plutôt de rapprocher dos à dos, le 1er livre des Structures de Boulez, qui sature la mémoire en faisant comme dit plus haut « cligner les oreilles », et La noire à soixante de Pierre Henry qui semble, via par exemple ses fragments de métronome, clamer le présent et opérer comme un vidage mémoire (pour ne pas dire un lavage de marteaux…) en déconditionnant l’oreille[40] : que ce soit par un excès de variation musicale dans l’écriture ou par un déficit de permanence causale dans le montage, ces œuvres « limites » commencent chacune à leur manière par une « table rase » pour aboutir finalement à une reconquête du discours chez Boulez ou de la vie du son chez Henry. Curieusement, on retrouve inversées ces attitudes dans l’aménagement intérieur de leur demeure respective : la « maison » de Pierre Henry - presque un musée - est chargée de mémoire tandis que celle de Boulez à Baden-Baden ne comporte volontairement « rien d’historique »[41], comme pour fuir « un air qui a déjà été expiré »[42] et mieux se libérer du connu… Contrairement à sa pièce pour deux pianos où la structure musicale règne en maître face à un matériau sonore relativement neutre, c’est la texture sonore que la pièce d’Henry impose face à une structure musicale réduite au minimum ; une « structure de non sens » dirait d’ailleurs Boulez[43] mais dont le matériau « sait très bien se faire entendre » pourrait ajouter de son côté Michel Chion[44], tant les rapports du temps au matériau sonore y sont comme inversés. Difficile d'y percevoir une idée de trajectoire globale - c’est d’ailleurs l’intérêt de cette pièce que d’échapper à toute forme de prédictibilité - alors qu'il n'est pas impossible d'en repérer une dans chacune des 3 pièces des Structures ; y compris dans l’aspect « mécaniste » de la première que l'on peut entendre dans le souvenir de l’écriture plus évènementielle des deux suivantes et qui fait que Boulez songea un temps appeler cette première pièce « À la limite du pays fertile » en référence à Klee. Ce titre, qui conviendrait pour des raisons inverses à la pièce d’Henry, fut d’ailleurs repris pour un article de 1955 où Boulez s’interroge sur les rapports possibles entre le domaine instrumental et le domaine électronique : « Serait-on jamais capable d’imaginer une synthèse où les contradictions des deux univers sonores seraient mises en jeu pour un élargissement des structures sensibles ? » s’interroge-t-il. Il reviendra à plusieurs reprises sur ces questions au Collège de France où il évoque la nécessité de placer « entre le domaine réel, discontinu du monde instrumental, et l’éventuel domaine continu du monde électronique […] les jalons de la perception »[45]. Dans son livre sur Klee, Boulez reproduit également une esquisse du peintre intitulée fusion intime de l’individu et de la structure qui incarne en somme son désir d’explorer le cœur du pays fertile : celui où la musique est autant l’art de combiner des émissions sonores que celui de sonoriser une combinatoire. Ce qu’il appelle également dans ses Leçons « susciter son matériau en phase ». De par sa conception, le matériau propre au domaine instrumental ou informatique vise en quelque sorte à faire le lien entre la nature quantifiée et discontinue des informations qui lui servent d'entrées et celle plus continue - car traitant autant des sons que des silences – de l’écoute dont on peut dire, en s’inspirant du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux qu’elle est « en permanence spontanément active »[46]. Une écoute qui « doit – devrait ! – être captivée d’un bout à l’autre de la trajectoire » insiste Boulez même si celui-ci estime également - et Ferneyhough lui donnerait raison – que « la forme doit pouvoir dévier de sa trajectoire prévue pour découvrir des territoires qui n’étaient pas programmés ». Cette notion de « trajectoire » évoquée par Boulez est-elle en fait intrinsèque ou non à l’écriture ? À l’interprétation ? Et « comment s’y prendre pour faire assimiler aux autres une forme que l’on a soi-même assimilée ? » s’interroge par ailleurs le compositeur-chef d’orchestre[47]. L'enregistrement peu convaincant selon lui qu’a fait Igor Stravinsky de ses propres œuvres – pourtant probablement convaincu lui-même d’en avoir perçu la trajectoire[48]- semble suggérer l’aspect en partie subjectif et intuitif de cette notion qui se retrouve également dans celle de démonstration mathématique : « une constellation de signes, noir sur blanc, ne deviendra, par exemple, une démonstration de non contradiction que pour un esprit qui sache la lire comme telle » écrit Robert Blanché dans l’Axiomatique[49]. Jean-Jacques Nattiez voit comme une « utopie » cette idée d’une communication totalement transparente entre le stade de l’écriture et celui de sa réception par l’auditeur et précise que « le poïétique n’a pas vocation à la communication »[50]. Cette fonction intégrative de l’écoute chez l’auditeur, au même titre que la prise en main de la partition par l’instrumentiste, sont à rapprocher de la définition de la notion d'ensemble par le mathématicien Cantor : « groupement en un tout d'objets bien distincts de notre intuition et de notre pensée » ; de sorte qu’une question se pose : cette perception ou non d'une trajectoire pour une exécution musicale donnée ne serait-elle pas semblable à ce caractère indécidable de l’hypothèse du continu qui, simplement dit, nous empêche de statuer sur la question de l’existence ou non d’infinis de taille intermédiaire entre l’infini dénombrable et l’infini continu ?

Les fragments du discours

Le délire organisé

« Au juste nous ne le savons pas » répondrait peut-être, à l'interrogation précédente, Antonin Artaud, ainsi qu’il le proposa en guise de premier élément de réponse à une série de questions dans son poème radiophonique Pour en finir avec le jugement de dieu, comme par exemple « qu’est-ce que l’infini ? ». Interprétant le texte du poète avec des accents de tragédienne, Paule Thévenin poursuit : « c’est un mot dont nous nous servons pour indiquer l’ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée ». Il est curieux que ce passage énoncé par Paule Thévenin, qui assista avec Boulez vers 1948 à une conférence en privé sur Antonin Artaud[51], rappelle de loin en loin la conclusion « toute provisoire et soumise au doute » du dernier cours de Boulez au Collège de France intitulé «  L’œuvre : tout ou fragment » : « n’aurait de réalité que le fragment, le tout n’étant qu’une illusion sans cesse renaissante et sans cesse poursuivi ». Concernant l’assimilation des fragments de l’œuvre dans un tout cohérent, Boulez y précise qu’elle « reste le but à la fois du compositeur, de l’interprète et de l’auditeur ». Dans le texte « Propositions » daté de 1948, Boulez écrit justement que « la musique doit être hystérie et envoûtement collectifs, violemment actuels – suivant la direction d’Artaud ». Il est manifeste que si une œuvre musicale réussit un tel envoûtement, la perception intégrale de sa trajectoire sera tellement ancrée dans les esprits qu’elle aura du mal à s’en défaire : il y aura en effet un effort à fournir par l’auditeur ou par l’interprète s’ils veulent rompre avec une habitude d’écoute ou un style de jeu. Inversement, pour une œuvre dont nous ne sommes pas encore familier et dont la perception n’est pas encore claire, il n’est pas rare que ce soit précisément au cours d’une écoute inattentive, fragmentaire que l’on entrevoit mieux ne serait-ce que des bribes de sa trajectoire ; à l’image du phénomène d’illumination précédant la cristallisation d’une idée et qui se produit parfois lorsqu’un mathématicien commence à percevoir la solution d’un problème précisément en procédant « à côté » plutôt que de s’y attaquer frontalement, comme le précise Alain Connes lors de son dialogue avec Jean-Pierre Changeux ; les deux scientifiques s’accordant sur cette façon de capturer le « sens nouveau » qu’incarne tout objet culturel inédit via un état de conscience qui s’apparente à un « nouveau sens »[52]. Cela rejoint les propos de Boulez - et on sent également le directeur de l’Ircam qui parle - lorsqu’il énonce : « on n’établira jamais la limite entre perception et spéculation, et c’est une des obligations du compositeur que de la refuser comme telle »[53]. L'écoute flottante, dérivée du phénomène brute, s'oppose à l'écoute «  intégrale » dont parle Boulez (qui use lui-même des guillemets en pensant probablement à la notion mathématique) pour laquelle l'auditeur, armé d'une connaissance plus approfondie de l'œuvre, devient capable de se clipper sur « l’hyperréalité »[54] cachée derrière la réalité sonore, c’est-à-dire de vivre la musique intérieurement comme s'il était dans la peau de l'interprète. De son côté, ce sont les signes essentiellement discontinues de la partition que ce dernier intègre afin de restituer dans l’espace acoustique la cosmogonie intérieure du compositeur.

Artaud fera pressentir à Boulez l’idée qu’il vaut mieux « organiser le délire », comme il l’écrivit en 1958 dans la conclusion de son article « Son et verbe », plutôt que de céder aux seuls vertiges de l’improvisation. Celle-ci se doit d’être « irruption (Einbruch) dans la musique d’une dimension libre » écrivait encore le compositeur[55]. Tout en faisant corps avec l’instrument, la difficulté pour tout improvisateur est justement de procéder « à côté » des modèles que sa mémoire tient en réserve afin de mieux y accueillir un évènement nouveau, ce qui revient en somme à transmettre une musique dont il n’a pas encore totalement connaissance en réalisant in vivo cette dialectique de l’arrachement et de l’incorporation évoquée plus haut : exercice aussi délicat que le serait, pour les volatiles de Paul Klee, de tenter quelque improvisation en tournant eux-mêmes la manivelle de la Machine à gazouiller qui leur sert de perchoir[56] !… Sans compter le risque ou le malentendu de se voir applaudir pour la performance physique davantage que pour une musique alors « en proie à l’équilibre le plus instable », pour reprendre le mot de Paul Valéry[57]. On comprend alors mieux le scepticisme de Boulez, parfois bien affirmé dans ses Leçons[58], quant à la réussite d’une telle entreprise qui est davantage le fait du compositeur face à sa propre imagination : « sur le plan de la création, je vis dans une espèce de plasma qui me permet de me déplacer en glissant d'avant en arrière. Je reste dans une même chose et j'irradie dans plusieurs directions à la fois » confie Boulez. Celui-ci, qui a plus d’une fois prouvé, au vu de ses écrits et via « une analyse permanente et autarcique de sa propre pensée », qu’il savait faire montre d’un regard extérieur sur son propre travail, considère que la réflexion peut se trouver dans l’improvisation mais que cela nécessite une « transe critique » ; une telle expression, introduite par un « si je puis dire », semble calquée, inconsciemment ou non, sur le « tremblement inspiré » dont parlait Artaud vers la fin de son poème radiophonique[59] dans une sorte de dialogue avec lui-même : pour libérer l’homme de tous ses automatismes, ce dernier propose de lui donner un « corps sans organes » afin qu’il réapprenne à « danser à l’envers ». Cette notion énigmatique, qui inspira Deleuze et Guattari, est également reprise par Bruno Fern dans son livre sur Keiji Haino où il évoque la capacité qu’a ce musicien japonais, dans une esthétique certes très éloignée de celle d'un Boulez, de « déplacer les organes pour leur permettre de sécréter à nouveau » ou de faire preuve d’une « conscience dans le tourment » qui fait de son être « l’interface émotionnelle et combattante qu’est un chaman »[60]. Lorsqu’il tourne la manivelle de sa vielle à roue, comme par exemple sur Abandon all words at a stroke, so that prayer can come spilling out[61], Keiji Haino explore son instrument mais semble en retour « audité » par les volutes musicales qu’il en extirpe ; telle la « machine qui s’entretient elle-même » dont parlait Roland Barthes[62], le musicien cherchant ainsi à trouver puis à extraire ce qu’il appelle le « deepest now »[63]. Quand bien même cette musique serait retranscrite sur partition qu’il serait difficile pour un autre interprète de la reproduire sans passer à côté de l’essentiel, à savoir une attention aiguë portée, par ce musicien-chanteur, au « labyrinthe de ses tubes internes » : d’une certaine manière, il en est le « résonateur » pour reprendre le terme de Ferneyhough cité prédemment. Lui aussi d’ailleurs semble vouloir insuffler à sa musique, mais via la partition, une dimension viscérale que la tradition classique occidentale à tendance à évacuer. Il est intéressant ici de préciser ce que Boulez écrit de façon plus général sur les symboles de la partition : « les signes ne représentent guère le continu que par des approximations utiles mais grossières » estime-t-il en citant les notions de glissando, d’accelerando, de crescendo etc … avant d’ajouter que celles-ci sont « les plus vagues et en même temps les plus riches, car elles permettent justement de dévier »[64]. Elles autorisent ainsi une déformation sur le schéma qui rend la structure vivante. Bien que définitivement fixée sur la partition, son œuvre Sur incises paraît pourtant presque improvisée, « la plus libre » estime-t-il[65], aux antipodes de son Livre pour quatuor à cordes considéré par Dominique Jameux comme la pièce « la plus fermée » de son auteur. Écrite pour 3 pianos, 3 harpes et 3 percussions, cette œuvre « extériorise l’âme du piano »[66], déployant devant l’auditeur les « entrailles » de cet instrument qui se retrouve alors avec ses organes à l’extérieur ; meilleur moyen pour Boulez de mettre en relief l’univers qu’il a d’abord imaginé mentalement, hors de toute concrétisation sonore et temporelle : « l’écriture, c’est savoir projeter, dans l’absolu, les relations qu’entretiennent entre eux des phénomènes déréalisés » écrit l’auteur des Leçons ; cette notion de « déréalisation » étant comparable au concept de déterritorialisation crée par Deleuze et Guattari, en liaison avec celui du corps-sans-organes. Dans À la limite du pays fertile, Boulez voyait déjà l’orchestration non comme un « vêtement » mais comme « le phénomène sonore dans sa totale manifestation ». Bien que très élaborée, l’écriture de Sur incises fait songer aux propos rapportés par John Sloboda (en) dans L’esprit musicien concernant les conditions d'une improvisation réussie, ce sentiment que chaque geste « se livre aux sons » et que « de bonnes notes se trouvent partout sous la main, juste sous les doigts ».

Finalement, le rôle des compositeurs, plus encore que celui des improvisateurs, doit les inciter à « déplacer l’art »[67] nous dit Boulez, et ce, malgré un matériau qui impose d’emblée une certaine inertie : les instruments, la grammaire induite par leur éventuelle tablature et les contraintes corporelles que ces éléments exigent des exécutants circonscrivent en effet ce que l’on pourrait appeler, en terme plus physique, un espace de configuration au sein duquel le compositeur doit trouver son chemin ; et si possible en évitant ce que Messiaen appelait le « pas entendu », c’est à dire l’incapacité d’imaginer comment sonne dans la réalité une musique inventée sur le papier[68]. Ce terrain de jeux autorise certes toutes sortes d’esthétiques : y sont possibles, pour le piano, les trois sonates de Boulez autant que les Trois morceaux en forme de poire d'Erik Satie, et même des types d’écriture plus périphériques : plus bruités comme la musique souvent qualifiée de « concrète instrumentale » d’Helmut Lachenmann, ou plus silencieuse comme les 4′33″ de John Cage, une pièce qui puise l'essentiel de son information dans son titre... Précisons que le concept d’information, trop souvent réduit à l’univers du quantifié ou du discontinu, se retrouve rangé par René Thom dans sa « boîte de Pandore des concepts flous »[69]. L’adjonction d’une source informative tel que l’ordinateur permet bien sûr d’élargir cet espace, comme dans Pluton du compositeur Philippe Manoury, tombé très tôt dans la « marmite » électronique. Néanmoins, un musicien comme Pierre Henry se plaindrait peut-être de ne pas y trouver son piano « à l’envers » - celui d’Une missive, par exemple[70] : bien que d’un spectre similaire à celui du piano normal, ce piano temporellement inversé suggère qu'il existe, dans l'univers sonore, des matières inaccessibles à la main, qui échappent à nos instruments[71]... Au sein de l’espace instrument-instrumentiste, qui englobe aussi le rôle joué par l’environnement[72], c’est en effet la mise en jeu des paramètres, leur « description » dirait le compositeur, qui détermine les phases de la structure musicale ; une mise en jeu qui s’opère via l’entrelacement des informations respectivement énergétiques et tactiles – pour ainsi dire réelles et imaginaires - transmises par les gestes et sans lesquelles il n’y aurait plus que silence ou bruit. Des informations également « non commutatives » pourrait même ajouter Alain Connes, à l’origine de la géométrie du même nom : il est vrai en effet que le fait de boucher tels ou tels trous d’une cornemuse avant de souffler dans le tuyau n’engendre pas le même phénomène que de d’abord souffler dans le tuyau puis de boucher les trous[73]... Peut-être avons-nous l’air ici d’énoncer une lapalissade mais nous retrouvons, dans cette non commutativité, le cœur du pays fertile, à savoir la nuance féconde entre combiner des sons et sonoriser une combinatoire. Boulez n’a évidemment guère besoin du mathématicien pour faire un usage parfois subtil de telles propriétés, par exemple dans le recours à l’utilisation de la troisième pédale et de l’accord muet dans la cadence de piano qui introduit Éclat.

Le « noyau infracassable de nuit »

Ces deux modes d’écriture constituent selon Boulez « deux types d’imagination », l’une basée sur une virtuosité d’écriture instrumentale, partant des caractéristiques acoustiques, et l’autre sur une virtuosité d’écriture plus conceptuelle, précédant la concrétisation sonore. Deux types d’invention pour lesquelles « il ne faudrait surtout pas établir d'ordre hiérarchique » insiste-t-il, l’important pour lui étant de « résoudre le conflit entre le réel et le virtuel »[74]. On pense au terme de « friction » qu’utilisait Carl von Clausewitz pour distinguer la « guerre sur le papier », encore abstraite, de la « guerre réelle » et son cortège d'imprévus : tout se passe comme si la quantité d’informations transmises, avec ou sans partition, par l’interprète à son instrument devenait, au-delà d’une certaine limite, non plus le tremplin ou le moteur du discours, mais davantage un fardeau qui l’empêcherait d’avancer, ou le ferait dévier dans sa progression. C’est là où le terrain de jeux se transforme en champ de bataille... Suivant ses modalités, ce conflit participe de la « perpétuelle ductilité » chez Boulez ou des moments de « déjà plus » et de « pas encore » chez Ferneyhough ou pourquoi pas du « deepest now » de Haino. D'autre part, ces virtuosités d’écriture rappellent un peu la différence entre les modes de diffusion de la télévision et du cinéma : d’un côté, un balayage de pixels fait de l’écran un foyer de lumière qui concrétise l’aspect de surface de l’œuvre - son « vêtement » - qui peut éblouir mais aussi aveugler ; de l’autre, un projecteur situé dans notre dos - « au centre et absent » en quelque sorte - fait de l’écran un puits de lumière que l’on balaie du regard pour en cerner « l’hyperréalité »[75]. En musique, on retrouve réunies ces deux types de sollicitation. D'un côté, nous voulons embrasser l’œuvre, en la vivant intérieurement, mais aussi prendre plaisir à ce qu’elle nous embrasse, voire même à ce qu’elle « nous embrase », comme le dit Bruno Fern. Dans son adaptation du Purgatoire de Dante, François Bayle résume bien ce dilemme lorsqu’il fait dire au narrateur face à « l’Ange-feu » ces mots presque contradictoires : « son aspect m’avait fait perdre la vue »[76]. À l’auditeur de s’arranger de cette situation d’inconfort. « Car, s’approchant près de ce qu’il désire, Notre intellect se perd en tel abîme, Que la mémoire derrière ne peut suivre » écrivait encore Dante au début de son Paradis. Dans son dialogue avec Changeux, Boulez précise que « quand la structure est saturée, il n’est pas possible de la percevoir. Ou alors, au contraire, on ne voit qu’elle » avant d’ajouter plus loin « j’ai fait une œuvre où l ’on écoute seulement les sons », trahissant par là son goût pour une certaine transparence dans l’écriture mais aussi sa préférence pour les structures musicales innervées par le son - même aux limites de la saturation - plutôt que pour les schémas simplement « farcis » d’évènements sonores[77]. On trouve dans Répons (en particulier dans le segment qui précède le palier introduisant le climax) un tel degré de concentration musicale où le mental de l’auditeur se voit pleinement sollicité. Si le rôle de l’écoute est de trier - via ce que Changeux appelle « l’espace de travail neuronal conscient » ou le phénomène d'« ignition » - le flux des évènements sonores, il est probable que ces derniers, si la musique est réussie, contribuent également – via peut-être un effet miroir ? - à remettre nos neurones en place ; à mettre de l’ordre dans notre désordre en quelque sorte : « une musicothérapie a été suggérée pour la schizophrénie » précise Jean-Pierre Changeux[78]. Toujours est-il que les neurones, « en contiguïté et non pas en continuité » d’après l’auteur de L’homme neuronal, sont très bien armés pour décrypter les informations qui circulent également en contiguïté entre le musicien et son instrument. Il est tentant de voir dans cette contiguïté des dimensions gestuelles la raison profonde de la préférence, moult fois exprimée par Boulez, pour la « virtualité » du continuum incarnée par le grand arc de l’œuvre davantage que pour l’usage du glissando, qualifié d’intervalle « anonyme ».

Tout au long de sa carrière, Boulez – et en cela, il est très « classique » - préférera toujours œuvrer au centre plutôt qu’à la périphérie du médium instrumental tout en attachant plus d'importance dans « le renouvellement des façons de pensée et d'écrire la musique »[79]. Les rares écarts qu’il s’autorise font généralement office de signaux : par exemple, dans Sur incises où le timbre du steel-drum se voit parfois expulsé de la matière sonore du discours tout en étant parfaitement serti dedans[80]. Un effet similaire se retrouve également avant la coda du Dialogue de l’ombre double où la clarinette, elle-même déréalisée par un dispositif électronique, semble s’épanouir en un « couac » qui n’a curieusement rien d’une fausse note et n’empêche pas l’œuvre de courir vers sa fin comme si de rien n’était. Ces effets sont une forme d’illustration de l’expression « faire gicler le phonème lorsque le mot n’en peut plus » qu’inspirèrent à Boulez les cris d’Artaud dans « Son et verbe ». Notons au passage que la contiguïté instrument-instrumentiste se retrouve également dans la voix, bien que ce soit là l’instrument le plus incorporé qui soit, la dimension tactile étant assurée par les muscles du larynx, de l’œsophage, etc... Un musicien-chanteur comme Haino donne parfois l’impression de se laisser surprendre par ses propres cris, en particulier dans ses « Blackness », où ils n’ont pas d’autres buts que d’exacerber leur propre nature. Ce sont pour ainsi dire des cris « puissance 2 »… Il ne s’agit pas pour eux de crier « quelque chose » mais c’est précisément cette absence d’information, ce « pas quelque chose », qui revêt les atours du cri. Nous sommes ici dans une sorte de Préhistoire de l’écriture ou d’art brute, un peu comme pour les sons de La noire à soixante chez Henry. Sous forme de boutade, l’auditeur attentif pourrait dire qu’il est « empli » par la musique de Boulez tandis qu’il est parfois littéralement « vidé » par celle de Haino ! Au diable d’ailleurs dans cet article sur Boulez à toute idée de cloisonnement[81] : au risque encore de se laisser fasciner par l’envers des choses, ces cris sont comparables à la « profération » dont parlait Barthes à propos de l’expression « je t’aime » qui « ne transmet pas un sens mais s’accroche à une situation limite […], travaille sans filet ». Les cris proférés, derrière ses lunettes noires, par le « corps avec organes »[82] de Haino, s’opposent dos à dos à la recherche de l’anonymat chez Boulez. Ce dernier n’hésite pas à « racler le fond de lui-même » afin de porter le regard le plus objectif – avec ou sans lunette ! – à la source la plus profonde de son inspiration, son « noyau de nuit » écrit-il en 1963[83] dont il espère ainsi défaire les nœuds. « L’imagination, sortie de cette épreuve du feu, aura moins à redouter des fantômes qui tentent de l’assaillir » ajoute le compositeur pour qui cette opération est vitale car il se sentirait « défait » si un autre que lui s’emparait d’un tel butin : « c'est une nécessité biologique » ou encore « c’est très agressif » insiste-t-il auprès du neurologue à propos de ce souci constant de se renouveler[84] ou de « défaire le je » pour reprendre une autre expression des Fragments d'un discours amoureux. Dans ce livre figurent curieusement bon nombre d’images susceptibles de renvoyer à la musique : la description que donne Roland Barthes de la « surface d’un solfatare » rappelle ainsi …explosante-fixe… dont l’atmosphère comme en ébullition est par ailleurs très éloignée de « l’iceberg » dont parlait Olivier Meston pour Éclat. Nous avons là deux incarnations très différentes du noyau boulezien. Raison de plus pour réaliser à quel point il est difficile de mettre ce compositeur dans des cases ou même en « fiche » tant sa musique peut prendre de multiples visages. Pourtant, dans cette dépersonnalisation, « tout porte, tout rend l’effet maximum » écrit, en citant Artaud, Philippe Albèra dans son article sur Pli selon pli[85]. Dans un passage du mouvement « Tombeau » qui clôt cette œuvre , Boulez pousse également très loin la densité de l’écriture. Dans une des esquisses, il précise ses objectifs : « Il faut que l’espace se peuple peu à peu de son, et qu’on sente l’angoisse monter sous l’effet de trop plein […] les murs doivent vibrer »[86]. À tel point que ce sont ses propres tubes internes que cette section semble dilater en s’achevant ici par un silence « assourdissant » ; ou par une « absorption du son par le silence » évoque encore Boulez : tout le contraire d’un cri ! Quitte encore à transgresser les frontières, nous avons en sommes un silence « qui déchire » à l’image du Big Rip des cosmologistes… On pourrait d'ailleurs emprunter à l’un d’entre-eux – Roger Penrose – l’expression de « connexion à l’infini »[87] pour qualifier la transition périlleuse, pour ainsi dire sans filet, qui sépare la coda finale d'un tel silence[88]. L’œuvre pourrait presque s’arrêter là.

Comme pour (ne pas) conclure

Le musée du Louvre a proposé durant l’hiver 2008-2009 une exposition intitulée «Pierre Boulez. Œuvre: Fragment» établissant par le biais de lectures croisées entre des œuvres musicales, littéraires et musicales d’artistes des XIXe siècle et XXe siècle un portrait du compositeur autour de 4 thèmes : « esquisse et aboutissement », « le fragment et le tout », « filiation et rupture » et « l’œuvre en suspens », les manuscrits[89] de Pierre Boulez servant de fil conducteur.

Le chef d'orchestre

Pierre Boulez lors des Donaueschinger Musiktage 2008 avec l'Orchestre symphonique de la SWR de Baden-Baden et Fribourg-en-Brisgau.

Carrière

Pierre Boulez est devenu chef d’orchestre moins par vocation première que par nécessité.

C’est pour gagner sa vie, comme il le raconte à Jean Vermeil, qu’il officie aux ondes Martenot d’abord aux Folies Bergère en 1945 puis parmi les musiciens de la fosse du Théâtre Marigny à partir de 1946 sous le patronage de la Compagnie Renaud-Barrault pour y jouer les musique de scène. Dans le domaine de la direction, son premier maître est Roger Désormière, pour qui la précision et la transparence sont les plus nobles qualités de cet art[90]. En 1953, soucieux de faire entendre la musique moderne dans de bonnes interprétations mais surtout exaspéré par ce qu’il entend ailleurs, « toutes griffes dehors » pour reprendre l'expression de Jean-Louis Barrault[91], il organise avec ce dernier et sur la base du mécénat privé, les concerts du « Petit Marigny » dans la petite salle du théâtre où sa programmation d'avant-garde va devenir le Domaine musical. Mais la difficulté à trouver des chefs disponibles pour la création contemporaine le contraint à diriger lui-même les œuvres, d'abord pour des petites formations instrumentales. Il commence à diriger des ensembles plus vastes en 1957 à Cologne où Hermann Scherchen non préparé, le laisse diriger son Visage nuptial. En 1958/1959, à la suite de l’invitation pressante d’Heinrich Strobel, directeur de la station de radio du Südwestfunk, il prend résidence à Baden-Baden pour seconder le chef Hans Rosbaud (ce dernier, désormais affaibli par la maladie, y créa Le Marteau sans maître quelques années plus tôt le 18 juin 1955). Boulez le remplacera au pied levé pour de grands concerts orchestraux à Donaueschingen les 17 et 18 octobre 1959 où il entame sa véritable carrière de chef ; carrière qui se poursuivra à la Résidence de La Haye[92] puis au Concertgebouw d’Amsterdam, notamment après la mort de Rosbaud. Elle se confirmera à Paris en 1963 où il se charge d’abord de la commémoration du cinquantenaire du Sacre, dont l’enregistrement sera récompensé par l'Académie du disque, puis des représentations de Wozzeck dans une brillante prestation qui facilitera son engagement à Bayreuth en 1966 pour la production de Parsifal. Il devient alors de plus en plus difficile pour le jeune chef de refuser les offres qu’on lui propose à la tête des plus grandes formations et les contrats vont désormais s’enchaîner avec l'Orchestre de Cleveland en 1967 puis avec l'Orchestre symphonique de la BBC de 1971 à 1975 en alternance avec l'Orchestre philharmonique de New York de 1971 à 1978 et plus tard avec l'Orchestre symphonique de Chicago en 1995.

À l'automne 2010, une opération à l’œil l'oblige à annuler ses concerts en tant que chef pour plusieurs mois. S'il remonte par la suite à quelques occasions sur un podium, il n'a plus donné de concert depuis 2012.

Répertoire

Son répertoire de prédilection correspond avant tout aux œuvres des compositeurs qui ont nourri son propre imaginaire et qu’il évoque le plus souvent dans ses articles, à savoir Debussy, Stravinski et les musiciens de la seconde école de Vienne : Schönberg, Berg ainsi que Webern dont il enregistre l’intégrale à deux reprises. Boulez est également particulièrement connu pour ses interprétations de Ravel, Bartók et Varèse. Quant à Mahler, peu fréquenté au début de sa carrière, il enregistre en 1970 Das Klagende lied et en 1994 débute l'enregistrement de l'intégrale de ses symphonies. Mais là aussi, l’intérêt qu’il y porte est motivé par ses propres préoccupations de compositeur à l’époque où il enseigne au Collège de France, attribuant aux symphonies mahlériennes « une forme narrative qui crée au fur et à mesure les articulations formelles dont elle a besoin pour progresser et se déterminer », tandis que germe dans son esprit le développement en « spirale » de Répons.

Boulez dirige bien sûr le répertoire plus contemporain comme celui de Luciano Berio, György Ligeti ou Elliott Carter mais il ressent pour cela le besoin d’avoir un ensemble de solistes qui puissent s’adapter à toutes sortes de stylistiques : son contact avec les orchestres et les institutions de la musique à l’étranger, en particulier avec le London Sinfonietta, lui inspire l’idée de l'Ensemble intercontemporain (EIC), crée en 1976, avec l’appui de Michel Guy alors secrétaire d’État aux affaires culturelles. Grâce à son installation dans les locaux de l'Ircam puis plus tard dans ceux de la Cité de la musique, cet ensemble composé d’une trentaine de musiciens collabore étroitement avec les compositeurs et va devenir l’un des plus remarquables en matière d’interprétation des œuvres du XXe siècle et du XXIe siècle, poursuivant et perfectionnant pour ainsi dire l’aventure du Domaine Musical depuis plusieurs décennies.

Après les productions de Wozzeck et de Parsifal, l'intérêt de Boulez pour l'opéra reste vivace. Il enregistre pour CBS Pelléas et Mélisande en 1969 puis Moïse et Aaron en 1975. L’année suivante, il est invité à diriger la Tétralogie à l'occasion du centenaire de sa création, au Festival de Bayreuth avec la mise en scène théâtrale et très incarnée de Patrice Chéreau; représentations qui feront d'abord scandale par la façon dont elles bousculent l'Establishment en s'écartant de l'imagerie et de l'interprétation traditionnelles puis qui seront reprises avec un succès grandissant les quatre années suivantes, jusqu’en 1980. Boulez trouve quand même le temps en 1979 de créer Lulu d'Alban Berg à l'Opéra de Paris dans la version complétée par Friedrich Cerha. En 1992, Il reprend Pelléas et Mélisande à Cardiff avec le metteur en scène Peter Stein qu'il retrouve en 1995 à Amsterdam pour une nouvelle production de Moïse et Aaron. Puis il dirige de nouveau Parsifal en 2004 dans la mise en scène controversée de Christoph Schlingensief. Interrogé sur les idées iconoclastes de ce dernier, il déclarera « il vaut mieux avoir trop d’imagination que pas assez ».

Dans sa carrière, il lui arrive de collaborer avec des personnalités d’autres domaines artistiques comme les chorégraphes Pina Bausch, Maurice Béjart ou lors du spectacle équestre « Triptyk » de Bartabas. Il dirige également des compositeurs que l’on imagine plus éloignés de son domaine de prédilection comme Frank Zappa ou plus récemment Bruckner, Karol Szymanowski, Leoš Janáček et son opéra « De la maison des morts » pour lequel il retrouve Patrice Chéreau, et même André Jolivet à l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur que Boulez avait pourtant surnommé « Joli Navet »[93] dans son irrévérencieuse jeunesse!…

En 1988, dans le cadre du festival d'Avignon, il dirige Répons en plein air à la carrière Boulbon et est le compositeur invité du centre Acanthes, à Villeneuve-lès-Avignon, où il donne une série de cours de direction d'orchestre à de jeunes musiciens[94]. La même année, les thèmes concernant le rythme, la mélodie, le timbre, l’harmonie, le matériau et la forme sont abordés dans une série de six films pédagogiques « Boulez XXe siècle » réalisés par Nat Lilenstein. Soucieux de transmettre son expérience, il dirige également à plusieurs reprises des ensembles tels que l'Orchestre des jeunes Gustav Mahler ou celui de l’Académie du festival de Lucerne qui permettent à des apprentis-musiciens de se familiariser avec le travail collectif et à la vie professionnelle.

Style

Boulez porte un regard de compositeur sur les œuvres qu’il dirige : conscient des procédés d'écriture qui sous-tendent ses propres compositions (souvent élaborées du stade cellulaire, local vers un niveau plus global), il sait faire également le chemin inverse devant les partitions des autres ; son analyse des différents réseaux de structures rythmiques du Sacre du printemps dans « Stravinski demeure » en 1951 a en effet magistralement prouvé sa clairvoyance face au texte musical, sa capacité à en extraire l’essence. Dans l'Encyclopédie pour le XXIe siècle, Boulez conclue ainsi le texte qu’il consacre à son activité de chef d’orchestre : « J’ai la réputation, vraie ou fausse, de n’être que rationalité et logique. Or, je sais pertinemment que ces critères primordiaux de l’objectivité reposent sur l’incertitude inhérente à toute confrontation subjective. Sans ce mystère instable et volatil, la direction d’orchestre serait-elle aussi passionnante ? ». De ce fait, son style de direction, souvent qualifié d'analytique, n’oublie pas que chaque note, chaque accord participe de la beauté de l’œuvre. On peut même ajouter que son style de programmation, souvent conçu chez lui de façon thématique et structurée, donne à chaque œuvre sa raison d’être au sein du concert. « Il faut avoir vis-à-vis de l’œuvre que l'on écoute, que l'on interprète ou que l'on compose, un respect profond devant l'existence même. Comme si c'était une question de vie ou de mort » : en déclarant cela, Pierre Boulez semble aborder chaque œuvre comme un organisme vivant qui préexiste à son incarnation dans les esprits ou dans la salle de concert. Face à son pupitre, il n’est pas rare qu’il cesse de battre la mesure, les bras joints le long du corps, donnant l’impression que l’œuvre jouée, telle une entité autonome, n’a plus besoin de lui dans ses moments-là. Mais à l’inverse, dès que l'interprétation perçue s'écarte un peu de sa vision globale de l’œuvre, son oreille absolue réputée infaillible alliée à la rigueur de sa gestique (où la classique baguette est bannie au profit d’une plus grande expressivité de la main) lui permettent aussitôt de remettre sur le droit chemin l’instrumentiste « fautif » : «  Ah, le chef a entendu ! » relate Boulez à Jean-Pierre Changeux.

Pierre Boulez et Maurizio Pollini après une exécution de la 2e sonate à la Salle Pleyel, Paris, janvier 2009

Compositions

De nombreuses compositions de Pierre Boulez restent en permanence « inachevées » (3e sonate, Livre pour quatuor), d'autres ont subi de nombreux remaniements (Pli selon pli, …explosante-fixe…), certaines ont également été reniées par leur auteur (Polyphonie X). Tout ceci complexifie l'établissement d'un catalogue clair et compréhensible.

Écrits

  • Penser la musique aujourd'hui, 1963
  • Relevés d'apprenti, Le Seuil, Collection " Tel Quel ", 1966
  • Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège, Le Seuil, 1975
  • Jalons (pour une décennie) : dix ans d'enseignement au Collège de France (1978- 1988). Textes réunis et présentés par J.J. Nattiez, préface posthume de Michel Foucault, Paris, Christian Bourgois, Coll. Musique/Passé/Présent, 1989, 452 p.
  • Le pays fertile - Paul Klee, Gallimard, 1989
  • Correspondance, Pierre Boulez/John Cage, Christian Bourgois, 1991
  • Eclats 2002, Entretiens avec Claude Samuel, Mémoire du livre.
  • Points de repère, en trois tomes reprenant et complétant les textes des Relevés d'apprenti et de Jalons (pour une décennie) : I - Imaginer, II - Regards sur autrui, III - Leçons de musique, Christian Bourgois
  • Les Neurones enchantés - Le cerveau et la musique, Entretiens avec Jean-Pierre Changeux et Philippe Manoury, Odile Jacob, 2014

Discographie

En tant qu'interprète[97]

En tant que compositeur

Prix et Distinctions

Bibliographie

  • Antoine Goléa, Rencontres avec Pierre Boulez, Julliard, 1959
  • Entretiens avec Michel Archimbaud par P. Boulez (Poche - 24 novembre 1980)
  • Dominique Jameux, Pierre Boulez, Fayard, 1984
  • Ouvrage collectif, REPONS/BOULEZ, IRCAM/Fondation Louis Vuitton pour la musique, Actes-Sud Papiers, 1988
  • Jean Vermeil, Conversations de Pierre Boulez sur la direction d’orchestre, Plume, 1989.
  • Jésus Aguila, Le Domaine musical : Pierre Boulez et vingt ans de création contemporaine, Fayard, 1992, 506 p.
  • Padilla, Alfonso, Dialéctica y música. Espacio sonoro y tiempo musical en la obra de Pierre Boulez, Suomen Musiikkitieteellinen Seura, Acta Musicologica Fennica 20, Helsinki, 1995.
  • Jean Boivin, La Classe de Messiaen, Christian Bourgois, 1995
  • Peter Szendy, Lire l'Ircam, Ircam-Centre Pompidou, 1996, p. 94
  • François Porcile, Les conflits de la musique française 1940 - 1965, Fayard, 2001
  • Olivier Meston, Eclat de Pierre Boulez, Michel de Maule, 2001.
  • Jean-Jacques Nattiez, Musiques - une encyclopédie pour le XXIe siècle, Actes sud, 2003
  • Ouvrage collectif, Pli selon pli de Pierre Boulez : entretien et études, Contrechamps, 2003
  • Ouvrage collectif, Pierre Boulez : techniques d'écriture et enjeux esthétiques, Contrechamps, 2006
  • Incidences…Pierre Boulez par Philippe Gontier (MF éditions-2006)
  • Véronique Puchala, Pierre Boulez : à voix nue, Lyon, Symétrie, 2008
  • Ouvrage collectif, La pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits, Delatour france, 2010 (version papier du colloque cité en référence)
  • Jonathan Goldman, The Musical Language of Pierre Boulez, Cambridge University Press, 2011
  • Steinegger Catherine, Pierre Boulez et le théâtre, de la Compagnie Renaud-Barrault à Patrice Chéreau, Préface de Joël Huthwohl, Prix des Muses 2013, XXe siècle, Collection Musica, Éditions Mardaga, 2012, 432 p.

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Notes et références

  1. Ainsi, en 1960, il compte au nombre des signataires du Manifeste des 121.
  2. Lors d’une conférence prononcée à Darmstadt en 1963, Boulez reviendra longuement sur la genèse de ce 1er livre qui fut également source de malentendus !
  3. Boulez revient plus longuement sur la genèse de cette œuvre dans la seconde partie de l'article « nécessité d'une orientation esthétique ». Cette recherche d’une telle association, au centre de son projet de compositeur, fera également l’objet de l’article intitulé précisément « le système et l’idée », ce titre faisant également écho à l’essai « le style et l’idée » de Schönberg (articles édités dans Points de repère I et III
  4. En 1958, Boulez multipliera les jugements massifs sur la musique concrète et la notion d’objet sonore dans un article de l’encyclopédie Fasquelle qui scellera pour longtemps l’inimitié entre les deux hommes. Entre leurs deux univers, les relations se décrisperont – un peu – par l’entremise de François Bayle lors du rapprochement GRM/Ircam.
  5. Interview reproduite dans son livre “la musique éveille le temps” , Fayard janvier 2009.
  6. Célestin Deliège : Cinquante ans de modernité musicale - De Darmstadt à l'Ircam
  7. Boulez parle d'un écoulement temporel à évolution double : l'une active, l'autre contemplative ; un « temps caoutchouc » avec lequel on « joue comme un accordéon » (info issue de la cassette "le temps musical 1" éditée par Radio France/Ircam).
  8. Page 192 des Neurones enchantés ; il s’agit d’une inspiration très lointaine et nous défions quiconque de prétendre que cela s’entend ! Au festival d’Aix de l’été 2000, Boulez fera venir une authentique formation de musique écossaise en première partie d'un concert consacré à Éclat/Multiples
  9. Page 120 des Leçons de musique aux éditions Christian Bourgois
  10. Voir la « Conclusion partielle » du chapitre Penser la musique aujourd'hui (suite) dans Points de repère I/Imaginer. Allusion à la lettre dite « du Voyant » de Rimbaud qui prônait, à l’inverse de Boulez, le dérèglement de tous les sens pour arriver à l’inconnu.
  11. Ici, force externe du vent et élasticité interne de l’ossature (à l’instar du couple idée/matériau) se fécondent mutuellement en une même identité sensible incarnée par les mouvements du pont puis par sa rupture (par analogie avec le discours et le renouvellement qu'il fait naître). En forçant la métaphore, les contorsions du pont (certes assez simples sur cet exemple) partagent quelque écho lointain avec ce « conflit d’une guirlande avec la même » à l’œuvre dans le Mallarmé de Pli selon pli… Les complexes sériels également présents dans ce cycle étaient d’ailleurs déjà décrits par Boulez comme un matériau musical « précontraint », situé à l'interface (faisant le pont pour ainsi dire !) entre structure musicale et syntaxe instrumentale.
  12. Cette méfiance vis-à-vis du risque de routine au sein de toute organisation se retrouve dans l’évocation de son souvenir de jeunesse concernant la pratique religieuse à l’Institution catholique Victor de Laprade : «  ce qui m’a frappé le plus, c’est une espèce de mécanique qui ne recouvrait absolument pas de conviction profonde : une parodie » rapporte encore Boulez dans Par volonté et par hasard (ce qui ne l’empêchera pas de s’associer au projet de restauration de la chapelle en 2008)
  13. : Pierre Boulez, l'écran traversé : cet article est repris dans la préface des Leçons de musique
  14. . Dans « Mille plateaux », édité en 1980, Deleuze avait lui-même emprunté à Pierre Boulez les notions de temps lisse et de temps strié dans un cadre plus large
  15. Les familiers de ses interviews constateront que l’expression « du reste » revient souvent à l’oral dans la bouche de Pierre Boulez, preuve supplémentaire s’il en est d’une grande capacité de rebond d’une idée à une autre et donc d’une pensée toujours très mobile chez le compositeur !
  16. Colloque international organisé par l’Ircam et l’École normale supérieure : on y trouvera une interview de Boulez où il évoque ...explosante-fixe... mais aussi beaucoup d’autres choses (par exemple une certaine allergie aux nombreuses citations dont use dans ses films un autre Pape s'il en est : Jean-Luc Godard !)
  17. : Pierre Boulez, pourquoi je dis non à Malraux
  18. « Sprengt die Opernhäuser in die Luft! » : interview de Boulez par un journaliste du Spiegel le 25 septembre 1967
  19. Le compositeur Bernd Alois Zimmermann fut également préoccupé à sa manière par l'idée d'une conception circulaire du temps, notamment dans son opéra Les Soldats
  20. Voir également le documentaire « Éclat » de Frank Scheffer où Boulez évoque les fonds des tableaux de Klee : « deux niveaux de perception : un arrière-plan informel sans aucune forme définie et un premier plan avec des motifs très précis » dit-il en substance dans la langue de Shakespeare (vers la 30e minute)
  21. Voir les chapitres « Local et global dans l’œuvre d’art » et « L’art, lieu du conflit des formes et des forces ? » dans Apologie du logos, recueil de textes de René Thom qui considérait sa théorie des catastrophes comme une théorie des analogies
  22. ces termes donnent « la force de rompre les règles dans l’acte même qui les fait jouer » dont parlait Foucault en conclusion de sa préface aux Leçons de musique, évitant le recours fustigé par Boulez aux « bouées de sauvetage » (page 333) et aux « épices sur un mets trop fade » (page 360) qui rendraient précaire le discours dans la succession comme dans la superposition
  23. Voir page 71 de son ouvrage de vulgarisation Le Théâtre quantique aux éditions Odile Jacob où il considère que « la variable quantique est plus primitive, fondamentale que son inscription temporelle » ; « à la fois au centre et absent » dirait Boulez...
  24. voir pages 263 et 723 de son livre 50 ans de modernité musicale ; « de tout très ramassé, l’œuvre en expansion a tendance à devenir une succession de fragments autonomes, de plus en plus développés, quoique précisément orientés » écrit de son côté Boulez à la page 711 des Leçons. Les deux hommes restent raisonnables et ne vont pas jusqu’à voir dans le climax de cette œuvre un quelconque rapport avec l'accélération de l'expansion de l'Univers ou jusqu’à comparer l’entrée des solistes à la théorie de l’inflation cosmique
  25. Mais gardons-nous néanmoins de voir dans les deux niveaux d’organisation en spirale de Répons une parenté avec la structure en double hélice de la molécule d’ADN : « Tout cela cliquette s’ouvre et se ferme dans une folie d’exactitude » disait pourtant à propos de celle-ci Salvador Dalí (cf Dali - l'œuvre peint aux éditions Taschen) qui donnait là sans le savoir comme une image en raccourci de Répons !
  26. Allusion au vers de Mallarmé qui clos le 3e mouvement de Pli selon pli
  27. « l’Encyclopédie est fascinée, à force de raison, par l’envers des choses […] Or tout envers est troublant : science et para-science sont mêlées, surtout au niveau de l'image. » écrit Barthes dans le degré zéro de l’écriture. En février 1978, ce dernier participera avec Deleuze et Foucault à l’atelier « le temps musical » proposé par Boulez à l’Ircam. Il n’est pas impossible que le titre choisi par Boulez pour Éclat/Multiples en 1970 soit une allusion aux « éclairs multiples » dont parle Barthes dans son introduction de L’empire des signes édité la même année
  28. Boulez admirait Bacon qui fut convié à l'Ircam en 1989 pour une audition de Répons. Une reproduction de la seconde version de son triptyque de 1944 (en) fut éditée à l’occasion aux éditions Librairie Séguier
  29. voir le cours vérité et temps donné par Gilles Deleuze le 20 mars 1984 ou le chapitre « les deux étages » dans son livre Le pli. « la Beauté […] est faite de saccades, dont beaucoup n’ont guère d’importance, mais que nous savons destinés à amener une Saccade, qui en a. » écrivait également André Breton à la fin de Nadja
  30. Voir sa conclusion dans l’ouvrage collectif Le timbre, métaphore pour la composition édité chez Christian Bourgois et page 393 des Leçons ou encore les « notes sur une querelle » de Jonathan Goldman dans l’ouvrage collectif Écrits de compositeurs, une autorité en questions aux éditions VRIN
  31. Voir l’avant-propos de Philippe Albèra dans le tome no 8 de la revue Contrechamps aux éditions L’Âge d’Homme qui regroupe des articles sur Brian Ferneyhough
  32. « ou ni l’une ni l’autre » pourrait finalement ajouter Lautréamont dont nous recyclons ici l’image célèbre…
  33. Voir pages 43, 51 et 141 de Contrechamps no 8. C’est précisément cette frontière interprétative de la partition dont il parle comme d’une trace archéologique, que le compositeur britannique souhaite en fait communiquer, en espérant que les indices laissés par cette sédimentation suscitent dans l’imaginaire de l’auditeur, et au-delà de son horizon perceptif, une reconstruction de l’Œuvre rêvée. Le phénomène du mirage évoque un peu ces « figures » : sortes de traces directement observables, bien que liées à un objet situé derrière l’horizon, mais avec un déficit d’informations à la suite de l'opération de filtrage dont le flou participe de l’esthétique
  34. Voir pages 498-501 des Leçons
  35. « la forme musicale concrète détruit la gangue structurelle qui l’a déterminée. » écrit Philippe Albèra dans les notes du livret cd Ferneyhough par l’ensemble Contrechamps
  36. Voir pages 327 des Leçons de musique où il n’est pas difficile de reconnaître la figure de Ferneyhough dans la catégorie des « meilleurs cas », Boulez ayant volontairement gommé dans l’édition papier de ses leçons toute référence trop direct à tel ou tel compositeur pour donner à son propos le sens le plus général possible ; tellement général qu’il est moins évident d’interpréter comme relevant du « cas » Ferneyhough l’évocation des « moments ouverts » évoqués page 690 (ce que le compositeur britannique appelle dans sa musique les moments de « déjà plus » et de « pas encore ») ou celle de la « déviation de l’interprétation » comparée au principe d’Heisenberg page 563 dans un contexte nettement plus élargi : nous entrons pour ainsi dire dans les « qualités de l’incertitude » de l’expression boulezienne au sein des Leçons
  37. Voir pages 141 de Contrechamps n° 8 où Ferneyhough qualifie ainsi l’interprète de sa pièce pour flûte Unity Capsule
  38. Difficile de ne pas penser à Boulez à la lecture de « Proust et les noms » dans le degré zéro de l'écriture où Roland Barthes cite ce néologisme. Le rapprochement que fait Connes entre le temps dans l’œuvre de Proust et « l’orbite du flot de Kronecker s’enroulant sur un tore » (lors du séminaire « Intelligence proustienne et imaginaire mathématique » du 9 avril 2013 au Collège de France) n’est d’ailleurs pas s’en rappeler les propos de Boulez sur le musée Guggenheim : la boucle est bouclée…
  39. Cité par Claude Cadoz qui ajoute « La notion de timbre est à la fois liée à des propriétés du monde objectif et à des nécessité intrinsèques au système perceptif qui ne s’expliquent pas en fonction du premier » dans son article « timbre et causalité » de Le timbre, métaphore pour la composition
  40. « La durée efface le passé qui pourtant l’enfante […] Le présent seul existe, immense, éternel, indestructible. » écrit Maurice Béjart dans les notes du livret cd Mantra 093
  41. Voir le documentaire Pierre Boulez, le geste musical de Marie-Christine Gambart et Ramdane Issaad
  42. Allusion au poème Je rame d’Henri Michaux, où il est également question d’« oreille qui n’entend plus » et de « cerveau qui ne comprend plus », et que Boulez utilisa dans Poésie pour pouvoir en 1958 ; œuvre mixte qu’il reniera par la suite bien que le témoignage enregistré qu’il en reste, avec la voix de Michel Bouquet, n’est pas sans stimuler l’imaginaire de l’auditeur
  43. Voir pages 655 et 116 des "Leçons" où une telle structure, qu’il appelle également « structure d’accueil », est la seule selon lui à pouvoir laisser s’épanouir des objets sonores impossibles à «déréaliser» car déjà trop complexes en soi pour supporter la mainmise de la composition
  44. Allusion à son monodrame Le prisonnier du son ; voir aussi son analyse de La noire à soixante dans le livre qu’il consacra à Pierre Henry aux éditions Fayard
  45. Voir page 98 des "Leçons" ou encore l’article « l’in(dé)fini et l’instant » dans Jalons (pour une décennie)
  46. Voir la section « percept, concept, pensée » de "L’homme neuronal" ; on trouvera dans le même paragraphe le recours à l’image des « boules du calculateur chinois » qui a peut-être inspiré le raccourci du « boulier » chez Boulez : les deux hommes, qui éditeront ensemble le livre Les Neurones enchantés en 2014, s'étaient probablement déjà croisés dans les années 80 au Collège de France
  47. Cette « question délicate » formulée par Boulez dans ses Leçons renvoie à la « sérieuse difficulté » dont il parle dans l'Encyclopédie pour le XXIe siècle : celle pour tout chef de savoir « transmettre de la manière la plus directe une connaissance profonde de la partition »
  48. Voir page 490 des Leçons : Stravinsky projetait de faire de ses enregistrements un complément de la partition auquel aurait dû se référer les interprètes
  49. Par exemple, dans l'expression S(n) = 1 + 2 + ... + n-1 + n, les points de suspension sont là pour exprimer ce qui ne peut être écrit en extension et requiert donc de la part du lecteur une participation intellectuelle. Face à leur partition, c'est aux interprètes de découvrir l'agogique d'un développement musical que le texte seul ne peut clamer : voilà une prise de conscience - un « mouvement de navette » entre intuition et concept dirait Blanché - qu'un robot-musicien aurait probablement du mal à exécuter...
  50. Voir son article « Répons et la crise de la communication » dans REPONS/BOULEZ. Le musicologue souligne néanmoins la réussite qu’apporte une œuvre comme Répons quant à la réduction d’un tel clivage
  51. Catherine Steinegger : pierre boulez et le théâtre
  52. Voir les sections « l’illumination » et « les croyances en mathématiques » pages 62-63 et 112 du livre "Matière à pensée" aux éditions Odile Jacob
  53. Voir page 162 des "Leçons" dans le chapitre « la composition et ses différents gestes » qui résume bien l’ensemble des sujets abordés dans l’ouvrage
  54. Page 599 des Leçons. De façon analogue, au contact d'une langue qui nous est étrangère, c’est d’abord à sa sonorité que nous sommes sensibles ; puis sa signification sémantique plus profonde - à la manière de l’hyperréalité « moins directement audible » de Boulez - se révèle peu à peu lorsque la langue nous devient plus familière
  55. Boulez a beaucoup écrit ! Ici, il s’agit de l’article de 1961 « construire une improvisation » que l’on retrouve, comme « Propositions » et « Son et verbe », dans Points de repère I ; notons au passage que c’est précisément Paule Thévenin qui prit l’initiative de réunir les premiers textes de Boulez dans les Relevés d’apprenti
  56. On en trouvera une reproduction dans l’ouvrage sur Klee déjà mentionné et dont l’édition fut également initiée par Paule Thévenin
  57. « cependant que l’acrobate est en proie à l’équilibre le plus instable, nous faisons un vœu. Et ce vœu est étrangement double et nul. Nous souhaitons qu’il tombe, et nous souhaitons qu’il tienne… etc » Godard a beaucoup cité : ce texte, issu de Tel Quel, se retrouve dans le chapitre intitulé « le contrôle de l’univers » de ses Histoire(s) du cinéma. C’est souvent la prouesse de s’être sorti d’une impasse d'une façon qu’ils n’auraient eux-mêmes pu prévoir – car il n’est pas aisé de se glisser dans la peau de celui qui tente précisément d’échapper à ses propres mécanismes - que les auditeurs applaudissent chez l’improvisateur.
  58. Voir pages 329-330 et 405
  59. « L'homme, quand on ne le tient pas, est un animal érotique, il a en lui un tremblement in... in..., un tremblement inspiré, une espèce de pulsation productrice de bêtes sans nombre qui sont la forme que les anciens peuples terrestres attribuaient universellement à dieu. Cela faisait ce qu'on appelle un esprit. »
  60. Voir L’ombre et son ombre ou l’art sublime de Haino Keiji édité en 100 exemplaires numérotés aux éditions La main négative. Malgré son goût prononcé pour les néologismes, rien n’indique dans la bibliographie si cet auteur correspond ou non au poète Bruno Fern… Haino collabora à ses débuts avec le danseur de butō Min Tanaka, fondateur du Laboratoire Météorologique du Corps qui étudie les diverses perceptions sensorielles
  61. cet enregistrement est accompagné d’un second disque, pour percussions et électronique, que ne renierait pas l’auteur du Théâtre de la cruauté. Au sein de la discographie pléthorique du japonais, on pourra écouter également l’enregistrement du label PSF intitulé Nijiumu que Fern traduit par « réciprocité pénétrante »
  62. Voir dans les Fragments d'un discours amoureux la section intitulée « la loquèle » où l’amoureux inconsolable « tripote sa blessure », la ravalant et la régurgitant sans cesse dans un mouvement de ressassement comparé à celui du joueur de vielle ; le thème de la blessure, de l’ami ou de la blessure pour « amie » revient assez souvent chez Haino, avec ou sans vielle (comme dans le live pour guitare « Affection »)
  63. C’est par ce « plus profond maintenant » qu’il traduit le concept japonais de « Ma » : cf Revu et corrigée n°75 de mars 2008 ou le « Interview Haino » (consulté le )
  64. Voir page 561-562 des Leçons, Boulez précisant à propos des limites de la chose écrite : « elle ne transmet qu’une part de l’invention […] Il faut accepter qu’il y a des catégories non négligeables, voire essentielles, qui échappent à la notation »
  65. Interview donnée au journal la Croix du 23 juin 2013 donné à l’occasion de la sortie d’un coffret regroupant toutes ses œuvres
  66. Voir les notes du livret cd par Wolfgang Fink
  67. Pages 540-548 des Leçons
  68. Page 422 des Leçons
  69. Voir le chapitre du même nom dans Apologie du logos ; cette boîte accueille un florilège d’autres notions parmi lesquelles celles de hasard ou de niveaux d’organisation
  70. Chapitre n°44 de son adaptation radiophonique des Chants de Maldoror ; la superposition qu’il y réalise entre le piano normal et le piano « à l’envers » pourrait toutefois être rapprochée de la distinction que fait Boulez entre écriture évènementielle et non évènementielle et qu’il qualifie également d’écriture « orientée» et « non orientée »
  71. Est-il d’ailleurs possible de jouer « en temps réel », à la main ou non, une musique correspondant à un son temporellement inversé ? La question semble proche du non-sens mais mérite d’être posée car comme l’écrivait Boulez dans « À la limite du pays fertile » : « il n’est pas prouvé que l’oreille ne perçoive pas les subtilités que la main ne peut exécuter »
  72. Dans Acoustique et musique, Emile Leipp considère que « la salle conditionne la forme et la vie des « êtres sonores » que l’auditeur capte avec son oreille : elle est bien un « morceau », un prolongement de l’instrument »
  73. Comment d’ailleurs circule l’air dans tous ces tuyaux ? Un extra-terrestre voyant pour la première fois un joueur de cornemuse aurait peut-être quelque incertitude quant à savoir où commence l’instrument et où finit l’instrumentiste… En matière de géométrie non commutative, Alain Connes préfère donner l’exemple suivant : « ce n’est pas la même chose d’ouvrir une canette de bière et de la boire, et d’essayer de la boire puis de l’ouvrir »
  74. Voir les pages 620-622 ainsi que la conclusion des Leçons de musique dont même la couverture semble contaminée par un tel conflit réel/virtuel…
  75. Nous nous inspirons ici de Jean-Luc Godard qui considère, dans le chapitre « Seul le cinéma » de ses « Histoire(s) du cinéma », que la télé est une image qui « réduit » ou qui « nous projette nous, spectateur, mais on perd connaissance alors » tandis que le spectateur de cinéma est « attiré »
  76. « l’Ange-feu » est un raccourci proposé par Bayle pour synthétiser les anges célestes et le mur de feu. On trouvera dans La musique et les sciences cognitives aux éditions Mardaga, une présentation de son approche personnelle du phénomène sonore dans son article « l’image de son ou i-son : Métaphore/Métaforme »
  77. Page 188 des "Leçons" ; c’est lorsqu’une « structure d’accueil » (telle qu'évoquée plus haut pour La noire à soixante) devient trop accueillante qu’elle devient en somme farcie d’évènements sonores
  78. Voir p 225 des Neurones enchantés ; « Haino serait heureux si sa musique pouvait avoir un effet thérapeutique sur les gens (mais pas dans le sens d’une « worl healing music » qu’il déteste » écrit de son côté Bruno Fern
  79. Page 33 des Neurones enchantés
  80. ce caractère évènementiel, très représentatif de la logique arrachement/incorporation se retrouve à un état plus élémentaire dans la notion de nombre premier : n’étant pas multiples des nombres qui les précèdent, chacun d’entre eux apporte en effet du neuf dans la suite des entiers, tout en y étant parfaitement incorporé
  81. On se plairait presque à imaginer que c’est « l’animal » Haino qui figure dans chacun des trois panneaux de la seconde version du triptyque de Bacon (en)...
  82. Page 32-33 du livre de Bruno Fern
  83. Voir la première partie de l’article « nécessité d'une orientation esthétique » ; l’expression est emprunté au « noyau infracassable de nuit » de Breton
  84. Notons qu’après avoir défait ses propres nœuds , le compositeur – et c’est ce qui le distingue du scientifique – se doit d’en réaliser de nouveaux : les plus difficiles à démonter étant alors, pour l’auditeur, les plus intéressants
  85. Voir l’ouvrage collectif Pli selon pli de Pierre Boulez ; cet article est repris dans Le son et le sens du même auteur
  86. Voir l’article de Robert Piencikowski dans l'ouvrage collectif Pierre Boulez : techniques d'écriture et enjeux esthétiques
  87. Voir le chapitre du même nom dans Les cycles du temps aux éditions Odile Jacob : dans son modèle encore spéculatif de cosmologie conforme cyclique, c’est ainsi que le physicien qualifie la transition qu’il propose entre le stade ultime d’un univers en expansion et un nouveau Big Bang. Vue sous cet angle un brin aventureux, la coda de Pli selon pli peut être entendu, conformément au sens du poème, comme une renaissance après le silence de la section précédente. À l’opposé, on trouve dans le premier mouvement « Don » comme un second début : environ 5 minutes après le tutti initial, un deuxième coup de semonce, que l’auditeur familier sent venir de loin, réussit pourtant à prendre au dépourvu lorsque, enfin, il survient
  88. Serait-ce pour éviter la paralysie occasionnée par ce silence que Boulez choisira purement et simplement, lors de l’exécution de Pli selon pli à Pleyel le 27 septembre 2011, de ne pas jouer ce segment ? Ou craindrait-il de saturer les spectateurs ? Quoi qu’il en soit, on aurait tord d’exiger d’une composition qu’elle soit logique : c’est aussi dans ses contradictions que se révèle la beauté d’une œuvre
  89. Les manuscrits de Pierre Boulez sont archivés à la Fondation Paul Sacher en Suisse
  90. Cf. le documentaire Pierre Boulez : À la recherche d'un temps futur (Arte SWR, 2005).
  91. Un témoignage de Jean Louis Barrault sur les débuts de Boulez au théâtre Marigny
  92. Une archive de la télévision suisse romande : Boulez en répétition avec l'Orchestre de la Résidence de La Haye
  93. Propos rapporté le 8 mars 1958 dans Les potins de la Commère de France-Soir d'après le livre Les conflits de la musique française de François Porcile
  94. Bref reportage d'Antenne 2 sur Boulez à Avignon
  95. La cacographie sur le titre est d'origine (i.e. l'absence de majuscule à Cummings, nom propre, et à Dichter, nom commun en allemand qui doit donc prendre une majuscule), cf. le sous-site BRAHMS de l'IRCAM, « cummings ist der dichter, Pierre Boulez » (consulté le ) ; ce jeu sur la casse fait écho au nom de plume « e. e. cummings » du poète E. E. Cummings, célèbre pour son emploi fort peu orthodoxe des majuscules.
  96. Une anecdote répandue (mais non vérifiée) indique que ce serait suite à une incompréhension entre un Boulez pas très à l'aise à cette époque avec la langue de Goethe et une secrétaire chargée de l'impression du programme que ce titre aurait été donné (cf. Jean Henri Huber, « MUSIQUE CONTEMPORAINE.INFO - Cummings ist der Dichter (Boulez) » (consulté le )).
  97. Les enregistrements où il dirige ses compositions sont listés dans la section suivante.
  98. (en)European Academy of Sciences and Arts - Academia Scientiarum et Artium Europaea - Members sur www.euro-acad.eu
  99. (de) Pierre Boulez - Von 1963 bis 1979 Außerordentliches Mitglied der Akademie der Künste, Berlin (West), Sektion Musik. Von 1978 bis 1993 Korrespondierendes Mitglied der Akademie der Künste, Berlin (Ost), Sektion Musik. Von 1979 bis 1993 Mitglied der Akademie der Künste, Berlin (West), Sektion Musik. Seit 1993 Mitglied der Akademie der Künste, Berlin, Sektion Musik sur le site de l'Akademie der Künste
  100. (es) « Pierre Boulez, Medalla de Oro del Círculo de Bellas Artes 23.11.2007 », sur Círculo de Bellas Artes (consulté le ).