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Contre l'avis de son père, peu favorable à l'éducation des filles, Louise Weiss devient agrégée de lettres à 21 ans et diplômée de l'université d'Oxford. Elle refuse le poste d'enseignant qui lui est proposé puis se tourne vers le journalisme. Elle fréquente alors les exilés tchèques et slovaques à Paris quartier du 19e, Tomáš Masaryk, Edvard Beneš et Milan Stefanik et s'intéresse aux relations internationales.
Le combat pour la paix et la construction européenne
Femme de convictions et marquée par l'horreur du premier conflit mondial, elle cherche à rapprocher la France et l'Allemagne pour des intérêts publics. Après avoir collaboré au journal Le Radical sous le pseudonyme masculin Louis Lefranc, elle écrit jusqu'en 1934 dans la revue hebdomadaire L'Europe nouvelle[3] — fondée avec le soutien financier du journaliste Hyacinthe Philouze, dont le premier numéro paraît le et le dernier en . Avec cet hebdomadaire, elle a pour ambition de fonder « une méthode et un instrument de travail pour une science de la paix ».
Étant en désaccord avec Philouze, Louise Weiss quitte L'Europe nouvelle pour collaborer à L'Information et au Petit Parisien. Elle se rend en reportage dans les capitales de l'Europe orientale (Prague, Budapest, Vienne, Varsovie), et à son retour revient à L'Europe nouvelle, dont Philouze, qui quitte la revue, lui laisse les commandes. Elle entend utiliser ce journal pour diffuser sa volonté de pacifisme. Elle sait s'entourer de futures grandes personnalités, qui lui fournissent une aide précieuse au sein du comité de rédaction, tel Louis Joxe, collaborateur privilégié. Henry de Jouvenel, Wladimir d'Ormesson, Georges Bonnet, Aristide Briand, Édouard Herriot, Marcel Cachin, Léon Blum, Saint-John Perse, Paul Valéry, Élie Faure l'aident également, occasionnellement. Louise reprend ses voyages en Europe : elle se rend notamment en Russie où elle rencontre Léon Trotski, mais ne peut approcher Lénine.
Croyant toujours en l'efficacité de la SDN, elle accompagne à Genève Herriot, qui fait partie de la délégation française à la SDN, au début d'. Elle y rencontre Briand : celui-ci vient d'exprimer dans L'Europe Nouvelle son souhait de créer une « compagnie anonyme de la paix ». Pacifiste, elle s'efforce de suivre Briand dans ses déplacements, convaincue comme lui que le recours à l'arbitrage est la seule voie pour assurer la sécurité. Elle est inconsciente, comme lui, que la SDN, sans force armée et sans le soutien des États-Unis, la plus grande puissance économique mondiale, est vouée à l'impuissance quel que soit le talent verbal d'un Briand.
Les chances s'amenuisant de sauver la paix par le désarmement, face à l'atmosphère de l'Allemagne à partir de 1930, Louise Weiss organise un cycle de conférences dans le cadre de L'École de la Paix qu'elle a fondée à la fin de l'année. Louis Joxe en est le secrétaire général. Placée sous le haut patronage de Briand, elle est inaugurée le et connaît un certain succès du fait de la renommée des conférenciers. Devenue un "établissement libre d'enseignement supérieur", l'École de la Paix, rattachée à l'académie de Paris, alloue aussi des bourses d'étude et de voyage aux étudiants des Écoles normales d'instituteurs et institutrices pour former des missionnaires de la paix qui feront évoluer les mentalités.
L'accession au pouvoir de Hitler, le , et la politique initiée par le nouveau chancelier allemand inquiètent Louise Weiss. Elle se fait un devoir de publier en 1933 les lois d'Adolf Hitler relatives à l'aryanisation des écoles et administrations allemandes, à la stérilisation des infirmes et des malades, et elle ajoute dans ses Mémoires d'une Européenne« Personne, en France, n'y fit alors attention ».
Elle quitte L'Europe Nouvelle à la suite de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne, qui marque l'échec du projet européen de rapprochement franco-allemand porté dès 1930[4] par Aristide Briand, et à cause des dissensions au sein de l'équipe de la revue, certains souhaitant encore une coopération avec l'Allemagne. Elle y signe son dernier article le [5].
Affiche de La Femme nouvelle au musée de Saverne.
Le combat féministe
Louise Weiss choisit très tôt de faire cavalier seul. De Maria Vérone, elle dresse ce portrait acide :
« Le souvenir qu'elle me laisse est celui d'une avocate dont le grand talent n'éclipsait ni la méchanceté, ni le manque de grâce. Quels chapeaux et quels souliers ! À elle seule, Maria entretenait la légende de la femme croque-mitaine, ogresse encline à dévorer les pauvres hommes ! »
De Cécile Brunschvicg : « Si le féminisme l'avait introduite dans les milieux politiques, le radicalisme lui avait permis d'y rester et d'en retirer les agréments qui découlent toujours de relations avec un pouvoir que l'on ne désire point heurter ». De façon injuste et méprisante au regard des féministes qui l'ont précédée « c'est à coups de pied qu'il faut sortir le féminisme des quelques salons où il se pavane et des ligues orthodoxes où il se momifie ».
En 1934, elle épouse José Imbert, un architecte dont elle divorce deux ans plus tard en 1936, ce que certains jugeront comme un mariage de convenance.
Droit de voter et d'être élue : elle entend bousculer l'inertie des élus nationaux par des méthodes radicales et fonde en 1934 l'association « Les femmes nouvelles ». Louise Weiss se présente symboliquement aux élections municipales de Montmartre le ; elle excelle dans la provocation ironique : transformant des cartons à chapeaux en urnes, elle recueille 18 000 bulletins en sa faveur. Aux élections législatives de 1936, elle se présente symboliquement dans le 5e arrondissement de Paris et mène des actions spectaculaires destinées à attirer l'attention de la presse.
Appel de l'Alliance démocratique. Mention manuscrite : « Distribué au meeting féministe, place de la Mutualité, 22 mai 1936, présidente Louise Weiss ».
En 1936, elle aurait refusé un poste ministériel proposé par Léon Blum en lui répondant « J'ai lutté pour être élue pas pour être nommée ».
Bulletin de vote « Louise Weiss » au musée de Saverne.
Actions féministes des membres de l'association « La femme nouvelle ».
Le , elles distribuent aux députés des myosotis, fleur qui signifie symboliquement « Ne m'oubliez pas ».
Le , elles offrent aux sénateurs des chaussettes avec l'inscription « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ».
Le , elles investissent la piste du champ de course de Longchamp, lors du Grand Prix, avec des pancartes portant l'inscription « La Française doit voter ».
Le , elles s'enchaînent les unes aux autres et empêchent la circulation, rue Royale, à Paris[6].
À l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale
Après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, le , Louise Weiss fonde fin 1938 l'Union des Françaises décorées de la Légion d'honneur, comptant sur leur patriotisme pour promouvoir l'importance de la défense passive d'un « service national féminin ». Les volontaires sont nombreuses à vouloir s'engager pour défendre la patrie en cas de guerre, mais Édouard Daladier, ministre de la Guerre, et Albert Lebrun, président de la République, refusent de les incorporer. À la fin d'août 1939, elle propose au général responsable du Comité de la défense passive, d'utiliser les femmes à la défense de la patrie. Il lui propose d'organiser des quêtes pour recueillir de l'argent !
Le , elle obtient de son ami Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, la création d'un Comité des réfugiés — dont le baron Robert de Rothschild assurera généreusement le fonctionnement — pour accueillir ceux qui fuyaient le régime nazi. Elle écrit « les persécutions d'Adolf Hitler contre la « race maudite » laissaient la moyenne des Français encore incrédules, les atrocités de la Kristallnacht, à partir desquelles l'extermination des israélites de la Grande Allemagne avait été décidée, n'avaient pas autrement ému l'opinion publique, maintenue dans une ignorance délibérée par les partisans de la paix à tout prix, qui fermaient les yeux et se bouchaient les oreilles ».
En 1940, le général de Gaulle prononce l'Appel du 18 Juin. Elle ne se rallie pas à cet appel. Elle effectue un séjour de quatre mois aux États-Unis à la tête d'une mission pour collecter des médicaments destinés aux enfants de France, dans la logique de son engagement humaniste. Il s'agit d'une action de solidarité qui ne peut en rien être apparentée à une adhésion à la politique vychiste. De retour à Paris, elle s'aperçoit que son nom figure sur la liste des personnalités juives à éliminer ; elle se fait délivrer un faux certificat de baptême protestant, grâce à la protection du pasteur Monod. La mention de son nom disparaît de la liste publiée par le Commissariat général aux questions juives. Des membres de sa famille seront déportés.
Louise Weiss n'a jamais occupé de fonction officielle dans le gouvernement de Vichy. A titre personnel, Louise Weiss s'est opposée au maréchal Pétain, auquel elle reproche d'avoir tout cédé aux Allemands dès 1940. Elle a eu un regard très critique sur Pétain, Laval et Doriot. Elle a écrit une pièce de théâtre intitulée « Sigmaringen », pièce engagée, fondée sur la description de l’absurdité de la situation du gouvernement français vychiste en exil, exfiltré dans ce château sur ordre d'Hitler, du 07/09/1944 au 22/04/1945. Voilà ce qu’elle en dit, dans Tempête sur l'Occident, p. 46 à 54 : « Et si je me suis férocement saisie d’un cas extrême de l’irréalisme auquel peut conduire la passion du pouvoir, c’est pour mettre en garde les hommes d’Etat qui se croient encore les maîtres alors qu’ils ne commandent plus ». Dans ce passage, elle a des propos mordants sur Pétain et Laval, véritables « fantômes », qu'elle qualifie d' « insensés », qui ont perdu contact avec le réel et s'enfuient dans l'imaginaire, semblables à des « bonnets à clochettes ». Elle ne s'est rendue à Sigmaringen qu'en juin 1946, étape dans son voyage pour assister au procès de Nüremberg. Là, elle médite sur l’histoire de cette ville et évoque cette période à la fin de la 2GM où le gouvernement de Vichy en déconfiture se donnait encore un semblant d’existence : « Personne n’existait plus en France qui pût déléguer des pouvoirs à quiconque, sauf le général de Gaulle ». Dans son Agenda de 1948, le 19/12, elle est d'ailleurs invitée par le général de Gaulle, qui lui dédicace ses Mémoires, reconnaissant son engagement humaniste, et la lucidité dont elle a fait preuve dès 1933, en titrant l'édito de l'Europe Nouvelle : "On ne pactise pas avec Hitler" (18/11/1933).
À la Libération, elle entreprend de s'informer en multipliant les voyages à l'étranger, aux États-Unis, au Canada, au Mexique, en attendant que la situation politique en France se décante. Elle a écrit, pendant l'occupation allemande, des articles dans le journal clandestin résistant La Nouvelle République sous le nom de code Valentine (on peut voir certains de ces articles exposés dans les vitrines du musée de Saverne) ; elle a aussi participé au réseau de résistance Patriam Recuperare.
En 1945, avec Gaston Bouthoul, fondateur de la polémologie (science de la compréhension des conflits), elle fonde l'Institut de polémologie, qu'elle fera rentrer à l'université de Strasbourg dans les années 1960. Elle va alors commencer à parcourir le monde, réalisant de nombreux films documentaires. En 1971, elle fonde à Strasbourg l'Institut des sciences de la paix.
En , elle crée une fondation qui porte son nom qui chaque année prime les auteurs ou les institutions ayant le plus contribué à l'avancement des sciences de la paix, à l'amélioration des relations humaines et aux efforts en faveur de l'Europe[3]. Parmi les lauréats, on compte Helmut Schmidt, Médecins sans frontières, Anouar el-Sadate.
Elle s'est engagée dans les premiers projets d'une union européenne. En 1979, pour la première élection au suffrage direct du Parlement européen, elle est élue eurodéputée sur la liste RPR malgré ses combats féministes assez éloignés de la ligne du parti[3]. À 86 ans, elle y prononce, au titre de doyenne, un discours d'ouverture historique[3] lors de la première session du nouveau parlement à Strasbourg le .
↑ abc et dYves Denéchère, « Louise Weiss et quelques autres : candidates et élues gaullistes au Parlement européen (1979-1989) », Histoire@Politique, vol. 2, no 17, , p. 51-68, § 8-9 (DOI10.3917/hp.017.0051, lire en ligne).
Célia Bertin, Louise Weiss, Paris, Albin Michel, 1999 (ISBN2226107762)
Jean-Louis Debré et Valérie Bochenek, Ces femmes qui ont réveillé la France, Paris, Arthème Fayard, , 374 p. (ISBN978-2-213-67180-2)
Marie-Emmanuelle Reytier, Louise Weiss : pacifiste et féministe par opportunisme ? ou par conviction ?, dans Femmes, culture et pouvoir, Centre universitaire d'études québécoises, Université de Laval, Canada, 2011.
Michel Lœtscher, Louise Weiss, une Alsacienne au cœur de l'Europe, Éd.Place Stanislas (2009)
Vidéographie
Louise Weiss, une femme d'influence, documentaire télévisé d'Alain Jomy, 2003