Période d'Uruk

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Masse d'armes de la période d'Uruk, Tello, v. 3500–2900 av. J.-C., Musée du Louvre.

La période d'Uruk est un stade de développement protohistorique de la Mésopotamie, qui couvre à peu près le IVe millénaire av. J.-C. Comme son nom l'indique, elle a été identifiée à partir des fouilles archéologiques de la cité d'Uruk, en Basse Mésopotamie, qui ont livré pour cette période un ensemble monumental dépassant largement ce qui se faisait ailleurs à la même époque. Plus largement, cette période concerne également les régions voisines du Moyen-Orient (Syrie, Iran occidental, Anatolie du sud-est), qui ont connu une certaine influence mésopotamienne durant certaines phases de développement de la culture d'Uruk. Cette période tend d'ailleurs à être mieux connue dans ces « périphéries » qu'en Mésopotamie même, du fait de la situation politique récente de cette région qui y empêche les chantiers de fouilles.

Les études sur la période d'Uruk sont parmi les plus dynamiques sur la protohistoire du Proche-Orient ancien depuis le début des années 1980. Elles s'intéressent d'abord aux apports de cette période, venus principalement de Mésopotamie : apparition de l'État, des villes, de sociétés encore plus « complexes » que celles de la période précédente, celle d'Obeid, et l'apparition de l'écriture qui se produit dans la dernière phase de l'époque d'Uruk, accompagnant des mutations importantes dans le domaine symbolique. Un autre grand sujet d'étude est celui des relations entretenues entre la Basse Mésopotamie qui est le foyer de la culture d'Uruk, et les régions voisines qui ont reçu son influence dont on discute des modalités et de l'importance.

Chronologie et cadre géographique : la Basse Mésopotamie et les régions voisines au IVe millénaire av. J.-C.

Une chronologie incertaine

La chronologie de la période d'Uruk est très discutée et donc encore très imprécise. On sait qu'elle couvre une grande partie du IVe millénaire av. J.-C. Mais il n'y a pas d'accord sur la datation de ses débuts, de sa fin, et les grandes césures internes qu'il faut y distinguer. Cela est d'abord dû au fait que la stratigraphie d'origine, celle identifiée dans le quartier central d'Uruk, est ancienne, comporte des zones d'ombres, et ne répond pas forcément aux problématiques récentes du fait de l'ancienneté de ses fouilles (années 1930). Ensuite, ces problèmes sont en grande partie liés à la difficulté qu'éprouvent les spécialistes à établir des synchronismes entre les différents sites archéologiques, et donc à établir une chronologie relative des sites de la période qui permettrait de mettre au point une chronologie absolue plus fiable.

La chronologie traditionnelle, très imprécise, est donc établie à partir des niveaux repérés par sondage dans le quartier de l'Eanna à Uruk[1]. Les niveaux les plus anciens de ce sondage (XIX-XIII) sont ceux de la période d'Obeid final (Obeid V, de 4200 à 3900-3700), la poterie caractéristique de la période d'Uruk commençant à apparaître dans les niveaux XIV/XIII. La période d'Uruk est traditionnellement divisée en plusieurs phases. Les deux premières sont l'« Uruk ancien » (niveaux XII à IX du sondage de l'Eanna) puis l'« Uruk moyen » (niveaux VIII à VI). Ces deux premières phases sont mal connues, et leurs bornes chronologiques sont mal définies, on trouvera souvent des découpages chronologiques différents. À partir du milieu du IVe millénaire, on glisse progressivement vers la phase la mieux connue, celle de l'« Uruk récent », qui dure jusque vers 3200 ou 3100. C'est en fait cette période qui rassemble les traits généralement attribués à la civilisation de la période d'Uruk[2] : haut développement technique, développement d'agglomérations urbaines importantes avec leurs monuments imposants, les plus caractéristiques étant ceux du niveau IV de l'Eanna, avec l'apparition de l'État, et l'expansion de la culture urukéenne dans tout le Moyen-Orient. Cette phase de l'Uruk récent est suivie d'une autre phase (niveau III de l'Eanna) qui voit le déclin de la civilisation d'Uruk, et l'éclatement du Moyen-Orient en plusieurs cultures locales bien distinctes : on l'appelle couramment période de Djemdet Nasr, d'après un autre site mésopotamien[3],[4]. Sa nature exacte est très discutée, et il est difficile de distinguer clairement ses traits de la culture d'Uruk. On considère donc parfois qu'il s'agit d'une période d'« Uruk final ». Elle s'achève vers 3000 ou 2900.

Plus récemment, une nouvelle chronologie a été proposée par des participants d'un colloque réuni à Santa Fe[5], reposant sur les fouilles récentes de sites, notamment hors de Mésopotamie. Elle reprend le terme de chalcolithique, considérant la période d'Uruk comme un Late Chalcolithic (Chalcolithique tardif), abrégé en LC. Le LC 1 correspondrait à l'Obeid final, qui s'achève vers 4200 quand commence le LC 2, première phase de la période d'Uruk, donc Uruk ancien, lui-même divisé en deux phases dont la césure est à situer vers 4000. Vers 3800 débute le LC 3, qui correspond à une phase moyenne, qui dure jusque vers 3400 quand lui succède le LC 4, alors que le LC 5 (Uruk récent) prend le relais rapidement et dure jusque vers 3000. Selon cette chronologie, la période d'Uruk est donc étalée sur plus de 1000 ans, ce qui complexifierait encore plus son étude.

On constate donc que la chronologie de la période d'Uruk est des plus incertaines. On peut s'accorder sur une vague durée de près d'un millénaire couvrant en gros la période de 4000 à 3000 av. J.-C., et y distinguer plusieurs phases : une première croissance urbaine et l'élaboration des traits culturels urukéens en guise de transition avec la période d'Obeid finale (Uruk ancien), puis une période de forte expansion vers l'extérieur (Uruk moyen), avec ensuite un apogée durant lesquels les traits caractéristiques de la « civilisation d'Uruk » se mettent définitivement en place (Uruk récent), suivi d'un recul de l'influence urukéenne et donc d'une plus grande hétérogénéité culturelle du Moyen-Orient suite au déclin de son « centre ». Certains chercheurs ont tenté d'expliquer ce dernier phénomène par l'arrivée de nouvelles populations d'origine sémite (les futurs « Akkadiens »), sans preuve convaincante[6]. Débutent alors la période de Djemdet Nasr en Basse Mésopotamie, qui voit un début de concentration de l'habitat et sans doute une réorganisation du pouvoir[4],[7], et les phases proto-élamite en Iran du sud-ouest, Ninive V en Haute Mésopotamie (où elle succède à la culture de Gawra), culture de la « Scarlet Ware » dans la Diyala[8]. Au début du IIIe millénaire commence la période dite des « Dynasties archaïques » en Basse Mésopotamie, durant laquelle cette région a toujours un rayonnement considérable sur ses voisines.

La Basse Mésopotamie urukéenne : un « centre » ?

Une riche région agricole et urbaine

Localisation des sites principaux de Mésopotamie méridionale à la période d'Uruk finale et de Djemdet Nasr.

La Basse Mésopotamie est le cœur de la culture de la période d'Uruk, la région qui semble bien être le centre culturel de cette époque, celle où on a retrouvé les principaux monuments, les traces les plus évidentes d'une société urbaine avec des institutions étatiques mises en place durant la seconde moitié du IVe millénaire, le premier système d'écriture, et dont la culture matérielle et symbolique a le plus d'influence au Moyen-Orient. Pourtant, cette région est mal connue par l'archéologie, puisque seul le site d'Uruk a livré les traces d'une architecture monumentale et des documents administratifs justifiant de faire de cette région la plus dynamique et influente. Peu d'autres sites ont livré des constructions de cette période, qui n'est en général connue que par des sondages. En l'état actuel des connaissances, il reste impossible de déterminer si le site d'Uruk est véritablement unique pour cette région où si c'est le hasard des fouilles qui nous fait le considérer comme plus important que les autres.

C'est la région du Moyen-Orient qui est la plus prospère grâce à son agriculture irriguée élaborée depuis le VIe millénaire, reposant sur la culture de l'orge (associée à celle du palmier-dattier et différents fruits et légumes), ainsi que sur l'élevage des ovins fournissant de la laine[9]. Bien que dépourvue de ressources minérales importantes et située dans un espace aride, elle dispose d'atouts géographiques et environnementaux indéniables : il s'agit d'un vaste delta, une région plane parcourue par des cours d'eau, donc d'un espace agricole utile potentiellement vaste sur lequel les communications (par voie fluviale ou terrestre) sont aisées[10]. Elle peut ainsi devenir une région très peuplée et urbanisée au IVe millénaire[11], connaître une hiérarchisation sociale plus poussée, accompagnée par une spécialisation des activités artisanales et sans doute un développement du commerce à longue distance. Elle a fait l'objet de prospections archéologiques menées par R. McCormick Adams, dont les travaux sont très importants pour la compréhension de l'émergence de sociétés urbaines dans cette région[12]. Y ont été repérés une claire hiérarchisation progressive de l'habitat, dominé par des agglomérations de plus en plus importantes au IVe millénaire, en premier lieu Uruk qui semble être de loin la plus vaste, donc le cas le plus ancien de macrocéphalie urbaine.

La composition ethnique de cette région pour la Période d'Uruk ne peut être déterminée avec certitude. Cela rejoint la problématique de l'origine des Sumériens et de la datation de leur émergence (si on estime qu'ils sont allogènes à la région) ou de leur arrivée (si on considère qu'ils y ont migré) en Basse Mésopotamie. Il n'y a pas de consensus sur des traces archéologiques d'une migration, ou sur le fait que la première forme d'écriture note déjà une langue précise. Certains avancent qu'il s'agit bien déjà de sumérien, auquel cas les Sumériens en seraient les inventeurs[13] et seraient alors déjà présents dans la région au moins dans les derniers siècles du IVe millénaire (ce qui semble la solution la plus couramment retenue)[14]. La question de la présence d'autres groupes ethniques, notamment des Sémites (ancêtres des « Akkadiens ») ou encore éventuellement un ou plusieurs peuples « pré-sumériens » (ni sumériens ni sémites, et antérieurement aux deux dans la région) est également débattue et ne peut être tranchée[15].

Uruk

De ces agglomérations, c'est Uruk, site éponyme de la période, qui est le plus grand et de loin dans l'état actuel de nos connaissances, et surtout celui à partir duquel la séquence chronologique de la période a été bâtie. Il pourrait avoir couvert 230 à 500 hectares à son apogée durant l'Uruk récent, donc bien plus que les autres grands sites contemporains, et cette agglomération aurait pu regrouper de 25 000 à 50 000 habitants[16]. On connaît essentiellement l'architecture imposante de deux groupes monumentaux situés à 500 mètres de distance. Les constructions les plus remarquables sont situées dans le premier, le secteur dit de l'Eanna (du nom du temple qui s'y trouve aux périodes suivantes, s'il n'y est déjà). Après le « Temple calcaire » du niveau V, un programme de constructions sans équivalent jusqu'alors est entrepris au niveau IV. Les bâtiments ont désormais des dimensions bien plus vastes que précédemment, certains ont des plans inédits, et on met au point de nouvelles techniques de construction pour les réaliser et les décorer. L'Eanna du niveau IV est divisé en deux ensembles monumentaux : à l'ouest, un premier complexe regroupe le « Temple aux mosaïques » (décoré par des mosaïques formées par des cônes d'argile peints) du niveau IVB ensuite recouvert par un autre édifice (le « Bâtiment en briquettes ») au niveau IVA ; à l'est se trouve un groupe plus importants de documents, notamment un « Bâtiment carré » et le « Temple aux piliers », remplacés ensuite par d'autres édifices de plan original, comme le « Hall aux piliers » et le « Hall aux mosaïques », une « Grande cour » carrée, et deux édifices plus vastes à plan tripartite, le « Temple C » (54 × 22 mètres) et le « Temple D » (80 × 50 mètres), le bâtiment le plus vaste connu pour la période d'Uruk. Le second secteur (attribué au dieu An par les fouilleurs du site car c'est là que se trouve le sanctuaire de ce dieu 3 000 ans plus tard) est dominé par une série de temples bâtis sur une haute terrasse depuis la période d'Obeid, le mieux conservé étant le « Temple blanc » du niveau Uruk IV, mesurant 17,5 × 22,3 mètres, qui doit son nom au plâtre blanc recouvrant ses murs. À ses pieds avait été édifié un bâtiment à plan labyrinthique, le « Bâtiment en pierre »[17].

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La fonction de ces constructions, inédites par leur taille et surtout le fait qu'elles soient réunies en groupes monumentaux, est débattue. Les fouilleurs du site voulaient y voir des « temples », influencés par le fait qu'aux périodes historiques l'Eanna est le quartier de la déesse Inanna et l'autre est celui du dieu An, en lien avec les théories de « cité-temple » en vogue durant l'entre-deux-guerres. Il est possible qu'on soit en fait en présence d'un lieu de pouvoir formant un complexe d'édifices de nature différente (résidences palatiales, espaces administratifs, chapelles palatiales), voulus par le pouvoir dominant dans la ville, dont la nature reste à déterminer[18]. En tout cas il a fallu mettre en œuvre des moyens considérables pour les édifier, ce qui montre les capacités des élites de cette période. Uruk est également le site sur lequel ont été retrouvés les lots les plus importants des premières tablettes écrites, aux niveaux IV et III, dans un espace où elles avaient été mises au rebut, ce qui fait que leur contexte archéologique de rédaction nous est inconnu. Le niveau d'Uruk III, correspondant à la période de Djemdet Nasr, montre une réorganisation complète du quartier de l'Eanna dont les constructions sont arasées et remplacées par une grande terrasse, dont on ignore ce qu'elle supportait. À ses pieds a été retrouvé un dépôt probablement de nature cultuelle (le Sammelfund des archéologues du site), d'où ont été mises au jour des œuvres artistiques majeures de la période (grand vase cultuel, sceaux-cylindres, etc.).

Les autres sites de Basse Mésopotamie

Cachet zoomorphe en marbre blanc découvert à Tello (l'antique Girsu), Musée du Louvre.

En dehors d'Uruk, peu de sites du Sud mésopotamien ont livré des niveaux consistants de la période d'Uruk. Les sondages effectués sur les sites de plusieurs des grandes villes de l'histoire mésopotamienne ont montré qu'elles étaient occupées dès cette époque : Kish, Girsu, Nippur, Ur, peut-être Shuruppak et Larsa ; et plus au nord, dans la Diyala, Tell Asmar et Khafadje. Le quartier sacré d'Eridu, lieu de l'architecture monumentale principale de la période d'Obeid en Basse Mésopotamie, est mal connu pour ses niveaux du IVe millénaire. Le seul édifice monumental important de la fin du IVe millénaire qui soit connu dans cette région en dehors d'Uruk est le « Temple peint » sur plate-forme de Tell Uqair, datant de la fin de la période d'Uruk et peut-être la période de Djemdet Nasr, constitué de deux terrasses superposées sur lesquelles se trouve un édifice identifié comme ayant une fonction cultuelle de 18 × 22 mètres environ[19]. Plus récemment, un niveau de la période d'Uruk a été dégagé sur le tell situé au sud-ouest du site d'Abu Salabikh (Uruk Mound), couvrant seulement 10 hectares[20]. Ce site était entouré d'une muraille partiellement dégagée, et on y a mis au jour plusieurs édifices dont une plate-forme ayant supporté un édifice dont il ne reste plus de traces. Quant au site de Djemdet Nasr, qui a donné son nom à la période qui sert de transition entre celle d'Uruk et les Dynasties archaïques, il est divisé en deux tells principaux, et c'est sur le second (Mound B) qu'a été mis au jour l'édifice le plus important dans lequel on a retrouvé un lot conséquent de documents administratifs : plus de 200 tablettes, des impressions de sceaux-cylidres[4],[21].

Les régions voisines : des « périphéries » ?

Les sources relatives à la période d'Uruk proviennent d'un ensemble de sites répartis sur un espace immense couvrant aussi bien la Mésopotamie que les régions voisines, allant jusqu'en Iran central et en Anatolie du sud-est. La culture d'Uruk à proprement parler est certes principalement caractérisée à partir de sites du sud-mésopotamien et d'autres qui semblent directement issus de migrations provenant de cette région (les « colonies » ou « comptoirs »), qui vont nous retenir plus longtemps car ils sont pleinement dans la civilisation d'Uruk. Mais le phénomène que représente l'expansion urukéenne est repéré sur des sites situés dans une vaste zone d'influence couvrant tout le Moyen-Orient, dans des régions qui ne font pas toutes à proprement parler partie de celle d'Uruk qui est surtout définie pour la Basse Mésopotamie. Seront laissées de côté les cultures du golfe Persique moins connues, l'Égypte dont les relations exactes avec la culture d'Uruk sont lointaines et font l'objet de débats, ainsi que le Levant où l'influence sud-mésopotamienne reste peu perceptible, pour se concentrer sur celles où elle est plus évidente, à savoir la Haute Mésopotamie et la Syrie du Nord, l'Iran occidental et le sud-est anatolien. Elles suivent en gros une évolution similaire à celle de la Basse Mésopotamie, voyant l'élaboration d'agglomérations et d'entités politiques plus vastes, et sont fortement influencées par la culture du « centre » à la période récente (c. 3400-3200), avant que la tendance à l'affirmation de cultures régionales propres ne prenne le dessus au tournant du IIIe millénaire. L'expansion de la culture d'Uruk vers les régions voisines pose de nombreuses problématiques, et plusieurs modèles explicatifs (généraux ou régionaux) ont été proposés pour tenter de l'expliquer.

Susiane et plateau Iranien

Jetons de comptabilité mis au jour à Suse, Musée du Louvre.

La région de Suse, dans le Sud-Ouest de l'Iran actuel, se situe dans le voisinage direct de la Basse Mésopotamie qui exerce sur elle une influence croissante depuis le Ve millénaire, et durant la seconde moitié du IVe millénaire on peut considérer qu'elle fait partie de la culture urukéenne, peut-être suite à une conquête, ou bien par acculturation progressive, tout en conservant des particularités[22]. Les niveaux de la période d'Uruk à Suse correspondent à ceux dits de Suse I (c. 4000-3700) et Suse II (c. 3700-3100), qui voient la ville atteindre le stade urbain. Le niveau I voit le début d'une architecture monumentale avec la construction d'une « Terrasse Haute », agrandie au niveau II pour mesurer approximativement 60 mètres de long et 45 de large. Le plus intéressant sur ce site réside essentiellement dans les objets découverts, qui sont une part importante de la documentation à notre disposition sur l'art de la période d'Uruk et les débuts de la gestion et de l'écriture. Les sceaux-cylindres de Suse I et II sont d'une grande richesse iconographique, présentant la particularité de mettre en avant des scènes de la vie quotidienne, ainsi qu'une sorte de potentat local que P. Amiet voit comme une « figure proto-royale », précédant le « roi-prêtre » de l'Uruk final[23]. Ces impressions de sceaux-cylindres ainsi que des bulles et jetons d'argiles montrent l'essor de l'administration et des techniques de comptabilité à Suse durant la seconde moitié du IVe millénaire. Suse a aussi livré des tablettes écrites parmi les plus anciennes, ce qui en fait un site majeur pour notre connaissance des débuts de l'écriture. D'autres sites de Susiane présentent des niveaux de ces périodes, comme Djaffarabad ou Chogha Mish[24].

Plus au nord dans le Zagros, le site de Godin Tepe dans la vallée de Kangavar, est particulièrement important. Le niveau archéologique V de ce site est celui qui correspond à la période d'Uruk. On y a repéré les restes d'une enceinte ovoïde comprenant plusieurs constructions organisées autour d'une cour centrale, dont un vaste édifice au nord qui est peut-être de type public. La culture matérielle présente des traits communs à celle de l'Uruk récent, et au niveau de Suse II. Le niveau V de Godin Tepe a de ce fait pu être interprété comme un établissement de marchands venant de Suse et/ou de Basse Mésopotamie, intéressés par la situation du site sur des routes commerciales menant notamment aux mines d'étain et de lapis-lazuli situées dans le plateau Iranien et en Afghanistan[25]. Plus loin à l'est, l'important site de Tepe Sialk (près de Kashan) ne présente pas de preuves évidentes de liens avec la culture urukéenne à son niveau III, mais on a retrouvé des écuelles grossières jusqu'à Tepe Ghabristan dans l'Elbourz[26] et même sur certains sites du Kerman bien plus au sud-est.

Dans cette région, le recul de la culture d'Uruk laisse place à une phénomène particulier, la civilisation proto-élamite, qui semble centrée sur la région de Tell-e Malyan et la Susiane, et connaît elle aussi une expansion qui paraît reprendre des réseaux hérités de celle d'Uruk vers les sites du plateau iranien[27],[28].

Haute Mésopotamie et Syrie du Nord

Plusieurs sites importants de la période d'Uruk ont été fouillés dans la région du Moyen Euphrate lors de campagnes de sauvetage précédant la construction de barrages dans la vallée qui allait provoquer leur submersion[29]. C'est en grande partie à partir des résultats de ces fouilles qu'ont débuté les réflexions sur l'« expansion urukéenne ».

Le plus connu est Habuba Kabira, un port fortifié situé sur la rive droite du fleuve en Syrie. La ville couvrait environ 22 hectares protégés par une muraille, dont on a dégagé environ 10 %. L'étude des constructions de ce site montre qu'il s'agit d'un urbanisme planifié, ayant nécessité des moyens importants. Le matériel archéologique du site est identique à celui d'Uruk, que ce soient la céramique, les sceaux-cylindres, les bulles et calculi comptables, ainsi que des tablettes numérales de la fin de la période. Cette ville neuve a donc été faite selon toute vraisemblance par des colons urukéens. Une vingtaine de résidences de taille variable y a été dégagée. De plan tripartite, elles sont organisées autour d'une pièce de réception avec foyer ouvrant sur une cour intérieure, autour desquelles sont disposées des pièces annexes. Le tell Qanas regroupe sur une terrasse artificielle un groupe monumental, constitué de plusieurs édifices identifiés comme des « temples » sans certitude. Le site est abandonné à la fin du IVe millénaire, apparemment sans violence, déserté par ses habitants lors de la phase de repli de la culture urukéenne[30].

Habuba Kabira présente des similitudes avec le site voisin de Djebel Aruda, situé seulement huit kilomètres au nord, sur un éperon rocheux. Comme dans le site voisin, on y trouve un urbanisme constitué de résidences de tailles diverses et d'un complexe monumental central constitué de deux « temples ». Il s'agit sans doute là aussi d'une ville nouvelle construite par des « Urukéens ». Un peu plus au nord, Sheikh Hassan est une troisième colonie urukéenne potentielle dans le Moyen Euphrate. Il est possible que ces sites aient fait partie d'un État implanté dans la région par des gens venus du sud mésopotamien, et se soient développés grâce à leur localisation sur des routes commerciales importantes[31].

Ruines du site de Tell Brak, Syrie.

Dans la région du Khabur, Tell Brak est un centre urbain important, l'un des plus vastes de la période d'Uruk puisqu'il s'étend sur 110 hectares à son apogée. Quelques résidences de la période y ont été dégagées, ainsi que de la poterie typique de l'Uruk, mais ce sont surtout une succession de monuments sans doute à buts cultuels qui ont attiré l'attention. Le « Temple aux yeux », comme on le nomme dans son stade final, a des murs sont ornés par endroits de cônes de terre cuite formant une mosaïque et d'incrustations en pierres de couleur, et une plate-forme servant peut-être d'autel décorée de feuilles d'or, de lapis-lazuli, de clous d'argent et de marbre blanc, dans une pièce centrale en forme de T. Le plus remarquable reste la trouvaille de plus de 200 « idoles aux yeux » auxquelles l'édifice doit son nom, figurines aux yeux hypertrophiés, sans doute un dépôt votif. Tell Brak a aussi livré des documents écrits : une tablette numérale, mais surtout deux tablettes pictographiques présentant des spécificités par rapport à celles du sud mésopotamien, indiquant peut-être l'existence d'une tradition écrite locale[32]. À proximité de Brak vers l'est, Hamoukar a fait l'objet de fouilles depuis 1999[33]. Ce vaste site a aussi livré du matériel habituel des sites sous influence urukéenne de la Haute Mésopotamie (céramique, scellements) et témoigne de l'existence d'une urbanisation importante dans cette région à la période d'Uruk, comme Brak. Encore plus loin à l'est, le site de Tell al-Hawa présente également des contacts avec la Basse Mésopotamie.

Sur le Tigre, le site de Ninive (tell de Kuyunjik, niveau 4), situé lui aussi sur des routes commerciales majeures, est également dans la sphère d'influence urukéenne. Le site aurait alors couvert 40 hectares, soit la totalité du tell de Kuyunjik. Les restes matériels de la période sont très limités, mais on y a retrouvé des écuelles grossières, une bulle à calculi et une tablette numérale caractéristiques de l'Uruk récent[34]. À proximité, Tepe Gawra, déjà important à l'époque d'Obeid, a donné le nom à une période archéologique qui couvre le nord de la Mésopotamie d'environ 3800 à 3200 av. J.-C. (niveaux XI à VIII du site), et qui est une phase importante des débuts de l'urbanisation de cette région. Il semble rester en dehors de l'influence urukéenne, tout en présentant des liens avec d'autres sites de Mésopotamie du nord et des régions voisines de Syrie et d'Anatolie. Les fouilles y ont dégagé sur plusieurs niveaux des tombes parfois richement pourvues, des résidences de tailles diverses, des ateliers et des bâtiments plus vastes ayant une fonction officielle ou religieuse (notamment la « construction ronde »), ce qui pourrait indiquer que Tepe Gawra serait le centre d'une entité politique régionale[35].

Le sud-ouest anatolien

Plusieurs sites ont été fouillés dans la région de l'Euphrate située juste au sud-est de l'Anatolie, voisinant la région des sites urukéens du Moyen Euphrate[29]. Hacinebi, près de la ville de Birecik dans la province de Şanlıurfa, a été fouillé sous la direction de G. Stein, et est localisé au carrefour de routes commerciales importantes. Un matériel archéologique sud-mésopotamien (écuelles à bords biseautés) apparaît dès la phase B1 (datée des alentours de 3800/3700), et est encore plus présente durant la phase B2 (3700-3300), aux côtés d'autres objets caractéristiques de l'Uruk récent (cônes d'argile servant à la décoration murale, une faucille en terre cuite, une bulle d'argile à calculi imprimée avec une impression de sceau-cylindre, une tablette d'argile non inscrite, etc.). Elle cohabite toujours avec une poterie locale qui reste dominante. Le fouilleur du site pense que celui-ci a vu l'installation d'une enclave de personnes venues de Basse Mésopotamie, cohabitant sur place avec les autochtones qui restent majoritaires[36].

D'autres sites ont été fouillés dans la région de Samsat, encore sur l'Euphrate. Un site urukéen a été repéré à Samsat lors d'une fouille de sauvetage effectuée à la hâte avant la mise en eau d'un lac de barrage, et on y a exhumé des fragments de cônes d'argile servant à faire une mosaïque murale. Kurban Höyük, un peu plus au sud, a également livré du matériel urukéen dans un contexte dominé par la culture locale. Un autre site important de cette région est Hassek Höyük, où on a également trouvé des cônes d'argile et de la céramique caractéristiques de l'Uruk, dans des bâtiments à plan tripartite[37].

Bien plus au nord, le site d'Arslantepe, situé dans les faubourgs de Malatya, est le plus remarquable de la période pour l'Anatolie orientale, fouillé sous la direction de M. Frangipane. Durant la première moitié du IVe millénaire, ce site est dominé par un édifice appelé par les fouilleurs « Temple C », construit sur une plate-forme. Il est abandonné vers 3500, quand lui succède un complexe monumental où se situe le centre du pouvoir dans la région. La culture de l'Uruk récent y exerce une influence sensible, repérable notamment par les nombreuses empreintes de sceaux trouvées sur le site, dont beaucoup sont de style sud-mésopotamien. Vers 3000, le site est détruit par un incendie, ses monuments ne sont plus restaurés et la culture matérielle dominante devient celle du Kuro-Araxe, venant du sud du Caucase[38]. Plus à l'ouest, le site de Tepecik a également livré une poterie influencée par celle d'Uruk. Mais dans ces régions l'influence urukéenne s'essouffle pour disparaitre quand on s'éloigne encore plus de Mésopotamie.

L'« expansion urukéenne » : à la recherche d'explications

L'« expansion urukéenne » : sites représentatifs du « centre » et des « périphéries ».

Depuis la découverte en Syrie des sites de Habuba Kabira et de Djebel Aruda dans les années 1970, qui ont rapidement été considérés comme des colonies ou comptoirs des porteurs de la civilisation d'Uruk partis s'installer loin de leurs terres, on s'est interrogé sur la nature des relations entre la Basse Mésopotamie et les régions voisines. Le fait que les caractéristiques de la culture de la région d'Uruk se retrouvent sur un très vaste territoire (de la Syrie du Nord jusqu’au plateau Iranien), avec la Basse Mésopotamie comme centre indubitable de celle-ci, a finalement amené les archéologues qui ont étudié cette période à considérer ce phénomène d'« expansion urukéenne ». Cela a été renforcé par l'évolution politique du Moyen-Orient, et l'impossibilité de fouiller la Mésopotamie, donc le « centre » de la civilisation d'Uruk. Les fouilles récentes concernent donc des sites hors de Mésopotamie, donc « périphériques », et on a pu s'intéresser à leurs relations avec le « centre », qui tend paradoxalement à être la région la moins bien connue pour cette période, attestée surtout par les impressionnantes découvertes des monuments d'Uruk. Depuis, les théories et les connaissances se sont développées, au point d'aboutir à des propositions de modèles généraux, empruntés à des travaux concernant d'autres lieux et d'autres époques, et d'autres disciplines, qui ont souvent présenté des limites devant la difficulté d'y faire correspondre les données des sites fouillés[39].

Guillermo Algaze a repris la théorie de « système-monde » d'Immanuel Wallerstein et aussi des notions de la théorie du commerce international pour les appliquer à la période d'Uruk, et ainsi élaborer le premier modèle qui se voulait cohérent de l'expansion de la civilisation d'Uruk[40]. Selon ses propositions, qui ont connu un certain succès mais ont aussi suscité de nombreuses critiques[41], les « Urukéens » auraient créé un ensemble de colonies hors de Basse Mésopotamie, d’abord en Haute Mésopotamie (Habuba Kabira, Djebel Aruda, mais aussi Ninive, Tell Brak, Samsat plus au nord), puis en Susiane et vers le plateau Iranien. Pour Algaze, la motivation de ce qu'il considère comme une forme d'impérialisme est économique : les élites de Mésopotamie du Sud veulent obtenir les nombreuses matières premières dont elles ne disposent pas dans la vallée des deux fleuves, et fondent des établissements sur les nœuds contrôlant un vaste réseau commercial (même s'il reste impossible de déterminer ce qui est exactement échangé), en les peuplant peut-être de réfugiés sur un modèle proche de celui de la colonisation grecque. Les relations qui s'établissent entre Basse Mésopotamie et régions voisines seraient donc d'ordre asymétrique. Les habitants de la Basse Mésopotamie sont avantagés par rapport aux régions voisines notamment par la plus grande productivité de leurs terres, qui aurait permis à leur région de « décoller » (il parle de « Sumerian takeoff ») plus vite grâce à leur « avantage comparatif » et même leur « avantage compétitif »[42]. Ils ont des structures étatiques plus développées, sont en mesure de développer progressivement des réseaux commerciaux à longue distance, d'exercer une influence sur leurs voisins, et peut-être même une domination militaire.

La théorie d'Algaze comme d'autres modèles alternatifs ont été critiqués, en particulier du fait qu'un modèle solide reste difficile à élaborer étant donné que la civilisation d'Uruk reste assez mal connue en Basse Mésopotamie en dehors d'Uruk même, où on ne connaît en fait que deux groupes monumentaux. On a donc du mal à évaluer l'impact du développement du sud mésopotamien, phénomène non identifié par l'archéologie sur place. De plus, la chronologie est loin d'être établie de manière fiable pour cette période, rendant difficile la datation de cette expansion. On éprouve beaucoup de difficulté à faire correspondre les niveaux de sites différents pour les attribuer à une même période, rendant l'élaboration d'une chronologie relative très compliquée. Parmi les autres théories avancées pour expliquer l'expansion urukéenne, l'explication commerciale est souvent reprise, mais le commerce à longue distance est sans doute un phénomène secondaire pour les États sud-mésopotamiens par rapport aux productions locales, et semble plus procéder de la complexification sociale qu'en être à l'origine, ne justifiant pas forcément une colonisation[43]. D'autres théories proposent une forme de colonisation agraire suite à un manque de terres en Basse Mésopotamie, ou bien une migration de réfugiés depuis la région d'Uruk après des problèmes écologiques ou politiques. Ces explications sont avant tout avancées pour le cas des sites du monde syro-anatolien, peu de théories globales étant avancées[44].

D'autres tentatives d'explication laissent de côté la prépondérance des considérations politiques et économistes pour s'intéresser à l'expansion urukéenne en tant que phénomène culturel de longue durée, reprenant les concepts de koinè, d'acculturation, d'hybridation ou d'émulation culturelle tout en considérant leur différenciation suivant les aires culturelles et les sites. P. Butterlin a proposé de voir les liens unissant la Mésopotamie méridionale et ses voisins à cette période comme une « culture-monde » et non comme un « système-monde » économique, dans lequel la région d'Uruk fournit un modèle à ses voisins, qui en reprennent chacun à leur façon les éléments les plus adaptables tout en conservant des traits spécifiques plus ou moins forts : cela explique les différents degrés d'influence ou d'acculturation[45].

En effet, l'impact urukéen est généralement différencié selon les sites et régions étudiés, ce qui a conduit à l'élaboration de plusieurs typologies en fonction des traces matérielles considérées comme caractéristiques de la culture urukéenne (avant tout la céramique et notamment les écuelles à bords biseautés). On a ainsi pu distinguer plusieurs types de sites allant des colonies qui seraient de véritables sites urukéens, ou des comptoirs comprenant une enclave urukéenne, jusqu'à des sites proprement locaux où l'influence urukéenne est faible ou inexistante, en passant par d'autres où les contacts sont plus ou moins forts sans jamais supplanter la culture locale[46]. L'étude est complexifiée par le fait que les différents types de sites peuvent se trouver à proximité les uns des autres en Haute Mésopotamie : Ninive présente des liens culturels avec la Mésopotamie méridionale, tandis que Tepe Gawra, nœud commercial important situé à une vingtaine de kilomètres, n'en a apparemment aucun[47]. Les cas de la Susiane et des sites du plateau Iranien, généralement étudiés par d'autres spécialistes que ceux travaillant sur les sites syro-anatoliens, ont conduit à d'autres tentatives d'explications en lien avec les évolutions locales, notamment l'émergence du phénomène proto-élamite qui est parfois vu comme un suiveur de l'expansion urukéenne et parfois comme un adversaire[27]. Les cas du Levant Sud et de l'Égypte sont encore différents, et permettent de mettre en lumière le rôle des sociétés locales dans la réception de la culture d'Uruk[48]. La première région ne disposait pas d'une société stratifiée avec un embryon de bureaucratie et d'urbanisation, et donc pas d'élites fortes (on parle pour elle de « chefferies »), donc pas de relai local pour que l'influence urukéenne s'implante, d'autant plus que celle-ci était sans doute trop éloignée[49]. Dans la seconde région, l'influence urukéenne semble limitée à des objets perçus comme prestigieux et exotiques, choisis par les élites locales au moment où elles ont besoin de marqueurs pour affirmer leur puissance dans une société étatique elle aussi en construction[50].

On peut ajouter qu'une lecture des relations à cette période comme un rapport centre/périphérie, bien que souvent pertinente pour la période, risque de faire trop voir les choses de façon asymétrique ou diffusionniste, et doit donc être nuancée. Ainsi, il apparaît de plus en plus que les régions voisines de la Basse Mésopotamie n'ont pas attendu celle-ci pour connaître un processus de complexification sociale avancé, voire un début d'urbanisation, comme le montre l'exemple du grand site de Tell Brak en Syrie, qui incite à envisager les phénomènes sous un angle plus « symétrique »[51],[52].

Les dynamiques de la civilisation de la période d'Uruk

À cheval entre la préhistoire et l'histoire, la période d'Uruk peut être par bien des aspects considérée comme « révolutionnaire » et fondatrice. De nombreux phénomènes et innovations qui s'y produisent constituent un tournant dans l'histoire mésopotamienne et même plus largement dans l'histoire tout court, en particulier celle du monde occidental qui lui doit beaucoup[53]. C'est de cette période que l'on date pèle-mêle l'apparition du tour de potier, de l'écriture, de la ville, de l'État. Il s'agit d'une nouvelle progression dans l'élaboration de sociétés étatiques, souvent qualifiées par les spécialistes comme étant « complexes » (en admettant que les sociétés antérieures aient été « simples »).

La recherche s'est donc intéressée à cette période en la voyant comme une étape cruciale de cette évolution sociale, processus long et cumulatif dont on peut faire remonter les racines au début du Néolithique six millénaires plus tôt, et qui avait connu une certaine évolution sous la période d'Obeid en Mésopotamie. Cela est surtout le fait de chercheurs anglo-saxons dont l'appareil théorique est fortement inspiré par l'anthropologie depuis les années 1970, et qui étudient la période d'Uruk sous l'angle de la « complexité », en analysant l'apparition des premiers États, une hiérarchie sociale croissante, des échanges à longue distance qui s'intensifient, etc.[39]

Il s'agit donc de voir quelles sont les grandes évolutions qui font de cette période une étape cruciale de l'histoire du Proche-Orient ancien, en se focalisant essentiellement sur son centre, la Basse Mésopotamie, et également sur les apports de sites des régions voisines qui sont pleinement intégrés dans la civilisation qui en est originaire (surtout les « colonies » du Moyen-Euphrate). Les aspects traités ici se concentrent essentiellement sur la période d'Uruk final, qui est la mieux connue et sans doute celle durant laquelle se sont produites les évolutions les plus rapides : c'est à ce moment-là que les traits caractéristiques de la civilisation mésopotamienne antique achèvent de se mettre en place.

Les innovations techniques et les évolutions économiques

Le IVe millénaire voit l'apparition de nouveaux outils qui vont bouleverser les sociétés qui les utilisent, notamment leur économie. Certains d’entre eux, déjà connus à la période précédente, sont pour la première fois utilisés à grande échelle. L'application de ces découvertes produit en effet des bouleversements économiques et sociaux en lien avec l'émergence de structures politiques et administratives étatiques.

Agriculture et élevage

Statuette en calcaire représentant un bovin, retrouvée à Uruk, période de Djemdet Nasr, musée du Louvre.
Bétail et végétaux : les richesses de la Basse Mésopotamie urukéenne sur le grand vase d'albâtre retrouvé à Uruk, Pergamonmuseum.

Dans le domaine de l'agriculture, plusieurs innovations importantes sont réalisées entre la fin de la période d'Obeid et la période d'Uruk, ce que l'on a parfois qualifié de « seconde révolution agricole » ou « seconde révolution néolithique » car l'ensemble de changements qui se produisent alors donnent un nouveau visage à l'agriculture et à l'élevage, dans le contexte de l'émergence des premières sociétés urbaines et étatiques. C'est dans le domaine de la culture céréalière que se produit un premier ensemble d'évolutions, puisque l'araire à soc en bois tractée par un animal (âne ou bœuf) apparaît vers la fin du IVe millénaire, permettant d'ouvrir de longs sillons dans la terre[54]. Cela rend les travaux agricoles lors des semailles bien plus simples qu'auparavant, quand ce travail était fait uniquement à la main, avec des outils comme la houe. La moisson est facilitée depuis la période d'Obeid par la mise au point de faucilles en terre cuite. Les techniques d'irrigation semblent également connaître un perfectionnement à la période d'Uruk. Ces différentes innovations auraient permis le développement progressif d'un nouveau paysage agraire caractéristique de la Basse Mésopotamie antique, dans le cadre des domaines institutionnels. Il est constitué de champs rectangulaires allongés pouvant être labourés en sillons, ces champs ayant chacun un petit côté bordant un canal d'irrigation. Selon M. Liverani, ils remplaceraient les bassins irrigués par submersion labourés précédemment de façon manuelle[55]. Depuis la fin du Ve millénaire les cultures arbustives se sont également développées dans tout le Moyen-Orient ; en Basse Mésopotamie, c'est alors que la culture du palmier-dattier et des jardins et vergers qui y sont associés connaissent leur essor, devenant un élément caractéristique de l'agriculture mésopotamienne. Ce système qui se met en place progressivement sur deux millénaires permet d'atteindre des rendements plus importants et de dégager plus de surplus que précédemment, notamment pour rémunérer les travailleurs des institutions, dont les rations d'entretien comportent surtout de l'orge[56]. Les institutions ayant les moyens humains, matériels et techniques de mettre en œuvre ce type d'agriculture, elles prennent un poids considérable, même si l'exploitation familiale reste l'unité de base. Tout cela a sans doute impulsé une croissance démographique et donc accompagné l'urbanisation et l'apparition de structures politiques étatiques[11].

L'époque d'Uruk voit également des évolutions importantes dans le domaine de l'élevage. C'est tout d'abord vers cette période que se produit la domestication définitive de l'âne, issu de l'hémione ou onagre sauvage. Il devient le premier équidé domestiqué dans cette région, et l'animal de bât privilégié du Moyen-Orient (le dromadaire n'étant domestiqué qu'au IIIe millénaire en Arabie). Avec sa capacité de transport élevée (au moins le double d'un humain), il permet le développement des échanges, sur courtes ou longues distances[57],[58]. L'élevage des animaux plus anciennement domestiqués (moutons, chèvres et bœufs) connaît également une évolution. Si auparavant ils étaient surtout élevés pour l'alimentation (viande, lait), ils le sont désormais de plus en plus pour les produits qu'ils fournissent (laine des moutons, poils des chèvres, peaux) et également pour leur force de travail. Ce dernier aspect concerne surtout les bovins, qui avec l'apparition de l'araire deviennent essentiels pour les travaux des champs, et l'âne qui prend une place majeure pour le transport de produits.

Artisanat et construction

Le développement de l'artisanat de la laine, qui se substitue progressivement au lin pour la réalisation des étoffes, a plusieurs implications économiques importantes. D'abord l'expansion de l'élevage ovin, notamment dans le cadre institutionnel[59], qui entraîne une évolution des pratiques agricoles avec le développement de la pâture de ces troupeaux sur les champs en jachère et dans les zones de collines et montagnes voisines de la Mésopotamie (suivant un procédé proche de la transhumance). Le déclin (relatif) de la culture du lin libère des champs pour la culture céréalière et aussi pour celle du sésame, qui est alors introduit en Basse Mésopotamie et se substitue au lin en tant que fournisseur d'huile. En aval se produit le développement d'un important artisanat textile, attesté par plusieurs empreintes de sceaux-cylindres, là aussi largement dans le cadre institutionnel, tandis que la laine devient un élément essentiel des rations d'entretien fournies aux travailleurs institutionnels avec l'orge. La mise en place de ce « cycle de la laine » aux côtés du « cycle de l'orge » (selon les expressions de M. Liverani) fonctionnant de la même manière autour de la production de l'orge, sa transformation et sa redistribution, donne à l'économie de la Mésopotamie antique ses deux traits principaux et accompagnent sans doute le développement économique des grands organismes . La laine a de plus la spécificité de pouvoir s'exporter aisément (contrairement aux produits alimentaires, vite périssables), ce qui a peut-être permis à la Mésopotamie d'avoir de quoi échanger avec ses voisins mieux dotés en matières premières[60].

Céramiques de la période d'Uruk récent : céramiques réalisées au tour (à droite) et écuelles à bords biseautés (à gauche). Pergamonmuseum.

L'artisanat de la poterie connaît une véritable révolution avec l'apparition du tour de potier au cours du IVe millénaire, qui se fait apparemment en deux étapes : d'abord l'apparition d'un tour lent (ou « tournette »), auquel succède ensuite le tour rapide. Il n'est désormais plus nécessaire de monter l'argile à la main seule, et il est modelé plus rapidement[61]. Les fours de potiers sont également améliorés. Les céramiques sont simplement revêtues d'un engobe lissant leur surface, le décor devient de moins en moins recherché, jusqu'à être inexistant : les céramiques peintes sont désormais secondaires et les rares décors sont surtout des incisions (pastilles ou quadrillages). Les sites archéologiques de cette période ont livré une grande quantité de céramiques, montrant qu'on est alors passé à un stade de production de masse, pour une population plus nombreuse, notamment en ville, au contact des grands organismes administratifs. Elles remplissent une fonction essentielle de contenant des différentes productions agricoles (orge, bière, dattes, lait, etc.), et envahissent donc la vie quotidienne. On date de cette période l'apparition d'artisans potiers spécialisés dans cette production en grande quantité, qui aboutit à l'émergence de quartiers spécialisés. Si la qualité baisse, la diversité des formes et des modules des récipients devient bien plus importante que précédemment, avec la diversification des fonctions. Toute la céramique de cette période n'est cependant pas réalisée au tour : la poterie la plus caractéristique de la période d'Uruk, l'« écuelle à bords biseautés » (beveled-rim bowl), était moulée[62].

La métallurgie semble également se perfectionner, mais elle est très peu attestée par les objets. Du point de vue des « âges » des métaux, la période d'Obeid a marqué le début de ce que l'on appelle le Chalcolithique, ou « âge du cuivre », donc le début de la métallurgie du cuivre[63]. Celle d'Uruk voit la transition entre cet âge et le suivant, l'« âge du bronze », alliage de cuivre et d'étain. L'usage de ce dernier s'impose rapidement car son point de fusion est inférieur à celui du cuivre, et qu'il est plus résistant[64]. Au IIIe millénaire, les artisans mésopotamiens font preuve d'une grande maîtrise dans l'art du métal (alliages variés, techniques de moulage, placage, etc.), qu'ils ont sans doute développé dès la période d'Uruk, devenant les plus brillants métallurgistes du Moyen-Orient, paradoxalement dans une région où n'est n'extrait aucun métal[65]. L'essor de la métallurgie implique donc également celui du commerce des métaux du fait de leur inégale répartition géographique. La Mésopotamie doit se fournir en Iran ou en Anatolie, ce qui motive les échanges à longue distance que l'on voit se développer au IVe millénaire et explique sans doute pourquoi les métallurgistes mésopotamiens ont privilégié des techniques plutôt économes en minerais métalliques.

Colonnes décorées de mosaïques retrouvées dans un bâtiment de l'Eanna archaïque, Pergamonmuseum.

En architecture, les apports de la période d'Uruk sont également considérables. Cela est illustré par les réalisations du quartier de l'Eanna durant l'Uruk récent, qui montrent un véritable foisonnement d'innovations architecturales au cours d'un programme de constructions sans précédent par son ampleur et les moyens mis en œuvre[66]. Les artisans d'alors perfectionnent l'utilisation des briques d'argile moulées, et se généralise l'usage des briques cuites plus solides ; on commence aussi à les imperméabiliser grâce à l'application de bitume, et on utilise du gypse comme mortier. L'argile n'est pas le matériau principal de tous les édifices : certains sont réalisés en pierre, notamment du calcaire extrait à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest d'Uruk (où se trouve aussi du gypse et du grès)[67]. Sont mis au point de nouveaux types de décors, notamment les cônes d'argile peints formant des mosaïques caractéristiques de bâtiments de l'Eanna d'Uruk, les colonnes semi-engagées, des crampons d'attache. Deux formes standardisées de briques sèches d'argile moulées apparaissent dans ces édifices d'Uruk : les petites briques carrées simples à manipuler (appelées du terme allemand Riemchen), et les grandes briques servant pour faire des terrasses (Patzen)[68]. On les utilise dans les grands monuments publics, notamment ceux d'Uruk. Le moulage de briques de plus petite dimension permet l'apparition de décors de niches et de redans qui sont par la suite très courants en Basse Mésopotamie. Les formes des bâtiments sont elles aussi novatrices, car on ne se contente pas du plan tripartite hérité de l'époque d'Obeid : l'Eanna voit la réalisation de bâtiments à plan labyrinthique, de halls à piliers de forme allongée, d'un édifice à plan carré. Les architectes et artisans mobilisés sur ces chantiers ont donc eu l'occasion de faire preuve d'une grande créativité.

Moyens de transport

Une question épineuse dans le domaine des transports est de savoir si c'est bien de la période d'Uruk qu'il faut dater l'apparition de la roue[69]. C'est en effet vers la fin de la période d'Uruk que l'on remarque que les sceaux-cylindres représentent de moins en moins de traîneaux, type de transport terrestre attelé qui est le plus représenté auparavant. Ils commencent à figurer les premiers véhicules qui semblent être sur roues, bien qu'on ne soit pas certain qu'ils figurent des roues. Mais il reste plus probable que la roue soit une invention réalisée entre l'Europe centrale et le Caucase, où ont été retrouvés ses plus anciens exemples. En tout cas la technique de la roue, découverte cruciale dans l'histoire de la mécanique, se propage très rapidement et permet la mise au point de véhicules qui vont permettre de grandement faciliter les transports terrestres, de porter des charges plus lourdes. Il y a clairement des chariots en Mésopotamie du sud au début du IIIe millénaire. Les roues sont alors pleines.

La domestication de l'âne a également eu une importance considérable, car ce moyen de transport est plus utile que la roue dans des régions montagneuses, et pour les déplacements longs tant que la roue à rayons n'est pas inventée. Il permet l'apparition du système de la caravane qui domine dans les échanges à longue distance dans le Moyen-Orient pour les millénaires suivants, même s'il n'est pas attesté pour l'époque d'Uruk[70],[58].

Pour les transports à l'échelle locale et régionale en Basse Mésopotamie, les bateaux en roseau ou en bois sont cruciaux, en raison de l'importance des voies de communication fluviales et de leur capacité de port élevée[71].

L'apparition de sociétés étatiques et urbaines

Le IVe millénaire voit s'accomplir une nouvelle étape de l'évolution politique des sociétés du Moyen-Orient entamée depuis le néolithique : le pouvoir politique devient plus fort, plus organisé et centralisé et plus visible dans l'espace et les représentations, ce qui fait qu'il peut être caractérisé comme un véritable État à la fin de cette période. Cette évolution s'accompagne d'autres changements majeurs : l'apparition des premières villes et de systèmes de gestion capables d'enregistrer des opérations diverses. Les causes et modalités de ces phénomènes ainsi que leurs interrelations sont très discutées.

Les premiers États et l'essor des institutions

Sculpture en ronde-bosse du « roi-prêtre », en nudité rituelle, Uruk récent, Musée du Louvre.

La période d'Uruk présente pour la première fois dans l'histoire du Proche-Orient les caractéristiques de l'existence d'États. L'architecture monumentale est bien plus imposante qu'à la période précédente : le « temple D » de l'Eanna couvre environ 4 600 m2, contre 280 m2 pour le temple d'Eridu (niveau VI), le plus vaste connu pour l'époque d'Obeid[72] ; et encore, le complexe de l'Eanna comprend d'autres édifices de plus de 1 000 m2 alors que le temple obeidien d'Eridu est isolé. On est donc passé à des dimensions bien plus vastes, une étape a été franchie. Cela témoigne de la capacité inédite du pouvoir à mobiliser de nombreuses ressources humaines et matérielles, alors que les tombes montrent aussi une différence croissante de richesse et donc une élite plus puissante, qui va chercher à se distinguer du reste de la population en obtenant des biens de prestige, si possible par le commerce, et en employant des artisans de plus en plus spécialisés, etc. Cette idée d'une apparition de l'État à la période d'Uruk, concomitante de l'apparition des premières villes (à la suite de Gordon Childe), est couramment admise dans les publications scientifiques mais connaît cependant quelques critiques, notamment de la part de J.-D. Forest qui place plutôt l'apparition de véritables États avec l'Empire d'Akkad au XXIVe siècle, parlant seulement de « cités-États » (qui ne sont pas complètement des États) pour la période de l'Uruk récent[73]. Quoi qu'il en soit, la mise en place de structures politiques étatiques est concomitante de nombreux autres phénomènes de la période, dont l'expansion de la culture urukéenne.

L'organisation politique de la période d'Uruk reste discutée. Rien ne permet de dire que cette période voit le développement d'une sorte de « proto-empire » centré sur Uruk comme l'a par exemple proposé Algaze. Il faut peut-être restituer une organisation en « cités-États » sur le modèle de celles qui existent au IIIe millénaire, et qui semblent attestées par l'existence de « sceaux des cités » à la période de Djemdet Nasr, portant des symboles de cités sumériennes (Uruk, Ur, Larsa, etc.). Le fait que ces symboles apparaissent ensemble pourrait indiquer l'existence d'une sorte de ligue ou confédération réunissant les cités du sud mésopotamien, peut-être dans un but cultuel, peut-être sous l'autorité d'une d'elles (Uruk ?)[74].

Impression de sceau-cylindre d'Uruk représentant la figure du roi-pasteur nourrissant des bêtes, Pergamon Museum.

Il est évident que cette période connaît de grands changements dans l'organisation politique des sociétés. La nature de l'autorité détentrice du pouvoir n'est pas aisée à déterminer car elle n'a pas pu être repérée dans les sources écrites, tandis que ses éventuels marqueurs archéologiques ne sont pas très parlants : aucun palais ou autre lieu d'exercice du pouvoir n'a été identifié avec certitude, et on ne connaît pas de tombe monumentale attribuable à un potentat, comme il s'en trouve généralement dans les autres cultures où l’État a émergé. L'iconographie (stèles et sceaux-cylindres) est un peu plus évocatrice. On y a depuis longtemps remarqué la présence d'une figure importante qui est manifestement le détenteur de l'autorité : c'est un homme barbu, avec un serre-tête, souvent vêtu d'une jupe en cloche ou en nudité rituelle[75]. Il est souvent représenté en tant que guerrier combattant des ennemis humains ou des animaux sauvages, par exemple sur la « stèle de la chasse » retrouvée à Uruk sur laquelle il triomphe de lions avec son arc[76]. Il se trouve aussi dans des scènes de victoires, avec des cortèges de prisonniers, ou bien des constructions. Il dirige également des scènes cultuelles, comme sur un vase d'Uruk de la période de Djemdet Nasr représentant un roi-prêtre menant un cortège vers une déesse, sans doute Inanna[77]. D'autres fois il est représenté nourrissant des animaux, ce qui renvoie à la figure du roi-pasteur rassemblant son peuple, le protégeant et pourvoyant à ses besoins. Ceci représente les fonctions qu'ont par la suite les rois de Sumer : chef de guerre, principal pourvoyeur du culte, bâtisseur. P. Amiet a proposé de nommer cette figure « roi-prêtre[78] ». Plus simplement, il pourrait s'agir de la représentation d'un pouvoir de nature monarchique comme il en existe par la suite en Mésopotamie[79].

En analysant l'apparition de l’État comme caractérisée par un plus grand contrôle central et une hiérarchisation sociale plus affirmée, les recherches s'intéressent au rôle des élites, qui cherchent à renforcer et à organiser leur pouvoir autour d'un réseau de personnes et d'institutions et aussi augmenter leur prestige. Cette évolution est également à relier avec les changements dans l'univers symbolique et l'émergence d'une idéologie de la royauté qui vise à soutenir la construction d'entités politiques d'un nouveau type. Les élites jouent un rôle religieux d'intermédiaire entre le monde divin et celui des hommes, notamment via le rituel sacrificiel et des fêtes qu'elles organisent et qui assurent la fonction symbolique de socle de l'ordre social. Cela apparaît sur les frises du grand vase en albâtre d'Uruk et dans plusieurs textes administratifs mentionnant des mouvements de biens pour des rituels. En effet, selon l'idéologie mésopotamienne connue pour les périodes suivantes, les hommes sont créés par les dieux pour les entretenir, alors que la bienveillance de ces derniers peut assurer la prospérité de la société[80].

Les serviteurs des premiers États : porteurs d'offrandes sur le grand vase en albâtre d'Uruk, Pergamon Museum.

Concernant cette même dynamique vers un contrôle des ressources plus centralisé, les tablettes de l'Uruk récent et final montrent l'existence d’institutions jouant un rôle important dans la société et l'économie, et sans doute la politique de la période Leur nature exacte est débattue : temples ou palais ? Ce sont en tout cas ces deux-là qui se retrouvent aux époques historiques en Basse Mésopotamie et que l'on qualifie de « grands organismes » suite à A. L. Oppenheim[81]. Seuls deux noms de ces institutions et de certains des membres de leur administration ont pu être identifiés[82] : un grand domaine désigné par le signe NUN à Uruk, dont on a identifié un administrateur en chef, un messager, des travailleurs, etc. ; et un domaine désigné par les signes AB NI+RU à Djemdet Nasr, disposant d'un grand prêtre (SANGA), d'administrateurs, de prêtres, etc. Leurs scribes produisent des documents administratifs comme des tablettes relatives à la gestion de terres, des cadastres, des tablettes enregistrant la distribution de rations d'entretien (en orge, laine, huile, bière ou autre) aux travailleurs parmi lesquels se trouvent des esclaves, ou les têtes de bétail. Ces institutions ont pu contrôler les biens de prestige, leur redistribution, leur acquisition par un commerce lointain, et entreprendre des grands travaux, asseyant ainsi leur importance dans la communauté, et contribuant à l'entretien de travailleurs, certains se spécialisant sous leurs auspices[9]. Les plus grands organismes disposaient de « bureaux » spécialisés dans une activité (gestion des champs, des troupeaux, etc.)[83].

Mais il n'y a pas de preuve que ces organismes aient joué un rôle d'encadrement de la majorité de la population en centralisant les productions. L'économie repose sur un ensemble de domaines (ou « maisons »/« maisonnées », É en sumérien) de tailles diverses, depuis les grands organismes jusqu'aux cellules familiales modestes, que l'on peut regrouper suivant nos classifications modernes dans un domaine public et un autre privé, et qui sont en interaction[84]. Certains lots d'archives sont probablement issus d'un contexte privé, dans des résidences de Suse, Habuba Kabira, ou Djebel Aruda[85]. Il s'agit cependant de documents de comptabilité rudimentaires, témoignant d'une activité économique à petite échelle. Une étude réalisée sur le site d'Abu Salabikh en Basse Mésopotamie a abouti à la conclusion que la production était répartie entre différentes maisonnées de taille, richesse et puissance diverses, au sommet desquelles pouvaient se trouver des « grands organismes[86] ».

La recherche des causes de l'émergence de ces structures politiques, donc de l'apparition de l'État, n'a jamais accouché de théorie qui fasse consensus[87]. Les thèses évolutionnistes avancées notamment par Childe sont désormais abandonnées, de même que celles d'un « État hydraulique » despotique créé pour organiser de façon coercitive l'agriculture irriguée avancées par K. Wittfogel. Les recherches d'explications s'orientent vers l'analyse d'un processus long, non linéaire, puisant ses racines dans la société néolithique, peut-être lié à la nécessité de gérer l'essor démographique, des changements environnementaux (climat, cours des rivières), ou encore la guerre. La recherche de causes économiques, comme la mobilisation des ressources ou le commerce en tant que moteur de développement d'une organisation étatique, est en vogue à la suite des travaux d'Algaze sur l'expansion urukéenne.

Une première urbanisation

La période d'Uruk voit certaines agglomérations prendre une importance nouvelle, qui les fait passer au rang de villes à proprement parler[88], en lien avec l'apparition d'un pouvoir politique plus centralisé. C'est un phénomène caractérisé au début des années 1950 par Gordon Childe comme une « révolution urbaine », placée dans la continuité de la « révolution néolithique » et indissociable de l'apparition des premiers États. Ce modèle, reposant sur des critères matériels, a été très débattu et complété depuis lors[89]. Les causes de l'apparition des villes sont discutées : certains expliquent le développement des premières villes par leur rôle de centre religieux cérémoniel, d'autres par leur rôle de centre servant pour les échanges à longue distance, mais la théorie la plus répandue, développée notamment par R. McCormick Adams, fait résulter l'apparition des villes de l'apparition de l’État et des institutions, qui attirent autour d'eux richesses et hommes[90].

Quoi qu'il en soit, cela s'accompagne d'un ensemble de mutations sociales permettant de considérer qu'on se trouve en présence d'espaces pouvant réellement être qualifiés d'« urbains », bien distincts du monde « rural », même si les mentalités des gens de cette période quant à cette distinction nous restent inconnues. Le site urbain d'Uruk est loin devant les autres, tant par sa superficie que par la taille des monuments qui s’y trouvent et l'importance des outils administratifs qu’on y a exhumé, témoignant de la présence d'un important centre de pouvoir. On parle donc souvent dans son cas de « première ville ». Le même phénomène se repère à Eridu, et aussi hors du foyer de la civilisation d'Uruk à Suse, Chogha Mish, ou encore à Tell Brak. Les fouilles effectuées dans la région de cette dernière tendent à nuancer l'idée d'une urbanisation initiée en Basse Mésopotamie seule et adoptée par imitation dans les régions proches : l'apparition de ce centre urbain se serait faite à la suite d'une évolution locale par l'agrégation progressive de communautés villageoises ayant vécu séparément précédemment, et sans l'influence d'un pouvoir central fort (comme ce serait le cas autour d'Uruk). Il est donc possible de concevoir l'urbanisation comme un phénomène qui survient simultanément dans plusieurs régions du Moyen-Orient au IVe millénaire, même s'il faut attendre de futures recherches pour pouvoir y voir plus clair[52],[51],[91].

Les exemples d'urbanisme sont rares pour cette période, et en Basse Mésopotamie le seul cas de quartier résidentiel fouillé est à Abu Salabikh, qui est alors une agglomération de taille limitée. Il faut se tourner vers la Syrie et le site d'Habuba Kabira, ainsi que son voisin Djebel Aruda, pour disposer d'un exemple d'urbanisme relativement bien connu. Cette ville de 22 hectares entourée d'une muraille est organisée autour de quelques bâtiments importants, de rues principales et de petites ruelles, et surtout d'un ensemble de résidences de forme similaire organisées autour d'une cour. Il s'agit manifestement d'une ville planifiée apparue ex nihilo, et non pas d'une agglomération passée progressivement du stade du village à celui de la ville : les aménageurs de cette période sont donc capables de concevoir un site urbain complet et ont donc une idée de ce qu'est une ville avec son organisation interne, ses monuments principaux, etc.[30],[92] Le modèle urbain ne se retrouve cependant pas dans toute la sphère d'influence urukéenne : à l'extrémité de celle-ci, le site d'Arslantepe dispose certes d'un palais de taille importante, mais qui n'est pas entouré d'un espace urbanisé.

Reconstitution d'une pièce d'une maison de Habuba Kabira avec son mobilier, Pergamonmuseum.

L'étude des résidences des sites de Habuba Kabira et Djebel Aruda nous montre les évolutions sociales qui accompagnent l'apparition de sociétés urbaines. Le premier site, le mieux connu, présente des maisons de tailles diverses ; si en moyenne elles couvrent un espace de 400 m2, les plus vastes font dans les 1 000 m2. Les « temples » du groupe monumental du Tell Qanas sont d'ailleurs peut-être des résidences destinées aux dirigeants de la ville. Il s'agit donc d'un habitat très hiérarchisé, témoignant de la différenciation sociale qui existe dans les agglomérations urbaines de l'Uruk récent, bien plus importante qu'à la période précédente. Un autre trait de la société urbaine naissante est à rechercher dans l'organisation de l'espace domestique. Les résidences semblent se replier sur elles-mêmes, adoptant un nouveau plan issu du plan tripartite courant à la période obeidienne mais augmenté de pièces de réception à foyer et d'espaces centraux (peut-être à ciel ouvert) autour desquels sont disposées les autres pièces. Il faut sans doute y voir des maisons disposant d'un espace privé séparé d'un espace public où l'on peut recevoir des invités ; dans une société urbaine où les communautés sont élargies par rapport aux sociétés villageoises, les relations avec les membres extérieurs à la maisonnée sont plus distantes, ce qui aurait pu amener une telle séparation. On aurait donc adapté l'ancien habitat rural aux réalités de la société urbaine[92],[93]. Ce « modèle » de maison à espace central reste très courant voire dominant dans les villes de Mésopotamie aux périodes suivantes, néanmoins il faut garder en mémoire le fait que les plans de résidences sont variés et dépendent des évolutions de l'urbanisme des différents sites.

Développement des systèmes de comptabilité et de gestion

Bulle-enveloppe et ses jetons de comptabilité, période d'Uruk récent, provenant de Suse, Musée du Louvre.
Tablette provenant d'Uruk et datée de la période d'Uruk III (c. 3200-3000 av. J.-C.) enregistrant des distributions de bière depuis les magasins d'une institution[94]. British Museum.

L'apparition d'institutions et de maisonnées ayant des activités économiques importantes implique la mise en place d'une gestion s'accompagne du développement des outils administratifs, et donc des outils de comptabilité. C'est une véritable « révolution managériale » qui se produit alors. Une classe de scribes se forme d'ailleurs dans la période de l'Uruk récent et contribue à la mise en place d'une sorte de bureaucratie, mais seulement dans le cadre des grands organismes. Plusieurs textes semblent attester l'existence d'une formation à la rédaction de textes de gestion pour les apprentis scribes, qui peuvent également utiliser les listes lexicales pour apprendre les signes de l'écriture[95]. Il faut notamment administrer des entrepôts avec précision, en enregistrant les entrées et les sorties de produits – parfois dans le cadre d'achat et de ventes – pour avoir le compte exact de produits stockés dans le magasin dont le scribe avait la responsabilité. Ces espaces de stockage sont fermés et marqués avec le sceau de l'administrateur qui en a la charge. Il est intéressant de connaître et gérer l'état, l'exploitation et les capacités de production des champs, des troupeaux et des ateliers, et ce sur plusieurs années, ce qui implique la rédaction d'inventaires, et entraîne la constitution de véritables fonds d'archives de gestion de l'organisme ou d'un de ses bureaux. Cela fut possible avec le développement progressif de plusieurs outils facilitant la gestion, en dernier lieu l'écriture[96].

Les sceaux servent à sceller les marchandises stockées ou échangées, les espaces de stockages, ou à identifier un administrateur ou un marchand. Ils sont connus depuis au moins le VIIe millénaire. Avec le développement des institutions et des échanges à longue distance, leur utilisation se généralise. Au cours de la période d'Uruk, les sceaux-cylindres (cylindres gravés avec un motif qu'on peut imprimer à l'infini sur de l'argile) apparaissent et supplantent les simples sceaux. Ils servent au moins à sceller des bulles ou tablettes d'argile, des récipients ou des pièces que l'on ferme, et aussi à authentifier ces objets et biens, puisqu'ils fonctionnent comme une signature de la personne qui l'applique ou de l'institution qu'elle représente. Ces sceaux-cylindres restent un élément caractéristique de la civilisation proche-orientale durant plusieurs millénaires. Les raisons de leur succès sont aussi à rechercher dans les possibilités qu'ils offrent d'une image et donc d'un message plus détaillés, d'une structure narrative, et qu'ils ont peut-être un aspect magique[97].

La période d'Uruk voit aussi se développer ce qui semble être des outils de la comptabilité, les jetons et bulles à jetons. Il s'agit de bulles d'argiles sur lesquelles un sceau-cylindre a souvent été déroulé, et contenant des jetons que l'on appelle aussi calculi. Ces derniers sont de formes variées : tantôt des billes, puis des cônes, des bâtons, des disques, etc. Chacun de ces modèles est identifié comme servant à représenter une valeur numérale, ou bien un type précis de marchandise. Ils ont permis de conserver les informations, pour la gestion de domaines (entrées et sorties de biens) ou les opérations commerciales, et de les transférer en d'autres lieux. Ces calculi sont peut-être d'un même type que des jetons que l'on retrouve depuis plusieurs millénaires sur des sites du Moyen-Orient et dont la fonction reste obscure. Par la suite, on pense que les calculi auraient été reportés sur la surface des bulles d'argile les contenant sous forme d'encoches, qui servent alors à montrer le contenu de la bulle. On aurait donc au moins l'apparition de signes numériques. Suivant la vision traditionnelle de l'évolution vers l'écriture, les gestionnaires se seraient ensuite contenté de simplement reporter ces encoches sur une tablette d'argile, supprimant les calculi, et aboutissant à la constitution de tablettes numérales servant d'aide-mémoire préfigurant l'apparition de l'écriture à proprement parler (voir plus bas)[98],[99],[100].

Avec le développement de l'écriture, qu'elle dérive ou non de ces pratiques comptables, un nouvel outil de gestion apparaît, permettant un enregistrement plus précis et sur une durée plus longue, avec notamment la mise au point de bilans d'exploitation[101]. La constitution de ces pratiques administratives a nécessité l'élaboration de plusieurs systèmes de mesure qui varient en fonction de ce qu'ils enregistrent (animaux, travailleurs, laine, grain, outils, poterie, surfaces, etc.). Ils sont très divers : certains répondent à un système sexagésimal (base 60) qui triomphe par la suite en Mésopotamie, d'autres sur un système décimal (base 10) ou même un système mixte original appelé « bisexagésimal », tout cela pouvant complexifier la compréhension des textes[102]. La mise au point de systèmes de découpage du temps s'est également imposée aux scribes des institutions de la période d'Uruk récent[103].

Un univers intellectuel et symbolique en évolution

Les évolutions que connaissent les sociétés de la période d'Uruk ont un impact dans le domaine mental et symbolique qui se manifeste par plusieurs phénomènes. D'abord l'apparition de l'écriture qui, même si elle est sans doute liée aux besoins de gestion des premiers États, témoigne de changements intellectuels profonds. L'art reflète également des sociétés plus marquées par le poids du pouvoir politique et une prise en compte plus importante de l'humain, tandis que le culte religieux est sans doute plus faste et encadré que précédemment. Les évolutions des conceptions religieuses qui ont lieu à cette époque restent néanmoins très mal comprises.

Apparition de l’écriture et premiers usages

Tablette administrative (détail) de la période d'Uruk III (c. 3200-3000 av. J.-C.), Metropolitan Museum of Art.

L'écriture apparaît au plus tôt vers la période de l'Uruk moyen, avant de se développer à l'Uruk récent et la période de Djemdet Nasr[104]. Les premières tablettes d'argile inscrites avec un calame en roseau sont attestées à Uruk IV (près de 2 000 tablettes mises au rebut dans le quartier de l'Eanna) et aussi quelques-unes à Suse II. Pour la période de Djemdet Nasr, on dispose de plus de sources, provenant de plus de sites : en majorité Uruk (niveau III, environ 3 000 tablettes), Suse, mais aussi Djemdet Nasr, Tell Uqair, Umma, Khafadje, Tell Asmar, Ninive, Tell Brak, Habuba Kabira, etc.[105]

Les textes de cette période sont surtout de type administratif et sont retrouvés dans un contexte qui semble être principalement public (palais ou temple) plus que privé. Mais les textes d'Uruk, constituant la majorité du corpus de cette période, ont été retrouvés hors de leur contexte de rédaction car ils avaient été mis au rebut, ce qui rend leur identification difficile. Leur interprétation pose également problème, du fait de leur caractère archaïque. La graphie n'est pas encore cunéiforme mais linéaire. Ces textes étaient mal compris lors des premières publications des années 1930 faites par Adam Falkenstein, puis les travaux entrepris depuis une vingtaine d'années, par Hans Nissen et Robert Englund notamment, ont permis d'effectuer de grands progrès[106]. À côté des textes administratifs, sont retrouvés dès les débuts de l'écriture des textes de type littéraire, des listes lexicales, ouvrages lexicographiques de nature savante compilant des signes selon différents thèmes (listes de métiers, de métaux, de poteries, de céréales, de toponymes, etc.), caractéristiques de la civilisation mésopotamienne. Un exemplaire remarquable est une « Liste de professions » (ancêtre de la série Lú.A retrouvée à partir du IIIe millénaire) sur laquelle ont pu être identifiés différents corps de métiers (potiers, tisserands, charpentiers, etc.) témoignant de l'existence de nombreux types de spécialistes dans le monde du travail de la Basse Mésopotamie urukéenne[107].

Tablette administrative d'Uruk, de la période Uruk IV (c. 3350-3200 av. J.-C.), présentant des signes sous leur forme pictographique[108]. Pergamon Museum.
Tablette à écriture précunéiforme de la fin du IVe millénaire av. J.-C., niveau Uruk III : possible liste de noms propres sur un registre de personnel. Musée du Louvre.

Les causes et modalités des origines de l'écriture sont débattues. La théorie dominante la fait dériver de pratiques comptables plus anciennes, notamment celle des calculi, suivant le modèle développé par Denise Schmandt-Besserat : les jetons sont d'abord reportés sur des bulles d'argiles, puis sur des tablettes d'argile, et de là dériverait la création des premiers signes d'écriture qui sont des pictogrammes, des dessins représentant une chose (des logogrammes, un signe = un mot)[99]. Mais cela est très contesté car il n'y a pas vraiment de correspondance entre les jetons et les signes graphiques qui leur auraient succédé[100]. En général, un premier développement (approximativement durant la période 3300–3100) est néanmoins retenu à partir de pratiques comptables et gestionnaires, bien connu grâce aux travaux de H. Nissen et R. Englund. C'est alors une écriture pictographique constituée de signes linéaires incisés dans des tablettes d'argile au moyen d'un calame en roseau — deux matières premières aisément accessibles dans le sud mésopotamien.

La majorité des textes de l'époque d'Uruk étant de nature gestionnaire et comptable, il est aisé d'imaginer que l'écriture s'est développée sous l'impulsion de l'essor des institutions étatiques qui avaient une gestion de plus en plus lourde, offrant la possibilité d'enregistrer des opérations de plus en plus complexes et de les archiver. Dans ses principes, le système de pré-écriture qui se met en place autour de 3400–3200 fonctionnerait comme un aide-mémoire, ne permettant pas de noter des phrases complètes puisqu'il ne représente que des choses réelles : avant tout des biens et des personnes, avec une pléthore de signes numériques correspondant à plusieurs systèmes métrologiques, certaines actions aussi (stade des « tablettes numériques » et des « tablettes numéro-idéographiques » selon Englund). Les signes auraient ensuite pris un plus grand nombre de valeurs, permettant d'enregistrer plus précisément les opérations administratives (approximativement à la période 3200–2900, phase « proto-cunéiforme » d'Englund). Vers cette période ou plus tard (au moins vers 2800–2700) un autre type de valeur suivant un principe de rébus : une association de pictogrammes peut désigner des actions (par exemple tête + eau = boire) ; l'homophonie peut servir à représenter des idées (« flèche » et « vie » se prononcent de la même façon en sumérien donc le signe désignant la flèche peut désigner aussi la vie, idée difficilement pictographiable), donc des idéogrammes apparaissent ; et suivant un même principe des signes phonétiques (ou phonogrammes, un signe = un son) sont créés (« flèche » se dit TI en sumérien donc le signe flèche sert pour noter le son [ti]). Le début du IIIe millénaire verrait alors la mise en place des grands principes de l'écriture mésopotamienne, associant logogrammes et phonogrammes. L'écriture est alors en mesure de rapporter des éléments grammaticaux, donc des phrases complètes, possibilité qui n'est véritablement exploitée que quelques siècles plus tard[109].

Une théorie plus récente, défendue par Jean-Jacques Glassner, avance que dès ses débuts l'écriture serait bien plus qu'un outil de gestion : ce serait aussi un moyen de mettre par écrit des concepts, voire une langue (qui serait alors le sumérien), car dès sa mise au point les signes ne représenteraient pas seulement des choses réelles (pictogrammes), mais aussi des idées (idéogrammes) et des sons (phonogrammes). Cette théorie considère donc l'écriture comme un changement conceptuel radical, conduisant à une modification de la perception du monde[110]. Dès les débuts de l'écriture les scribes ont écrit aux côtés de documents administratifs des listes lexicales, donc des ouvrages savants. Cela leur permettait d'exploiter les possibilités du système d'écriture en classant les signes selon leurs « familles », de mettre au point de nouveaux signes et faire évoluer le système d'écriture, et plus largement d'effectuer une classification des éléments constituant le monde qui les entourait, permettant d'améliorer leur connaissance du concret. Selon les propositions de Jean-Jacques Glassner, cela indiquerait que l'invention de l'écriture ne serait pas forcément liée à des considérations uniquement matérielles. La conceptualisation d'un tel système nécessite de toute manière une réflexion sur l'image et les sens conférables notamment pour représenter ce qui est abstrait[111].

Un art plus réaliste et humaniste

Sceau-cylindre en calcaire et son impression : le roi et son acolyte nourrissant un troupeau sacré, période d'Uruk final, Musée du Louvre.
Tête de femme retrouvée à Uruk, ou « Dame de Warka ».

L'art de la période d'Uruk connaît un renouveau notable, accompagnant les profondes mutations dans le domaine de la symbolique[112]. Cela se voit en premier lieu dans les supports artistiques : les formes de poterie deviennent plus rudimentaires, avec le développement du tour de potier se répand une production de masse sans préoccupation décorative ; on ne trouve donc presque plus de poteries peintes comme aux périodes précédentes, mais des céramiques sans décor ou bien simplement incisées ou pastillées. La complexification des sociétés et le développement d'élites plus puissantes et voulant exprimer leur domination par divers moyens offrent cependant de nouveaux moyens aux artistes qui peuvent s'exprimer sur d'autres supports. La sculpture prend alors une importance capitale, que ce soit dans les réalisations en ronde-bosse, ou bien par des bas-reliefs sur stèles et surtout sur des sceaux-cylindres qui apparaissent vers la période d'Uruk moyen. Ils ont fait l'objet de nombreuses études, car il s'agit d'un très bon témoignage sur l'univers mental des gens de cette époque et d'un formidable support pour diffuser des messages symboliques, par la possibilité d'y représenter des scènes plus complexes que sur des cachets, déroulables à l'infini et permettant de créer une narration qui donne plus de dynamisme aux empreintes.

Les canons artistiques de la période sont nettement plus réalistes qu'aux périodes précédentes. L'être humain est au centre des thèmes. Cela est notamment le cas des sceaux-cylindres et empreintes de sceaux-cylindres retrouvés à Suse (niveau III), qui sont les plus réalistes de la période : ils représentent souvent la figure centrale de la société qu'est le monarque, mais aussi des hommes du commun dans des activités de la vie quotidienne, travaux agricoles et artisanaux (poterie, tissage). Ce réalisme de l'art témoigne d'un véritable renouveau, qu'on peut même qualifier d'« humaniste », car il marque un tournant dans l'art mésopotamien et plus largement d'un changement dans l'univers mental en mettant l'homme ou du moins l'image humaine à une place éminente jamais atteinte auparavant[113]. C'est d'ailleurs à la fin de la période d'Uruk qu'apparaissent les premières traces évidentes d'un anthropomorphisme des divinités qui est la règle aux millénaires suivants. Pour autant, les animaux réels ou imaginaires sont toujours courants dans la glyptique, souvent comme sujet principal de l'image[114]. Un thème très répandu est celui des « rondes » représentant des animaux en file déroulables sans limites, exploitant ainsi les possibilités nouvelles offertes par l’apparition du sceau-cylindre.

Les sculptures suivent un style et des thèmes présents dans la glyptique. Sont réalisées des statues en ronde-bosse, de petite taille, représentant des divinités ou bien un « roi-prêtre ». Les artistes d'Uruk ont laissé plusieurs œuvres remarquables, avant tout représentées par les trouvailles du Sammelfund du niveau III de l'Eanna (période de Djemdet Nasr). Des bas-reliefs se retrouvent sur des stèles comme la « stèle de la chasse »[76] ou sur le grand vase en albâtre sculpté représentant une scène d'offrande à une déesse, sans doute Inanna[77]. Ces œuvres-là mettent aussi en avant la figure de l'autorité qui accomplit des exploits guerriers et dirige le culte aux dieux. Elles sont elles aussi caractérisées par leur recherche de réalisme dans les traits des personnages. Une dernière œuvre remarquable des artistes d'Uruk III est une tête de femme sculptée grandeur nature aux proportions réalistes, retrouvée dans un état mutilé, la « Dame de Warka », qui devait appartenir à une statue d'un corps complet[115].

Religion

Tablette de comptabilité d'Uruk, Uruk III (c. 3200-3000 av. J.-C.) : enregistrement d'une livraison de produits céréaliers pour une fête de la déesse Inanna[116]. Pergamon Museum.

L'univers religieux de la période d'Uruk final est très difficile à approcher. Comme cela a déjà été évoqué, les lieux de cultes sont souvent difficiles à identifier par l'archéologie, en particulier dans le secteur de l'Eanna d'Uruk. Mais dans plusieurs cas les fonctions cultuelles de bâtiments semblent très probables si on en juge par leur ressemblance avec les édifices qui sont assurément des sanctuaires aux périodes précédentes : Temple blanc d'Uruk, temples d'Eridu, de Tell Uqair. Des installations cultuelles comme des autels et des bassins y ont été repérées. Il apparaît que les divinités sont essentiellement vénérées dans des temples[117]. Les textes d'Uruk apportent un éclairage sur les divinités vénérées et les pratiques cultuelles. Ils évoquent effectivement plusieurs temples, désignés par le signe signifiant « maison » (É) car ces édifices étaient conçus comme les résidences terrestres des divinités. Un personnel cultuel (des « prêtres ») apparaît dans certains textes comme les listes de métiers.

La figure divine la plus attestée dans les tablettes est la déesse désignée par le signe MÙŠ, Inanna (plus tard Ishtar), la grande déesse d'Uruk dont le sanctuaire est situé dans l'Eanna[118]. L'autre grande divinité d'Uruk, An (le Ciel), semble apparaître dans certains textes, mais cela n'est pas sûr car le signe qui le désigne (une étoile) sert aussi à désigner la divinité au sens large (DINGIR). Ces divinités reçoivent des offrandes diverses pour leur culte quotidien, mais aussi pour des cérémonies festives comme cela est courant durant les périodes suivantes. Le grand vase d'Uruk semble ainsi représenter une procession portant des offrandes à la déesse Inanna[77]. Elle y apparaît sous une forme humaine (anthropomorphisme), ce qui semble être une innovation liée à la période (voir ci-dessus) qui tend à « humaniser » les forces de la nature. Les tendances des croyances religieuses du IVe millénaire ont fait l'objet de discussions : Thorkild Jacobsen y voyait une religion tournée vers les divinités liées au cycle de la nature et à la fertilité, ce qui reste très spéculatif[119].

D'autres analyses ont porté sur l'existence d'un culte collectif aux cités sumériennes de la période de Djemdet Nasr, organisé autour du culte de la déesse Inanna et de son grand sanctuaire d'Uruk, qui auraient alors une position prééminente[74]. Les divinités sembleraient être attachées à des cités précises en plus d'avoir un aspect lié à une force de la nature, situation qui est caractéristique de la Mésopotamie du IIIe millénaire. La présence d'un culte encadré par les institutions et leur bureaucratie, reposant sur leur capacité à produire ou à prélever des richesses, et apparemment pris en charge par la figure royale indique que la religion que l'on perçoit est une religion officielle, dans laquelle le culte sacrificiel vise à préserver les bonnes relations entre hommes et dieux, les seconds étant les garants de la prospérité des premiers[80].

Notes et références

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  2. Benoit 2003, p. 57-58
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  7. B. Lafont dans Sumer 1999-2002, col. 135-137
  8. Huot 2004, p. 94-99 ; Forest 1996, p. 175-204
  9. a et b Liverani 2006, p. 32-52 sur les différentes activités économiques des États archaïques et leur degré supposé de « complexité ».
  10. Algaze 2008, p. 40-61
  11. a et b Liverani 2006, p. 19-25
  12. (en) R. McC. Adams et H. J. Nissen, The Uruk Countryside, The Natural Setting of Urban Societies, Chicago et Londres, 1972 ; R. McC. Adams, Heartland of Cities, Surveys of Ancient Settlement and Land Use on the Central Floodplain of the Euphrates, Chicago, 1981
  13. Glassner 2000, p. 66-68
  14. Voir cependant Englund 1998, p. 73-81
  15. Pour un exposé des débats sur ce point : J. S. Cooper dans Sumer 1999-2002, col. 84-91 ; B. Lafont dans Sumer 1999-2002, col. 149-151 ; M.-J. Seux dans Sumer 1999-2002, col. 339-344
  16. P. Michalowski dans Sumer 1999-2002, col. 111
  17. Résumé commode des constructions des niveaux d'Uruk durant l'Uruk récent dans : Englund 1998, p. 32-41 ; Huot 2004, p. 79-89 ; Benoit 2003, p. 190-195. Voir désormais (de) R. Eichmann, Uruk, Architektur I, Von den Anfängen bis zur frühdynastischen Zeit, AUWE 14, Mainz, 2007.
  18. Forest 1996, p. 133-137, y voit un complexe palatial. Voir aussi Butterlin 2003, p. 41-48.
  19. Englund 1998, p. 27-29. (en) S. Lloyd, F. Safar, et H. Frankfort, « Tell Uqair: Excavations by the Iraq Government Directorate of Antiquities in 1940 and 1941 », dans Journal of Near Eastern Studies 2/2, 1943, p. 131-158.
  20. Résumé des fouilles de ce niveau archéologique dans (en) S. Pollock, M. Pope et C. Coursey, « Household Production at the Uruk Mound, Abu Salabikh, Iraq », dans American Journal of Archaeology 100/4, 1996, p. 683-698
  21. Englund 1998, p. 24-27
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  38. (it) M. Frangipane (dir.), Alle origini del potere : Arslantepe, la collina dei leoni, Milan, 2004
  39. a et b On en trouvera une mise au point récente dans (en) R. Matthews, The archaeology of Mesopotamia : Theories and approaches, Routledge, 2003, p. 93-126. Voir aussi Liverani 2006, p. 5-14 pour une historiographie de la question.
  40. Débat initié dans (en) G. Algaze, « The Uruk Expansion: Cross Cultural Exchange in Early Mesopotamian Civilization », dans Current Anthropology Volume 30/5, 1989, p. 571-608 ; la théorie est ensuite présentée de façon plus complète dans (en) Id., The Uruk World System : The Dynamics of Early Mesopotamian Civilization, Chicago, 1993 (révisé en 2005) ; mise au point plus récente dans Id., « The Prehistory of Imperialism: The case of Uruk Period Mesopotamia », dans M. S. Rothman (dir.), Uruk Mesopotamia and its neighbours : cross-cultural interactions in the era of state formation, Santa Fe, 2001, p. 27-85 ; voir aussi Algaze 2008, p. 68-73.
  41. Butterlin 2003, p. 98-107
  42. (en) G. Algaze, « Initial Social Complexity in Southwestern Asia: The Mesopotamian Advantage », dans Current Anthropology 42/2, 2001, p. 199-233. Algaze 2008, p. 40-63.
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  44. Butterlin 2003, p. 131-137
  45. Butterlin 2003, p. 386-390 pour les conclusions.
  46. Butterlin 2003, p. 232-254 et 334-338
  47. (en) D. Stronach, « Village to Metropolis: Nineveh and the Beginnings of Urbanism in Northern Mesopotamia », dans S. Mazzoni (dir.), Nuove Fondazioni nel Vicino Oriente Antico : Realtà e Ideologia, Pise, 1994, p. 88–91
  48. Huot 2004, p. 102-104 ; Butterlin 2003, p. 151-157. (en) A. H. Joffe, « Egypt and Syro-Mesopotamia in the 4th Millennium: Implications of the New Chronology », dans Current Anthropology 41/1, 2000, p. 113-123.
  49. (en) G. Philip, « Contacts between the 'Uruk' world and the Levant during the fourth millennium BC: evidence and interpretation », dans J. N. Postgate (dir.), Artefacts of Complexity: Tracking the Uruk in the Near East, Warminster, 2002, p. 207-235. Du reste cette région était plus marquée pour cette période par l'influence égyptienne, cf. C. Nicolle, « Aux marges du Levant Sud : quelques considérations sur l'expansion "égyptienne" dans la seconde moitié du IVe millénaire », dans J.-M. Durand et A. Jacquet (dir.), Centre et périphérie, approches nouvelles des Orientalistes, Paris, 2009, p. 29-46.
  50. B. Midant-Reynes, Aux origines de l'Égypte, Du Néolithique à l'émergence de l'État, Paris, 2003, p. 296-301. (en) T. Wilkinson, « Uruk into Egypt : Imports and Imitations », dans J. N. Postgate (dir.), op. cit., p. 237-247
  51. a et b Butterlin 2003, p. 66-70
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  53. Sur la spécificité et la portée des changements de cette période fondatrice en Mésopotamie par rapport aux autres civilisations, voir notamment les discussions réunies dans (en) M. Lamberg-Karlovsky (dir.), The Breakout: The Origins of Civilization, Cambridge (Mass.), 2000.
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  79. B. Lafont dans Sumer 1999-2002, col. 134-135
  80. a et b Liverani 2006, p. 63-64 ; F. Joannès, « Sacrifice », dans Joannès (dir.) 2001, p. 743-744.
  81. A. L. Oppenheim, La Mésopotamie, Portrait d'une civilisation, Paris, 1970, p. 108-122. Voir Liverani 2006, p. 59-62 sur les modèles d'organisations socio-économiques proposés pour les « États archaïques ».
  82. Glassner 2000, p. 238-250
  83. Englund 1998, p. 123-213 donne une étude complète des secteurs administratifs attestés par l'étude des textes de l'Uruk récent.
  84. B. Lafont dans Sumer 1999-2002, col. 160-162
  85. Glassner 2000, p. 231-238
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  87. Butterlin 2003, p. 87-94. Sur ce sujet dépassant largement le cadre moyen-oriental, voir par exemple A. Testart, L'origine de l'État, La servitude volontaire II, Paris, 2004.
  88. J.-L. Huot, J.-P. Thalmann et D. Valbelle, Naissance des cités, Paris, 1990, débordant largement le cadre géographique et chronologique traité ici, constitue une bonne introduction sur les débuts de l'urbanisation.
  89. (en) V. G. Childe, « The Urban Revolution », dans Town Planning Review 21, 1950, p. 3-17. La postérité de cet article fondamental est présentée dans (en) M. E. Smith, « V. Gordon Childe and the Urban Revolution: a historical perspective on a revolution in urban studies », dans Town Planning Review 80, 2009, p. 3-29.
  90. (en) M. Van de Mieroop, The Ancient Mesopotamian City, Oxford, 1997, p. 23-28 (voir aussi les pages suivantes).
  91. Algaze 2008, p. 117-122 met en avant le fait que le modèle d'urbanisme du Nord mésopotamien fut cependant moins durable que celui du Sud puisqu'il déclina au début du IIIe millénaire.
  92. a et b R. Vallet, « Habuba Kebira ou la naissance de l'urbanisme », dans Paléorient, 22/2, 1997, p. 45-76
  93. Forest 1996, p. 154-157
  94. « (en) Tablette MSVO 3,12 /BM 140855  : description sur CDLI. »
  95. Englund 1998, p. 106-111
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  98. Sur cette évolution, établie notamment à partir de la stratigraphie de Suse, voir en particulier A. Le Brun et F. Vallat, « Les débuts de l'écriture à Suse », dans Cahiers de la DAFI 8, 1978, p. 11-59.
  99. a et b (en) Denise Schmandt-Besserat, Before Writing, 2 vol., Austin, 1992 ; Ead., How Writing Came About, Austin, 1996
  100. a et b Discussions dans Englund 1998, p. 46-56 et Glassner 2000, p. 87-112.
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  104. Glassner 2000, p. 45-68
  105. B. Lafont dans Sumer 1999-2002, col. 141-143
  106. Éditions dans la série Archaische Texte aus Uruk (ATU), inaugurée en 1936 par Adam Falkenstein, dans la série ADFU, Leipzig puis Berlin, 5 vol. parus. Les tablettes archaïques exhumées à Uruk sont en ligne sur le site de la CDLI « Lien »
  107. Englund 1998, p. 82-106 ; Glassner 2000, p. 251-256. (de) R. Englund, et H. Nissen, Die lexikalischen Listen der Archaischen Texte aus Uruk, ATU 3, Berlin, 1993.
  108. « (en) Tablette W 9579,d /VAT 14674 : description sur CDLI. »
  109. Pour une présentation rapide de cette vision traditionnelle voir par exemple : J. Bottéro, « De l'aide-mémoire à l'écriture », dans Mésopotamie, l'Écriture, la Raison et les Dieux, Paris, 1997, p. 132-166. Englund 1998, p. 214-215 propose une date tardive de l'apparition des signes en sumérien ; pour des présentations plus complètes des idées de cet auteur : (en) H. J. Nissen, P. Damerow et R. K. Englund, Archaic Bookkeeping, Chicago, 1993 ; voir aussi « Proto cuneiform » (extrait de l'ouvrage cité ci-devant) et « Proto cuneiform Version II » sur le Wiki du CDLI. Critique dans Glassner 2000, p. 69-86.
  110. Glassner 2000 note p. 180-215.
  111. Glassner 2000, p. 231-239
  112. Benoit 2003, p. 62
  113. Huot 2004, p. 75, parle même d'une « révolution humaniste »
  114. (it) E. Rova, « Animali ed ibridni nel repertorio iconografico della glittica del periodico di Uruk », dans E. Cingano, A. Ghersetti, L. Milano (dir.), Animali, Tra zoologia, mito e letteratura nella cultura classica e orientale, Padoue, 2005, p. 13-32
  115. Benoit 2003, p. 212-213
  116. « (en) Tablette W 5233,a/VAT 15245 : description sur CDLI. »
  117. J.-C. Margueron, « Sanctuaires sémitiques », dans Supplément au Dictionnaire de la Bible 64B-65, Paris, 1991, col. 1119-1147
  118. Sur cette déesse dans la documentation de la période d'Uruk, voir en particulier les travaux de (en) K. Szarzynska, « Offerings for the goddess Inana in archaic Uruk », dans Revue d'assyriologie et d'archéologie orientale 87/1, 1993, p. 7-28 ; (en) Ead., « The Cult of the Goddess Inanna in Archaic Uruk , dans NIN: Journal of Gender Studies in Antiquity 1, 2000, p. 63-74
  119. (en) T. Jacobsen, The Treasures of Darkness: A History of Mesopotamian Religion, New Haven, 1976, pp. 23-73

Bibliographie

Généralités sur la Mésopotamie protohistorique et antique

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Études sur la période d'Uruk

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  • (en) Robert K. Englund, « Texts from the Late Uruk Period », dans Joseph Bauer, Robert K. Englund et Manfred Krebernik (dir.), Mesopotamien: Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, Fribourg et Göttingen, Universitätsverlag Freiburg Schweiz et Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis », , p. 15-233
  • Jean-Jacques Glassner, Écrire à Sumer : L'invention du cunéiforme, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'Univers historique »,
  • (en) Mario Liverani (trad. Zainab Bahrani et Marc Van de Mieroop), Uruk : The First City, Londres, Equinox,

Lien externe

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