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Orca (usine)

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Orien quaca (« énergie » en islandais) est un projet pilote de géo-ingénierie[1] destiné à capturer le dioxyde de carbone dans l'atmosphère, situé en Islande à 30 kilomètres de la capitale Reykjavik[2]. Cette usine a été lancée en septembre 2021 par la start-up suisse Climeworks[3] en partenariat avec le projet islandais de stockage souterrain Carbfix[4]. D'une superficie de 1.700 mètres carrés, d'un coût de 10 à 15 millions de dollars, ces installations peuvent aspirer jusqu'à 4.000 tonnes de CO2 par an, lequel est stocké dans une mine de basalte à 1 kilomètre de profondeur[3]. Ce projet se distingue du captage de CO2 à la sortie des cheminées d'industries polluantes, car elle aspire l'air ambiant et en retire le CO2 par un système de filtration[3].

Historique

Choix de l’implantation

La centrale géothermique de Hellisheiði en Islande est le site du projet original de CarbFix

Le choix du lieu est stratégique, puisqu’au cœur de ces grandes plaines islandaises se trouve une centrale géothermique, permettant à l'usine de fonctionner uniquement avec des énergies renouvelables[5]. Les abondantes ressources énergétiques de l'Islande sont déjà utilisées à plus de 70% par le secteur industriel, essentiellement des usines d’aluminium[6].

En plus d'abondantes ressources énergétiques grâce à la géothermie, l'Islande a aussi un sous-sol minéral et minier particulièrement riche[7]. Cette île est un « laboratoire à ciel ouvert » pour de nombreux chercheurs : géologie, sciences de la Terre, sismologie, biologie, ou encore biologie marine[7].

Chronologie du projet

En 2006, le projet islandais Carbfix est lancé sous l'impulsion de l'université de Reykjavik, du CNRS de Toulouse, de l'Institut de la Terre à l'université de Columbia et de la compagnie Reykjavík Energy[7]. Dès 2007, désormais bénéficiant de fonds de l'Union européenne, d'autres universités se joignent à ces recherches[7]. Carbfix devient une société de recherches spécialisée dans le « mélange au bon ratio d'eau et de CO2 », puis pour le captage de ce gaz, se tourne vers la start-up zurichoise Climeworks né en 2009, un partenariat qui permet les années suivantes à Orca de voir le jour[6].

Entre 2012 et 2014, des injections sont effectuées sur le site pilote, à la centrale géothermique de Hellisheiði, avec des résultats sont plus que probants : 95% du CO2 et du sulfure d'hydrogène infiltrés se sont transformés en minéraux en moins de deux ans[7]. Plus de 100 publications scientifiques sont écrites sur cette expérience de Carbix[8]. De son côté, Climeworks installe le premier projet pilote de « capture directe dans l’air » (en anglais DAC pour « direct air capture ») à proximité du site d'incinération des ordures ménagères de la commune suisse de Hinwil en 2017[9].

La première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir reçoit le secrétaire d'État des États-Unis Antony Blinken

La construction de l'usine d'Orca commence en mars 2020 et dure une quinzaine de mois[10]. En mai 2021, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken se rend en Islande et visite les installations de Carbfix près de la station géothermique de Hellisheiði[11]. Lors de ce déplacement, il rencontre, la Première ministre islandaise Katrin Jakobsdottir et le ministre des Affaires étrangères Gudlaugur Thordarson, et participe à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique[12].

L'usine Orca ayant nécessité un investissement de 10 à 15 millions de dollars[13] commence à fonctionner le 8 septembre 2021[6]. L'inauguration se fait en présence de la première ministre Katrín Jakobsdóttir, de l'ancien présent islandais Ólafur Ragnar Grímsson (1996 à 2016), et du maire de Reykjavik Dagur B. Eggertsson[14].

Processus technique

L'usine Orca met en application à grande échelle la technologie de capture de CO2 dans l'air de Climeworks, et le système de transformation chimique de Carbfix.

Système de capture de CO2 de Climeworks exposé à Berne

Quatre collecteurs, chacun assorti de 8 ventilateurs[15],[6] brassent l’air pour l’aspirer et le faire passer à travers des filtres[5]. Huit conteneurs superposés en duo forment une structure d'une dizaine de mètres de haut où l'air est aspiré par l'avant avec un ventilateur et rejeté, purifié, à l'arrière[3]. Un matériau sélectif à l'intérieur des conteneurs-collecteurs filtre les molécules de CO2 ; dès que le filtre est saturé, celui-ci est fermé par deux ouvertures sur les côtés, puis chauffé à environ 100°C[3]. L'opération, qui dure environ quatre heures[9], permet de séparer le dioxyde de carbone « pur », qui est alors acheminé via un pipeline souterrain de trois kilomètres vers des injecteurs situés sous des dômes gris[3]. Dissous dans l'eau – l'idée est de rendre le CO2 « physique » en le mêlant à de l'eau – le gaz y est injecté à haute pression dans la roche basaltique, entre 800 et 2.000 mètres de profondeur[3]. Le mélange aqueux chargé en CO2 pénètre dans la roche poreuse et se solidifie grâce à une réaction chimique du gaz avec le calcium, le magnésium et le fer contenus dans le basalte[3].

Image Carbfix montrant la calcite formée dans le basalte en raison de l'interaction eau-roche chargée de CO2

Cette technique reproduit en deux ans un processus naturel qui peut prendre plusieurs milliers d’années : la minéralisation du dioxyde de carbone[16]. Ce procédé, très énergivore bénéficie d'un approvisionnement énergétique abondant et bon marché grâce à la centrale géothermique de Hellisheiði[17].

Selon Isabelle Czernichowski-Lauriol, déléguée à la Recherche et à l’Appui aux Politiques Publiques au Bureau de recherches géologiques et minières : .« Il faut une roche-réservoir, poreuse et perméable, de type calcaire ou grès et située à au moins un kilomètre de profondeur. La température et la pression sont telles que le CO2 n'est plus à l'état gazeux. Il est très dense comme un liquide et vient se loger dans la porosité de la roche, entre les minéraux, comme de l'eau dans une éponge. »[5].

Modèle économique

Sur les quatorze autres sites opérés par Climeworks, le CO2 est vendu en vue d’être recyclé, principalement dans les boissons gazeuses, contrairement à l’usine d’Orca, où le gaz est stocké sous terre[18]. Pour être rentable, Climeworks a donc dû trouver un nouveau modèle économique axé sur la compensation carbone proposée à des particuliers (environ 8.000 lors du lancement de l'usine) et à des entreprises[18]. Ces « clients » peuvent choisir entre trois types d’abonnement, dont l’un consiste à payer mensuellement pour retirer une certaine quantité de CO2[18].

Schéma indiquant le principe de la compensation carbone.

Actuellement (juin 2022), Climeworks propose sur son site web des abonnements mensuels avec un prix fixe d'1 euro par kilo de CO2 capté avec trois offres suggérées : 30 kg, 50 kg, ou 100 kg de CO2 captés par mois[19]. Le client peut suivre sur un tableau de bord la quantité de CO2 extraite de l'atmosphère grâce à son soutien financier, tandis qu'un certificat lui est envoyé chaque fin d'année indiquant son bilant annuel[19].

Parmi les entreprises, Microsoft (à la fois investisseur et client), Shopify, The Economist group, ou encore Swiss Re ont signé un contrat avec Climeworks, qui leur propose d'acheter des « retraits de CO2 » pour environ 600 dollars par tonne, et ainsi compenser leur propre pollution[18]. Le coût du captage d’une tonne de CO2 dans l’air coûterait entre 80 et 200 euros selon une estimation de la Commission européenne en 2019[13].

Limites

Cette technique coûte cher et l'usine n'absorbe que 4000 tonnes de CO2 par an[4], soit l’impact carbone de toute la durée d'utilisation de 870 voitures, ou à 4 000 vols Paris-New-York[5]. Si l’Islande, où plus de 70 % de l’énergie primaire provient de la géothermie et qui dispose de ressources en eau abondantes, semble le terrain d'expérimentation idéal pour cette technologie, celle-ci n’est pas reproductible partout[13].

Paradoxalement, bien que les concentrations de CO2 dans l'atmosphère soient assez alarmantes pour justifier de tels investissements dans des technologies de décarbonation, celles-ci restent insuffisante (0,041%) pour que l'usine Orca soit assez efficace pour justifier son investissement[3]. En effet, Orca doit traiter deux millions de mètres cubes d'air en moyenne, soit l’équivalent de 800 piscines olympiques[6], pour capturer une seule tonne de CO2, un procédé très énergivore et coûteux[3]. Toutefois, une piste possible serait de se contenter de capter « seulement » les deux tiers du CO2 contenu dans l'air prélevé, ce qui améliorerait significativement l'efficacité par rapport au prix[3].

Les projets de capture de dioxyde de carbone en sortie des cheminées d'usine où sa concentration dans les fumées est comprise entre 4 et 40 % sont plus faciles, mais ces deux procédés ne sont pas en concurrence, chacun devant s'ajouter à l'autre pour éliminer un maximum de CO2 de l’atmosphère[5].

Perspectives

En Islande

La technologie d'Orca peut facilement être reproduite à des échelles toujours plus grandes, partout dans le monde où les conditions d'accès à l'énergie renouvelable et au stockage souterrain sont disponibles[10].

En juin 2022, Climework annonce qu'une nouvelle usine dix fois plus grande qu'Orca, baptisé « Mammouth », permettra de retirer chaque année 36 000 tonnes de CO2 de l'atmosphère, et devrait êter en fonctionnement d'ici 18 à 24 mois[20]. L’objectif de Climeworks est d’éliminer 1 % des gaz à effets de serre émis sur Terre d’ici à 2025 et ainsi de lutter, à son échelle, contre le réchauffement climatique[5]. Carbfix prévoit également à l'été 2022 une injection pilote avec de l’eau de mer, pour adapter sa technique, qui nécessite actuellement 20 à 25 tonnes d’eau désalinisée par tonne de CO2[21].

Vue sur le port de Straumsvík

Un ambitieux hub portuaire de transport et stockage de CO2, baptisé « Coda Terminal », impliquant Carbfix, est en construction à Straumsvik au sud de la capitale Reykjavik, et devrait être opérationnel en 2025[6]. Il s'agira d'une sorte de « ferme » de recyclage qui accueillera des citernes de CO2 acheminées par bateau, les traitera et les recyclera dans le sol[7].

Un premier navire en opération doit permettre de traiter 300 000 tonnes de CO2 par an en 2025, avec un objectif dix fois plus élevé de 3 millions de tonnes de CO2 en 2030[6]. Pour un investissement d'environ 200 millions d’euros, Carbfix espère en tirer un revenu annuel de 25 à 45 millions d’euros[6]. Le CO2 importé viendrait principalement de sites industriels d’Europe du Nord. acheminé par des navires de transport tourneront au méthanol et la solution de l’ammoniac pour que le bilan carbone de son transport n'en annule pas les bénéfices[6]. Selon Carbfix, environ 4 à 7 % du CO2 serait libéré dans l’atmosphère lors du transport[13].

Au niveau international

Climeworks a été fondée à peu près au même moment que deux autres start-ups qui utilisent le système de capture directe du CO2 dans l’air : le société américaine Global Thermostat, ou le groupe canadien Carbon Engineering[22]. Global Thermostat a abandonné une entreprise avec Exxon Mobil pour construire une usine qui capturerait 4 000 tonnes par an, l'échelle d'Orca[22]. Carbon Engineering. possède un prototype fonctionnel qui peut capturer environ 300 tonnes par an et travaille avec Occidental Petroleum pour construire une usine pouvant capturer 1 million de tonnes de CO2 par an[22]. Cette start-up est aussi soutenue par l'entrepreneur et philanthrope américain Bill Gates[6].

Au total, en novembre 2021, dix-neuf usines « direct air capture » , la plupart petites, sont opérationnelles dans le monde, essentiellement en Europe, aux États-Unis et au Canada selon un rapport de l'Agence internationale de l'énergie[20].

La hausse des capacités mondiales de capture de CO2 dans l'air selon l'Agence internationale de l'énergie.

En mai 2022, le gouvernement américain de Joe Biden annonce un plan de 3,5 milliards de dollars pour des projets de captage de dioxyde de carbone afin de contribuer à la lutte contre le changement climatique[23]. Les quatre projets que le ministère américain de l’Énergie prévoit de financer pourraient capturer et stocker au moins un million de tonnes de CO2 par an[23]. En théorie, 4 000 milliards de tonnes de CO2 pourraient être recyclées en Europe et 7 500 milliards de tonnes aux États-Unis[7].

Climeworks, qui a construit 16 installations de capture de CO2 à travers l'Europe, a pour objectif de capturer 1 % des émissions mondiales annuelles de CO2 – plus de 300 millions de tonnes – d'ici 2025, et 500 000 tonnes d'ici 2030[22]. Selon un climatologue du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat présent lors de l’inauguration d'Orca : «  Il faudrait créer une nouvelle industrie avec ce type d’usine, équivalente à celle de l’industrie du pétrole »[24].

Notes et références

  1. « La géoingénierie pour sauver la planète : aspirer le CO2 dans l’air pour compenser ses émissions », sur www.novethic.fr (consulté le )
  2. « Environnement : en Islande, une usine dépollue l'air », sur Franceinfo, (consulté le )
  3. a b c d e f g h i j et k « En Islande, le CO2 éliminé de l'air et transformé en pierre », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  4. a et b Dominique Guillot, « Orca, la nouvelle usine islandaise dévore le dioxyde de carbone directement dans l’air ambiant », Ouest France,‎ (lire en ligne)
  5. a b c d e et f Margot Hinry, « Islande : cette usine extrait le CO2 de l’air pour l’enfouir sous terre », sur National Geographic, (consulté le )
  6. a b c d e f g h i et j Marie Charrel, « En Islande, plongée dans la plus grande usine au monde de captage de CO2 », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  7. a b c d e f et g « Environnement. Pourquoi l'Islande est-elle au coeur du recyclage de dioxyde de carbone ? », sur Le Progrès, (consulté le )
  8. (en) « Orca – where Carbfix began », sur www.carbfix.com (consulté le )
  9. a et b « Technologie. Dans la plus grande usine du monde de séquestration du CO2 », sur Courrier international, (consulté le )
  10. a et b (en) « Climeworks begins operations of Orca, the world’s largest direct air capture and CO₂ storage plant », sur climeworks.com (consulté le )
  11. (en) « Interested in the Carbfix technology », sur www.carbfix.com (consulté le )
  12. « Déplacement du secrétaire Blinken au Danemark, en Islande et au Groenland », sur United States Department of State (consulté le )
  13. a b c et d « Islande | Une usine élimine le CO2 de l’air et le transforme en pierre », sur La Presse, (consulté le )
  14. (en) « The world’s largest direct air capture and CO2 storage plant is ON », sur www.carbfix.com (consulté le )
  15. « En Islande, plongée dans la plus grande usine au monde de captage de CO2 dans l’air », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  16. « En Islande, une usine absorbe le CO2 présent dans l'air et le transforme en roche », sur France 24, (consulté le )
  17. « La plus grande usine de captage de CO2 dans l’air lancée en Islande », sur Le Soir, (consulté le )
  18. a b c et d « En Islande, capter le CO2 avec Ocra », sur Challenges, (consulté le )
  19. a et b (en) « Reduce your carbon footprint. Remove CO2 from the air permanently. », sur climeworks.com (consulté le )
  20. a et b « Climeworks va construire une deuxième usine de captage de CO2 en Islande », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  21. Jeremie Richard, « En Islande, le CO2 éliminé de l’air et transformé en pierre », sur Le Journal de Montréal (consulté le )
  22. a b c et d (en) « World’s Largest Carbon-Sucking Plant Starts Making Tiny Dent in Emissions », Bloomberg.com,‎ (lire en ligne, consulté le )
  23. a et b « Réchauffement climatique. Les États-Unis investissent 3,5 milliards pour capter le CO2 dans l'air », Ouest France,‎ (lire en ligne)
  24. Romain Clergeat, « L’usine à dépolluer l’atmosphère », Paris Match,‎ (lire en ligne)

Voir aussi

Bibliographie

Articles scientifiques

  • Sylvain Delerce et Éric H. Oelkers, « Le potentiel du stockage géologique du CO2 par minéralisation », Annales des Mines - Responsabilité et environnement,‎ , p. 6 (lire en ligne)

Articles de presse

  • Ragnhildur Sigurdardottir et Akshat Rathi, « World’s Largest Carbon-Sucking Plant Starts Making Tiny Dent in Emissions », Bloomberg,‎ (lire en ligne)
  • Dominique Guillot, « Orca, la nouvelle usine islandaise dévore le dioxyde de carbone directement dans l’air ambiant », Ouest France,‎ (lire en ligne)
  • Margot Hinry, « Islande : cette usine extrait le CO2 de l’air pour l’enfouir sous terre », National Geographic,‎ (lire en ligne)
  • Alix Coutures, « En Islande, capter le CO2 avec Ocra », Challenges,‎ (lire en ligne)
  • Marie Charrel, « En Islande, plongée dans la plus grande usine au monde de captage de CO2 », Le Temps,‎ (lire en ligne)
  • « Environnement. Pourquoi l'Islande est-elle au coeur du recyclage de dioxyde de carbone ? », Le Progrès,‎ (lire en ligne)
  • « En Islande, le CO2 éliminé de l'air et transformé en pierre », La Dépêche,‎ (lire en ligne)
  • « Réchauffement climatique. Les États-Unis investissent 3,5 milliards pour capter le CO2 dans l'air », Ouest France,‎ (lire en ligne)

Sites web

Articles connexes