Peau d'Âne (film, 1970)

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Peau d'âne

Réalisation Jacques Demy
Scénario Jacques Demy
Acteurs principaux
Sociétés de production Parc Film
Marianne Productions
Pays de production Drapeau de la France France
Genre Film musical
Conte de fées
Durée 89 minutes (1 h 29)
Sortie 1970

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Peau d'âne est un film musical français de Jacques Demy, sorti en 1970 et inspiré du conte éponyme de Charles Perrault, paru en 1694.

Une princesse, forcée d'épouser son père veuf, fuit son château sur les conseils de sa fée marraine en se dissimulant sous une peau d'âne. Rendue repoussante aux yeux de tous, elle conserve son secret jusqu'à sa rencontre fortuite avec le prince d'un royaume voisin. Une fois leur amour avoué et l'identité de la princesse révélée, les noces des deux jeunes gens sont célébrées. C'est la troisième collaboration entre Jacques Demy et l'actrice Catherine Deneuve, qui gagne avec la Princesse un nouveau rôle iconique.

Considéré comme un film culte grâce à l'audace de ses thèmes et de son parti pris visuel ainsi qu'à sa musique signée Michel Legrand[1], Peau d'âne constitue le plus grand succès au box-office de Jacques Demy[2]. Il a été restauré à plusieurs reprises, en 2003 et en 2014, sous la houlette de la cinéaste Agnès Varda, compagne du réalisateur.

Synopsis

Catherine Deneuve à l'époque du tournage.
Catherine Deneuve, qui interprète Peau d'âne, a été essentielle pour réunir les fonds nécessaires à la mise en chantier du film.

Un roi, jouissant d'un grand prestige auprès de ses sujets et voisins, est marié à la plus belle et vertueuse des reines. Celle-ci, frappée par la maladie, lui fait promettre sur son lit de mort de ne prendre comme nouvelle épouse qu'une femme plus belle qu'elle, la raison d'État exigeant un descendant mâle.

Mais les efforts des ministres pour trouver une princesse à la hauteur de la défunte reine restent vains, et seule la propre fille du couple royal peut se prévaloir d'une telle beauté. Malgré le risque d'inceste que comporte ce projet, le roi décide de l'épouser, encouragé en cela par ses conseillers.

La princesse s'effraie d'un tel dessein, mais hésite cependant, sensible à l'insistance de son père et à l'amour qu'elle-même lui porte. Sa marraine, la Fée des Lilas, lui apprend à distinguer les amours : si l'on aime ses parents, on ne les épouse pas. Conseillée par cette dernière, la princesse tente sans le contredire de dissuader son père de son projet, en lui demandant tour à tour des services apparemment irréalisables : la réalisation de trois robes d'une extrême complexité, l'une couleur du temps, l'autre couleur de lune, et la dernière couleur du soleil. En dépit du coût du défi et des brefs délais accordés, le roi accède à sa requête. La princesse se résout alors, toujours guidée par sa marraine, à demander à son père un immense sacrifice : la peau de son âne « banquier », dont les déjections surnaturelles procurent au roi pierres précieuses et pièces d'or, faisant ainsi la prospérité du royaume. Le roi accepte.

Effarée par la dépouille de l'animal et ne pouvant plus se dérober devant son père, la princesse désespérée s'enfuit du château familial, cachée sous la peau de l'âne et munie de la baguette magique prêtée par sa marraine la fée. Elle trouve refuge dans une ferme. Logeant dans une misérable hutte au fond d'un bois et travaillant comme souillon pour une vieille femme, elle doit affronter l'hostilité et les moqueries des habitants.

Jacques Perrin et Marcello Mastroianni dans une scène de Journal intime.
Jacques Perrin (ici à gauche dans Journal intime) interprète le Prince.

Le Prince du royaume, de voyage dans le pays, découvre sa hutte par hasard et aperçoit Peau d'âne qui, se croyant seule, a alors revêtu ses atours de princesse. Il en tombe immédiatement amoureux et, de retour dans son château, devient malade d'amour. Ses parents, alertés de son état, lui offrent de l'aider. Il demande alors que la dénommée « Peau d'âne » lui fasse un gâteau. Celle-ci accède à sa requête et confectionne un « cake d'amour », dans lequel elle glisse un présent : un anneau d'or. Mais le prince manque de s'étouffer sur la bague en mangeant le gâteau, et la dissimule en attendant d'être seul. Il rencontre alors la Princesse en rêve, et tous deux s'avouent mutuellement leur amour. Le songe terminé, le Prince fait annoncer qu'il épousera la jeune fille du royaume au doigt de laquelle la bague ira parfaitement. Une séance d'essayage est organisée et toutes les femmes du royaume se présentent dans l'espoir d'être l'élue. Réunies par rang social, toutes ont droit à un essai, mais la séance s'éternise, et le Prince perd espoir. Lorsque la séance prend fin, l'anneau ne s'est glissé à aucun doigt. On pense à convoquer la dernière jeune fille du royaume, la souillon Peau d'âne, à qui l'anneau s'ajuste parfaitement. Elle quitte alors son déguisement et apparaît dans toute sa splendeur dans sa robe couleur du soleil. Les noces s'ensuivent : la Princesse épouse le Prince sous l'œil bienveillant de son père, lui-même réconcilié et fiancé avec la Fée des Lilas.

Le film s'achève sur les derniers vers du conte original :

« Le conte de Peau d’âne est difficile à croire,
Mais tant que dans le monde on aura des enfants,
Des mères et des mères-grands,
On en gardera la mémoire. »

Fiche technique

Distribution

Interprètes des chansons

Production

Genèse

Après quelques années passées aux États-Unis, entre 1967 et 1969, le souhait de Jacques Demy est de faire un film inspiré de la culture française, et en particulier de ses contes de fée, qui lui inspirent « une très grande joie ». Parmi les contes de Perrault, c'est Peau d'âne qu'il sélectionne, pour son étrangeté. Agnès Varda, qui était partie avec lui en Amérique et l'avait accompagné dans son projet de film américain, Model Shop, explique plus tard ce choix : « C’est très bizarre, ce père qui veut épouser sa fille, qui s’obstine comme ça et elle qui se cache dans une peau d’âne. Jacques aimait beaucoup ce conte[6]. ». « Nous convenions que Peau d’âne était de loin le conte le plus complexe[7]. »

Jacques Demy appréciait ce conte de longue date et le monte dans son propre théâtre de marionnettes lorsqu'il est enfant[8],[9] : « Autrefois, avant, quand j'étais enfant, Peau d'âne me plaisait particulièrement. J'ai essayé de faire le film dans cette optique, par mes yeux, comme ça, quand j'avais sept ou huit ans. » Il le cite dès 1962 comme l'un des scripts sur lesquels il travaille. Il envisage alors Brigitte Bardot et Anthony Perkins dans les rôles-titres[10],[8].

Développement

Photographie de Mag Bodard en 1972.
La productrice Mag Bodard avait déjà collaboré aux précédents films musicaux de Demy, pour lesquels réunir des financements n'avait pas été aisé[11].

La réalisation du film devient possible en 1969 grâce à l'intérêt de l'actrice Catherine Deneuve, déjà une icône à l'époque : le prestige et le pouvoir du nom de l'actrice attachent à la productrice Mag Bodard[n 1] les soutiens financiers qui manquaient[12].

« Comme les autres filles, j’aimais les histoires de fées et de sorcières, de rois et de princesses, de perles et de crapauds[n 2]. Lorsque j’ai lu le scénario de Peau d’Âne j’ai retrouvé les émotions de ma lecture d’enfance, la même simplicité, le même humour, et, pourquoi ne pas le dire, une certaine cruauté qui sourd généralement sous la neige tranquille des contes les plus féériques. »

— Catherine Deneuve[13]

Les maquettes de préparation pour les décors sont élaborées par l'artiste Jim Leon, « supporter inconditionnel de l'art onirique du XIXe siècle[7] ». Faute de moyens, Demy n'avait pas pu engager son collaborateur habituel, le décorateur Bernard Evein. Jim Leon est engagé par le réalisateur après lui avoir montré comme travaux un papillon et un dessin érotique, et imagine en tout vingt-huit maquettes pour le film[7], ainsi que le paravent dans la salle du trône et l'affiche du film, fameuses représentations psychédéliques[14].

La chambre de la Princesse diffère grandement dans le film ce qui était initialement prévu : la veille du tournage de scènes s'y déroulant, le lit imaginé ne répond pas du tout aux attentes des décorateurs :

« C’était une très grosse fleur très jolie, en velours floqué rose, qui s’ouvrait quand la Princesse approchait et se refermait lorsqu’elle était couchée dedans. Je vais voir l’engin en question et c’était une affreuse mécanique, qui marchait par saccades ; le flocage n’avait pas été fait ; ils avaient collé un tissu dessus et on voyait la colle. C’était horrible, inutilisable. On a viré ça et on a passé la nuit à essayer d’inventer un décor. J’avais aperçu deux cerfs, en bas, dans l’entrée de Chambord, on les a fait monter et on a fait le lit avec ça, en improvisant le reste. »

— Jacques Demy[7]

Les costumes (à l'exception de ceux des figurants qui sont loués[7]) sont imaginés par Agostino Pace, sous l'étroit conseil de Jacques Demy. Avec l'aide de la costumière Gitt Magrini, qui les élabore depuis l'Italie[14], il s'inspire des modes du temps de Charlemagne (pour le Roi bleu) et de la Renaissance[15]. La barbe du Roi rouge est d'ailleurs parsemée de fleurs, rappelant le surnom de Charlemagne, « l'empereur à la barbe fleurie »

Les robes de la Princesse sont de style Louis XV avec quelques références à l'œuvre de Walt Disney[14], les quatre costumes du Prince de style Henri II ; les tenues de la Fée des Lilas mêlent glamour hollywoodien, avec un déshabillé vaporeux, et éléments plus classiques de la mode à la Cour, comme une collerette. Le morceau de bravoure consiste en les trois robes (couleur du temps, couleur de Lune et couleur de Soleil) que la Princesse demande à son père, sur les conseils de la Fée. Particulièrement lourdes, elles rendent difficiles les déplacements de Catherine Deneuve dans les « escaliers interminables du château de Chambord[15] », si bien que pendant le tournage, des tabourets sont passés directement sous ses jupons pour qu'elle puisse se reposer[16].

« Mais ces difficultés [l'inconfort des costumes] n'intéressaient pas Jacques [Demy]. Pour lui, c'était comme si un danseur était venu se plaindre de ses pieds en sang ou de son dos cassé. Ça n'avait pas de rapport avec le film lui-même, alors pourquoi en parler ? »

— Catherine Deneuve[15]

La peau d'âne éponyme est, quant à elle, authentique, selon les souhaits de Jacques Demy. La dépouille originale provient directement d'un abattoir et pose des problèmes de lourdeur et d'odeur. Elle est grandement nettoyée et retravaillée avant d'être portée par Catherine Deneuve, à qui est cachée sa provenance. L'intérieur est fait de papier de nylon recouvert de peinture. C'est Hector Pascual, également en charge des masques pour le Bal des chats et des oiseaux, qui est chargé de sa retouche : « Il avait fallu retravailler la peau. Telle quelle, il y aurait eu des vers vivants. [...] Il fallait que je la réadapte. Quand on enlève la peau d’un animal, elle reste « vivante », organique. Je me souviens de l’avoir doublée quatre ou cinq fois. Jacques Demy m’avait dit : « Ne dis rien à Catherine ! », sinon elle ne l’aurait jamais portée[14]. »

Tournage

Le tournage débute le [17] et se prolonge dans l'été, pendant huit semaines. Il investit surtout le château de Chambord (où se déroulent les scènes du château rouge et du mariage), le château du Plessis-Bourré (les scènes du château bleu), le parc du château de Neuville (les scènes de la ferme et de la cabane dans la forêt), ainsi que le château de Pierrefonds[18] et les communes de Gasny et de Senlis. Les somptueux animaux qu'amènent avec eux les rois invités aux noces sont recrutés parmi les pensionnaires du parc zoologique de Coucy-lès-Eppes[7].

Lors de la séquence tournée à Chambord, Jean Marais fait quotidiennement l'aller-retour depuis Paris, où il doit être présent chaque soir sur la scène du Palais-Royal pour jouer L'Amour masqué.

Le tournage reçoit la visite de nombreux amis de Jacques Demy, de François Truffaut au chanteur Jim Morrison, qui se rend à Chambord pour y retrouver son amie Agnès Varda[19]. Celle-ci, épouse de Jacques Demy, vient souvent sur le tournage, de même que leur fille Rosalie, alors âgée de douze ans[8], qui obtient les faveurs des costumières et un rôle de figurante parmi les princesses qui essaient la bague de Peau d'âne auprès du Prince[6].

Face à un budget précaire, l'équipe du film fait des concessions tant matérielles que pratiques. Jacques Demy et Catherine Deneuve acceptent ainsi tous deux de diminuer leur salaire[8]. Initialement prévu entre trois et quatre millions de francs, il connaît néanmoins un dépassement d'un million[20]. « La magie se paie très cher[14] », constate amèrement Demy, qui avait déjà dû restreindre ses ambitions une fois le financement trouvé par Mag Bodard : « J'ai dû supprimer un figurant sur deux, un décor sur deux, un costume sur deux[8]. »

Musique

L'importance et la recherche d'une utilisation originale de la musique dans les futurs projets de Demy se précise dès 1963. Dans un entretien avec Denise Glaser, il fait part de son désir de réaliser un film « en chanté » (c'est-à-dire entièrement chanté)[21], ce qu'il accomplira l'année suivante avec Les Parapluies de Cherbourg dont il écrit les paroles sur une musique de Michel Legrand, collaborateur attitré de Demy depuis son premier long-métrage, Lola (1961)[n 3]. Le duo récidive en 1967 avec un hommage à la comédie musicale américaine, Les Demoiselles de Rochefort.

Photographie de Michel Legrand en 2008.
Michel Legrand, ici photographié en 2008, a remporté trois Oscars au cours de sa carrière.

Peau d'âne est la première incursion du compositeur dans le genre du merveilleux, et Demy le conforte dans sa première idée de mélanger des styles volontairement contrastés (baroque, jazz et pop) « pour faire naître la féérie ». Pour le compositeur, « la convergence de toutes ces influences [les partis pris visuels et musicaux] aboutit à un temps imaginaire, à un entre-deux temporel[22]. »

En incorporant au motif classique de la fugue des rythmes et des instruments plus modernes (comme les instruments électroniques), Legrand souhaite en effet se démarquer des thèmes médiévaux utilisés précédemment par d'autres films, tels Les Visiteurs du soir de Marcel Carné (1942)[7].

« D’emblée, je donne à Peau d’âne une espèce de symétrie, en l’encadrant par deux grandes fugues, l’une en ouverture, l’autre en clôture : la première sur le motif de la recherche de l’amour (Amour, Amour), la seconde sur celui de l’amour trouvé (Rêves secrets). »

— Michel Legrand[22]

De même que dans les précédents films de Jacques Demy, les comédiens principaux sont doublés pour les chansons[n 4]. Catherine Deneuve et Jacques Perrin sont doublés, comme dans Les Demoiselles de Rochefort, par Anne Germain et Jacques Revaux, et Delphine Seyrig par Christiane Legrand[n 5], bien qu'elle ait également enregistré la chanson de la Fée des Lilas[23].

Michel Legrand, qui a son brevet de pilote, évoque une excursion en avion au-dessus du château de Chambord avec Jacques Demy, quelques semaines après la sortie du film durant laquelle tous deux chantent à tue-tête les musiques imaginées pour Peau d'âne[22].

Chansons

  • Amour, amour - la Princesse
    C'est la première chanson du film, et la seule à s'insérer dans le contenu diégétique : la Princesse interprète cette chanson dans la cour du château sous les yeux de ses parents. Un perroquet de compagnie reprend de temps à autre certain vers. Mais il est révélé plus tard dans le film que le Prince connaît lui aussi cette chanson, et que les deux personnages étaient ainsi liés depuis plus longtemps qu'ils ne le pensaient[14].
  • Les Conseils de la Fée des Lilas - la Fée des Lilas
    Cette chanson, durant laquelle la marraine de Peau d'âne lui dit de fuir le royaume car « on n'épouse jamais ses parents », introduit l'idée de résistance à l'inceste, déjà présente dans le conte de Perrault. La Fée, dont c'est la première apparition dans le film, y apparaît comme un personnage résolument moderne (grâce à ses vêtements et ses velléités de rébellion face au pouvoir établi), mais non dénué d'arrières-pensées, puisqu'elle trahit un fort attachement pour le roi. L'éloignement de Peau d'âne va ainsi lui permettre de résoudre cette tension amoureuse.
  • Les Insultes - la Princesse, paysans et paysannes
  • La Chanson du prince - le Prince
  • Recette du cake d'amour - la Princesse
    La scène de confection du cake est l'une des plus iconiques du film, notamment pour la chanson[22] et pour le moment où Peau d'âne, en cassant un œuf, libère un poussin. Catherine Deneuve y est dédoublée et apparaît en même temps sous les traits de la Princesse et de la souillon, jouant ainsi avec les thèmes de la dualité et de l'indécision.
  • Rêves secrets d'un prince et d'une princesse - la Princesse, le Prince
    Cette chanson, subversive pour les deux personnages, a des résonances hippies (voir plus bas).
  • Le Massage des doigts - ensemble

Bande originale

Un premier 33 tours sort en 1970 : Isabelle Aubret raconte Peau d'âne (disques Meys, réf. 30005), dont est extrait un 45 tours comportant deux chansons interprétées en duo par Isabelle Aubret et Michel Legrand, Les Rêves secrets d’un prince et d’une princesse et Conseils de la Fée des Lilas (disques Meys, réf. 10026)[24].

En 1994, Play Time / FGL sort pour la première fois en CD l'intégralité de la musique du film, chansons comprises [25]. Cet album est complété lors de sa ressortie de 1997 par 5 titres inédits en CD, dont les deux enregistrés par Isabelle Aubret en 1970.

No TitreInterprète Durée
1. Générique 2:06
2. Il était une fois 3:26
3. Les Ministres, le Savant 3:20
4. Amour, AmourAnne Germain 2:28
5. Déclaration d'amour 2:07
6. Conseils de la Fée des LilasChristiane Legrand 1:59
7. Les Trois Robes 4:35
8. Peau d'âne s'enfuit 1:31
9. Fugue du prince 1:09
10. Loin du château bleu 5:24
11. Peau d'âne arrive à la ferme 1:36
12. Les InsultesAnne Germain et divers[n 6] 2:38
13. Rigodon à la ferme 1:10
14. Le Temps arrêté 1:50
15. Chanson du PrinceJacques Revaux 2:03
16. Le Prince se meurt d'amour 2:50
17. Retour au château rouge 1:32
18. Recette pour un cake d'amourAnne Germain 2:56
19. Le Bal du chat et des oiseaux 1:47
20. Rêves secrets d'un prince et d'une princesseAnne Germain, Jacques Revaux 4:08
21. Idylle fuguée 1:14
22. Retour du prince au château 0:47
23. Le Massage des doigtsDivers 2:09
24. Final 2:09
25. Amour, amourPedro Paulo Castro Nevez 2:36
26. Conseils de la Fée des LilasDelphine Seyrig 1:58
27. Chanson du PrinceJean-Pierre Savelli 2:12
28. Conseils de la Fée des LilasIsabelle Aubret 2:06
29. Rêves secrets d'un prince et d'une princesseIsabelle Aubret, Michel Legrand 2:45
68'53

Source [23]

Accueil

Peau d'âne sort le , respectant la volonté du réalisateur qui estime que les spectateurs sont plus disponibles à Noël « que le trois février, au moment de la note d'impôts », pour se replonger dans un récit d'enfance[26].

Réception critique et publique

Au contraire des précédents films de Demy, comme Les Parapluies de Cherbourg, qui obtient le prix Louis-Delluc et la Palme d'or, Peau d'âne ne reçoit guère de reconnaissance de la profession en dehors du prix du « meilleur film pour enfants » décerné en 1971 par le Cercle des scénaristes de film (es) en Espagne[27].

Les critiques sont plus élogieuses : Andrée Tournès, du mensuel orienté vers les jeunes cinéphiles Jeune Cinéma, juge le film « précieux, mais pas mièvre : sans vulgarité, sans condescendance et recevant l’accueil qu’il mérite, attentif et un peu grave[28]. » Jean-Louis Bory, du Nouvel Observateur, démontre le lien du film de Demy avec La Belle et la Bête de Jean Cocteau et salue sa « naïveté », au sens de « foi poétique », et son authenticité : « Rien ne sent le studio, tout entretient la confusion entre le réel et le merveilleux, et entre ce réel merveilleux et le vrai, qui est l’essence de la féerie ». Bory conclut sur le parti pris visuel de Peau d'âne : « Il faut savoir gré aux costumiers et décorateurs : ils n’ont pas trop versé dans le style “vitrine de Noël pour faubourg Saint-Honoré”[n 7],[29]. » Dans Le Monde, Jean de Baroncelli rejoint cet avis : « Aux amateurs de divertissements somptueux, un cadeau royal est offert... La mise en scène est d'un raffinement extrême[30]... » Pour Robert Chazal, de France-Soir, « Le charme opère dès les premières images. Et l'enchantement - teinté parfois d'humour, pour les adultes - va croissant[31]... »

Avec 2 198 576 entrées en France[32], le film se classe au 12e rang du box-office des films sortis en 1970[33] et reste à ce jour le plus grand succès public de Jacques Demy[2].

Peau d'âne demeure la seule incursion de Jacques Demy dans l'univers des contes. Quelques années plus tard, il monte le projet de moderniser Cendrillon, autre conte de Perrault, et d'en jucher l'héroïne sur des patins à roulette. Nastassja Kinski est pressentie dans les haillons de la princesse, et Demy parvient à intéresser le réalisateur et producteur américain Francis Ford Coppola, mais le projet n'aboutira jamais[34],[35].

Restaurations et ressorties

De par son discours intergénérationnel, le film acquiert au fur et à mesure des années un statut de film culte [1],[8].

Le film a été restauré en 2003 et en 2014, sous la houlette de la réalisatrice Agnès Varda, compagne de Jacques Demy, et avec la participation de leurs enfants Mathieu et Rosalie[36]. Cette entreprise tient à la volonté d'Agnès Varda de restaurer les trois œuvres les plus iconiques du réalisateur, avec Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort[6]. Ces restaurations bénéficient notamment du soutien financier des régions dans lesquelles le tournage a pris place et qui ont été mises en valeur dans les décors du film : les Pays de la Loire (en particulier le Domaine national de Chambord) et l'Île-de-France[6], mais aussi les joaillers Van Cleef & Arpels, le Centre national du cinéma et de l'image animée et le site myskreen.com[7].

La version restaurée de 2003 sort officiellement dans les salles le et est présentée au Festival de Marrakech ainsi qu'à la Berlinale 2004[6]. Elle a permis essentiellement de stabiliser le vieillissement du son et de l'image, notamment en convertissant la musique de Michel Legrand en stéréo[7]. Dans Aden, le guide culturel du Monde, Philippe Piazzo salue alors « le film qu'on revoit pour la cent douzième fois. » « Le monde de Peau d’âne vu par Jacques Demy continue de nous transporter[37]. »

« J’ai passé plusieurs mois avec Mathieu et Rosalie Demy à restaurer Peau d’âne qui était abîmé. Les droits étaient tombés et depuis quatre ans le film était gelé, comme on dit. Alors on a fait tout ce qui fallait faire pour l’image et pour le son. Et ce sont des très gros travaux, très chers. Pour l’image, ça consiste à prendre les parties abîmées, les scanner en numérique, les filmer de nouveau avec une pellicule qui s’intègre avec l’ancienne, il faut retrouver les couleurs d’origine, spatialiser le son, … Enfin bref, il faut le faire attentivement, il faut le faire bien, il faut le faire avec amour parce qu’il faut que ce soit beau. »

— Agnès Varda, 2004, Arte[6]

La rétrospective que la Cinémathèque française consacre à Jacques Demy d'avril à juillet 2013, avec l'exposition « Le Monde enchanté de Jacques Demy » permet de réunir de nouveaux financements pour se concentrer sur les œuvres majeures du réalisateur, au nombre desquelles Peau d'âne. Les images sont restaurées, le film passe au format numérique et le son est remastérisé[7]. La ressortie de l'œuvre restaurée, le , et son exploitation vidéo subséquente à partir de novembre 2014 sont l'occasion de nouvelles diffusions dans les salles, notamment grâce à la maison de production Ciné-Tamaris, qui gère exclusivement les films de Jacques Demy et d'Agnès Varda.

Un livre de souvenirs du tournage et de matériau inédit sur le film (esquisses, croquis), Il était une fois Peau d'âne, est également publié par Rosalie Varda-Demy, la fille du réalisateur. Le Domaine national de Chambord, qui a participé à cette nouvelle restauration, propose une exposition sur le tournage du film en ses murs, de même que la maison Van Cleef & Arpels, qui crée une collection inédite, « Peau d'âne raconté par Van Cleef & Arpels »[7]. Les exploitations vidéo en DVD et Blu-ray dans des coffrets Arte Éditions contiennent de nombreux « boni » inédits supervisés par Agnès Varda, parmi lesquels un film super 8 du tournage à Chambord permettant notamment d'apercevoir les visiteurs illustres venus soutenir l'équipe de Demy. La version restaurée est également diffusée sur Arte le 24 décembre 2014 en première partie de soirée. Marine Landrot de Télérama le définit comme un « véritable enchantement[38] ».

Analyse du film

Personnages principaux

Fille du roi bleu et désormais orpheline de mère, elle est la seule à correspondre aux critères que respecte son père pour trouver une nouvelle épouse. Mais, par mise-en-abyme des principes des contes de fée, Peau d'âne décide de ne pas attendre le secours d'un prince charmant et choisit de prendre sa destinée en main : « Si un prince charmant ne vient pas m'enlever, je fais ici serment que j'irai le trouver moi-même[14]. » Ce n'est d'ailleurs que lorsqu'elle quitte le château qu'elle obtient enfin un véritable nom, « Peau d'âne », elle qui auparavant n'était désignée que par son titre et son lien avec son père.

Désormais veuf, le Roi bleu doit trouver une nouvelle épouse pour assurer un hériter au royaume. Ignorant de l'amour que lui porte en secret la Fée des Lilas, il se rend compte que la seule femme du royaume qui réponde aux critères de sa défunte épouse n'est autre que leur propre fille. Généreux et bon, il ne refuse aucun cadeau à sa fille, même lorsqu'elle lui demande la peau de l'âne qui rend son pays si prospère. Lui-même paraît profiter du complexe d'Électre de sa fille : jusqu'à ce que la Princesse reçoive les conseils de sa marraine, elle ne semble pas totalement opposée à l'idée d'un mariage.

Photographie d'un des fameux escaliers du château de Chambord
C'est avec, en fond, les somptueux escaliers à double-hélice de Chambord que sont tournées les scènes dans la chambre du Prince et de l'essayage de la bague.

Marraine de la Princesse, c'est elle qui lui souffle des subterfuges pour échapper à l'inceste. Au contraire du stéréotype de la fée marraine, qui est souvent la plus haute instance morale dans un conte, la Fée des Lilas a beau distiller des bons conseils, elle n'est pas exempte d'arrières-pensées, voire n'agit que pour parvenir à ses propres fins : on apprend à la fin du film qu'elle a fini par épouser elle-même le roi, et que ses stratagèmes visaient donc à éloigner une rivale de l'homme désiré[37]. Elle constitue le personnage le plus subversif du film, par rapport à son équivalent dans le conte : c'est elle qui introduit les anachronismes (en plus de ceux présents dans son foyer, c'est elle qui donne le recueil de « poèmes des temps futurs » au Roi bleu, et qui se rend au mariage en hélicoptère), et elle trahit le modèle de moralité qu'elle est supposée incarner. Elle semble en fait mêler les caractéristiques d'une fée marraine et d'une prophétesse, puisque le Roi bleu loue sa « connaissance du futur ». De personnalité vive et coquette, ce personnage est souvent mentionné comme l'un des éléments inoubliables du film. Jacques Demy avait d'abord envisagé de proposer le rôle à Anouk Aimée, qu'il avait déjà dirigée dans Lola[8], mais le rôle échoit finalement à Delphine Seyrig. Celle-ci est d'ailleurs une figure important de l'émancipation féminine en France, et semble ainsi faire écho au personnage de la Fée, très indépendante et en avance sur son temps.

Prince d'un royaume voisin à celui du château bleu, le Prince cherche l'amour véritable. Cette quête apparaît pourtant à certains égards comme un caprice d'enfant : il feint une maladie que les médecins ne reconnaissent pas, afin de pouvoir rester au lit en permanence et rêver à la Princesse qu'il a furtivement aperçue dans les bois. Il n'hésite pas à user de la bonne volonté de ses parents, prêts à tout pour rétablir sa santé inquiétante, en exigeant de Peau d'âne qu'elle lui cuisine un cake, et en insistant pour qu'une gigantesque séance d'essayage de bague soit organisée. La rêverie qu'il partage avec la Princesse est d'ailleurs de l'ordre du rêve enfantin : alors même qu'ils sont émancipés de toute surveillance des adultes et de toute responsabilité liée à leur rang dans leur royaume respectif, les deux jeunes gens choisissent de poursuivre leurs jeux d'enfants, en roulant dans l'herbe ou en se gavant de pâtisseries.

Une adaption fidèle du conte ?

L'œuvre de Jacques Demy est une libre adaptation du conte de Charles Perrault, Peau d'âne. Paru pour la première fois en 1694 dans une version en vers, il est republié en 1781 sur vélin à Paris chez Lamy, qui adjoint à la version classique une seconde, en prose, celle qui sera par la suite la plus reprise. Le film est une adaptation de cette dernière, dont l'auteur reste inconnu[39].

Jacques Demy et le genre du conte

Illustration du conte où l'on voit la Princesse descendre précipitamment l'escalier extérieur d'un château recouvert de lierre.
Jacques Demy, tout comme Gustave Doré dans cette illustration du conte, choisit de représenter le château d'origine de Peau d'âne avec une végétation abondante, qui donne une idée de richesse mais également d'oppression.

En plus de reprendre l'intrigue du Peau d'âne de Perrault, Demy emprunte aux autres histoires du conteur. L'arrivée de Peau d'âne à la ferme après de sa fuite, lorsque tous les personnages sont comme endormis, figés dans leur activité, rappelle La Belle au bois dormant. La « Vieille » qui accueille alors la jeune fille crache des crapauds, tout comme l'aînée des sœurs dans Les Fées, qui a été maudite par une fée pour son orgueil, et est condamnée à crachée des créatures répugnantes. Elle fait référence au Petit Chaperon rouge en s'adressant au prince. Plus tard, une fois Peau d'âne établie dans la vie quotidienne du village, deux valets de ferme se moquent d'elle en la surnommant « Cucendron », comme le fait l'aînée des demi-sœurs envers l'héroïne éponyme de Cendrillon. Enfin, le « bal des chats et des oiseaux », organisé par la reine rouge, doit accueillir le marquis de Carabas, personnage apparaissant dans Le Chat botté. D'autres références sont intertextuelles, car déjà présentes dans le conte original : l'épithète que Thibaud attribue à Peau d'âne, « la plus vilaine bête après le loup », est reprise du conte, et rappelle les vilenies commises par le loup dans Le Petit Chaperon rouge.

D'autres aspects du film peuvent être imputés à l'influence de contes : le cercueil de verre, destiné dans le film à la mère défunte de l'héroïne, fait référence à Blanche-Neige des frères Grimm, et à l'innocente jeune fille à qui est réservé le même sort après avoir consommé une pomme empoisonnée ; le miroir de Peau d'âne, qui lui révèle à distance la réaction de son père après sa fuite, fait référence au miroir magique de la Belle et la Bête, capable de révéler par l'image des vérités lointaines. L'aspect cyclique des saisons répond également au genre du conte et à la figure de style de la pathetic fallacy : la maladie de la Reine bleue est révélée par le narrateur alors que l'orage gronde au-dehors du château, correspondant à l'automne ; sa mort survient en hiver, son cortège funèbre déambulant dans la neige ; et c'est dans le renouveau du printemps, dans une forêt verdoyante, que la Princesse et le Prince s'aperçoivent et tombent amoureux.

Références anachroniques

Les éléments qui distinguent l'adaptation de Demy des autres adaptations de contes de fée sont pour beaucoup l'audace du réalisateur à parsemer le script de références ultérieures à l'époque de Perrault.

Ainsi met-il, entre les mains du Roi bleu, des auteurs de la littérature française moderne. Celui-ci, avant de lire dans un recueil qui lui a été offert par la Fée des Lilas certains de ces « poèmes des temps futurs », les présente à Peau d'âne de la manière suivante : « Les anciens ont écrit de fort belles choses, évidemment, mais... les poètes de demain devraient vous exalter davantage. » Il lui lit tout d'abord des vers extraits du second volume de l'Ode à Picasso, de Jean Cocteau (1889-1963)[n 8], qui évoquent les Muses de l'Antiquité utilisant des ustensiles de l'âge moderne (le « zinc », le « téléphone » ou des « becs de gaz »). Mais la Princesse ne saisit pas l'amusement qu'en tire son père. Le deuxième poème lu est L'Amour, de Guillaume Apollinaire (1880-1918), extrait du Guetteur mélancolique ; mais la Princesse est effarée de la déclaration d'amour que lui fait alors son père, et lui réplique : « La poésie vous égare, mon père ». La rencontre entre le Prince et la rose qu'il découvre au détour d'un chemin rappelle également le dialogue philosophique entre le Petit Prince éponyme du roman d'Antoine de Saint-Exupéry et sa rose.

D'autres anachronismes, tous liés à la Fée des Lilas, émaillent le film : celle-ci parle ainsi de « piles », ce qui surprend la Princesse, dispose chez elle d'un téléphone et adopte des accoutrements peu médiévaux, comme ses chaussures à hauts talons. De même, lors du mariage qui clôt le film, c'est à bord d'un hélicoptère Alouette II[40] que le Roi bleu et la Fée des Lilas arrivent au château du Roi rouge. Enfin, le nom même de la marraine, la « Fée des Lilas », est le nom de la dernière fée marraine commuant le sort de la fée Carabosse en sommeil de cent ans dans le ballet de Tchaïkovski, La Belle au bois dormant.

Histoire

Lors de la séance d'essayage de la bague à la fin du film, Thibaud organise l'ordre de passage des prétendantes au mariage avec le prince, par rang social[n 9]. Les noms des « grandes dames » se présentant tour à tour devant le prince ont tous un lien avec la littérature, la plupart étant contemporains de Charles Perrault (1628-1703) :

Les noms de « La Ségur » et de « La Clèves » sont évoqués plus tôt par Godefroy, l'ami du prince, qui l'avertit que ces dames ont cherché à le rencontrer. Quant à Madame de La Fayette et Madame de Sévigné, maîtresses de la littérature galante et mondaine du XVIIe siècle, proches de la préciosité, comptent parmi les nombreuses sources d'inspiration littéraires de Perrault.

Esthétique

Si le parti pris visuel du film est l'une des composantes qui lui a permis d'acquérir un statut culte, il ne fut pas toujours aussi éclatant et joyeux. Une première version du scénario consistait en effet pour Demy à peupler le royaume de Peau d'âne de pendus, de squelettes et de pestiférés[14].

L'esthétique très colorée du film, nouvelle pour l'époque, s'inspire des mouvements pop art et peace and love, que Jacques Demy avait découverts aux États-Unis où il venait de passer deux ans pour tourner son film Model Shop[41]. Il garde aussi le souvenir des Renaissance fairs (fêtes médiévales) chères aux Américains, qui reconstituent les temps d'autrefois en respectant le folklore, les costumes[8]... Il emprunte des éléments aux films de Walt Disney (en particulier à Blanche-Neige et les Sept Nains) et à Andy Warhol[42] ainsi qu'à Gustave Doré et Leonor Fini[10]. L'affiche dessinée par Jim Léon en est l'exemple[43].

Œuvre au Muséum Andy Warhol de Medzilaborce.
Le style d'Andy Warhol et le pop art en général ont profondément influencé Jacques Demy après son séjour aux États-Unis.

Les couleurs, qui imprègnent bien plus d'éléments que les décors cinématographiques traditionnels, des chevaux jusqu'à la peau des gardes, sont à rattacher au style d'Andy Warhol. Le bleu du château d'où provient Peau d'âne rappelle le « sang bleu », c'est-à-dire le sang de la nobilité, qui régnait dans les temps féodaux, de même que la consanguinité dans les familles nobles, que ne renie pas le Roi bleu lorsqu'il propose à sa fille de l'épouser. Le rouge du royaume où Peau d'âne se réfugie évoque au contraire une dimension révolutionnaire : c'est là que la jeune Princesse peut échapper à la volonté de son géniteur et de son roi, et là que le Prince daigne quitter sa réserve pour s'enquérir d'elle bien qu'elle ne soit plus princesse, mais souillon. Le blanc de l'innocence et de l'harmonie, qui sacre la résolution de tous les conflits, nimbe tous les personnages à la fin : la Princesse et le Prince, unis dans le mariage, le Roi rouge et la Reine rouge, qui se réjouissent de voir leur fils guéri, et le Roi bleu et la Fée des Lilas, nouvellement fiancés et au sujet desquels on devine que la tension amoureuse a été résolue[8]. Le blanc est la couleur de transition et d'unification qui fait le lien entre les personnages, à l'image du carrosse argenté tiré par des chevaux blancs et rempli de plumes, qui mène la Princesse du royaume bleu au royaume rouge.

Pour l'univers du château bleu, où le végétal envahit l'architecture et où les statues sont vivantes, le réalisateur puise son influence dans l'univers du cinéma de Cocteau, notamment La Belle et la Bête, sorti en 1946. Les deux auteurs se connaissaient, et le rapprochement entre les deux films est souvent fait par les critiques. Le choix de Jean Marais pour le rôle du Roi bleu, lui qui incarnait la Bête chez Cocteau, est d'ailleurs lié à cette référence[41]. Les statues animées, les gardes immobiles et comme fondus dans les murs, évoquent les caryatides de Cocteau[8].

Les différents trucages utilisés dans le film sont également novateurs et ont été mis en valeur par les restaurations successives, comme la technique utilisée pour faire défiler les nuages sur la « robe couleur du temps » de la Princesse : un petit projecteur 16 mm a été utilisé pour projeter les images sur la robe, faite en tissu d'écran de cinéma[6]. La robe devient alors le support à toutes les projections, celles du « temps », et celles du spectateur qui est mis en face d'un trucage.

Thèmes

Amours troubles

Le thème de l'inceste, qui fait l'originalité du conte de Perrault, est préservé dans la relecture plus moderne de Demy. Mais au contraire du conte, si ici le Roi prend, seul, la décision d'épouser sa fille, celle-ci n'y répugne pas et oppose aux arguments de sa marraine son propre amour pour son père, poussant ainsi les psychanalystes à évoquer le complexe d'Électre au sujet l'attirance d'une fille pour son père. Le Prince, quant à lui, est à la recherche de l'amour, et se voit guider par une belle rose aux lèvres charnues, qui lui indique le chemin pour trouver la Princesse. Pourtant, les interactions entre la Princesse et le Prince eux-mêmes sont peu sensuelles et semblent davantage relever d'un amour fraternel, en partie incestueux[8].

À la fin de l'histoire, au contraire du conteur, qui laisse les deux personnages se réjouir seuls du mariage de Peau d'âne, Jacques Demy fait du Roi bleu et de la Fée des Lilas des amants.

Influence hippie

La rêverie des deux amoureux, au son de la chanson Rêves secrets d'un prince et d'une princesse, sembler dissimuler un manifeste hippie dans ses paroles équivoques, faisant écho au précédent film de Demy, Model Shop (1969) :

« Nous irons ensemble à la buvette,
Nous fumerons la pipe en cachette,
Nous nous gaverons de pâtisseries... »

Rosalie Varda, la fille de Demy, voit d'ailleurs derrière cette « pipe » des « substances prohibées »[8],[37], alors en vogue dans les milieux que fréquentaient Demy et Agnès Varda pendant leur séjour américain.

La princesse et la souillon

Deux types d'aspects règnent dans le film, le noble et le vulgaire, ou le beau et le laid. Le vulgaire se mêle dès le début du conte au noble : c'est grâce à l'âne qui pond de l'or, et auquel est attaché une certaine scatophilie, que le Roi bleu est prospère en son royaume. Et si la richesse du royaume bleu et du royaume rouge est bien transmise par l'opulence des décors et des costumes, Peau d'âne la souillon fréquente un monde de laideur, obéissant à une femme qui crache des crapauds et s'occupant des auges des cochons. Cette dualité est à son paroxysme pendant la scène du « cake d'amour », lorsque la caméra présente aux fourneaux une Peau d'âne dédoublée, à la fois princesse et souillon, mélangeant l'or de sa robe à la crasse de sa peau d'âne[44].

Vérité et véracité

Le miroir, instrument du reflet et du doute, est un motif qui revient à plusieurs reprises tout au long du film, comme pour interroger l'exactitude des personnages. La sincérité des sentiments est en effet un thème central du film : Peau d'âne se demande si son amour pour son père est suffisant pour l'épouser, le Prince se désespère de ne pas trouver le véritable amour, la Fée masque derrière son souci de protection de sa filleule un amour jaloux pour le Roi bleu, et ces recherches de la vérité se heurtent au parti pris de Demy, qui joue avec la fausseté assumée[44] des décors et des anachronismes.

Notes et références

Notes

  1. Mag Bodard a déjà soutenu les précédents films de Demy ainsi que des œuvres de Varda, Robert Bresson ou Jean-Luc Godard.
  2. Catherine Deneuve retrouve d'ailleurs l'univers des contes de fées pour le Petit Poucet d'Olivier Dahan (2001), près de 40 ans après Peau d'âne, et cette fois-ci dans le rôle de la Reine.
  3. Legrand composera les musiques de tous les films de Demy à l'exception de Model Shop (1968), Le Joueur de flûte (1972) et Une chambre en ville (1982).
  4. Catherine Deneuve avait ainsi été doublée par Danièle Licari dans Les Parapluies de Cherbourg, son premier film musical avec Jacques Demy.
  5. Sœur de Michel Legrand , Christiane Legrand a été membre du groupe vocal de jazz Les Double Six, tout comme Claude Germain, mari d'Anne Germain.
  6. Dont Jacques Demy et Michel Legrand.
  7. La rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, est notamment réputée pour les magasins de luxe qui la bordent.
  8. L'influence de Jean Cocteau sur le film en général est, à bien des égards, très perceptible. Voir Peau d'âne (film, 1970)#Esthétique.
  9. « Les princesses d'abord, les duchesses ensuite, et les marquises, les comtesses et les baronnes derrière, les femmes de chambre avant les cuisinières, les marmitonnes et les dindonnières à la fin ».
  10. Voir Jean-Baptiste de Montyon (1733-1820), économiste français créateur du prix littéraire homonyme
  11. Voir Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (1594-1661), poète français.
  12. Voir François Le Métel de Boisrobert (1592-1662), poète et dramaturge français.
  13. Voir Bernard Le Bouyer de Fontenelle (1657-1757)
  14. Voir Jean Vauquelin de La Fresnaye (1536-1606)

Références

  1. a et b Marc Voinchet, « Amour, amour, je t’aime tant ! », Les Matins, France Culture, 19 décembre 2014.
  2. a et b Voir la section Box-office de l'article sur Jacques Demy.
  3. Photographie faite sur le plateau du tournage sur le site de l'agence Corbis.
  4. « Pierre, star du 7e art », actualites.bellesdemeures.com.
  5. Témoignage d'Annie Maurel, scripte du film dans le documentaire d'Agnès Varda, L'Univers de Jacques Demy (1993).
  6. a b c d e f et g « Peau d'âne : entretien avec Agnès Varda », sur gaminsdulux.fr (consulté le ).
  7. a b c d e f g h i j et k Dossier de presse de la version 2014
  8. a b c d e f g h i j k et l Sophie Grassin, « Peau d'âne, féerie pop », sur teleobs.nouvelobs.com, (consulté le ).
  9. Patrick Sért, « Interview de Jacques Demy », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  10. a et b « Il était une foi », Le Nouvel Observateur,‎ (lire en ligne).
  11. Interview de Mag Bodard sur le site de l'INA.
  12. (en) « Donkey Skin (Peau d'âne) », Film Quarterly, vol. 59, no 2,‎ 2005-2006, p. 40-44 (lire en ligne).
  13. Livret de l'édition DVD de 2003.
  14. a b c d e f g et h « Demy et le Merveilleux » sur le site de la Cinémathèque française.
  15. a b et c Zoom sur Peau d'âne, Jacques Demy et le Merveilleux, web-documentaire pour le CNC.
  16. Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Il était une fois “Peau d'âne”, Éditions de La Martinière, .
  17. Fiche du film sur Ciné-ressources.
  18. Clarisse Fabre, « À Chambord, Peau d'âne pond encore de l'or », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  19. « Jim Morrison sur le tournage de Peau d'âne », Allociné, consulté le 12 mai 2013.
  20. Une productrice passionnée, supplément du DVD Peau d'âne (Ciné-Tamaris / Arte Vidéo).
  21. [vidéo] « Jacques Demy sur un film qui serait “en chanté” », Discorama, 10 mars 1963, sur le site de l'INA.
  22. a b c et d Michel Legrand, Rien n'est grave dans les aigus, Paris, Le Cherche-Midi,
  23. a et b Bande-originale du film, Play-Time/FGL, 1997.
  24. Encyclopédisque
  25. Peau d'âne (Original Cinema Soundtrack) sur iTunes.
  26. Interview de Jacques Demy (23 décembre 1970) sur le site de l'INA.
  27. (es) Palmarès du CEC en 1971.
  28. Andrée Tournès, « Critique du film », Jeune Cinéma, no 53,‎ (lire en ligne)
  29. Jean-Louis Bory, « Critique du film », Le Nouvel Observateur,‎ (lire en ligne).
  30. Jean de Baroncelli, « Critique du film », Aden/Le Monde,‎ (lire en ligne).
  31. Robert Chazal, « Critique du film », France-Soir,‎ (lire en ligne).
  32. Peau d'âne sur jpbox-office.com
  33. Classement 1970 sur jpbox-office.com
  34. Jean-Pierre Berthomé, Jacques Demy et les Racines du rêve, Atalante.
  35. Frédéric Bonnaud, « Livre : Jacques Demy et les Racines du rêve », Les Inrocks,‎ (lire en ligne).
  36. « Peau d'âne fait peau neuve », (consulté le ).
  37. a b et c Philippe Piazzo, « Critique du film », Aden/Le Monde,‎ (lire en ligne).
  38. Critique du film dans Télérama.
  39. a et b Le Petit Peau d'âne illustré, supplément du DVD Peau d'âne (Ciné-Tamaris / Arte Vidéo).
  40. Les Alouette et les Lama au cinéma.
  41. a et b Le Film vu par Rosalie Varda, supplément du DVD Peau d'âne (Ciné-Tamaris / Arte Vidéo).
  42. Présentation du film sur cine-tamaris.com.
  43. Affiche du film sur ecranlarge.com
  44. a et b Jean-Gavril Stuka, « Critique du film », sur dvdclassik.com, (consulté le ).

Voir aussi

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Articles connexes

Bibliographie

Ouvrages
  • Alain Philippon, Cahier de notes sur... “Peau d'âne”, Paris, Les Enfants de cinéma.
  • Carole Desbarats, “Peau d'âne” : Jacques Demy, Paris, CNC / Films de l'Estran.
  • Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Il était une fois “Peau d'âne”, Éditions de La Martinière, .
Articles
Multimédia

Liens externes