Homosexualité dans la chanson française

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Mode populaire par excellence, la chanson permet à la fois le divertissement et le débat. Il n'est donc pas étonnant que la culture gay et lesbienne en ait fait un médium privilégié d'expression. Mais elle peut être également utilisée pour la railler et/ou la parodier. Le présent article a pour objet de retracer, sans volonté exhaustive, un tableau historique et géographique de cette expression.

L'homosexualité dans la chanson peut prendre plusieurs formes : même si la vie privée des artistes ne concerne qu'eux, en tant que personalités publiques, ils ont été amenés, suivant les époques, à dissimuler, assumer ou revendiquer leurs préférences; par ailleurs, les chansons elles-mêmes pouvaient caricaturer, ignorer, défendre ou militer pour cette préférence sexuelle, quelle que soit l'orientation sexuelle de ses auteurs ou de ses interprètes.

La chanson francophone

Déjà présente à une époque où le terme « homosexuel » n'existait pas encore, le thème de l'homosexualité a véritablement éclos dans la chanson française à l'avènement de la Troisième République grâce à l'explosion des cafés-concerts[1], lieux de toutes les licences (qu'elles soient alcooliques ou morales) malgré une censure toujours attentive. Il s'agissait à l'époque plus de caricature de la « tante » comme sujet de moquerie parmi tant d'autres (soldats, belle-mères...), même si peu à peu des artistes et auteurs ouvertement homosexuels tendent à donner une image plus troublante, sortant de la moquerie pour évoquer la vie homosexuelle de l'époque et l'ivresse de ces amours interdites.

Du sous-entendu grivois distillé par Yvette Guilbert, Suzanne Lagier ou Charlotte Gaudet à l'apparition du style tapette popularisé par Mayol (et rapidement parodié de façon subtile... ou pas !), le XXe siècle franchit allègrement le pas. À l'image des milieux littéraires qui voient s'épanouir Marcel Proust, André Gide, Colette ou Jean Cocteau, les music-halls deviennent des pépinières d'artistes « invertis », ainsi que des lieux de drague très courus. C'est le règne de la chanson interlope. Bien sûr, le voile de l'ambiguïté plane toujours la plupart du temps sur les textes, mais la vie privée des vedettes des "années folles" est de notoriété publique : les producteurs Henri Varna et Oscar Dufrenne, le compositeur Gaston Gabaroche, les auteurs Jean Lorrain, Maurice Aubret et Louis Amade ne cachent pas leurs préférences. Le bal du Magic-City, inauguré en 1922 rue de Lappe, organise chaque année au Mardi gras un grand concours de travestis. Charpini ou O'dett triomphent en précurseurs des drag queen dans des parodies d'opérette ou des imitations de comédiennes célèbres. Les chanteurs Réda Caire, Max Trébor, Jean Lumière, André Claveau, Jean Tranchant ou Jean Sablon font rêver les femmes sans qu'elles soient dupes. Côté femmes, Fréhel, Damia, Suzy Solidor ou Yvonne George profitent de la brèche ouverte par le roman à scandale La Garçonne de Victor Margueritte pour s'approprier des textes "masculins"[2].

La Seconde Guerre mondiale incite à plus de discrétion, qui plus est à partir de la loi du 6 août 1942 sur l'incitation à la débauche[3], même si le style zazou de Charles Trenet véhicule toujours quelques sous-entendus. La Libération en revanche est une période de remise aux normes assez brutale que l'arrivée du « rock », symbole de virilité, ne contredira pas. Luis Mariano, Jean-Claude Pascal, Mick Micheyl ou Colette Mars se retranchent prudemment derrière les convenances face à l'expansion d'un discours homophobe sous le masque de la caricature. D'autres comme Gribouille se réfugieront dans l'alcool et les barbituriques, elle en mourra le 18 janvier 1968.

C'est paradoxalement grâce à des chanteurs « hétéros » que l'homosexualité va peu à peu devenir un sujet plus anodin à partir de 1968. Juliette Gréco, Régine ou Mouloudji interprètent des auteurs ouvertement « gays » comme Frédéric Botton ou Jean Genet, et surtout des textes qui évoquent l'homosexualité sans en faire un objet de condamnation ou de moquerie. Charles Aznavour aborde le sujet en 1972 avec Comme ils disent de façon plus ambiguë, puisque il reste dans la caricature (son « homo » semble tout droit sorti de « La cage aux folles » ou d'un texte de chansonnier du début du siècle), tout en prêchant la tolérance.

Les années disco imposent la mode androgyne personnifiée par les Bee Gees, David Bowie ou Patrick Juvet, tandis que des chanteurs comme Dave continuent à chanter les amours hétérosexuels sans dissimuler leurs propres préférences, et que les Village People[4], ou Boys Town Gang prêchent l'hédonisme décomplexé de certains milieux gays de l'époque, véhiculé par des chanteurs et danseurs dont la plastique est mise en valeur. Dans les années 1990, les boys band garderont leur principe de présenter des hommes comme objets sexuels, mais sans connotation homosexuelle affichée.

Parallèlement, des artistes plus discrets comme Dick Annegarn ou Yann-Fanch Kemener trouvent également leur terrain d'expression[5].

L'épidémie de SIDA qui se répand à partir du milieu des années 1980 chasse les paillettes et le discours devient plus politique. Alors que Mylène Farmer construit sa notoriété sur (entre autres) le thème de la bisexualité, Jean Guidoni choque en développant un univers d'une noirceur et d'une crudité rarement évoquées jusque-là. D'autres ne cachent pas leur homuosexualité, sans en faire un sujet central de leur art, comme Juliette. Ce n'est qu'avec les années 2000 (et la relative normalisation de l'homosexualité grâce à des lois comme le PACS) que, sans renoncer à un certain militantisme, la chanson homosexuelle retrouvera un peu de légèreté grâce à des artistes comme Mouron, Nicolas Bacchus ou Laurent Viel et qu'on verra même apparaître des artistes ouvertement gays dans des milieux jusqu'alors plutôt fermés comme le rock ou le rap, genre qui cristallise également depuis quelques années les attaques les plus homophobes.

Personnalités de la chanson

Quelques chansons traitant de l'homosexualité

Parodies

Cette section regroupe les chansons abordant l'homosexualité de façon parodique ou stéréotypée.

Chansons ouvertement homophobes

  • 1907 : Chanson de l'armée allemande (P.L. Flers/A. Patusset) par Maurel et Vilbert[14]
  • 1908 : Scandale teuton (J. Péheu/T. Poret) par Jean Péheu[14]
  • 2001 : Makoumé, Brilé Yo et Batty Boy Dead Now par Admiral T[15]
  • 2004 : McDoom Dead par Krys
  • 2009 : Cessez Le Feu par Sexion d'Assaut

Bibliographie

En français

  • Martin Penet, « L'expression homosexuelle dans les chansons françaises de l'entre-deux-guerres : entre dérision et ambiguïté », Revue d'histoire moderne et contemporaine, no 4 (vol. 53), 2006, pp. 106-127
  • Didier Éribon (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003 (ISBN 2035051649)

En anglais

  • Philip Brett, Queering the Pitch: The New Gay and Lesbian Musicology, Routledge, (ISBN 0415907535)
  • James T. Sears, Walter L. Williams, Overcoming Heterosexism and Homophobia Strategies that Work
  • Ivan Raykoff, Robert Deam Tobin, A Song for Europe Popular Music and Politics in the Eurovision Song Contest
  • Raymond-Jean Frontain, Reclaiming the Sacred The Bible in Gay and Lesbian Culture
  • George E. Haggerty, Gay Histories and Cultures An Encyclopedia
  • Gerard Sullivan, Peter A. Jackson, Gay and Lesbian Asia Culture, Identity, Community
  • De Corey K. Creekmur, Alexander Doty, Out in CultureGay, Lesbian and Queer Essays on Popular Culture
  • David Ciminelli et Ken Knox, Homocore: the Loud and Raucous Rise of Queer Rock, Boston, Alyson, 2005.
  • John Gill, Queer Noises: Male and Female Homosexuality in Twentieth Century Music, Londres, Cassell, 1995.
  • Mark SImpson, Saint Morrissey, SAF Publishing, Rev Ed, 2004.
  • Richard Smith, Seduced and Abandoned: Essays on Gay Men and Popular Music, Londres, Cassell, 1996.
  • Wayne Studer, Rock on the Wild Side: Gay Male Images in Popular Music in the Rock Era, Leyland Publications, 1994.
  • Sheila Whiteley (dir.), Sexing the Groove: Popular Music and Gender, Londres et New York, Routledge, 1997.
  • Sheila Whiteley et Jennifer Rycenga (dir.), Queering the Popular Pitch, Londres et New York, Routledge, 2006.

Documentation audio-visuelle

Discographie

  • Chansons interlopes, 1906-1966 Labelchanson, 2006 (2CD)

Télévision

  • Émission L'œil du cyclone (Canal +) du 13 juin 1998 : L'homosexualité dans la chanson

Voir aussi

Articles connexes

Notes et références

  1. Suite aux décrets de 1867 et de 1880.
  2. Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, op. cité (p.103-104).
  3. Cette loi ne sera abrogée qu'en 1982.
  4. Bien que composé de chanteurs américains, ce groupe est l'idée de deux français : Jacques Morali et Henri Belolo.
  5. Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, op. cité (p.105-106).
  6. Malgré la "mise en garde finale", la chanson ne peut être considérée comme homophobe.
  7. Bien qu'écrite initialement pour un homme, la chanson devint un hymne lesbien en raison de son interprète.
  8. a et b Chanson sur la bisexualité.
  9. Version française de l'original espagnol Mujer contra mujer.
  10. Chanson sur le coming-out.
  11. Chanson sur l'homoparentalité.
  12. Selon les critères actuels, cette chanson pourrait être taxée d'homophobe mais elle est conforme à l'imagerie traditionnelle de la "tapette" de l'époque.
  13. Taxée un temps d'homophobe, le texte ne sort cependant pas de l'imagerie traditionnelle de la "tapette".
  14. a et b Cette chanson, avant tout anti-allemande, fait écho aux procès intentés outre-Rhin contre une série de responsables militaires soupçonnés de "mœurs contre nature", à la tête desquels on trouve le prince Philip von Eulenburg (de) et le comte Kuno von Moltke (de)
  15. Communiqué de l'association Tjenbé Rèd