Vénétie maritime

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Le lion de Saint-Marc
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Côtes de Vénétie au début du XVII siècle

Avec le nom de Venise maritime (in latin : Venetia maritima, en grec : Bενετικὰ, "Venetikà") ou Venise byzantine s'entend un territoire de l'empire byzantin inclus dans l'exarchat d'Italie et correspondant à la zone côtière de l’antique région Vénétie, c’est-à-dire aux côtes des actuels Vénétie et Frioul-Vénétie julienne[1], distincte de l’intérieur des terres de la Vénétie euganéenne passée à la fin du VIe siècle sous le contrôle des Lombards.

Origine

Le territoire intéressé était une vaste zone périphérique des possessions byzantines en Italie, caractérisé par des établissements épars, sans centres urbains de référence. Les conditions géographiques précaires favorisèrent de nouveaux modèles sociaux et économiques qui se développèrent à partir des traditionnelles activités lagunaires de l’époque romaine, comme la pèche, le travail du verre et l’extraction du sel. Ayant survécu aux invasions barbares, la population locale a notablement développé le commerce, grâce à la protection que garantissait un complexe système de canaux et d’îles, grâce aux privilèges fiscaux dont profitaient les provinces byzantines en Italie. La distance de Byzance et quelques controverses politiques dues au système dit des Trois Chapitres, causeront initialement la naissance de deux factions en lutte entre elles, variant, une fois contre les Lombards et une autre fois contre les Byzantins, jusqu’à ce que la forte autonomie concédée par les empereurs byzantins fut officialisée par la naissance, entre la fin du VII siècle et le début du VIII siècle, du Ducatus Venetiae (duché de Venise).

Territoire et implantations

La lagune de Venise
Antiques colonnes du sanctuaire d’art paléochrétien de la Madonna di Barbana, à Grado, VI siècle.

La Venise maritime naissait à la suite de l’occupation par les Lombards d’une bonne partie de l’actuelle Vénétie et de la progressive migration des populations romaines sur de nouvelles implantations côtières, à l’abri des lagunes et de la flotte impériale. Ces populations qui émigrèrent de la Vénétie continentale, pour édifier de nouveaux centres sur les îles de la côte Adriatique, n’abandonnèrent point leur région d’origine, pensant un jour à y retourner pour reconquérir les cités perdues.
La zone sujette à l’administration byzantine s’étendait entre les lagunes de Venise, de Merano et de Grado, une partie de l’actuelle côte du Frioul, Chioggia et, pour une brève période, une partie de l’arrière-pays vénète entre les fleuves Adige et Brenta[2].
À partir du Nord nous avons donc [3]:

  • Grado, siège patriarcal, qui sous l’autorité de la métropole, jouit d’une ample autonomie,
  • Marano;
  • Bibione;
  • Clodia Concordia, cité romane sur les bords de la lagune, rapidement défaite par l’occupation lombarde;
  • Caprola, cité devenue siège de l’évêque et de ses gens depuis 606[4].
  • Opitergio, antique cité romane, principal centre administratif de la province jusqu’à la conquête lombarde[5];
  • Melidissa, puis appelée Heraclia, port lagunaire de Opitergio, accru en importance parallèlement au déclin de la métropole voisine, jusqu’à devenir capitale et nouveau siège du diocèse d’Oderzo[6];
  • Equilio, centre urbain développé suite au déclin de Oderzo et en perpétuel conflit avec l’Héraclia voisine;
  • Altino, cité romaine en déclin après l’invasion lombarde;
  • Torcello, principal centre commercial des lagunes, point stratégique au centre de la zone lagunaire formée par les fleuves Piave, Sile, Dese et Zero, accrue suite à l’exode de sa voisine Altino. Actuellement sujet à une présence industrielle bien développée, caractérisé par des chantiers navals et magasins commerciaux[7].
  • Treporti, centre portuaire à l’entrée du système lagunaire de Torcello;
  • Ammiana, centre urbain gravitant autour de Torcello;
  • Costanziaco, autre centre gravitant autour de Torcello;
  • Maiurbum, idem aux centres voisins, le nom dérive de «vicus Maioribus». La cité n’est pas très développée, activité économique tirée de la pèche et à l’horticulture[8].
  • Burano, gros centre au sud de Torcello, fut fondé sur un groupe d’îles peuplées par des réfugiés de l’arrière-pays, principalement d’un quartier de Altino «vicus Boreanum»[9].
  • Mureana, autre centre issu de la chute d'Altino et où se concentra la majeure partie des activités industrielles liées au travail du verre[10];
  • Rivoalto, premier centre de la future Venise, développé le long du profond canal creusé à l’intérieur de la lagune par le courant de la Brenta (fleuve);
  • Olivolo, centre issu du groupe d’îlots occupé par le siège épiscopal de Rivoalto;
  • Malamocco, cité stratégique sur un des lidos le plus éloigné de l’arrière-pays, devint capitale de la Venetia maritima à la création du Duché de Venise;
  • Popilia, centre situé derrière Malamocco, à l’intérieur de la lagune;
  • Vigilia, petit centre à l’intérieur de la lagune;
  • Albiola, port au sud de Malamocco;
  • Chioggia Minore, port de Chioggia Maggiore, à l’extrême sud de la lagune[11];
  • Chioggia Maggiore, déjà cité romaine sous le nom de Clodia (ou aussi Clugie, Cluia et Cluzia), était le principal centre de la partie méridionale de la province et le plus antique centre habité de la lagune et principal port avant la naissance de Venise;
  • Brondolo, port de Chioggia Maggiore, antique mansio près de la via Popilia, nœud d’échange entre les communications maritimes, lagunaires et terrestres[12].

L'alluvion de Paul Diacre

À l’époque, le système lagunaire était très différent et beaucoup plus étendu que l’actuel, constitué par un complexe ininterrompu entre les deltas du au sud, et de l'Isonzo au nord. Système lagunaire, duquel surviventt aujourd’hui les lagunes de Comacchio, Venise, Caorle, Marano, et Grado, servaient de voies de navigation internes très sures, parallèles aux antiques routes romaines de la terre ferme, et de protection pour les cités côtières bâties sur les îles et lidos. Le système lagunaire fut chamboulé à la fin du VI siècle par de grandes alluvions (le 7 octobre 589), citée comme la rupture de la Cucca ou alluvions de Paul Diacre, dont l’intensité provoqua la modification du cours des fleuves et la progressive séparation des diverses lagunes, avec le développement des marais et des maladies attenantes (malaria, etc.).

Histoire

La reconquête byzantine

Justinien Ier et sa cour : mosaïque de la basilique San Vitale de Ravenne.

En 554, fin de la Guerre gothique, par laquelle l'empereur Justinien Ier avait reconquis la péninsule italienne, la Dalmatie et la Sicile; avec les conquêtes ultérieures de l’actuelle Tunisie, de la Sardaigne, de la Corse et des Baléares, prises aux Vandales (Guerre des Vandales, 533-534) et de l’Espagne du Sud prise aux Visigoths en 554. Une partie des ex-territoires de l’Empire romain d’occident avaient été reconquis pat Justinien[13]. De là et jusqu’en 584, toute la zone sous le contrôle byzantin subit une profonde réforme administrative : l'antique préfecture du prétoire qui siégeait à Ravenne, fut confiée au général byzantin Narsès qui avait été victorieux au dernier conflit[14]. La Venetia et Istria constituait une des provinces de cette entité administrative[15], et y restera jusqu’à fin 754, quand la zone lagunaire fut séparée de l'Istrie qui elle, fut incluse au thème de Dalmatie[16].

En 554, quelques zones du nord et avant tout la Vénétie, étaient encore aux mains des Goths et des Francs; en quelques jours de l’an 559, Narsès réussit à rapporter ces territoires dans l’empire[15], la conquête fut complète en 561-562 avec la reddition de Vérone et Brescia.

En 584, la préfecture d'Italie devint, avec une nouvelle réforme, l’Exarchat de Ravenne dirigé par un fonctionnaire nommé par l’empereur byzantin et avec les pleins pouvoirs civils et militaires.

L'invasion lombarde

Assassinat en 572 à Vérone du roi de Lombardie Alboïn par son épouse Rosmunda.
Carte de l’exarchat d'Italie en 572, sous l’empereur byzantin Justin II, après l’invasion des Lombards.

En 568, profitant de la faiblesse de l’Italie septentrionale, encore sous le choc de la guerre gothique et d’une violente épidémie de peste, une population de germains provenant de la Pannonie, les Lombards, traversèrent l'Isonzo, détruisirent le camp militaire byzantin de Forum Iulii, occupèrent la cité et envahirent entièrement la zone la plus orientale de la Vénétie[17] jusqu’à la conquête de Aquilée, Trévise, où ils trouvèrent un accord avec l’Église locale, et puis Vérone, Vicence, Milan et enfin Pavie[18]. Pendant que les conquérants dilapidèrent l’Italie centrale et nord-occidentale, Pavie devint en 572 la capitale du nouveau Regnum Langobardorum[19].

À la suite de l’invasion de l'Italie nord-orientale, dont les territoires formeront l'Austria lombarde, ne restèrent sous le contrôle byzantin que Padoue, Oderzo, Monselice et Crémone, ainsi que la cité côtière[20]. Le patriarche d’Aquilée, Paolo, se réfugia dans la lagune, où à la suite des invasions barbares des Goths et des Huns, les premières communautés citadines qui s’y étaient formées se réfugièrent dans la lagune, conduisant au développement du centre urbain de Grado.
Tomba aussi Julia Concordia dont les habitants fondèrent Caorle.

La résistance des Romans

L'eparchia Annonaria constituée par l'empereur byzantin Tibère II Constantin.
Le département de Venetikà créé après la réforme de Maurice Ier (empereur byzantin).

Avec la mort de Justinien Ier la situation politique en Italie resta tourmentée : l'Empire était assiégé à l’Est par les Perses, les Avars et les Slaves, et dans la péninsule italienne les Germains manquèrent de support économique. L'unique tentative de reconquête, sans succès final, fut tentée en 576 par le général Baduaire, sous la régence de Tibère II Constantin. La défense du territoire trouva une aide financière et civile auprès des seules forces municipales locales, ce qui fait que l’armée en Italie devint un ensemble de militaires propriétaires terriens, appelés milites limitanei (soldats de frontière), aux ordres de l'exarchat de Ravenne[21] et constituant une structure sociale compacte tant dans la cité qu’à sa périphérie.
Ce système de réforme influença aussi profondément la lagune de Venise, qui, liée plus à une économie maritime et lagunaire qu’à celle de la terre ferme, y gagna par des changements marqués d’une forte autonomie, soit dans l’administration du système tributaire, soit dans la constitution de l’organisation civile. En 580, Tiberio II supprima la province de la Venetia en constituant l'éparchie Annonaria, avec Ravenne, l'Émilie et la basse plaine du Pô lombarde, mais en 584, Maurice Ier la restructura en département sous le nom de Venetikà[22].

Le schisme et la naissance du Patriarcat d’Aquilée-Grado

Icone de l’évangéliste San Marco, premier évêque d’Aquilée.
La basilique patriarcale d’Aquilée.

L’archidiocèse d’Aquilée était, avec celui de Milan, une des Églises italiennes qui n’avaient pas accepté la condamnation des écrits de Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr et d'Ibas d'Édesse ; condamnation décrétée par Justinien et imposée de force par ces derniers au pape Vigile. Les Églises de l’Italie Nord-orientale avaient vu cela comme une imposition des monophystes d'Arménie et Syrie, de sorte que les divergences se transformèrent en véritable schisme, qui s’est aggravé par ses caractéristiques non seulement religieuse mais aussi politiques. Paolino I d’Aquilée, fort de son rang apostolique de son siège, issu au Ier siècle, de l’évangélisation par saint Marc et ses disciples.
En 579, le pape Pélage II reconnut au patriarche Elia l’administration de la province ecclésiastique sur la Vénétie et sur l'Istrie afin d’en venir à un accord. Rome et Ravenne, qui étaient sous le contrôle de l’empereur, interpellèrent directement les protagonistes du schisme d’Aquilée. La tentative de recomposition ayant échoué, en 587, l'exarchat Smaragde de Ravenne passa aux voies de fait en capturant Sévère, le patriarche d’Aquilée, l’emprisonnant pour un an, le contraignant lui et les évêques d’Istrie, à se plier au diktat impérial[23]. L'épisode n’avait pourtant pas recomposé le schisme, parce que les évêques, une fois libérés, étaient retournés sur leurs positions, renforcés par les conséquences de l’occupation lombarde qui avait fortement affaibli le pouvoir byzantin : en 590, Severo réunit un synode à Marano Lagunare, où il déclara solennellement que l'acte d’abjuration lui avait été extorqué par la force[24].

L'occupation lombarde, en attendant, accentua la distance entre l’Église sujette au patriarcat : la cité tombée sous la domination germanique, en fait, profitant d’une grande tolérance religieuse de la part des arianistes lombards, prit une position radicalement en faveur du schisme, alors que les cités de la Vénétie maritime glissèrent progressivement vers une position plus modérée.

La perte de la terra ferme

Burano et la lagune.
Les domaines byzantins au début du VII siècle, après la campagne de conquête conduite par le roi des Lombards Agilulf.

En 589, suite à la Rupture de la Cucca, les inondations bouleversèrent le territoire entier, modifiant le cours des principaux fleuves (Adige, Mincio, Brenta, Sile et Piave) et envahissant également les cités au bord de la lagune : parmi celles-ci la principale, Melidissa, qui se trouva raccordée à la terre ferme[25]. En 590[26], une alliance franco-byzantine contre le roi lombard Authari semblait devoir provoquer la défaite des Lombards, mais juste au moment où ceux-ci étaient sur le point de capituler, les Francs retournèrent dans leur patrie. En 591, Agilulf, successeur de Authari, traita une paix séparée avec Childebert, roi des Francs, et les Byzantins durent abandonner leur plan de reconquête. En Vénétie, seul Altinum réintégra l’exarchat[27]. Dès cet instant, les Lombards avec le soutien des Avars et des Slaves, commencèrent une série de raids en Istrie puis le long des confins vénètes : en 610, Agilulf conquit enfin Padoue et Monselice, causant une seconde vague migratoire des Romans vers les cités de Brondolo, Clodia, Popilia, Metamauco et Spinalonga. En Vénétie toujours plus isolée du reste du territoire byzantin, la population augmenta fortement dans les zones lagunaires, constituant une nouvelle réalité urbaine et un renforcement de celles déjà existantes. Quand le royaume lombard fut hérité par Rothari, les attaques contre les territoires byzantins s’intensifièrent et, dans le Vénète, s’étendront jusqu’au moindre lambeau de territoire, ne laissant que les zones lagunaires[28].

Mosaïque de la Vierge Odigitria à l’intérieur de la cathédrale de Santa Maria Assunta de Torcello.

La propagation des Lombards accentua la fracture à l'intérieur des Églises aquiléennes, créant de croissantes tensions qui ont explosé en 606, quand les Églises sous le contrôle militaire de l'Empire byzantin nommèrent au titre de métropolite le patriarche Candidianus, tandis que les Églises des territoires lombards leur opposèrent Jean Ier d'Aquilée, qui pour sa part condamna le métropolite de Grado et se réinstalla à Aquilée, sous la protection de Gisulf II du Frioul : Cet épisode provoqua la scission du patriarcat en les deux sièges opposés d’Aquilée et de Grado, chacun revendiquant l’exclusive légitimité. L’Istrie et les lagunes, fidèles à Rome et à l’Empire, finirent par se séparer du reste de la Vénétie et du Frioul, dont l’entre terre avait définitivement abandonné l’autorité byzantine[29].
Vers l’année 616, durant le pontificat du pape Adéodat Ier, la cité de Concordia tomba également dans les mains lombardes, l’évêque, «terrorisé par la peur des Lombards» et la population, se réfugia à Caorle, où il installa son nouveau siège[30]. La seule cité de la terre ferme à résister aux Lombards, outre Altinum, était alors Opitergium[31]. Ici, probablement entre 619 et 625[32], le patricien byzantin Gregorio massacra par traîtrise les ducs du Frioul, Caco et Tasone, fils de Gisulf II[33] : l'épisode resta dans la mémoire de l’autre fils de Gisulf qui échappa à l’embuscade, Grimoald, qui, devenu roi, se serait vengé en rasant la cité en 667.
Un rôle de première importance était assumé depuis longtemps par la proche cité lagunaire de Melidissa, rebaptisée Heraclia (ou Eraclea) vers 628, en l’honneur de l’empereur Héraclius, victorieux en Orient sur les Perses de Khosro II et libérateur de la Vraie Croix : avec la chute d'Oderzo la cité de Heraclia devint donc le nouveau siège des fonctionnaires provinciaux[34]. La perte définitive de l’entre terre poussa à une réorganisation de la vie civile à la lumière de la nouvelle géographie lagunaire, provoquée aussi par l’avancée rapide des Lombards, conduits par Rothari, lequel accéda au trône en 636, abandonnant la politique de pacification avec l’Empire, adoptée par ses prédécesseurs. En 639, Rothari conquit Oderzo et Altino, obligeant la population à fuir dans la lagune. Ainsi à Heraclia, la nouvelle cathédrale accueillit Magno, évêque de Oderzo, alors qu’en 639, par ordre de l’exarchat Isacco, fut fondée la nouvelle Cathédrale Santa Maria Assunta de Torcello, pour accueillir le siège épiscopal de l’évêque d’Altino:

La basilique de Sant'Eufemia (Grado)

Sur tout le reste de la lagune, les établissements augmenteront de manière exponentielle, comme sur les îles de Costanziaco, Ammiana, Burano e Maiurbum, ainsi que Olivolo et Rivoalto[35], qui s’étendront comme une ceinture de grands centres commerciaux de Torcello.
Pourtant entre-temps, l’unité politique de la Vénétie fut secouée par divers facteurs économiques et politiques ; Les transformations en cours dans l’économie de la lagune se vérifièrent aussi sur le système administratif et social : les Vénitiens continuèrent à maintenir leurs propres droits en utilisant les terres agricoles volées par les Lombards[36]. Les fortes tensions entre Heraclia et sa voisine Equilio débouchèrent en 690 sur un conflit ouvert, résolu en faveur d’Heraclia.
La condition générale dans l’Exarchat n’était pas meilleure et, en 692, éclata une terrible révolte contre l’autorité de l’empereur Justinien II, coupable d’avoir tenté d’arrêter le pape Serge Ier. Ce même souverain aurait été coupable, après sa seconde intronisation, d’un nouveau bouleversement pour l’Exarchat en voulant se venger contre ceux qui avaient osé se rebeller et en massacrant un grand nombre de notables à Ravenne. Les habitants réagirent par une nouvelle et dure révolte qui secoua l’Exarchat. Guidée par Giorgio Ioanniccio, suite à l’application des normes du concilio in Trullo condamna la pratique latine du célibat sacerdotal, la rébellion attira l’attention du nouvel exarchat qui réussit à l’étouffer.

La naissance du duché

Portrait de Paolo Lucio Anafesto, premier Dux Veneticorum, en armure.
Carte de l'Italie byzantine au début du VIII siècle, époque du traité avec Liutprand qui définissait les confins de la Venetia maritima.

Entre la fin du VII siècle et le début du VIII siècle, une nouvelle réforme politique investit la Venetia: comme les autres provinces byzantines d'Italie, elle fut transformée en duché[37],[38]. Selon la tradition le premier duc de la Venetia fut Paolo Lucio Anafesto, duquel le gouvernement fut mis en place en 697 par Andrea Dandolo, durant le règne de Léonce (empereur byzantin)[39], alors que Giovanni da Venezia le fait remonter aux années de la régence impériale de Anastase II (empereur byzantin), donc autour de 713[40]. Le nouveau duc réussit à consolider les confins à travers un traité avec le roi lombard Liutprand, réussissant même à préserver l’autonomie ecclésiastique de Grado, menacée en 699 par le synode de Pavie, au point qu’en 717 le pape Grégoire II décréta l’élévation du siège au titre de patriarcat de Grado. Vers la même époque, Paoluccio tombe dans une conjuration organisée par les nobles d’Aquilée[41] et lui succède comme duc, son vieil magister militum Marcello Tegalliano, dont la mort arriva en un moment de crise politique provoquée par les conséquences des iconoclastes ordonnés par l’empereur Léon III de Byzance. En 726, l'Italie tombe ainsi dans des révoltes intestines et de nombreux ducs byzantins s’élevèrent contre Constantinople et Ravenne. Les Vénètes en révolte, nommèrent leur propre duc en la personne de Orso Ipato[42].
De cette situation en 732, les Lombards en profitèrent pour occuper Ravenne et le pape Grégoire III exhorta le duc Orso à porter aide à Eutichio (exarchat). La capitale de l’exarchat vient donc d'être reconquise et le pouvoir de Orso fut légitimé l’année suivante par la concession impériale du titre de Ipato. En 731, la Vénétie fut ultérieurement récompensée par le nouveau pape Grégoire III avec la définition de la séparation canonique des diocèses de Grado et Aquilée et avec la reconnaissance, pour Grado, de la métropole sur le diocèse de l'Istrie et du duché de Venise. L'exarchat Eutichio réussit toutefois à ramener sous le contrôle byzantin la Venetia : Profitant en fait de l’assassinat du duc Orso, impliqué dans l’énième affrontement entre Heraclia et Equilio, Eutichio ordonna en 738, que le gouvernement du duché fut assigné à des magistrats militaires annuels, les Magister militum. Garantissant ainsi la fidélité de la Venetia et la perception de ses impôts, Eutichio revint en 740 dans la lagune alors que les Lombards occupèrent de nouveau Ravenne. En 741, Eutichio reprit la cité avec l’aide du magister militum Gioviano, qui en échange fut nommé Ipato. Le pouvoir byzantin sur l’Italie parut en inexorable déclin.

En 742, les nouveaux heurts entre Heraclia et Equilio provoqués par le magister militum d’Heraclia Giovanni Fabriciaco, portèrent enfin à la disposition de celui-ci[43] et au transfert de la capitale à Metamauco[44], où avec la concession impériale les Vénètes se verront conférer l’accès à l’autonomie nommée du Dux[45] : Le pouvoir vint donc confié au fils du dernier duc, Teodato Orso.

Économie

Les données sur la situation économique de la Venetia maritima ont été recueillies grâce à une série d’études effectuées sur les fouilles archéologiques de Torcello vers la moitié des années 1950. Originellement le territoire de la lagune, de l’ère romaine jusqu’au début de Moyen Âge, était pratiquement et uniquement dédié à la production du sel où, pour une part mineure, liée à la pèche et au dragage des côtes[46]. La navigation apparaissait déjà importante à l’époque du règne de Vitigès, roi Goths), dont le ministre Cassiodore se tournait vers les Vénètes[47]:

La basilique Santa Maria Assunta (Torcello) et l’église Santa Fosca

Le système économique romain a régné jusqu’au début de la domination byzantine, jusqu’à ce que put se maintenir l’unité de la province. Aux temps de Narsès les divers arts se réunissaient déjà en corporations, dites scholae, protégées par un patron : représentant ainsi les arts des forgerons, des tisserands, des lavandière, des marchands, des boutiquiers, des tailleurs de pierre, des potiers, des peintres, etc.

Marchands vénètes : mosaïque de la basilique de San Marco à Venise.

L'augmentation forcée de la population due à la migration de Vénétie impliqua une mutation radicale sur l’économie des zones qui devint un véritable marché. Depuis l'invasion lombarde, se développa une production agricole assez consistante, avec même des produits d’exportation comme le pin parasol, le noyer, le noisetier, le pêcher et le prunier, ainsi que la Vigne et le concombre (variétés locales encore présentes à Torcello). L’accroissement de la population comporta une seconde transformation du territoire qui, en devenant zone citadine, vit croître la demande de produits artisanaux, comme le développement de l’industrie de la céramique et l’art du verre (déjà en 639 dans l’église de Torcello apparaissaient les premières mosaïques à base de verre). Torcello devint un vrai centre commercial, un «μέγαν ἐμπόριον» (megan emporion, "grand marché") déjà du temps de Constantin VII Porphyrogénète[48]. Sur la terre ferme ne resta que la technique lourde de la construction (matériaux de construction).

Le développement du mercantilisme

Le territoire soumis au développement naturel des activités commerciales vénitiennes a toujours été la plaine padano-vénète et la vaste portion côtière de Ravenne à Trieste (et également l'Istrie), parcouru par les vias Annia et Postumia et par le cours des fleuves et canaux navigables alimentés par le système lagunaire. Ce lien mercantile continu, malgré les divers conflits, ininterrompu jusqu’à la fin VIII siècle. Quand pourtant le pape Adrien I confisqua les possessions vénitiennes de l'archidiocèse de Ravenne, après des contrastes politiques en Italie, et bannit les marchés lagunaires de l’exarchat, l'économie vénitienne qui jusque là était contrôlée par les propriétaires terriens et orientée par leurs exigences financières, fut contrainte à s’orienter radicalement vers le système productif, et les principales activités furent celles créées par les homo novus (hommes neufs) ou par de vieux agraires qui devinrent armateurs, tournés pour la plupart vers le commerce maritime. Les rapports politiques privilégiés avec l’Orient permirent à la population locale de gagner des monopoles comme celui du commerce des teintures pourpres, des peaux ou du textile asiatiques, sans oublier le marché des esclaves qui fut conduit pendant des siècles par les Vénitiens entre le monde slave et l'Afrique islamique.
Ainsi, même la flotte militaire fut notablement sollicitée, tant par les privés que par le gouvernement local, déjà au début des patrouilles sur tout l’Adriatique, de l'Istrie jusqu’à Otrante, contre la piraterie, renforcée par de puissants navires construits sur le modèle du dromon impérial byzantin, dit galère[49],[50].

Note

  1. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 7.
  2. Atlante Storico Mondiale, Istituto Geografico De Agostini, Novara 1995
  3. Atlante Storico Mondiale, Cartografia, Sezione Italia, I barbari - L'Italia bizantina e longobarda, De Agostini, Novara 1993, p. 335.
  4. Catholic encyclopedia. S. v. Diocese of Concordia
  5. Ortalli G., Venezia dalle origini a Pietro II Orseolo, in «Storia d'Italia», vol. I, Longobardi e Bizantini, p. 357.
  6. Ortalli G., Venezia dalle origini a Pietro II Orseolo, in «Storia d'Italia», vol. I, Longobardi e Bizantini, p. 358.
  7. Savino M., Torcello, tra terra ed acqua, tra passato e futuro, in L'UNIVERSO, anno LXXXI, n. 3, p. 296-310
  8. Savino M., Burano: una terra di frontiera, in L'UNIVERSO, anno LXXXI, n.2, p. 153
  9. Savino M., Burano: una terra di frontiera, in L'UNIVERSO, anno LXXXI, n.2, p. 152-153
  10. Savino M., Murano: storia e destini di un insolito distretto industriale in laguna, in «L'UNIVERSO», anno LXXXI n. 4, p. 438-450
  11. Savino M., Chioggia: così simile, così diversa, in «L'UNIVERSO», anno LXXXI n. 5, pp. 582-598
  12. Savino M., Chioggia: così simile, così diversa, in «L'UNIVERSO», anno LXXXI n. 5, pp. 586
  13. Ostrogorsky, cartina 1.
  14. Norwich, pp. 91-92.
  15. a et b Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 18.
  16. Diehl C., Études sur l'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne (568-751), Bibliothèque des écoles française d'Athènes et de Rome, 53, Burt Franklin, New York 1958, pp. 40-41.
  17. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 20.
  18. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, pp. 20-21.
  19. Paul Diacre, Historia Langobardorum, II.
  20. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 21.
  21. Ortalli G., op. cit., p. 348.
  22. Ortalli G., op. cit, pp. 345-347.
  23. Muratori, anni 587-588.
  24. Muratori réunit le synode en 588. Cfr. Annali d'Italia, anno 588.
  25. Paul Diacre, Histoire des Lombards –langue latine - Liber III, 23
  26. Cfr. Annali d'Italia, anno 590.
  27. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 24.
  28. Paul Diacre, Histoire des Lombards, langue latine - Liber IV, 23
  29. Cessi R., Venezia ducale, vol. I, Duca e popolo, Deputazione di Storia patria per le Venezie, Venezia 1963, p. 56-57.
  30. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 29.
  31. Cessi, Roberto: Storia della Repubblica di Venezia, Milano – Messina, 1944.
  32. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 30.
  33. Paul Diacre, Histoire des Lombards, latin, - Liber IV, 37-38
  34. Ravegnani, Bisanzio e Venezia, p. 31.
  35. Ortalli G., op. cit, pp. 353-355.
  36. Mor C. G., Aspects de la vie constitutionnelle vénitienne jusqu’à la fin du X siècle, en Le origini di Venezia, Sansoni ed., Firenze 1964, p. 118.
  37. Romanin, Samuele: Storia documentata di Venezia, libro I, capitolo VI.
  38. Diehl, Charles: La Repubblica di Venezia.
  39. Dandolo A., Chronica per extensum descripta, Rerum Italicarum Scriptores, XII/1, Bologna 1958, p. 105.
  40. Giovanni diacono, Cronaca, in Cronache veneziane antichissime, Fonti per la storia d'Italia, IX, Roma 1980, p. 91.
  41. Cronaca Altinate, libro III,
  42. Liber pontificalis, I.
  43. Romanin, Samuele: Storia documentata di Venezia, libro I, capitolo II.
  44. Ortalli G., op. cit., pp. 362-364.
  45. Diehl, Charles: La Repubblica di Venezia, p.21., Newton & Compton Editori.
  46. Cassiodore, Variae, XII n. 24
  47. Romanin, Samuele : Storia documentata di Venezia, Libro I, Capitolo V.
  48. Moravicsik G. e Jenkins R. J. H., Budapest 1949, p. 118).
  49. Giovanni diacono, Cronaca.
  50. Thietmari Merseburgensis, Cronicon, in Monumenta Germaniae historica. Scriptores. Scriptores rerum Germanicarum, IX, Berlino 1935, pp. 126-127.

Sources

Bibliographie

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