Peuples turciques

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Répartition géographique des peuples turcs, fin XIXe-début XXe siècle

On appelle turcs ou peuples turcs les divers peuples dont la langue fait partie de la famille des langues turques. On estime à 150-200 millions le nombre de personnes appartenant à ce groupe en 2013. Il s’agit vraisemblablement des descendants de grandes tribus originaires d'Asie centrale.

Terminologie

La plus ancienne mention du terme « Turk » qui nous soit parvenue nous provient des Göktürks du VIe siècle. Une lettre de l’Empereur de Chine au khan köktürk Isbara l’identifie comme le « grand khan turc » en 585. Les stèles d'Orkhon, dans l'actuelle Mongolie, font usage du terme « Turuk » pour désigner les ancêtres des peuples turcs.

Il se pourrait que certaines sources antérieures fassent référence à des peuples turcs, comme une tablette du XXIe siècle av. J.-C. retrouvée sur le site de Mari en Syrie (qui parle d'un peuple appelé « Turukku », en migration vers les régions de Tiguranim et Hirbazanim — nous ne savons pas à quoi correspondent ces noms sumériens), ou un texte chinois datant de 1328 av. J.-C. (en parlant d'un peuple voisin appelé « Tu-Kiu »), ou encore le nom d'un des petits-fils de Noé, « Turk », dans les textes de l'Avesta. On ne peut affirmer qu'il existe un lien entre ces termes, en apparence proches morphologiquement, et les peuples turcs proprement dits ; cependant nombre de personnes pensent avoir trouvé là des sources attestant de l'ancienneté tant du terme que des peuplades elles-mêmes.

Aujourd'hui, en Turquie moderne, l'explication populaire de la racine du mot « turc » déclare que le terme signifie « fort » ou « puissant ».

En Français, l'usage courant du terme « turc » peut prêter à confusion, dans la mesure où seul le contexte permet de faire la distinction entre ses deux sens possibles ; d'une part le peuple turc, c'est-à-dire les citoyens de la Turquie actuelle, et d'autre part les peuples turcs au sens large, et parfois désignés par le terme « turcique »[1]. D'autres langues telles que l'anglais utilisent deux termes séparés, respectivement « Turkish » et « Turkic ». De même, en turc moderne, on utilise le mot « Türk » en parlant des habitants de la Turquie, tandis que le mot « Türkî » se rapporte aux peuples et cultures turcs au sens large.

Histoire

La quasi-totalité du domaine scientifique pense que les peuples turcs sont originaires d'Asie centrale (anciennement Turkestan). Une petite minorité, comprenant les idéologistes panturques, envisagent une origine plus à l'ouest, suivie d'une migration vers l'Asie centrale durant la préhistoire.

Des comparaisons entre le sumérien et les langues turques modernes pourraient sembler indiquer l'existence d'un vocabulaire commun. De là découle la thèse que les Sumériens sont la plus ancienne peuplade turque attestée et qu'ils sont originaires de l'est de la mer Caspienne mais ont cependant établi leur civilisation en Mésopotamie. Cette thèse est cependant largement critiquée par une grande partie des historiens et des linguistes spécialisés, dans la mesure où la majorité des linguistes considèrent le sumérien comme un isolat linguistique et est assimilable à un produit de l'idéologie panturque.

Outre les controverses érudites, on ne sait précisément la date de l'émergence turque de son berceau géographique. Le premier État à avoir porté le nom « turc » est celui des Köktürks (ou Göktürk) au VIe siècle. Ceci porterait à croire que les Turcs vivaient surtout au Kazakhstan et probablement en Mongolie durant le premier millénaire de l'ère chrétienne. La Turquie a d'ailleurs des programmes de restauration des monuments turcs existant en Mongolie.

Parmi les peuples turcs postérieurs, on notera les Karlouks (VIIIe siècle), les Ouïghours, les Kirghizes, les Oghouzes et les Turkmènes. C'est pendant la formation de leurs États que ces peuples sont entrés en contact avec le monde musulman et ont progressivement adopté l'islam. Il subsiste cependant des populations turques appartenant à d'autres religions, notamment le christianisme, le judaïsme (cf. Khazars), le bouddhisme, et le zoroastrisme.

À partir du Xe siècle, les soldats turcs des califes abbassides s'imposèrent en dirigeants du Moyen-Orient musulman, à l'exception de la Syrie et de l'Égypte. Les Turcs oghouzes et d'autres tribus s'emparèrent du contrôle de diverses régions sous l'égide de la dynastie seldjoukide, s'appropriant plus tard les territoires abbassides et byzantins.

Simultanément, les Kirghizes et Ouïghours se battaient entre eux et contre le puissant empire de Chine. Enfin les Kirghizes s'installèrent définitivement dans la région aujourd'hui appelée Kirghizistan. Les Tatars s'installèrent quant à eux dans le bassin de la Volga, évinçant du pouvoir local les Bulgares de la Volga. Cette même région s'appelle aujourd'hui Tatarstan et est une République autonome de la Fédération de Russie ; ses grandes villes, notamment Kazan, sont dotées d'une ou plusieurs mosquées, les Tatars étant traditionnellement musulmans.

À la suite de la grande invasion mongole du XIIIe siècle, l'empire seljoukide est sur le déclin et c'est sur cette base qu'émerge l'Empire ottoman, sans doute le plus connu des empires turcs, pour la richesse de son histoire et sa durée dans le temps, occupant finalement des régions allant des Balkans à l'Irak et du sud de la Russie à l'Afrique du Nord. Simultanément, d'autres groupes turcs fondèrent des états de moindre envergure, comme les Safavides d'Iran et l'Empire moghol au nord de l'Inde. Des guerres successives contre la Russie et l'Autriche-Hongrie, ainsi que la montée du nationalisme dans les Balkans seront les causes principales du déclin de l'Empire ottoman ; sa chute définitive survient à l'issue de la Première Guerre mondiale et donne naissance à l'état actuel de Turquie.

Quoi qu'il en soit, les ressemblances entre les diverses langues turques contemporaines semblent indiquer que l'éclatement initial du noyau géographique originel turc est un phénomène relativement récent, sauf en ce qui concerne les Tchouvaches et les Iakoutes.

Distribution géographique et divisions ethniques

Actuellement, l'ethnie turque la plus dense réside en Turquie. Les autres groupes turcs importants se trouvent en Azerbaïdjan, à Chypre, en Iran, au Kazakhstan, au Kirghizstan, en Russie, au Turkménistan et en Ouzbékistan. On en trouve aussi en Crimée, au Xinjiang (appelé le Turkestan chinois), au nord de l'Irak, en Afghanistan, en Moldavie, en Gagaouzie, en Allemagne, en Pologne, en Ukraine, en Roumanie, en Grèce, en Bulgarie et en ex-Yougoslavie ; les quatre derniers faisant partie des Balkans. En revanche, il est difficile de séparer précisément les différentes ethnies turques. En voici une liste non exhaustive ; entre parenthèses, leur situation géographique :

Certains[Qui ?] classent les ethnies ci-dessus en six branches : Oghouzes, Kiptchaks, Kourlouks, Sibériens, Tchouvaches et Iakoutes.

Un des principaux obstacles que l'on rencontre lorsqu'on essaie de classer les divers dialectes, langues, peuplades et groupes ethniques turcs est l'effet qu'ont eu l'Union soviétique et la politique stalinienne sur les nationalités. Les modifications de frontières existantes et les déportations massives ont eu des impacts considérables sur des régions traditionnellement diversifiées au niveau ethnique. De ce fait, le classement ci-dessus n'est en aucune manière considéré comme vérité absolue, tant au niveau global que dans le détail. À cela s'ajoutent des éléments relativement nouveaux dus à l'évolution de la situation géopolitique des pays de l'ex-bloc communiste à la suite de la chute de ce dernier, comme l'émergence d'un esprit nationaliste dans les républiques d'Asie centrale.

Anthropologie et linguistique

L'anthropologue racialiste, Adolphe Bloch propose en 1915 de catégoriser les peuples turcs en deux types (le type blanc et le type jaune) apparentés et exclut l'idée d'un métissage[2]. Les Turcs primitifs seraient de la variété de la race jaune asiatique qui ensuite a évolué pour acquérir d'autres caractères anthropologiques [...] en passant de la vie nomade à la vie sédentaire. Il s'agit d'une transposition d'une théorie définie en 1901 selon laquelle une race de couleur peut se transformer en race blanche sans l'intermédiaire d'aucun mélange, cette transformation passant par la sédentarisation et par un développement "civilisationnel"[2]. Cette transition d'un type noir ou jaune vers un type blanc a été également envisagée chez les populations khazares et chez les Huns. Pour Adolphe Bloch, les Turcs noirs sont les Kara-kirghizes et les Turcs blancs sont les Osmanlis. Cette distinction se base sur des critères physiologiques tels que l'indice céphalométrique, la pilosité ou la couleur des yeux et des cheveux[2]. Cette approche racialiste et suprémaciste n'a plus de validité scientifique depuis le milieu du XXème siècle[3].

Les peuples turcs sont d'apparence physique variée. La majorité de ceux d'Europe orientale, de Turquie et du Caucase sont de type caucasien ou oriental, avec le teint et les yeux sombres, des cheveux noirs, mais on trouve aussi des blonds, châtains ou roux issus de métissage avec des Européens (notamment slaves) qui étaient convoyés vers l'Empire Ottoman comme esclaves (les janissaires), tandis que ceux originaires de la région méditerranéenne ou de l'Anatolie orientale ont plus souvent des yeux bruns, des cheveux bruns/noirs et la peau mate. Enfin, les peuples turcs d'Asie centraleOuzbeks, Kazakhs, Hazaras, Turkmènes, Kirghizes, Tatars, Ouïgours, etc. — sont de type mongoloïde qui sont les Turcs originaux, non métissés.

Les linguistes considèrent que les langues turques, mongoles et toungouses forment une famille dite « altaïque ». Elles possèdent beaucoup de points communs, comme l'harmonie vocalique : les voyelles sont partagées en deux groupes et chaque mot ne peut contenir que des voyelles d'un seul groupe. Ce sont des langues agglutinantes : les mots ne peuvent être dérivés que par adjonction de suffixes. Il n'existe pas de préfixe ou d'infixe comme dans les langues indo-européennes. Ces langues possèdent en revanche peu de vocabulaire en commun, ce qui peut faire douter qu'elles soient d'origine commune. Leurs ressemblance peuvent, en partie, s'expliquer par un long voisinage de leurs porteurs.

La famille ouralo-altaïque comprend également les langues finno-ougriennes, langues parlées par les Hongrois, les Finnois, les Estoniens, ainsi que par les Samoyèdes de Sibérie.

Les Turcs possèdent des points communs avec les peuples sibériens, comme la pratique du chamanisme. C'est en Sibérie que cette religion se trouve sous sa forme la plus pure. Elle est d'ailleurs la religion exclusive des peuples sibériens. Le mythe du loup ancêtre est commun aux Turcs, aux Mongols, aux habitants de la Sibérie et de l'Amérique du Nord. Ces similitudes n'ont rien d'étonnant, puisque ces derniers sont originaires de Sibérie.

Les Turcs ont d'autres points communs cette fois avec les anciens Mongols. Leur principale divinité était le Ciel-Dieu, appelé Tängri par les Turcs et Tängär par les Mongols. Il avait pour compagne une déesse de la fécondité appelée Umai, commune aux Turcs et aux Mongols. Ces deux peuples utilisaient le terme turc de khan (ou khagan) pour désigner leurs rois. Ils ont eu un mode de vie nomade, utilisant la yourte comme habitation. Ces similitudes témoignent d'une période de coexistence des Turcs et des Mongols, durant laquelle les deux peuples se sont mutuellement influencés.

Durant leur expansion vers l'ouest, les Turcs se sont mêlés à des Indo-Européens, qui habitaient l'Asie centrale et les bords de la mer Noire. C'est la raison pour laquelle il est difficile de définir une ethnie turque pure. Par exemple, en arrivant dans le bassin du Tarim, les Ouïgours se sont métissés avec les anciens habitants de cette région, les Tokhariens.

Religion

Dans l'ensemble, les peuples turcs sont musulmans sunnites. Cependant, de nombreuses personnes en Turquie orientale sont alevis, et la majorité des peuples turcs d'Iran et d'Azerbaïdjan (Turcs, Azerbaïdjanais) sont musulmans chiites

Les Tchouvaches de Russie et les Gagaouzes de Moldavie sont chrétiens.

Certains groupes ethniques ont même conservés leurs traditions chamanistes, tandis que la majorité ont adopté l'Islam dès le VIIIe siècle. On les trouve principalement dans les régions et républiques autonomes de Russie voisines du massif de l'Altaï, en Khakassie et à Touva, à la frontière mongole.

Enfin, on trouve quelques groupes turcs bouddhistes, juifs, zoroastriens et baha'is.

« Monde turc » et « panturquisme »

Certains discours nationalistes font référence au « monde touranien », c'est-à-dire une grande région ou même un grand empire englobant tous les peuples turcs. Selon cette idée cet empire irait du Turkestan à l'est jusqu'aux Balkans à l'ouest et de la Crimée au nord jusqu'au Proche-Orient au sud. Bien sûr les Russes, les Chinois, les Iraniens et les Arabes sont hostiles à cette idéologie panturquiste et voient d'un mauvais œil un rapprochement entre les différents peuples turcs.

D'un autre côté, la plupart des musulmans considèrent les peuples turcs comme partie intégrante d'un « monde musulman » élargi, englobant l'Indonésie, le Pakistan, les pays arabes, les musulmans des Balkans, du Caucase etc., et formant un ensemble intégré.

Galerie

Notes et références

  1. Université Laval de Québec, « La famille altaïque » (consulté le ).
  2. a b et c Bloch Adolphe, « De l'origine des Turcs et en particulier des Osmanlis », Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, vol. VI, no 6 fascicule 3,‎ , pp. 158-168. (DOI 10.3406/bmsap.1915.8733, lire en ligne, consulté le ).
  3. Pierre-André Taguieff, La couleur et le sang : Doctrines racistes à la française, Mille et une nuits, , 206 p..

Annexes

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Articles connexes