Attentat de l'Observatoire

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François Mitterrand en 1959.

L’attentat de l'Observatoire est un attentat qui a visé François Mitterrand dans la nuit du au à Paris, avenue de l'Observatoire. L'expression fait également référence à l'affaire politique et judiciaire à laquelle cet attentat a mené.

Le sénateur de la Nièvre François Mitterrand est averti par Robert Pesquet d'un projet d'attentat à son encontre dans les jours qui précèdent le . Vers minuit trente le , la Peugeot 403 de François Mitterrand est criblée de sept balles de pistolet mitrailleur, tandis que le parlementaire échappe aux balles en prenant la fuite à travers le jardin de l'Observatoire[a]. Quelques jours plus tard, Pesquet déclare publiquement dans le journal Rivarol que François Mitterrand a monté de toutes pièces l'attentat afin de gagner la faveur de l'opinion publique. La responsabilité de François Mitterrand dans l'affaire est encore aujourd'hui incertaine.

Contexte[modifier | modifier le code]

Un climat politique tendu[modifier | modifier le code]

Charles de Gaulle revient au pouvoir en , appelé par la Quatrième République mourante afin d'apporter une résolution à la guerre d'Algérie. Le climat est particulièrement tendu à la fin de l'année 1959. Après que, le , de Gaulle annonce un référendum sur l'autodétermination pour les Algériens, des rumeurs selon lesquelles un complot serait en préparation contre de Gaulle et son régime enflent. On annonce des manifestations et des attentats en métropole, orchestrés par les Européens d'Algérie. Selon ces rumeurs, l'armée serait appelée pour rétablir l'ordre et prendrait le pouvoir, renvoyant le général à Colombey. Le débat parlementaire qui débute le est empreint d'une grande tension au sein de la majorité[1].

Le , le député UNR Lucien Neuwirth fait une déclaration alarmiste selon laquelle « des commandos de tueurs ont franchi la frontière espagnole. Les personnalités à abattre sont désignées »[2].

Des menaces et un avertissement[modifier | modifier le code]

En , François Mitterrand et son épouse Danielle Mitterrand sont harcelés par des coups de téléphone intempestifs et menaçants. Le , Mitterrand et Roland Dumas sont abordés près du palais de Justice par Robert Pesquet. Selon François Mitterrand, une fois Dumas parti, Pesquet lui confie qu'il fait partie des personnalités que l'extrême-droite cherche à abattre[3]. Mitterrand ne le prend pas au sérieux, mais Pesquet l'appelle plusieurs fois et ils se revoient le 14 octobre au Marignan, un café des Champs-Élysées[2].

Devant l'annonce d'un attentat imminent, Mitterrand dort chez son ami Georges Dayan. Le lendemain, le , il croise à nouveau Robert Pesquet au Sénat, qui lui annonce que l'attentat va bientôt arriver, et qu'il aura lieu rue Guynemer, près de son domicile. Comme la rue ne permet pas de s'échapper en cas d'attentat, Pesquet lui recommande de contourner le jardin du Luxembourg et de se réfugier dans le jardin de l'Observatoire en cas d'attaque. A la demande de Pesquet, Mitterrand promet de ne rien dire à la police[2]. Selon Bernard Debré, son oncle Pierre Lemaresquier et sa femme avaient vu un homme qu'ils avaient identifié comme François Mitterrand, un jour précédant l'attentat, s'exercer à sauter par-dessus les buissons du jardin de l'avenue de l'Observatoire[4].

Attentat[modifier | modifier le code]

Poursuite motorisée[modifier | modifier le code]

François Mitterrand dîne le soir du avec Georges Dayan, puis se rend à la brasserie Lipp. Il était convenu avec Pesquet qu'ils s'y retrouveraient s'il y avait du nouveau. Pesquet n'arrivant pas, Mitterrand attend jusqu'à minuit et demi. Il décide alors de rentrer chez lui avec sa voiture, une Peugeot 403[2].

Selon la version qu'il donne à Franz-Olivier Giesbert, il remarque une petite automobile grise, feux éteints, qui se met à le suivre. Au début de la rue de Seine, la voiture se met à le coller ; il modifie alors son itinéraire et, au lieu de tourner à droite pour rentrer chez lui, il tourne à gauche dans la rue de Médicis. Pris en chasse par ses poursuivants, il accélère boulevard Saint-Michel, tourne rue Auguste-Comte, ouvre sa portière, saute par-dessus la grille des jardins de l'Observatoire haute d'un mètre, et court dans les jardins où il se jette à terre[5]. À l'exception de deux statues néogrecques sur des socles de pierre au centre du parc, le jardin n'offrait aucun abri[6] ; il se cache derrière une haie de troènes.

Fusillade[modifier | modifier le code]

Alors que François Mitterrand est caché derrière la haie, de la fenêtre arrière gauche de la voiture grise sort un pistolet-mitrailleur qui tire une rafale dont sept balles de 9 mm criblent la portière avant droite de la Peugeot[7]. François Mitterrand traverse le jardin en courant pour se dissimuler sous une porte cochère au 5 de l'avenue de l'Observatoire[8]. Il sort du square par l'avenue de l'Observatoire[2].

Déclaration à la police[modifier | modifier le code]

Un habitant du quartier, réveillé par le bruit des coups de feu, appelle la police qui se rend sur place. François Mitterrand déclare à la police qu'il a subi une tentative d'assassinat. Il est interrogé par le commissaire divisionnaire Clot. Il ne lui dit rien au sujet de Pesquet, dont il avait promis de taire le nom[2].

Médiatisation[modifier | modifier le code]

Choc politique du 16 au 21 octobre[modifier | modifier le code]

L'affaire est médiatisée dès le lendemain. Les journaux relatent l'histoire ; alors qu'il était en perte de vitesse et marginalisé même au sein de son parti, Mitterrand redevient le chef de la lutte contre l’extrême droite[9]. La rapidité de sa réaction est louée et les partisans de l'Algérie française sont soupçonnés d'être derrière le coup[10]. L'indignation gagne le monde politique, et Pierre Mendès-France lui écrit : « Sachez bien que, dans ces circonstances où tant de haine de nouveau se déchaîne contre vous, tous vos amis vous entourent affectueusement et éprouvent le désir de vous aider s'ils le peuvent »[2].

François Mitterrand rencontre à nouveau Robert Pesquet le 19 octobre, et le remercie de lui avoir donné l'information qui lui a sauvé la vie[2].

Déclaration de Pesquet les 21 et 22 octobre[modifier | modifier le code]

Le 21 octobre, Robert Pesquet donne un entretien au journal d'extrême-droite Rivarol qui renverse le narratif qui avait cours jusqu'alors. Pesquet déclare être l'auteur de ce qui serait un faux attentat, manigancé par François Mitterrand lui-même dans le but de regagner les faveurs de l'opinion publique au détriment de Pierre Mendès France et dans le but de provoquer des perquisitions dans les milieux d'extrême droite. Il mentionne des détails qui ne semble que pouvoir avoir été décidés à l’avance, notamment la façon dont la victime réagirait[6].

Le 22 octobre, Robert Pesquet organise une conférence de presse. Il soutient que François Mitterrand a organisé avec lui un faux attentat dans le but de se positionner comme le chef de file de la lutte contre l'extrême-droite, et de regagner en popularité face à Pierre Mendès-France. Pesquet montre deux pièces qui doivent prouver la véracité de son récit : deux lettres que Pesquet s'était adressées à lui-même, en recommandé, ouvertes par un huissier de justice[11], où il décrivait avant l'évènement comment le pseudo-attentat allait se dérouler[2]. Aux dires de Pesquet, Mitterrand aurait été enthousiasmé à l'idée de se faire de la publicité par ce moyen, et aurait planifié l'opération en détail[12].

Retournement de l'opinion publique après le 22 octobre[modifier | modifier le code]

Les journaux suivent de près l'affaire et, à partir de la déclaration de Pesquet, remettent en cause la version de François Mitterrand. La gauche se trouve atterrée, tandis que « les adversaires de droite sont hilares » alors que « [l]es journalistes tombent des nues, se sentent ridiculisés pour avoir été menés en bateau et avoir du même coup trompé leurs lecteurs » (Michel Winock)[2]. François Mitterrand perd le soutien de plusieurs personnalités politiques, dont celui d'Henri Frenay. Avec François Mauriac, Pierre Mendès France est l'un des rares à défendre son ancien ministre de l'Intérieur, victime d'« imputations invraisemblables et monstrueuses »[13].

Contre-offensive médiatique de François Mitterrand à partir du 24 octobre[modifier | modifier le code]

François Mitterrand se défend. Il soutient que l'attentat n'a pas été un complot ourdi par lui-même, et qu'il est tombé dans une machination qui ne pouvait, une fois lancée, que se conclure par sa défaite. Comme le rapporte Le Monde dans son édition du 24 octobre, il dit : « De deux choses l’une : ou j’étais abattu, et je ne pouvais plus parler ; ou j’en réchappais, ce qui était le cas, et je tombais dans cette machination »[2].

Le 23 octobre 1959, Philippe Grumbach, rédacteur en chef de L'Express et espion du KGB, se trouve au centre du dossier du faux attentat. René-William Thorp, le bâtonnier de Paris, le convoque dans ses bureaux. Grumbach y découvre le futur président de la République, en pleurs. L’attaque dont il a été victime, la semaine précédente, est en passe de causer sa crédibilité politique[14].

Le 29 octobre 1959, L’Express publie la défense de François Mitterrand sur trois pages, avec le titre : « Ce que j’ai à dire »[14]. Mitterrand accuse plusieurs personnalités d'extrême droite (Jean-Louis Tixier-Vignancour, Jean Dides, Jean-Baptiste Biaggi, Pascal Arrighi, Jean-Marie Le Pen) d'avoir « sorti les poignards de la guerre civile ». Il reconnaît « être tombé dans un guet-apens (...). Parce qu'un homme vient à moi, me prend à témoin de son hésitation à tuer, me demande de l'aider à se sauver lui-même, cinq ans de prudence, d'analyse, de patience cèdent soudain et me laissent devant la solitude et l'angoisse... ». Il fait le lien entre ce « chef-d'œuvre d'intoxication et de téléguidage » et deux autres affaires qu'il a eu à connaître alors qu'il était ministre de l'Intérieur (affaire des fuites du comité de la Défense nationale) et garde des Sceaux (affaire du bazooka d'Alger). Selon lui, les décisions qu'il a prises dans ces deux affaires lui ont valu la haine des protagonistes qu'il a cités[15]. L’agent du KGB a permis à Mitterrand d'organiser sa contre-offensive médiatique, ce qui considéré rétrospectivement comme un service pouvant servir[14].

Pré-judiciarisation[modifier | modifier le code]

Demande de levée de l'immunité parlementaire le 27 octobre[modifier | modifier le code]

Le gouvernement de l'époque, dirigé par Michel Debré, porte un coup qu'il veut fatal à son principal adversaire : le ministère public demande le 27 octobre au Sénat que l'immunité parlementaire du sénateur Mitterrand soit levée pour outrage à magistrat. Ce motif est légitimé par le fait que Mitterrand n'ait jamais fait état du rôle de Pesquet dans son interrogatoire auprès de la justice, ce qui est considéré alors comme une « atteinte à la considération et à l'autorité morale » de la préfecture de police de Paris[2].

Le parquet décide également d'engager des poursuites pour détention d'armes contre Robert Pesquet et son comparse, Abel Dahuron, auteur des coups de feu. Toutefois, contre l'avis du parquet émis sur réquisition du garde des Sceaux, le juge André Braunschweig laisse les deux hommes en liberté[16].

Commission parlementaire et défense à la tribune le 28 octobre[réf. nécessaire][modifier | modifier le code]

Le 18 novembre, le Sénat débat sur la levée de l'immunité parlementaire du collègue Mitterrand après les présentations d'une commission spéciale réunie pour l'occasion, dont le rapporteur est Jacques Delalande, un indépendant[17]. Le verdict de la commission reprend le motif du ministère public : « M. Mitterrand, d’après M. le procureur général, a laissé l’enquête s’orienter dans une direction qu’il savait inutile et il a, au contraire, écarté la seule direction utile qu’auraient pu prendre les recherches de police, c’est-à-dire la direction Pesquet. Par cette omission voulue, toujours d’après M. le procureur général, M. Mitterrand a manqué au devoir qu’il avait envers la police dont il venait de solliciter le secours »[18].

Le sénateur Mitterrand se défend à la tribune, et explique sa version des faits. Il justifie de ne pas avoir mentionné Pesquet à la police par le fait que ce dernier le lui avait demandé afin d'être protégé, sachant qu'il serait en danger s'il venait à être révélé qu'il avait prévenu une des cibles de l'attentat qui planait sur elle[2]. Surtout, il révèle un élément nouveau allant dans son sens : le 22 octobre, Maurice Bourgès-Maunoury, ancien président du Conseil, avait prévenu la Direction de la Sûreté générale qu'il avait lui-même été approché par Robert Pesquet quatre semaines auparavant de la préparation d'un attentat contre lui, selon le même scénario[2], ce qui est confirmé le 6 novembre[19].

Avant de conclure, François Mitterrand souligne qu'il considère l'affaire comme un guet-apens politique. Il met en cause Michel Debré et rappelle l'entretien qu'il avait eu avec ce dernier en février 1957 lorsque des soupçons pesaient sur lui dans le cadre de l'affaire du bazooka, un complot visant à tuer le général Raoul Salan afin de provoquer des émeutes en Algérie française et provoquer le retour au pouvoir de Charles de Gaulle[2].

Si une partie des parlementaires demeure perplexe, quelques voix s'élèvent pour défendre Mitterrand. Jean-Louis Vigier, de la majorité, dit notamment dans l'hémicycle : « Je ne pourrai voter la levée d’immunité car trop de faits connus me troublent. La gravité de l’acte que l’on me demande d’accomplir est hors de proportion avec l’état de notre information »[20]. Il réussit à convaincre ses collègues de repousser le vote. Pierre de La Gontrie, de la gauche, demande un complément d'information pour éclaircir l'argument de Mitterrand relatif à l'incident rapporté par Bourgès-Maunoury, et l'obtient[2].

Nouveau vote et levée de l'immunité parlementaire le 25 novembre[modifier | modifier le code]

Un nouveau débat est organisé le 25 novembre pour voter, ou pas, la levée de l'immunité du sénateur Mitterrand. Deux camps se font face : celui du rapporteur Delalande et de la majorité du Sénat d'une part ; et Mitterrand, soutenu par quelques parlementaires tels que Gaston Defferre de l'autre. François Mitterrand rappelle à nouveau l'affaire du bazooka[2]. La commission dont Delalande est rapporteur récuse, par 16 voix contre 8 et 5 abstentions, l'affirmation de Mitterrand selon laquelle le gouvernement, dans une intention hostile envers lui, avait voulu étouffer le rôle de Pesquet à l'égard de Bourgès-Maunoury[21].

Le vote a lieu sous la présidence de Gaston Monnerville : 175 sénateurs votent l'adoption d'une résolution permettant la levée de l'immunité, 27 votent contre, dont les 11 sénateurs communistes présents. Du côté des socialistes, 20 ont voté pour la levée, 15 contre[2].

Judiciarisation[modifier | modifier le code]

Plainte pour diffamation contre plainte pour dénonciation calomnieuse[modifier | modifier le code]

Le 25 octobre, François Mitterrand dépose plainte contre Robert Pesquet pour diffamation[22].

Information contre X pour tentative d'assassinat[modifier | modifier le code]

Le 25 octobre, François Mitterrand se constitue partie civile dans le cadre d'une information contre X pour tentative d'assassinat ouverte au lendemain des faits par le juge Braunschweig[22]. Les avocats de Pesquet, parmi lesquels Jean-Louis Tixier-Vignancour, déposent à leur tour une plainte pour dénonciation calomnieuse, visant sa constitution de partie civile initiale[22].

Inculpation de Pesquet et Dahuron pour détention d'arme et outrage à magistrat[modifier | modifier le code]

Robert Pesquet et Abel Dahuron sont inculpés dans un premier temps pour détention d'arme et outrage à magistrat[23].

Inculpation de Mitterrand pour outrage à magistrat[modifier | modifier le code]

Le , le juge Jean Perez inculpe François Mitterrand d'outrage à magistrat[24]. Cette instruction ne donne lieu à aucun acte de procédure pendant les années qui suivent.

Ordonnance de non-lieu[modifier | modifier le code]

Une enquête est menée par un juge d'instruction. Une reconstitution des faits a lieu en au bois de Vincennes.

Le , le juge d'instruction Sablayrolles rend une ordonnance de non-lieu dans le dossier ouvert contre X pour tentative d'homicide volontaire. Il renvoie Robert Pesquet et ses complices Abel Dahuron et André Péquignot en correctionnelle pour détention d'armes.

Mitterrand, partie civile dans le dossier, fait aussitôt appel de l'ordonnance de non-lieu : accepter cette ordonnance serait en effet reconnaître qu'il s'agit d'un faux attentat.

Les incriminations contre Pesquet, Dahuron et Péquignot pour détention d'armes et contre François Mitterrand pour outrage à magistrat sont abandonnées à la suite de la loi d'amnistie générale qui est votée en [25].

Le , la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris confirme l'ordonnance de non-lieu[26]. La justice ne considère plus l'« attentat » de l'Observatoire comme une tentative de meurtre. François Mitterrand se pourvoit en cassation ; il se désistera discrètement de son pourvoi quelques mois plus tard[27].

Irrégularité dans l'enquête et intervention de Roland Dumas[modifier | modifier le code]

L'inertie de la justice entre 1960 et 1966 est remarquée par la presse[25]. Cette inertie peut s'expliquer par l'action de l'avocat de François Mitterrand, Roland Dumas. Maître Jacques Isorni, nouvel avocat de Pesquet, a informé Dumas que son client, impécunieux, souhaite monnayer une photo qui s'avèrerait compromettante pour le juge Braunschweig. Dumas rencontre Pesquet à Lausanne et fait l'acquisition de ladite photo pour une somme « rondelette » : le cliché date de 1939 et on y voit « quatre copains de régiment en tenue militaire (...) en y regardant de plus près on reconnaît au centre Pesquet et son ami Braunschweig. Le député et le magistrat avaient fait leurs classes ensemble à l'école des sous-officiers de Rambouillet »[28]. Cette relation aurait dû entraîner le dessaisissement du juge.

Roland Dumas, qui cherche à « embarrasser le magistrat », lui demande rendez-vous et lui montre la photo : « Il est devenu blanc et m'a demandé d'attendre un moment dans son cabinet pour aller en référer au procureur général (...) J'ai su par la suite que le procureur général lui avait demandé “de ne pas bouger”. Mais la panique était générale. De pourvoi en renvoi l'affaire ne fut jamais jugée (...)[29]. »

Suites judiciaires pour Robert Pesquet[modifier | modifier le code]

En la Cour de sûreté de l'État condamne Robert Pesquet à vingt ans de réclusion pour avoir commandé, au début de 1962, un groupe d'activistes du Calvados se réclamant de l'OAS. Le , venu de Suisse, il se constitue prisonnier à Paris. Deux jours plus tard, la chambre de contrôle de la Cour de sûreté de l'État fait droit à sa demande de mise en liberté provisoire[30]. Il est à nouveau condamné, le , à vingt mois de prison et 2 000 francs d'amende par la treizième chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour infraction à la législation sur les chèques, falsification de documents administratifs et usurpation d'état civil[31].

Postérité[modifier | modifier le code]

Évolution des versions de Pesquet[modifier | modifier le code]

La version des faits de Robert Pesquet a évolué avec le temps. Comme le fait remarquer l'historien Michel Winock, les déclarations de l'individu sont difficiles à croire dans la mesure où, peu honnête, il n'apportait en plus pas de preuve à ses dires[2]. On recense plusieurs versions différentes des faits.

En 1965, dans une lettre au Monde, Pesquet explique que le promoteur de l'attentat était Jean-Louis Tixier-Vignancour, aidé de Jean-Marie Le Pen. Pesquet lui-même n'aurait été, dans cette affaire, qu'un « exécuteur discipliné ». Il ajoute que François Mitterrand a été « un participant actif et conscient » du faux attentat et qu'il s'est « prêté à cette comédie dans le but de désamorcer un vrai complot contre sa personne, auquel il croyait fermement[32] ». Tixier-Vignancour et Le Pen démentent cette information et s'étonnent que, depuis six ans, « ni le pouvoir ni ses adversaires n'ont voulu faire vraiment la lumière sur cette affaire ».

En 1974, dans l'hebdomadaire d'extrême-droite Minute, Pesquet déclare : « C’est Michel Debré, alors Premier ministre, et Christian de la Malène qui ont tout organisé »[2].

En 1995, tout en maintenant la version de 1965, Pesquet la marie avec la version de 1974. Dans son livre Mon vrai-faux attentat contre Mitterrand - L'Observatoire, il fait état d'une manipulation gaulliste de l'idée de l'attentat, dont il ne serait pas l'inventeur. Selon lui, c'est à la demande de Michel Debré qu'il aurait approché Mitterrand, a priori pour discréditer celui qui venait d'abandonner l'idée de l'Algérie française, mais a posteriori pour donner à Debré un moyen de pression similaire à celui que Mitterrand aurait eu sur le ministre dans l'affaire du bazooka.

Enfin, dans un entretien diffusé dans un documentaire télévisé de Joël Calmettes diffusé le sur France 3, Pesquet se présente à nouveau comme l'« inventeur » de la machination, toujours destinée à discréditer Mitterrand pour l'abandon de la cause algérienne, mais affirmant que l'attentat avait été réellement envisagé par l'extrême droite.

Il décrit l'enthousiasme de Mitterrand pour une manipulation, qui, croit-il, va lui faire regagner les faveurs du public. Il explique avoir dans un premier temps rencontré François Mitterrand à deux reprises pour lui faire part des intentions d'un groupe d'extrême droite (ce qui est confirmé par Roland Dumas[33]), dont Pesquet se disait proche, de commettre un attentat sur sa personne. Ce faisant, Robert Pesquet met en garde François Mitterrand contre la révélation à la police de ce complot, affirmant craindre alors pour sa vie. Indiquant à François Mitterrand une date à laquelle l'attentat pourrait avoir lieu, il aurait recueilli alors des informations sur son itinéraire. Il décrit dans son livre la participation de Mitterrand à l'organisation du faux attentat :

« Nous en vînmes à notre projet : Mitterrand m’expliqua en détail la manière dont il le concevait.
— Jeudi soir, je dînerai chez Lipp avec Dayan. Vous vous présenterez à la porte un peu après minuit. Je sortirai aussitôt, monterai seul dans ma voiture, une 403 bleu nuit, immatriculée 9 ET 75. Vous me suivrez. Vous aurez quelqu’un avec vous ?
— Mon jardinier. C’est lui qui fera le carton.
— Qu’est-ce que vous avez, comme arme ?
— Une Sten.
— Méfiez-vous. On dit que ces engins ne sont pas fiables du tout.
— Je sais. Mais j’ai amplement eu, pendant la guerre, l'occasion de me familiariser avec leur fonctionnement… »

Cette narration est accréditée comme plausible par plusieurs proches de François Mitterrand[34].

Les différentes versions de Pesquet ne se rejoignent que par un point : Mitterrand aurait été pleinement au courant de la préparation de l'attentat, et il aurait encouragé son déroulement afin de se faire de la publicité. Toutefois, les nombreuses affirmations de Pesquet, qui varieraient trop au fil des années, ont poussé certains spécialistes à le décrire comme un « mythomane affabulateur »[35].

Popularité de François Mitterrand[modifier | modifier le code]

Malgré sa défense, François Mitterrand n'arrive pas à convaincre l'opinion publique, qui le considère comme coupable. Jean Lacouture écrit : « pendant des mois et bien davantage, Mitterrand-de-l'Observatoire pourra aisément faire le compte de ses amis et aura du mal à s'exprimer en public sans qu'un “Pesquet ! Pesquet !” ne couvre sa voix »[36].

Débats sur la responsabilité de François Mitterrand[modifier | modifier le code]

Plusieurs auteurs font remarquer que François Mitterrand, dans l'hypothèse même où il n'a pas commandité l'attentat, est en partie responsable de l'évènement par son absence de précautions. Comme le souligne Jean Lacouture, « la vilenie de ses adversaires ne suffit pas pour mettre François Mitterrand hors de cause » : en effet, si Maurice Bourgès-Maunoury a été l'objet de la même sollicitation de la part de Pesquet, l'ancien président du Conseil a eu le « réflexe sain » d'informer la police, ce que François Mitterrand n'a pas cru bon de faire. Le biographe trouve certaines circonstances atténuantes chez Mitterrand, qui vivait alors dans la « hantise de l'attentat » contre lui et sa famille[37].

Roland Cayrol écrit, dans François Mitterrand, 1945-1967, que « l'impression qui se dégage de cette affaire est confuse. Il semble certain que F. Mitterrand n'a nullement téléguidé l'opération. Mais sans doute a-t-il été imprudent. Peut-être même a-t-il envisagé de se servir de cet attentat, dont il avait été mis au courant, pour accroître sa popularité à gauche et pour se donner des arguments supplémentaires dans sa dénonciation de l'extrême-droite »[38].

On a ainsi pu mettre l'absence de communication avec la police sur le compte d'un manque de confiance en celle-ci[35]. Constantin Melnik, conseiller de Michel Debré chargé des services secrets entre 1959 et 1962, affirme que Mitterrand n'avait plus aucune confiance dans les services de police français et que cette méfiance n'était pas, selon lui, dénuée de fondement[39]. Cela explique l'étonnement d'Edwy Plenel qui, en 1995, interroge que Mitterrand ait « mystérieusement voulu manœuvrer au plus fin, laissant jouer la comédie de l'attentat sans alerter qui que ce soit avant sa mise en scène, sans même en donner les dessous aux policiers et au juge d'instruction chargés de l'enquête lors de ses premières auditions[40] ».

En 2015, un documentaire télévisé réalisé par François Pomès et faisant notamment intervenir Georgette Elgey, Roland Dumas, Claude Estier et Louis Mermaz, accrédite la thèse d'une manipulation orchestrée par Jean-Louis Tixier-Vignancour, avocat d'extrême droite, et Constantin Melnik, dont la participation reste floue. Robert Pesquet n'aurait été que le moyen pour réaliser ce complot. Selon Philip Short, le gouvernement était au courant depuis des semaines mais n'en avait rien dit afin de causer le maximum de tort politique à Mitterrand[6].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. De par le parcours en voiture puis à pied de Mitterrand (rue Guynemer, rue Auguste-Comte, avenue de l'Observatoire), il ne s'agit pas du jardin de l'Observatoire de Paris, qui se trouve derrière l'Observatoire de Paris, à l'autre bout de l'avenue de l'Observatoire, mais du jardin continuant le jardin du Luxembourg via l'avenue de l'Observatoire.

Références[modifier | modifier le code]

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  30. « M. Robert Pesquet s'est constitué prisonnier », Le Monde, .
  31. « Robert Pesquet condamné pour escroquerie », Le Monde, .
  32. « Le député de la Nièvre évoque la “machination” », Le Monde, .
  33. Lacouture et Rotman 2000.
  34. « Mitterrand et l’affaire de l’observatoire », Café découvertes, Europe 1, .
  35. a et b Mitterrand contre De Gaulle, France 3, 21 novembre 2012, de Joël Calmettes et Jacques Dubuisson. Réalisé par Joël Calmettes. Chiloé Productions, avec la participation de France 3.
  36. Lacouture 1998, p. 225.
  37. Lacouture 1998, p. 231.
  38. Roland Cayrol, François Mitterrand, 1945-1967, Presses de Sciences Po, (ISBN 978-2-7246-8473-5, lire en ligne)
  39. Constantin Melnik, Mille jours à Matignon : Raisons d'État sous de Gaulle, guerre d'Algérie 1959-1962, Paris, Grasset, , 310 p. (ISBN 2-246-39891-6).
  40. Edwy Plenel, « L'amoralisme des « affaires » », Le Monde, .

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Filmographie[modifier | modifier le code]

  • Joël Calmettes, Mitterrand et l'affaire de l'Observatoire, France, 2002.
  • François Pomès, La Vérité sur l'affaire de l'Observatoire, France, 2014 / Toute l'Histoire, RMC Découverte.

Émission de radio[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]