Culture swahilie

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Principales villes impliquées dans le commerce au XVIe siècle.
Routes commerciales de l'Océan Indien (ancien)
Commerce somali.

La culture swahilie (Uswahili en kiswahili) est la culture partagée par les populations de la côte de l'Afrique de l'Est. Le terme viendrait du pluriel du mot arabe sahel ساحل : sawahil سواحل, qui signifie côte ou frontière. Ces populations sont d'origine bantoue avec des apports arabes et, dans une moindre mesure, persans. Les cités-États côtières comme Mombasa, Gede, Malindi et les archipels de Zanzibar, des Comores, de Kilwa et de Lamu, formaient une unité de culture swahilie prospère et renommée, vivant du commerce de marchandises africaines destinées aux marchés locaux et orientaux. Ces populations parlaient des langues voisines, variantes du swahili, et partageaient un certain nombre de valeurs propres. C'est avant tout une culture urbaine, africaine et musulmane. Les Arabes appelaient al-Zanj (« les noirs ») les territoires sous la domination de ces cités, d'où le nom souvent donné à la région de « Zenj » ou « Zanguebar ».

Histoire[modifier | modifier le code]

Origines[modifier | modifier le code]

Pêcheurs traditionnels à Shimoni (Kenya).

Les témoignages sur les débuts de la culture swahilie sont anciens, notamment Le Périple de la mer Érythrée, un document du IIe siècle, et la Géographie de Ptolémée, datée de , reprise et corrigée sous sa forme définitive au IVe siècle[1]. Le Périple relate que les marchands yéménites qui visitaient l'Afrique de l'Est y contractaient des mariages[2]. D'autres témoignages corroborent le fait que la côte orientale de l'Afrique fait l'objet, depuis des millénaires et jusqu'à une période récente, de migrations en provenance du golfe Persique et de l'Inde[3]. Ces migrants sont parfois des familles importantes fuyant les conflits de leur zone d'origine[4], mais le plus grand nombre est celui des marins et des marchands[5] car cette zone de l'océan Indien est soumise à un régime de mousson, où les vents soufflent une partie de l’année d'est en ouest et en sens inverse le reste du temps. Cela favorise d'intenses échanges commerciaux, par voie maritime[6], y compris à longue distance, entre la côte orientale de l'Afrique, la péninsule arabique, l'Inde et, vers le XIVe siècle, la Chine. Le Périple de la mer Érythrée mentionne d'ailleurs parmi les épices commercées dans la région la cannelle, originaire d'Asie. Les relations entre les migrants arabo-persans et la population autochtone sont suffisamment pacifiques « pour que se développent un processus intense d'acculturation, une activité commerciale florissante et un partage du pouvoir entre les nouveaux-venus et les autorités autochtones[7]. »

C'est ainsi que la côte orientale de l'Afrique est déjà partiellement arabisée à l'époque pré-islamique[8] et la pénétration de l'Islam débute tôt, à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle. Au Xe siècle les îles proches du littoral sont islamisées[9] et c'est le cas pour le littoral au XIIIe siècle[10]. Dans le prolongement, les écrits d'Ibn Battûta (explorateur arabe) permettent de penser que la société swahilie avait, au XIVe siècle, adopté partiellement des éléments du système juridique musulman[11]. L'islamisation des peuples de la côte (sawahil en arabe) fut en partie forcée, prise comme une manière d'éviter l'esclavage : c'est ainsi que la population de la côte africaine s'est différenciée des païens du continent, appelés koufar en arabe, terme que l'on retrouve encore dans le mot réunionnais « cafre », qui y désigne encore les habitants d'origine africaine.

L'autre aspect de la culture swahilie est l'émergence de la famille de langues swahilies, langues bantoues, incorporant un important lexique arabe et persan[12],[note 1]. Une forme de « proto-swahili » se développe au VIIIe siècle[13] et « le kiswahili était probablement déjà parlé dès le IXe siècle dans les établissements du nord avant de se propager vers le sud à la faveur de la migration de ces bantuphones du nord et devenir progressivement la langue dominante sur toute la côte[14] »[15]. À l'origine, le swahili est transcrit en adjami, c'est-à-dire en caractères arabes[11] avant de l'être en caractères latins à partir du XIXe siècle sous l'influence des Européens[16].

Les populations bantoues propagent la culture swahilie : « entre le VIIe et le XVe siècle, elles fondèrent des ports et établissements sur plus de trois mille kilomètres le long de la côte[17] ». L'aire swahilie s'étage du sud de la Somalie au nord du Mozambique[18].

L'apparition et l'expansion des premières cités-États[modifier | modifier le code]

Boutre traditionnel swahili à Zanzibar.

Des cités-États commerçantes sont fondées par les migrants arabes dans les archipels de Lamu, de Zanzibar, puis plus tard des Comores et Kilwa, ainsi sur les villes continentales de Pate, Manda, Lamu, Malindi, au Kenya), Pemba, Zanzibar, Mafia, Kilwa et jusqu'à Sofala[19]. « Les cités-États de la côte orientale de l’Afrique, bien que souvent insulaires, ne tournaient pas le dos au continent africain et ne se consacraient pas exclusivement aux échanges maritimes. En effet, les agglomérations swahili reposaient en grande partie sur des liens de complémentarité avec leur arrière-pays situé sur le continent[20]. »

Les Shirazis s’installent notamment[21] à Kilwa qui devient le centre de commerce le plus florissant de la région au XIe et surtout au XIVe siècle, en partie grâce aux commerces d’ivoire d’éléphants et d’hippopotames, de cornes de rhinocéros, de cuivre, d'écailles de tortue, de perles et principalement grâce à l’or en provenance des mines de Sofala, dans l’actuel Mozambique. Le XIIIe siècle apparaît comme un âge d'or, avec la construction de nombreux monuments en pierre, et la présence de marchandises venues du monde entier.

La région commerce avec l’Europe, le monde islamique et même la Chine. Le commerce vers l'Extrême-Orient s'intensifie aussi pour atteindre sa plus grande expansion sous les Ming. En 1414, une ambassade de la ville de Malindi amène avec elle à la cour de Chine une girafe, qui fit forte impression. En 1417-1419 et 1431-1433, l'amiral chinois musulman Zheng He, conduit deux grandes expéditions sur la côte africaine et parvient à Malindi. Ces villes commerçaient également l'ébène, le bois de santal et les esclaves. Kilwa est à cette époque décrite comme étant une des villes les plus élégamment bâties du monde. Les habitants de la côte sont décrits comme étant bien nourris[note 2] de mets riches et exotiques, habillés somptueusement. Des caravanes commerciales s’enfoncent de plus en plus profondément dans les terres jusqu’aux grands lacs pour récupérer les précieuses marchandises qui sont réexpédiées vers le Moyen-Orient. Cette culture s'est ainsi répandue de la Somalie jusqu'aux côtes de Madagascar (Nosy Be), des Comores et du Mozambique.

Découverte par les Européens et conquête portugaise[modifier | modifier le code]

Vasco de Gama.

Mais ces villes se font concurrence et se querellent, changent régulièrement d'alliance. Elles n’opposent pas un front uni lorsque le Portugais Vasco de Gama arrive sur la côte en mars 1498 avec trois caravelles. L'accueil de la population est réservé face à ces concurrents potentiels et chrétiens qui arrivent par une route commerciale inédite. À Mombasa, les Portugais échappent de peu à une embuscade. Le sultan de Malindi, rival de celui de Mombasa, les accueille en revanche chaleureusement et leur fournit un pilote qui leur indiquera les routes maritimes de la région.

Face à ce nouveau concurrent, l'importance politique et la richesse de ces cités diminue. Elles finissent par perdre leur indépendance face aux Portugais qui utilisent les armes à feu et doivent payer un tribut. Zanzibar est prise en 1503 et soumise à tribut par Ruy Lourenço Ravasco ; entre 1505 et 1507, les activités économiques sombrent avec la destruction de Kilwa et la chute de Mombasa et de Baraawa[22], à la suite des raids des troupes de Francisco de Almeida détruisant quelques-uns des plus beaux fleurons de l'architecture swahilie. Seule Mogadiscio au nord de la côte échappe aux Portugais. La domination portugaise n'est pas sans heurts, des mesures coercitives obligent un sultan de Grande Comore à s'enfuir à Mayotte[réf. nécessaire]. En 1528, Mombasa, révoltée, est à nouveau mise à sac.

Parallèlement, en 1587, le massacre des Portugais de l’île de Pemba a été une première alerte pour les occupants européens. Plus tard des responsables portugais qui refusaient de se convertir à l'islam sont exécutés en 1631 à Mombasa conquise en 1599 seulement. Les Portugais n'hésitent pas à utiliser les peuples de l'intérieur tel les Zimba, réputés cannibales, pour défaire les turcs/arabes et soumettre Lamu en décapitant son sultan[réf. nécessaire].

L'Empire ottoman s'intéresse également à la région au XVIe siècle, et engage plusieurs Expéditions navales ottomanes dans l'océan Indien, amenant à des batailles contre les troupes portugaises. L'amiral Piri Reis dresse de nombreuses cartes et descriptions de la région. Mais plusieurs défaites cuisantes et l'absence de connexion maritime directe avec la Turquie font finalement abandonner à l'empire toute ambition sur la région en 1589, au profit du sultanat d'Oman.

En 1698, l’imam de Mascate en Oman, Sayyid Said bin Sultan Al-Busaid, encourage les Arabes à se révolter, monte une armée de 3 000 hommes, et parvient à reprendre Mombasa aux Portugais, puis Kilwa et Pemba l’année suivante. Les Portugais tentent différentes contre-offensives, reprennent même brièvement Mombasa, mais sont définitivement expulsés de la côte swahilie en 1729, et se réfugient plus au sud au Mozambique.

Avec la chute des Portugais, la présence européenne dans l'océan Indien s'estompe fortement, à l'exception des lointaines Mascareignes.

En 1751, l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert définit ainsi la région de culture swahilie, encore appelée « Zanguebar » :

« contrée d’Afrique, dans la Cafrerie, le long de la mer des Indes. On prétend que c’est la contrée que Ptolomée nomme Agisimba. Elle s’étend depuis la riviere de Jubo, jusqu’au royaume de Moruca, & comprend plusieurs royaumes, dont les principaux sont Mozambique, Mongale, Quiloa, Monbaze, & Mélinde. Voyez la carte de M. Damville. C’est un pays bas rempli de lacs, de marais, & de rivières. Il vient dans quelques endroits un peu de blé, de millet, des orangers, des citrons, &c. [...] les habitants sont des Nègres[note 3], au poil court & frisé ; leur richesse consiste dans les mines d’or, & dans l’ivoire ; ils sont tous idolâtres ou mahométans ; leur nourriture principale est la chair des bêtes sauvages, & le lait de leurs troupeaux[23]. »

L'âge d'or de Zanzibar[modifier | modifier le code]

Carte de l'empire colonial du sultanat d'Oman vers le milieu du XIXe siècle Extension maximale du sultanat de Mascate et Oman au XIXe siècle. À la scission en 1861, le sultanat de Zanzibar conservera tout le zanguebar, c'est-à-dire les territoires entre la Somalie et le canal du Mozambique.
Aire de la langue kiswahili.

Avec l'éviction des Portugais, le puissant sultanat d'Oman est le maître incontesté de l'océan Indien occidental entre 1780 et 1860, régnant sur un vaste empire colonial qui bénéficie de sa situation stratégique entre Afrique, Asie et Moyen-Orient (donc la porte de l'Europe). La taille colossale de cet empire et sa fragmentation (il est essentiellement constitué de ports) oblige à donner une grande indépendance aux chefs locaux, ce qui donne notamment un pouvoir considérable au gouverneur de Zanzibar. Certains sultanats demeurent cependant indépendants, comme ceux des Comores. C'est à cette époque que la culture swahilie s'affirme et s'individualise, à la croisée entre cultures arabe (omanaise), africaine (bantoue), persane (shirazi) et indienne, qui influencent la religion, l'architecture, la littérature, les vêtements et la gastronomie.

Le zanj (« Zanguebar » en français), la côte du continent et des îles, fait fortune dans le commerce des denrées africaines (notamment l'or, l'ivoire et les esclaves), puis en utilisant massivement les esclaves dans des grandes plantations de clous de girofle à l'instigation des Britanniques. Il fait également cultiver de façon intensive les oranges, cocos... La capitale du sultanat, de par l'afflux des richesses, est transférée d'Oman à Zanzibar en 1840 : c'est désormais le fils du « sultan d'Oman et de Zanzibar » qui est gouverneur de la province d'Oman, depuis Mascate. Cela qui ne va pas sans poser des problèmes aux Omanais, qui considèrent ces Africains avec mépris. Pendant ce temps, le chirurgien français Morice devient l'ami du sultan de Kilwa et obtient des terres et l'exclusivité sur la traite des esclaves.

Quand, en 1698, les Omanais prennent le contrôle de l’ile de Zanzibar, ils se redistribuent les terres les plus fertiles, les plantations de dattes et de canne à sucre, et asservissent les fermiers africains. Ils font appel à des ethnies africaines pour obtenir des esclaves supplémentaires. À partir de 1830, le besoin de main d'œuvre s’accentue pour 2 raisons : une demande accrue d’ivoire -dont l’Inde était déjà grande consommatrice- devenu à la mode en Occident pour la fabrication de boules de billard, poignées de porte, touches de piano, peignes et accessoires divers ; et l'introduction de la culture du clou de girofle dont Zanzibar devint un des principaux producteurs au milieu du XIXe siècle. Les Zanzibarites décident alors de prendre les choses en main et de monter des expéditions caravanières vers l’intérieur du pays pour en ramener esclaves et ivoire. Ils créent une série de stations relais pour les caravanes (la première fut établie à Ujiji au bord du lac Tanganyika en 1830) Dans les années 1860, 40 000 Africains arrivaient à Zanzibar chaque année. Deux tiers étaient employés dans les plantations locales, tandis que les autres y transitaient pour être revendus dans tout l’Empire ottoman, le Moyen-Orient, l’Inde et la Perse. Sur une population totale de 300 000 habitants environ, on comptait 200 000 esclaves, soit deux tiers de la population. Le sultan Seyyid Said possédait 45 plantations, dont une regroupant plus de 6 000 esclaves. Les conditions de vie sur les plantations étaient si dures qu’on estime à 30% le nombre d’esclaves mourant chaque année et qu’il fallait donc remplacer. Ce qui explique l'héritage de haine qui explosa après l’indépendance de l’île fin 1963 : Zanzibar devint une monarchie constitutionnelle dirigée par le sultan mais le gouvernement fut renversé un mois plus tard et une république populaire fut proclamée. Plusieurs milliers d’Arabes, de Zanzibaris d’ascendance arabe et des civils indiens furent tués, des milliers d’autres furent emprisonnés et expulsés. Dans la 2e moitié du XIXe siècle, la traite swahilie, appelée en France arabo-musulmane, dévaste la région des lacs. Après s'être longtemps approvisionnés en esclaves auprès de certaines ethnies africaines, les Zanzibarites montent des expéditions caravanières dans toute la région de grands lacs pour en ramener esclaves et ivoire. Les 2 premiers explorateurs envoyés par la Société royale de géographie pour cartographier l'intérieur, alors inconnu, de l'Afrique de l'est, John Speke et Richard Burton, atteignent les lacs Tanganyika et Nyanza (futur Victoria) en 1857/8 et découvrent l'ampleur et les ravages de la traite arabo-musulmane. Ils parcourent un vaste territoire saigné à blanc par les traitants zanzibarites (villages brûlés, cultures et animaux volés, voire massacres de populations (comme le célèbre massacre de Nyangwe décrit par Livingstone). Ce sont eux, et les suivants (Grant, Livingstone, Stanley et Cameron) qui feront appel -en vain- au gouvernement britannique pour qu'il intervienne avant, disent-ils, que les Africains de l'Est soient rayés de la carte. En 1873, en hommage posthume à Livingstone (qui avait fait de la suppression de la traite son combat) les Britanniques obtiennent la fermeture du très important marché d'esclaves de Zanzibar. Par ailleurs leurs patrouilleurs sur les côtes de l'océan Indien - qui avaient pour mission de protéger leurs bateaux en route pour l'Inde des attaques des pirates somaliens- arraisonnent s'ils le peuvent les dhows (boutres) chargés d'esclaves qu'ils libérent. À la fin des années 1870 s'installent les premières missions sur le lac Nyassa (Malawi actuel) puis sur le Tanganyika, qui vont combattre l'esclavage et peu à peu ralentir la traite.

La colonisation européenne[modifier | modifier le code]

En 1885, un accord tacite partage la région entre les grandes puissances :

À la mort du sultan de Zanzibar en octobre 1856, une guerre de succession éclate. Soutenu par l'Angleterre et la France qui cherchent à étendre leur influence dans l'océan Indien, le sultanat de Zanzibar fait sécession le avec à sa tête le sultan Barghash, ne laissant que des miettes d'empire à l'Oman, désormais en fort déclin et sous domination britannique. L'arrogance du nouveau sultanat de Zanzibar ne dure cependant pas, puisqu'à partir des années 1885 l'empire est progressivement démantelé par la colonisation anglaise et allemande (Afrique orientale allemande, future Tanzanie). Le , Zanzibar, affaibli économiquement, passe sous protectorat britannique, le sultan n'ayant plus qu'un rôle restreint, et ne laissant pas d'héritier[24].

Le Royaume-Uni contrôle finalement tout le commerce de la région, établit sa souveraineté sur le Kenya en 1890 au détriment de l'Allemagne (qui cédera le reste de ses colonies pendant la Grande Guerre) et finit par imposer l'abandon de l'esclavage. Le sultan Hamoud ibn Mohammed l'interdit en 1897. Seules les villes de la Somalie restent indépendantes, luttant contre l'Éthiopie, avec une présence italienne discrète.

Cependant, la culture et surtout certains dialectes des langues swahilies ont continué à se répandre sur le continent, si bien que la zone d'utilisation des langues swahilies recouvre une bien plus grande zone que celle de la culture swahilie proprement dite, jusqu'en actuelle république démocratique du Congo.

Décolonisations et rattachements[modifier | modifier le code]

Les pays swahilis font partie de la vague d'indépendances des années 1960 : Madagascar dès 1960, le Kenya en 1963, la Tanzanie en 1964 (incorporant Zanzibar, qui aura été indépendante un an), le Mozambique et les Comores en 1975, et enfin les Seychelles en 1976. La cohésion de la culture swahilie se retrouve donc morcelée dans plusieurs états distincts, dont certains sont de vastes pays africains à majorité non musulmane dans lesquels la bande côtière constitue une région économiquement et culturellement importante mais dépourvue de pouvoir politique (la capitale du Kenya est Nairobi et celle de la Tanzanie Dodoma ; Maputo, capitale du Mozambique, n'a jamais fait partie de l'aire culturelle swahilie). L'unité du zanguebar n'est dès lors plus qu'historique, et partiellement linguistique.

La seule présence européenne dans cette région du monde au XXIe siècle est la France, représentée par le département de Mayotte (départementalisée sur referendum local en 2009, malgré une revendication par les Comores) ainsi que les Îles Éparses de l'océan Indien, ensemble d'îles désertes situées autour de Madagascar et territoires d'outre-mer français malgré là encore des revendications de plusieurs pays, notamment Madagascar et Maurice. Toutes font partie d'un vaste réseau de réserves naturelles, et ne sont visitées quasiment que par des scientifiques.

Au début du XXIe siècle, une nouvelle forme de coopération régionale recommence à émerger à travers la mer, avec des institutions transnationales comme le Western Indian Ocean Marine Sciences Association (WIOMSA)[25] ou le South West Indian Ocean Fisheries Governance and Shared Growth Program (SWIOFish)[26].

voir aussi : Histoire de la Tanzanie dont Histoire de Zanzibar, Histoire du Kenya, Histoire du Mozambique, Histoire de la Somalie et Histoire des Comores.

Le Zanj[modifier | modifier le code]

Le Gingembre, épice très répandue dans la gastronomie swahilie, tire son nom français de cette région (Zingiber officinale en latin, zenzero en italien).

La côte orientale bénéficie de vents de mousson qui soufflent d’avril à août dans un sens, puis changent d’orientation de décembre à mars. Ce système cyclique permet aux bateaux arabes et indiens d’aborder facilement les côtes africaines puis de repartir vers leur point d’origine tout aussi aisément[6]. Le Zanj (arabe et persan زنج, francisé en Zanguebar) est le territoire où s'étend le contrôle des États-cités swahilis tandis que la mer de Zanj désignait l'océan Indien de l'Ouest y compris notamment les Mascareignes.

Les géographes arabes divisaient la côte est africaine en quatre régions :

  • le pays des Barbaris ou Bilâd al-Barbar, qui représente la côte somalienne ;
  • le pays des Zanj ou Bilâd al-Zandj ;
  • le pays de Sofala, Bilâd al-Sufâla, zone comprise entre les embouchures du Zambèze et du Limpopo, appelée aussi l’or de Sofala ou Sufâla al-dhahab ;
  • le mystérieux pays des Wâk-wâk, qui est peut-être la grande île de Madagascar.

Le terme Zanj a également été utilisé par les sultans de Zanzibar pour désigner spécifiquement la bande de terrain de quelques kilomètres qu'ils pouvaient contrôler à l'intérieur du continent.

Les principaux archipels, îles et villes de l'aire culturelle swahilie sont :

(à vérifier Kua, Mahilaka, Ungwana).

Relation avec les autres peuples[modifier | modifier le code]

En raison de leur position d'intermédiaires entre les commerçants de l'océan Indien et les sociétés africaines de l'arrière-pays, les Swahili ont généralement veillé à entretenir de bonnes relations avec leurs partenaires et voisins, fondées sur une tolérance religieuse, le partage de pratiques et goûts communs, et les profits du commerce. Ce qui n'excluait pas des conflits fréquents, tant avec leurs voisins du continent, parfois très puissants, qu'avec les nations venues sur la côte avec des objectifs impérialistes (Portugais, Omanais).

L'esclavage[modifier | modifier le code]

Des inscriptions javanaises et des textes arabes montrent l'extension de ce commerce aux IXe et Xe siècles. L'inscription de Kancana notamment, trouvée dans l'Est de Java (Indonésie) et datée de 860 ap. J.-C., mentionne, dans une liste de personnes dépendantes, le mot jenggi, c'est-à-dire zenj. Un ouvrage arabe, les Merveilles de l'Inde, rapporte le témoignage d'un marchand du nom d'Ibn Lakis qui, en 945, voit arriver sur la côte de Sofala, « un millier d'embarcations » montées par des Waq-waq qui viennent d'îles « situées en face de la Chine » chercher des produits et des esclaves zenj. Néanmoins la traite des esclaves reste relativement modeste sur la côte swahilie entre le XIe et le XVIe siècle, car la demande n'est pas considérable et le commerce depuis d'autres régions suffit à la combler. Cependant, à partir du milieu du XVIe siècle, la traite en direction de l'Arabie connaît une hausse sensible. Les commerçants Yéménites, Javanais, et Shiraziens ont beaucoup contribué à l'édification d'une culture régionale propre à la sous-région que l'on appelle la culture malgache que l'on trouve à Madagascar, Mayotte, Moheli.

De nombreuses cités-états de la culture swahilie ont fondé une grande partie de leur fortune sur le commerce d'esclaves africains (koufar ou « cafres »), comme Anjouan. Cet état de fait a pu entraîner une bipartition entre la population swahilie de la côte, lettrée, urbaine et islamisée, et des peuples africains païens souvent méprisés et considérés comme des réservoirs d'esclaves.

Relations entre populations swahilies[modifier | modifier le code]

Les relations entre les îles n'ont souvent pas été pacifiques. Les guerres pour le contrôle des ressources ont été nombreuses. Les relations entre les habitants ne semblent pas non plus toujours avoir été uniquement bienveillantes, preuve que ces peuples se sentent bien différents les uns des autres[réf. nécessaire]. Durant la Révolution de Zanzibar, il semble que les Grand Comoriens, particulièrement nombreux, aient subi une certaine forme d'ostracisme[28]. Une certaine forme de racisme s'observe également à Mayotte, vis-à-vis des autres Comoriens, pour une bonne part en situation irrégulière, depuis l'ancrage de l'île à la France[29].

Structure de la société[modifier | modifier le code]

Comme de nombreuses sociétés bantoues l'individu n'est rien face au groupe. Appartenir au groupe est le fondement de la société et toute mise à l'écart est la plus sévère des punitions. Ainsi l'appartenance se définit d'abord par le lieu d'origine ensuite par l'appartenance à des sociétés de type initiatique. Ces liens forment un quadrillage qui définit un individu.

Les classes sociales[modifier | modifier le code]

Il existe des classes sociales nobiliaires. Les descendants de serviteurs restent clients de la famille des maîtres de leurs parents. Il est très difficile de sortir de ce carcan pour un individu.

La société de type initiatique[modifier | modifier le code]

Comme typiquement dans les sociétés bantoues, il existe une organisation de la population en classes d'âge et en différents mérites ou rituels accomplis. Cette organisation permet un certain mixage social qui sert à la fois d'ascenseur social et d'échappatoire (un co-initié, même noble, peut y être brocardé par exemple).

La place de la femme[modifier | modifier le code]

La société, bien que musulmane (et historiquement souvent polygame), garde un caractère matrilinéaire fort. Un matriarcat puissant est encore en place aux Comores et à Mayotte, où les femmes gèrent seules les finances de toute leur maisonnée, ont un rôle central dans la politique et peuvent répudier leur mari[30]. Les hommes doivent souvent se fendre d'une dot très onéreuse pour contracter un mariage, qui donne facilement lieu à des festivités somptueuses[31].

Art et littérature[modifier | modifier le code]

Porte sculptée à Zanzibar

Artisanat[modifier | modifier le code]

En accord avec leur héritage musulman, les swahilis n'utilisent pas d'image dans les décors mais préfèrent utiliser des motifs géométriques. Les meubles traditionnels remarquables sont les lits à baldaquin, les meubles de coin. Les remarquables grandes portes sculptées en bois sont typiques.

Chaque île a certaines spécialités, ainsi Zanzibar conserve la tradition de la construction de coffres en bois. L'industrie du tourisme préserve une certaine forme d'art et de savoir-faire qui autrement auraient disparu du fait de la paupérisation et de l'occidentalisation de la région.

Musique[modifier | modifier le code]

Le twarab est une forme de chant et une musique originale très prisée. Les mélodies sont rythmées et sont encore aujourd'hui traditionnellement jouées pendant les mariages et les assemblées. Les réunions de twarab peuvent être mixtes. Aux instruments traditionnels arabes sont aujourd'hui ajoutés des instruments africains et occidentaux.

Cuisine[modifier | modifier le code]

La cuisine swahilie est fortement influencée par la cuisine indienne mais aussi arabe et bien sûr africaine. C'est donc une cuisine épicée. Les plats les plus réputés sont les birianis, pilaus, les mkaté (gâteau de farine). La banane plantain est également consommée ainsi que le manioc. Traditionnellement les swahilis sont musulmans, par conséquent ils ne mangent pas de porc.

Architecture[modifier | modifier le code]

Beit-al-Sahel à Zanzibar

Les villes forment des médinas et forment une unité visible sur toutes les côtes de la Somalie au nord de Madagascar. Le style est essentiellement d'inspiration arabe avec des modifications africaines locales. On y retrouve les arches, les cours extérieures, les quartiers pour les femmes, les mihrab, les tours, les éléments de décoration de style arabe. La vieille ville de Mji Mkongwe à Zanzibar est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco[32].

Littérature[modifier | modifier le code]

Les plus anciens documents originaux écrits en langue swahili (en caractère arabe) datent de 1711, il s'agit de lettres rédigées à Kilwa à destination des Portugais de Mozambique. Selon les spécialistes de la littérature swahili, le plus ancien poème rédigé en swahili connu à ce jour daterait du XVIIe siècle, mais nous ne possédons pas le manuscrit original. La fameuse Chronique de Kilwa, mise par écrit vers 1520, fut rédigée en arabe et les inscriptions et pièces de monnaie anciennes sont toutes en arabe. Nous pouvons par conséquent supposer que les Swahili commencèrent à retranscrire leur langue, à l'aide de l'alphabet arabe, vers les XVIe-XVIIe siècles.

Il existe plusieurs chroniques dont les auteurs ne sont pas connus et la date de rédaction incertaine. Outre la Chronique de Kilwa, la Chronique de Pate est l'une des plus connues mais elle est bien plus tardive (vers 1900).

La littérature connue est tardive et se compose de romans (riwaya), de drames (tamthilia), de poèmes (shairi) et d'épopées (utenzi). Les premières œuvres connues sont notamment lUtendi wa Tambuka (vers 1728) et lUtenzi wa Shufaka. Très connus également sont les poèmes et chansons du cycle légendaire de Fumo Liyongo. Il existe un renouveau de la littérature en kiswahili, qui cependant n'est pas à proprement parler de culture swahilie, mais qui en hérite.

Us et coutumes[modifier | modifier le code]

une sépulture datée du XVe siècle à Gede.

Religion et croyances[modifier | modifier le code]

Cette société, arabisée avant même l'émergence de l'islam[8], s'est islamisée tôt. Cependant, l'islam des swahilis a gardé certains éléments africains. Comme souvent en Afrique, on peut parler de syncrétisme entre le fonds originel et la religion importée[33],[34].

Chaque ville et village possède sa medersa et sa mosquée.

L'heure[modifier | modifier le code]

Un des aspects des plus anecdotiques, mais marquant le plus le voyageur est la gestion du temps. D'une part la notation des heures est différente et d'autre part la perception de ce temps, comme dans le reste de l'Afrique est différente. La journée est divisée en deux périodes, la période de jour et la période de nuit. À 6 heures, heure du lever du soleil, correspond la première heure du matin, à 18 heures, heure du coucher du soleil correspond la première heure de la nuit. Ainsi 3 heures du jour correspond à 9 heures du système international

Les coutumes funéraires[modifier | modifier le code]

Les coutumes funéraires sont également voisines. Les tombes à piliers, ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le monde musulman et sont une invention purement locale à partir de formes architecturales peut-être pré-islamiques. Elles n'existent pas aux Comores, mais on retrouve à Mayotte des tombeaux à dôme exactement similaire à ceux de l'archipel de Lamu.

L'héritage[modifier | modifier le code]

On pense que l'architecture swahilie a inspiré les constructeurs du Grand Zimbabwe. Cette culture est encore vivace dans les îles des côtes tanzaniennes et kényanes ainsi qu'aux Comores, et se transforme en fonction des influences des anciennes puissances colonisatrices (Royaume-Uni, France, Portugal).

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. La plus importante aujourd'hui est le kiswahili, parlée par quarante à cinquante millions de locuteurs[3].
  2. Ibn Battûta visite la côte en 1331, jusqu'à Kilwa, ce qu'il relate dans son Rihla (« Les Voyages »).
  3. Ce terme n'a aucune connotation péjorative à cette époque.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 56-57.
  2. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 62.
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  4. Luffin 2005, p. 180.
  5. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 64-65.
  6. a et b Pradines 2012, § 4.
  7. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 65.
  8. a et b Youssif Elias, « Islam et vie culturelle en Afrique », Éthiopiques, no 29,‎ (lire en ligne)
  9. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 58.
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  11. a et b Histoire générale de l'Afrique, vol. 4, p. 507.
  12. Odile Goerg (dir.) et Anna Pondopoulou (dir.), Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l'épreuve de l'histoire. Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, Karthala, , p. 51
  13. Massamba 2013, p. 8.
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  15. (en) Derek Nurse et Thomas Spear, The Swahili : Reconstructing the History and Language of an African Society, 800-1500, University of Pennsylvania Press, (lire en ligne), p. 46
  16. Xavier Garnier et Nathalie Carré, « Présentation du swahili », sur ellaf.huma-num.fr, Encyclopédie des Littératures en Langues Africaines - CNRS
  17. Le Guennec-Coppens et Mery 2002, p. 61-62.
  18. Bart 2008, Résumé.
  19. Agnès Molia & Raphaël Licandro, « Enquêtes archéologiques - L'histoire oubliée des Swahilis », sur arte.tv, .
  20. Thomas Vernet, « Le territoire hors les murs des cités-États swahili de l’archipel de Lamu, 1600-1800 », Journal des africanistes, vol. 74, nos 1/2,‎ , p. 381-411.
  21. Jean-Claude Penrad, « Swahili. Naissance et histoire d'une communauté », Encyclopædia Universalis en ligne
  22. (en) « Timeline of Portuguese Activity in East Africa. 1498-1700 », sur fijibure.com
  23. L’Encyclopédie, 1re édition, 1751, article « ZANGUEBAR » (Tome 17, p. 691).
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  28. Toibibou Ali Mohamed, « Les Comoriens de Zanzibar durant la « Révolution Okello » (1964-1972) », Journal des africanistes, vol. 76, no 2,‎ (lire en ligne)
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  34. Pradines 2012, résumé.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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  • Françoise Le Guennec-Coppens (dir.) et Pat Caplan (dir.), Les Swahili entre Afrique et Arabie, Karthala, , 214 p.
  • Djibril Tamsir Niane (dir.), Histoire générale de l'Afrique, vol. 4 : L’Afrique du XIIe au XVIe siècle, UNESCO,
  • Françoise Le Guennec-Coppens et Sophie Mery, « Les Swahili : une singularité anthropologique en Afrique de l'Est », Journal des africanistes, t. 72, no 2,‎ , p. 55-70 (lire en ligne)
  • Thomas Vernet, Françoise Le Guennec-Coppens et Sophie Mery, « Les cités-États swahili et la puissance omanaise, 1650-1720 », Journal des africanistes, t. 72, no 2,‎ , p. 89-110 (DOI 10.3406/jafr.2002.1308)
  • Xavier Luffin, « Nos ancêtres les Arabes... », Civilisations, no 53,‎ , p. 177-209 (DOI 10.4000/civilisations.613, lire en ligne)
  • Pascal Bacuez, « Djinns et sorcellerie dans la société swahili », Journal des africanistes, t. 77, no 1,‎ (lire en ligne)
  • François Bart, « Les paradoxes du littoral Swahili », EchoGéo, no 7,‎ (DOI 10.4000/echogeo.8623, lire en ligne)
  • Stéphane Pradines, « Commerce maritime et islamisation dans l’océan Indien : les premières mosquées swahilies (XIe et XIIIe siècles) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 130,‎ (lire en ligne)
  • David P. B. Massamba, Histoire de la langue swahili. De 50 à 1500 après J.-C., Karthala, (présentation en ligne)
  • (en) Matthew D. Richmond, A guide to the seashores of Eastern Africa : and the Western Indian Ocean islands, Sida (SAREC), , 448 p. (ISBN 91-630-4594-X).
  • Philippe Beaujard, Les mondes de l'océan Indien, Paris, Armand Colin, , 648 p. (ISBN 978-2200277086).

Sources anciennes[modifier | modifier le code]

Filmographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]