Construction à la règle et au compas

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Euclide a fondé sa géométrie sur un système d'axiomes qui assure en particulier qu'il est toujours possible de tracer une droite passant par deux points donnés et qu'il est toujours possible de tracer un cercle de centre donné et passant par un point donné. La géométrie euclidienne est donc la géométrie des droites et des cercles, donc de la règle (non graduée) et du compas. L'intuition d'Euclide était que tout nombre pouvait être construit, ou « obtenu », à l'aide de ces deux instruments.

Cette conjecture va d'une part remettre en question la définition d'un nombre : les nombres rationnels ne suffisent pas à exprimer toutes les longueurs puisque la diagonale d'un carré de côté 1 est constructible, mais correspond au nombre 2 dont on démontre facilement qu'il ne saurait être le rapport de deux entiers et, d'autre part, engager la communauté mathématique dans la recherche de résolutions impossibles, comme la quadrature du cercle, la trisection de l'angle et la duplication du cube. La recherche des nombres constructibles et des polygones constructibles débouchera, après le développement de l'algèbre et de la théorie de Galois, sur le théorème de Gauss-Wantzel sur les polygones constructibles et sur le théorème de Wantzel pour les nombres constructibles.

Georg Mohr (1672) puis Lorenzo Mascheroni (1797) prouveront que toute construction à la règle et au compas peut se réaliser au compas seul.

Architecture[modifier | modifier le code]

Architectes médiévaux - Dictionnaire raisonné de l'architecture française (Viollet-le-Duc).

Les liens qui unissent les constructions à la règle et au compas avec l'architecture sont très étroits :

« La géométrie offre plusieurs ressources à l'architecte : elle le familiarise avec la règle et le compas, qui lui servent surtout à déterminer l'emplacement des édifices. (Vitruve). »

Au Moyen Âge, l’architecte, plutôt appelé « maître de l’œuvre », possède des connaissances élémentaires de géométrie : E. Viollet-le-Duc voyait dans l'abbaye de Cluny le principal foyer de la renaissance des arts libéraux issus du quadrivium[1], au rang desquels se trouve la géométrie. Dans une société où peu savent lire, le plan, construit à la règle et au compas, est le seul moyen de communication simple entre l'architecte et les ouvriers. Se pose cependant le problème de l'échelle puisque les unités de longueur ne sont pas complètement normalisées. Sur le terrain s'active alors, avec son compas, le parlier ou maître de chantier qui fait le lien entre l'architecte et les ouvriers. Ceux-ci utilisent pour leur « art du trait » un compas et une règle, mais aussi, quand la taille des mesures est trop importante, le cordeau qui remplace indifféremment la règle (trait tiré au cordeau) et le compas. Associés à l'équerre, la règle et le compas deviennent alors le symbole de l'architecte, maître architecte des cathédrales ou architecte du monde. Ainsi les retrouve-t-on dans l'emblème de la franc-maçonnerie.

Art[modifier | modifier le code]

Le rôle de la construction à la règle et au compas dans les œuvres artistiques dépend beaucoup de l'époque et des courants artistiques.

Dans les icônes byzantines, la règle et le compas définissent le canon de la représentation. La tête des saints, par exemple, est construite sur la base de trois cercles concentriques : un pour le visage, l'autre pour les contours de la tête et le troisième pour l'auréole. La règle et le compas jouent le même rôle de canon dans la construction des mandalas dans le bouddhisme tibétain : construits initialement à l'aide d'une règle et d'un compas, ils sont ensuite réalisés en sable de couleur.

Lettre O - Francesco Torniello.

À la Renaissance, l'Occident redécouvre les Éléments d'Euclide[2] (traduction de 1482). Les artistes italiens voient alors dans les constructions à la règle et au compas une source d'harmonie. Léonard de Vinci inscrit son Homme de Vitruve dans un cercle et un carré. Albrecht Dürer, auteur du livre Instructions pour la mesure à la règle et au compas, construit son Adam et Ève à l'aide de cercles et de droites. En typographie également, les artistes essaient de trouver une codification harmonieuse des lettres romanes. Felice Feliciano (1460) semble être le premier à construire des lettres à la règle et au compas. Francesco Torniello, Luca Pacioli et Albrecht Dürer lui emboîtent le pas. Ce mouvement perdure jusqu'en 1764, date à laquelle Fournier, dans son Manuel de typographie, s'inscrit en faux contre l'idée que l'harmonie des lettres est due à leur construction rigoureuse. La beauté des lettres ne provient que de la qualité artistique de leur dessinateur.

Le développement de la perspective demande une préparation géométrique de l'œuvre, mais les cercles et les droites ne sont alors qu'une grille qui permet à l'artiste de placer les formes au gré de son imagination et de sa sensibilité.

Vers 1900, naît un mouvement d’un genre nouveau avec Pablo Picasso et Georges Braque : le cubisme. Les formes sont fragmentées et s’inscrivent dans des configurations géométriques. Les artistes pensent que la beauté peut jaillir de la forme géométrique pure. Wassily Kandinsky, fondateur du Blaue Reiter et initiateur de l'art abstrait, crée en 1923 une œuvre purement géométrique Cercles dans un cercle. Victor Vasarely, un des maîtres de l’art abstrait géométrique et père du op art, généralise l'utilisation du compas et de la règle dans des tableaux qui recèlent des figures géométriques en donnant souvent une impression de volume.

Géométrie[modifier | modifier le code]

Statut des lignes et points constructibles dans l'Antiquité[modifier | modifier le code]

Devant l'impossibilité de résoudre certains problèmes de quadrature ou de division de ligne à la règle et au compas, plusieurs géomètres grecs ont, dès le Ve siècle av. J.-C., imaginé des instruments : Hippias d'Élis et Dinostrate, la quadratrice ; Archytas de Tarente, les cylindres auxiliaires ; Ératosthène, le mésolabe ; Nicomède, la réglette à conchoïde[3].

Une tradition, rapportée par Plutarque dans sa Vie de Marcellus, prétend que Platon aurait accusé ceux de ses élèves qui avaient conçu de tels instruments (Ménechme et Eudoxe notamment), « ...de détruire et de gâter la perfection de la géométrie, en la faisant fuir honteusement loin des notions incorporelles et intelligibles vers les réalités sensibles, en utilisant en outre des objets dont la fabrication nécessite un travail manuel long et grossier[4]. » Cette tradition est reprise par Vitruve au livre IX (chap. II) de son traité De Architectura.

C'est ce qui a conduit à rattacher la mathématique des grandeurs constructibles au platonisme et à l'idéalisme. Une lecture positiviste du progrès scientifique, si elle reconnaît dans cette science une étape majeure de la pensée, estime qu'elle a aussi entraîné « une éclipse séculaire de la philosophie à base mathématique[5]. »

Mais l'historien des sciences américain Wilbur Knorr estime que la découverte de nombres non constructibles n'a en rien marqué un point d'arrêt des mathématiques grecques : cette idée, selon lui, marque un anachronisme dû en partie à la Crise des fondements des mathématiques de l'Entre-deux guerres[6]. Les mathématiciens grecs s’intéressaient avant tout à la résolution de ces problèmes quel qu'en soit le moyen, et considéraient leurs théorèmes et démonstrations davantage comme des outils que comme des fins en soi[7].

Constructions élémentaires[modifier | modifier le code]

En géométrie, la règle (non graduée) et le compas sont les outils de base permettant de travailler en géométrie plane. Ils permettent des constructions simples comme celles d'axe ou de centre de symétrie, de parallèle ou de perpendiculaire et sont à l'origine de l'étude des éléments dits remarquables dans un triangle. Mais certaines constructions restent irréalisables comme la construction d'un heptagone régulier ou l'extraction d'une racine cubique.

Médiatrice et bissectrice[modifier | modifier le code]

Construction de la médiatrice.

La principale construction de la géométrie est sans doute le tracé de la médiatrice d'un segment. La médiatrice du segment [AB] est la droite d qui coupe perpendiculairement [AB] en son milieu mais c'est aussi l'ensemble des points équidistant des extrémités du segment. Il suffit donc d'ouvrir le compas sur une longueur supérieure à la moitié de la longueur du segment, puis de tracer deux cercles avec ce rayon, l'un centré sur A, l'autre sur B (on peut se contenter de ne tracer que des arcs de cercle). L'intersection des deux cercles est constituée de deux points situés à égale distance de A et de B, et qui définissent donc bien la médiatrice.

Cette méthode permet aussi de placer un milieu ou de construire une perpendiculaire.

Construction de la bissectrice.

La bissectrice d'un angle, ou plus précisément, d'un secteur angulaire est l'axe de symétrie de ce secteur. Il suffit de construire sur chaque demi-droite deux points à égale distance du sommet en construisant les points d'intersection des demi-droites avec un même cercle de centre le sommet de l'angle. En prenant ces deux points comme centres de deux cercles de même rayon, on construit deux arcs de cercle qui se coupent en deux points appartenant tous deux à la bissectrice recherchée.

Il est donc toujours possible de couper, à la règle et au compas, un angle en deux parts égales. Mais il n'est pas toujours possible de découper, à la règle et au compas, un angle en trois part égales. C'est le problème de la trisection de l'angle.

Milieu et symétriques[modifier | modifier le code]

Le milieu du segment [AB] s'obtient en construisant le point d'intersection de la droite (AB) avec la médiatrice du segment [AB].

Le symétrique du point A par rapport à B s'obtient en construisant le point d'intersection (différent de A) entre la droite (AB) et le cercle de centre B passant par A.

Le symétrique du point C par rapport à la droite (AB) s'obtient en construisant le point d'intersection (différent de C) entre le cercle de centre A passant par C et le cercle de centre B et passant par C. Si le point C est sur la droite (AB), il est son propre symétrique et aucune construction n'est nécessaire.

Construction du symétrique par rapport à un point.
Construction du symétrique par rapport à une droite.

Perpendiculaire et parallèle[modifier | modifier le code]

La parallèle à la droite (AB) passant par un point C se construit à l'aide de la propriété de la droite des milieux. On construit le symétrique C1 du point C par rapport à A puis le symétrique C2 du point C1 par rapport à B. la droite recherchée est la droite (CC2).

Construction d'une parallèle.

La perpendiculaire à la droite (AB) passant par un point C non situé sur (AB) est la droite (CC') joignant le point C à son symétrique par rapport à la droite (AB). Si le point C est situé sur (AB), il suffit de prendre le symétrique A' (ou B') du point A (ou du point B) par rapport à C, la perpendiculaire est alors la médiatrice de [AA'] (ou de [BB']).

Construction d'une perpendiculaire.

Géométrie du triangle[modifier | modifier le code]

Le triangle est une figure emblématique de la géométrie euclidienne. Tous ses éléments remarquables : bissectrices, médiatrices, hauteurs, médianes, cercle d'Euler et droite d'Euler sont constructibles à la règle et au compas.

Polygones réguliers[modifier | modifier le code]

Un polygone régulier est un polygone inscriptible dans un cercle et dont tous les côtés sont égaux. Il est aisé de construire à la règle et au compas le triangle équilatéral, le carré et l'hexagone régulier. Avec plus de difficultés, on peut construire le pentagone régulier. On peut assez facilement doubler le nombre de côtés d'un polygone constructible en traçant des bissectrices et construire, par exemple, des polygones à , à et à côtés. Même s'il est théoriquement possible de tracer des polygones à , à et à côtés, leur réalisation est difficile en pratique.

Restent parmi les polygones à moins de 10 côtés, l'heptagone (7 côtés) et l'ennéagone (9 côtés) qui ne sont pas constructibles ; il faudra attendre Gauss, puis Wantzel pour faire l'inventaire de tous les polygones constructibles.

Construction du pentagone régulier[modifier | modifier le code]

Construction de l'hexagone régulier[modifier | modifier le code]

La construction d'un hexagone se fait simplement à l'aide de trois cercles de même rayon. Elle utilise la propriété du triangle équilatéral qui possède trois angles de 60° et le fait que les angles au centre d'un hexagone valent 60°.

Nombres constructibles[modifier | modifier le code]

Pour Euclide, un nombre constructible est un nombre associé à une longueur constructible. De nos jours, un nombre constructible est un nombre obtenu comme coordonnée d'un point constructible à partir d'un quadrillage. On sait maintenant que l'ensemble des nombres constructibles contient l'ensemble des nombres rationnels, mais est strictement inclus dans l'ensemble des nombres algébriques. On sait en particulier que le nombre π, transcendant, n'est pas constructible (quadrature du cercle) et que 32, nombre algébrique, ne l'est pas non plus (duplication du cube).

Applications[modifier | modifier le code]

Les constructions à la règles et au compas sont utilisées dans le domaine de la modélisation géométrique et en particulier dans des logiciels de résolution de systèmes de contraintes géométriques.


Annexes[modifier | modifier le code]

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Notes[modifier | modifier le code]

  1. E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, vol. 1, Paris, B. Bance, A. Morel, , « Architecte ».
  2. Marie Lacoarret, « Les traductions françaises des œuvres d'Euclide », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, vol. 10, no 1,‎ , p. 38-58. (DOI 10.3406/rhs.1957.3595)
  3. Robert Baccou, Histoire de la science grecque, de Thalès à Socrate, Paris, Aubier, , 256 p.
  4. Plutarque (trad. A.-M. Ozanam), Vies parallèles, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », (ISBN 2070737624)
  5. L. Brunschvicg, Les étapes de la philosophie mathématique, Paris, Félix Alcan, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », (réimpr. 1993) (ISBN 2853670341), « II-4. Le Mathématisme des Platoniciens », p. 70
  6. Thomas Drucker, « Review of both The Ancient Tradition of Geometric Problems and Textual Studies in Ancient and Medieval Geometry », Isis, no 82,‎ , p. 718–720 (DOI 10.1086/355947, lire en ligne).
  7. Henry Mendell, « Eloge: Wilbur Knorr, 29 August 1945–18 March 1997 », Isis, vol. 92, no 2,‎ , p. 339–343 (DOI 10.1086/385185, JSTOR 3080632).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]