Réalité

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La réalité est l’ensemble des phénomènes considérés comme existant effectivement. Ce concept désigne donc ce qui est physique, concret, par opposition à ce qui est imaginé, rêvé ou fictif[1]. Si son usage est initialement philosophique, particulièrement dans sa branche ontologique, il a intégré le langage courant et donné lieu à des usages spécifiques, notamment en science.

Étymologie

Le terme français réalité, tout comme ses équivalents anglais (reality), allemand (Realität), suédois (realitet), italien (realtà) ou espagnols (realidad) dérive d'un mot forgé au XIIIe siècle par le philosophe scolastique Duns Scot : la realitas.

Construit à partir du latin res, la chose, ce concept désigne alors à la fois le principe et l’actualité d'un objet donné. Dans la tradition scotiste, la réalité d'une pierre comprend à la fois son essence (l'idée de pierre qui permet d'identifier toutes les pierres existantes) et son concret (cette pierre en particulier)[2].

Un scholiaste de Duns Scot, Pierre Auriol note ainsi que « le terme « chose » se prend en deux acceptions : d'une part au sens d'une chose essentielle, — et alors il n'est pas vrai que l'être de la pierre ne soit que sa réalité —, d'autre part au sens de la réalité actuelle, et alors cela est vrai ; il en résulte que dans la pierre existant effectivement, il y a deux réalités, (l'une essentielle, la pierréité, et l'autre accidentelle, à savoir l'actualité) »[3].

L'acception scotiste de la réalité domine la pensée européenne jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Publié en 1692, le Lexicon rationale seu thesaurus philosophicus d'Étienne Chauvin ne voit dans ce terme qu'une caractéristique de l’entièreté de la chose. « la doctrine des Scotistes »[4]. Des acceptions concurrentes ont pourtant déjà émergé plus tôt dans le siècle. Dans sa Troisième méditation, René Descartes développe le thème d'une réalité objective très éloignée de la realitas des scotistes : la réalité objective c'est tout ce qui se distingue à la fois de la fiction et de « l'être de raison ». La réalité objective de l'idée désigne ainsi ce processus mental de représentation qui attache une idée à une chose positive[5].

Les sensualistes anglais radicalisent l'approche cartésienne. Chez George Berkeley la reality devient presque synonyme d’effectivity. Dans son Traité de la nature humaine, David Hume oppose clairement le réel au possible : appartient au réel non pas ce qui peut exister, mais ce qui existe effectivement[6].

Réalité en philosophie

« La philosophie se trouve gravement embarrassée lorsqu'elle doit indiquer en quoi consiste le caractère de l'être-réel, son existentia. La réalité est un mode fondamental de l'être de l'étant en relation avec la possibilité et la nécessité. Tout ce qui est réel est aussi au moins possible mais pas toujours également nécessaire [...] Ainsi conçue la réalité est prise pour une modalité ontologique des choses [...] . L'homme tente de sortir de ce dilemme en rapportant l'étant objectif au sujet qui se le représente. Si la représentation n'est pas soumise à l'arbitraire du sujet, si celui-ci ne peut pas combiner à son gré les contenus de la représentation, mais qu'il fait l'expérience d'une contrainte positive, l'objet sera dit réel » écrit Eugen Fink[7], dans son livre Le jeu comme symbole du monde .

Pour Platon, il faut dépasser l'apparence sensible, fugace et changeante des choses, pour accéder au monde des idées, qui fonde tout ce qui existe dans le monde sensible, et en permet la connaissance. L'apparence sensible est donc une forme d'illusion, en tout cas d'imperfection de l’archétype parfait. Le monde physique dans lequel les êtres humains évoluent n'est qu'une représentation, une copie, des Idées. Kant en revanche considère que la réalité pour l’être humain n'est rien d'autre que celle qui lui apparaît, sa manifestation sensible ; elle est donc d’ordre phénoménal, la chose en soi étant, elle inconnaissable. Du coup, du fait de cette dissociation, la réalité n'est pas conçue comme identique ou équivalente à la vérité.

Le philosophe Karl Popper a proposé une approche différente de la réalité. Il a découpé le réel en trois mondes[8] (Métaphysique des trois mondes) :

  1. le monde 1 des objets physiques, vivants ou non
  2. le monde 2 des ressentis et des vécus, conscients et inconscients
  3. le monde 3 des productions objectives de l'esprit humain (aussi bien des objets que des théories, ou des œuvres d'art)

Selon cette approche, les contenus de pensée comme les rêves, les fictions, les théories font partie du réel. Le réel est donc pris dans un sens de « tout ce qui existe ». Cependant, Raynald Belay souligne dans le Dictionnaire des concepts philosophiques que « [m]ême si elle suppose conceptuellement l'identité, la permanence et l'univocité, la réalité ne peut être invoquée que sur le fond d'une différence première entre elle et ce dont on la distingue (apparence, phénomène, simulacre, rêve, illusion, idée ou idéal...), ce qui soulève une difficulté, puisque ce qui n'est pas la réalité et se confond parfois avec elle doit participer de celle-ci pour exiger cette discrimination »[9].

Réalité et réel en psychanalyse

La psychanalyse étudie une « réalité psychique » associée à l'appareil psychique : elle donne le statut de réalité à l'esprit et l'étudie comme un lieu ou un appareil, composé de différents phénomènes, systèmes ou instances. Sigmund Freud compara par exemple cette réalité à une ville réunissant d'anciens monuments et des bâtiments modernes. La psychanalyse ne discrédite cependant pas l'idée d'une « réalité extérieure » ; il s'agit en fait de redonner sa place au psychique[réf. nécessaire]. La notion de « relativité de la réalité » est également étudiée par René Laforgue dans un ouvrage du même nom.

Pour Jacques Lacan, le réel est ce qui fait objection au savoir. Ainsi, la démarche de connaissance consiste à investiguer le réel pour bâtir un savoir qui constitue notre réalité. Le réel s'impose donc au sujet et est caractérisé par l'inquiétante étrangeté (Unheimlich). La réalité, quant à elle, relève de la dimension imaginaire.

La réalité dans les sciences

Max Planck

Pour Max Planck, « la question de savoir ce qu'est une table en réalité ne présente aucun sens. Il en va de même ainsi de toutes les notions physiques. L'ensemble du monde qui nous entoure ne constitue rien d'autre que la totalité des expériences que nous en avons. Sans elles, le monde extérieur n'a aucune signification. Toute question se rapportant au monde extérieur qui ne se fonde pas en quelque manière sur une expérience, une observation, est déclarée absurde et rejetée comme telle »[10]. Par conséquent, la couleur rouge est la réalité pour le voyant et n'est pas la réalité pour l'aveugle. La notion de réalité dépendant des expériences vécues, elle est donc nécessairement variable en fonction des individus.

Richard Dawkins

Richard Dawkins estime qu'on peut définir la réalité comme ce qui peut rendre les coups (« Reality is what can kick back »)[réf. nécessaire]. C'est, selon lui, le seul critère qui permet de la distinguer, sans discussion possible, de l'illusion.

Cette définition particulière a pour effet de définir comme réelles :

  • La réalité virtuelle (ce qui justifie d'ailleurs l'emploi du terme de « réalité »).
  • Les nombres premiers; en effet, aucune décision arbitraire ne peut empêcher un nombre premier de l'être, ni deux personnes qui n'ont jamais communiqué ensemble et vivent sur deux continents différents de découvrir les mêmes sans jamais s'être concertés.

Cette position est voisine de celle de l'écrivain Philip K. Dick pour qui « la réalité, c'est ce qui continue à s'imposer à vous quand vous cessez d'y croire »[11].

La notion de réalité dans le constructivisme

Selon la pensée constructiviste, qui s'oppose partiellement au réalisme, la réalité serait une expérience inévitablement relative à celui qui l'appréhende. La connaissance ne permet pas, dans cette logique, d'accéder a une perception « plus vraie » des choses ; elle serait plutôt une donnée, une réalité en soi, celle de l'expérience de ce qui est. Le constructivisme postule ainsi la réalité comme une construction de l'esprit qui resterait toujours relative à celui qui la perçoit comme une réalité.

Edgar Morin préfère parler de coconstructivisme pour éviter l'image d'une réalité issue d'une construction exclusivement mentale. Il exprime ainsi une « collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité »[réf. nécessaire].

Autres

En 1981, l'ouvrage collectif intitulé L'invention de la réalité[12] présente ce qu'est le ressenti de la réalité, et explique également comment il peut évoluer. Cette exploration est établie sous la direction de Paul Watzlawick, psychologue analytique, jungien de formation, qui a lui-même écrit sur le sujet, en 1976, dans La réalité de la réalité[13].

Les travaux récents du neurologue David Eagleman, et de ses pairs, mettent en lumière les difficultés que l'on rencontre lorsqu'il s'agit de comprendre le monde réel[réf. nécessaire]. Les nouvelles technologies d'imagerie médicales permettent de voir les effets de la perception au niveau cérébral[réf. nécessaire].

La réalité selon les religions

Bouddhisme

Dans le bouddhisme, qui avant d'être une « religion » fait partie des écoles hétérodoxes de la philosophie indienne, la réalité relative est différenciée de la réalité absolue qui est la vraie « nature » des phénomènes. Pour le bouddhisme, qui est une « voie moyenne » entre un « nihilisme » et un « éternalisme »[réf. nécessaire], cette nature ultime de la réalité est l'absence de soi ou d'égo (anatman), la vacuité. Il n'y a pas de chose qui existe en soi (ou absolument) pour un bouddhiste. Selon les écoles, l'accent sera mis davantage sur l'interdépendance des phénomènes, la non-dualité, sur l'esprit ou la conscience (citta, vijñāna) comme seule réalité (Cittamātra), sur la « nature de Bouddha », sur la Connaissance transcendante (Prajna), sur l'Éveil (bodhi), etc. Le bouddhisme theravāda affirme un dualisme (qui est d'ordre sotériologique plutôt qu'ontologique) entre d'une part les phénomènes conditionnés (et ultimement irréels : le saṃsāra) et d'autre part l'Absolu (seule réalité, « l'autre rive », Nibbāna), tandis que le bouddhisme mahāyāna affirme l'identité ultime des deux comme vacuité et non-dualité : « tous les dharma ont pour caractéristique la vacuité » (Sūtra du Cœur)[14].

Religions abrahamiques

Pour les religions abrahamiques, la réalité a été créée et mise en forme par Dieu, le créateur du monde et des êtres vivants. Tout ceci est une vérité révélée par les prophètes de Dieu afin que les croyants se souviennent d'où ils viennent et que rien n'est le résultat du hasard.

Annexes

Citations

  • « Ma main se sent touchée aussi bien qu’elle touche. Réel veut dire cela, rien de plus », Paul Valéry, Mon Faust, Œuvres Pléiade, Tome 2
  • « La réalité, c'est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d'y croire », Philip K. Dick[11]
  • « Comment définir le réel ? Ce que tu ressens, vois, goûtes ou respires, ne sont rien que des impulsions électriques interprétées par ton cerveau », Morpheus dans The Matrix.

Notes et références

  1. Larousse encyclopédique en deux volumes - 1994-2003 p. 1310
  2. Jean-François Courtine, Article réalité dans Dictionnaire européen des philosophes, p. 1060-1061
  3. Jean-François Courtine, Article réalité dans Dictionnaire européen des philosophes, p. 1061
  4. Jean-François Courtine, Article réalité dans Dictionnaire européen des philosophes, p. 1062-1063
  5. Jean-François Courtine, Article réalité dans Dictionnaire européen des philosophes, p. 1063
  6. Jean-François Courtine, Article réalité dans Dictionnaire européen des philosophes, p. 1065
  7. Eugen Fink 1993, p. 71
  8. Three Worlds, conférence de Karl Popper
  9. Raynald Belay, « Réalité », dans Michel Blay (dir.), Dictionnaire des concepts philosophiques, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2006, p.678.
  10. Max Planck, L'image du monde dans la physique contemporaine
  11. a et b "Reality is that which, when you stop believing in it, doesn't go away.", in "How To Build A Universe That Doesn't Fall Apart Two Days Later" (1978)
  12. Paul Watzlawick (dir.), L'invention de la réalité. Contributions au constructivisme, Paris, Seuil, coll. « Points. Essais », 1981 [1996], 384 p.
  13. Paul Watzlawick, La réalité de la réalité. Confusion, désinformation, communication, Paris, Seuil, , 256 p. (ISBN 9782757841129)
  14. Dans le Sūtra du Cœur, la phrase "sarvā dharmāḥ śūnyatā lakṣaṇā" se traduit par "tous les phénomènes (dharma : phénomènes conditionnés et inconditionnés) ont pour caractéristique la vacuité".

Bibliographie

Voir aussi

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