Conquête de Tunis (1535)

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Conquête de Tunis de 1535

Informations générales
Date 16 juin-21 juillet 1535
Lieu La Goulette et Tunis
Issue Victoire espagnole
Belligérants
Empire ottoman Drapeau de l'Espagne Monarchie espagnole
États pontificaux
République de Gênes
Portugal
Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Commandants
Khayr ad-Din Barberousse Charles Quint
Louis, infant de Portugal
Forces en présence
9 000 33 000

Coordonnées 36° 48′ nord, 10° 10′ est
Géolocalisation sur la carte : Tunisie
(Voir situation sur carte : Tunisie)
Conquête de Tunis de 1535

La conquête de Tunis de 1535 oppose les troupes de l'amiral ottoman Khayr ad-Din Barberousse et celles de l'empereur Charles Quint. Elle s'achève avec l'établissement d'une tutelle espagnole sur le gouvernement de Tunis et par l'occupation de La Goulette, qui dure jusqu'en 1574.

Contexte

Contexte international

Charles Quint est, au début du XVIe siècle le prince chrétien le plus puissant : roi d'Espagne (Castille et Aragon), roi de Naples et de Sicile, il est aussi maître des Pays-Bas et des possessions autrichiennes des Habsbourg, et de surcroît empereur du Saint-Empire romain germanique.

Son principal ennemi est l'Empire ottoman, qui, grâce aux frères Arudj et Khayr ad-Din Barberousse, a pris le contrôle de la Régence d'Alger.

L'Espagne contrôle cependant quelques points du littoral du Maghreb (Oran, Mers el-Kébir, Bougie), et a une certaine influence sur la dynastie hafside de Tunis.

Crise tunisienne (1534)

Installé à Alger, d'où il dirige des razzias contre les îles et le littoral méditerranéen espagnols, Khayr ad-Din Barberousse souhaite s'emparer de Tunis pour conforter ses assises et entreprendre d'autres opérations. La proximité de Tunis avec l'Italie en fait en effet une position-clé pour attaquer la Sardaigne, la Sicile et le royaume de Naples.

Il profite des querelles de succession qui, à Tunis, affaiblissent la dynastie hafside : en 1534, le sultan, Abû `Abd Allâh Muhammad V al-Hasan, considéré comme trop soumis à Charles Quint, ne contrôle plus que la capitale et ses alentours, une grande partie du Sud tunisien lui échappant. Le 22 août 1534, Barberousse s'empare de Tunis et parvient même à installer une garnison à Kairouan.

Mais Charles Quint décide de réagir : après l'expérience malheureuse du Peñón d'Alger (en), il ne peut permettre à Barberousse d'installer un nouveau nid de corsaires.

Forces de Charles Quint

Le 14 mai 1535, au départ de Barcelone, Charles Quint est la tête d'une expédition forte de 400 navires et 33 000 hommes qui réunit l'ensemble de la chrétienté à l'exception de Venise et de la France : le pape Paul III, Gênes et son amiral Andrea Doria, l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, une partie de la noblesse portugaise (dont l'infant Louis, beau-frère de Charles Quint), les vétérans germaniques et italiens commandés par le marquis del Vasto (gouverneur de Milan). En tout, plus de 250 navires de toutes tailles (dont 25 caravelles envoyées par le roi de Portugal et 48 galères), 25 000 fantassins et cavaliers soldés, sans compter de nombreux aventuriers. L'expédition, d'un coût de plus de 400 millions de maravédis, est financée par la rançon de François Ier (187 millions), du servicio de Castille (184 millions), du servicio d’Aragon (26 millions) et d’un don de la duchesse de Medina Sidonia (18 millions).

Déroulement des opérations

Représentation de l'attaque de La Goulette par Frans Hogenberg.
Vue de Bab El Bhar et de l'arsenal lors du sac de Tunis par l'armée de Charles Quint.

Le 16 juin, ces forces débarquent entre Carthage et La Goulette et commencent aussitôt les opérations de siège contre La Goulette et Tunis, que Barberousse avait résolu de défendre avec les 9 000 hommes dont il disposait et des contingents auxiliaires assez nombreux fournis par les Maures, qui n'hésitent pas à faire cause commune avec les Ottomans qu'ils avaient combattus un an auparavant. Barberousse place 200 janissaires turcs dans la forteresse de La Goulette et choisit de s'enfermer dans la kasbah de Tunis avec autant d'hommes. Il enferme les chrétiens et menace de les faire exécuter.

Le siège de La Goulette dure plus d'un mois : Charles Quint s'en empare finalement le 4 juillet, bien que cette forteresse soit défendue par 300 pièces d'artillerie et 6 000 hommes.

Deux semaines plus tard, l'armée espagnole livre bataille aux Ottomans et aux Maures dans la plaine de l'Ariana et assiège Tunis dès le 14 juillet. À ce moment, les esclaves chrétiens que Barberousse avait épargnés à la demande de ses officiers, s'étant échappés des bagnes de la ville au nombre de plusieurs milliers, se rendent par surprise maîtres de la kasbah et d'une grande partie de la ville. Toute résistance étant devenue aléatoire, Barberousse s'enfuit avec les restes de son armée vers Bône puis Alger, tandis que Charles Quint entre dans Tunis le 21 juillet, par le faubourg de Bab Souika.

À ce moment, Charles Quint invite l'ancien sultan hafside Abû `Abd Allâh Muhammad V al-Hasan à entrer en pourparlers avec les notables de la ville pour éviter son pillage, mais ce dernier échoue dans sa mission du fait que les notables avaient tous fui dans les parages du Djebel Zaghouan avec leurs familles en emportant ce qu'ils avaient de plus précieux.

C'est alors que le pillage aurait été autorisé pendant trois jours. Toutefois, le butin sera peu important et les troupes frustrées auraient assouvi leur vengeance en massacrant une partie des habitants sans égard pour le sexe ni l'âge. C'est en vain que l'empereur et son entourage s'opposent à cette tuerie.

Suites de la bataille

Charles Quint à Tunis

Charles Quint sortant de Tunis à la tête de ses troupes par Jan Cornelisz Vermeyen.
Représentation de Charles Quint annonçant la prise de Tunis au pape Paul III.

Charles Quint et sa suite s'installent dans la résidence hafside de la kasbah, dont les appartements sont d'une « magnificence extraordinaire et meublés royalement »[1]. Les troupes dressent quant à elles leur camp au nord-ouest de la kasbah, sur un emplacement qui gardera par la suite le nom de « Place de l'Empereur » ou « Plateau Charles Quint ». Cependant, l'empereur est tellement incommodé par l'odeur des cadavres décomposés qu'il quitte la capitale le 27 juillet, pour aller séjourner à Radès, dans la banlieue sud.

C'est là qu'il crée l'ordre militaire de la Croix de Tunis et décerne plusieurs colliers de cette nouvelle décoration. Cet ordre se compose d'une chaîne en or entrelacée de croix de saint André d'où pend une escopette qui tirait des étincelles de feu d'un caillou avec l'inscription « Barbaria ».

Traité avec le sultan hafside (6 août)

Pendant ce temps, au camp de La Goulette, la chancellerie impériale établit le traité de paix qui doit être conclu avec Abû `Abd Allâh Muhammad al-Hasan, rétabli sur son trône avec toutes ses prérogatives.

Ce traité, signé le 6 août, place le souverain hafside sous la protection de l'empereur et de ses successeurs : « le roi de Tunis reconnaît que l'empereur était venu en personne avec une puissante armada prendre les forteresses et la ville de Tunis, pour chasser le tyran Barberousse et le rétablir sur son trône ».

En contrepartie, le sultan s'engage à rendre tous les esclaves qui se trouvent dans son royaume, à leur garantir la liberté de circuler et de voyager à leur guise. À compter de ce jour, ni lui ni ses successeurs ne peuvent capturer ni avoir d'esclaves chrétiens, sujets de l'empire ou des couronnes d'Espagne, de Naples et de Sicile. L'empereur Charles Quint, son frère le roi Ferdinand, ou un autre prince qui leur succéderait ne pourront pas non plus consentir qu'il y ait dans leurs domaines des captifs maures sujets du roi de Tunis.

Celui-ci accepte sur ses terres la présence de chrétiens et leur accorde la liberté de culte : ils peuvent donc avoir des églises et faire sonner les cloches. Il doit par ailleurs refuser d'accueillir les Maures de Grenade, de Valence, d'Aragon ou d'autres lieux appartenant à l'empereur et les expulser. Il remet à l'empereur et à ses successeurs les droits qu'il possède sur les villes de Bône, Bizerte, Mahdia (alors appelée Africa) et les autres forteresses maritimes, occupées par Barberousse, afin de pouvoir expulser tous les corsaires qui s'y trouvent.

Il cède à Charles Quint, en tant que roi de Castille, La Goulette et les terres situées une demi-lieue alentour, à condition que les Espagnols n'empêchent pas les habitants de Carthage de prendre de l'eau dans les puits situés près de la Tour de l'eau. Il laisse aux chrétiens de La Goulette, désignés par le capitaine du fort, toute liberté de commercer dans tout le royaume et recevra les taxes sur l'achat-vente des marchandises, mais, s'il y a délit, seul le capitaine du fort a autorité sur eux et peut les châtier. Pour l'entretien de la garnison de cette forteresse, le sultan s'engage à payer 12 000 ducats d'or par an et, s'il ne remet pas cette somme, le capitaine général peut la prélever sur les rentes du royaume.

Il reconnaît aux sujets de l'empereur la liberté de commercer dans tout son royaume, mais seul un juge désigné par l'empereur peut connaître les causes, juger et châtier les délinquants. Ses successeurs devront également remettre tous les ans, à la Saint-Jacques (25 juillet), en reconnaissance de vassalité, un impôt consistant en six chevaux et douze faucons sous peine de 50 000 ducats d'or d'amende la première fois qu'ils ne le feraient pas, 100 000 la deuxième. La troisième fois, ils se verraient privés du royaume. Dans le même temps, ses vassaux ne concluront aucune alliance et ne signeront aucun accord avec un prince maure ou chrétien qui pourrait porter préjudice à l'empereur ou aux rois d'Espagne et ses successeurs (et réciproquement).

L'empereur et le sultan s'engagent en leur nom et en celui de leurs successeurs à entretenir des liens d'amitié et de bon voisinage, de respect réciproque dans la liberté de commerce des uns et des autres sur mer comme sur terre. Enfin, ses successeurs promettent de n'accueillir ni corsaires ni pirates dans leurs ports, ni aucun ennemi de l'empereur ou de ses successeurs. Au contraire, ils jurent de les chasser et de lutter contre eux.

Installation de la garnison de La Goulette

Avant de quitter le pays, l'empereur donne l'ordre de construire immédiatement la forteresse de La Goulette où il laisse 1 200 hommes pour tenir garnison sous les ordres d'un gouverneur, le duc de Mendoza, issu d'une des plus grandes familles d'Espagne. Une escadre de dix galères, sous les ordres de l'amiral Doria devait assurer la défense de La Goulette et la liaison avec Naples et la Sicile.

Par cette décision, Charles Quint assigne à La Goulette un rôle important mais il sous-estime les forces militaires nécessaires pour que cette place forte puisse jouer ce rôle et soutenir l'autorité du sultan hafside qui règne sur Tunis avec beaucoup de difficultés. Les faibles effectifs qu'il laisse en partant ne pourront s'imposer à un peuple en proie à des ferments d'anarchie et aux menées des émissaires de la puissance ottomane.

Situation précaire

Le 17 août, Charles Quint lève l'ancre en laissant derrière lui quelques garnisons de vétérans espagnols dans un environnement qui leur est hostile car, si Abû `Abd Allâh Muhammad al-Hasan est restauré sur le trône hafside, ses sujets ne lui pardonnent pas d'avoir souscrit un traité aussi humiliant avec une puissance chrétienne.

En effet, à peine les dernières voiles de l'escadre disparues à l'horizon, les villes de la côte et les tribus de l'intérieur se soulèvent contre le sultan en lui refusant l'obéissance et l'impôt. Ce prétexte à la rébellion répond à un sentiment de justice et de dignité, mais la population impulsive et ignorante ne se rend pas pleinement compte des réalités de la situation et de la faiblesse militaire du pays. Par ailleurs, Charles Quint commet l'erreur de ne pas pousser jusqu'à Alger pour se saisir de Barberousse.

Le problème reste donc entier : la conquête n'a pas modifié les anciens rapports de force, La Goulette devant se retrouver immédiatement au cœur des tensions militaires, politiques, stratégiques entre chrétiens et musulmans. Trop proche de Tunis, elle se retrouve prise en étau entre la puissance montante des corsaires barbaresques, désireux de se rendre maîtres des ports africains, et la faiblesse des Hafsides partagés entre le respect de leur vassalité envers l'empire chrétien et leur appartenance au monde musulman.

Notes et références

  1. Revue tunisienne, vol. XIII, éd. Institut de Carthage, Tunis, 1906, p. 304

Voir aussi

Bibliographie

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Anne Brogini et Maria Ghazali, « Un enjeu espagnol en Méditerranée : les présides de Tripoli et de La Goulette au XVIe siècle », Cahiers de la Méditerranée, tome 1, vol. 70, 2005, pp. 9-43 (lire en ligne)

Articles connexes