Gabelle du sel

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La gabelle est une taxe sur le sel ayant existé en France au Moyen Âge et à l'époque moderne. C'était alors l'une des aides ou taxe indirecte. Les gabelous se chargeaient de la récolte de la gabelle.

Le mot vient de l'ancien provençal gabela car à l'origine la gabelle désignait un impôt indirect, prélevé notamment sur des articles de la production industrielle ou agricole en France durant le Moyen Âge et l'Ancien Régime (gabelle des vins, des draps, du blé)[1]. A partir de 1350, le terme est réservé au sel[2].

Principe

Le principe général est le suivant : le sel fait l'objet d'un monopole royal. Il est entreposé dans des greniers à sel, où la population l'achète taxé et en toute petite quantité. La gabelle représente, à l'époque moderne, environ 6 % des revenus royaux.

Le sel fut longtemps le seul moyen de conserver les aliments et était donc un élément stratégique. Avec le sel, on fabriquait des salaisons et l'on séchait poissons et viandes douces. Il était également un composant nutritif indispensable pour le bétail. Enfin, il fut sous l'Ancien Régime utilisé comme monnaie d'échange et il possédait même une fonction de salaire, dont on retrouve le sens étymologique dans salarium en latin qui signifiait « ration de sel » puis, par extension, la pratique du traitement, du salaire à l'époque romaine.

Histoire en France

D’origine romaine, il avait été repris dès le XIIe ou le XIIIe siècle par la royauté, qui s’était empressée d’accaparer à son profit le monopole et la vente de cette denrée. Déjà instituée comme une taxe temporaire par saint Louis en 1246, puis reprise par Philippe IV le Bel en 1286, la gabelle devient une taxe permanente sous Philippe VI de Valois qui la généralise dans tout le royaume.

Au XIVe siècle les plaintes commencent, elles ne cesseront plus. « En ce mois de mars 1343, dit le continuateur de Nangis, notre roy Philippe mit sur le sel une exaction dite gabelle, d’où il acquit la male grâce du peuple ». À la même époque (1342), sont créés les Greniers à sel, tribunaux chargés de juger toutes les contraventions relatives à la Gabelle et dont les appels, plus tard, durent être portés devant la cour des aides. En 1343, par ordonnance du roi, le sel devient un monopole d'État. Taxe modeste d'abord, de 2 deniers par minot ; sous Charles V, elle est déjà de 8 sous et l’impôt, malgré de solennelles promesses, devient permanent.

La gabelle est abolie par l'Assemblée nationale constituante le 1er décembre 1790[3], c'est Prieur de la Marne qui présente le rapport de suppression. Mais l’impôt sur le sel réapparut néanmoins en 1806, sous Napoléon Ier. Supprimé à nouveau sous la Seconde République, il ne fut supprimé définitivement que par la loi de finances de 1945[4].

Recouvrement

Comme pour beaucoup de taxes et impôts royaux, la gabelle est souvent « affermée », c'est-à-dire confiée à des intermédiaires (les fermiers) qui avancent son produit au roi, à charge pour eux de recouvrer les sommes dues par la population.

En 1653, six fermes subsistaient : celles des gabelles de France, celle des gabelles de Languedoc et Lyonnais, celles des gabelles de Dauphiné, Provence et douane de Valence, celle des gabelles de Lorraine, celles des trente-cinq sols de Brouage et celles des crues d'Ingrande.

En 1667, les fermes du sud du royaume sont réorganisées et divisées en deux fermes : celles des gabelles de Lyonnais, Dauphiné et Provence et celles des gabelles de Languedoc, Roussillon et Cerdagne. En 1668, la ferme des gabelles de France est unie aux cinq Grosses fermes, aux aides et aux entrées, l'ensemble formant les Fermes unies.

En 1682, le fermes des gabelles de Lyonnais, Dauphiné et Provence est rattachée aux Fermes unies. En 1685, la ferme des gabelles de Languedoc, Roussillon et Cerdagne leur est, à son tour, rattachée.

Affermé depuis 1678, Colbert confie le recouvrement de l'impôt sur le sel à une compagnie de traitants : La Ferme ou Gabelle, souvent aussi intitulée Ferme du Roi. Il crée un seul et unique établissement financier en remplaçant les greniers à sel. Dans chaque province des fermiers généraux, dirigeant les gabelous (employés contrôleurs), administrent leur circonscription. La Ferme paie au Roi une somme fixe et se rembourse ensuite sur les sujets comme bon lui semble, même si la rémunération du fermier est en principe réglementée[5]. Pour tirer le maximum de profit, la ferme multiplie les visites domiciliaires et utilise tous les moyens pour parvenir à ses fins. Dans les pays de « grande gabelle », le contribuable n'est pas libre d'acheter la quantité de sel qui lui convient : la Ferme fixe ce qui doit lui être acheté.

Cette quantité minimale s'appelle le « Sel de devoir pour le pot et la salière ». Les officiers et les établissements charitables jouissent du droit de « franc salé » et achètent le sel sans taxe. Ils peuvent même recevoir la valeur en argent du sel qu'ils ne veulent pas utiliser.

Au début du XVIIIe siècle, on compte 253 greniers dans l'ensemble des régions de grande gabelle dont 110 le long de la Loire. En 1774, la gabelle représente près du tiers des revenus de la Ferme générale[2].

Pays de gabelle

Compte Rendu au Roi de Necker,
Paris 1781

La perception de la gabelle n'est pas uniforme. L'ordonnance du mois de , sur le fait des gabelles, entérina la division du royaume en six ensembles obéissant à des règles différentes : les pays de grande gabelle, les pays de petite gabelle, les pays de salines, les pays rédimés, les pays de quart-bouillon et les pays francs.

Dans les pays de grande gabelle, on devait acheter obligatoirement une quantité fixe annuelle de sel, ce qui transforme la gabelle en un véritable impôt direct : Normandie, Champagne, Picardie, Île-de-France, Maine, Anjou, Touraine, Orléanais, Berry, Bourgogne, Bourbonnais.

Dans les pays de petite gabelle, la vente du sel était assurée par des greniers à sel, mais la consommation y était généralement libre : Dauphiné, Vivarais, Gévaudan, Rouergue, Provence, Languedoc.

Les pays de salines étaient Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Lyonnais, Dombes, Roussillon.

Dans le pays de quart-bouillon, le sel était récolté en faisant bouillir une saumure obtenue grâce au lessivage de sable imprégné de sel de mer. Les salines versaient le quart de leur fabrication aux greniers du roi : Avranchin et Cotentin.

Les pays rédimés (ou pays rédimés des gabelles) avaient, par un versement forfaitaire, acheté une exemption à perpétuité : Poitou, Limousin, Auvergne, Saintonge, Angoumois, Périgord, Quercy, Bordelais, Guyenne.

Les pays francs, qui sont les provinces qui ne la subissaient pas avant leur rattachement à la couronne[2], étaient les pays exemptés de tout droit de gabelle. Il s'agissait de la Bretagne, du Boulonnais, du Calaisis, de l'Artois, de la Flandre, du Hainaut, du Cambrésis, la principauté de Sedan et de Raucourt, du pays de Gex, du territoire d'Arles, du Nébouzan, du Béarn, de la Soule, de la Basse-Navarre, du Labourd, de l'île de Ré, de l'île d'Oléron, d'une partie de l'Aunis et d'une partie du Poitou.

Exemple

La Croixille, actuellement dans le département de la Mayenne, paroisse du Maine, province de grande gabelle, est limitrophe de la Bretagne, province de franc salé. L'énorme disproportion entre le prix du sel dans les deux provinces entraînait, sur la frontière constituée par la rivière de la Vilaine, une contrebande et une guérilla perpétuelle entre les gabelous et les faux-sauniers et ce, malgré les rigueurs de la loi. Lorsque la Bretagne fut rattachée au royaume de France, ce fut sous la condition que ses privilèges, droits et coutumes seraient inchangés. L'impôt sur le sel ne lui a donc pas été appliqué. C'est ainsi que, quand le sel valait 11 à 13 sols la livre à La Croixille, il ne valait, dans la paroisse limitrophe qu'un sol. En d'autres termes, le sel se payait, à La Croixille, 55 à 60 livres le minot (environ 50 kg) alors que sur l'autre rive de la Vilaine, en Bretagne, pays franc, il ne valait que 2 à 3 livres.

Cet impôt instaure une séparation radicale entre la Bretagne et l'Anjou et le Maine et amène une contrebande effrénée à chaque frontière de pays franc et de pays de grande gabelle. C'est la création, selon Françoise de Person, d'« un pays en marge, celui où la fraude est reine ».

Contrebande

Elle figure parmi les taxes les plus impopulaires et a engendré une contrebande spécifique, celle des « faux-sauniers » ou « faux-saulniers ». Un des faux-sauniers les plus connus par le nombre de ses arrestations (ainsi que les autres membres de sa famille) est Jean Chouan.

Le faux-saunier était un contrebandier qui allait acheter, par exemple en Bretagne, sur l'autre rive de la Vilaine, du sel qu'il revendait dans le Maine, après l'avoir fait passer en fraude sans payer la gabelle. Il encourait la condamnation aux galères s'il travaillait sans armes, la peine de mort s'il avait des armes. Entre 1730 et 1743, 585 faux sauniers furent déportés en Nouvelle-France pour aider au peuplement de la colonie[6].

De même, au fil de la Loire, la grande route du sel depuis les marais de l'Atlantique jusqu'au cœur de la France amène une contrebande effrénée sur terre comme sur eau.

Sous Louis XVI, la situation n'avait pas changé. En Bretagne, la livre de sel coûtait au plus un liard et demi (3/8 sous) quand dans le Maine « pays de gabelle », elle se payait 12 à 13 sous ; d'où la fréquence de la contrebande ou « faux-saunage ». Les gabeleurs, en bas-mainiot « les gabeleux », étaient les commis de la ferme. Ils étaient notamment chargés de recouvrer la gabelle.

Les chemins de la contrebande pouvaient mener à la misère, la prison, voire les galères. Faux-saunier, à l'imitation d'une population en quête de sa survie, Jean Chouan est le représentant d'un combat contre un régime fiscal inique. À l'époque, le trafic de sel faisait l'objet d'une intense contrebande aux frontières intérieures. On estimait qu'il y avait près de la moitié de la population riveraine des marches de Bretagne qui vivait plus ou moins de ce faux-saunage, soit comme transporteur, soit comme receleur, soit comme revendeur.

La législation contre les fraudes est sévère : les peines vont du fouet et la flétrissure aux galères, à la déportation et à la peine de mort. La dureté des punitions semble avoir été sans effets sur la contrebande[2].

Soulèvements populaires

Elle est également à l'origine de soulèvements populaires. Le plus important d'entre eux est probablement celui de 1542 à 1548, à la suite de la tentative d'unification par François Ier des régimes de la gabelle : le Bordelais, l'Angoumois et la Saintonge se révoltent. Des notables et le gouverneur général de Guyenne sont massacrés. Le connétable Anne de Montmorency rétablit l'ordre dans le sang, mais Henri II doit fléchir et laisser les provinces revenir à leur statut antérieur. Elles seront ensuite qualifiées de « rédimées ».

En 1639, la tentative de suppression du « quart-bouillon » provoqua la révolte des Nus-Pieds en Normandie.

Instaurée en 1661 en Catalogne Nord par Louis XIV, la gabelle est à l'origine de la révolte des Angelets (1667-1675).

En 1675, pendant la révolte des Bonnets rouges survenue en Bretagne et déclenchée par des mesures fiscales sur le papier timbré, le tabac et la vaisselle d'étain, la simple évocation de la gabelle peut mettre le feu aux poudres comme fin juillet 1675 au cours du pardon de Saint-Urlo.

A l'inverse, la suppression de la gabelle, le 1er décembre 1790, fut l'une des causes, selon Abel Hugo, de la chouannerie car elle réduisit à la misère plus de 2 000 familles qui ne vivaient que du commerce frauduleux du sel[7].

Notes et références

  1. Définition TLFi, Le Trésor de la Langue Française informatisé (1971-1994)
  2. a b c et d Jean-Joël Brégeon, « Gabelle, faux-sauniers et gabelous », Nouvelle Revue d'Histoire, n°75 de novembre-décembre 2014, p. 47-49
  3. Françoise Deshairs et Véronique Faucher, Briançon, ville forte du Dauphiné, livre + CD-ROM, La Maison d'à-côté et Fortimédia, (ISBN 2-930384-15-8), 2006, sur le CD-ROM
  4. Jean Chazelas, La suppression de la gabelle du sel en 1945 Le rôle du sel dans l'histoire: travaux préparés sous la direction de Michel Mollat du Jourdin (Presses universitaires de France, 1968), 263-65
  5. Jean Kappel, « Les fermiers généraux », Nouvelle Revue d'Histoire, n°75 de novembre-décembre 2014, p. 51-53
  6. [1]
  7. France militaire par Abel Hugo T2 page 1

Voir aussi

Sources et bibliographie

Article connexe

Liens externes