Impérialisme linguistique

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L’impérialisme linguistique est un concept politique qui renvoie à une forme de domination culturelle au moyen de la langue. Il est le fait historiquement d'empires qui ont imposé leurs langues, au moins administrativement, aux régions conquises. Le terme d'impérialisme s'entend dans ce cas de façon péjorative. Ce phénomène est une partie du phénomène plus général d’impérialisme culturel qui englobe l’imposition des modes de vie, de l’éducation, de la musique, etc. d’une nation à une autre. Il doit être distingué de la domination linguistique, la différence étant d’ordre idéologique : l’impérialisme linguistique est une volonté, la domination d’une langue est un état de fait qui peut être ou non la conséquence du précédent. La domination linguistique concerne généralement les domaines clé de la vie internationale : politique, militaire, commercial, financier, médiatique, scientifique, culturel etc.

L’impérialisme linguistique peut être le fait d’une puissance coloniale ou impériale qui marginalise les langues locales, lesquelles risquent alors de tomber en désuétude, voire de s’éteindre : il peut donc constituer une menace pour la diversité linguistique et culturelle. L’Unesco estime que sur environ 6 000 langues parlées dans le monde, plus de 2 500 langues sont en danger[1] ; les raisons de ces raréfactions ou disparitions sont toutefois plurielles et ne sauraient se réduire systématiquement à un effet d'impérialisme linguistique[2].

Bien que le phénomène puisse concerner n’importe quelle langue ayant été dominante dans un empire, ceux qui utilisent ce terme de nos jours l’appliquent généralement à la principale langue dominante, particulièrement depuis 1945, l’anglais. Cette langue ne s'est pas imposée principalement pour ses qualités linguistiques car, par exemple pour le linguiste Claude Hagège, « l'anglais est une langue très difficile ». Elle s'est imposée du fait de l'avance technologique et de la domination économique et politique du Royaume-Uni, puis des États-Unis pendant les deux derniers siècles.

L’impérialisme linguistique de l'anglais

L’expansion de l’anglais dans les îles britanniques

À partir du XIIe siècle, les souverains anglais pratiquent une politique d’expansion dans les îles Britanniques. D’abord à l’Ouest de l’Irlande, puis au Pays de Galles (conquis en 1282) et enfin en Écosse, dont la conquête subit plusieurs revers et n’est définitivement achevée qu’en 1707 par l’Acte d’union entre l’Angleterre et l’Écosse. Un État écossais a donc survécu plusieurs siècles aux côtés de son puissant voisin anglais. En Angleterre, le français décline, en grande partie à cause de la guerre contre la France. Ainsi, l’anglais est proclamé langue unique des tribunaux en 1362, bien que l’application soit en réalité bien plus lente. Henri IV d’Angleterre (1367-1413) est le premier souverain anglais à avoir l’anglais pour langue maternelle depuis la conquête normande. Dès lors la langue anglaise va gagner en prestige. Dans les territoires celtes conquis (Pays de Galles, façade Est de l’Irlande), l’administration se fait dans la langue du roi, la langue anglaise. Les nobles locaux, influencés par le pouvoir royal, s’anglicisent. Le petit peuple continue cependant à parler sa langue celtique (gallois, gaélique écossais ou irlandais). Au cours du XVIIIe siècle, le déclin des langues celtiques auprès du peuple s’accélère, du fait de l’immigration anglaise, du développement du commerce, de l’enseignement obligatoire. Les villes s’anglicisent, en particulier celles tournées vers l’Angleterre. Le XIXe siècle voit l’aboutissement du processus d’anglicisation, les langues celtiques sont désormais confinées aux zones maritimes isolées, loin des centres dynamiques. L’industrialisation (surtout en Écosse et au Pays de Galles), l’exode rural y ont beaucoup contribué. En Irlande, les principales victimes de la Grande Famine de 1846-48 sont les populations celtophones pauvres de l’ouest de l’île. La mort d’un million d’Irlandais et l’émigration d’1,6 million d’autres vers des pays anglophones précipitent le déclin de la langue gaélique. À la déclaration d’indépendance de la République d’Irlande en 1921, seulement 2 % des Irlandais utilisent encore le gaélique. Le taux est à peu près le même pour le gaélique écossais. Aujourd’hui, les proportions de locuteurs gaéliques restent sensiblement les mêmes qu’au début du XXe siècle : la quasi-totalité des Celtes des îles britanniques parlent anglais. Pour résumer, les facteurs qui ont contribué à l’extinction des langues celtiques sont donc :

  • La conquête de ces territoires par l’Angleterre
  • L’imposition de la langue anglaise comme langue administrative unique (bureaucratie, enseignement, armée…)
  • L’empire colonial, au départ anglais, puis britannique, administré en anglais. Considéré comme riche, il attire les populations celtes qui y voient une échappatoire à leur condition économique. Leur immigration est encouragée par le gouvernement central ou les gouvernements anglo-saxons indépendants (États-Unis, Canada…).
  • L’activité économique et industrielle, qui repose sur la puissance du centre anglais et sur des notables anglophones. S’y oppose la pauvreté des Celtes, souvent ruraux.
  • Le prestige culturel de la langue anglaise (au travers de la littérature, les journaux…), qui se nourrit de tous les éléments précédents.

Les éléments du débat

La position prééminente de la langue anglaise dans les échanges internationaux est un état de fait largement reconnu. En revanche, des désaccords importants existent entre les opposants à cette situation (qui peuvent y voir une volonté politique « impérialiste » du monde anglophone, et surtout des États-Unis), et leurs détracteurs qui dénoncent notamment dans cette approche une idéologie politique anti-américaine.

Arguments contre l'impérialisme linguistique de l'anglais

Une stratégie de politique linguistique néo-coloniale coordonnée

Du 26 au , le British Council a organisé à Cambridge une conférence anglo-américaine sur l'enseignement de l'anglais à l'étranger (l'Anglo-American Conference on English Teaching Abroad). À cette conférence, assistaient des représentants d'agences du gouvernement américain (United States Information Agency, ICA, et le Peace Corps) ainsi qu'un certain nombre d'académies des États-Unis. Du côté britannique, étaient représentées les disciplines universitaires de l'éducation, de la linguistique, et de l'anglais, ainsi que le Colonial Office, le Commonwealth Relations Office, le ministre de l'éducation, la BBC, et le British Council. Il y avait des observateurs de France et du Commonwealth Education Liaison Committee. Dans son rapport, la conférence a réaffirmé certaines propositions : que l'enseignement de l'anglais outremer devait se conformer totalement aux besoins linguistiques et éducatifs de l'économie, de la société et du développement humain du pays hôte, pour aboutir à l'objectif d'autosuffisance ; que l'aide anglo-américaine devait être planifiée avec la participation active du pays hôte.

Dans son ouvrage Linguistic imperialism, publié en 1992 chez Oxford University Press, Robert Phillipson, ancien professeur d'anglais à l'université de Roskilde au Danemark qui avait travaillé au British Council, reprend les termes d'un « rapport confidentiel » de cette conférence selon lesquels :

« L'anglais doit devenir la langue dominante remplaçant les autres langues et leurs visions du monde : chronologiquement, la langue maternelle sera étudiée la première, mais l'anglais est la langue qui par la vertu de son emploi et de ses fonctions deviendra la langue fondamentale ».

Robert Phillipson précisait que ce rapport aurait été écrit à l'usage interne du British Council et que, par conséquent, son contenu différerait de celui des textes rendus publics. Ce rapport n'était pas destiné à une large diffusion. Le but du rapport était de démontrer que le champ de l'enseignement de l'anglais dans le monde était en train d'acquérir une respectabilité universitaire des deux côtés de l'Atlantique et méritait une augmentation des subventions gouvernementales. Ainsi que l'expliquait le rapport annuel du British Council pour 1960-1961 :

« Enseigner l'anglais au monde peut être presque considéré comme une extension de la tâche qui s'imposait à l'Amérique lorsqu'il s'agissait d'imposer l'anglais comme langue nationale commune à sa propre population d'immigrants. »

Toujours selon Robert Phillipson, il était nécessaire que les Britanniques et les Américains coordonnent leur implication dans le développement de l'enseignement de l'anglais au niveau international[3].

Un impérialisme linguistique anti-démocratique

L'ouvrage du chercheur écossais Robert Philippson Linguistic Imperialism[4] a popularisé l'expression « impérialisme linguistique » depuis le début des années 1990, particulièrement dans le domaine de la linguistique appliquée à l'anglais.

La notion d'impérialisme linguistique s'inscrit dans le cadre de la théorie de l'impérialisme de Johan Galtung et de la notion d'hégémonie culturelle d'Antonio Gramsci. Philippson critique la diffusion historique de l'anglais comme langue internationale et la manière dont elle continue à maintenir sa domination actuelle, en particulier dans un contexte post-colonial comme en Inde, au Pakistan, en Ouganda, au Zimbabwe, etc., mais également de plus en plus dans un contexte qu'il qualifie de « néo-colonial » en parlant de l'Europe continentale.

Le constat de Phillipson est que dans un pays dont l'anglais n'est pas la langue maternelle, cette langue devient souvent la langue des « élites ». Ceux qui peuvent la maîtriser peuvent accéder à des postes à responsabilité dans les lieux de pouvoir et d'influence, comme aux Nations unies, à la Banque mondiale, à la Banque centrale européenneetc.. Les élites, anglophones de naissance ou quasiment, une fois en poste, parviennent donc à prendre des décisions qui concernent une très grande majorité de non anglophones, situation en contradiction apparente avec les prétentions démocratiques de ces mêmes personnes. Les lobbys économiques, eux aussi anglophones, accentuent cette dérive.

Un surcoût national, scolaire, économique, social et culturel très élevé
Un surcoût national pour les non anglophones de naissance

L'anglais est une langue nationale, il n'est pas une langue neutre. C'est la langue nationale de cinq pays (Grande Bretagne, États-Unis, Australie, Nouvelle Zélande et d'une grande partie du Canada), soit 6 % de la population mondiale; 94 % ont une langue maternelle autre que l'anglais. Dans l'UE, l'anglais n'est langue nationale que pour 1 % de la population.

L'utilisation de l'anglais dans les relations internationales place donc au premier rang les Américains et les Anglais, au deuxième rang les peuples germaniques (Allemands, majorité des Scandinaves...), loin derrière les Latins et les Slaves et tout au bout les Asiatiques.

Charles Krauthammer, un éditorialiste au Washington Post et l'un des idéologues les plus en vue de la nouvelle droite américaine, écrivait en 1999 : « Le fait est que, depuis Rome, aucun pays n'a été culturellement, économiquement, techniquement et militairement aussi dominant. » Il ajoutait : « L'Amérique enjambe le monde comme un colosse […]. Depuis que Rome détruisit Carthage, aucune autre grande puissance n'a atteint les sommets où nous sommes parvenus »[3].

Un rapport de la CIA de 1997 mentionnait que les prochaines années seraient décisives pour imposer l'anglais comme unique langue internationale. Le rapport insiste sur le fait qu'il faut agir rapidement, avant que ne se déploient éventuellement « des réactions vraiment hostiles et nombreuses qui apparaissent et se développent partout contre les États-Unis, leur politique et l'américanisation de la planète »[3][source insuffisante].

Une frange de partisans plus extrémiste de l'impérialisme linguistique anglophone milite pour une langue et une culture uniques, ne retenant que la vision anglo-saxonne du monde, en droite ligne de la croyance religieuse que les Anglo-Saxons seraient le peuple choisi par Dieu pour coloniser l'Amérique du Nord et mener le monde vers la liberté. Dans ce contexte, la volonté d'imposer une langue unique au reste du monde est donc l'expression d'un choix divin[réf. nécessaire].

Ainsi l'utilisation de l'anglais pour des raisons pratiques comme seule langue des instances de l'Union européenne, ce qui est déjà le cas de la BCE ainsi que pour beaucoup de documents préparatoires aux décisions de la Commission européenne, risquerait d'enfreindre le principe de non-discrimination linguistique. Dans le cadre de l'élargissement de l'Union européenne de 2004, l'Assemblée nationale française a adopté pour cette raison une résolution sur la diversité linguistique dans l'Union européenne qui déclare notamment : « La publication d'appels d'offres et d'annonces de recrutement dans la seule langue anglaise devrait être proscrite car contraire au principe de non-discrimination linguistique et considère qu'au minimum, ces publications devraient se faire dans un nombre restreint de langues officielles[5]. »

Un surcoût de l'apprentissage en temps et en argent

Claude Piron, ancien traducteur à l'ONU et l'OMS et psycholinguiste suisse, renforce ce constat en démontrant dans Le Défi des langues[6] qu'une véritable maîtrise de l'anglais nécessite au moins 10 000 heures d'apprentissage, soit l'équivalent de six années de travail.

Un surcoût économique et social

Dans une négociation internationale, les participants ne sont pas sur un pied d'égalité. L'un possède la langue à l'indice 100. L'autre la possède dans le meilleur des cas (très rarement atteint) à l'indice 70 ou 80 ; le plus souvent à l'indice 40 ou 50, ou même bien moins.

De retour d'une rencontre au niveau européen en Allemagne mais se déroulant en anglais, un syndicaliste[Qui ?] raconte : « Je n'avais pas vraiment de problèmes pour suivre les débats, ayant de bonnes notions d'anglais. C'est au moment d'intervenir que j'ai coincé. Ce que j'avais à dire nécessitait des nuances, les objections que j'avais à formuler ne pouvant s'exprimer simplement en noir sur blanc, mais plutôt en touches subtiles. Et je me suis rendu compte que mes propos risquaient d'être mal compris, dénaturés. Honnêtement aussi, je craignais les sourires condescendants qui pouvaient accueillir une formulation maladoite. Je me suis tu. »[réf. nécessaire].

Un formatage culturel généralement abétissant

Dans une interview du , le linguiste Claude Hagège s'insurge contre la domination de l'anglais qui revient à imposer une forme de pensée[7].

Selon le Français Bernard Cassen : « La puissance impériale américaine ne repose pas seulement sur des facteurs matériels (capacités militaires et scientifiques, production de biens et de services, contrôle des flux énergétiques et monétaires, etc.) : elle incorpore aussi et surtout la maîtrise des esprits, donc des référents et signes culturels, et tout particulièrement des signes linguistiques[3]. »

Éric Denécé et Claude Revel placent la domination par la langue dans le contexte plus large de l'influence socioculturelle, dans laquelle le social learning, véritable formatage intellectuel des cadres et des décideurs d'un pays visé, tient aussi un rôle important comme élément de la guerre économique. Ainsi, en imposant leur vocabulaire et leur mode de pensée, les Américains remporteraient souvent la toute première bataille en matière commerciale[8].

Arguments des opposants au concept d'impérialisme

Inversement, des linguistes anglophones contestent l'idée que l'hégémonie linguistique de l'anglais serait le résultat d'une conspiration. Dans son ouvrage English as a Global Language (L'anglais comme langue mondiale)[9], le linguiste anglais David Crystal considère que l'anglais devrait être la langue de communication internationale, tout en gardant une sorte de multilinguisme. Les anglophones de naissance favorables au maintien de l'hégémonie actuelle de l'anglais se justifient en associant la notion d'impérialisme linguistique à une attitude de gauchiste qui chercherait à contester la diffusion historique de l'anglais. Les partisans modérés de la généralisation de l'anglais sont donc généralement des libéraux qui réfutent l'idée d'un impérialisme linguistique anglophone. David Crystal et Henry Widdowson ont été assimilés à cette catégorie.

Les conséquences

De plus en plus de voix, notamment parmi les défenseurs des autres langues parlées par 94 % de la population mondiale, [10] s'élèvent pour dénoncer la marche forcée vers le « tout anglais », car ce développement marginalise les autres langues nationales et régionales. Ce point de vue est particulièrement répandu dans l’Union européenne, où le multilinguisme officiel, censé être encouragé, n'empêche pas 69 % des Européens de juger que la langue anglaise est « la plus utile ».

La domination de l'anglais dans pratiquement tous les domaines de la vie internationale (politique, scientifique, commercial, financier, aéronautique et même militaire) relègue le multilinguisme au rang des utopies. De plus, et cela ne date pas d'hier, la plupart des individus qui apprennent des langues étrangères le font plus par nécessité, sinon réelle, du moins ressentie, que pour le plaisir de la connaissance. Cela entraîne parfois des comportements irrationnels, comme en Corée, où des médecins gagnent 300 $ pour couper la petite peau qu'il y a sous la langue, prétendument parce que si les Coréens n’arrivaient pas à bien prononcer l'anglais, c'était à cause d'elle[11]. On trouve un autre exemple de « nécessité ressentie » au Japon, où beaucoup de parents paient 50 $ américains par heure d’enseignement pour donner des leçons privées à des enfants de cinq ans (les parents payent aussi pour d'autres matières : notamment les mathématiques).

Alastair Pennycook souligne que la langue anglaise n'est pas une langue neutre, mais qu'elle reste marquée par le passé colonial de l'Empire britannique[12]. Adrian Holliday indique qu'il existe des problèmes sociaux et politiques dans l'enseignement de la langue anglaise dans diverses parties du monde, et relève des injustices du fait que les anglophones de naissance cherchent à changer les cultures des étudiants et des professeurs qui n'ont pas l'anglais comme langue maternelle[13]. Julian Edge se demande si l'enseignement de l'anglais à des locuteurs d'autres langues (TESOL) et la promotion de l'anglais à l'étranger ne font pas partie d'un âge d'empire (« age of empire »)[14]. Suresh Canagarajah décrit les stratégies employées par les professeurs et les étudiants en anglais, qui visent à utiliser la langue anglaise d'une manière qui sert leurs besoins tout en résistant subtilement à l'impérialisme linguistique[15].

Les facettes de l'impérialisme linguistique dans les grandes régions du monde

Entre 1986 et 2008, le pourcentage de textes primaires de la Commission européenne rédigés en anglais est passé de 26 à 73 % au détriment des autres langues européennes. En comparaison, le nombre de locuteurs dans l'Union européenne dont la langue maternelle est l'anglais était de 65 millions avant le Brexit, un million après, tandis que l'Union européenne compte 90 millions de germanophones et 70 millions de francophones, et que l'Allemagne et la France, toutes deux membres fondateurs et moteurs de l'UE, forment avec le Benelux le noyau historique de la construction européenne, au centre géographique et économique du continent.

Denécé et Revel montrent dans leur ouvrage que les États-Unis ont depuis la chute du mur de Berlin une politique offensive de « social learning » dans les anciens pays communistes de l'Europe de l'Est[16], et que l'influence socioculturelle des États-Unis s'étend à l'ensemble du continent européen, à travers l'enseignement, la langue, et le cinéma[17]. D'autre part, la position de domination de l'anglais pose des problèmes d'équité linguistique : le rapport Grin réalisé à la demande du Haut Conseil à l'évaluation de l'école français (2005) estime en effet à environ 17 milliards d'euros l'économie réalisée par le Royaume-Uni du fait que l'anglais est la langue prépondérante dans les institutions européennes.

Si l'on dépasse la vision purement européenne de l'impérialisme linguistique, la même problématique se pose sur d'autres continents, comme en Amérique latine ou en Afrique, où les langues des anciennes puissances coloniales (anglais, français, espagnol et portugais) jouent encore un rôle prépondérant, ce qui amène certains[Qui ?] à parler d’un « impérialisme linguistique européen ».

Points de vue

  • « Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais et que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de communication, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines et que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent »[18].
  • « L’important (…) n’est pas avant tout de savoir si l’anglais a, en certaines occasions, fonctionné comme une ouverture sur le progrès social et économique, mais qu’il a au moins autant représenté une attente, un espoir qu’une telle chose arrive. À l’intérieur de ce schéma de compréhension se sont développés différents mythes ; des mythes qui assimilent le futur de l’humanité, le développement, la modernisation, l’occidentalisation, la mondialisation - et l’usage de l’anglais »[19].
  • « N'importe quel regard sur le futur peut conforter dans l'idée que bientôt le monde entier parlera anglais. Beaucoup croient que l'anglais va devenir la langue mondiale à l'exclusion de toutes les autres. Mais cette idée, qui prend racine au XIXe siècle, est périmée. Bien sûr l'anglais va jouer un rôle important dans la construction du nouvel ordre linguistique mondial, mais son impact majeur sera de créer de nouvelles générations de locuteurs bilingues et multilingues dans le monde »[20]. David Graddol, The Future of language, Science Magazine, 2004, repris dans Encyclopedia of Linguistics.

La discrimination linguistique sur l’anglais aujourd’hui

De nombreuses offres d’emploi des institutions européennes demandent aux candidats d’avoir l’anglais comme langue maternelle (English mother tongue ou English native speaker), éliminant ainsi les candidats ayant l’anglais comme langue d’étude, même à un excellent niveau[21]. Ces faits sont en contradiction flagrante avec la déclaration universelle des droits de l'homme, qui précise :

« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »[22].

Il en est de même pour de nombreuses organisations internationales telles que l'ONU et ses organes.

Réactions à l'impérialisme linguistique de l'anglais

Les réactions à l'impérialisme linguistique sont diverses et variées. Plusieurs pays francophones tentent de prendre des mesures.

En France, en 1992, la modification de l'article 2 de la Constitution précise désormais : « La langue de la République est le français ». En 1994, la loi Toubon renforce le rôle du français dans les actes publics et privés, et notamment dans le code de la consommation. Sur la base de cette loi, des salariés ont engagé et souvent gagné des procès[23] contre des employeurs qui ont tenté d'imposer abusivement l'usage de l'anglais au détriment du français.

L'impérialisme linguistique du français

L'anglais n'est pas la seule langue à s'être développée de manière impérialiste, au sens de la définition donnée ci-dessus. De nombreux responsables d'État ont cherché à imposer l'usage de la langue qui facilitait au mieux la communication du groupe auquel ils appartenaient, ou qui pouvait faciliter la concentration et la centralisation du pouvoir. Le français a été une langue de la diplomatie[24], longtemps pratiquée par toute l'aristocratie européenne[25] et enseignée jusqu'à nos jours aux enfants de l'« élite » mondiale.

Historique

Hors des frontières

Zones d'influence du français en Afrique
  • Pays généralement considérés comme francophones.
  • Pays parfois considérés comme francophones.
  • Pays non-francophones mais ayant rejoint l'OIF et étant dans un processus de francisation.

La langue franque a influencé les parlers romans à partir de la création du royaume franc, ce qui permet à la linguiste Henriette Walter de dire que le français est la langue romane « la plus germanique ».

En traversant la Manche en 1066, Guillaume le Conquérant emporte le normand (dialecte de langue d'oïl) de son époque sur un sol qui n'a jamais parlé majoritairement une langue romane. Le normand devient alors la langue des élites, et progressivement il influence la langue anglaise ; c'est la langue étrangère qui lui a transmis le plus de vocabulaire. Après que le normand eut perdu de son importance en Normandie au profit du français officiel, c'est ce dernier qui apportera de nombreux mots à l'anglais. On pourra ainsi trouver deux formes d'un même terme en anglais, l'une d'origine germanique et l'autre d'origine française et latine. L'anglais est ainsi la plus « française » des langues d'origine germanique.

À la création de la Belgique en 1830, le français est imposé comme seule langue officielle au détriment de la majorité flamande. Le néerlandais et surtout les dialectes flamands sont rejetés, surtout par la bourgeoisie qui utilise alors le français. À ceci s'ajoute un mouvement de population de Belges francophones et de Français vers la ville de Bruxelles, devenue majoritairement francophone depuis. Néerlandophone à 85 % en 1830, elle ne l'est plus aujourd'hui[Quand ?] qu'à 15 %[réf. nécessaire].

Lors de la création de l'Empire colonial français, le français traverse les mers et devient, dans un souci de cohérence, la langue obligatoirement enseignée dans toutes les colonies. Il est en priorité enseigné aux enfants de l'élite locale ou des chefs de tribus. Lors des indépendances, et surtout en Afrique subsaharienne, compte tenu de la très grande diversité des langues africaines, cette élite formée en français maintiendra la langue ex-coloniale comme langue officielle. C'est de cette période coloniale que provient le vaste espace francophone africain (voir carte ci-contre).

En France

En France, l'ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en 1539 par François Ier, peut être interprétée comme une imposition de l'emploi du françois (devenu français) à la place du latin dans les actes de justice afin « que les arretz soient clers et entendibles » par le plus grand nombre, alors que cette langue n'est parlée que par une minorité cultivée. De nombreux juristes argumentent toutefois que cette ordonnance a en fait imposé les parlers locaux au détriment du latin et non le futur français classique[26].

À la Révolution française et au fil du XIXe siècle, la langue française devient un symbole national : pour l'unité de la nation, il faut une langue unique. « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton » dit ainsi Barère au Comité de salut public en présentant son « rapport sur les idiomes »[réf. nécessaire].

De fait, le service militaire et les guerres mondiales, et en particulier la première, mettent en contact des soldats qui n'ont pas tous la même langue maternelle mais qui doivent communiquer entre eux et avec leurs officiers en français, ce qui contribue à l'unification linguistique en France, tout en raréfiant les usages de parlers et langues locales[réf. nécessaire].

Parallèlement, certains hauts responsables politiques français affichent leur défiance envers les langues locales et régionales, dans la continuité d'une approche jacobine de la nation. Ainsi, en 1925, le ministre de l'Instruction publique Anatole de Monzie annonce : « pour l'unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ! »[réf. nécessaire]. Plus tard, en 1972, le président de la République Georges Pompidou déclare : « il n'y a pas de place pour les langues régionales dans une France destinée à marquer l'Europe de son sceau »[réf. nécessaire].

Le français et les langues régionales aujourd'hui

Le français, longtemps langue des élites, a peu à peu pris la place des langues vernaculaires en France, avec une accélération du phénomène à partir de la fin du XIXe siècle grâce à la mise en place de l'instruction publique, laïque et obligatoire, en français. Les brassages de population, notamment à l'occasion de la Première Guerre mondiale, ont accéléré ce phénomène. Par la suite, la radiodiffusion, puis la télévision ont amplifié la situation.

En 1951, la loi Deixonne permet l'enseignement facultatif des langues régionales ; les premières langues à en bénéficier sont le basque, le breton, le catalan et l'occitan. La même année, ces langues deviennent épreuves optionnelles au baccalauréat. Depuis d'autres langues régionales ont été ajoutées à la liste des langues optionnelles et il est même aujourd'hui possible de choisir certaines langues régionales comme langue vivante 2 ou 3[27].

Pour refléter cet engagement en faveur des langues régionales, la Délégation générale à la langue française (DGLF) devient en 2001, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France.

En 2008, une modification de la Constitution créé l'article 75-1 qui inscrit les langues régionales au patrimoine de la France.

En 1992, l'Union européenne adopte la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires qui consacre « le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie privée et publique ». En 1999, la France la signe mais sans la ratifier, à cause de son aspect anticonstitutionnel. Une ratification lierait juridiquement l'État contractant, alors que la signature est une simple reconnaissance des objectifs généraux de la charte.

Au Québec majoritairement francophone, la Charte de la langue française garantit, entre autres, le droit de participer aux assemblées, de recevoir une éducation et d'être servi dans les magasins en français, dans un Canada majoritairement anglophone.

Les hommes politiques se revendiquant du patriotisme voient dans la promotion des langues régionales une atteinte à l'indivisibilité de la Cinquième République actée dans sa constitution dès l'article premier. Pour eux, cette promotion se fait au détriment du français et au profit de l'anglais[28][source insuffisante].

L’impérialisme linguistique d’autres langues

Le latin

Le latin est la langue diffusée par les Romains à travers leurs conquêtes militaires. Elle s’impose comme langue administrative, juridique et commerciale dans tous les pays conquis, sans qu'on ait trouvé trace d'une volonté systématique d'extirpation par le pouvoir romain des langues des peuples soumis. Sa généralisation est à l’origine des langues latines (le catalan, l’espagnol, les parlers occitans, le français ainsi que les langues d'oïl dont il est issu, l’italien, le portugais, le roumain), entraînant en Gaule la disparition des parlers gaulois et influençant les langues brittoniques. Aujourd’hui encore, cette langue domine dans certains domaines scientifiques (catalogages d’espèces, botanique), juridiques (beaucoup de mots techniques et d’expressions sont encore appris dans cette langue) et dans la religion catholique à la fois comme langue liturgique et comme langue de référence pour la tenue des conciles. Bien que généralement considérée comme langue morte, il y a actuellement un mouvement de revitalisation du latin parlé comme langue de communication qui se manifeste par la création d'écoles (Vivarium Novum en Italie, Schola Nova en Belgique), d'émissions radiophoniques (Nuntii Latini en Finlande), de revues latines (Melissa en Belgique) et de congrès internationaux[29]. À cette fin, près de soixante mille vocables ont été ajoutés à cette langue en deux siècles[30].

Le grec ancien

Avant la constitution de l’Empire romain, le grec ancien (ou « grec classique », différent du grec moderne), tenait en Europe et au Moyen-Orient le rôle de langue de communication privilégiée dans le commerce, la philosophie, les arts, les sciences. Il a gardé ce rôle principal avec une grande fixité de syntaxe et de vocabulaire dans toute la partie orientale de l'empire romain jusqu'à sa chute en 1453. Les racines lexicales de cette langue sont encore très utilisées aujourd’hui dans le domaine scientifique (médical notamment) et dans la constitution des mots nouveaux en français à consonance technique ou technologique (aérodrome, téléphone, téléphérique, bathyscaphe, etc.).

S'il existe aujourd'hui de nombreuses langues dérivées du latin comme l'espagnol ou le portugais, le grec n'a aucune descendance et est localisé à une zone plus restreinte encore que celle qu'il occupait au IVe siècle av. J.-C., puisqu'il a disparu de l'ancienne Ionie, de Sicile et d'Italie du Sud. Ainsi, Marseille était encore considérée comme ville grecque au Ier siècle av. J.-C., et on parle de « Grande Grèce » pour l'Italie du Sud au Ier siècle[réf. nécessaire]. Pourtant l'Empire byzantin, région hellénique de l'Empire romain, qui était à l'origine plus peuplé et aussi plus grand que la partie latine de l'Empire romain était encore influent 600 ans après la chute de Rome[réf. nécessaire].

Les langues ibériques : le portugais et le castillan

Le castillan est la langue diffusée en Amérique du Sud et en Amérique centrale au moment de la colonisation du continent américain à partir du XVIe siècle. Comme le portugais au Brésil, cette langue s’est imposée de fait aux populations d’origine.

En Espagne cependant, le franquisme (1939-1975) a mené une politique ouverte de prohibition et de persécution dirigée contre les langues régionales[31].

Ainsi, au début du XXe siècle la Catalogne en particulier était essentiellement monolingue (catalanophone), la connaissance du castillan étant limitée à la minorité de la population ayant été scolarisée[32],[33]. Dans les années 1930 sont finalisés les travaux de normalisation de la langue menés par Pompeu Fabra et le catalan fait son apparition dans les écoles et l’administration durant la Seconde République (1931-1936). Toutefois, au cours de la dictature franquiste, le catalan est évincé au profit du castillan dans tous les contextes formels (enseignement, administration, médias, monde du travail...) et se trouve relégué à l'usage informel et familial. Après les importantes migrations survenues au cours de cette période dont la Catalogne a bénéficié, ce nouveau contexte défavorable explique la chute des compétences en catalan d'une grande partie de la population, avec une importante proportion de la population incapable de s'exprimer et un faible taux d'alphabétisation dans cette langue. Depuis l'avènement de la démocratie toutefois, la politique volontariste mené par la Generalitat catalane a permis une amélioration très significative de la situation du catalan[31]. Cette politique est parfois critiquée car jugée excluante au détriment des locuteurs castillanophones[34].

L'occitan

L'occitanisme, au sens de volonté militante d'imposer un occitan standard dans le midi de la France, au détriment des langues régionales historiques (gascon, provençal, ...) dans leur diversité, est une forme d'impérialisme linguistique.

Il s'accompagne, y compris dans Wikipédia, d'une entreprise systématique de renommage "occitan" des lieux ou personnages historiques régionaux (de Gascogne, Provence ou d'ailleurs que le Languedoc). Or, les rares documents (en latin) du Moyen Âge mentionnant lingua occitana concernent la province du Languedoc, alors conquis par le royaume de France.

Le japonais

Plus récemment et sur un temps plus court, le japonais, pendant la Seconde Guerre mondiale, a été imposé dans certains pays occupés, notamment en Corée.

L'arabe

L’arabe, du fait de l’expansion territoriale au Moyen Âge et par la diffusion du Coran, s’est répandu au Proche-Orient, dans toute l’Afrique du Nord, ainsi que dans les pays du Sahel et de la Corne de l'Afrique.

L’arabisation des berbérophones du Maroc, d’Algérie, de Tunisie et de Libye rencontre une résistance des populations qui réclament des droits linguistiques. Il en est de même au Soudan, où l’arabe prend la place de l’anglais et des langues africaines parlées au sud.

Le turc

En Turquie, le kurde, parlé aussi principalement en Syrie, en Iran et en Irak, tente de se maintenir face au turc[35].

Le russe

En URSS, la diffusion du russe comme langue unificatrice n'a pas eu pour résultat la disparition des autres langues du pays, de sorte qu'encore aujourd'hui, « la vaste Russie regroupe à elle seule 43 langues (à statut officiel) sur son territoire ».

Le russe a été imposé par Staline dans les provinces non russophones de l’URSS, à partir des années 1930. Staline a progressivement mis fin à l’enseignement en langues locales, mis en place par les « idéalistes » communistes au début de la Révolution russe.

La progression du russe a aussi été favorisée par l’immigration de populations russophones, déplacées de gré ou de force aux confins de l’Union soviétique. Ainsi, dans certaines républiques comme le Kazakhstan, les autochtones se sont retrouvés en infériorité numérique face aux Russes. En Ukraine, en Moldavie ou en Biélorussie, les Russes constituent toujours une minorité non négligeable. Au Kazakhstan toujours, les brassages de populations liés au goulag ont favorisé l’imposition du russe. Le russe étant la langue de l’appareil étatique de l’URSS, il est de fait la langue de l’armée. Le régime communiste a mis fin au service militaire inégalitaire du tsarisme et a imposé la conscription de même durée pour toutes les ethnies. La langue russe est donc la seule langue de communication entre ces soldats issus de toutes les provinces du pays. Le russe est la langue indispensable pour accéder à l’université, travailler dans l’administration et accéder aux plus hautes responsabilités, ou même tout simplement pour lire un livre. Les langues locales sont donc fortement dévalorisées, « inondées » de mots russes.

Le système communiste a également imposé l’alphabet cyrillique à des langues autrefois exclusivement orales, surtout en Asie centrale, au détriment de l’alphabet latin ou arabe. Cela favorise l’apprentissage de la langue locale par les Russes tout autant que l’apprentissage du russe par les locaux. C’est un facteur d’assimilation assez efficace. Cette « cyrillisation » de l’alphabet a aussi été imposée aux Moldaves, qui parlent roumain et l'écrivaient en alphabet latin, cela dans la perspective de les séparer encore plus concrètement des Roumains et de favoriser ainsi leur appartenance soviétique. Cette politique linguistique a été très efficace, puisqu'en 1989, la grande majorité des populations non russes d’URSS parlaient le russe comme langue véhiculaire, voire comme langue maternelle.

L’impérialisme linguistique de l’URSS ne s’est pas arrêté aux frontières de l’URSS. Le russe a été imposé comme langue étrangère obligatoire aux pays membres du Pacte de Varsovie (RDA, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie…), le plus souvent au détriment de l’anglais (assez peu, on l'apprenait avec soin en seconde langue et la diaspora américaine jouait en sa faveur), de l’allemand (en partie : l'Allemagne est proche et la tradition très forte) et surtout du français (partout quasiment liquidé, sauf en Roumanie, grâce à Ceausescu). Les cadres des partis communistes nationaux étaient presque tous formées à Moscou ou à Leningrad ; aussi leur niveau de russe se devait d’être assez élevé.

Le russe est donc la langue commune et imposée aux pays du bloc de l’Est dans les organisations interétatiques comme le Pacte de Varsovie ou le Kominform. Il souffre cependant d’un manque de popularité pour les populations qui le voient comme la « langue de l’occupant », et son apprentissage s’écroule dès la fin du communisme (mais beaucoup de peuples slaves, comme les Polonais, les Tchèques et les Serbes, le comprennent assez bien sans l'apprendre).

Pour contrer l’impérialisme linguistique

Diverses voies ont été suivies pour contrer l'impérialisme linguistique, notamment la valorisation de la langue maternelle, le développement de l'intercompréhension, ou bien l’usage d’une langue construite, pour les motifs développés ci-dessous.

Entre ceux qui perçoivent l'uniformisation linguistique comme une conséquence négative de la mondialisation, ceux qui la voient comme un progrès, ceux qui en font une fatalité ou ceux qui prônent le multilinguisme et la diversité culturelle, les points de vue semblent difficiles à concilier, chacun avançant des arguments valorisant sa conviction : besoin d'intercompréhension, importance de la diversité culturelle, facilité des échanges, respect des minorités, etc.

La valorisation de la langue maternelle

L’UNESCO encourage les approches bilingues ou multilingues dans l’enseignement basées sur l’utilisation de la langue maternelle, facteur important d’intégration dans l’enseignement et gage d’une éducation de qualité. L'UNESCO fournit des cadres normatifs pour l'enseignement multilingue basé sur l'usage de la langue maternelle[36].

L'UNESCO a ainsi instauré en 1999 une Journée internationale de la langue maternelle qui consacre la reconnaissance du Mouvement pour la Langue commémoré depuis 1952 au Bangladesh par la Journée du Mouvement pour la Langue, quand la police et l'armée de l'État pakistanais, qui occupait alors le Bangladesh, a ouvert le feu sur la foule des locuteurs de bengali manifestant pour leurs droits linguistiques à Dhaka.

La Journée internationale de la langue maternelle a été célébrée pour la première fois le . Dans un message lu au cours de la cérémonie de la première manifestation, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a apporté son soutien à cette journée, qui fait prendre conscience à tous les peuples de la valeur des langues. La Journée internationale de la langue maternelle a lieu le de chaque année.

Les langues construites

Le recours à une langue internationale auxiliaire commune qui soit neutre politiquement et culturellement est une idée défendue comme étant une solution aux problèmes posés. Une telle politique linguistique irait dans le sens de la généralisation de l'enseignement d'une langue véhiculaire construite, dans un but de communication internationale.

De nombreux projets de langues construites ont vu le jour, visant tous à faciliter les relations entre personnes de langues maternelles différentes. Trois ou quatre de ces projets sont devenus des langues parlées La langue la plus répandue de très loin est l'espéranto, qui compte, sans soutien étatique,selon une étude réalisée par le professeur Culbert de l'université de Washington, près de deux millions de locuteurs[note 1]. Dès 1922, il est proposé d’adopter l’espéranto comme langue de travail auxiliaire de la SDN en plus du français, de l’anglais et de l’espagnol. LesTreize délégués de pays incluant ensemble près de la moitié de la population mondiale, dont la Chine, l’Inde et le Japon votèrent la proposition contre un seul, le délégué français Gabriel Hanotaux qui mit son véto. Cependant l'espéranto est considéré depuis comme la langue internationale auxiliaire de référence, au moins 100 fois plus parlée que la deuxième langue dans cette catégorie. En 2005, le rapport Grin a étudié cette problématique et a évalué les diverses solutions possibles pour lutter contre l'impérialisme linguistique de l'anglais au sein de l'Union européenne ; pour conclure en préconisant, selon des critères d'équité et d'efficacité, la proposition de l'usage généralisé d'une langue construite (l'espéranto) plutôt qu'un passage au « tout-anglais ».

Notes et références

Notes

Références

  1. Atlas des Langues de l'UNESCO : Plus de 2 500 langues en danger dans le monde
  2. cf. supra : Pour Christopher Moseley, linguiste australien et directeur de publication de l'Atlas [des Langues de l'Unesco], « il serait naïf et simpliste d'affirmer que les grandes langues qui ont été des langues coloniales – tel l'anglais, le français et l'espagnol – sont partout responsables de l'extinction des autres langues. Le phénomène relève d'un subtil équilibre des forces (...) »
  3. a b c et d « Histoire sociolinguistique des États-Unis : La superpuissance et l'expansion de l'anglais », Université Laval, .
  4. (en) Robert Phillipson, Linguistic Imperialism, Oxford University Press, (ISBN 0-1943-7146-8).
  5. « Résolution sur la diversité linguistique dans l'Union européenne », Assemblée nationale française, .
  6. Claude Piron, Le défi des langues : Du gâchis au bon sens, L'Harmattan, 1994 (ISBN 2-7384-2432-5), [présentation en ligne].
  7. Michel Feltin-Palas, « Claude Hagège : « Imposer sa langue, c'est imposer sa pensée » », L'Express, .
  8. Éric Denécé et Claude Revel, L'Autre Guerre des États-Unis, les secrets d'une machine de conquête, pp. 159-172.
  9. (en) David Crystal, English as a Global Language, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-1076-1180-1).
  10. Claude Piron, Le défi des langues, Paris, L'Harmattan, , 79-88 p. (ISBN 2-7384-2432-5)
  11. Article de Philippe Pons dans le journal Le Monde du 19/04/2002
  12. Alastair Pennycook, English and the Discourses of Colonialism
  13. Adrian Holliday, The Struggle to Teach English as an International Language
  14. Julian Edge, (Re-)Locating TESOL in an Age of Empire
  15. Suresh Canagarajah, Resisting Linguistic Imperialism in English Teaching
  16. Éric Denécé et Claude Revel, L’Autre Guerre des États-Unis, économie : les secrets d'une machine de conquête, pp. 166-171.
  17. Éric Denécé et Claude Revel, L'Autre Guerre des États-Unis, économie : les secrets d'une machine de conquête, pp. 159-166.
  18. David Rothkopf, directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates, dans son livre Praise of Cultural Imperialism (« Éloge de l’impérialisme culturel »), 1997. (Extrait du livre en anglais)
  19. Anglais ou norvégien ?
  20. (en)« Any look into the future must entertain the idea that soon the entire world will speak English. Many believe English will become the world language to the exclusion of all others. But this idea, which first took root in the 19th century, is past its sell-by date. English will indeed play a crucial role in shaping the new world linguistic order, but its major impact will be in creating new generations of bilingual and multilingual speakers across the world. »
  21. Discrimination linguistique à la Commission européenne (English mother tongue only)
  22. Article 2.1 de la déclaration universelle des droits de l’homme
  23. Jean Darriulat, « Une entreprise américaine condamnée », Le Parisien, .
  24. Raoul Delcorde, « Le français, langue de la diplomatie ? », Le Devoir, .
  25. Gaston Pellet, « Les élites sacrifient la langue française », Le Monde diplomatique, .
  26. Sylvain Soleil, « L'ordonnance de Villers-Cotterêts, cadre juridique de la politique linguistique des rois de France ? », Langue(s) et Constitution(s), Presses universitaires d'Aix,‎ , p. 19-34 (lire en ligne [PDF]).
  27. « Les modalités des épreuves de langues vivantes aux baccalauréats général et technologique », Éduscol, .
  28. « Dominique Bucchini : Le bilinguisme fait notre richesse », L'Humanité, .
  29. À propos de la recrudescence du latin parlé, des organismes cités et des congrès : http://www.monumentaviaeque.eu, http://www.vivariumnovum.it/accademia, http://www.scholanova.be, http://web.me.com/fundatiomelissa/, http://yle.fi/radio1/tiede/nuntii_latini/
  30. Pierre Georges, Pour que latin ne meure, billet éditorial dans Le Monde
  31. a et b (es) Yvonne Griley Martínez, Perspectivas de la política lingüística en Cataluña, dans Georg Bossong et Francisco Báez de Aguilar González (dir.), Identidades lingüísticas en la España autonómica, Latinoamericana-Vervuert, col. « Lingüística iberoamericana », Madrid/Francfort-sur-le-Main, 2000, 189 p. (ISBN 84-95107-93-7) (ISBN 3-89354-784-3), p. 61-67.
  32. (ca)Joan Coromines, El que s'ha de saber de la llengua catalana, 2e édition, Moll, Palma de Majorque, 1965, p. 11.
  33. (es) Francesc Vallverdú (trad. José Fortes Fortes), Sociología y lengua en la literatura catalana [« L'escriptor català i el problema de la llengua »], Madrid, Edicusa, coll. « Cuardernos para el diálogo », (1re éd. 1968), 227 p., p. 51
  34. À ce sujet, voir par exemple l'article Manifeste des 2300.
  35. La Journée internationale de la langue maternelle et l’impérialisme linguistique, la politique de la standardisation
  36. UNESCO, les langues dans l'éducation

Voir aussi

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Bibliographie

  • (fr) Yves Person, Impérialisme linguistique et colonialisme, Les Temps modernes, 1973
  • Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme : Petit traité de glottophagie, Paris, Éditions Payot, (1re éd. 1974), 329 p. (ISBN 2-228-89511-3)
  • (fr) Henri Gobard, L'Aliénation linguistique, Flammarion, 1976
  • (fr) Charles Xavier Durand, La Manipulation mentale par la destruction des langues, Éditions François-Xavier de Guibert, Paris, mai 2002, (ISBN 2868397719)
  • (en) Robert Phillipson, Linguistic imperialism
  • (en) David Crystal, English as a global language
  • (en) David Crystal, Language Death, Cambridge University Press
  • (es) Rafael Ninyoles, Idioma y Poder Social, Madrid, Editorial Tecnos, coll. « Ciencias Sociales / Sociología »,
  • (en) David Rothkopf, Praise of Imperialism
  • (en) Tove Skutbabb-Kangas, Linguistic Genocide in Education ..or worldwide diversity and human rights, L.E.A. Mahwah, New Jersey and London
  • (en) Suresh Canagarajah, Resisting Linguistic Imperialism in English Teaching, Oxford University Press

Articles connexes

Liens externes