Hôtel de Roquelaure

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Hôtel de Roquelaure
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Hôtel particulier
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L'hôtel de Roquelaure est un hôtel particulier situé dans le 7e arrondissement de Paris, au no 246 du boulevard Saint-Germain. Construit au début du XVIIIe siècle comme résidence du maréchal de Roquelaure dont il garde le nom, il héberge actuellement le cabinet ministériel du ministère de la Transition écologique, dont l'administration centrale est située à La Défense, dans la tour Séquoia et la paroi sud de la Grande Arche.

Histoire[modifier | modifier le code]

La construction de l'hôtel du maréchal de Roquelaure[modifier | modifier le code]

Plaque devant l'hôtel.
L'hôtel de Roquelaure (façade jardin).

Comme l'ensemble du faubourg Saint-Germain, la parcelle sur laquelle est édifié l'hôtel de Roquelaure, est avant la deuxième partie du XVIIe siècle un ensemble de champs cultivés, régulièrement inondés par les crues de la Seine. Elle appartient à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés jusqu'au milieu du XVIe siècle, et porte ensuite une modeste construction qui, appartenant à un seigneur protestant, fait l'objet de combat et est détruite au cours des guerres de Religion[1]. À la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, le faubourg se transforme rapidement et devient le lieu privilégié de la construction nobiliaire, auparavant concentrée dans le Marais. La disponibilité de larges terrains non bâtis, la proximité de la route de Versailles, l'abrogation des édits royaux interdisant les constructions dans cet espace auparavant en marge de Paris, décident la haute noblesse à s'y installer[2],[3],[4].

La construction de l'hôtel de Roquelaure s'inscrit dans ce vigoureux mouvement de construction de demeures aristocratiques dans le faubourg, et dans celui du déplacement géographique de la noblesse à l'ouest de la ville. À la fin du XVIIe siècle, le terrain appartient à Claude de Sève, qui y fait construire un premier bâtiment connu comme l'hôtel de Villetaneuse, du nom de son mari[1]. Enrichi par les faveurs du roi après ses victoires durant la guerre des Camisards, Antoine-Gaston de Roquelaure acquiert l'hôtel en 1709 pour le transformer en une fastueuse résidence urbaine, en achetant également le terrain mitoyen ouest en 1711. En 1722 il confia à l'entrepreneur Jean Moreau le soin de bâtir un nouvel hôtel. L'architecte en charge n'est pas établi avec certitude ; l'hôtel peut être de Pierre Cailleteau[5] ou de son fils, Jean Cailleteau[6], le chantier étant achevé par Jean-Baptiste Leroux au début des années 1730[7]. L'historiographie tend par usage à l'attribuer à Pierre ; l'architecte travaille en effet au début des années 1720 au Palais Bourbon, proche, et sa mort en 1724 peut encore expliquer le changement d'architecte pour le chantier de Roquelaure.

Un ensemble de quatre projets conservés[8], datant de 1722, montre la dimension pragmatique de la construction d'une demeure urbaine dans Paris au XVIIIe siècle. L'architecte doit adapter un modèle canonique, celui de l'hôtel particulier entre cour et jardin, aux besoins de la grande maison noble, des irrégularités de la parcelle et par économie, aux constructions l'occupant déjà[9]. Cailleteau père ou fils doit ici accommoder les différents terrains acquis par Roquelaure, la distinction sociale que celui-ci, nommé maréchal de France en 1724, souhaite exprimer par sa demeure dans le quartier nobiliaire de Paris, l'hôtel de Villetaneuse édifié sur le site. En se fondant sur le gros œuvre de ce dernier hôtel (en noir sur les projets), l'architecte ébauche plusieurs solutions pour adjoindre de nouveaux bâtiments (en rouge) en accordant ces critères.

Une variante du premier projet est finalement préférée, par Cailleteau lui-même ou par Leroux qui lui succède sur le chantier. Ainsi reconstruit l'hôtel est conforme à l'organisation entre cour et jardin, modèle le plus usuel des hôtels particuliers, encore réaffirmé avec force au début du XVIIIe siècle par les élèves de Jules-Hardouin Mansart[10] dont Pierre Cailleteau fait partie. Le corps de logis double, séparé de la rue par une cour d'honneur flanquée de part et d'autre des écuries et de communs, montre la permanence d'une conception noble de la demeure urbaine dans ce nouveau quartier : à l'image d'un château champêtre, les lieux de vie sont soigneusement préservés de l'indiscrétion et de l'agitation de la rue. La petite aile ouest, introduite par Cailleteau et renfoncée dans le jardin, permet de blottir plus secrètement encore les pièces les plus intimes. À l'instar de nombreux hôtels entre cour et jardin[11], les deux façades du corps de logis sont dissymétriques en raison de l'irrégularité de la parcelle et de l'importance des communs. La façade du jardin est ainsi largement plus ample que celle donnant sur cour, qui n'a pas alors la même apparence qu'actuellement : dépourvue de perron central, elle est encadrée de deux pavillons en saillie, plus tard masqués par le rehaussement d'un niveau des dépendances[12].

L'« hôtel Molé »[modifier | modifier le code]

À la mort de Roquelaure en 1738, ses deux filles se disputent l'héritage de l'hôtel, qui est finalement vendu en 1740 à Mathieu-François Molé, président à mortier du Parlement de Paris[13]. L'hôtel, qui devient alors hôtel Molé, passe de la noblesse d'épée à la noblesse de robe. Il perd ainsi de son apparat mondain et acquiert une importance politique. Acteur de la lutte des Parlements contre le pouvoir royal, Molé est au centre des conflits de pouvoir marquant le règne de Louis XV. Premier président du Parlement en 1757, il s'installe au Palais et loue l'hôtel à l'ambassadeur d'Espagne[13]. À sa démission en 1764, il réintègre l'hôtel et l'habite jusqu'à sa mort en 1793. À une date incertaine dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Molé fait construire le perron central de la façade sur cour[14].

À la Révolution française, l'hôtel appartient toujours à la famille Molé. Édouard-François Molé, fils de Mathieu-François, émigré en 1789, revient en 1791 pour éviter la confiscation de ses biens. Emprisonné à plusieurs reprises, gardé sous surveillance à l'hôtel, il est condamné par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le . La famille Molé, dont Mathieu Molé, est expulsée quelques jours plus tard. L'hôtel, déclaré bien national, est attribué le à la Commission d'Agriculture et des Arts par le Comité de Salut Public. Entre et , la Commission quitte progressivement l'hôtel, rendu à Mme Molé par les dispositions de la Convention envers les survivants de condamnés pendant la réaction thermidorienne. Les décorations du fronton sur cour sont détruites durant cette période[14]. L'historiographie du XIXe et du début du XXe siècle a souvent avancé que l'hôtel est alors transformé en asile de galeux et teigneux[15] ; il s'agit très vraisemblablement d'une légende, la confrontation des dates de confiscation, d'affectation et de restitution ne laissant pas de doutes sur les activités qu'abrite le bâtiment[16]. Restitué, celui-ci passe à la seconde fille de Mme Molé, qui le loue, sans jamais l'habiter.

Le palais impérial de Cambacérès[modifier | modifier le code]

Elle le vend, en 1808, à Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, qui en fait une demeure d'apparat. Dans la mesure où l'hôtel est alors partie intégrante du pouvoir politique et de la symbolique impériale, il devient un palais, dont le grand corps de logis permet de donner de fastueuses réceptions et de recevoir les hôtes étrangers de marque, que Cambacérès accueille à la place de Napoléon[17]. Les fêtes données à Roquelaure deviennent célèbres par leur faste et leur finesse gastronomique[18]. Conséquemment, l'archichancelier fait rénover entièrement les intérieurs et acquiert l'hôtel de Lesdiguières-Sully, mitoyen, qu'il fait lier à celui de Roquelaure et qui sert de résidence à son frère Étienne Hubert de Cambacérès.

De l'hôtel particulier à l'hôtel ministériel[modifier | modifier le code]

Pendant la Restauration, l'hôtel est vendu par Cambacérès en exil en Belgique à la duchesse d'Orléans, veuve de Philippe-Égalité. À la mort de celle-ci en 1821, son fils Louis-Philippe et sa fille Adelaïde héritent de l'hôtel, et, sans jamais l'habiter, l'échangent au gouvernement contre une partie de la forêt royale de Bondy[19]. L'hôtel de Roquelaure, ainsi que le petit hôtel de Lesdiguières-Sully désormais lié au premier, perdent leur fonction originelle de demeure nobiliaire d'apparat, pour accueillir des administrations publiques qui se parent de la dignité symbolique du lieu. Ils s'intègrent en cela dans le mouvement de transfert de la symbolique nobiliaire et royale aux institutions républicaines au XIXe siècle, comme de nombreux autres hôtels particuliers qui logent ministères, assemblées et administrations[20].

Sous le gouvernement de Charles X, le bâtiment doit abriter les meubles précieux et les joyaux de la monarchie, l'hôtel de Lesdiguières-Sully servant de dépôt des archives royales. Dès 1832, le gouvernement de la monarchie de Juillet l'affecte au Conseil d'État. Le vaste hôtel doit servir à réunir en un seul lieu les quatre Comités du Conseil, le déroulement public des séances de l'Assemblée générale des contentieux[19]. Les comités ne viennent toutefois jamais à Roquelaure, qui ne sert in fine qu'aux assemblées. Le président du Conseil d'État réside au premier étage, le secrétaire général à l'hôtel de Lesdiguidières-Sully.

Dès 1836, l'idée émerge de réunir à l'hôtel de Roquelaure tous les services du ministère des Travaux publics. Celui-ci est alors dispersé entre plusieurs bâtiments dans Paris[21], alors même que le développement de ses compétences, marquées par les constructions des premières lignes de chemin de fer qui suscitent de vifs débat entre 1838 et 1842, rendent préférable la centralisation de ses administrations. Le , une ordonnance affecte "l'ancien hôtel Molé" au ministères des Travaux publics[22], le Conseil d'État s'installant au palais d'Orsay en 1840. Le bâtiment est restauré et aménagé pour sa nouvelle fonction par Félix Duban. La nécessité de réunir une administration importante dans un seul lieu pousse l'architecte à détruire les dépendances en façades sur la rue Saint-Dominique pour ériger un immeuble de trois étages, aujourd'hui disparu. Duban remplace encore les grandes écuries par une aile ouest symétrique aux communs est. Le ministère s'installe au cours de l'année 1841, à l'issue des travaux[23].

Depuis 1839, l'hôtel de Roquelaure a conservé une fonction ministérielle. Le ministère des Travaux publics devient en 1857 ministère de l’Équipement, et en 2007, ministère de l'Écologie et du Développement durable, renommé en 2017 ministère de la Transition écologique et solidaire.

Un nouvel ensemble de modifications modifie l'organisation de l'hôtel entre 1861 et 1880. Entre 1861 et 1866, les deux ailes de la cour sont surélevées d'un niveau, masquant les deux pavillons flanquant originellement la façade sur cour. La balustrade, qui auparavant bordait une terrasse, est encore visible comme balcon filant le premier étage. En 1880, le percement du boulevard Saint-Germain réaligne les bâtiments donnant auparavant sur la rue Saint-Dominique et provoque la destruction des immeubles construits par Duban. Un nouvel ensemble architectural remplace celui-ci, consistant en un entresol surélevé et deux étages donnant sur le boulevard.

L'ensemble des façades et toitures, ainsi que le portail, le sol de la cour d'honneur et le jardin, fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le [24].

L’hôtel Le Play, au no 40, rue du Bac, est mitoyen de l’hôtel de Roquelaure. Il est construit dans les années 1860 par les époux Durand-Fornas sur un terrain ayant appartenu au maréchal Kellermann[25]. L'hôtel est vendu au sénateur Albert Le Play (le fils de Pierre Guillaume Frédéric Le Play) en . Il est loué par l’État en 1943 (puis acheté à la suite d'une expropriation pour cause d’utilité publique prononcée le ) pour en faire une annexe du ministère de l’Équipement[26]. En 2012, c’est le siège du cabinet du ministre délégué à la Ville, en 2015 du secrétaire d'État au Commerce extérieur[27], en 2016 celui de la Famille, la Petite Enfance et les Droits des femmes[28] et en 2017 celui de la ministre auprès du ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire, chargée des Transports[29].

Galerie[modifier | modifier le code]

Homonyme[modifier | modifier le code]

Le plan de Paris de Vassalieu, dressé en 1609, nomme hostel de Roquelor le palais royal connu par la suite sous le nom d'hôtel Saint-Pol, dans le quartier du Marais[30].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Louise Berthelot 1976, p. 5.
  2. Louise Berthelot 1976, p. 1.
  3. Alexandre Gady 2008, p. 34-36.
  4. Danielle Chadych, Dominique Leborgne 2007, p. 76-77, p.104-105.
  5. Louis Hautecoeur 1950, p. 122 ;http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40273496z
  6. La façade sur jardin semble notamment faire partie du gros œuvre de l'ancien hôtel (Louise Berthelot 1976, p. 5)
  7. L'Assurance (16..-1723) et Moreau, Jean (16..-17.. ; entrepreneur), « BnF Catalogue général », sur catalogue.bnf.fr, (consulté le )
  8. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (29)-FOL (Fonds Robert de Cotte)
  9. Alexandre Gady 2008, p. 56.
  10. Sont communément désignés par cette expression plusieurs architectes de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle (Germain Boffrand, Jean Aubert, Robert de Cotte, Pierre Cailleteau dit Lassurance) qui ont appris auprès d'Hardouin-Mansart le système architectural construit et défini par lui par ses bâtiments et par l'Académie royale d'architecture, pour exprimer l'absolutisme royal, l'ont adapté et diffusé à la commande privée. Voir Alexandre Gady, Jules Hardouin-Mansart - 1646-1708, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2010 ; Bertrand Jestaz, Jules Hardouin-Mansart, Paris, Picard, coll. « Librairie de l'architecture et de la ville », 2008 ; Jean-Marie Pérouse De Montclos, Histoire de l'architecture française - Tome 2, De la Renaissance à la Révolution, Paris, Mengès, 1995
  11. La dissymétrie des axes centraux des deux façades est l'un des traits communs des hôtels particuliers de l'époque moderne, leur adaptation montrant l'habileté de l'architecte à inscrire le modèle dans les contingences du terrain et des besoins. Voir à ce sujet Alexandre Gady 2008, p. 56-69.
  12. Les deux ailes des écuries et des communs ne consistent alors qu'en des rez-de-chaussées (Louise Berthelot 1976, p. 20)
  13. a et b Louise Berthelot 1976, p. 8.
  14. a et b Louise Berthelot 1976, p. 24.
  15. Parmi celle-ci figurent par exemple : Paulette Bourquin-Cussenot, Saint-Thomas d'Aquin: histoire d'un quartier de Paris, Paris, Chantenay, 1965, p. 66 ; André Mauban, L'Architecture française de Jean Mariette, Éditions d'art et d'histoire, 1945, p. 139
  16. Louise Berthelot 1976, p. 9
  17. Louise Berthelot 1976, p. 12-13
  18. « L'archichancelier Cambacérès, un archi-gastronome », sur www.canalacademie.com (consulté le )
  19. a et b Louise Berthelot 1976, p. 13.
  20. Sur l'aspect architectural de ce transfert symbolique vers "l'État en ses hôtels", voir Alexandre Gady 2008, p. 264-272.
  21. Ces bâtiments se situent rue des Saints-Pères, rue Saint-Guillaume, rue de Varenne, rue de Lille (Louise Berthelot 1976, p. 13-16).
  22. « L'ancien hôtel Molé est affecté aux services de ce ministère (ord.du 10 septembre 1839) », Bulletin des lois du royaume de France, Paris, Imprimerie royale, 1840, deuxième semestre de 1839, tome XIX p. 974
  23. Louise Berthelot 1976, p. 16 et 25.
  24. Notice no PA00088733, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture
  25. Ministère de l'égalité, des territoires et du logement, « L’hôtel le Play, 40, rue du Bac » [PDF], sur developpement-durable.gouv.fr, (consulté le )
  26. Jérôme Klein, « L’hôtel Le Play une histoire « retrouvée » », Pour Mémoire, no 1,‎ , p. 75-82 (lire en ligne)
  27. Louis Hausalter, « Déménagements de ministres : ce très coûteux remaniement », marianne.net, 24 février 2016.
  28. « Elysée, gouvernement : ça déménage à tous les étages », sur www.liberation.fr,
  29. « Élisabeth Borne », sur Gouvernement.fr (consulté le )
  30. Procès-verbal de la Commission municipale du Vieux Paris, 7 juillet 1904, p. 182.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Louise Berthelot, L'hôtel de Roquelaure, Paris, Morancé,
  • Danielle Chadych, Dominique Leborgne, Atlas de Paris. Évolution d'un paysage urbain, Paris, Parigramme,
  • Alexandre Gady, Les hôtels particuliers de Paris, du Moyen-Âge à la Belle époque, Paris, Parigramme,
  • Louis Hautecoeur, Histoire de l'architecture classique en France. Tome III, Première moitié du XVIIIe siècle : le style Louis XV, Paris, A. et J. Picard,
  • Bruno Pons, L'hôtel de Roquelaure, Paris, Ministère de l'Équipement, Imprimerie nationale,

Articles connexes[modifier | modifier le code]