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En mécanique des fluides, les équations de Navier-Stokes sont des équations aux dérivées partielles non linéaires qui décrivent le mouvement des fluides newtoniens (donc des gaz et de la majeure partie des liquides[a]). La résolution de ces équations modélisant un fluide comme un milieu continu à une seule phase est difficile, et l'existence mathématique de solutions des équations de Navier-Stokes n'est pas démontrée. Mais elles permettent souvent, par une résolution approchée, de proposer une modélisation de nombreux phénomènes, comme les courants océaniques et des mouvements des masses d'air de l'atmosphère pour les météorologistes, le comportement des gratte-ciel ou des ponts sous l'action du vent pour les architectes et les ingénieurs, ou encore celui des avions, des trains ou des voitures à grande vitesse pour leurs bureaux d'études concepteurs, ainsi que l'écoulement de l'eau dans un tuyau et de nombreux autres phénomènes d'écoulement de divers fluides.
Pour un gaz peu dense, il est possible de trouver une solution approchée de l’équation de Boltzmann, décrivant le comportement statistique des particules dans le cadre de la théorie cinétique des gaz. Ainsi, la méthode de Chapman-Enskog, due à Sydney Chapman et David Enskog en 1916 et 1917, permet de généraliser les équations de Navier-Stokes à un milieu comportant plusieurs espèces et de calculer l'expression des flux de masse (équations de Stefan-Maxwell incluant l'effet Soret), de quantité de mouvement (en donnant l'expression du tenseur de pression) et d'énergie en montrant l'existence de l'effet Dufour. Cette méthode permet également de calculer les coefficients de transport à partir des potentiels d'interaction moléculaires.
Cet article décrit diverses variantes des équations valables pour des milieux de composition homogène, les problèmes liés à la diffusion et aux réactions chimiques n'y sont pas abordés[6].
On peut définir une loi de conservation pour une variable extensive Φ de densité ϕ entraînée à la vitesse V et comportant un terme de production volumique S par :
Formulation eulérienne
La formulation la plus utilisée fait appel à un référentiel fixe naturel lorsque l'on traite un problème stationnaire ou instationnaire dans lequel le domaine de calcul est connu à l'avance. On fait alors appel aux variables eulériennes.
On obtient les équations de Navier-Stokes en appliquant la relation de conservation ci-dessus à la masse volumique ρ, à la quantité de mouvement ρV et à l'énergie totale ρ E[8].
qR désigne le flux de chaleur dû au rayonnement (unité SI :J m−2 s−1).
Afin de clore le système il est nécessaire de décrire p, Σ, et q à partir d'hypothèses sur le fluide considéré. qR est quant à lui l'objet d'un calcul de transfert radiatif éventuellement couplé à la résolution des équations de Navier-Stokes.
Quelques variations autour du système d'équations
On peut exprimer différemment l'équation de quantité de mouvement en remarquant que :
Démonstration
L'équation alors obtenue s'interprète comme la deuxième loi de Newton, en remarquant que le terme décrit l’accélération des particules du fluide.
Il est possible d'exprimer la conservation de l'énergie sous forme équivalente en transférant au premier membre le terme correspondant à la pression :
Le terme ρ E + p peut être remplacé par où h = e + p/ρ est l'enthalpie massique.
En multipliant scalairement l'équation de quantité de mouvement écrite comme ci-dessus par la vitesse on obtient une loi de conservation pour l'énergie cinétique :
En soustrayant cette équation de l'équation de conservation de l'énergie, en utilisant l'équation de conservation de la masse et l'identité
on obtient l'équation suivante sur l'énergie interne par unité de masse :
Formulation lagrangienne
Dans certains problèmes le domaine occupé par le fluide peut varier considérablement au cours du temps. Il s'agit donc de problèmes instationnaires. C'est le cas dans les problèmes d'explosion ou en astrophysique. On fait alors appel aux variables lagrangiennes définies dans le repère noté ξ. L'accélération de la particule fluide est donnée par la dérivée particulaire :
Le dernier terme de cette équation est le terme d'advection de la quantité ϕ. Celle-ci peut être scalaire, vectorielle ou tensorielle.
Pour la quantité de mouvement la dérivée particulaire vaut :
Les équations de conservation dans le système de coordonnées définies par s'écrivent :
Équation de continuité (ou équation de bilan de la masse)
Équation de bilan de la quantité de mouvement
Équation de bilan de l'énergie
Expressions dans des systèmes de coordonnées
En utilisant l'expression des opérateurs dans les divers systèmes courants de coordonnées il est possible de détailler les expressions des équations.
Expressions des équations en compressible dans divers systèmes de coordonnées
Expression en coordonnées cartésiennes
Expression en coordonnées cylindriques
Expression en coordonnées sphériques
Fluide newtonien, hypothèse de Stokes
En première approximation, pour de nombreux fluides usuels comme l'eau et l'air, le tenseur des contraintes visqueuses est proportionnel à la partie symétrique du tenseur des taux de déformation (hypothèse du fluide newtonien)
μ désigne la viscosité dynamique du fluide (unité : Poiseuille (Pl) = Pa s = N m−2 s) ;
μ' désigne la seconde viscosité (ou viscosité volumique, en anglais volume viscosity) du fluide (unité : Poiseuille (Pl) = Pa s = N m−2 s).
Ces coefficients dépendent en général de la masse volumique et de la température thermodynamique, comme au paragraphe suivant.
On utilise généralement l'hypothèse de Stokes pour relier la viscosité dynamique à la seconde viscosité :
Compte tenu de l'expression du tenseur des contraintes visqueuses l'équation de quantité de mouvement se met alors sous la forme :
L'hypothèse de Stokes est vraie pour les gaz monoatomiques. Elle constitue une bonne approximation pour des fluides simples comme l'eau et l'air[9].
A contrario, de nombreux fluides complexes, tels que les polymères, les hydrocarbures lourds, le miel, ou encore la pâte de dentifrice, ne vérifient pas l'hypothèse du fluide newtonien. On recourt alors à d'autres lois de comportement visqueux, dites non newtoniennes (par exemple la loi du fluide de Bingham). La science qui étudie les relations entre contrainte et déformation pour de tels fluides est la rhéologie.
Propriétés thermodynamiques
Le système décrit ci-dessus est incomplet puisqu'il comporte 3 équations (dont une vectorielle) pour 5 inconnues (dont deux vectorielles) : ρ, V, e, p, q (si l'on néglige le flux de chaleur dû au rayonnement, qR). On ajoute pour fermer le système des équations d'état de la forme
Les propriétés de transport, viscosité et conductivité, résultent d'une distribution hors d'équilibre thermodynamique dans le milieu (ne satisfaisant pas la statistique de Maxwell-Boltzmann). On sait les exprimer en utilisant la méthode de Chapman-Enskog[9].
La viscosité s'exprime sous la forme suivante :
où f (T) est une fonction lentement variable avec T, découlant du potentiel d'interaction moléculaire. La viscosité d'un gaz varie donc approximativement comme √T. Elle est indépendante de la pression.
La conductivité est étroitement liée à la viscosité :
où est la capacité thermique massique à volume constant.
Dans cette expression χ = 1 correspond à la corrélation d'Eucken. La valeur exacte est plus proche de 1,3 en moyenne. Des calculs d'échanges au cours des collisions moléculaires permettent de préciser cette valeur, dépendante du gaz considéré et faiblement de la température.
Liquides
La connaissance théorique pour les liquides est beaucoup moins avancée que pour les gaz et les prédictions dans ce domaine qualitatives : la viscosité diminue avec la température[9],[11]. La connaissance des valeurs repose sur les mesures.
La variation de la conductivité avec la température ne présente pas de tendance marquée[12],[13].
Restrictions à des cas plus simples
Fluides incompressibles homogènes à viscosité constante
L'écoulement d'un fluide est dit incompressible et homogène lorsque l'on peut négliger ses variations
de masse volumique. Cette hypothèse est vérifiée pour l'eau liquide à température fixe et les métaux en fusion. Elle est aussi vérifiée pour les gaz lorsque le nombre de Mach est faible. En général, on considère l'écoulement incompressible lorsque . De plus ce type de problème se rencontre dans des situations où la variation de température dans le milieu est faible et où l'on peut donc considérer la viscosité constante. Ceci est particulièrement vrai dans des liquides comme l'eau (voir courbe ci-dessus). De ce fait l'équation de l'énergie est découplée des équations de continuité et de quantité de mouvement, c'est-à-dire qu'on peut déterminer la vitesse et la pression indépendamment de l'équation de l'énergie. L'expression des équations de continuité et de quantité de mouvement sont considérablement simplifiées. On obtient alors
Équation d'incompressibilité (se confondant avec l'équation de bilan de la masse pour un fluide homogène)
Une expression de la pression peut être obtenue en prenant la divergence de l'équation de quantité de mouvement et en tenant compte de la relation d'incompressibilité :
et en utilisant l'équation de continuité on peut écrire l'équation de quantité de mouvement sous la forme suivante :
Supposons que le vecteur tourbillon est nul, alors[b] :
Puisque la vitesse V est un champ irrotationnel, on peut déduire qu'elle dérive d'un potentiel que l'on note ψ :
En particulier dans le cas incompressible si on reporte cette expression dans l'équation d'incompressibilité, on voit que le potentiel obéit à l'équation de Laplace :
Si, de plus, le fluide est homogène et que la force g dérive d'un potentiel, alors la propriété d'irrotationalité est automatiquement propagée en temps grâce à l'équation vérifiée par la vitesse.
Ces écoulements potentiels concernent les écoulements à faibles vitesses et peu visqueux : une voile de bateau ou une aile de planeur par exemple.
Analyse dimensionnelle
Équations adimensionnelles
Les équations de Navier-Stokes font intervenir 9 quantités ρ, V, p, e, T, μ, λ, g, qR, et 4 dimensions : temps, espace, masse, température. Le théorème de Vaschy-Buckingham montre donc l'existence de 5 variables adimensionnelles permettant l'analyse du système. Ces variables sont par exemple les nombres de Mach, Reynolds, Prandtl, Froude et Goulard. Il existe d'autres variables comme les nombres de Knudsen, de Strouhal, de Péclet ou beaucoup d'autres, mais celles-ci ne sont pas indépendantes. Les nombres de Mach, Reynolds et Knudsen par exemple sont liés entre eux, de même que les nombres de Péclet, Prandtl et Reynolds. Pour écrire ces nombres il faut définir des quantités de référence qui sont caractéristiques du problème étudié.
Définissons les variables suivantes servant de références :
une vitesse V*, une masse volumique ρ* et une température T*, par exemple les valeurs en amont (condition aux limites), d'où on déduit une pression ,
une seconde vitesse a* pour la propagation des ondes sonores, par exemple pour un gaz parfait,
une énergie interne e*, par exemple pour un gaz parfait,
une viscosité μ* et une conductivité λ* éventuellement liée à μ* (voir propriétés de transport),
une accélération g*,
un flux radiatif qR*.
On peut alors définir pour ce problème les variables réduites suivantes :
- espace
- temps
- masse volumique
- pression
- viscosité
- énergie interne
- flux radiatif
- conductivité
et les variables adimensionnelles :
- le nombre de Mach
- le nombre de Reynolds
- le nombre de Prandtl
- le nombre de Froude
- le nombre de Goulard
Le système d'équations en valeurs réduites s'écrit :
conservation de la masse
où est l'opérateur nabla adimensionné utilisé dans le système de coordonnées transformé.
conservation de la quantité de mouvement
conservation de l'énergie
avec
Dans le cas d'un gaz parfait
Cette approche est utilisable pour l'analyse des équations et la réalisation d'expériences jugées réalistes parce que respectant le critère d'analogie en termes de nombres adimensionnels. On peut aller au-delà en utilisant une technique de la physique mathématique nommée analyse asymptotique, formalisée par David Hilbert. Dans cette méthode on développe la solution en série d'un « petit paramètre » et on analyse les approximations aux divers ordres du développement. Un exemple en est le développement en nombre de Mach montré ci-dessous. Un autre exemple très connu est le développement en nombre de Reynolds utilisé pour la couche limite.
Écoulements à faible nombre de Mach
Cette approche est utilisée dans les problèmes de combustion dans lesquels les vitesses sont faibles.
Les quantités manipulées sont supposées régulières. Le développement asymptotique commence par le choix du « petit paramètre » avec lequel chacune des variables est développée. Ici ce paramètre est [c],[16],[17] :
où α représente chacune des valeurs ρ, V, T, p. On regroupe les termes correspondants au même ordre du développement. Ceux-ci sont égaux puisque les équations sont vraies pour toute valeur de ε.
Développements
Par la suite on suppose valide l'hypothèse du gaz parfait.
à l'ordre -1
Un seul terme en ε−1 apparaît, et cela dans l'équation de quantité de mouvement :
à l'ordre 0
Équation de continuité
Équation de quantité de mouvement :
avec
Pour la conservation de l'énergie, compte tenu de
on obtient :
Si l'on s'arrête à l'ordre 0, après retour aux quantités dimensionnées on obtient les équations suivantes :
L'équation d'état est écrite en utilisant l'ordre 0 de la pression, l'ordre 1 (« pression dynamique ») étant une quantité en donc négligeable. Ceci a pour effet de supprimer le couplage entre masse volumique et ondes de pression.
On remarque que l'on a un système de 4 équations (dont une vectorielle) avec l'équation d'état pour 5 inconnues (dont une vectorielle) : ρ, V, T, p et p1. On ferme le système avec une équation concernant la pression (qui est constante en espace).
Dans un système ouvert la condition aux limites impose la pression p = p0 (par exemple la pression atmosphérique pour un feu à l'air libre).
Dans un système fermé, la masse totale reste constante au cours du temps. En intégrant sur le volume du système, cela donne :
Lorsque l'équation d'état du gaz parfait est utilisable, l'expression précédente devient :
Remarques :
À l'ordre 0, g n'intervient pas dans le bilan d'énergie.
À cet ordre le rayonnement n'apparaît pas non plus, alors qu'il peut être un élément important du problème (en combustion par exemple). Ceci est dû au choix du nombre adimensionnel de Goulard, adapté aux écoulements à grande vitesse où l'énergie cinétique est grande devant l'énergie interne. Ici c'est le contraire et le bon nombre adimensionnel est [d]. Le développement utilisant cette quantité conduit au terme dans l'équation de l'énergie et donc permet au rayonnement d'apparaître à l'ordre 0.
Conditions aux limites
Conditions entrantes et sortantes
Il n'y a pas, sauf exception, de conditions entrantes ou sortantes spécifiques au système de Navier-Stokes. En effet les effets visqueux sont généralement confinés en des endroits spécifiques connus à l'avance. Le domaine de calcul inclut donc ces régions et on est ainsi ramené au problème des conditions entrantes et sortantes pour les équations d'Euler. On peut ajouter que donner des conditions dans une région où les effets visqueux sont importants constitue une tâche des plus ardues.
Conditions pariétales
Il n'est pas possible stricto sensu d'écrire des telles conditions aux limites. En effet, comme le montre la méthode de Chapman-Enskog dans le cas des gaz, le système de Navier-Stokes suppose au niveau microscopique une faible perturbation de la distribution de Maxwell-Boltzmann. Cette hypothèse est invalide au voisinage d'une paroi, laquelle perturbe fortement la distribution des vitesses et des énergies internes des molécules. La résolution de la région perturbée ou couche de Knudsen montre l'existence de sauts de vitesse et de température qui sont d'autant plus faibles que la pression augmente. Si celle-ci est suffisante on peut négliger des discontinuités et les conditions pariétales se réduisent alors aux conditions généralement données sans justification[e] :
V = 0 à la paroi (condition d'adhérence),
T' = Tp à la paroi, où Tp est la température de paroi, donnée.
Illustrations
Calcul d'aérodynamique supersonique en variables eulériennes.
Calcul d'un jet astrophysique en variables lagrangiennes.
Les équations de Navier-Stokes sont le principal sujet du film Mary de Marc Webb, sorti en 2017.
Notes et références
Notes
↑Les équations de Navier-Stokes adoptent l’approximation des milieux continus, approximation qui est acceptable pour la plupart des fluides, à l'exception des gaz extrêmement raréfiés.
↑Le terme Ω × V peut également être nul si Ω et V sont parallèles. Cette condition décrit les écoulements de Beltrami.
↑On peut également effectuer un développement en qui permet de prendre en compte les ondes acoustiques.
↑Ces conditions peuvent être plus complexes lorsqu'il existe une interaction physico-chimique gaz-paroi. On écrit alors des équations de conservation des flux.
↑Siméon Denis Poisson, Mémoire sur les équations générales de l'équilibre et du mouvement des corps solides élastiques et des fluides, lu à l'Académie Royale des Sciences le 12 octobre 1829 avant publication au 20e cahier du Journal de l’École Polytechnique, 1830, t. 13, p. 394-412.
↑ a et b(en) Yeram Sarkis Touloukian, P. E. Liley, S. C. Saxena, Thermal Conductivity. Nonmetallic Liquids and Gases, Rapport TPRC Data Series, Vol. 3, Information for Industry, Inc. (IFI)/Plenum Press, 1970 (SBN 306-67023-2) [1]
↑(en) Yeram Sarkis Touloukian, R. W. Powell, C. Y. Ho, M. C. Nicolaou, Thermal Diffusivity, Rapport TPRC Data Series, Vol. 10, Information for Industry, Inc. (IFI)/Plenum Press, 1973 [2]