Augustin de Cantorbéry

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Augustin de Cantorbéry
Image illustrative de l’article Augustin de Cantorbéry
Portrait d'Augustin (ou de Grégoire le Grand) dans le Bède de Saint-Pétersbourg.
Archevêque de Cantorbéry
Naissance premier tiers du VIe siècle
Rome
Décès  
Canterbury
Vénéré à Canterbury, Ramsgate
Vénéré par Église catholique
Église d'Angleterre
Église orthodoxe
Fête 26 ou 27 mai

Augustin de Cantorbéry, né probablement au premier tiers du VIe siècle à Rome (Italie) et décédé le à Cantorbéry dans le Kent (Angleterre), était un moine bénédictin, prieur d'un monastère de Rome. Envoyé avec un groupe de moines par le pape Grégoire le Grand pour réévangéliser l’Angleterre, il en devint le premier évêque, puis archevêque, à partir du siège de Cantorbéry. Considéré comme saint, il est fêté le 27 mai.

Contexte

Lorsque les légions romaines quittent la Grande-Bretagne en 410, l'île est déjà convertie au christianisme : elle envoie trois évêques au concile d'Arles en 314, et l'on sait qu'un évêque de Gaule y est envoyé en 396 pour régler des affaires disciplinaires[1]. Elle est également la patrie de l'hérésiarque Pélage[2],[3]. Les preuves matérielles témoignent de la présence croissante des chrétiens au moins jusqu'aux alentours de l'an 360[4].

Des tribus germaniques païennes s'installent en Grande-Bretagne après le départ de Rome, faisant disparaître les structures économiques et religieuses héritées de la période romaine[5]. En occupant le sud de l'île, elles isolent les communautés chrétiennes de l'ouest, et une église celtique s'y développe dès lors loin de l'influence papale, sous l'égide de missionnaires irlandais[2],[3]. Cette église, organisée autour de monastères plutôt que d'évêchés, présente des caractéristiques propres, en particulier son calcul de la date de Pâques et la tonsure portée par les clercs[3]. Bien que le christianisme ne disparaisse pas totalement des régions conquises par les Anglo-Saxons, comme en témoigne la survivance du culte d'Alban et la présence de l'élément eccles (du latin ecclesia « église ») dans plusieurs toponymes[6], les chrétiens de ces régions ne semble pas avoir cherché à convertir les Anglo-Saxons[7],[8].

À la fin du VIe siècle, le royaume de Kent, le plus proche du continent, est gouverné par Æthelberht, dont l'épouse, Berthe, est une princesse mérovingienne chrétienne[9]. Berthe est accompagnée au Kent par l'évêque Létard, dont la présence était l'une des conditions posées au mariage[10]. Selon certains historiens, Æthelberht, resté païen, serait à l'origine de l'envoi de missionnaires par le pape Grégoire Ier[10],[11]. Pour d'autres, l'initiative de la mission revient à Grégoire, mais ses raisons précises restent incertaines. Une anecdote rapportée par Bède le Vénérable explique que voir deux jeunes Saxons sur le marché aux esclaves de Rome lui aurait insufflé la volonté de convertir leur peuple. Grégoire est certainement motivé par des raisons plus profondes, comme le désir de voir de nouvelles provinces reconnaître l'obédience romaine ou la possibilité d'exercer une influence sur le gouvernement du Kent[12]. Il faut peut-être envisager cette mission comme une extension des efforts missionnaires de la papauté en direction des Lombards païens et ariens[13].

Le choix du Kent n'est sans doute pas uniquement lié à la religion de sa reine. À l'époque, il s'agit du royaume le plus puissant du sud-est de l'Angleterre : Bède indique qu'Æthelberht exerçait l'imperium au sud de l'Humber. Le Kent entretient également des relations commerciales solides avec les Francs chrétiens, qui sont susceptibles d'apporter leur appui à la mission[14]. À en juger par la correspondance de Grégoire, les rois francs considèrent exercer une sorte de suzeraineté sur une partie du sud de l'Angleterre, et il est possible que Létard ne joue pas un rôle purement religieux, mais qu'il agisse comme un représentant de l'Église franque. L'archéologie prouve que l'influence franque sur le Kent est également d'ordre culturel[15].

Constitution de la mission

En 595, Grégoire choisit les moines qui doivent faire partie de la mission au Kent et demande à Augustin, le prieur de l'abbaye Saint-André à Rome, de prendre leur tête[16]. Grégoire envoie également des lettres aux souverains francs Thierry II de Bourgogne et Thibert II d'Austrasie, ainsi qu'à leur grand-mère Brunehaut, pour leur demander de soutenir la mission ; par la suite, il envoie également une lettre de remerciements au roi de Neustrie Clotaire II pour son aide. Les évêques et rois francs accordent l'hospitalité aux missionnaires durant leur voyage, mais ils leur fournissent également des interprètes et des prêtres pour les accompagner[17].

On ignore les raisons qui ont poussé Grégoire à choisir un simple moine comme Augustin pour diriger la mission. Dans une lettre à Æthelberht, il loue ses connaissances bibliques, ce qui implique un certain degré d'éducation. Augustin doit également être un administrateur compétent : en tant que prieur de l'abbaye Saint-André, c'est lui qui s'occupe des affaires courantes, puisque son abbé n'est autre que le pape Grégoire lui-même[18].

Augustin est accompagné d'une quarantaine de compagnons, dont plusieurs moines. Peu après leur départ de Rome, les missionnaires s'arrêtent, effrayés par l'ampleur de la tâche qui leur est imposée. Ils renvoient Augustin auprès du pape, pour lui demander de leur permettre de rentrer. Grégoire refuse et renvoie Augustin auprès de ses compagnons avec des lettres les exhortant à poursuivre[19].

Premiers succès

La mission grégorienne arrive au Kent en 597[20]. Æthelberht leur permet de s'installer dans sa capitale de Canterbury et d'y prêcher, avant de se convertir lui-même au christianisme. On ignore la date exacte de son baptême, mais il a vraisemblablement eu lieu en 597. En effet, l'année suivante, Grégoire écrit au patriarche d'Alexandrie pour se féliciter des succès d'Augustin, qui aurait converti 10 000 païens, mais une conversion aussi massive (même si le chiffre peut être exagéré) n'aurait pu avoir lieu sans celle du roi[20],[21]. Néanmoins, lorsque Grégoire écrit au patriarche Euloge d'Alexandrie en juin 598, il mentionne les nombreuses conversions effectuées par Augustin, mais ne parle pas du baptême du roi. Celui-ci s'est de toute façon produit avant 601. Cette conversion vient également réduire l'influence franque sur le sud de l'Angleterre[22].

Augustin établit son siège épiscopal à Canterbury. On ne sait pas exactement quand et où il a été sacré évêque. D'après Bède, c'est l'archevêque d'Arles qui l'aurait sacré après la conversion d'Æthelberht. Pourtant, les lettres de Grégoire lui donnent le titre d'évêque avant même son arrivée en Angleterre[23]. Ayant étudié les différentes possibilités, l'historien R. A. Markus estime que le sacre d'Augustin s'est bien produit avant sa traversée de la Manche, mais que les sources ne permettent pas d'en préciser le lieu[24]. Augustin fonde l'abbaye Saint-Pierre-et-Saint-Paul peu après son arrivée, sur des terres données par le roi[25]. Bien qu'elle soit souvent considérée comme la première abbaye bénédictine hors d'Italie, rien ne permet d'affirmer qu'elle a suivi la règle de saint Benoît dès sa fondation[26].

Augustin renvoie Laurent à Rome assez rapidement, afin d'informer le pape de ses premières conversions et de lui demander conseils sur divers points de doctrine et d'administration de l'Église[27]. La lettre d'Augustin et la réponse de Grégoire ont été préservées par Bède, qui les inclut dans le chapitre 27 de son Historia ecclesiastica gentis Anglorum (ce chapitre est communément appelé Libellus responsionum). Grégoire envoie de nouveaux missionnaires en Angleterre en 601. Ils amènent avec eux des vases sacrés, des reliques, des livres (dont peut-être l'évangéliaire de saint Augustin[28]) et un pallium pour Augustin. Symbole de l'autorité métropolitaine, ce pallium confère à Augustin le statut d'archevêque, directement lié au Saint-Siège. Il est accompagné d'une lettre dans laquelle Grégoire demande à Augustin d'ordonner douze évêques suffragants dès que possible, et d'envoyer un évêque à York. Le pape envisage de diviser l'île entre deux sièges métropolitains, l'un à York et l'autre à Londres, chacun d'eux ayant autorité sur douze évêques suffragants. En accord avec les projets de Grégoire, Augustin aurait dû transférer son siège de Cantorbéry à Londres, mais ce déplacement n'a jamais eu lieu, vraisemblablement parce que la ville ne Londres ne relève pas d'Æthelberht : elle appartient au royaume d'Essex, sur lequel règne son neveu Sæberht[29],[12],[30].

Mort et postérité

La première tombe d'Augustin à Canterbury.

Augustin sacre son successeur Laurent avant de mourir, probablement pour que la passation de pouvoir se fasse sans heurt[31]. À sa mort, le 26 mai 604[13], les efforts de la mission grégorienne n'ont guère dépassé les frontières du Kent. Cependant, les travaux d'Augustin marquent l'arrivée d'une démarche plus active dans la christianisation des îles Britanniques, là où les chrétiens irlandais et gallois ne s'étaient pas efforcés de convertir les envahisseurs saxons. C'est par conséquent lui et ses successeurs qui permettent l'implantation définitive de cette religion en Grande-Bretagne[32],[33]. Son exemple inspire par la suite les missionnaires anglo-saxons qui retournent sur le continent à partir de la fin du VIIe siècle pour convertir les peuples encore païens de l'empire franc[34],[35].

Le corps d'Augustin est tout d'abord inhumé dans le portique de l'abbaye qu'il a fondée à Cantorbéry et qui prend par la suite son nom[36]. Son culte est promu avec vigueur après la conquête normande de l'Angleterre : le 13 septembre 1091, ses restes sont déplacés dans une nouvelle tombe, située dans une chapelle axiale de l'abbaye[37]. Le roi Henri Ier accorde à l'abbaye une foire de six jours du 8 au 13 septembre[38].

Le moine Goscelin rédige une hagiographie d'Augustin vers 1090. Son œuvre n'apporte guère de nouvelles informations biographiques, mais inclut quantité de miracles et discours imaginaires[39]. Les chroniqueurs médiévaux continuent à broder sur ce thème dans les siècles qui suivent : Guillaume de Malmesbury attribue à Augustin la fondation de l'abbaye de Cerne[40], une chronique probablement rédigée par John Brompton inclut de fausses lettres d'Augustin[41], et divers auteurs l'utilisent comme personnage dans leurs romans[42].

Durant la Réforme anglaise du XVIe siècle, la tombe d'Augustin est détruite et ses reliques perdues. Un nouveau lieu de culte est rétabli à Ramsgate en mars 2012[43],[44]. À quelques kilomètres de là, dans le hameau d'Ebbsfleet, se dresse la croix de saint Augustin, érigée en 1884 à l'endroit supposé du débarquement d'Augustin[45].

Augustin est le saint patron de l'Ordinariat personnel de Notre-Dame de la Croix du Sud[46].

Références

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  2. a et b Hindley 2006, p. 3-9.
  3. a b et c Mayr-Harting 1991, p. 78-93.
  4. Frend 2003, p. 82-86.
  5. Kirby 2000, p. 23.
  6. Yorke 2006, p. 121.
  7. Stenton 1971, p. 102.
  8. Mayr-Harting 1991, p. 32-33.
  9. Stenton 1971, p. 105-106.
  10. a et b (en) Janet L. Nelson, « Bertha (b. c.565, d. in or after 601) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, (lire en ligne).
  11. Wood 1994, p. 9-10.
  12. a et b Hindley 2006, p. 33-36. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Hindley-33 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  13. a et b Mayr-Harting 2004.
  14. Brooks 1984, p. 6-7.
  15. Kirby 2000, p. 27.
  16. Stenton 1971, p. 104.
  17. Brooks 1984, p. 4-5.
  18. Fletcher 1998, p. 116-117.
  19. Blair et Blair 2003, p. 116-117.
  20. a et b Stenton 1971, p. 105.
  21. Brooks 1984, p. 8-9.
  22. Kirby 2000, p. 28-29.
  23. Brooks 1984, p. 5.
  24. Markus 1963, p. 24-29.
  25. Blair 2005, p. 61-62.
  26. Lawrence 2001, p. 55.
  27. Stenton 1971, p. 106.
  28. Dodwell 1985, p. 96, 276 et note 66.
  29. Brooks 1984, p. 9-11.
  30. Fletcher 1998, p. 453.
  31. Hindley 2006, p. 43.
  32. Stenton 1971, p. 110-111.
  33. Collins 1999, p. 185.
  34. Mayr-Harting 1991, p. 265-266.
  35. Wood 1994, p. 8.
  36. Blair 2005, p. 61.
  37. Nilson 1998, p. 67.
  38. Nilson 1998, p. 93.
  39. Gameson et Gameson 2006, p. 17-20.
  40. Gameson et Gameson 2006, p. 20.
  41. Gameson et Gameson 2006, p. 24.
  42. Gameson et Gameson 2006, p. 22-31.
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  44. « Church officially deemed a shrine », Isle of Thanet Gazette (consulté le ).
  45. (en) English Heritage, « St Augustine's Cross », sur Pastscape, National Monuments Records, (consulté le ).
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Bibliographie

Sur les autres projets Wikimedia :

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Liens externes