Hébreux

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Hébreux
Image illustrative de l’article Hébreux
Tête de Sémite en terre cuite, désignée comme "Hébreu". De Memphis (Egypte), période gréco-romaine, musée Petri d'archéologie égyptienne (Londres).

Période Antiquité
Ethnie Juifs
Langue(s) Hébreu
Religion Judaïsme
Villes principales Jérusalem
Région d'origine Levant, environs, diaspora
Région actuelle Proche-Orient
Rois/monarques Liste des rois d'Israël, liste des rois de Juda
Frontière Mer Méditerranée à l'ouest, désert arabique à l'Est, mer Rouge au sud

Les Hébreux, du latin Hebraei, du grec ancien Ἑϐραῖοι (Hebraioi), lui-même issu de l'hébreu עברי (`ibri), est un terme généralement utilisé comme synonyme pour « Israélites », c'est-à-dire pour désigner une population du Proche-Orient ancien ayant vécu au sud du Levant au Ier millénaire av. J.-C. Dans la Bible hébraïque, son usage peu fréquent sert principalement à désigner les Enfants d'Israël avec une connotation négative. Pendant la période gréco-romaine, le terme grec Ebraios devient le terme habituel pour parler des Juifs. Cet usage est ensuite adopté par les chrétiens pour désigner le peuple juif.

Dans la Bible

Le Levant, croissant fertile et cœur de l'espace où évoluaient les Hébreux antiques

L'usage du terme « hébreu » est assez peu fréquent dans la Bible hébraïque. On ne le trouve que dans quelques livres (Genèse, Exode, Deutéronome, Premier livre de Samuel, Jérémie et Jonas). Il est principalement employé dans deux contextes : le séjour des Israélites en Égypte et lors des guerres avec les Philistins. Il est surtout utilisé lorsque les Israélites sont considérés comme des étrangers et en situation de précarité. Lorsque les Israélites s'adressent à d'autres peuples, ils se donnent le nom d'Hébreux. Le terme est aussi employé par des étrangers (Égyptiens, Philistins) pour parler des Israélites. Il est utilisé dans l'histoire de Joseph ( 37-50) et au début de l'Exode où il désigne les Israélites réfugiés en Égypte[1] :

« Les Égyptiens accablèrent les enfants d'Israël de rudes besognes. […] Le roi d'Égypte s'adressa aux sages femmes hébreues »

— Exode 1.13-15

Dans le Premier livre de Samuel, les Philistins parlent des Israélites avec une connotation négative en les désignant par le terme d'Hébreux :

« Les Philistins concentrèrent toutes leurs troupes à Aphek, tandis qu'Israël était campé près de la source qui est à Jezreël. [...] Les chefs des Philistins dirent: "Qu'est-ce que ces Hébreux ?" »

— 1Samuel 29.1-3

En dehors des deux contextes précédents, on trouve la mention des Hébreux dans les lois du livre de l'Exode sur l’esclave hébreu (Ex 21) et son parallèle dans le Deutéronome (Dt 15), repris dans le livre de Jérémie (Jr 34,9-14). Il y existe aussi deux mentions isolées dans le livre de la Genèse (« Abram l'hébreu » Gn 14,13 ) et dans le livre de Jonas (« je suis hébreu » Jon 1,9).

Dans la Bible, le champ d'application particulier du terme « hébreu » n'en fait pas un synonyme pour « israélite ». Il s'applique à des situations particulières pour désigner des étrangers ou des marginaux. Dans la traduction araméenne de la Bible, le Targoum Onkelos, cet usage particulier n'est pas conservé. Les occurrences de ibri sont traduites de trois manières différentes. Pour les récits de patriarches de la Genèse, ibri est transcrit par « hébreu » (עבריאה (ivriah)). Les autres occurrences sont simplement traduites par le terme contemporain juif יהודאי (yehudaï)) ou par israélite (בר ישראל (bar israel)) dans le cas de l'esclave hébreu. Cependant dans la tradition juive, le Midrash Rabba sur l'Exode a identifié le contexte particulier de l'emploi d'« hébreu ». Pour lui, le nom « Israël » implique l'idée de respect alors que le nom « hébreu » est un nom dépréciatif utilisé par les Égyptiens (Exode Rabba 5.19)[2].

Étymologie

« Hébreu », en hébreu עברי (ʽivri) peut venir de la racine du verbe עבר (avar), qui signifie passer. Selon cette étymologie, les Hébreux seraient « ceux qui passent », les errants, ou de « ceux par-delà le fleuve », venant d'un district au-delà du Jourdain ou de l'Euphrate[3].

Le nom « hébreu » peut aussi dériver du patriarche Eber (ʽÉvèr), arrière-petit-fils de Sem d'après le livre de la Genèse (Genèse 10,24-25) et ancêtre lointain d’Abraham (Genèse 11,14-28). Dans les généalogies bibliques, Eber est l’ancêtre de différents peuples sémitiques, dont les Araméens. Dans la Bible, les Hébreux désignent cependant spécifiquement les Israélites[4].

Certains recherchent l'origine du terme dans le mot akkadien ḫabiru, aussi attesté sous les formes ḫapiru et ʿapiru, qui désigne des populations déclassées, vagabondes, vivant aux marges des sociétés urbaines du Proche-Orient antique et notamment à Canaan (voir Apirou). Ainsi selon N. Na'aman dans la Bible hébraïque le terme Hébreux (ʿibrîm) se serait progressivement séparé de l'appellation Ḫabiru, désignant au départ des Israélites déracinés, puis employé pour désigner les Israélites en général chez les Philistins, dans un sens dépréciatif, avant de désigner des Israélites migrants, esclaves, ou opprimés dans un pays étranger. Dans la littérature post-biblique, il devient un synonyme d'Israélites[5]. Mais cette étymologie est contestée, car elle fait face à des incertitudes linguistiques qui empêchent de confirmer que les deux termes soient liés[6]. Pour Olivier Rouault, « le terme de Hapirou/Habirou a fait couler beaucoup d'encre, en partie en raison de sa ressemblance avec le nom des Hébreux, avec lequel il semble finalement n'avoir qu'un rapport lointain »[7].

D'après les historiens

Le Proche-Orient au moment des Lettres d'Amarna, dans la première moitié du XIVe siècle av. J.-C.

L'usage du terme « Hébreux » dans la Bible se base peut-être sur une tradition historique ancienne emprunte à l'image des Habiru du IIe millénaire. Les Habiru (ḫabiru, ḫapiru ou ʿapiru en akkadien ; `pr.w en égyptien) sont des populations qui apparaissent dans les textes du Proche-Orient ancien où ils désignent une catégorie sociale de population qui vivait en marge des villes à l'âge du bronze en Canaan et dans l'aire syro-mésopotamienne[8].

Les historiens ont depuis longtemps tenté de faire un lien entre ces groupes, qui apparaissent notamment dans les Lettres d'Amarna datées du XIVe siècle av. J.-C. qui les localisent au Levant méridional (et en donnent souvent une image négative), et les Hébreux bibliques. Ils ne tentent plus d'y voir les Hébreux ou même leurs ancêtres, mais ils sont beaucoup à admettre un lien plus ou moins proche et font comme vu plus haut du terme biblique ʿibrîm « Hébreux » un dérivé de ḫabiru/ʿapiru. N. Na'aman[9] considère que l'emploi de ce terme renvoie à l'origine à des groupes d'Israélites migrants et déracinés des époques pré-monarchique et monarchique, et souligne les similitudes entre les Habiru et les bandes dirigées par Jephté et David[5]. Pour A. Lemaire, « il est difficile de ne pas rapprocher les deux termes. Les origines du peuple «  hébreu  » semblent donc se situer dans le cadre plus général du mouvement des ̮Habiru-ʽApirû de la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère[10]. » Pour N. P. Lemche, « il est prématuré de voir les Hébreux de l'Ancien Testament comme des descendants directs des Habiru, mais l'emploi du terme indique que les anciens Israélites sont originaires du creuset d'éléments ethniques et sociaux qui existait à la fin de l'âge du bronze[11]. » K. A. Kitchen, sans admettre le lien étymologique entre les deux termes, considère cependant qu'il y a des analogies évidentes dans les comportements des deux groupes tels qu'ils ressortent des textes[12]. Pour William G. Dever, il n’y a jamais eu d’invasion militaire du territoire de Canaan par une armée d'Hébreux organisée sur le modèle des armées égyptiennes ou mésopotamiennes[13].

Longtemps, les historiens d'obédience chrétienne ont rejeté, en totalité ou partiellement, l'histoire des Hébreux, les deux millénaires d'existence nationale d'Israël et même la langue parlée et écrite, l'hébreu, la considérant comme langue de clergé. Seuls, les résultats de la recherche archéologique enlèvent tout sérieux à ces conceptions[14].

Évolutions du sens du terme : une langue et un peuple

Progressivement le terme « Hébreux » évolue pour désigner les Israélites et Juifs en tant qu'ethnie, et à désigner la langue qu'ils parlent. La chronologie de cette évolution ne peut être reconstituée avec certitude. Le sens ethnique du terme apparaît dans des livres deutérocanoniques. Dans le Livre de Judith (10.12, 12.11 et 14.18), connu par des versions en grec, le terme Ἑβραῖος a un sens ethnique. Dans le Deuxième livre des Macchabées, le terme a également un sens ethnique. Le Livre des Jubilés, pseudépigraphe daté du IIe siècle av. J.-C., emploie le terme pour désigner la langue des Hébreux. D'autres occurrence du terme dans un sens ethnique et linguistique sont également attestées pour les décennies précédent l'ère chrétienne, ce qui semble plaider en faveur d'un usage croissant. Ces usages se retrouvent ensuite dans le Nouveau Testament (par exemple Actes 21.40, II Cor. 11.22), chez Philon d'Alexandrie, et Flavius Josèphe qui parle de langage hébreu (Ἑβραῖον διάλεκτον, Antiquités I.36) et de peuple hébreu (Ἑβραῖον γένος, Antiquités II.216). Certains soutiennent que ces usages sont alors répandus aussi bien chez les auteurs juifs que chrétiens, alors que d'autres considèrent que leur usage est limité, et surtout liés à la littérature chrétienne et peu répandus chez les auteurs juifs[15].

De fait le terme « Hébreux » devient ensuite un synonyme courant de « Juifs » dans les langues occidentales, à partir des traditions gréco-romaines et chrétienne[1]. Il est notamment souvent employé par les spécialistes des études bibliques pour désigner les descendants d'Abraham[16] évoluant dans le Proche-Orient ancien. En revanche, son usage dans ce sens est très peu répandu dans la littérature juive en dehors du contexte biblique[17].

Quant à l'emploi de l'adjectif « hébreu » tel qu'il est utilisé à l'époque moderne pour désigner la langue hébraïque — jusqu'alors plutôt désignée par le terme yehûdît, « judéen » ou « juif », employé par la Bible — il ne se répand dans la littérature juive en hébreu qu'à partir de l'époque médiévale, emprunt fait à l'arabe[18].

Notes et références

  1. a et b (en) Niels Peter Lemche, « Hebrew », dans David Noel Freedman (dir.), Anchor Bible Dictionary, vol. 3, Doubleday,
  2. Herbert Parzen, « The Problem of the Ibrim ("Hebrews") in the Bible », The American Journal of Semitic Languages and Literatures, University of Chicago Press, vol. 49, no 3,‎ 1933) (JSTOR 529052)
  3. (en) « Hebrews », dans The Oxford Dictionary of Jewish religion,
  4. (en) Anson F. Rainey, « Hebrews », dans HarperCollins Bible Dictionary,
  5. a et b (en) Nadav Na'aman, « Ḫabiru and Hebrews: The Transfer of a Social Term to the Literary Sphere », Journal of Near Eastern Studies, vol. 45,‎ , p. 271–288.
  6. (en) William M. Schniedewind, A social history of Hebrew : its origins through the Rabbinic period, New Haven et Londres, Yale University Press, , p. 22-23
  7. Olivier Rouault, p. 1026 du Dictionnaire de l'Antiquité, direction Jean Leclant, édition PUF, 2005
  8. (en) Eva von Dassow, « Habiru », dans The Encyclopedia of Ancient History
  9. « Nadav Na'aman », sur data.bnf.fr (consulté le )
  10. André Lemaire, Histoire du peuple hébreu, Presses Universitaires de France, coll. « Que-sais-je ? », , 10e éd., p. 4
  11. (en) Niels P. Lemche, Historical Dictionary of Ancient Israel, Lanham, Toronto et Oxford, The Scarecrow Press, coll. « Historical Dictionaries of Ancient Civilizations and Historical Eras », , p. 144 : « it is premature to see the Hebrews of the Old Testament as direct descendants of Habiru, but the use of the term indicates that the ancient Israelites originated in the melting pot of ethnic and social elements that existed at the end of the Bronze Age. »
  12. (en) K. A. Kitchen, On the Reliability of the Old Testament, Grand Rapids, , p. 165 : « clear behavioural analogies. »
  13. William G. Dever (trad. de l'anglais), Aux origines d’Israël, Paris, Bayard, , 285 p. (ISBN 2-227-47427-0), « La conquête à l’ouest du Jourdain »
  14. Encyclopaedia Universalis, La grande histoire des civilisations : de la Mésopotamie à la Perse, Paris, , p. 203
  15. (en) Mary P. Gray, « The Ḫâbirū - Hebrew Problem in the Light of the Source Material Available at Present », Hebrew Union College Annual, vol. 29,‎ , p. 188-193.
  16. (en) « Hebrew - People », sur Britannica.com (consulté le ).
  17. (en) Rabbi Herbert Parzen, « The Problem of the Ibrim ("Hebrews") in the Bible », The American Journal of Semitic Languages and Literatures, vol. 49, no 3,‎ , p. 261.
  18. (en) Gene M. Schramm, « Language - Hebrew », dans David Noel Freedman (dir.), Anchor Bible Dictionary, vol. 4, Doubleday,

Articles connexes

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Bibliographie

  • Jacques Briend et Marie-Josèphe Seux, Textes du Proche-Orient ancien et histoire d'Israël, Cerf, 1978 (ISBN 220401169X)
  • Mireille Hadas-Lebel, Le peuple hébreu : entre la Bible et l'Histoire, Gallimard, 1997 (ISBN 978-2-07-053356-5)
  • Richard Lebeau, Une histoire des Hébreux : De Moïse à Jésus, Tallandier, coll. « Documents d'histoire », 1998 (ASIN 2235021646)
  • Richard Lebeau et Claire Levasseur, Atlas des Hébreux. La Bible face à l'histoire, 1200 av. J.-C.–135 ap. J.-C., Autrement, coll. « Atlas/Mémoires », 2003 (ISBN 2-7467-0386-6)
  • Gérard Nahon, « Les Hébreux », De la Mésopotamie à la Perse, Encyclopædia Universalis et le Grand Livre du Mois, coll. « La grande histoire des civilisations », Paris, 1999 (ISBN 2-7028-3080-3)
  • William G. Dever, Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai, Bayard, 2005
  • Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée : les nouvelles révélations de l'archéologie, Gallimard, coll. Folio. Histoire # 127, 2004. (ISBN 2-07-042939-3)
  • André Lemaire, Histoire du peuple hébreu, PUF, Collection "Que sais-je ?" no 1898, Paris, 2018.

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