Bourgeois-bohème

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Le terme bobo, contraction de bourgeois-bohème, est une expression désignant des personnes relativement aisées[Note 1] dont les valeurs se situent à gauche. À partir de cette définition générale, différents attributs peuvent être ajoutés à l'archétype du bobo : urbain, écologiste, idéaliste, hypocrite, etc. Il s'agit ainsi d'un sociostyle, c'est-à-dire d'une tentative de caractériser un groupe social selon les valeurs que ses membres partagent, plutôt que selon leurs caractéristiques socio-économiques ou démographiques.

Le terme est issu du livre Bobos in Paradise: The New Upper Class and How They Got There[réf. nécessaire] de l'américain David Brooks, publié en 2000. L'auteur, un journaliste décrit comme conservateur modéré, y décrit ce qu'il ressent comme une mutation positive de son propre groupe social : les yuppies des années 1980, dont le mode de vie bourgeois se serait hybridé avec les valeurs bohèmes de la contre-culture des années 1960-1970.

En France, le terme est plutôt utilisé de manière péjorative pour désigner des personnes aisées se proclamant de gauche mais dont les actes sont contradictoires avec les valeurs qu'ils défendent.

Invention du terme

David Brooks utilise pour la première fois le terme « bobo » pour remplacer celui de « yuppie » qui avait pris, selon lui, une connotation péjorative. La théorie de Brooks est que cette « nouvelle classe supérieure » est un croisement entre l'idéalisme libéral des années 1960 et l'individualisme des années 1980, désignant ainsi la « gauche caviar américaine »[1].

Les critiques de l'ouvrage de Brooks lui reprochent notamment de n'avoir pas expliqué en quoi cette « élite » serait nouvelle, et pourquoi les tendances qu'il stigmatise comme caractéristiques des bobos ne seraient que l'expression des changements généraux de goûts d'une classe moyenne supérieure préexistante[réf. nécessaire].

Dans les pays anglo-saxons, le terme « bobo » est peu utilisé ; on lui préfère le vocable « hipster » plus couramment usité pour désigner les codes culturels volontairement éclectiques et superficiels (mêlant des éléments de culture de masse à des éléments de contre-culture ainsi plus ou moins dépolitisés) de cette catégorie sociale plutôt issue des couches supérieures des classes moyennes. Il existe de nombreuses variantes relativement proches : champagne socialist, neiman marxist, limousine liberal, dinks (Double Income, No KidS, « deux revenus et pas d'enfants »). En matière d'urbanisme, on parlera également de « gentrification » d'un quartier et non de « boboïsation ».

Usage du terme en France

On peut trouver un emploi précurseur dans le roman Bel-Ami, de Guy de Maupassant, publié en 1885 :

« Ce fut elle alors qui lui serra la main très fort, très longtemps ; et il se sentit remué par cet aveu silencieux, repris d'un brusque béguin pour cette petite bourgeoise bohème et bon enfant qui l'aimait vraiment, peut-être. »

L'expression « bourgeois-bohème » est également employée par Claire Bretécher dans le dernier strip du tome 3 de la bande dessinée Les Frustrés (publié en 1978). Les strips de Brétecher sont parus initialement dans Le Nouvel Observateur et tournent en dérision les ex-soixante-huitards, les professions supérieures et les intellectuels de gauche des années 1970 qui étaient les principaux lecteurs de cet hebdomadaire, l'expression « bourgeois-bohème » est alors employée par la dessinatrice pour designer cette figure centrale de la série Les Frustrés, dans un sens relativement proche de celui qu'on lui donne actuellement.

D'après le journaliste et écrivain Pierre Merle, l'expression « bourgeois-bohème » réapparaît en France le dans un article du Courrier international[2]. Ce terme est assez flou. Il prend cependant une valeur plutôt péjorative comme dans la chanson de Renaud Les Bobos, désignant un type de conformisme : des personnes aisées, parisiennes et parisianistes, bien pensantes, de sympathies allant plutôt à la gauche écologiste et ayant de l'affection pour la figure du révolté (Che Guevara, mai 68)[3]. Il est employé par Raymond Barre lors de la campagne municipale de 2001, cité par Le Progrès de Lyon[4].

À Paris, ces bobos résideraient dans les arrondissements aisés du centre (2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 9e) mais leur venue dans les arrondissements autrefois populaires de l'est (10e, 11e, 12e, est du 17e, 18e, 19e, 20e arrondissements par exemple) y a contribué à une forte hausse du prix de l'immobilier ces dernières années (même si cette migration a parfois justement lieu parce qu'ils ne pouvaient plus se loger dans le centre de Paris)[5],[6]. C'est ce que les géographes nomment un processus de gentrification (embourgeoisement), terme qui est devenu « boboïsation » dans le langage courant[Note 2],[1]. Dans ces nouveaux quartiers, ou pour certaines villes de banlieue de Paris (comme Montreuil), les bobos cohabitent avec des populations immigrées, les artisans « petits blancs » étant partis vivre dans le péri-urbain : si cette cohabitation est parfois difficile, le bobo aimant la mixité mais pas être en minorité, elle inaugure ce que le géographe Jacques Lévy appelle un « lien faible » entre populations[1].

L'écrivain François d'Épenoux décrit les bobos comme :

« les nouveaux maîtres de Paris, stars des gazettes et chouchous des pubards, leaders d'opinion et des dîners en ville, nouvelle volaille qui, comme dans la chanson de Souchon, fait l'opinion. […] Ce sont quelques poignées de vrais bourgeois mais faux bohèmes, connus ou inconnus, fricotant dans la pub, la presse, la musique ou le cinéma, bref, dans des métiers bien, qui prônent leurs idées et prêchent leurs discours avec d'autant plus de légèreté mondaine qu'ils n'en subiront jamais les conséquences, planqués qu'ils sont dans leurs donjons bardés de digicodes. […] Ce sont les nouveaux gardiens de la Pensée unique qui déversent sur le moindre assaillant l'huile tiède d'une soupe idéologique ressassée, entre deux flèches trempées dans le fiel mortel de leurs propres erreurs[7]. »

Le journaliste Thomas Legrand, auteur de La République bobo les décrit comme « une classe moyenne urbaine qui, au cours des dernières années a donné la victoire à la gauche dans les grandes villes. Les bobos ne forment pas une classe sociale, puisqu'ils n'ont pas d’intérêt économique commun. Ils partagent un mode de vie, qui prête évidemment le flanc à la caricature, et un ensemble de valeurs positives que la droite conservatrice qualifie de "bien-pensante" : l'antiracisme, le féminisme, la promotion de l'égalité des sexes, la conscience de la finitude du monde. Les bobos sont à l'aise dans la mondialisation. Ils sont à la fois raillés par les politiques et courtisés par eux, puisque leur vote est prescripteur », ce à quoi la journaliste Élisabeth Lévy lui répond : « les bobos constituent une classe, non pas sociale mais culturelle, qui conjugue le "progressisme" sociétal et un libéralisme économique plus ou moins assumé. Le bobo aime le monde sans frontières, mais il déteste la finance et voudrait acheter des iPhones équitables au prix du travail chinois. Cette alliance informelle s'est nouée au cours des années 1980, au moment où la gauche, découvrant les délices de la Bourse et de la bonne conscience, congédiait le populi qui renâclait à applaudir la délocalisation de son usine et qui, ça tombait bien, votait mal. Le bobo s'est mis à aimer l'immigré, le sans-papiers, avec la même ardeur que ses parents vénéraient le prolétaire. […] Le bobo voit chez le conservateur un facho en puissance. Et il adore toutes les cultures, sauf celle dont il est souvent lui-même issu, qu'il symbolise par l'effroyable personnage du "vieux mâle blanc hétéro". Et en prime souvent catho, l'horreur ». Il est toutefois à noter qu'il existe des bobos de droite[1].

À Lyon, ils se concentrent dans le quartier de la Croix-Rousse (1er et 4e arrondissements). À Bordeaux, la réhabilitation du quartier des Chartrons y a attiré une nouvelle population qualifiée de bobo[8].

Diverses parodies ou déclinaisons du terme ont ponctuellement été créées comme les « bonobos » (« bourgeois non bohèmes »[9]), ou les « bobobos » (« bourgeois bohèmes bordelais »[10]). Le terme « beurgeois » (pour « beurs embourgeoisés »[9]) est en revanche plus ancien que « bobo » : c'est notamment le titre d'une bande dessinée de Farid Boudjellal, sortie en 1997.

Pour le journaliste du Monde Olivier Razemon, chacun désigne péjorativement comme « bobo » les personnes ayant un mode de déplacement différent du sien (que ce soit transports en communs, vélo ou SUV)[11].

Lors de l'élection présidentielle de 2012, le Front national a fait de la dénonciation des « bobos » un de ses axes de campagne[12], le caractère flou de ce terme lui permettant d'englober l'ensemble de ses opposants. Il continua cette pratique après la campagne[13]. Ceci contribue à la tendance actuelle qui a transformé ce mot en "fourre-tout" ou l'on peut ranger toute personne "bien pensante" et tenant un discours porté sur l'écologie.

Les bobos dans l'art

Le chanteur Renaud a écrit et interprété en 2006 une chanson intitulée Les Bobos, qui dépeint les caractéristiques des bourgeois-bohèmes types, chanson qu'il achève par les vers suivants « ma plume est un peu assassine / pour ces gens que je n'aime pas trop / par certains côtés j'imagine / que je fais aussi partie du lot », reconnaissant ainsi qu'il peut aisément être assimilé à ce groupe parfois qualifié de « fourre-tout ». Cette chanson rappelle dans un autre genre Mon beauf du même auteur.

En 2013, Sébastien Patoche sort son album intitulé J'emmerde les bobos !.

Les bobos sont les héros des albums de bandes dessinées Bienvenue à Boboland (éd. Audie-Fluide Glacial, 2008) et Global boboland (id., 2009), de Dupuy-Berberian.

Une série intitulée Les Bobos, diffusée sur la chaîne télé-Québec, met en scène Marc Labrèche et Anne Dorval jouant des bobos du Plateau-Mont-Royal, quartier de Montréal.

Une évolution de la bourgeoisie ?

Pour Joseph Heath et Andrew Potter, une nouvelle forme de bourgeoisie issue du secteur tertiaire voit le jour autour des années 1960 en Amérique du Nord. Loin de la figure de l'austère bourgeois, celle-ci est « créative » et « bohème », et si elle cherche toujours une justification morale, celle-ci est désormais colorée d'écologisme ou de citoyennisme, selon le modèle de la contre-culture venu de la côte ouest américaine, et fortement conformiste[14].

Analyse géographie et sociale

Pour le géographe Christophe Guilluy, « si [les] bobos ne se confondent pas avec la bourgeoisie traditionnelle, bourgeoisie qu'ils stigmatisent au contraire pour son égoïsme et son grégarisme social, ils ne représentent pas moins les couches supérieures des quartiers populaires ». En effet, ils possèdent un patrimoine moindre que cette bourgeoisie traditionnelle et vit, contrairement à eux, dans des quartiers de grandes villes concentrant une mixité sociale et ethnique. Ce choix d'installation, a priori lié à un souhait de diversité sociale s'explique également par le coût résidentiel moindre.

Le géographe note toutefois que si cette mixité existe formellement, elle est rapidement contournée, les bobos habitant souvent au sein de copropriétés privées sécurisés, proches mais techniquement séparées des milieux populaires, vivant eux en logements sociaux ou en immeubles privés précarisés. Ce séparatisme s'illustre également dans le milieu scolaire, où les bobos, s'ils acceptent que leurs enfants côtoient des catégories populaires issues de l'immigration à l'école primaire, l'évitent quand arrive le collège, ou acceptent a minima que leurs enfants soient mis à part dans des classes réservées (symbolisées par des options rares ou « européennes ») alors que les couches populaires se voient cantonnées à des classes sans grande perspective de réussite scolaire : selon l'auteur, s'appuyant sur les travaux du sociologue Georges Felouzis, cette stratégie d'évitement participe à une forme de « ségrégation scolaire ».

Il conclut en rapprochant finalement les bobos des classes supérieures traditionnelles : « des populations aisées des quartiers ou communes huppées aux bobos de quartiers mixtes, les couches supérieures ont toujours mis à distance les catégories sociales inférieures »[15].

Points de vue marxistes

Selon la géographe Anne Clerval, le terme est un terme réactionnaire[16] utilisé pour qualifier la « petite bourgeoisie intellectuelle » et pour tenter de démontrer la fin des classes sociales[17].

Pour Jacques Ellul, en parallèle avec la mutation du lien social qui dans sa forme traditionnelle ne correspondrait plus au nouveau modèle bourgeois, la société libérale a tendance à se tribaliser. La bourgeoisie essayerait ainsi de faire croire à sa disparition derrière sa nouvelle allure[18]. Pour le communiste Michel Clouscard, si la bourgeoisie se cherche une alternative, son idéologie reste en accord avec les mutations du capitalisme et correspond au modèle du néo-libéralisme, mais la propriété n’y apparaît plus comme une valeur fondamentale[19].

Pour les sociologues Michel et Monique Pinçon-Charlot, la « boboïsation » des quartiers populaires d'une grande ville comme Paris se confond avec leur embourgeoisement, leur gentrification. Ils décrivent les bobos comme « une population plutôt jeune, diplômée, travaillant dans les secteurs créatifs, les médias, la mode, le design ». Les chercheurs considèrent ce phénomène d'autant plus « violent », les bobos « s'appropriant également l'espace public, la rue, les trottoirs, les cafés et les commerces des quartiers où ils habitant. Créant ainsi une convivialité urbaine que ne pourront plus jamais revivre les ouvriers partis dans des zones périphériques »[20].

Bibliographie

Émission de radio

Notes et références

Notes

  1. Anne Clerval signale dans son article que David Brooks considère comme « maigre » un salaire de 105 000 $ par an plus de deux fois supérieur au revenu moyen.
  2. Temps présent, « Les riches rachètent les villes ». Le terme gentrification n'y apparaît jamais et est vulgarisé par le terme boboïsation.

Références

  1. a b c et d Thomas Legrand et Élisabeth Lévy, interviewés par Jean Sévillia, « Les bobos vivent-ils dans le réel ? », Le Figaro Magazine, semaine du 14 février 2014, pages 46-49.
  2. Pierre Merle, Les mots à la con, Mots & Cie, 2005, p. 19.
  3. Pierre Merle, op cit., p. 19-20.
  4. Le Progrès de Lyon du 3 mars 2001, « Raymond Barre : Tout est entre les mains des Lyonnais ».
  5. « La lutte des classes revient à Paris ! Des bourgeois bohèmes à la ségrégation »
  6. Cahier supplément sur l'immobilier à Paris, n° 2851 de L'Express du 23 février au 1er mars 2006.
  7. François d'Epernoux, Les bobos me font mal, A. Carrière, 2003, p. 11-12.
  8. Les Chartrons fait le grand écart, 20minutes.fr, 8 février 2008.
  9. a et b 100 licenciements de Schneider, D. page 291, 2008. Voir sur editions.negatif.online.fr.
  10. « Starck invente le vélo-trottinette des bobobos (bourgeois-bohème-bordelais) »
  11. « Le "bobo", cet être égoïste et stupide qui ne se déplace pas comme moi »
  12. « À Hénin-Beaumont, Le Pen raille “les bobos” parisiens » sur leparisien.fr.
  13. « Les proches de Jean-Luc Mélenchon veulent croire à son retour au premier plan » sur lexpress.fr.
  14. Joseph Heath et Andrew Potter (trad. Michel Saint-Germain et Élise de Bellefeuille), Révolte consommée [« The Rebel Sell »], Naïve, (1re éd. 2004) (ISBN 978-235021019-3).
  15. Christophe Guilluy, Fractures françaises, Champs essais, 2013, pages 144-149.
  16. Anne Clerval, La « gentrification » : une lutte de classes dans l’espace urbain ?
  17. Les « Bobos », critique d’un faux concept.
  18. Jacques Ellul, Métamorphose du bourgeois, Paris: Calmann-Lévy, 1967. Paris : La Table Ronde, 1998.
  19. Michel Clouscard, Néo-fascisme et idéologie du désir, 1973
  20. Michel et Monique Pinçon-Charlot, La violence des riches, Zones, 2013, page 207.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes