Scandale de Notre-Dame

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Le scandale de Notre-Dame est un acte d’agitation anticléricale effectué le (jour de Pâques), durant l'office pascal à la cathédrale Notre-Dame de Paris, par quelques membres et proches des plus radicaux du mouvement lettriste, mouvement avant-gardiste rassemblé depuis 1946 autour d’Isidore Isou, Michel Mourre, Serge Berna, Ghislain Desnoyers de Marbaix, Jean-Louis Brau, Claude Matricon, Jean Rullier notamment, appuyés de comparses venus de Saint-Germain-des-Prés tout proche[1].

Description

Vers 11 h 10, Michel Mourre, habillé en moine dominicain et assisté par ses soutiens, profite d’un intervalle entre la grand-messe pontificale officiée par Monseigneur Feltin, archevêque de Paris et le prêche du R. P. Riquet, pour monter en chaire, s'emparer du micro et entamer devant l'importante assistance un anti-sermon blasphématoire, écrit par Serge Berna, sur la mort de Dieu. Celui-ci sera toutefois interrompu avant la fin par les grandes orgues déclenchées en urgence par l'abbé Lenoble, vicaire de Notre-Dame, qui avait été informé d'un possible trouble à venir. Une échauffourée s'ensuit, un coup d'hallebarde est asséné par le bedeau et les principaux acteurs du commando en fuite n'échappent au lynchage qu'à la faveur de l'intervention de la police. Sont ainsi arrêtés et conduits au commissariat du quartier Saint-Gervais, outre Michel Mourre, l'étudiant Jean Rullier, le décorateur Guillain Desnoyers de Marbaix et Serge Berna[1]. Seul Mourre est écroué pour entrave au libre exercice des cultes[2].

Le scandale est énorme à l’époque, atteignant non seulement les quelque mille fidèles présents dans la cathédrale, mais aussi les milliers de téléspectateurs de la francophonie et ailleurs[réf. nécessaire] qui jouissaient de la nouveauté d’un service ecclésiastique télévisé. L’événement est rapporté le lendemain dans les principaux journaux français et étrangers et suscite à Paris un intense débat aussi bien dans la presse que dans les cafés[3],[4].

Pendant qu’on décide du sort de l'inculpé, des voix éminentes de la culture, de l’Église et de l’État débattent dans les journaux des mérites ou non de cette provocation. En particulier, le journal Combat, célèbre organe issu de la Résistance, qui après avoir commencé par condamner l’action[5], va ensuite consacrer au sujet, durant huit jours, de très nombreux articles, reportages, et tribunes[6] ouvertes à des personnalités aussi diverses que Jean Paulhan, Louis Pauwels, André Breton, Pierre Emmanuel, Thierry Maulnier, Luc Estang, Maurice Nadeau, Jean Cayrol, le commissaire de police ayant participé aux arrestations, M. le curé de Saint-Pierre de Chaillot, le couvent dominicain de Saint-Maximin où Mourre avait été un temps novice[7], Gabriel Marcel, Henri Jeanson, Marcel Aymé, la Fédération Anarchiste, Jean Texcier[8], Benjamin Peret[9], René Char et Henri Pichette[10]. Sans doute pour éviter d’amplifier l'affaire par un procès public retentissant, quelques jours plus tard, Michel Mourre, après avoir été soumis à l'examen d'un médecin psychiatre, est placé en hôpital psychiatrique[11],[1],[12]. De véhémentes protestations s'ensuivent immédiatement, dont une vigoureuse lettre ouverte d'Henri Jeanson à l'expert près les tribunaux ayant provoqué le placement en asile de Michel Mourre[13]. Une contre-expertise mentale est ordonnée par le juge d'instruction. Effectuée par un collège de professeurs, elle permet la remise en liberté immédiate de Mourre jusqu'au procès à venir.[14],[15].

Tout juste un mois après l'évènement, Combat publie dix jours durant[16], sous le titre La Confession d'un « enfant du siècle » et la signature de Michel Mourre, le récit détaillé tant sur le plan matériel de la vie quotidienne que sur celui de l'expérience spirituelle de son noviciat au couvent dominicain de Saint-Maximin près de Toulon. Ce document exceptionnel qui peut être considéré comme le brouillon du futur livre Malgré le blasphème qui sortira en librairie chez Julliard début 1951, va être repris partiellement pour sa défense lors du procès appelé devant la 14ème chambre correctionnelle le en compagnie de Serge Berna[17]. Le verdict, rendu le suivant, condamne pour trouble dans l'exercice d'un culte chacun des deux complices à 2.000 francs d'amende assortie de six jours de prison avec sursis pour Michel Mourre[18].

Provocation en fin de compte plus efficace que Mourre ne l’avait prévu, le scandale a retenti au cœur même du mouvement lettriste. Cohérente avec les propos d’agitation sur lesquels Isou avait fondé son mouvement en 1945, l’affaire Notre-Dame mettait toutefois à l’épreuve la radicalité d'Isou et de son entourage. L’action a donc accentué dans le mouvement une rupture naissante entre deux blocs qu’on pourrait nommer respectivement « artistique » et « actioniste », rupture qui deux ans plus tard conduirait à une scission explicite et à la formation de l’Internationale lettriste. Ce fut après 1950 que les principaux agents de cette scission (Gil J. Wolman, Jean-Louis Brau et Guy Debord) ont joint le mouvement, s'associant plutôt au bloc ultra-lettriste actioniste, et qu’avec Ivan Chtcheglov et Serge Berna ils ont rejeté Isou comme carriériste et formé l’Internationale lettriste (IL). C’est l’IL, lancée en 1952 au moment d’une autre intervention scandaleuse dirigée contre Charlie Chaplin, qui entre 1952 et 1957 expérimenta les nouvelles formes d’art et de comportement qui donneront jour à l’Internationale situationniste (IS).

Le « scandale de Notre-Dame », en actualisant l’hérédité révolutionnaire dadaïste, a assuré que le fil conducteur de la tradition avant-gardiste, récemment ravivée après le trauma de la guerre, ne resterait pas dans les bornes de la production d’art, mais qu’il poursuivrait de nouveau le chemin de l’agitation. Bien que son auteur ait peu après abandonné toute attitude révolutionnaire pour se repentir et devenir un bon encyclopédiste et historien reconnu, cette action resta exemplaire pour l’aventure situationniste qui la prolongera. Elle fera même rapidement des émules. En effet, fin , un jeune étudiant, Henri de Galard de Béarn, disant avoir assisté au Scandale de Pâques, fut arrêté alors qu'il venait de se procurer 25 kilos de plastic pour faire sauter la Tour Eiffel et ainsi « dépasser Michel Mourre »[19].

Déclaration de Michel Mourre (rédigée par Serge Berna)

« Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte,
Ici, dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de Paris,
J’accuse l’Église Catholique Universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide ;
J’accuse l’Église Catholique d’escroquerie ;
J’accuse l’Église Catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire,
d’être le chancre de l’Occident décomposé.
En vérité je vous le dis : Dieu est mort.
Nous vomissons la fadeur agonisante de vos prières,
car vos prières ont grassement fumé les champs de bataille de notre Europe.
Allez dans le désert tragique et exaltant d’une terre où Dieu est mort
et brassez à nouveau cette terre de vos mains nues,
de vos mains d’orgueil,
de vos mains sans prière.
Aujourd’hui, jour de Pâques en l’Année sainte,
Ici, dans l’insigne Basilique de Notre-Dame de France,
nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’Homme[20]. »

Notes et références

  1. a b et c Christophe Bourseiller, Vie et mort de Guy Debord, 1931-1994, Plon, 1999, p. 36.
  2. Cf. entre autres, les journaux du 11 avril 1950 Ce Soir, p. 6, Combat, p. 8 et L'Aurore, p. 4.
  3. Greil Marcus, Lipstick Traces: A Secret History of the 21st Century, Harvard University Press, 1989-1990 et Faber & Faber, Londres, 2002. Édition française Lipstick Traces, Une histoire secrète du vingtième siècle, Éditions Allia, Paris, 1998, édition anniversaire revue et augmentée, 2018, pages 315 à 357, L'Assaut sur Notre-Dame.
  4. On peut également, entre maints autres, se reporter au long article paru dans le journal L'Aurore du 14 avril 1950 pages 5 et 7 qui, de manière un peu romancée, expose sa version de l'origine de ce qui est désigné comme le complot de Notre-Dame et de certaines répercussions de l'Affaire sur le milieu germanopratin (consultable sur le site Bnf Gallica).
  5. Évoquant «une regrettable goujaterie», numéro du 10 avril, p. 1.
  6. En 2018, à l'occasion de la réédition anniversaire de l'ouvrage de Jean-Michel Mension La Tribu paru en 1998, l'éditeur Allia y adjoint un dossier reprenant l'essentiel des articles de Combat parus sur le sujet entre le 11 et le 21 avril accompagné de deux clichés de Raymond Hains sur la préparation du complot. Ne manquent que les témoignages de René Char et Henri Pichette publiés le 20 avril et la curieuse réponse de l'expert psychiatre Robert Micoud à Henri Jeanson parue dans l'édition du 4 mai.
  7. Combat du 12 avril p. 4.
  8. Combat du 13 avril p. 6.
  9. Combat du 14 avril p. 6.
  10. Combat du 20 avril p. 4.
  11. Combat du 15 avril 1950, p. 6.
  12. Maurice Rajsfus, Une enfance laïque et républicaine, Éditions Manya, Paris, 1992.
  13. Combat du 19 avril 1950, pp. 1 et 4.
  14. Combat du 21 avril 1950, p. 1.
  15. Pascal Lagnot, « Oubliez les Femen, voici le vrai scandale de Notre-Dame de Paris », L'Obs,‎ (lire en ligne).
  16. Numéros du 9 au 18 mai 1950.
  17. L'Aurore du 2 juin 1950, pp. 1-2.
  18. L'Humanité du 16 juin 1950, p. 6.
  19. L'Aurore du 20 mai 1950, p. 1 et 10. Dans une lettre du 6 avril 1989 au biographe de F. Truffaut, Guy Debord indiquera d'ailleurs que le scandale de Notre-Dame, comme un peu après la tentative par l'ami d'Ivan Chtcheglov Henry de Béarn, futur membre de l'Internationale lettriste, de dynamiter la Tour Eiffel, a compté parmi les actes ayant amené à la formation du mouvement situationniste (Guy Debord, Correspondance volume 7, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2008, page 79).
  20. Publié par Marcel Mariën dans le numéro 4 (janvier 1955) de sa revue surréaliste bruxelloise Les Lèvres nues.

Voir aussi

Bibliographie

  • (de) Biene Baumeister et Zwi Negator, Situationistische Revolutionstheorie: Eine Aneignung, Vol. II Kleines Organon, 42. Schmetterling Verlag, 2007

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