Baiser de Judas

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Le baiser de Judas à Jésus par Cimabue (XIIIe)

Dans le Nouveau Testament, le baiser de Judas - également connu sous l'expression Trahison du Christ - est celui que l'apôtre Judas Iscariote donne à Jésus afin de désigner aux soldats romains l'homme à arrêter, signant selon les interprétations sa trahison.

Ce thème est traité par de nombreux peintres et sculpteurs.

Par extension, l'expression « baiser de Judas » désigne l'approche apparemment amicale d'un individu, mais qui signale l'engagement ou la reprise d'hostilités voire le caractère caché, sournois et hypocrite de sa traitrise.

Présentation[modifier | modifier le code]

Selon les évangiles synoptiques, le baiser de Judas est l'acte par lequel Judas identifie Jésus aux gardes armés du Sanhedrin venus pour l'arrêter au milieu de ses disciples, devant les Anciens et les notables du peuple. Ce baiser donné dans le jardin d'oliviers de Gethsémani situé à l'est de Jérusalem, après la dernière Cène, conduit directement à l'arrestation de Jésus par la police sanhédrine. Ce moment peut être considéré comme l'acte premier de la Passion du Christ.

Judas est l'un des douze apôtres choisis par Jésus, et leur trésorier. Alors que la plupart des apôtres sont originaires de Galilée, Judas vient de Judée, à l'époque province romaine[1]. Selon les textes, en échange de trente deniers d'argent, Judas propose d'amener les soldats là où se trouve Jésus et de le leur désigner en l'embrassant, ce qu'il fait effectivement. Après la Crucifixion de Jésus (conséquence de son baiser), Judas possiblement pris de remords jette l'argent et se pend.

Évangiles synoptiques[modifier | modifier le code]

Evangile de Matthieu , chapitre 26 Evangile de Marc , chapitre 14 Evangile de Luc , chapitre 22
47 Il parlait encore quand arriva Judas, l’un des Douze, avec toute une troupe armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple.

48 Celui qui le livrait leur avait donné un signe : « Celui à qui je donnerai un baiser, avait-il dit, c’est lui, arrêtez-le ! »

49 Aussitôt il s’avança vers Jésus et dit : « Salut, rabbi ! » Et il lui donna un baiser.

50 Jésus lui dit : « Mon ami, fais ta besogne ! ». S’avançant alors, ils mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.

43 Au même instant, comme il parlait encore, survient Judas, l’un des Douze, avec une troupe armée d’épées et de bâtons qui venait de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens.

44 Celui qui le livrait avait convenu avec eux d’un signal : « Celui à qui je donnerai un baiser, avait-il dit, c’est lui ! Arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde. »

45 Sitôt arrivé, il s’avance vers lui et lui dit : « Rabbi. » Et il lui donna un baiser.

46 Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent.

47 Il parlait encore quand survint une troupe. Celui qu’on appelait Judas, un des Douze, marchait à sa tête ; il s’approcha de Jésus pour lui l'embrasser.

48 Alors Jésus lui dit « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ! »

Commentaires[modifier | modifier le code]

Terminologie[modifier | modifier le code]

Les Évangiles selon Marc (14:43-45) et selon Matthieu (26:47-50) utilisent tous deux le verbe grec καταφιλέω (kataphileó), qui signifie « embrasser tendrement, intensément, fermement ou à plusieurs reprises, caresser... » distinct de φιλεῖν (philein) qui indique un « baiser amoureux »[2]. C'est le même baiser qu'Actes 20:37, Luc 7:38 et 45, et 15:20 utilisent pour des moments d'émotion dans l'Evangile (l'adieu de Paul de Tarse aux anciens d'Ephèse, l'onction de Jésus ou la rencontre du Fils prodigue avec son père). Le verbe composé (κατα-) « a la force d'un salut emphatique et ostentatoire »[3]. Le théologien luthérien Johann Albrecht Bengel suggère que Judas embrasse Jésus à plusieurs reprises et le fait « comme par bienveillance »[4].

Chez Marc, le verbe καταφιλέω du v. 45, qui est un hapax dans cet évangile, est probablement une forme intensive du verbe φιλέω employé au v. 44[5]. Quant au mot σύσσημον (sussêmon, « signe convenu »), chez Marc, il n'apparaît nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament[5].

Évangile selon Marc[modifier | modifier le code]

Le plus ancien des quatre évangiles canoniques, celui de Marc, rédigé vers l'année 70, présente la première version connue du baiser de Judas (Mc 14:44-45) : « Or celui qui le livre leur avait donné un signal convenu, disant : "Celui à qui je donnerai un baiser, c'est lui : saisissez-le et emmenez-le sous bonne garde." Et étant venu, s'étant aussitôt approché, il lui dit : "Rabbi" et lui donna un baiser[5]." » Camille Focant relève que la narration souligne le fait que la trahison vient de l'un des Douze : l'origine du drame se trouve en partie « dans ce groupe des gens les plus proches de Jésus »[5]. Mais, peut-on remarquer, un signal plus neutre, par exemple un signe de la main, aurait aussi bien convenu[5]. Le récit entend donc mettre en évidence ce que cette trahison peut avoir d'odieux, rejoignant en cela une tradition vétérotestamentaire : celle des baisers mortels, par exemple Joab embrassant Amasa tout en en le poignardant (2 S 20:9-10)[5]. Dans l'évangile selon Marc, Judas cède ensuite la place aux gardes armés et disparaît définitivement de la narration[5].

Évangile selon Matthieu[modifier | modifier le code]

L'insistance de Marc sur le baiser et sur l'appartenance de Judas au groupe des Douze est reprise par l'évangile matthéen, où Judas est simplement désigné comme « l'un des Douze » lors de son arrivée au v. 47[6]. Lorsqu'il salue Jésus en l'appelant « Rabbi », Judas utilise le même mot qu'au v. 25, lors de l'annonce de la trahison, alors que les autres disciples employaient le mot « Seigneur » : il semble considérer Jésus comme un simple « rabbi » qu'il livre à d'autres « rabbis », et non pas comme le Seigneur[6].

Selon Matthieu 26:50, Jésus dit à Judas : « Ami, fais ce que tu es ici pour faire », alors que Luc 22:48 cite Jésus disant « Judas, trahis-tu le Fils de l'homme par un baiser ? »[7],[8].

Évangile selon Luc[modifier | modifier le code]

À propos de la version de Luc (22:47-48), où Jésus voit venir Judas et l'arrête pour lui demander « Judas, trahis-tu le Fils de l'homme par un baiser ? », Geza Vermes remarque que le mot araméen barnasha (« Fils de l'Homme ») signifiant « cette personne » est utilisé dans la littérature rabbinique comme une manière humble et modeste de se référer à soi-même, au locuteur[9] ; c'est aussi l'avis d'autres chercheurs[10] ; cela fait notamment que Jésus ne peut être identifié au « Fils de l'homme » avec un statut divin ou messianique, présent dans le Livre de Daniel[11],[12].

Autres interprétations[modifier | modifier le code]

Le récit de la « trahison de Judas » serait pour une grande part une réécriture de plusieurs épisodes de la Bible hébraïque, selon Paul Verhoeven qui prend appui sur les études des théologiens Thomas Francis Glasson[13] et L. Paul Trudinger[14],[15]..

Les références aux théologiens anglo-saxons sont les suivantes[16] : dont il conclut que les prétendus « faits » sont « dénués de valeur historique », et que les « évangélistes ne possèdent pratiquement aucune information sur ce qui s'est réellement passé ce soir-là », quand Jésus a été arrêté[17].

Ni l'Évangile selon Jean (rédigé vers 95-110) ni les écrits de Paul de Tarse (vers 55) ne rapportent la scène du baiser - Paul n'évoquant même pas Judas[18].

L'Évangile de Judas, texte apocryphe, donne une version gnostique de l'histoire selon laquelle c'est Jésus qui demande à Judas de le dénoncer aux Romains afin que son sacrifice puisse avoir lieu. Cela conduit à penser que Jésus et Judas sont liés par la complicité et une amitié proche, et se sont précédemment mis d'accord pour que ce baiser désigne Jésus à la foule venue l'arrêter[19],[20],[21]

Postérité[modifier | modifier le code]

Dans le christianisme, la trahison de Jésus par Judas est commémorée le mercredi saint de la Semaine sainte précédent Pâques[22].

Le baiser de Judas, dessin satirique français (1814)

Dans la langue courante, un « baiser de Judas » désigne un baiser hypocrite, un geste d'affection cachant une intention sournoise, soit une traîtrise, une félonie, un signe de trahison ou toute trahison faite de façon sournoise[23]. Aussi, le nom de Judas est-il devenu synonyme de traître.

Dans le premier numéro de Der Stürmer en avril 1923, Julius Streicher décrivait une prétendue intrigue des Juifs contre lui, « voleurs et criminels » avides de « boire leur salaire de Judas »[24].

Le professeur émérite en Sciences du langage Alain Rabatel préfère à « traître » la traduction plus conforme au texte de « donneur », celui de l’agent du don (celui par qui le Fils de l’Homme est livré[25]) : « Cette traduction, conforme à l’original, est à tous égards fondamentale, tant l’interprétation dominante de la trahison de Judas a alimenté un antisémitisme religieux à l’égard du peuple déicide »[10],[26], non conforme aux textes[26]. Ainsi, propose-t-il concrètement « qu’on se garde très consciemment à l’avenir de parler du « traître » Judas, ou que là où ils paraissent inévitables, on mette au moins les mots « traître », « trahir », « trahison » entre guillemets, et que dans la mesure du possible on explique dans une note que ces mots ne saisissent pas la réalité historique mais expriment seulement une interprétation douteuse d’auteurs du christianisme primitif »[27].

Dans les arts[modifier | modifier le code]

Liturgie[modifier | modifier le code]

Dans la Divine Liturgie de Jean Chrysostome, l'Église grecque orthodoxe Page d'aide sur l'homonymie utilise le tropaire de la Cène, dans lequel l'hymne jure à Jésus qu'il ne t'embrassera pas comme l'a fait Judas (« Je ne te donnerai pas de baiser, pour Judas... »)[28].

Iconographie[modifier | modifier le code]

Dans les arts picturaux, la scène est presque toujours incluse, soit comme le Baiser lui-même, soit le moment d'après l'Arrestation de Jésus, ou les deux combinés, afin de mieux décrire la scène et ses conséquences dans une séquence narrative du cycle de la Passion de Jésus. Dans certains cycles byzantins, c'est la seule scène avant la Crucifixion[29].

Bien que Judas soit représenté dans des œuvres d'art embrassant Jésus sur le visage, la tradition juive est d'embrasser les maîtres sur la main ou un pan du vêtement[30],[31],[32].

Cinéma[modifier | modifier le code]

Affiche du film Le Baiser de Judas (1909)

Le « Baiser de Judas » est le titre porté par plusieurs œuvres cinématographique : Le Baiser de Judas parr Armand Bour et André Calmettes (1908) ou Le Baiser de Judas par Rafael Gil (1954).

Le Baiser de Judas se reflète également dans certains films policiers ou contes sur le thème de la mafia, qui utilisent un « baiser de la mort » comme menace d'une mort violente, dans notamment Le parrain (1972) ou Kiss of Death.

Télévision[modifier | modifier le code]

« Le Baiser de Judas » est le titre français de l'épisode final de la quatrième saison de la série X-Files.

« Le Baiser de Judas » est le titre français de l'épisode 8 (« Among us ») de la saison 1 diffusé en 2013, de la série Meurtres au paradis.

« Le Baiser de Judas » est le titre français de l'épisode quatre de la deuxième saison de la série Queen of the South.

Dans la série Les Nouvelles Aventures de Sabrina, une référence est faite au baiser de Judas durant la conversation entre Sabrina et Judas lui-même lors de l’épisode 7 partie 03.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Frank F. Judd, « Judas in the New Testament, the Restoration, and the Gospel of Judas », Brigham Young University Studies, vol. 45, no 2,‎ , p. 35–43 (ISSN 0007-0106, lire en ligne, consulté le )
  2. καταφιλέω . Liddell, Henry George ; Scott, Robert ; A Greek–English Lexicon au projet Perseus.
  3. « Matthew 26 Vincent's Word Studies », sur biblehub.com (consulté le )
  4. « Matthew 26 Bengel's Gnomon of the New Testament », sur biblehub.com (consulté le )
  5. a b c d e f et g Camille Focant, L'Évangile selon Marc, éditions du Cerf, 2004 (ISBN 978-2-204-07407-0), p. 542-548.
  6. a et b Camille Focant et Daniel Marguerat (dir.), Le Nouveau Testament commenté, Bayard/Labor et Fides, 2012, 4e éd. (ISBN 978-2-227-48708-6), p. 140.
  7. « Chapitre 4 Théologie du texte 163 », dans Le Chemin de la Croix selon Saint Luc (Lc 23, 26-32), Peter Lang (lire en ligne)
  8. (en) « On Holy Thursday, betrayal and friendship », sur www.ncronline.org (consulté le )
  9. (en) Geza Vermes, Jesus the Jew : a historian's reading of the Gospels, SCM Press, (ISBN 0-334-00805-0, 978-0-334-00805-7 et 0-334-02839-6, OCLC 10205195, lire en ligne)
  10. a et b Alain Rabatel, « L'arrestation de Jésus et la représentation de Judas en Jean, 18, 1-12. Mise en perspective avec l'univers de la gnose dans l'Évangile de Judas », Études théologiques et religieuses, vol. 84, no 1,‎ , p. 49 (ISSN 0014-2239 et 2272-9011, DOI 10.3917/etr.0841.0049, lire en ligne, consulté le )
  11. Daniel 7, 9-10 et 7:13,14
  12. Dictionnaire Jésus, 2021, p. 377
  13. « DMBI: A Dictionary of Methodism in Britain and Ireland », sur dmbi.online (consulté le )
  14. Paul Trudinger, Biographical cuttings on Paul Trudinger, Reverend Dr., theologian, containing one or more cuttings from newspapers or journals (lire en ligne)
  15. Paul Verhoeven et Rob Van Scheers (trad. du néerlandais par Anne-Laure Vignaux), Jésus de Nazareth [« Jezus Van Nazaret - een realistisch portret »], Aux Forges de Vulcain, (1re éd. 2008), 390 p. (ISBN 978-2-919176-91-5 et 2-919176-91-9, présentation en ligne), p. 230-231.
  16. T.F. Glasson, Davidic Links with the Betrayal of Jesus, Expository Times 85, 1973-1974, p. 118-119 ; et L.P. Trudinger, Some Further Observations, Expository Times 86, 1974-1975, p. 278-279
  17. Verhoeven et Van Scheers 2015, p. 231-232.
  18. Verhoeven et Van Scheers 2015, p. 225.
  19. (es) Elaine Pagels et Karen L. King, El Evangelio de Judas: Y la formación del cristianismo, Kairós, Editorial S.A., (ISBN 978-84-7245-664-8, lire en ligne)
  20. (en) Karen L. King, Reading Judas : the Gospel of Judas and the shaping of Christianity, (ISBN 978-0-670-03845-9, 0-670-03845-8 et 978-0-14-311316-4, OCLC 85255593, lire en ligne), p. 3-4
  21. « Textes Fondateurs » Salomé » (consulté le )
  22. (en) J. C. Cooper, Dictionary of Christianity, Fitzroy Dearborn, (ISBN 978-1-134-26546-6, 1-134-26546-8 et 978-1-134-26553-4, OCLC 603926341, lire en ligne), p. 124
  23. « Judas kiss », sur TheFreeDictionary.com (consulté le )
  24. « Julius Streicher : Der NS Gauleiter von Franken starb qualvoll am Galgen », Die Presse, 14 février 2015.
  25. Dans l’Épître aux Galates, il est dit que Jésus s’est livré pour nous (Ga 2, 20), dans l’Épître aux Romains, que Dieu l’a livré (Rm 8, 32) ou qu’il a été livré (Rm 4, 25) par Dieu, « qui fait fonction de sujet logique du passif théologique », Klauck 2006, p. 46.
  26. a et b « La présence de Judas dans l’arsenal des armes de l’antisémitisme moderne mériterait à elle seule de faire l’objet d’un livre. », Hans-Joseph Klauck, Judas, un disciple de Jésus, Paris, Cerf, , p.15. Voir également Pierre-Emmanuel Dauzat, Judas. De l’Évangile à l’Holocauste, Paris, Bayard, 2006, p. 33.
  27. Klauck 2006, p. 171.
  28. (en)Rev. Nicholas M. Elias (1966). The Divine Liturgy Explained (4 ed.). Athens: Papadimitriou Publishing Co. (published 2000).
  29. (en) Janet Seligman et Gertrud Schiller, Iconography of Christian art, 1971-1972 (ISBN 0-8212-0365-7, 978-0-8212-0365-1 et 0-8212-0365-7, OCLC 237920, lire en ligne), p. 52
  30. - GuémaraAvoda Zara (17a) - Zohar Ha-Kadoch (Le’h Le’ha) à propos du Ari Zal - Cha’ar Ha-Kavanott -Moré Bé-Etsba’ par le Hida - Réchitt ‘Ho’hma (Cha’ar Guidoul Banim) par le Gaon - Choul’han Ha-Ma’are’hett, p. 56 - Od Yossef ‘Haï (Shoftim § 22) par Ben Ish 'Haï
  31. « ToratHaim– Une Torah de Vie | La mitsva d embrasser la main du Rav ou de ses parents pour la réussite de Audrey Myriam et Jonathan Uzan », (consulté le )
  32. « Embrasser les mains des parents le vendredi soir – Les élèves de Rabbi Chim’on Bar Yo’haï : Halacha Yomit selon les décisions Halachiques de notre maitre le Rav Ovadia YOSSEF z.ts.l », sur halachayomit.co.il, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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