Patrick Boucheron

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 8 mars 2020 à 15:47 et modifiée en dernier par Ange Gabriel (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.

Patrick Boucheron, né le à Paris, est un historien français.

Spécialiste du Moyen Âge et de la Renaissance, particulièrement en Italie, il est, depuis 2015, président du conseil scientifique de l’École française de Rome. Il a été élu la même année professeur au Collège de France sur la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe – XVIe siècles ».

Biographie

Après des études secondaires au lycée Marcelin-Berthelot (Saint-Maur-des-Fossés) puis au Lycée Henri-IV, Patrick Boucheron est reçu premier[1] au concours de l'École normale supérieure de Saint-Cloud en 1985[2], puis premier à l'agrégation d'histoire en 1988[3]. Il soutient son doctorat en 1994 à la Sorbonne, consacré à l'urbanisme et la politique édilitaire à Milan, sous la direction de Pierre Toubert et devant un jury composé de Bernard Guenée, Élisabeth Crouzet-Pavan et Philippe Braunstein (historien)[4]. Sa thèse, intitulée Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles), est publiée en 1998[5].

En 1994, il devient maître de conférences à l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud avant de rejoindre l’université Panthéon-Sorbonne en 1999[6]. Il est membre de l’Institut universitaire de France de 2004 à 2009 et il soutient une habilitation à diriger des recherches en 2009, intitulée La trace et l'aura. Essais sur l'écriture de l'histoire, la politique monumentale et la création artistique dans les villes d'Italie de la fin du Moyen Âge, dont le garant est Jean-Philippe Genet[4].

En 2012, Il est élu professeur d'histoire du Moyen Âge à l'université Panthéon-Sorbonne.

En 2015, il est nommé professeur au Collège de France sur une chaire intitulée « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe – XVIe siècles) »[7]. Il prononce sa leçon inaugurale, intitulée "Ce que peut l'histoire[8]" le 17 décembre 2015, publiée en partie dans le journal Le Monde[9] puis publiée en 2016 et traduite dans plusieurs langues.

Il intervient régulièrement sur France Culture[10] et donne des conférences tous les ans au Banquet du livre de Lagrasse[11],[12]. Il collabore, depuis 2000, au magazine L'Histoire, où il siège au comité de rédaction, et au journal Le Monde (Le Monde des livres) depuis 2007. Il est également membre du conseil scientifique et du jury du prix du festival Les Rendez-vous de l'histoire à Blois depuis 2010 et membre du conseil scientifique du Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée depuis 2013.

Recherches et enseignement

Domaines de recherche

Son domaine de recherche est l’histoire urbaine et monumentale de l'Italie médiévale et renaissante, dans ses aspects matériels aussi bien qu'abstraits et symboliques. Parallèlement, il s'intéresse à l'écriture et à l'épistémologie de l'histoire. A travers plusieurs chantiers collectifs (par exemple sur l'espace public au Moyen Âge, mené conjointement avec Nicolas Offenstadt, il propose de refaire le lien entre littérature et sciences sociales.

Son livre Léonard et Machiavel (2008) constitue une tentative pour mêler récit historiographique et littérature, en comblant par l'écriture les silences des sources (en l'occurrence, les sources sur une possible rencontre entre Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel). Son livre L'Entretemps. Conversations sur l'histoire, paru en 2012, revient sur cette démarche et l'explicite[13],[14].

Il coordonne deux ouvrages collectifs consacrés à L'Histoire du monde au XVe siècle (2009) puis à l'Histoire mondiale de la France (2017) qui s'inscrivent dans cette perspective de décentrement et de décloisonnement disciplinaire et chronologique. L'Histoire mondiale de la France est un succès de librairie, est traduit aux États-Unis et en Chine, et inspire plusieurs parutions similaires à l'étranger (Italie[15], Flandre[16], Espagne[17]).

Un dossier spécial de la revue Critique est consacré à son oeuvre en 2015, sous la direction de Marielle Macé[18].

Plus encore depuis son élection au Collège de France qu'auparavant, Patrick Boucheron consacre une grande partie de son activité à des conférences, entretiens, festivals et autres initiatives tournées vers le grand public. Il assume cette orientation tout en soulignant qu'il cherche à éviter l'exposition médiatique, car elle le contraint à forcer sa nature, plutôt marquée par « une forme de retenue, de patience, de pudeur »[19].

Tout en se réclamant de l'érudition, Patrick Boucheron tend à critiquer fortement l'historiographie telle qu'elle est pratiquée dans les universités. Ainsi dans Léonard et Machiavel, qui se situe à la frontière entre la biographie intellectuelle et l'expérience de pensée car les traces de possibles rencontres entre ces deux personnages sont fragiles, Patrick Boucheron juge qu'« un historien sans ses notes est comme l’enfant à qui on vient d’ôter les petites roues de son vélo[20]. »

Enseignement au Collège de France

Depuis son élection au Collège de France, Patrick Boucheron donne chaque année un cours[21] et organise un séminaire sur une thématique spécifique. Les séminaires sont co-organisés avec des chercheurs invités.

Cours

2015-2016 : « Souvenirs, fictions, croyances. Le long Moyen Âge d’Ambroise de Milan »

Ce cours, qui revient sur l’histoire politique sur la longue durée du souvenir d’Ambroise de Milan, le saint patron de la ville de Milan, a donné lieu à la parution en 2019 de La Trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan (IVe-XVIe siècles)[22].

2016-2017 : « Fictions politiques »

Dans la continuité de son ouvrage Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, paru en 2013[23], le cours dédié aux « fictions politiques » revient sur la manière dont le pouvoir s’impose par sa capacité à se raconter et à transformer les récits des vies de ceux qu’il entend gouverner, et plus largement sur l’articulation médiévale entre art de gouverner et art de raconter.

2017-2018 : « Fictions politiques (2) : nouvelles de la tyrannie »

Le deuxième volet de « Fictions politiques » prolonge la réflexion sur la puissance narrative de l’exercice du pouvoir, cette fois à partir d’un corpus déterminé, celui de la novellistica italienne, genre littéraire propre aux sociétés urbaines, notamment toscanes, du XIVe au XVIe siècle[24].

2018-2019 : « Les inventions du politique : expérimentations médiévales »

Le cours consacré aux inventions du politique entendait contribuer à une théorie générale des pouvoirs dans l’Europe occidentale sous l’angle de l’inventivité politique plutôt que sous celui des constructions institutionnelles.

2019-2020 : « Les inventions du politique (2) : narration et expérience »

Séminaires

2015-2016 : « Les effets de la modernité : expériences historiographiques » co-organisé avec Mathieu Potte-Bonneville, Étienne Anheim, François-Xavier Fauvelle, Julien Loiseau et Guillaume Calafat[25].

2016-2017 : « L’expérience communale. », co-organisé avec Adrien Genoudet, Paulin Ismard, Pierre Monnet et Quentin Deluermoz[26].

2017-2018 : « L’expérience communale (2) : la vie civique. », co-organisé avec Piroska Nagy, Giuliano Milani, Valérie Theis et Jean-Baptiste Delzant[27].

2018-2019 : « Faute de mots. Recherches sur l’histoire empêchée. », co-organisé avec Romain Bertrand[28].

2019-2020 : « Nouvelles recherches sur la Peste noire[29] »

Autres activités

Activités d'éditeur

Il a été directeur des Publications de la Sorbonne[30] de 2012 à 2015.

Depuis 2012, il est directeur de la collection "L'Univers historique" et membre du comité de lecture aux éditions du Seuil[31].

Télévision et radio

Pendant l'été 2016, il propose une émission hebdomadaire de cinq minutes sur France Inter, consacrée à Nicolas Machiavel[32].

Depuis 2018, il est producteur et animateur de l'émission "Matières à penser" sur France Culture[33]. Pendant une semaine par mois, cinq personnalités sont conviées à dialoguer avec lui sur une thématique particulière.

Il propose sur Arte, depuis 2018, une série documentaire autour de plusieurs dates incontournables de la mémoire collective[34]. Pour chaque épisode, où il collabore avec un historien spécialiste de la période ou de l'espace considéré, il revient sur l'événement lui-même mais également sur les constructions mémorielles de l'événement et sur les traces encore visibles de celui-ci aujourd'hui[35].

Théâtre

Depuis 2017, Patrick Boucheron est chercheur associé au Théâtre national de Bretagne où il propose un cycle intitulé "Rencontrer l'histoire"[36].

Orientations politiques et intellectuelles

Selon Éric Aeschimann, de L'Obs, dans un article consacré à la leçon inaugurale de Patrick Boucheron, avec l'arrivée de ce dernier « le Collège de France vire à gauche »[37].

Lors d'un entretien avec Benoît Hamon diffusé par Médiapart en juillet 2015, au moment de la crise entre la Grèce et l'Union européenne, P. Boucheron émet de fortes réserves à l'égard du parti d'Aléxis Tsípras, Syriza, qu'il accuse de former « un gouvernement d'alliance avec des formes d'extrême droite »[38].

D'après un portrait que lui consacre M. Le Magazine du Monde en juin 2017, Patrick Boucheron a voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour de l'élection présidentielle de 2017[39]. Lors d'un débat avec Ludivine Bantigny en marge du festival d'Avignon en juillet 2019, il déclare cependant que cette affirmation était une extrapolation du journaliste à partir des propos qu'il avait tenus, précisant au passage qu'il ne dit jamais pour qui il vote[40]. Le même portrait affirme également que « ce partisan de l'histoire en marche ne cache pas son intérêt pour le nouveau locataire de l'Élysée » (comparé au jeune Machiavel par Patrick Boucheron). Intérêt réciproque, puisque Emmanuel Macron s'est référé plusieurs fois à Patrick Boucheron et à ses ouvrages au cours de la campagne[39].

Contre les romans nationaux

En 2017, sous sa direction est publiée une Histoire mondiale de la France. Confronté au « récit entraînant du roman national », Patrick Boucheron estime nécessaire d'« organiser la résistance face à ce type d’offensive idéologique »[41], une démarche « délibérément politique » selon L'Obs[42].

L'ouvrage part, précise Patrick Boucheron, d'une intuition de Jules Michelet selon laquelle « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France »[43]. Ainsi, précise-t-il, de nouvelles dates sont « réintégrées dans le récit national : le coup d'État de Pinochet en 1973 n’est-il pas aussi une date de l’histoire française dans la mesure où cet événement produit dans les consciences politiques une entaille profonde[43] ? »

Se présentant comme « dépassionnée », cette Histoire mondiale de la France reste quand même, selon Boucheron, « grosse des inquiétudes du présent »[44]. Les succès de l'histoire non universitaire sont, selon lui, pour partie, le résultat de sa génération d'historiens qui « s’est peut-être enfermée dans une sorte de "chic intellectuel", une conception un peu "artiste" de l’histoire, de son écriture, inévitablement élitiste dans son allure et dans ses sujets », se spécialisant par exemple en histoire médiévale sur les révoltés, les marginaux, les prostituées, et délaissant d'autres pans importants de l'histoire[41]. Pour Boucheron,

« le défi qui est devant la gauche est celui de réarmer l’idée de progrès. […] Il faut réinventer une manière d’y croire à nouveau et de mener la bataille d’idées[41]. »

Lorsqu'on lui demande pourquoi il n'a pas écrit une « Histoire européenne de la France », il explique qu'un tel projet aurait impliqué de participer à la création d'un nouvel imaginaire, d'un nouveau sentiment d'appartenance, qui aurait rebuté les historiens avec qui le livre a été écrit, quand bien même ces derniers seraient personnellement favorables au projet européen[45].

Réception critique

Selon Les Inrocks, cette histoire de France veut « se déprendre d’une vision étriquée et rétrécie d’un paradis perdu[43]. »

Libération présente le livre comme étant celui d'une histoire où Frantz Fanon, Dominique de Villepin et Simone de Beauvoir détrônent Napoléon, Clovis et Jeanne d’Arc au panthéon des Grands Hommes[46] :

« Malgré les précautions oratoires de Patrick Boucheron, il s’agit bien de produire un autre récit qui fait la part belle aux idées progressistes : métissage, égalité, mixité, ouverture…[46] »

Au point de présenter les habitants de la grotte Chauvet, il y a 34 000 ans, comme les premiers Français… issus d'une migration. Le quotidien se demande tout de même si « en accumulant les références aux migrations, à la religion — rencontres et chocs successifs, notamment, entre christianisme et islam —, à la mondialisation et à l’écologie, Histoire mondiale de la France ne frise pas l’anachronisme. N’y a-t-il pas un risque à retracer le passé à travers les obsessions d’aujourd’hui[46] ? »

Pour l’historien Jean-Pierre Rioux, « l’entreprise […] est bourrée de science neuve et de talent[46]. »

Dans deux lettres publiées par Le Monde[47], le spécialiste du monde musulman médiéval Pierre Guichard regrette que la bataille de Poitiers de 732 soit présentée dans le livre comme une simple « escarmouche » et déplore que Libération et Le Monde aient repris cette idée dans leurs recensions. Il s'agit selon lui d'une déformation historique caractérisée, une « quasi-négation de ce qui est, qu’on le veuille ou non, un événement majeur dans l’histoire des pays de la Méditerranée occidentale au VIIIe siècle[48],[49]. »

Pour l'essayiste Alain Finkielkraut, Patrick Boucheron serait caractéristique d'un enseignement de l'histoire « que nul scrupule, nulle probité intellectuelle n'arrête, quand il s'agit de souligner les failles et les fautes de la France dans son rapport à l'altérité[50]. » L’ouvrage serait un « bréviaire de la bien-pensance et de la soumission ». Il décrit ses auteurs comme des « fossoyeurs du grand héritage français » qui « n’ont que l’Autre à la bouche et sous la plume », mettant en doute que le fait d'affirmer qu'il n’y a pas de civilisation française et que la France n’a rien de spécifiquement français puisse contribuer à résoudre « la crise du vivre-ensemble »[42].

Éric Zemmour dans un article intitulé « Dissoudre la France en 800 pages », fait un compte rendu critique de l'ouvrage qui s'inscrit, selon lui, dans la volonté de déconstruction de notre « roman national » présente dans l'Éducation nationale depuis les années 1970. Il dénonce une histoire selon laquelle il n’y aurait « pas de races, pas d’ethnies, pas de peuple », mais seulement des « nomades », et estime que Patrick Boucheron veut « renouer avec le roman national, mais ne garder que le roman pour tuer le national. » Le parti-pris particulier de l'ouvrage serait que « tout ce qui vient de l’étranger est bon[51]. »

La presse a apporté un large soutien médiatique à cette « Histoire mondiale » ce qui a eu pour conséquence de multiplier les ventes[42].

Controverses

Controverse avec Dominique Barthélemy autour de l'œuvre de Georges Duby et de l'antipositivisme

En 2016, l'historien médiéviste Dominique Barthélemy réagit vivement, dans un texte publié par la revue de l'Association des historiens et géographes[52], contre un article de l'ouvrage collectif Historiographies[53] dans lequel Patrick Boucheron présente comme « incompréhensible » et « stérilisante » sa critique des thèses de Duby concernant la mutation féodale. Dans l'article, Patrick Boucheron rattache cette critique à une « régression positiviste » qu'il a souvent déjà dénoncée dans d'autres textes, en l'imputant en particulier à Dominique Barthélemy et à Alain Guerreau.

Dans son essai intitulé Faire profession d'historien, notamment, Patrick Boucheron avançait en effet que

« la fameuse “querelle de l'an mil”, du moins à partir du moment où Dominique Barthélemy a enfourché le fier destrier de “l'école méthodique” qui pourfend les mythologies romantiques et “fait reculer l'erreur” [était un exemple de] discours général sur l'opération historique qui s'apparentait, en dépit de toutes les précautions oratoires pour affirmer le contraire, à une forme de régression positiviste[54]. »

Dans le même ouvrage, Patrick Boucheron s'étonnait aussi que le livre d'Alain Guerreau, L'Avenir d'un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXIe siècle ?[55],

« ait pu passer pour une contribution décisive au débat épistémologique, [ce qui] en dit long sur la somme de renoncements que les médiévistes ont accumulée quant à la réflexion critique sur leur discipline [car] le textualisme radical d'Alain Guerreau n'est que la forme un peu folklorisée de la régression positiviste[56]. »

Dominique Barthélemy, s'il reconnaît les excès du positivisme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, ainsi que la légitimité des critiques que Marc Bloch ou Henri-Irénée Marrou lui ont faites, considère que

« depuis les années 1960, il arrive souvent que l’antipositivisme affiché recouvre d’autres préoccupations. Il peut servir à justifier qu’on ne fasse pas soi-même de nouvelle enquête mais que, prenant les résultats antérieurs sobrement procurés par "le positivisme", on y ajoute un commentaire intelligent ou se prenant pour tel. Il veut excuser, à l’inverse, qu’on remette en cause les plus sûres des conclusions "positivistes" (telle la réfutation des terreurs de l’an mil) sous couleur de déconstruction. Il dispense de réfuter les maîtres et collègues, ce qui est toujours source de fâcheries et peut nuire à une carrière – même et surtout lorsque l’on a raison. L’antipositivisme enfin donne son aval à la levée des interdits : il fait sauter les verrous naguère posés contre l’épanchement d’une écriture luxuriante ou même ébouriffée, et contre l’invasion d’une théorie ou d’une idéologie au goût du jour. Il sape l’emprise du principe de réalité et se révèle fauteur de régression[52]. »

Dans une réponse publiée également par l'Association des historiens et géographes, Patrick Boucheron dit ne se sentir en rien concerné par l'antipositivisme qu'attaque Dominique Barthélemy et suggère que la démarche de ce dernier est liée à « une conception héroïque du progrès historiographique qu'[il] ne partage pas[57]. »

Controverse avec Sanjay Subrahmanyam sur la world history

Sanjay Subrahmanyam

Dans un entretien publié par Politis le 25 juillet 2018, l'historien Sanjay Subrahmanyam, fondateur de l'histoire connectée, déclare que

« La contribution originale de Patrick Boucheron à ce débat [sur l'histoire mondiale et l'émancipation à l'égard de l'histoire nationale] reste pour moi un mystère. Elle ne s’exprime certainement pas au niveau de la méthodologie, car son Histoire mondiale de la France n’est pas un livre novateur de ce point de vue. Je trouve qu’il est crypto-nationaliste, et même qu’il joue sur tous les tableaux[58]. »

Peu après, dans un entretien au Figaro, S. Subrahmanyam réitère ses critiques en accusant Patrick Boucheron de s'être « auto-institué grand mamamouchi de cette nouvelle approche [l’histoire globale] » alors qu’il « est d’abord un historien de l’Italie médiévale », faisant ainsi « une histoire globale pour imbéciles »[59]. Dans Le Monde du 14 octobre 2018, la médiéviste Valérie Theis prend la défense de P. Boucheron. Ayant suivi ses cours, elle conteste les accusations de S. Subrahmanyam, qu'elle attribue à la « jalousie » et à un « manque de générosité intellectuelle »[60].

Controverse concernant le mouvement des gilets jaunes

Lors d'un entretien sur France inter avec Nicolas Demorand dans le cadre de la promotion de son livre La trace et l'aura, Patrick Boucheron évoque longuement le mouvement des gilets jaunes[61]. Il y dénonce la « petite came insurrectionnelle » des intellectuels favorables au mouvement[62].

L'historien Gérard Noiriel consacre peu après un billet de son blog à lui reprocher son point de vue dépourvu d'empathie sur le mouvement (ignorant notamment les violences policières subies par les manifestants)[63]. Pour G. Noiriel, la critique par P. Boucheron de la focalisation du mouvement sur la figure "monarchique" du président est d'autant moins bien venue que ce dernier est effectivement doté de pouvoirs très étendus dans le cadre de la Ve République, et que P. Boucheron lui-même revendique d'avoir voté pour Emmanuel Macron aux deux tours de l'élection présidentielle de 2017. Surtout, G. Noiriel conteste la conception de l'histoire et du rôle de l'historien défendue dans cet entretien par P. Boucheron : selon ce dernier, la comparaison avec les événements et situations antérieurs ne serait guère utile pour saisir le présent et l'histoire devrait surtout souligner les différences entre hier et aujourd'hui, l'étrangeté du passé. Pour G. Noiriel, l'incompréhension de P. Boucheron à l'égard des gilets jaunes serait liée à sa position de pouvoir d'historien institutionnellement dominant.

L'économiste et philosophe de gauche Frédéric Lordon désigne peu après Patrick Boucheron comme « un intellectuel de cour » en raison de « son macronisme déclaré et son mépris, tout aussi déclaré, des Gilets Jaunes »[64].

Une posture nouvelle d'« intellectuel d'ambiance » ?

Dans un article paru en avril 2019 dans la revue en ligne Lundi matin, intitulé « Qu'est-ce qu'un intellectuel d'ambiance ? », l'éditeur Nicolas Vieillescazes présente Patrick Boucheron et l'écrivaine Marielle Macé comme les deux exemples les plus significatifs d'un nouveau type d'intellectuel français, qui « diffuse quelque chose s’apparentant à de la radicalité politique, mais avec la plus grande douceur et, surtout, sans donner le moindre contenu affirmatif à ses propos ». Ces « intellectuels d’ambiance » sont reconnaissables à ce qu’ils « parlent de politique sans rien en dire ni soutenir de position ». Pour N. Vieillescazes, « La pensée ambianceuse se présente en deux temps – (1) constat du désastre et (2) appel à la réinvention – définis par une subjectivité (1) affectée et (2) créatrice. Boucheron en est l’inventeur, mais c’est chez Macé que l’on en trouve aujourd’hui le paradigme ».

La parole des intellectuels d'ambiance serait dominée par « une rhétorique du flou », évitant toujours d'avancer des arguments précis ou de se confronter réellement à ceux des autres et reposant sur « un contenu indéfiniment différé, une prise de position sans position affirmée », le résultat s'apparentant « aux musiques diffusées dans les commerces pour accompagner les consommateurs dans l’acte d’achat, ces musiques faites pour être fond sonore, entendues davantage qu’écoutées et dont on se rappellera seulement la tonalité générale, éventuellement une ou deux phrases ». Dans la démarche de P. Boucheron, la politique se définirait seulement, selon N. Vieillescazes, « par le rapport des sujets à l’état des choses. Si l’on veut transformer le monde objectif, on doit modifier la perception que l’on en a », avec une « tendance à tout ramener à soi en disant 'nous', à faire de son propre sort la mesure de toute chose, à traiter la pure inertie du monde, les questions matérielles, la reproduction sociale, l’oppression et l’exploitation, etc., comme des problèmes d’idées et d’attitudes », ce qui serait « une caractéristique traditionnelle de l’idéologie bourgeoise »[65].

Œuvres

Publications

Articles

Documentaires

  • Série documentaire Quand l'histoire fait date, les films d'ici / Arte France, 2018[66].
    • 13 juin -323 : Mort d'Alexandre le Grand
    • 33 : Crucifixion de Jésus
    • Un jour de 79 : La destruction de Pompéi
    • 24 septembre 622 : L'an 1 de l'Islam
    • 1347 : la peste noire
    • 1431 : la chute d'Angkor
    • 1492 : Un nouveau Monde
    • 6 août 1945 : Hiroshima
    • 20 juin 1789 : Le Serment du Jeu de Paume
    • 11 février 1990 . Libération de Nelson Mandela

Distinctions

Prix

Décorations

Notes et références

  1. « Patrick Boucheron - Curriculum vitae », sur college-de-france.fr, (consulté le )
  2. http://www.lyon-normalesup.org/Annuaire/frame.php.
  3. « Concours - Agrégation », Le Monde.fr,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  4. a et b « Biographie », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  5. Patrick Gilli, « Patrick Boucheron, Le Pouvoir de bâtir. Urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles) », Médiévales, vol. 18, no 37,‎ , p. 173–175 (lire en ligne, consulté le )
  6. Biographie de Patrick Boucheron sur le site du Collège de France.
  7. « Patrick Boucheron », sur www.college-de-france.fr (consulté le ).
  8. « Ce que peut l'histoire », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  9. « « Ce que peut l’histoire », par Patrick Boucheron », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. Voir sur franceculture.fr.
  11. Sophie Walon-Lagrasse (Aude), envoyée spéciale, « Au Banquet du livre de Lagrasse, l'ivresse de la pensée littéraire et philosophique », Le Monde.fr,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  12. Julie Clarini (Lagrasse (Aude), « Banquet du livre : Platon dans la garrigue », Le Monde.fr,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
  13. Équipe de recherche Fabula, « P. Boucheron, L'Entretemps. Conversations sur l'histoire », sur https://www.fabula.org (consulté le )
  14. « Patrick Boucheron, à propos de L'entretemps (Verdier) », sur www.histoire-pour-tous.fr (consulté le )
  15. « "Histoire mondiale de la France" vs "Storia mondiale dell'Italia" », sur France Culture, (consulté le )
  16. « L’autre histoire de la Flandre », sur Le Soir Plus, (consulté le )
  17. (es) Clara Morales, « Otra historia, otra España », sur infoLibre.es, (consulté le )
  18. Patrick Boucheron, l'histoire, l'écriture Critique, 823, 2015/12
  19. Entretien accordé à La Voix du Nord, 5 février 2017 :

    « Être l’objet d’un engouement dans la sphère publique c’est perturbant pour quelqu’un comme moi, qui fonctionne sur une forme de retenue, de patience, de pudeur. Je fais tout pour l’éviter, mais en même temps, je me dois sans doute au public, je suis même payé pour cela ! »

  20. Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Paris, Verdier, 2008 (voir la recension en ligne de Dorra d'Errico dans la revue en ligne Laboratoire italien).
  21. « Accueil », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  22. « La Trace et l'Aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan (IVe-XVIe siècle) (pour lecteur motivé) • Le Seuil • Notre sélection, Ambroise, Milan, Saint, Patrick Boucheron, République, Symbole, Histoire • Philosophie magazine », sur www.philomag.com (consulté le )
  23. « Conjurer la peur - Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images », sur France Culture (consulté le )
  24. « Fictions politiques (2) : nouvelles de la tyrannie – série de podcasts à écouter », sur France Culture (consulté le )
  25. RMBLF, « Séminaire – Les effets de la modernité : expériences historiographiques », sur RMBLF.be, (consulté le )
  26. « L'expérience communale », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  27. « L'expérience communale (2) : la vie civique », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  28. « Faute de mots. Recherches sur l'histoire empêchée », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  29. « Nouvelles recherches sur la Peste Noire », sur www.college-de-france.fr (consulté le )
  30. Voir sur univ-paris1.fr.
  31. « La vie de l'édition | L'Histoire », sur www.histoire.presse.fr (consulté le ).
  32. « Un été avec Machiavel - France Inter », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  33. « Matières à penser : podcast et réécoute sur France Culture », sur France Culture (consulté le )
  34. « QUAND L'HISTOIRE FAIT DATES », sur Les Films d’ici (consulté le )
  35. « Quand l’histoire fait dates - Histoire-géographie - Éduscol », sur eduscol.education.fr (consulté le )
  36. TNB-Centre Européen Théâtral et Chorégraphique, « PATRICK BOUCHERON - PATRICK BOUCHERON, CHERCHEUR ASSOCIÉ », sur TNB - Centre Européen Théâtral et Chorégraphique (consulté le )
  37. « Histoire : le Collège de France vire à gauche », nouvelobs.com, 19 décembre 2015.
  38. « Chercheurs vs politiques (2/4) : Après les attentats, quelle république voulons-nous ? », Médiapart, 26 juillet 2015 : : « Syriza, c’est la gauche ? C’est compliqué, quand même. C’est quand même un gouvernement d’alliance avec des formes d’extrême droite, c’est une forme de nationalisme dont on comprend bien aujourd’hui que, au fond, c’est aussi une résistance à l’impérialisme financier, mais c’est quand même un nationalisme, et un nationalisme dur. »
  39. a et b « Patrick Boucheron, l'homme qui défie les apôtres du déclin », M. Le magazine du Monde,‎ , p.39 (lire en ligne).
  40. « Une histoire idéologique ? », débat avec Ludivine Bantigny organisé par Mediapart au festival d'Avignon 2019, 36e minute de la vidéo.
  41. a b et c Patrick Boucheron : « Il faut réinventer une manière de mener la bataille d’idées », entretien, humanite.fr, 5 janvier 2017.
  42. a b et c « "Histoire mondiale de la France": le livre qui exaspère Finkielkraut, Zemmour et Cie », nouvelobs.com, 1er février 2017.
  43. a b et c « Patrick Boucheron invite à une histoire élargie de la France », lesinrocks.com, 17 janvier 2017.
  44. « Patrick Boucheron : “La-France est objectivement une puissance surévaluée” », entretien, lejdd.fr, 17 janvier 2017.
  45. Mathilde Harel, Uriel Gadessaud , « « Il n’est plus temps de se draper dans ses bonnes intentions indignées », une conversation avec Patrick Boucheron  », sur Le Grand Continent,  : « Voilà pourquoi nous n’avons pas fait une histoire européenne de la France. À partir du moment où l’on ne voulait pas écrire l’histoire pour construire quelque chose, un sentiment d’appartenance, et même si ce quelque chose,  on le souhaitait pourtant d’un point de vue politique, on a fait défection. ».
  46. a b c et d « Une autre histoire de France est possible », liberation.fr, 10 janvier 2017.
  47. 19 janvier et 7 février 2017.
  48. Pierre Guichard, « Histoire : La bataille de Poitiers, une escarmouche ? », Le Monde des lecteurs,‎ (lire en ligne).
  49. Pierre Guichard, « Histoire : bataille de Poitiers et « vérité alternative » dans l’Histoire mondiale de la France (Suite) », Le Monde des lecteurs,‎ (lire en ligne).
  50. « Alain Finkielkraut et la colonisation : “La fusée Macron s’est ensablée en Algérie” », L’esprit de l’escalier, à partir de 7 min 15, 19 février 2017.
  51. « Dissoudre la France en 800 pages », Éric Zemmour, lefigaro.fr, 18 janvier 2017.
  52. a et b Dominique Barthélemy, Dominique Barthélemy, "Pourquoi l'antipositivisme ? À propos d'Historiographies", en ligne sur le site de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie, 29 juin 2016
  53. Patrick Boucheron, « An mil et féodalisme », dans Christian Delacroix et alii, Historiographies, tome II, Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, p. 952-966.
  54. Patrick Boucheron, Faire profession d'historien, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 79.
  55. Paris, Le Seuil, 2001.
  56. Patrick Boucheron, op. cit., p. 149.
  57. « Patrick Boucheron, "Brève réponse" », en ligne sur le site de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie, 7 juillet 2016
  58. Sanjay Subrahmanyam « L’histoire nationale tyrannise les historiens », Politis, 25 juillet 2018
  59. Charles Jaigu : « Colère d'un historien contre Mme Taubira », Le Figaro, 19 septembre 2019.
  60. Valérie Theis, « Ce qui tue, ce sont les querelles de chapelle des universitaires, les jalousies et le manque de générosité intellectuelle », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  61. Patrick Boucheron sur les gilets jaunes : "Quelqu'un qui dit 'je vous l'avais bien dit', je ne l'écoute pas", franceinter.fr, 7 février 2019
  62. Serge Halimi & Pierre Rimbert, « Voyage en feinte vérité », sur Le Monde diplomatique,
  63. G. Noiriel, "Patrick Boucheron, un historien sans gilet jaune", sur le blog "Le populaire dans tous ses états", 11 février 2019 repris par le site Bibliobs le 12 février 2019 [1] : « En réalité, ce n’est pas l’historien mais le citoyen Patrick Boucheron, qui s’est exprimé ce matin-là à propos des gilets jaunes. Son point de vue est celui que partage aujourd’hui une grande partie des élites intellectuelles. Pas un mot de compassion pour la misère sociale que ce mouvement a révélée; pas un mot pour condamner les violences policières qui ont profondément choqué l’opinion (et qui ont été dénoncées par Amnesty International). En revanche, Patrick Boucheron – qui a voté en 2017, au premier et au deuxième tour pour l’actuel président de la République – déplore l’obsession des gilets jaunes qui haïssent Macron. Il relativise leur révolte en disant que «la France n’est pas le pays le plus malheureux du monde», que les inégalités y sont moins fortes qu’ailleurs, etc. Dans le même élan, il apporte tout son soutien au «grand débat» qu’a lancé Emmanuel Macron. Son réquisitoire est encore plus sévère quand il évoque les universitaires qui sont intervenus dans les médias pour analyser le mouvement des gilets jaunes. Présentant ses opinions politiques comme des constats scientifiques, il n’hésite pas à affirmer que «l’émeute en elle-même n’est pas émancipatrice». On aimerait savoir sur quelles recherches, le professeur du Collège de France s’appuie pour aboutir à une conclusion aussi générale et aussi péremptoire. Est-ce que cela signifie, par exemple, que la Révolution française n’a pas été émancipatrice? A l’encontre des nombreux travaux publiés récemment par la nouvelle génération des historiens de cette période, Patrick Boucheron cherche-t-il à réhabiliter l’interprétation libérale de François Furet qui affirmait que toutes les révolutions débouchent sur le totalitarisme ? Boucheron a beau affirmer, à un autre moment de cet entretien: «Je ne suis pas le censeur des usages de l’histoire», il s’exprime en réalité comme le Fouquier-Tinville de la discipline. »
  64. Frédéric Loron, « 65 intellectuels invités à débattre à l'Elysée, Lundi matin », 18 mars 2019
  65. Nicolas Vieillescazes, « Qu'est-ce qu'un intellectuel d'ambiance ? », Lundi matin, 29 avril 2019.
  66. « Quand l'histoire fait date », sur Arte, (consulté le ).
  67. http://www.italiques.org/?p=88.
  68. Voir sur livreshebdo.fr.
  69. Arrêté du 13 septembre 2016 portant nomination dans l'ordre des Arts et des Lettres.

Annexes

Bibliographie

Liens externes