Fongicide

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Bouillie bordelaise sur des grappes de raisin près de Monte Vibiano (Italie).
Bouillie bordelaise sur des feuilles de vigne. Sous l'action de l'eau, du CO2 et des sécrétions de la plante, le cuivre de ce fongicide est solubilisé très lentement.

Un fongicide est un produit phytosanitaire conçu pour éliminer ou limiter le développement des champignons parasites des végétaux. Les produits à usages médicaux sont dénommés des antimycosiques. Les fongicides sont également produits à l'état naturel par certains végétaux pour lutter naturellement contre les parasites (ex : la piloselle, Pilosella officinarum) ou comme défense contre les herbivores.

Modes d'action[modifier | modifier le code]

Pendant longtemps, les seuls fongicides disponibles étaient des produits agissant par contact et ne pouvant donc être utilisés qu'à titre préventif. Ils agissaient en effet sur les spores du champignon avant que celles-ci n'aient pu émettre des filaments pénétrant les tissus de l'hôte.

On distingue aujourd’hui deux types de fongicides :

  • les produits préventifs empêchant le développement des spores à la surface de la plante ;
  • les produits curatifs qui stoppent le développement du champignon déjà installé dans la plante.

Les premiers fongicides systémiques sont apparus à la fin des années 1960. Ils présentent l'avantage d'avoir une action à la fois préventive et curative. Actuellement, les fongicides employés proviennent de l'association d'une trentaine de matières actives regroupées en plusieurs familles chimiques.

Il existe une multitude de modes d'action qui bloquent ou affectent l'organisme des germes pathogènes :

  • les fongicides multisites (qui agissent sur plusieurs paramètres à la fois) ;
  • ceux qui agissent sur la respiration mitochondriale (ex: strobilurine et SDHI) ;
  • ceux qui inhibent la synthèse des stérols ;
  • ceux qui inhibent la synthèse des acides aminés ;
  • d'autres qui perturbent la division cellulaire ;
  • les simulateurs des défenses naturelles (SDN).

Chacun de ces différents modes d'action agit sur un type de maladie particulier comme la septoriose, la fusariose, l'oïdium, la rouille, le piétin-verse

Les fongicides sont généralement plus toxiques pour l'humain que les deux autres grands groupes de pesticides (insecticides et herbicides).[réf. nécessaire]

Certains ont des modes d'action similaires aux médicaments antimycosiques au point que leur épandage induit une résistance aux azoles chez des pathogènes humains présents dans le sol comme Aspergillus fumigatus. Ce champignon n'est pourtant pas nuisible pour les plantes. Dans les hôpitaux néerlandais, jusqu'à 20 % des cas impliquent des souches résistantes[1],[2],[3].

Groupes de fongicides[modifier | modifier le code]

Fongicides de contact[modifier | modifier le code]

Ils agissent sur des mécanismes enzymatiques impliqués dans le cycle de vie des champignons. Ces mécanismes de base se rencontrent chez tous les êtres vivants, ce qui donne à ces produits un large spectre d'action. Les fongicides de contact ont la caractéristique de nécessiter le contact direct entre le fongicide utilisé et les cellules de champignons pathogènes. Contrairement aux fongicides systémiques, ils ne sont pas absorbés par les tissus de la plante hôte et sont lessivables par les pluies. Ils doivent donc être renouvelés après des événements pluvieux. Beaucoup de fongicides utilisés en agriculture biologique sont des fongicides de contact. Ces fongicides peuvent être divisés en plusieurs familles.

Produits à base de métaux[modifier | modifier le code]

Ces métaux sont le cuivre, sous forme de sels (forme minérale) ou combiné à une molécule organique (forme organique). Le métal (Me+, Me++) constitue la partie active de la molécule. Les métaux sont des agents thioloprives, c’est-à-dire qu'ils se fixent sur les groupements SH ou thiols (R-SH) constituant la partie active de nombreux enzymes ayant un rôle dans les phénomènes d'oxydoréduction assurant le transport d'énergie du végétal. La toxicité de ces métaux n'est pas spécifique aux champignons mais touche tous les êtres vivants. Toutefois, la spore de champignon a le pouvoir de concentrer énormément les métaux, entraînant donc une concentration bien supérieure de thioloprives par rapport aux autres organismes, d'où leur sensibilité particulière.

Les métaux ont l'inconvénient de posséder une phytotoxicité à l'égard de la culture. Il a donc été nécessaire de les préparer sous une forme qui réduit cette phytotoxicité (forme organique). Les formes organiques ont de plus l'avantage d'avoir une meilleure rémanence, ce qui évite leur lessivage à la première pluie.

Les composés organo-mercuriels sont très efficaces mais très toxiques pour l'humain.

La bouillie bordelaise est un fongicide très répandu fabriqué à partir de cuivre.

Soufre[modifier | modifier le code]

Le soufre sous forme de poudre est utilisé tel quel ou en mélange avec des tensioactifs sous forme de suspension dans l'eau. Le soufre pose des problèmes de phytotoxicité avec certaines cultures lorsque la température ambiante dépasse les 30 °C. La vaporisation de purin d'ail (décoction d'une quinzaine de caïeux marinés 4 à 5 jours dans 5 litres d'eau bouillante) peut apporter une légère dose de soufre via l'allicine sans risque de toxicité.

Produits soufrés (carbamates)[modifier | modifier le code]

Apparues dans les années 1940, les séries des thiocarbamates et dithiocarbamates agissent en libérant des isocyanates ou du thirame, molécules actives qui bloquent les groupements S-H des enzymes, perturbant ainsi le métabolisme des champignons à 3 niveaux : inhibition de l'oxydation du glucose, inhibition de la synthèse d'acide nucléique, inhibition de la dégradation des acides gras. Les dithiocarbamates sont dépourvus de toute phytotoxicité.

Exemples : prothiocarbe, zinèbe, manèbe, mancozèbe, propinèbe, thirame, métiram (carbatène).

Fongicides systémiques[modifier | modifier le code]

Les fongicides systémiques agissent sur des voies métaboliques essentielles au vivant. Ils se distinguent des fongicides de contact par le fait qu'ils sont absorbés par les tissus des végétaux. Ceci leur permet de garder une efficacité de protection sur plusieurs semaines, contrairement aux fongicides de contact qui sont lessivables par la pluie. Tout comme les fongicides de contact, les fongicides systémiques visent des fonctions cellulaires qui ne sont pas spécifiques des champignons[4],[5]. Les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase par exemple visent les mitochondries et tous les organismes eucaryotes possèdent des mitochondries pour fournir de l'énergie aux cellules[6]. Pour exemple les SDHI utilisés à grande échelle dans l'agriculture (en prévention majoritairement) sont connus pour leur toxicité pour les vers de terre (30% de moins chaque année), les pollinisateurs comme les abeilles, les poissons, les grenouilles et sont un danger pour l'humain et toute la biodiversité[7],[8].

Un collectif de scientifiques français (spécialistes des maladies mitochondriales, cancérologues, toxicologues...) a lancé une alerte depuis 2018 pour les faire retirer du marché et appliquer en urgence le principe de précaution[9].

Selon une étude indépendante, publiée dans Plos One le , les fongicides SDHI sont toxiques pour les cellules humaines[10].

Les SDHI sont très stables et des doses faibles suffisent à inhiber la succinate déshydrogénase de toutes les espèces vivantes. Du fait de leur mode d'action, l'apparition de souches de champignons résistantes est constamment observée, ce qui rend le produit inefficace avec le temps[11],[12].

Les SDHI ne sont pas considérés cancérigènes à ce jour selon les tests réglementaires actuels[13]. Cependant, des chercheurs du CNRS- INSERM ont démontré que ces tests réglementaires, qui permettent aux SDHI d’être sur le marché, ne détectent pas un effet très important de ces molécules : elles induisent un stress oxydatif dans les cellules humaines, menant à leur mort[10]. Ces substances pourraient ainsi augmenter le risque de maladies neurologiques comme Parkinson ou Alzheimer[14].

Le bixafen, un fongicide SDHI de nouvelle génération a été décrit comme génotoxique par des chercheurs financés par l'ANSES[5].

Ils sont le plus souvent commercialisés en mélange avec un produit de contact.

Dérivés de l'acide carbarique et des benzimidazoles (carbamates)[modifier | modifier le code]

Une fois absorbés, ces produits se transforment en carbendazime qui est un antimitotique. Ces produits bloquent la division cellulaire et nucléaire (mitose) en perturbant la formation et le fonctionnement du fuseau chromatique. Cette molécule a de plus une action au niveau de l'ADN : elle se substitue aux bases puriques (adénine et guanine) des acides nucléiques et provoquent des erreurs dans la transcription du génome. Toutefois, cette dernière propriété n'expliquerait pas la toxicité de ces produits.

Spécifiques, ils sont sans effet sur les Oomycetes (Pythium, Phytophthora, Peronospora, Mildiou) et les Pleosporaceae. Ils sont largement utilisés sur les cultures tropicales. Ils provoquent souvent l'apparition de souches résistantes chez les Oïdiums et les Cercospora.

Exemples : bénomyl, carbendazime, fuberidazole, thiabendazole, propamocarbe, diéthofencarbe.

Inhibiteurs systémiques de la synthèse des stérols (IBS)[modifier | modifier le code]

C'est un groupe important regroupant en plusieurs familles la moitié des matières actives. Ils provoquent l'inhibition d'enzymes impliqués dans la synthèse des stérols, entraînant une perturbation du fonctionnement et de la formation des membranes cellulaires des champignons.

Beaucoup d'entre eux ont une action systémique, mais certains sont translaminaires (prochlorase). Ils sont efficaces, entre autres, contre Pyrenophora spp, Venturia spp et Septoria spp.

On recherche des molécules ayant le même effet toxique mais sur des maillons différents de la synthèse des stérols pour, par complémentarité, limiter les risques de résistance.

Exemples :

Fongicides d'origine naturelle[modifier | modifier le code]

Les fongicides sont également produits à l'état naturel par certains végétaux pour lutter naturellement contre les parasites (ex : l'épervière piloselle, Hieracium pilosella) ou comme défense contre les herbivores. Les racines du manioc ou encore les graines de lin contiennent du cyanure très toxique. Le cyanure bloque la respiration des cellules au niveau du complexe IV de la chaire respiratoire mitochondriale. Autre exemple, la roténone, un inhibiteur du complexe I de la respiration cellulaire, présente dans des plantes en Amazonie. En Polynésie, les pêcheurs en faisaient des boules qu'ils lançaient dans l'eau pour asphyxier les poissons, cette pêche a provoqué de nombreux cas de maladies de Parkinson. Les plantes étaient aussi utilisées lors de tentatives de suicide[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Laurie Henry, « La prochaine pandémie pourrait être due à des champignons contre lesquels nous sommes démunis », sur Trust my science, .
  2. (en) Amelia E. Barber, Jennifer Riedel, Tongta Sae-Ong, Kang Kang, Werner Brabetz, Gianni Panagiotou, Holger B. Deising, Oliver Kurzai, « Effects of Agricultural Fungicide Use on Aspergillus fumigatus Abundance, Antifungal Susceptibility, and Population Structure », MBio, ASM,‎ (ISSN 2150-7511 et 2161-2129, OCLC 969766323, DOI 10.1128/MBIO.02213-20)Voir et modifier les données sur Wikidata
  3. (en) S Earl Kang, Leilani G Sumabat, Tina Melie, Brandon Mangum, Michelle Momany, Marin T Brewer, « Evidence for the agricultural origin of resistance to multiple antimicrobials in Aspergillus fumigatus, a fungal pathogen of humans », G3, Société américaine de génétique (d),‎ (ISSN 2160-1836, OCLC 704284671, DOI 10.1093/G3JOURNAL/JKAB427)Voir et modifier les données sur Wikidata
  4. C. Lukowicet et al.,Metabolic Effects of Chronic Dietary Exposure to Low Dose Pesticide Coctail in Mice: sexual dimorphism and role of the constitutive androstane reptor . Environmental Health Perspectives,2018
  5. a et b (en) V. Graillot et al., « Evidence of the in vitro genotoxicity of methyl-pyrazol pesticides in human cells », Mutat Res,‎ (DOI 10.1016/j.mrgentox.2012.05.014, lire en ligne).
  6. J. Joyard et al., Symbiose et evolution : à l’origine de la cellule eucaryote. Encyclopédie de l’environnement
  7. Qian et al., Toxic effects of boscalid in adult zebrafish (Danio rerio) on carbohydrate and lipid metabolism. Environmental pollution
  8. S. Wu et al., Single and mixture toxicity of strobilurin and SDHI fungicides to Xenopus tropicalis embryos. Ecotoxicology and envirinmental safety
  9. « Alerte scientifique sur les fongicides », sur Libération.fr, (consulté le )
  10. a et b « Les fongicides SDHI sont toxiques pour les cellules humaines | CNRS », sur www.cnrs.fr (consulté le )
  11. Hervé F. Avenot et al., Progress in understanding molecular mechanisms and evolution of resistance to succinate dehydrogenase inhibiting (SDHI) fungicides in phytopathogenic fungi
  12. D. Fernandez-ortuno et al., Resistance to the SDHI Fungicides Boscalid, Fluopyram, Fluxapyroxad, and Penthiopyrad in Botrytis cinerea from Commercial Strawberry Fields in Spain. Plant Dis 2017
  13. « Fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) : l’ANSES présente les résultats de son expertise | Anses - Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail », sur www.anses.fr (consulté le )
  14. « Pesticides : certains fongicides utilisés en agriculture sont dangereux pour la santé humaine, selon une étude », sur France Bleu, (consulté le )
  15. R Torrents et al., Suicide Attempt by Ingestion of Rotenone-Containing Plant Extracts in French Polynesia: A Case Report. Wilderness. 2017

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]