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== Bibliographie ==
== Sources et références ==


* {{en}} Gottfried E. Noether, ''Emmy Noether (1882-1935)'' in Louise S. Grinstein et Paul J. Campbell : ''Women of Mathematics: A Bibliographic Sourcebook'' (New York, Greenwood Press), 1987, pp. 165-170.
* {{en}} Gottfried E. Noether, ''Emmy Noether (1882-1935)'' in Louise S. Grinstein et Paul J. Campbell : ''Women of Mathematics: A Bibliographic Sourcebook'' (New York, Greenwood Press), 1987, pp. 165-170.
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* {{en}} Brewer, James, et Smith, Martha (eds.). 1981. ''Emmy Noether: A Tribute to Her Life and Work''. New York: Marcel Dekker.
* {{en}} Brewer, James, et Smith, Martha (eds.). 1981. ''Emmy Noether: A Tribute to Her Life and Work''. New York: Marcel Dekker.
* {{fr}} Paul Dubreil, ''[http://www.numdam.org/item?id=CSHM_1986__7__15_0 Emmy Noether]'', ''Cahiers du séminaire d'histoire des mathématiques'', tome 7 (1986), p. 15-27.
* {{fr}} Paul Dubreil, ''[http://www.numdam.org/item?id=CSHM_1986__7__15_0 Emmy Noether]'', ''Cahiers du séminaire d'histoire des mathématiques'', tome 7 (1986), p. 15-27.
===Choix de travaux d'Emmy Noether (en allemand)===
{{article principal|Lise des publications d'Emmy Noether}}
*{{article|nom=Noether|prénom=Emmy|titre=Der Endlichkeitsatz der Invarianten endlicher linearer Gruppen der Charakteristik ''p'' (Proof of the Finiteness of the Invariants of Finite Linear Groups of Characteristic ''p'')|revue=Nachr. Ges. Wiss. Göttingen|pages=28–35|année=1926| url=http://gdz.sub.uni-goettingen.de/no_cache/dms/load/img/?IDDOC=63971}}.
*{{article|nom=Noether|prénom=Emmy|titre=Ableitung der Elementarteilertheorie aus der Gruppentheorie (Derivation of the Theory of Elementary Divisor from Group Theory) |revue=Jahresbericht der Deutschen Mathematiker-Vereinigung|volume=34 (Abt. 2)|année=1926b|pages=104 | url = http://gdz.sub.uni-goettingen.de/no_cache/dms/load/img/?IDDOC=248861}}.
*{{article | nom=Noether | prénom=Emmy | titre=Abstrakter Aufbau der Idealtheorie in algebraischen Zahl- und Funktionenkörpern (Abstract Structure of the Theory of Ideals in Algebraic Number Fields)| url=https://commerce.metapress.com/content/v3t6331n8w244275/resource-secured/?target=fulltext.pdf&sid=zt5psvmwxpvxpbqtyy3riv45&sh=www.springerlink.com | année=1927|format=PDF | revue=Mathematische Annalen | volume=96 | issue=1 | pages=26–61 | doi=10.1007/BF01209152}}.
*{{article|nom=Brauer|prénom=Richard|nom2=Noether|prénom2=Emmy|author1-link=Richard Brauer |titre=Über minimale Zerfällungskörper irreduzibler Darstellungen (On the Minimum Splitting Fields of Irreducible Representations)|revue=Sitz. Ber. D. Preuss. Akad. D. Wiss. |année=1927|pages=221–228}}.
*{{article |nom= Noether|prénom= Emmy | année= 1929 | title = Hyperkomplexe Grössen und Darstellungstheorie (Hypercomplex Quantities and the Theory of Representations)| revue= Mathematische Annalen | volume = 30 | pages = 641–692|doi=10.1007/BF01187794}}.
*{{article | nom=Brauer|prénom=Richard|prénom2=Helmut |nom2=Hasse|first3=Emmy |nom3=Noether|author2-link= Helmut Hasse| année= 1932 | title = Beweis eines Hauptsatzes in der Theorie der Algebren (Proof of a Main Theorem in the Theory of Algebras)| revue= Journal für Math. | volume = 167 | pages = 399–404 | url= http://gdz.sub.uni-goettingen.de/no_cache/dms/load/img/?IDDOC=260847}}.
*{{article| nom= Noether |prénom=Emmy | année= 1933 | title = Nichtkommutative Algebren (Noncommutative Algebras)| revue= Mathematische Zeitschrift | volume = 37 | pages = 514–541|doi=10.1007/BF01474591}}.
*{{article|id={{MR|0703862}}|nom=Noether|prénom= Emmy|titre=Gesammelte Abhandlungen (Collected papers)|editor-prénom=Nathan|editor-nom= Jacobson|éditeur= Springer-Verlag|lieu= Berlin-New York|année= 1983|pages= viii, 777 | isbn= 3-540-11504-8 }}

===Sources===
===Sources===
{{Références|colonnes=3}}
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Version du 16 août 2009 à 08:50

Emmy Noether

Amalie Emmy Noether (23 mars 1882 — 14 avril 1935) était une mathématicienne allemande connue pour ses contributions révolutionnaires en algèbre abstraite et physique théorique. Décrite par Albert Einstein et d'autres comme la femme la plus importante de l'Histoire des mathématiques, elle a révolutionné les théories des anneaux, des corps et des algèbres. En physique, le théorème de Noether explique le lien fondamental entre la symétrie et les lois de conservation.

Elle nait dans une famille juive d'Erlangen, en Bavière. Son père est le mathématicien Max Noether. Emmy envisage d'abord d'enseigner le français et l'anglais après avoir passé les examens requis, mais étudie finalement les mathématiques à l'université d'Erlangen où son père donne des conférences. Après avoir achevé sa thèse en 1907 sous la direction de Paul Gordan, elle travaille bénévolement à l'Institut de Mathématiques d'Erlangen pendant sept ans. En 1915, elle est invité par David Hilbert et Felix Klein à rejoindre le très renommé département de mathématiques de l'université de Göttingen. Cependant, en raison de l'opposition de la faculté de philosophie, elle doit pendant quatre ans donner des cours sous le nom de Hilbert. Son habilitation est obtenue en 1919, elle acquiert le titre de privatdozent.

Noether reste un des membres les plus influents du département de mathématiques de Göttingen jusqu'en 1933. En 1924, le mathématicien néerlandais Bartel Leendert van der Waerden rejoint le cercle de ses étudiants et devient le principal propagateur des idées de Noether, dont le travail servira de fondation à son très influent ouvrage : Algèbre moderne (1931). Avant même son intervention au Congrès international de mathématiques de Zürich (1932), sa connaissance de l'algèbre est reconnue dans le monde entier. L'année suivant, le gouvernement nazi exclut les Juifs qui occupent des postes universitaires et Noether déménage pour les États-Unis où elle obtient un poste au Bryn Mawr College, en Pennsylvanie. En 1935, elle est opérée en raison d'un kyste ovarien et, malgré des signes de rétablissement, meurt quatre jours plus tard à l'âge de cinquante-trois ans.

Les travaux mathématiques d'Emmy Noether ont été divisés en trois « époques ». Durant la première (1908 — 1919), elle apporte des contributions significatives en théorie des invariants algébriques et des corps de nombres. Son théorème de Noether sur les invariants différentiels dans le calcul des variations est « l'un des plus importants théorèmes mathématiques jamais prouvé dans l'orientation du développement de la physique moderne ». Pendant la deuxième époque (1920 — 1926), elle commence des travaux « qui ont changé la face de l'algèbre ». Dans son article, devenu un classique Idealtheorie in Ringbereichen (Théorie des idéaux dans les anneaux, 1921), Noether développe la théorie des idéaux dans les anneaux commutatifs pour en faire un outil puissant aux nombreuses applications. Elle fait un usage élégant de la condition de la chaîne ascendante et les objets qui satisfont à cette condition sont dits noethériens en son honneur. Pendant sa troisième époque (1927 — 1935), elle publie des avancées majeures sur les algèbres non commutatives et les nombres hypercomplexes, et unit la théorie de la représentation des groupes avec la théorie des modules et des idéaux. En plus de ses propres publications, Noether est créditée pour avoir apporté des idées à d'autres mathématiciens, même dans des domaines très éloignés des siens, comme la topologie algébrique.

Biographie

Erlangen, sur une carte postale de 1916.

Le père d'Emmy, Max Noether, est issu d'une famille de commerçants allemands. Suite à une poliomyélite à l'âge de quatorze ans, il est paralysé, puis retrouve une certaine mobilité mais une jambe reste atteinte. Largement autodidacte, il obtient un doctorat de l'université de Heidelberg en 1868. Après avoir enseigné à Heidelberg pendant sept ans, il obtient un poste à Erlangen, en Bavière, où il rencontre puis épouse Ida Amalia Kaufmann, la fille d'un riche négociant. Les recherches de Max Noether portent essentiellement sur la géométrie algébrique, suivant les traces d'Alfred Clebsch. Ses résultats les plus connus sont le théorème de Brill-Noether, le AF+BG theorem. Quelques autres théorèmes lui sont attribués, comme le théorème de Max Noether.

Emmy Noether nait le 23 mars 1882. Elle sera la première de quatre enfants. Son prénom est Amalie, comme sa mère et sa grand-mère paternelle, mais elle est très jeune appelée par son deuxième prénom. Elle est aimée par ses parents. Ses résultats scolaires ne sont pas remarquables, bien qu'elle soit connue pour être intelligente et aimable. Elle est myope et, durant son enfance, parle avec un défaut de prononciation. Un ami de la famille racontera, bien des années après, comment Emmy avait résolu rapidement des énigmes lors d'un goûter réunissant plusieurs enfants, montrant ainsi un grand esprit de logique à un âge précoce. Emmy apprend à cuisiner et à faire le ménage — comme la plupart des petites filles de cette époque — et prend des leçons de piano. Aucune de ces activités ne la passionne, bien qu'elle danser.

De ses trois frères, seul Fritz Noether, né en 1884, est connu pour ses travaux universitaires. Après des études à Munich, il se taille une réputation en mathématiques appliquées. Son frère aîné, Alfred, né en 1883, obtient un doctorat de chimie à Erlangen en 1909, mais décède neuf ans après. Le plus jeune, Gustav Robert, nait en 1889. Sa vie est très peu connue. Il souffre d'une maladie chronique et meurt en 1928.

Université d'Erlangen

Paul Gordan dirigea la thèse de doctorat de Noether sur les invariants des formes biquadratiques.

Emmy Noether montre rapidement des capacités en français et en anglais. Au printemps 1900, elle passe l'examen permettant de devenir enseignant dans ces langues et obtient la mention sehr gut (très bien). Ses résultats la qualifient pour enseigner les langues dans les écoles réservées aux jeunes filles, mais elle choisit de poursuivre ses études à l'université d'Erlangen.

Cette décision est peu courante : deux ans auparavant, la direction de l'université a déclaré que l'instauration mixité « bouleverserait l'ordre académique ». Noether est l'une des deux seules femmes, parmi les 986 étudiants de l'université. Elle doit demander personnellement la permission de chaque professeur dont elle veut assister au cours. Malgré ces obstacles, le 14 juillet 1903, elle passe avec succès son examen dans un gymnasium de Nuremberg.

Noether utilisait parfois des cartes postales pour discuter algèbre avec son collègue, Ernst Fischer ; cette carte est oblitérée le 10 avril 1915.

Durant le semestre d'hiver 1903-1904, elle étudie à l'université de Göttingen et assiste aux cours de l'astronome Karl Schwarzschild et des mathématiciens Hermann Minkowski, Otto Blumenthal, Felix Klein et David Hilbert. Peu après, les restrictions aux droits des femmes à l'université sont levées.

Noether revient à Erlangen. Elle rentre officiellement à l'université le 24 octobre 1904 et affirme son intention de se concentrer uniquement aux mathématiques. Elle écrit sa thèse sous la direction de Paul Gordan : Über die Bildung des Formensystems der ternären biquadratischen Form (Sur les systèmes complets d'invariants pour les formes quadratiques ternaires, 1907). Bien qu'elle ait été bien accueillie, Noether la qualifiera plus tard de « merde ».

Pendant les sept années suivantes (1908-1915), elle ensseigne à l'Institut de mathématiques d'Erlangen à titre bénévole, remplaçant occasionnellement son père lorsqu'il est malade. En 1910 et 1911, elle publie une extension de sa thèse, passant de trois variables à un nombre quelconque n de variables.

Gordan prend sa retraite au printemps 1910 mais continue parfois à enseigner avec son successeur, Erhard Schmidt, qui s'en va peu après prendre un poste à Breslau. Gordan se retire définitivement à l'arrivée de son deuxième successeur, Ernst Fischer, en 1911. Gordan meurt en décembre 1912.

Selon Hermann Weyl, Fischer a eu une grande influence sur Noether, en particulier en lui présentant les travaux de David Hilbert. De 1913 à 1916, Noether publie des articles qui appliquent et amplifient les méthodes de Hilbert sur des objets mathématiques tels que les corps de fonctions rationnelles et les invariants des groupes finis. Cette période marque le début de son investissement dans l'algèbre abstraite, le domaine des mathématiques dans lequel elle va apporter des contributions révolutionnaires. Noether et Fischer partagent un vif plaisir à étudier les mathématiques et discutent souvent des conférences longtemps après y avoir assisté. Noether envoie des cartes postales à Fischer, dans lesquelles elle poursuit ses raisonnement mathématiques.

Université de Göttingen

En 1915, David Hilbert invite Noether à Göttingen malgré l'opposition de collègues, qui ne veulent pas qu'une femme enseigne à l'université.

Au printemps 1915, Noether est invitée à revenir à l'université de Göttingen par David Hilbert et Felix Klein. Leurs efforts pour la recruter sont cependant entravés par les philosophes et les historiens au sein de la faculté de philosophie : selon eux, les femmes ne doivent pas devenir privatdozent. Un membre de la faculté proteste : « Que penseront nos soldats, quand ils reviendront à l'université et verront qu'ils doivent apprendre aux pieds d'une femme ? » Hilbert répond avec indignation, en indiquant : « je ne vois pas pourquoi le sexe de la candidate serait un argument contre son admission comme privatdozent. Après tout, nous sommes une Université, pas des bains publics. »

Noether quitte Erlangen pour Nöttingen à la fin du mois d'avril. Deux mois après, sa mère meurt soudainement. Elle était avait reçu auparavant des soins à un œil, mais la nature exacte de sa mort est inconnue. À la même période, son père prend sa retraite et son frère est engagé dans l'armée allemande pour participer à la première Guerre mondiale. Emmy Noether retourne à Erlangen pour quelques semaines, essentiellement pour s'occuper de son vieux père.

Le département de mathématiques de l'université de Göttingen.

Durant ses premières années d'enseignement à Göttingen, elle n'a pas de poste officiel et n'est pas payée. Sa famille lui paie le gîte et le couvert et finance ses travaux. Ses conférences sont souvent annoncées sous le nom de Hilbert, Noether y étant mentionnée comme assistante.

Cependant, peu après son arrivée, elle prouve ses capacités en démontrant le théorème maintenant connu sous le nom de théorème de Noether, qui exprime l'équivalence qui existe entre les lois de conservation et l'invariance des lois physiques en ce qui concerne la symétrie.

Juste après la première Guerre mondiale, la révolution allemande apporte des changements significatifs dans les comportements sociaux, notamment davantage de droits pour les femmes. En 1919, l'université de Göttingen permet à Noether de passer son habilitation. Son examen oral a lieu en mai et son habilitation à donner des cours est délivrée en juin.

Trois ans plus tard, elle reçoit une lettre du Ministre de la Science, des Arts et de l'Éducation publique de Prusse, qui lui confère le titre de nicht beamteter ausserordentlicher Professor (un professeur sans poste fixe avec des fonctions et des droits administratifs limités). C'est un professorat « extraordinaire » et non payé, et non le professorat « ordinaire », qui est un poste de fonctionnaire. Bien qu'elle reconnaisse l'importance de ses travaux, cette affectation ne lui procure toujours aucun salaire. Noether n'est pas payée pour ses conférences, jusqu'à ce qu'elle obtienne le poste spécial de Lehrauftrag für Algebra un an plus tard.

Travaux fondateurs en algèbre générale

Bien que le théorème de Noether ait un profond effet sur la physique, elle est mieux connue parmi les mathématiciens pour ses contributions fondatrices en algèbre générale. Nathan Jacobson affirme[1] :

« Le développement de l'algèbre abstraite, qui est l'une des innovations les plus caractéristiques des mathématiques du vingtième siècle, lui est largement redevable, par les articles qu'elle a publiés, par ses conférences et son influence personnelle sur ses contemporains. »

Les travaux révolutionnaires de Noether en algèbre débute en 1920. En collaboration avec W. Schmeidler, elle publie un article sur la théorie des idéaux dans laquelle elle définit les idéaux à gauche et à droite dans un anneau. L'année suivante, elle publie un article qui fait date : Idealtheorie in Ringbereichen qui analyse la condition de la chaîne ascendante sur les idéaux. Un algébriste réputé, Irving Kaplansky, qualifie son travail de « révolutionnaire » et cette publication donne naissance au terme d'anneau noethérien et différents autres objets mathématiques sont qualifiés de noethériens.

En 1924, un jeune mathématicien néerlandais, Bartel Leendert van der Waerden, arrive à l'université de Göttingen. Il commence immédiatement à travailler avec Noether, qui lui enseigne d'inestimables méthodes de conceptualisation abstraite. Van der Waerden dira plus tard que l'originalité de Noether était « absolue, au-delà de tout comparaison ». En 1931, il publie Moderne Algebra, un ouvrage central dans ce domaine. Le second volume emprunte beaucoup aux travaux de Noether. Bien qu'Emmy Noether ne soit pas à la recherche pas de reconnaissance, il inclura dans la septième édition : « basé en partie sur des conférences d'E. Artin et E. Noether ». Elle laisse parfois à ses collègues et étudiants le crédit pour ses propres idées, les aidant ainsi à développer leur carrière à ses dépens.

La venue de van der Waerden s'inscrit dans un vaste mouvement de mathématiciens du monde entier vers Göttingen, qui devient un centre de recherche important en physique et en mathématiques. De 1926 à 1930, le topologiste russe Pavel Alexandrov enseigne à l'université et devient rapidement ami avec Noether. Il l'appelle der Noether, utilisant l'article allemand masculin en signe d'affection et de respect. Elle essaie de lui obtenir un poste régulier de professeur à Göttingen, mais parvient seulement à l'aider à obtenir une bourse de la Fondation Rockefeller. Ils se rencontre régulièrement et apprécient de discuter des points communs entre l'algèbre et la topologie. En 1935, lors de son discours commémoratif, Alexandrov dira de Noether qu'elle était « la plus grande mathématicienne de tous les temps ».

Cours et étudiants

À Göttingen, Noether encadre une douzaine d'étudiants en doctorat. Le premier est Grete Hermann, qui soutient sa thèse en février 1925. Elle la qualifiera plus tard respectueusement de « thèse-mère ». Noether supervise aussi Max Deuring, qui se distingue déjà en licence puis continue en faisant des apports significatifs en géométrie arithmétique ; Hans Fitting, qui restera célèbre pour le théorème de Fitting et le lemme de Fitting ; et Zeng Jiongzhi qui prouve le théorème de Tsen. Elle travaille aussi avec Wolfgang Krull, qui fera grandement progresser l'algèbre commutative en établissant plusieurs théorèmes qui porteront son nom et la dimension de Krull pour les anneaux commutatifs.

En plus de sa perspicacité mathématique, Noether est respectée pour la considération qu'elle porte à autrui. Bien qu'elle soit parfois brusque envers ceux qui ne sont pas d'accord avec elle, elle gagne cependant une réputation de femme obligeante et patiente lorsqu'elle prodigue ses conseils aux nouveaux étudiants. Sa loyauté envers la précision mathématique pousse un de ses collègues à la qualifier de « critique sévère », mais elle combine cette demande d'exactitude avec une attitude constructive. Un collègue la décrira plus tard ainsi : « Complètement altruiste et sans vanité, elle ne demandait jamais rien pour elle-même, mais favorisait par-dessus tout les travaux de ses étudiants. »

Son style de vie économe était, au début, dû au fait qu'elle n'était pas payée pour son travail. Cependant, même après que l'université lui paye un petit salaire, en 1923, elle continue de vivre simplement et modestement. Plus tard, elle sera payée plus généreusement mais économisera la moitié de son salaire pour le transmettre à son neveu, Gottfried E. Noether.

Très peu soucieuse des apparences et des relations sociales, elle se concentre sur ses études sans se préoccuper de la mode ni de liaisons amoureuses. L'algébriste réputée Olga Taussky-Todd racontera un repas durant lequel Noether, complètement absorbée dans une discussion mathématique, « gesticulait comme une folle » en mangeant et « renversait sans cesse sa nourriture sur sa robe, et l'essuyait, sans que cela ne la perturbe le moins du monde ». Les étudiants soucieux des apparences ont un mouvement de recul quand elle sort son mouchoir de son chemisier ou devant le désordre croissant de sa coiffure au fur et à mesure de l'avancement de son cours. Une fois, deux étudiantes essaient de l'approcher à la pause entre deux heures de cours pour lui exprimer leur sentiment à ce sujet, mais il leur est impossible d'arrêter l'énergique discussion mathématique qu'a Noether avec d'autres étudiants.

Selon la nécrologie d'Emmy Noether écrite par van der Waerden, elle ne suit pas de plan de cours pendant ses conférences, ce qui perturbe certains étudiants. Au lieu de cela, elle construit ses cours comme des discussions à bâtons rompus avec les étudiants, avec pour but d'étudier et de résoudre des problèmes pointus et importants en mathématiques. Certains de ses résultats les plus importants sont développés pendant ces conférences, et les notes de cours des étudiants serviront de base à plusieurs livres importants, comme ceux de van der Waerden et de Deuring.

Plusieurs de ses collègues assistent à ses cours et elle permet que certaines de ses idées, comme le produit croisé d'algèbres associatives, soient publiées par d'autres. Noether donnera au moins cinq semestres de cours à Göttingen :

  • Hiver 1924/25 : Gruppentheorie und hyperkomplexe Zahlen (Théorie des groupes et nombres hypercomplexes)
  • Hiver 1927/28 : Hyperkomplexe Grössen und Darstellungstheorie (Quantités hypercomplexes et théorie de la représentation)
  • Été 1928 : Nichtkommutative Algebra (Algèbre non commutative)
  • Été 1929 : Nichtkommutative Arithmetik (Arithmétique non commutative)
  • Hiver 1929/30 : Algebra der hyperkomplexen Grössen (Algèbre des quantités hypercomplexes)

Ces cours précèdent souvent des publications majeures dans ces domaines.

Noether parle vite (ce qui reflète la rapidité de sa pensée, dit-on) et exige une grande concentration de la part de ses étudiants. Les étudiants qui n'aiment pas son style se sentent souvent perdus. L'un d'eux note, en marge de son cahier, pendant un cours se terminant à treize heures : « Il est 12 h 50, Dieu merci ! » Certains étudiants trouvent qu'elle s'appuie trop sur des discussions spontanées. Ses élèves les plus dévoués, au contraire, se délectent de l'enthousiasme avec lequel elle aborde les mathématiques, d'autant que ses conférences sont souvent bâties sur des travaux qu'ils ont menés ensemble auparavant.

Elle se crée un petit cercle de collègues et d'étudiants qui pensent comme elle et tend à exclure ceux qui ne le font pas. Les « étrangers » qui se rendent occasionnellement à un cours de Noether ne restent en général qu'une demi heure dans la salle avant de repartir, frustrés et l'esprit confus. Un étudiant régulier dira, dans une telle circonstance : « l'ennemi est vaincu, il a battu en retraite. »

Noether montre un dévouement à son travail et à ses étudiants qui s'étend au-delà de la période universitaire. Un jour, alors que le bâtiment est fermé pour cause de jour férié, elle rassemble ses étudiants sur le perron, à l'extérieur, puis les conduit à travers les bois jusqu'à un café où elle leur donne un cours. Plus tard, après avoir été renvoyée par le troisième Reich, elle invitera ses étudiants chez elle pour discuter de concepts mathématiques et de leurs projets pour l'avenir.

Moscou

Bâtiment de l'université d'État de Moscou.
Pavel Alexandrov.

Pendant l'hiver 1928-1929, Noether accepte l'invitation de l'université d'État de Moscou, où elle continue à travailler avec Pavel Alexandrov. Elle y poursuit ses recherches et donne des cours d'algèbre abstraite et de géométrie algébrique. Elle travaille avec les spécialistes de la topologie que sont Lev Pontryagine et Nikolaï Chebotaryov, qui plus tard diront leur admiration pour ses contributions en théorie de Galois.

Bien que la politique ne joue pas un rôle central dans sa vie, Noether s'intéresse vivement à la chose politique et, selon Alexandrov, affiche un soutien considérable à la Révolution russe de 1917. Elle est particulièrement heureuse de voir les avancées soviétiques dans les différents domaines des sciences et des mathématiques. Cette attitude lui cause des problèmes en Allemagne, jusqu'à provoquer son éviction de la pension dans laquelle elle logeait après que des responsables étudiants se soient plaints de vivre sous le même toit qu'« une Juive aux penchants marxistes ».

Noether projète de retourner à Moscou, avec l'aide d'Alexandrov. Après qu'elle ait quitté l'Allemagne en 1933, il essaie de l'aider à obtenir une chaire à l'université d'État de Moscou via le ministère soviétique de l'Éducation. Bien que cet essai s'avère infructueux, ils continuent à correspondre fréquemment pendant les années 1930 et, en 1935, elle envisage à nouveau de retourner en Union Soviétique. Pendant ce temps, son frère Fritz a accepté un poste à l'Institut de Recherche en Mathématiques et Mécanique à Tomsk, en Sibérie, après avoir lui aussi perdu son emploi en Allemagne.

Reconnaissance

En 1932, Emmy Noether et Emil Artin reçoivent le Prix Alfred Ackermann-Teubner Memorial pour leurs contributions en mathématiques. Le montant du prix s'élève à 500 Reichsmarks et est vu comme un long retard d'impayé pour ses travaux considérables en mathématiques. Cependant, ses collègues expriment leur déception de ne pas la voir élue à l'Académie des Sciences de Göttingen ni promue au poste de Ordentlicher Professor (professeur à part-entière).

Les collègues de Noether fêtent ses cinquante ans en 1932 dans un style typiquement mathématicien. Helmut Hasse lui consacre un article dans les Mathematische Annalen, dans lequel il confirme l'intuition de Noether selon laquelle certains aspects de l'algèbre non commutative sont plus simples que l'algèbre commutative en prouvant une loi de réciprocité quadratique non commutative. Cela fait immensément plaisir à Noether. Il lui envoie également une énigme, la "mμν-riddle of syllables", qu'elle résout immédiatement. Cette énigme a été perdue depuis.

En septembre de cette même année, Noether délivre une conférence plénière (großer Vortrag) sur les systèmes hypercomplexes dans leurs relations avec l'algèbre commutative et la théorie des nombres au Congrès international de mathématiques à Zürich. Le congrès rassemble huit cents personnes, dont les collègues de Noether Hermann Weyl, Edmund Landau et Wolfgang Krull. Il y a quatre cent vingt participants officiels et vingt et une conférences y sont présentées. La mise en avant de Noether en tant qu'oratrice est évidemment une reconnaissance de l'importance de ses contributions aux mathématiques. Le congrès de 1932 est parfois décrit comme le point culminant de sa carrière.

Expulsion de Göttingen

Quand Adolf Hitler devient chancelier en janvier 1933, l'activité nazie se développe énormément dans tout le pays. À l'université de Göttingen, l'Association des Étudiants allemands mène l'attaque contre l'« esprit non allemand » et est aidée par un privatdozent nommé Werner Weber, un ancien étudiant de Noether. Les comportements antisémites créent un climat hostile aux professeurs juifs. Un jeune manifestant aurait exigé : « les étudiants aryens veulent des mathématiques aryennes et non des mathématiques juives ».

Une des premières actions du gouvernement d'Hitler est la loi pour la restauration de la fonction publique qui exclut les fonctionnaires juifs ou politiquement suspects de leurs emplois, à moins qu'ils n'aient démontré leur loyauté à l'Allemagne en ayant servi sous les drapeaux pendant la première guerre mondiale. Cette loi concerne notamment les professeurs d'université. En avril 1933, Noether reçoit une notification du ministère prussien des Sciences, des Arts et de l'Éducation qui lui signifie : « En application du paragraphe 3 de la loi sur la Fonction publique du 7 avril 1933, par la présente je vous retire le droit d'enseigner à l'université de Göttingen ». Plusieurs collègues de Noether, dont Max Born et Richard Courant, sont également révoqués. Noether accepte la décision calmement et soutient ses amis dans ces temps difficiles. Hermann Weyl écrira plus tard « Emmy Noether, avec son courage, sa franchise, son détachement devant son propre destin, son esprit de conciliation, était, au milieu de la haine, de la mesquinerie, du désespoir et de la tristesse qui nous entouraient, un réconfort moral ». Typiquement, elle reste concentrée sur les mathématiques, réunissant ses étudiants dans son appartement pour discuter théorie du corps de classes. Quand un de ses étudiants apparaît en uniforme des SA, elle ne montre aucun signe d'agitation et même, paraît-il, en rit plus tard.

Bryn Mawr

Silhouette du Bryn Mawr College au coucher de soleil. Emmy Noether y a passé le crépuscule de sa vie.

Comme des dizaines de professeurs sans emploi commencent à chercher des postes hors d'Allemagne, leurs collègues des États-Unis tentent de leur porter assistance. Albert Einstein et Hermann Weyl sont embauchés par l'Institute for Advanced Study à Princeton (New Jersey), alors que d'autres cherchent un mécène, nécessaire pour une immigration légale. Noether est contactée par les représentants de deux institutions éducatives : le Bryn Mawr College aux États-Unis et le Somerville College de l'Université d'Oxford, en Angleterre. Après quelques négociations avec la Fondation Rockefeller, une bourse est accordée à Noether pour Bryn Mawr et elle y prend son poste fin 1933.

À Bryn Mawr, Noether rencontre et lie amitié avec Anna Wheeler, qui a étudié à Göttingen juste avant l'arrivée de Noether. La présidente du college, Marion Edwards Park, apporte également son soutien à Noether. Elle invite avec enthousiasme des mathématiciens de la région pour « voir le Dr. Noether en action ! ». Noether et un petit groupe d'étudiant étudient rapidement le livre de van der Waerden Moderne Algebra I (1930) et des parties de Theorie der algebraischen Zahlen (Théorie des nombres algébriques, 1908) d'Erich Hecke.

En 1934, Noether commence une série de conférence à l'Institute for Advanced Study à Princeton à l'invitation d'Abraham Flexner et Oswald Veblen. Elle travaille avec Abraham Albert et Harry Vandiver et encadre leurs recherches. Cependant, elle remarque qu'elle n'est pas la bienvenue à Princeton, « l'université des hommes, où aucune femme n'est admise ».

Son séjour aux États-Unis est agréable, car elle est entourée de collègues qui la soutiennent et absorbée par ses sujets favoris. À l'été 1934, elle retourne brièvement en Allemagne pour voir Emil Artin et son frère Fritz avant qu'il ne parte pour Tomsk. Bien que beaucoup de ses anciens collègues aient quitté les universités, contraints et forcés, elle parvient utiliser la bibliothèque en tant que « chercheur étranger ».

Mort

Le cloître le la bibliothèque M. Carey Thomas du Bryn Mawr College, où repose Noether.

En avril 1935, les médecins diagnostiquent une tumeur dans l'abdomen de Noether. Inquiets de possibles complications post-opératoires, ils prescrivent tout d'abord deux jours d'alitement. Durant l'opération, ils découvrent un kyste ovarien « de la taille d'un gros melon ». Deux autres tumeurs dans son utérus semblent bénignes et ne sont pas ôtées pour éviter de prolonger l'opération. Pendant trois jours, sa convalescence paraît se dérouler normalement et elle se remet rapidement d'un collapsus cardio-vasculaire le quatrième jour. Le 14 avril, elle perd connaissance, sa température monte à 42,8 ° C et elle meurt. Un des praticiens écrira : « Il n'est pas facile de dire ce qu'il s'est passé dans le Dr. Noether. Il est possible que ce soit une rare et violente infection qui ait frappé la base du cerveau, là où les centres de régulation de la température sont supposés se trouver. »

Quelques jours plus tard, ses amis et connaissances de Bryn Mawr organisent une petite cérémonie commémorative chez la présidente Park. Hermann Weyl et Richard Brauer font le voyage depuis Princeton et évoquent avec Wheeler et Taussky leur collègue défunte. Dans les mois qui suivent, des hommages écrits commencent à apparaître tout autour du globe : Albert Einstein se joint van der Waerden, Weyl et Pavel Alexandrov. Sa dépouille est incinérée et les cendres enterrées sous la galerie qui entoure le cloître de la bibliothèque M. Carey Thomas du Bryn Mawr College.

Apports en mathématiques et physique

Avant tout, Noether restera pour la postérité une algébriste, bien que son travail ait aussi d'importantes conséquences en physique théorique et en topologie. Elle montre une grande propension au raisonnement abstrait, ce qui lui permet d'aborder les problèmes de mathématiques d'un point de vue nouveau et original. Son ami et collègue Hermann Weyl partage ses recherches en trois époques.

La première époque est surtout consacrée aux invariants différentiels et algébriques, en commençant par sa thèse dirigée par Paul Albert Gordan. Ses horizons mathématiques s'élargissent et ses travaux deviennent plus généraux et abstraits lorsqu'elle se familiarise avec l'œeuvre de David Hilbert, à travers de proches interactions avec un successeur de Gordan, Ernst Sigismund Fischer. Après son arrivée à Göttingen en 1915, elle produit ses résultats fondateurs pour la physique : les deux théorèmes de Noether.

Durant la deuxième époque (1920 — 1926), Noether se consacre au développement de la théorie des anneaux.

Pendant la troisième époque (1927 — 1935), Noether se concentre sur l'algèbre non commutative, les transformations linéaires et les corps de nombres commutatifs.

Contexte historique

En un siècle, de 1832 à la mort de Noether en 1935, les mathématiques, et en particulier l'algèbre, connaissent une profonde révolution dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui. Les mathématiciens des siècles précédents travaillaient sur des méthodes pratiques pour résoudre des types spécifiques d'équations, par exemple les équations du troisième degré, équations quartiques, etc., de même que le problème de la construction à la règle et au compas de polygones réguliers. Avec la démonstration par Carl Friedrich Gauss que des nombres premiers peuvent être factorisés en produit d'entiers de Gauss (en 1829), l'introduction des groupes par Évariste Galois (1832) et la découverte des quaternions par William Rowan Hamilton (1843), cependant, la recherche se tourne vers la détermination de systèmes toujours plus abstraits définis par des règles toujours plus générales. Les apports les plus importants de Noether aux mathématiques concernent ce nouveau domaine : l'algèbre abstraite.

Algèbre abstraite et begriffliche Mathematik (mathématiques conceptuelles)

Les groupes et les anneaux sont deux concepts de base en algèbre abstraite.

Un groupe est constitué d'un ensemble muni d'une opération qui, à deux éléments, fait correspondre un troisième. L'opération doit satisfaire certaines conditions pour déterminer un groupe : elle doit être interne (lorsqu'on combine deux éléments de l'ensemble, le résultat doit être aussi un élément de cet ensemble), elle doit être associative, elle doit admettre un élément neutre (un élément qui, combiné à toute autre par cette opération, donne comme résultat cet autre élément, de la même manière que 0 pour l'addition ou 1 pour la multiplication) et tout élément doit, par cette opération, admettre un élément inverse (comme 12 est l'inverse de 2 pour la multiplication). Deux groupes usuels sont (Z,+) : l'ensemble des entiers relatifs muni de l'addition et (R,×) : l'ensemble des nombres réels muni de la multiplication.

Un anneau possède également un ensemble, mais a deux opérations. La première doit faire de l'ensemble un groupe et la seconde doit être associative et distributive par rapport à la deuxième. Elle peut être commutative, mais ce n'est pas toujours le cas. La commutativité signifie que l'ordre dans lequel on combine les éléments dans l'opération n'influe pas sur le résultat obtenu. Si tous les éléments (sauf l'élément neutre de la première opération) possèdent un inverse par rapport à la deuxième opération, l'anneau est alors un corps.

Les groupes sont souvent étudiés à travers leurs représentations. Cela consiste en général à choisir un groupe, un ensemble et une action du groupe sur l'ensemble, c'est-à-dire une opération qui prend un élément du groupe et un élément de l'ensemble et renvoie comme résultat un élément de l'ensemble. Le plus souvent, l'ensemble est un espace vectoriel et le groupe représente les symétries de cet espace vectoriel. Par exemple, il existe un groupe qui représente les rotations de l'espace. Ces rotations sont appelées symétries de l'espace, car celui-ci ne change pas lorsqu'on lui applique une telle rotation même si les positions des objets de l'espace, elles, changent. Noether a utilisé ces symétries dans ses travaux sur les invariants en physique.

Un outil puissant pour étudier les anneaux est la notion de module. Un module consiste en le choix d'un anneau, d'un ensemble (en général, différent de l'ensemble sous-jacent à l'anneau, et appelé ensemble sous-jacent au module), une opération sur les couples d'éléments de l'ensemble sous-jacent du module et une opération qui, à un élément de l'anneau et un élément du module, associe un élément du module. L'ensemble sous-jacent du module et son opération forment un groupe. Un module est, en théorie des anneaux, l'analogue d'une représentation de groupe. L'intérêt des modules est que leur étude révèle la structure d'un anneau par des méthodes qui ne sont pas évidentes lorsqu'on étudie l'anneau lui-même. Un cas particulier important de ceci est la structure d'algèbre (à ne pas confondre avec l'algèbre, domaine mathématique). Une algèbre consiste en le choix de deux anneaux et d'une opération qui, à un couple constitué d'un élément de chaque anneau, associe un élément du deuxième anneau. Cette opération fait du second anneau un module sur le premier. Le premier anneau est usuellement un corps.

Des mots comme « élément » ou « opération » sont très généraux et peuvent être appliqués à de nombreuses situations, aussi bien concrètes qu'abstraites. Tout ensemble de choses qui répond aux conditions requises et qui est muni d'une (ou de deux) opération(s) est, par définition, un groupe (ou un anneau) et est soumis à tous les théorèmes sur les groupes (ou sur les anneaux). Les nombres entiers relatifs, avec les opérations d'addition et de multiplication, sont un exemple d'anneau. Les éléments peuvent aussi être des chaînes de caractères, la première opération le ou exclusif et la deuxième la conjonction logique. Les théorèmes d'algèbre abstraite sont puissants car généraux ; ils régissent de nombreux systèmes. On pourrait imaginer que peu de conclusions soient tirées d'objets définis à partir d'un nombre si restreint de propriétés, mais au contraire c'est là que réside l'apport de Noether : découvrir le maximum qui puisse être conclu à partir d'un ensemble donné de propriétés ou, réciproquement, identifier l'ensemble minimum, les propriétés essentielles responsables d'une observation particulière. Au contraire de la plupart des mathématiciens, elle de produit pas des abstractions en généralisant à partir d'exemples connus, mais travaille directement dans l'abstraction. Comme le rappelle van der Waerden dans son hommage funèbre :

« La devise par laquelle Emmy Noether était guidée pour son travail pourrait être formulée ainsi : toutes les relations entre les nombres, les fonctions et les opérations deviennent transparentes, largement applicables et pleinement productives seulement lorsqu'elles ont été séparées des objets particuliers auxquelles elles s'appliquent et reformulées en tant que concepts universels. »

C'est la begriffliche Mathematik (les mathématiques purement conceptuelles) qui caractérise Noether. Ce style de mathématiques a été adopté par d'autres mathématiciens et, après sa mort, à refleuri sous d'autres formes, comme la théorie des catégories.

Les nombres entiers comme exemple d'anneau

Les nombres entiers relatifs forment un anneau commutatif dont les éléments sont les nombres entiers et les deux opérations sont l'addition et la multiplication. Toute paire de nombres entiers peut être additionnée ou multipliée, le résultat étant toujours un nombre entier. La première opération, l'addition, est commutative, ce qui signifie que pour tous les éléments a et b, a + b = b + a. La seconde opération, la multiplication, est aussi commutative, mais ceci n'est pas nécessaire pour tous les anneaux, ce qui signifie que a combiné avec b peut être différent de b combiné avec a. Parmi les exemples d'anneaux non commutatifs, on trouve les matrices et les quaternions. Les entiers ne forment pas un corps, car la deuxième opération ne peut pas toujours être inversée : il n'existe aucun entier a tel que a = 1.

Les entiers possèdent d'autres propriétés qui ne peuvent pas être généralisées à tous les anneaux commutatifs. Un exemple important est le théorème fondamental de l'arithmétique, qui dit que tout entier naturel supérieur ou égal à deux peut être factorisé de façon unique en un produit de nombres premiers. Dans d'autres anneaux, les factorisations ne sont pas uniques, mais Noether a découvert un théorème sur les factorisations uniques, appelé théorème de Lasker-Noether, pour les idéaux de nombreux anneaux. Un grande partie de la recherche de Noether consiste à déterminer quelles propriétés sont valables pour tous les anneaux, à élaborer de nouveaux théorèmes analogues aux anciens théorèmes valables pour les nombres entiers et à trouver l'ensemble minimal de conditions nécessaires pour obtenir certaines propriétés des anneaux.

Première époque (1908–1919)

Théorie des invariants algébriques

Tableau 2 de la thèse de Noether[2] sur la théorie des invariants. Ce tableau rassemble 202 des 331 invariants des formes biquadratiques ternaires. Ces formes sont catégorisées suivant deux variables, x et u. Les lignes du tableau font la liste des invariants suivant les x croissants, les colonnes suivant les u croissants.

La plus grande partie des travaux de Noether pendant la première époque de sa carrière concerne la théorie des invariants, principalement la théorie des invariants algébriques. La théorie des invariants concerne les expressions qui restent constantes (invariantes) sous l'action d'un groupe de transformations. Prenons un exemple concret : si une barre rigide pivote, les coordonnées (x, y, z) de ses extrémités changent, mais sa longueur L donnée par la formule L2 = Δx2 + Δy2 + Δz2 reste la même, c'est un invariant. La théorie des invariants était un sujet de recherche active à la fin du dix-neuvième siècle, impulsé notamment par le programme d'Erlangen de Felix Klein, selon lequel les différentes géométries devaient être caractérisées par leurs invariants par des transformations, par exemple le birapport pour la géométrie projective.

L'exemple archétypique d'invariant est le discriminant B2 − 4AC d'une forme quadratique binaire Ax2 + Bxy + Cy2. Le discriminant est un invariant car il reste inchangé par les substitutions linéaires xax + by, ycx + dy dont le déterminant adbc = 1. Ces substitutions forment le groupe spécial linéaire noté SL2.


Sources et références

  • (en) Gottfried E. Noether, Emmy Noether (1882-1935) in Louise S. Grinstein et Paul J. Campbell : Women of Mathematics: A Bibliographic Sourcebook (New York, Greenwood Press), 1987, pp. 165-170.
  • (en) Dick, Auguste. 1981. Emmy Noether 1882-1935. Traduit par H.I. Blocher. Boston: Birkhauser.
  • (en) Brewer, James, et Smith, Martha (eds.). 1981. Emmy Noether: A Tribute to Her Life and Work. New York: Marcel Dekker.
  • (fr) Paul Dubreil, Emmy Noether, Cahiers du séminaire d'histoire des mathématiques, tome 7 (1986), p. 15-27.

Choix de travaux d'Emmy Noether (en allemand)

  • Emmy Noether, « Der Endlichkeitsatz der Invarianten endlicher linearer Gruppen der Charakteristik p (Proof of the Finiteness of the Invariants of Finite Linear Groups of Characteristic p) », Nachr. Ges. Wiss. Göttingen,‎ , p. 28–35 (lire en ligne).
  • Emmy Noether, « Ableitung der Elementarteilertheorie aus der Gruppentheorie (Derivation of the Theory of Elementary Divisor from Group Theory) », Jahresbericht der Deutschen Mathematiker-Vereinigung, vol. 34 (Abt. 2),‎ 1926b, p. 104 (lire en ligne).
  • Emmy Noether, « Abstrakter Aufbau der Idealtheorie in algebraischen Zahl- und Funktionenkörpern (Abstract Structure of the Theory of Ideals in Algebraic Number Fields) », Mathematische Annalen, vol. 96, no 1,‎ , p. 26–61 (DOI 10.1007/BF01209152, lire en ligne [PDF]).
  • Richard Brauer et Emmy Noether, « Über minimale Zerfällungskörper irreduzibler Darstellungen (On the Minimum Splitting Fields of Irreducible Representations) », Sitz. Ber. D. Preuss. Akad. D. Wiss.,‎ , p. 221–228.
  • Emmy Noether, « Hyperkomplexe Grössen und Darstellungstheorie (Hypercomplex Quantities and the Theory of Representations) », Mathematische Annalen, vol. 30,‎ , p. 641–692 (DOI 10.1007/BF01187794).
  • Richard Brauer, Helmut Hasse et Emmy Noether, « Beweis eines Hauptsatzes in der Theorie der Algebren (Proof of a Main Theorem in the Theory of Algebras) », Journal für Math., vol. 167,‎ , p. 399–404 (lire en ligne).
  • Emmy Noether, « Nichtkommutative Algebren (Noncommutative Algebras) », Mathematische Zeitschrift, vol. 37,‎ , p. 514–541 (DOI 10.1007/BF01474591).
  • Emmy Noether, « Gesammelte Abhandlungen (Collected papers) », {{Article}} : paramètre « périodique » manquant, Berlin-New York, Springer-Verlag,‎ , viii, 777 (ISBN 3-540-11504-8)

Sources

  1. « The development of abstract algebra, which is one of the most distinctive innovations of twentieth century mathematics, is largely due to her – in published papers, in lectures, and in personal influence on her contemporaries. »
  2. Noether 1908

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