Philippe Liewer
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Philippe Liewer[1] (Paris, - Casablanca, ) fut, pendant la Seconde Guerre mondiale, un agent français du Special Operations Executive.
Identités
- État civil : Philippe Liewer
- Comme agent du SOE :
- Nom : Charles Geoffrey Mark[2] Staunton
- Nom de guerre (field name) : « Clément » puis « Hamlet »
- Nom de code opérationnel : SALESMAN (en français VENDEUR)
- Autres pseudos : Marcel Lejeune (en ) ;
Parcours militaire : SOE, section F ; grade : major.
Biographie
Premières années
Philippe Liewer naît le [3], à Paris. Il est le fils de Jacques et de Mathilde Léon.
Avant la guerre, il est journaliste à l'Agence Havas.
1938. Lors de la conférence de Munich, il est expulsé par Hitler parce qu'il est Juif.
1940. Il participe à la campagne de Norvège (Narvik)[4].
Première mission en France
1941
[Le texte qui suit est celui de la police, tel que retranscrit dans le livre de Nicault. Dans ce récit :
- Touche est un pseudo de George Langelaan,
- Georges désigne Georges Bégué, l’opérateur radio,
- Marcel Lejeune est un pseudo utilisé par Philippe Liewer dans ses contacts avec George Langelaan]
Le , alors sans emploi et sans argent, il est présenté par Mme Lambert, demeurant à Nice, à un certain Touche (en réalité George Langelaan). Il a appris que Touche est un officier anglais et il a même pensé que celui-ci appartenait à l’Intelligence Service.
Il accepte de travailler pour Touche, en sondant l’état d’esprit de la population, d’abord sur la côte d’Azur, puis dans la région d’Avignon, d’Arles et de Nîmes.
Touche lui a demandé de le rejoindre à Pau le . De là, il l’a envoyé à Châteauroux pour y apporter une lettre destinée à Georges et pour en ramener les instructions que celui-ci pourrait lui donner. Il est revenu à Pau le et a aussitôt rendu compte de sa mission à Touche.
Celui-ci lui avait déjà remis 2000 francs en deux fois, lui a versé, à son retour de Châteauroux, une somme de 5000 francs à titre de frais et d’appointements jusqu’au . Le , Liewer a quitté Pau pour retourner à Antibes et il se considérait comme lié envers Touche, bien que celui-ci ne lui ait pas donné d’instruction particulière.
Il a remis à Touche, en même temps que l’adresse, la photographie d’un de ses amis, M. Rouart, éditeur de musique, rue d’Astorg à Paris, le nommé Touche lui ayant demandé l’adresse d’une personne pouvant lui être utile dans la capitale.
Liewer devait utiliser le pseudonyme de Marcel Lejeune pour toucher Langelaan lors de leur prochaine rencontre à Pau.
Pour envoyer éventuellement des nouvelles de Touche en Angleterre, Liewer devait utiliser l’adresse suivante : Donald Langlon, à Londres.
Le , George Langelaan est arrêté au café Le Faisan, à Châteauroux. Il reconnaît être chargé d’accomplir en France une mission de renseignement et de propagande, d’avoir pressenti Philippe Liewer et d’avoir utilisé ses services. Le , Liewer est arrêté à son domicile, à Antibes, par la police française.
Détention
Philippe Liewer fait partie du groupe d’agents du SOE emprisonnés successivement à Marseille, à Périgueux, puis à partir du au camp de Mauzac.
Retour en Angleterre
- Juillet. Selon un plan mûrement élaboré, les onze agents du SOE parviennent à s’échapper dans la nuit du 15 au (voir l'article évasion de Mauzac) et vont rentrer à Londres (voir l'article évasion de Mauzac).
- Septembre. Le 17, Philippe Liewer, alias Staunton, arrive à Londres.
Entraînement
Il suit l’entraînement, il est « commissionné », puis se déclare volontaire pour repartir en mission en France.
Deuxième mission
Définition de la mission : établir un réseau dans le secteur de Rouen et du Havre. Son nom de guerre est « Clément ».
1943.
- Avril. Dans la nuit du 14 au 15, Philippe Liewer et Gabriel Chartrand « Dieudonné » sont déposés par Lysander sur le terrain BRONCHITE, près d’Amboise, et réceptionnés par Henri Déricourt.
- Mai. À la fin du mois, après de nombreux faux départs, le contact est établi avec Rouen grâce à Mme Micheline, propriétaire d’un magasin de vêtements à Paris, qui possède une succursale à Rouen.
- Juin. Le 7, le réseau SALESMAN s’établit, principalement par l’intermédiaire de chef local, Jean Sueur. Philippe Liewer est logé par la famille Francheterre, jusqu’à la fin de cette deuxième mission.
- Juillet. Le 19, Isidore Newman arrive par Lysander comme opérateur radio du réseau[5].
- Août. Le 23, Bob Maloubier « Paco » remplace Gabriel Chartrand, qui est transféré au réseau BUTLER dans la Sarthe et retournera en Angleterre début décembre. Il vient comme instructeur en armement pour le réseau de Rouen.
Rappel à Londres
1944
- Février. Philippe Liewer est rappelé à Londres. Dans la nuit du 4 au 5, un avion Hudson le ramène[6]. Il emmène avec lui Bob Maloubier qui a été blessé par une balle allemande. Ils apportent des renseignements cruciaux sur les armes V. Il rend un rapport complet sur la situation de la Seine-inférieure. Immédiatement après son départ, commence une série d’arrestations :
- > Le 1er mars, un groupe des environs de Dieppe est arrêté, l'un des membres fournit le mode de passe et l'adresse de la boîte aux lettres principale du réseau, le magasin "Micheline" tenu par les époux Sueur à Rouen, 74 rue des Carmes. Une souricière est tendue[7].
- > Le , Claude Malraux, le second de Philippe Liewer à Rouen, est arrêté.
- Mars. Les arrestations se poursuivent :
- > Dans la nuit du 8 au 9, le Dr Delbos et son épouse sont arrêtés à Deville Les Rouen.Le 9, Isidore Newman est arrêté, ainsi que Mme Devaux qui l’avait épaulé pendant huit mois[8]. D'autres arrestations ont lieu à Rouen et dans les communes avoisinantes.
- > Le 10, Jean et Florentine Sueur, gérants du "Magasin "Micheline" et membres actifs du réseau sont arrêtés à leur tour, ainsi qu'Emile Savoye, chef du groupe de Louviers gérant les parachutages.
- > Le , les frères Raoul et Henri Boulanger, chefs du maquis des Diables Noirs à Saint-Denis-le-Thiboult et spécialisés dans les réceptions de parachutages d'armes sont arrêtés avec d'autres membres de leur groupe ; les épouses Boulanger seront arrêtées le 31 du même mois.
En tout, 98 membres des organisations de Rouen et du Havre sont pris et déportés en Allemagne, via Compiègne pour les hommes, et après internement à Romainville pour les femmes. La moitié mourra en déportation. Le réseau est pratiquement réduit à néant, à l’exception des groupes spécialement créés pour agir au jour J, qui n’ont pas été touchés.
Troisième mission
Définition de la mission : relancer le réseau SALESMAN, autour de Rouen, région stratégique à l'approche du débarquement. Il est assisté par Violette Szabo, son courrier.
- On apprend par un message d'André Malraux que la presque totalité du réseau SALESMAN a été anéantie et que la Gestapo utilise depuis deux semaines la radio et les codes de l'opérateur Isidore Newman. L'avion de Liewer est stoppé in extremis en bout de piste : ce sont les Allemands qui l'auraient accueilli à l'arrivée. Le départ est reporté[10].
- Avril. Le , Philippe Liewer est parachuté près de Cherbourg, avec Violette Szabo « Louise », dont c’est la première mission[11]. Ils s’occupent des familles des personnes arrêtées. Violette Szabo voyage entre Paris et Rouen pour prendre contact avec les personnes qui sont supposées avoir réchappé et en ramener à Paris. Le 30, après cette mission de trois semaines de reconnaissance, qui est un plein succès, ils rentrent en Angleterre, lors d'un ramassage par doublé de Lysander, dans l'Indre[12]. Ils rapportent à Londres des rapports sur les installations allemandes, qui se révéleront précieux pour cibler les bombardements : quartier général naval à Rouen, usines de fabrication de matériels de guerre, installations portuaires du Havre.
Quatrième mission
Définition de la mission : diriger le nouveau réseau SALESMAN (appelé ici SALESMAN II), pour coordonner les maquis de la région de Limoges[13] dans les actions de sabotage des lignes de communication allemandes, après l’arrestation de Maurice Southgate. Son nom de guerre est « Hamlet ». Il est accompagné par Violette Szabo « Louise », radio et agent de liaison, dans sa deuxième mission ; le captain Bob Maloubier « Paco », saboteur, dans sa deuxième mission ; et le lieutenant Jean-Claude Guiet, opérateur-radio américain de l'Office of Strategic Services (OSS)[14].
- Juin
- > Le 5 au soir, le signal du débarquement est donné sur les ondes. Plus que jamais il est nécessaire qu’une liaison permanente soit établie entre le Haut Commandement Allié et le maquis. Il ne faudrait pas qu’à l’arrivée du major Staunton, la ruse qui a permis d’obtenir des parachutages soit éventée ! Aussi Charles Gaumondie prend les "ficelles" et devient le « colonel Charles », chargé de recevoir l’équipe[15]. Un Liberator doit la parachuter près de Sussac dans la nuit du 6 au . Malheureusement, les signaux n’ayant pas été faits par suite d’une erreur de transmission, l’avion tourne en rond, puis revient à son point de départ. Il est pourtant capital que cette liaison soit établie. Un message radio est immédiatement envoyé à Londres pour rappeler l'urgence.
- > Dans la nuit suivante, celle du 7 au 8, l’avion revient et le major Staunton ainsi que son équipe, atterrissent au terrain ORANGE, lieu dit « Le Clos », tout près du bourg de Sussac. Ils sont hébergés à Sussac, dans la maison de Mme Ribiéras[15].
- > Le 10, près de Salon-la-Tour, Violette Szabo est arrêtée.
- > Le 11, Staunton prend contact avec le maquis BISTROT (600 hommes, plus 200 gendarmes qui l’avaient rallié le jour J), peu armé et mal entraîné. En trois semaines, il va organiser, entraîner, armer et susciter la formation de bandes de saboteurs pour attaquer les objectifs qui ont été négligés le jour J. Les lignes de chemins de fer de Paris-Limoges, Paris-Bordeaux et Paris-Toulouse sont soumises à des attaques constantes et rendues inutilisables pour le trafic ennemi. L’alimentation électrique de la base de sous-marins à Rochefort est coupée. Lorsqu’il découvre que l’ennemi perfectionne la technique de réparation ferroviaire en utilisant une seule voie, Staunton fait dérailler deux trains à Salon-la-Tour, bloquant ainsi la voie pendant deux mois.
- > Le 25, premier parachutage massif d'armes en provenance d’Angleterre (opération ZEBRA).
[Source : Georges Guingouin. Dans ce récit :
- « Major Staunton » désigne Philippe Liewer,
- « Colonel Charles » désigne Charles Gaumondie.]
Les conditions de sécurité sont maintenant telles qu’on peut passer des parachutages de nuit à un parachutage massif de plein jour. Mais l’armada aérienne étant visible à des dizaines de kilomètres, il faut évidemment que le maquis soit maître du terrain. Toute une série d’embuscades en profondeur sont donc établies, transformant la région en un véritable hérisson qui obligera l’ennemi, s’il veut attaquer, à des concentrations de troupes.
Toutes les conditions étant remplies, le [16], en plein jour, sur le terrain de la « Borderie », commune de Domps, soixante-douze Forteresses volantes larguent 864 containers pour les unités du colonel « Charles ». Le spectacle est impressionnant, inoubliable. Les avions volent sur trois rangs s’étageant en hauteur, en vagues décalées pour que les parachutes ne s’accrochent pas. La première vague est si basse que les maquisards peuvent voir les aviateurs. Le soleil fait étinceler les ailes et, autour des foreteresses, les chasseurs de l’escorte multiplient les acrobaties.
Bientôt, une multitude de corolles blanches éclosent dans le ciel et c’est vraiment féerique de les voir descendre lentement, avec leur lourde charge, au gré du vent.
Malheureusement, bien que « Staunton ait eu pris le soin de spécifier dans ses messages que ce sont des armes automatiques avec leurs munitions qu’on réclame et que ce maquis est largement approvisionné en explosif, les containers livreront leur lot habituel de mitraillettes et de plastic dont on n’a que faire. Toute armée a sa bureaucratie et ces containers ont été, probablement, préparés en série, car on y trouvera même des rations alimentaires.
Mais le colonel « Charles » vient d’apprendre que les Anglais, en raison des difficultés que rencontre le débarquement, sont décidés à armer, sans vain ostracisme, tous les combattants de la Résistance. Il présente donc au major Staunton le colonel Guingouin qui, entretemps, est devenu chef départemental des FTP.
L’entrevue a lieu chez François Combastel, à Lachaud-Saint-Clair[17]. Elle est des plus cordiales et il est décidé que les FTP de la région auront à leur tour un parachutage de jour. Cette fois on obtiendra fusils-mitrailleurs, carabines, mortiers, bazookas et leurs munitions en quantité importante. Tout ce matériel arrive à point, in extremis même, car la brigade du général von Jesser, après avoir disloqué les unités du maquis du Cantal au mont Mouchet est en route pour le Limousin...
Au cours de cette même entrevue, treize terrains de la Haute-Vienne sont officiellement homologués pour les FTP.
Le , nouveau parachutage de jour[18], au « Clos » de Sussac, cette fois avec 35 forteresses. Alignés en V autour du terrain, les partisans présentent les armes. Les chasseurs d’accompagnement battent des ailes en signe d’applaudissements. Les deux cohortes d’acier, celle du ciel et celle de la terre, se saluent. Mais voici que sont largués les premiers containers : ô surprise ! bleus, blancs, rouges sont le parachutes qui s’ouvrent dans le ciel ! Descendant lentement au-dessus des soldats du maquis, les couleurs de la France semblent s’incliner par avance devant le sacrifice de ceux d’entre eux qui, bientôt, s’accrochent aux flancs du mont Gargan, tomberont face à l’ennemi.
Bien sûr, Staunton ne sera pas long à comprendre que les unités du « colonel Charles » sont en réalité celles de Guingouin. Plus tard, il rira lui-même de cette ruse de guerre bien « digne – selon lui – du connétable Duguesclin ! »
- Juillet.
- > , opération Cadillac, deuxième parachutage massif d'armes en plein jour (35 Forteresses volantes, 400 containers)
- > Du 17 au , bataille du Mont Gargan.
Dans la deuxième quinzaine de juillet, les hommes de Staunton sont attaqués dans la zone de Châteauneuf[19] par 1800 SS, 700 soldats et 500 Français. 250 ennemis, dont 12 officiers sont tués, contre 32 Français seulement.
- Août.
- > Le 2, deux nouveaux agents sont parachutés : lieutenant Edgar Lee Fraser (FURRIER), canadien-français, expert Dakota ; Joseph Albert Howard Collette « Carlos ».
- > Le 10, Les Allemands essaient de faire progresser leurs convois, protégés par des trains blindés, à travers les débris, sur la ligne Salon-la-Tour. Au même moment, un train autre train blindé remonte de Brive à la rencontre du convoi. Celui-ci est attaqué par major Staunton avec ses troupes O.G. et SAS. Comme résultat, les trois convois retournent à Limoges. Au même moment, le maquis GARAGE en Corrèze déverse plusieurs centaines de rochers sur la ligne entre Uzerche et Brive-la-Gaillarde, ce qui provoque l’arrêt de l’autre train armé. Staunton a une entrevue avec le DMR[20] Eugène Deschelette « Ellipse », au cours de laquelle ils décident que les FFI en Haute-Vienne seraient placés sous le commandement conjoint de Guingouin et du commandant Huard de l’Armée secrète. À ce moment, l’effectif du maquis atteint 3 000 hommes.
- > Le 13, le captain Fred B. Agee « Antonin », chirurgien américain, est parachuté pour rejoindre le réseau. L’équipe Jedburgh ALEXANDER est parachutée à Saint-Gilles-les-Forêts en Haute-Vienne et prend contact avec major Staunton.
- > Le 21, Staunton dirige une délégation alliée de quatre officiers qui convoque le commandant allemand de Limoges, le général Gleiniger, et obtient sa reddition inconditionnelle avec sa garnison de 1 500 hommes, libérant ainsi la ville de Limoges.
Le texte ci-après est celui du procès-verbal de la négociation, avec compléments en rouge, selon Georges Guingouin, ch. XX, Libération de Limoges, « capitale du maquis ».
PROCÈS-VERBAL DE L’ESSENTIEL DE LA DISCUSSION CONCERNANT LA CAPITULATION DE LA VILLE DE LIMOGES, le , de 16 heures à 18 heures 15, 6, chemin de saint-Lazare. ________________________ | |||
PRÉSIDENT : Monsieur Jean d’Albis, correspondant de la Légation suisse, chargé de la négociation. | |||
DÉLÉGATION ALLIÉE : | |||
Major Staunton [pseudo de Philippe Liewer] Capitaine [J.] Guéry Capitaine Viguier [pseudo du lieutenant Angoulvent] Captain Ch. A. Brown Q.-M. Bourg, interprète. | |||
DÉLÉGATION ALLEMANDE : | |||
Général Gleiniger Lieutenant-colonel von Liebich Capitaine Noll. | |||
________________________ | |||
M. d’Albis | — | Messieurs les plénipotentiaires, en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par les parties dans les présentes négociations, je déclare la séance ouverte et je donne immédiatement la parole au major Staunton, en vue de la lecture d’un nouveau projet de capitulation de la Ville. | |
General | — | Je ne suis pas prêt à capituler et je désire discuter le principe même de la capitulation avant la lecture du projet que vous me présentez. | |
Major | — | À la suite de votre acceptation de venir discuter ici, j’ai décommandé un bombardement massif de la Ville. | |
General | — | Je ne veux pas capituler, je veux discuter. | |
M. d’Albis | — | Dans ce cas, nous ne pouvons discuter que sur le document qui vous a été remis hier et qui motive la présente conférence. | |
General | — | Quelles sont les raisons qui motivent votre demande de capitulation ? | |
Major | — | Nous avons suspendu les opérations. Limoges est encerclée par des troupes qui dépassent 20 000 hommes. En plus, des forces blindées américaines marchent sur la ville. Il faut donc éviter de verser le sang de la population. | |
(D’autre part, le major précise qu’il est le représentant de l’État-major allié en Haute-Vienne) | |||
General | — | Je souhaite qu’on me laisse sortir de Limoges avec mes troupes. | |
Le major refuse, car ce serait agir directement à l’encontre des ordres qu’il a reçus. | |||
General | — | Quels sont ces ordres ? | |
Major | — | Les troupes seront internées dans un camp, la vie sauve étant assurée à tous ; un château sera réservé aux officiers. | |
General | — | Je demande que vous réclamiez de nouveaux ordres à votre QG. | |
Major | — | Les ordres que je vous ai transmis sont confirmés. | |
General | — | Tant que je suis en droit de croire que vous agissez selon vos idées personnelles, je demande que vos ordres soient confirmés. | |
Major | — | J’ai reçu des ordres formels. | |
M. d’Albis demande que le général veuille bien lire le document qui fait preuve de la plus grande largeur de vues. | |||
(Lecture du document est faite) | |||
General | — | Je désire discuter le document point par point, mais sans m’engager à l’accepter. | |
Art.1) déposition des armes et ceinturons, marche sur Saint-Paul. [1°) Les unités allemandes déposeront leurs armes et leurs ceinturons immédiatement et sans délai et se rendront, encadrés par des éléments de la Garde et des FFI, au camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, où elles seront internées et soumises au régime des prisonniers de guerre, conformément au droit international.] | |||
General | — | Combien de km ? | |
Major | — | 23. | |
Lecture des articles 2, 3, 4, sans commentaires. [2°) Les officiers, qui auront le droit de conserver leur arme individuelle, seront transportés par camions à une résidence d’internement qui leur est affectée exclusivement. 3°) Le major-général Gleiniger indiquera à la Commission interalliée l’emplacement et la composition de tous les dépôts d’armes de toutes catégories, de munitions et de carburants existant à Limoges et dans le département de la Haute-Vienne et s’engage à remettre tout le matériel intact, ainsi que tous véhicules blindés de combat et véhicules de transport, ainsi que le matériel de laboratoire. 4°) Une compagnie allemande désarmée restera provisoirement à Limoges sous le commandement d’officiers alliés pour charger sur les camions FFI le matériel de guerre décrit au paragraphe précédent.] | |||
Lecture de l’article 5 concernant les otages et les prisonniers [5°) Tous les prisonniers militaires ou politiques, ainsi qu’éventuellement les otages, détenus par les forces allemandes militaires ou civiles, seront immédiatement et sans délai remis entre les mains de la Commission interalliée et libérés.] | |||
General | — | Pour prouver ma bonne foi, j’ai déjà donné l’ordre de les remettre aux autorités françaises (le général espère toujours obtenir le libre passage de ses troupes) | |
Major | — | Les ordres sont formels, ils ne sauraient être changés. | |
Lecture de l’article 6 concernant l’ordre donné aux troupes de se rendre. [6°) Le major-général Gleiniger donnera l’ordre à toutes les unités allemandes et assimilées stationnées en Haute-Vienne, et notamment aux troupes de Saint-Léonard-de-Noblat et de la mine adjacente, de déposer les armes dans les mêmes conditions que celles de Limoges. Il facilitera le passage des officiers alliés chargés de transmettre cet ordre à l’officier commandant lesdites troupes.] | |||
General | — | Cela concerne-t-il toutes les troupes ? | |
Major | — | Toutes. | |
General | — | Et les services politiques ? | |
Major | — | Ils ne sont pas compris. Il ne s’agit que des troupes en uniforme. | |
General | — | Les troupes de police, c’est-à-dire Feldgendarmerie, SD, politik Truppen. | |
Major | — | Tout ce qui est en uniforme sera fait prisonnier. | |
General | — | Le SD est en uniforme. Est-il compris dans le traité ? | |
Major | — | Tout ce qui est en uniforme. | |
M. d’Albis | — | Le SD est ce qu’on appelle vulgairement la Gestapo. | |
Major | — | S’ils sont en uniforme, ils sont inclus. | |
Lecture est faite des articles 7 et 8. [7°) Les officiers alliés formant la Commission donnent leur parole d’honneur de soldats que le traitement de prisonniers de guerre sera assuré à toutes les forces allemandes déposant les armes sur l’ordre du major-général Gleiniger. 8°) Les Forces Françaises de l’Intérieur n’entreront à Limoges qu’après le départ des troupes allemandes, exception faite des éléments chargés de l’encadrement mentionné au paragraphe premier. La compagnie allemande désarmée mentionnée au paragraphe 4 sera évacuée sur le camp d’internement dès le travail de chargement sur camion terminé. 9°) La Milice n’est pas incluse dans la présente offre.] | |||
Le général demande que les télégraphistes et la Croix-Rouge soient mis dans une résidence à part. | |||
Major | — | Cela dépend de leur nombre. | |
General | — | 20 ou 23 télégraphistes. Pour la Croix-Rouge, il ne sait pas. | |
Major | — | On réservera un château pour elles. | |
General | — | Que se passera-t-il si je refuse ? M. d’Albis m’a laissé entendre qu’il ne serait pas fait de quartier. | |
Major | — | On exécutera le plan d’attaque. Et au moment d’un assaut, je ne suis pas sûr d’être en mesure de contrôler les FFI, qui sont très courageux. Ainsi, je ne puis assurer la vie sauve aux prisonniers. | |
Capitaine Guéry | — | Ils ne sont pas assez militaires pour obtempérer à un ordre immédiat. | |
General | — | On ne fera pas de prisonniers ? | |
Major | — | Probablement | |
General | — | La population en souffrira. | |
Major | — | Inévitablement | |
General | — | Je demande une suspension de séance pour discuter avec mon état-major. | |
REPRISE DE LA SÉANCE À 17 heures 15 | |||
General | — | Messieurs, j’accepte vos propositions. | |
Major | — | Mon général, je vous remercie, vous sauverez la vie de beaucoup de gens. | |
General | — | Cela me semble très dur, mais il le faut. | |
Major | — | Je vous remercie, mon général. | |
General | — | Je demande qu’on joigne au traité les assurances données pour les femmes et pour la police, et que le personnel russe de l’hôpital soit également interné. | |
Major | — | Ils auront l’option soit d’être internés, soit de quitter l’uniforme. | |
General | — | D’accord. Y aura-t-il un piquet d’honneur ? | |
Major | — | Comment désirez-vous qu’il soit composé ? | |
General | — | Faites-moi des offres. | |
Major | — | Un officier et six sous-officiers anglo-américains. | |
General | — | Je préfère la reddition sans aucune cérémonie en ce qui concerne la reddition des troupes. Je préfère qu’elles se rendent aux FFI plutôt qu’à la Garde en qui je n’ai plus confiance. Je voudrais que ce soit des détachements de l’AS. | |
Major | — | Il n’y a plus qu’un seul corps. | |
General | — | J’espère qu’il n’y aura pas de manifestations désagréables. | |
Major | — | Le document a été rédigé dans le souci de respecter l’honneur allemand. | |
General | — | À quelle heure, la reddition ? | |
Major | — | 18 heures. | |
General | — | Il n’y a pas matériellement le temps. | |
Major | — | 20 heures. | |
General | — | Il est 5 heures et demie. C’est impossible. | |
Major | — | C’est pour éviter la marche de nuit. | |
General | — | Demain matin | |
Major | — | Impossible. | |
General | — | Techniquement, c’est trop court. | |
Major | — | Techniquement, je ne puis arrêter la marche des troupes. | |
General | — | À quel endroit, la reddition ? | |
Major | — | Les troupes rejoindront leurs casernes, où les FFI les prendront. | |
General | — | Les troupes sont à leurs postes de combat. Elles n’auront pas le temps : il faut 3 heures pour passer les ordres. Je demande que la reddition ait lieu à 21 heures. | |
Major | — | Accepté. Les détachements FFI entreront par la route de Toulouse à 20 heures 30. Il y aura au Pont-Neuf un officier allemand par caserne qui conduira le détachements FFI. Le général peut-il se rendre garant qu’il n’y aura pas de résistance ? | |
General | — | J’en suis persuadé. Ceux qui résisteraient ne seraient pas couverts par le traité. | |
Major | — | Le matériel sera déposé au centre des casernes. | |
General | — | Les troupes seront-elles transportées sur véhicules ? | |
Major | — | Non, elles iront à pied. | |
General | — | Il y a des vieux et des malades. | |
Major | — | S’il y a des malades, ils iront à l’hôpital. | |
General | — | Si j’étais sous-officier, je n’aurais pas la force de faire 26 kilomètres. | |
Major | — | En 1940, j’ai assisté aux convois de prisonniers canadiens et britanniques sur Dieppe à Rouen. Ils n’avaient plus de chaussures en arrivant. J’accorde que les hommes de plus de 45 ans ne marcheront que jusqu’à Crézin, et de là seront transportés au camp de Saint-Paul. | |
General | — | Il n’est pas question de l’âge. Il y a des blessés du front russe, la plupart ne sont pas des combattants. | |
Major | — | On ne fera pas marcher les blessés. D’ailleurs, j’ai vu des Allemands attaquer à Aixe, ils n’étaient pas malades. En conséquence, sauf les hommes appartenant au service et les femmes, toutes les troupes marcheront, les officiers conserveront leurs voitures. Pour la première nuit, les officiers coucheront au camp de Saint-Paul. Mais dès demain, ils rejoindront leur château. Les effets personnels pourront être emportés, mais les hommes seront fouillés. | |
General | — | Afin d’avoir le temps de faire passer les ordres, l’heure de la reddition de Saint-Léonard pourra-t-elle être retardée ? | |
Major | — | Oui. La reddition aura lieu au QG à 8 heures et on signera le traité de reddition. Au point de vue argent, les officiers conserveront le leur, celui des soldats sera bloqué et rendu au moment de leur libération. | |
General | — | Je demande à ce qu’on ajoute en toutes lettres au traité de reddition les mots « SD-Polizei et Feld-Gendarmerie ». | |
Major | — | D'accord. | |
LA SÉANCE EST LEVÉE À 18 heures 15. | |||
(signé) Jean d’Albis |
- Septembre. Le 16, le major Staunton est décoré par le DMR[20] de la Croix de guerre avec citation à l’Armée. Le 30, sa mission se termine.
- Octobre. Il est affecté à la Direction générale des études et recherches, à Paris, en qualité de chef de mission de 2e classe, assimilé au grade de commandant.
- Décembre. Le 1er, il cesse de servir à la DGER.
Après la guerre
Le [21], il meurt brutalement d'une attaque cardiaque, à Casablanca, au Maroc. Il est inhumé à Paris, au cimetière du Montparnasse, dans le carré juif.
Reconnaissance
Philippe Liewer a reçu les distinctions suivantes :
- Royaume-Uni : Military Cross,
- France : Croix de guerre 1939-1945 avec citation à l’Armée, 1944.
La ville de Limoges a donné son nom à une rue : la rue du Major-Staunton.
Notes
- Prononcer Lié-vert, pas Liou-air.
- Source : Maloubier.
- 1901, selon SFRoH.
- Bob Maloubier, Plonge..., p. 27.
- Il reçoit de l’aide de Mme Desvaux, une couturière, qui lui offre comme couverture un emploi d’assistant. Il s’installe dans plusieurs maisons, d’où il émet ses messages radio, allant jusqu’à s’éloigner de soixante kilomètres de Rouen, à bicyclette. Il enverra 54 messages jusqu’à son arrestation en mars 1944.
- Opération KNACKER organisée par Henri Déricourt ; terrain : NE d'Angers, 1 km SE de Soucelles (49) ; appareil : Hudson ; pilotes : sqn Ldr L. F. Ratcliff, Flg Offs Woolridge et Johns, Plt Off Hall ; passager amené (1) : Gerry Morel (qui a instruction de ramener Henri Déricourt à Londres, mais qui rentrera sans lui) ; passagers ramenés (9) : Philippe Liewer, Bob Maloubier, Robert Benoist, H. Borosch, Madeleine Lavigne, Limousin, Le Barbu, l'aubergiste à Tiercé et son mari. [Source : Verity, p. 292]
- Sources : Un agent secret de Churchill de Bob Maloubier ed.Tallandier ; témoignage de Jean Sueur à son retour de déportation le 29 avril 1945
- Elle est relâchée peu après.
- Roger Mayer avait été recruté sur place alors qu'il était le chef du mouvement résistant "l'heure H" du Havre. Il était à la tête de 200 hommes répartis en cellules. Il prit aussi une part importante dans le sabotage dans les ateliers de réparation des composants de sous-marins allemands. Il fut impliqué dans l’incendie des stocks allemands de lin et d’avoine. En juin 1945, il revint d’Allemagne en très mauvaise santé. Il reçut la Military Cross
- Bob Maloubier, Plonge ..., p. 29.
- Ils sont parachutés à partir d'un bombardier B-24 Liberator du 429 Bomb Group "The Carpetbaggers" de la base de l'USAAF d'Harrington (Northamptonshire), qui les avait pris en charge à Tempsford. Source : [1]
- Ce ramassage a les caractéristiques suivantes :
- Opération ORGANIST, agent Alexandre Schwatschko (alias « Alexander Shaw »).
- Doublé de Westland Lysander IIIa :
- Le V9490, codé JR-N4, piloté par le F/Lt Robert Large, amène deux agents et cinq paquets, et remmène un agent, Violette Szabo.
- Le V9748, codé JR-D3, piloté par le F/O John Perry Alcock, dont c'est la première mission opérationnelle, amène un seul agent, Robert Dupuis « Pharaon », sa valise et son poste émetteur, et remmène deux agents, dont Philippe Liewer.
- Noms des agents amenés : Robert Dupuis « Pharaon » et deux autres (selon Hugh Verity).
- Décollage du terrain de Tangmere le 30 avril à 22 h 30.
- Terrain d'atterrissage en France, dans l'Indre :
- Version 1 : selon Hugh Verity p. 299, le terrain est situé à 7,5 km S/SE d'Issoudun, maintenant aérodrome Le Fay.
- Version 2 : selon [2], le terrain, HERCULE, est situé à 13,5 km au S/SO de Châteauroux et à 4,250 km à l'ouest d'Arthon. Il était prévu un terrain alternatif, nom de code FORTUNE, situé à 15 km au S/SO de Châteauroux, et à 5,5 km à l'O. d'Arton.
- Lettres de reconnaissance : AD (de l'air au sol) et BN (du sol à l'air).
- Heure d'atterrissage en France, le 1er mai : le F/Lt. Large atterrit à 1 h 35 et le F/O John Alcock à 1 h 45.
- Heure d'atterrissage, de retour à Tempsford, le 1er mai : le F/L Robert Large atterrit à 5 h 05 (hélice trouée par la Flak), et le F/O Alcock à 5 h 10 (un pneu crevé par la Flak).
- Cette zone de la Haute-Vienne était, dès avant le débarquement, sous le contrôle des unités du maquis. Implicitement, l’adversaire l’avait reconnu puisque le préfet, par arrêté du 24 mars 1944, l’avait déclarée zone interdite [Source : Guingouin].
- Guiet rentrera en Angleterre en août 1944.
- Source Guingouin
- Il s’agit de l’opération ZEBRA, premier parachutage massif d’armes en plein jour, en quatre endroits en France. Georges Guingouin la situe à tort le 26 juin.
- Entre Domps et Eymoutiers.
- Opération Cadillac.
- S'agit-il de Châteauneuf-la-Forêt ? À Vérifier.
- Délégué Militaire Régional.
- Acte de naissance à Paris 17e avec mention du décès, vue 5/31.
Sources et liens externes
- (en) Fiche Philippe Liewer, avec photographie, sur le site Special Forces Roll of Honour.
- (en) Fiche Philippe Liewer, avec photographie, sur la page SOE Agents Profile du site de Nigel Perrin.
- Michael R. D. Foot, Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d'Action (SOE) en France 1940-1944, annot. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Tallandier, 2008, (ISBN 978-2-84734-329-8) / EAN 13 : 9782847343298. Traduction en français par Rachel Bouyssou de (en) SOE in France. An account of the Work of the British Special Operations Executive in France, 1940-1944, London, Her Majesty's Stationery Office, 1966, 1968 ; Whitehall History Publishing, in association with Frank Cass, 2004. Ce livre présente la version officielle britannique de l’histoire du SOE en France. Une référence essentielle sur le sujet du SOE en France.
- Hugh Verity, Nous atterrissions de nuit..., préface de Jacques Mallet, 5e édition française, Éditions Vario, 2004. (ISBN 2-913663-10-9)
- Lt. Col. E.G. Boxshall, Chronology of SOE operations with the resistance in France during world war II, 1960, document dactylographié (exemplaire en provenance de la bibliothèque de Pearl Witherington-Cornioley, consultable à la bibliothèque de Valençay). Voir sheet 0, FIRST STEPS BY SOE TO START OPERATIONS IN FRANCE ; sheet 22, SALESMAN CIRCUIT.
- Maurice Nicault, Résistance et Libération de l’Indre. Les Insurgés, collection Passé simple, Rover, 2003. (ISBN 2-908670-85-2). Voir p. 92-93.
- Georges Guingouin, Quatre ans de lutte sur le sol limousin, coll. La Libération de la France, Hachette, 1974.
- Danièle Lheureux, La Résistance « Action-Buckmaster » SYLVESTRE-FARMER avec le capitaine « Michel », Geai bleu éditions, 2001.
- Bob Maloubier, Plonge dans l'or noir, espion !, Robert Laffont, 1986, (ISBN 2-221-04722-2).
- Bob Maloubier et Jean Lartéguy, Triple jeu. L'espion Déricourt, Robert Laffont, 1992, (ISBN 2-221-06836-X).
- Bob Maloubier, Agent secret de Churchill 1942-1944, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Tallandier, 2011, (ISBN 978-2-84734-795-1).