Économie politique

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L'expression Économie politique est créée au début du XVIIe siècle et employée à l'origine selon Charles Gide [1] pour décrire « l'étude de la production économique, l'offre et la demande de biens et services et leurs relations avec les lois et coutumes ; le gouvernement, la distribution des richesses et la richesse des nations incluant le budget ». Pour Léon Walras, l'économie politique se définit comme l’exposé de ce qui est, et le programme de ce qui devrait être[2].

Si, traditionnellement Antoine de Montchrestien, dans son « Traicté de l'Œconomie Politique » paru en 1615, est considéré comme l'un des premiers [3],[4] à employer ce vocable dans le sens pré-cité, Gregory King, historien de l'économie[5], indique pour sa part que le premier à utiliser l'expression « économie politique » serait Mayenne-Turquet en 1611 [6] dans son livre « La Monarchie Aristodémocratique; ou le gouvernement composé et meslé des trois formes de légitimes républiques »

Dans la seconde partie du XIXe siècle, le mot « économie » - jugé plus court- remplace progressivement le terme « d'économie politique ». Si William Stanley Jevons, un tenant de l'emploi de méthodes mathématiques, a dès 1879 plaidé pour l'adoption du terme « économie » qu'il trouve à la fois plus bref et dont il espère la reconnaissance en tant que science - la Science économique -, il intitule malgré tout encore son livre publié en 1879 The Theory of Political Economy[7], Ce n'est qu'en 1890 que le mot d'économie s'impose avec la publication par Alfred Marshall des Principles of Economics[8],[9] . Dans l'esprit de Marshall, le fait d'éviter l'emploi du terme « politique » affranchit l'économie de ses liens avec les partis politiques[10].

Jusqu'à la crise financière mondiale débutant en 2007, le terme d'économie politique peut référer : à l'analyse marxiste ; à la théorie des choix publics ; à des approches émanant de l'école de Chicago (économie), ou à l'école de Virginie, ou simplement aux conseils donnés par les économistes aux gouvernements concernant les politiques économiques globales ou des sujets plus restreints [9]. « Ces écoles ont étendu depuis les années 1970 le champ de l'économie politique bien au-delà du seul domaine où des planistes maximisent l'utilité d'une population, pour prendre en compte la façon dont les forces politiques affectent les choix des politiques économiques notamment dans la distribution des revenus et les politiques de redistribution, ainsi que sur les institutions économiques[11]. »

Depuis la crise, le terme « économie politique » revient sur le devant de la scène, notamment en France.[réf. souhaitée]

L'économie politique selon Antoine de Montchrestien

Antoine de Montchrestien forge le terme d'Économie politique pour « renverser la thèse aristolélicienne de l'indépendance et de la supériorité de la vie proprement politique sur cette partie de la vie qui est consacrée à la production et dont traite l'économique ou science de la famille » [12].

« On peut fort à propos maintenir contre l'opinion d'Aristote et de Xénophon, que l'on ne saurait diviser l'économie de la politique sans démembrer la partie principale du Tout, et que la science d'acquérir des biens, qu'ils nomment ainsi, est commune aux républiques aussi bien qu'aux familles » [13].
« L'homme est né pour vivre en continuel exercice et occupation » [14] ou encore « le bonheur des hommes, pour en parler à notre mode, consiste principalement en la richesse, et la richesse dans le travail » [15]

Antoine de Montchrestien fait valoir :

  1. que l'enrichissement du peuple est au moins aussi efficace que de recourir à la guerre (comme le prône Machiavel) ou de se livrer à la contemplation ( comme le préconise Aristote)
  2. qu'il faut célébrer le travail de l'agriculture, faire l'éloge de l'industrie et de la manufacture
  3. qu'il faut mettre dans la société au-dessous de tout le rôle du marchand. Dans le corps social il est semblable au cerveau dans le corps de l'individu [16]
« D'où l'on peut conclure, que les marchands sont plus utiles en l'État, et que leur souci de profit, qui s'exerce dans le travail et l'industrie, fait et cause une bonne part du bien public. Que pour cette raison, on leur doive permettre l'amour et quête du profit, je crois que tout le monde l'accordera » [17]

Premières évolutions du concept

la signification du terme va fluctuer selon les périodes en fonction des situations économiques rencontrées par les sociétés globales :

L'« économie politique » selon les mercantilistes

« Nous ne sommes plus au temps où l'on se nourrissait du gland tombé des chênes secoués, où les fruits que la terre produisait et l'eau pure étaient de grandes délices... C'est pourquoi ces belles contemplations des philosophes ne sont qu'en idée, et pour une république où l'on aurait que faire de labourer, ni d'agir »[18].
  • Le mercantilisme, qui domine la pensée économique entre le XVIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle, modifie le sens du terme « économie politique » en ne s'intéressant - avec l'émergence des monarques absolus- d'abord qu'à la richesse du Prince, censée être équivalente à la prospérité du royaume et de ses sujets. Les mouvements les plus avancés dans cette perspective sont fournis par le Colbertisme français ou le Caméralisme allemand.
  • Adam Smith avait conscience de ce que la définition de Montchrestien comporte d'arrière-fonds mercantiliste, aussi <pas clair> il insiste dans la Richesse des nations sur l'aspect enquête sur la nature et la cause de la richesse des Nations[19]

L'«économique politique » selon les Physiocrates

À la suite de Pierre de Boisguilbert et Richard Cantillon, François Quesnay fonde l'école des Physiocrates

Ceux-ci professent que la richesse d'une nation consiste en la richesse de tous ses habitants. En étudiant la formation de cette richesse, la réponse des Physiocrates à la question de la politique économique des États est en substance qu'ils ne doivent pas en avoir ou que le pouvoir d'État doit intervenir aussi peu que possible dans la vie économique.
Ils contribuent ainsi à la création de la tradition libérale qui domine la pensée économique jusqu'à la fin du XIXe siècle : L'économie qu'ils appellent de leur vœux est une économie plus « entrepreneuriale et individualiste » que « politique ».
Ils rejoignent aussi la tradition libérale de philosophie politique inaugurée par John Locke et diffusée notamment par Frédéric Bastiat (1801-1850).

L'école d'économie politique anglaise

Les membres

En général on distingue trois générations.

  1. La première celle des fondateurs couvre la période de 1798 à 1830 et comprend notamment :James Mill, David Ricardo qui a écrit en 1817 ses Principes d'économie politique, Thomas Malthus qui a écrit en 1798 son Essays on Population, Robert Torrens, Thomas Tooke][20] , À ces économistes on peut ajouter Jean-Baptiste Say qui fut élu en 1822 membre étranger honoraire du Political Economy Club de Londres fondé en 1821 et dont furent membres l'essentiel des économistes politiques anglais de l'époque[21] ainsi qu'une vulgarisatrice influente Mrs Marcet qui a écrit en 1817 Conversations on Political Economy[22]
  2. La seconde génération qui va de 1830 à 1860 regroupe des auteurs comme Richard Whately, Nassau Senior le premier professeur d'économie politique à Oxford (1826) , McCulloch qui écrivit en 1847 Literature of Political Economy et John Stuart Mill qui a publié en 1848 ses Principles of Political economy un livre qui fut utilisé dans le monde anglophone jusque dans les années 1930[23]:
  3. La troisième génération inclut notamment : Bagehot, Stanley Jevons, Henry Sidgwick qui a écrit un livre intitulé Political economy en 1883 et qui joua un rôle important dans la mutation de l'économie politique anglaise à une vision cambridgienne de l'économie[24], John Neville Keynes (le père de John Maynard Keynes) qui a écrit Scope and Method of Political economy (1891).

Art, science et politique

Les nuances pour ne pas dire les différences entre membres de cette école sont notables . Ainsi Ricardo écrit à Malthus en 1820 [25] :

« L'économie politique est selon vous une enquête sur la nature et les causes de la richesse. J'estime au contraire, qu'elle doit être définie : une enquête sur la distribution... De jour en jour, je suis plus convaincu que la première étude est vaine et décevante et que la seconde constitue l'objet propre de la science . »

Mais, ce qui fait la spécificité de l'école d'économie politique anglaise, c'est qu'elle distingue nettement l'art de gouverner de la « science de l'économie politique » dont le but pour Nassau Senior est d'établir « les principes généraux qu'il est fatal de négliger »[20]. Au contraire les économistes politiques des autres pays ne faisaient pas cette différence et chez eux l'économie politique était à la fois un art et une science. Toutefois, si la distinction entre l'art du politique et la science de l'économie politique est forte dans cette école, il n'en demeure pas moins que le lien entre l'économie politique et la politique est dans les faits complexe.

En effet, il y a une volonté de propager notamment par le biais du «Political Economy Club» les vrais principes de l'économie politique [21]. Les membres de ce club furent hautement impliqués dans la vie politique anglaise puisque 52 des 151 membres de ce club élus entre 1821 et 1870 furent parlementaires. Parmi eux certains furent des hommes politiques de premier plan tel William Ewart Gladstone, un des grands premiers ministres anglais de 19° siècle[21].

Il y eut entre eux une très forte controverse vers 1820 entre le courant dit du "radicalisme philosophique" ou utilitarisme, laïques, et ceux, qui pensaient qu'il fallait reconcilier l'économie politique et la théologie qui voulaient monter que « la nouvelle science pouvait être cooptée comme une théodicée; et même mieux être utilisée pour démontrer le "dessein bienveillant" du créateur »[26]. Finalement un accord fut trouvé entre les deux parties en séparant l'économie politique de la théologie [23]. Mais, en réalité le débat ne cessa réellement jamais car il sous-tend le problème du laissez-faire et reparaitra très fortement sous cette forme à la fin du 19° siècle et au début du vingtième siècle.

Les principaux axes analytiques

Les principaux axes sont :

L'économie politique allemande dite école historique allemande (1848-1918)

Présentation

L'école historique allemande a été pour Heath Pearson « l'hétérodoxie la plus influente de l'économie politique du 19° siècle »[30]. Elle compte trois générations d'économistes qui ont été très influents dans leur pays en particulier dans l'instauration de lois sociales raison pour laquelle ils ont parfois été appelés Kathedersozialisten (socialistes de la chaire ( au sens de chaire universitaire)[31].

La première génération est composée de Wilhelm Roscher (1817-1894) qui écrivit en 1843 Outline of Lectures on Political Economy according to the Historical Method, Bruno Hildebrand (1812-1878), Karl Knies (1821-1898). La seconde génération compte Gustav Schmoller (1838-1917), Lujo Brentano notamment tandis que dans la dernière génération on peut citer Werner Sombart (1863-1941), ainsi que des auteurs souvent associés à eux : Max Weber et Adolph Wagner[32] D'une manière, ils sont plus interventionnistes que les membres de l'école d'économie politique anglaise. Si Gustav Schmoller était en faveur d'une monarchie sociale, d'autres étaient en faveur d'un gouvernement plus démocratique et d'autres (Robert Wagner et le jeune Werner Sombart) pour un socialisme d'État[33]. D'une façon générale ils re-interprêtent le caméralisme et seront les conseillers du Prince dont ils "légitimeront les réformes [34].

La méthode

Entre eux et l'école anglaise les différences culturelles et d'axes de recherche sont fortes [35]: les uns sont fils des lumières et cosmopolites les autres sont plus nationalistes ( ils parlent de nationalôkonomie)[36]et romantiques, les uns veulent comprendre les ressorts de la société commerciale, les autres l'évolution qui y a conduit, les uns cherchent une théorie générale, les autres veulent comprendre les cas concrets, les uns veulent défendre l'entreprise privé, les autres sont plus tournés vers l'intervention de l'État. Dans ces conditions il n'est pas surprenant que l'école historique allemande tenait l'école d'économique politique anglaise pour trop déductive et ne pensait pas que les lois économiques étaient aussi universelles que ce que soutenaient leurs homologues anglais[30]. Pour Pearson[31],chez eux il y avait moins de constantes et plus de variables telles que les institutions, l'environnement, l'esprit etc.. Ils avaient aussi tendance à voir le développement économique comme suivant des stades d'évolution ce qui tend à les faire passer pour des holistes. Pour Pearson ce jugement est exagéré et, Roscher par exemple écrivait que l'économie reste « un produit naturel des facultés et conduites que font l'homme en étant homme » [32]. Par ailleurs, ils utilisaient beaucoup les statistiques notamment Karl Knies Bruno Hildebrand, Robert Wagner et d'autres[35] Alfred Marshall[35] dans son livre Principle of Economics a plutôt une bonne opinion d'eux[35] Au contraire Carl Menger, le fondateur de l'école autrichienne s'opposera à eux dans ce qui est connu comme la querelle de la Methodenstreit[35].

Enfin chez eux le droit particulièrement celui de l'école historique du droit de Friedrich Carl von Savigny[37]

Influence

L'école fonde en 1872 le Verein fûr Socialpolitik (union pour la politique sociale) [31]. Sur ce modèle sont créées l'American Economic Association en 1885 et The American Academy of Political and Social Science[33]. En effet, l'université allemande était alors très réputée et 20 des 26 premiers présidents de l'American Economic Association ont étudié en Allemagne notamment les chefs de file de l'institutionnalisme américain. Mais, ils ont été aussi influents en Inde et au Japon ainsi que de nombreux économistes ont également subi leur influence tel Joseph Schumpeter ou dans le domaine de l'antrophologie économique r Bronislaw Malinowski ou Karl Polanyi[35]. En France ils ont influencé les premiers travaux d'Émile Durkheim. L'école elle-même entre en déclin après la première guerre mondiale et disparaît après la seconde guerre mondiale[35]

La relance de L'économie politique

Ultérieurement, -compte tenu de l'émergence de la question sociale- la notion d'Économie « politique » est relancée:

Relance par les penseurs Allemands

  • L'économiste allemand Adolph Wagner ( 1835-1917) critique les doctrines des physiocrates et des libéraux : « La théorie de Smith, l'individualisme et le libéralisme économique ont fait leur temps dans la science et dans la vie, en théorie et en pratique (...) Le rôle prépondérant que l'économie politique anglaise attribue à l'individu, sa tendance à prendre l'essence de l'individu, ou si l'on veut ses instincts naturels, ses désirs, ses tendances comme le point de départ et comme le but de toute vie sociale - conséquences logiques de l'individualisme- sont minés par l'idée opposée, celle de la collectivité et de ses conditions d'existence, qui ne sont autres que celles de l'individu, en tant que membre de la collectivité... C'est du point de vue social, socialiste, et non plus individualiste qu'on étudie désormais la vie économique, les problèmes économiques [38]. » Il entend promouvoir l'économie politique comme « la science des phénomènes économiques considérés comme les éléments du phénomène composé que constitue l'économie nationale [39]». L'économie nationale étant un tout, un système fondé sur la division du travail et la circulation entre les exploitations particulières . ce tout devant être « regardé en lui-même, à un certain de gré de son évolution, et étant données certaines hypothèses juridiques ».
  • Karl Marx réclame l'interventionnisme de l'État dans l'économie, dans le cadre de la lutte des classes avec la Socialisation des biens et des moyens de production.

Relance par les partisans d'une économie politique « pure »

Dans les années 1874-1877, Léon Walras met en avant le concept de « modèle central » de l'économie politique « pure » ( « Éléments d'économie politique pure ou théorie de la richesse sociale » )

  • « L'économie politique pure est essentiellement la théorie de la détermination des prix sous un régime hypothétique de libre concurrence absolue. L'ensemble de toutes les choses matérielles ou immatérielles, qui sont susceptibles d'avoir un prix parce qu'elles sont rares, c'est-à-dire à la fois utiles et limitées en quantité, forme la richesse sociale. C'est pourquoi l'économie politique pure est aussi la théorie de la richesse sociale[40]. »
  • Léon Walras veut faire de l'économie une science : « Affirmer une théorie est une chose, la démontrer en est une autre. Je sais qu'en économie politique on donne et on reçoit tous les jours de prétendues démonstrations qui ne sont rien d'autre que des affirmations gratuites. Mais, précisément, je pense que l'économie politique ne sera une science que le jour où elle s'astreindra à démontrer ce qu'elle s'est à peu près bornée jusqu'ici à affirmer gratuitement[41]. »
  • En 1878, l'enseignement de l'économie politique prend place officiellement en France dans les programmes des cours et des examens dans les Facultés de Droit[42].

Relance par l'école Keynésienne

Plus modéré, le keynésianisme (inspiré par John Maynard Keynes dans les années 1930 ) pointe à certaines périodes l'insuffisance de la demande effective et revendique un rôle actif de l'État lorsqu'il s'agit de faire face aux crises de sous-production par une politique de relance. Les résultats très contrastés du New Deal, puis l'échec relatif des plans de relance dans les années 1970 marquent la fin de la dominance du courant keynésien.

L'économie politique dans la culture anglo-saxonne

L'expression « Économie politique » revêt une connotation particulière dans la culture et la pensée économiques anglo-saxonne. Ainsi en anglais, et pour les économistes anglo-saxons, l'expression économie politique a deux traductions précises et distinctes :

  1. l'économie politique (en anglais Political economy) peut désigner une branche de la science économique qui décrit et analyse l'activité économique par rapport aux données politiques, en essayant d'expliquer le fonctionnement et de trouver les lois qui régissent l'activité économique par rapport à l'action des pouvoirs publics. Voir politique économique ;
  2. l'économie politique (en anglais Public choice) désigne également la branche de la science économique qui applique à un système politique donné les outils de l'analyse économique afin d'expliquer le choix des politiques publiques en fonction des préférences des agents et des objectifs propres des dirigeants. Voir Théorie du choix public.

Dans le sens analyse économique des choix publics, l'économie politique naît dès Adam Smith avec son ouvrage la Richesse des Nations, dans lequel il développe implicitement le concept de bien public, biens pour lesquels l'intervention de l'État s'avère nécessaire. Toutefois, l'analyse économique des choix publics apparait véritablement dans les années 1930 avec notamment les travaux de Paul Samuelson sur les biens collectifs et la fonction de bien-être social. Samuelson est le premier à distinguer les biens collectifs purs des biens collectifs mixtes (dans ces derniers, l'exclusion des « free-riders » est aisée). Dans une perspective différente, Ronald Coase apporte une contribution majeure avec son article The Problem of Social Cost (1960) où il émet l'idée que l'intervention de l'État est justifiable en cas d'existence de coûts de transaction (voir Théorème de Coase).

Dans une perspective relevant autant de l'économie que de la philosophie politique, mention doit être faite des travaux de John Harsanyi et de John Rawls. Le premier a développé une approche utilitariste de l'action publique. Dans la lignée de J. Bentham et de Paul Samuelson, Harsanyi établit une fonction de bien-être social à partir de laquelle il tente de définir le critère de répartition du revenu qui serait adopté par des individus rationnels et impartiaux. À l'opposé, la démarche de Rawls est dite contractualiste et déontologique : à partir de la situation fictive du voile d'ignorance, Rawls montre quels seraient les critères de justice adoptés par des individus rationnels.

Dans le domaine plus restreint de l'analyse du choix des agents publics et du fonctionnement des régimes démocratiques, il faut noter la contribution fondamentale de l'économiste Anthony Downs avec son ouvrage An Economic Theory of Democracy (1957) puisqu'il s'agit de la première tentative d'application systématique de la méthode d'analyse économique aux phénomènes politiques. Downs transpose à la sphère politique l'ensemble des outils d'analyse de l'économie : les hommes politiques sont considérés comme des entrepreneurs en concurrence pour satisfaire une demande provenant des électeurs, les agents étant supposés rationnels et maximisateurs et l'univers certain. Dans le même ouvrage, Downs procédera à une analyse des stratégies mises en place par les gouvernements et les partis politiques. Il montre notamment que, dans un régime démocratique, le gouvernement n'est pas incité à adopter les politiques optimales pour plusieurs raisons (la configuration des préférences individuelles et l'existence d'externalité ; l'incertitude pesant sur les préférences des citoyens et sur l'effet des mesures politiques ; les stratégies du gouvernement afin de maximiser le nombre de votes en sa faveur).

Downs a ainsi ouvert la voie à de très nombreux travaux portant sur l'efficacité du système démocratique. Dans cette optique, Kenneth Arrow démontre à travers son théorème d'impossiblité l'incapacité d'un régime démocratique à faire émerger des choix stables et cohérents. Dans la même lignée, et en adoptant pourtant des hypothèses beaucoup moins restrictives, Amartya Sen montrera l'incompatiblité, dans un régime démocratique, entre l'efficacité parétienne et la liberté individuelle. Par ailleurs, le courant du Public Choice, également dans la lignée de Downs, étudiera avec les outils de l'analyse économique les comportements des agents politiques.

Enfin, les travaux de Mancur Olson (La logique de l'action collective, 1971) doivent également être mentionnés. Ce dernier s'intéressera au rôle joué par les groupes d'intérêts dans les processus de décisions publiques.

L'Économie politique aujourd'hui

Pensée pluri-dimensionnelle

Pour beaucoup de ses fondateurs, l'économie politique est une pensée pluri-dimensionnelle qui assume la triple dimension humaine, sociale et historique : c'est une science « morale et politique »[43].

de deux manières :

- «Pensée du marché et des processus productifs, de l'acteur individuel et de la société, du choix rationnel et du mouvement historique» - «Essai de compréhension des processus observables, effort de conceptualisation et de formalisation, guide pour les décisions du prince, réflexion sur les finalités»

« Cette tradition, née avec Petty, Turgot, Smith, Malthus et Ricardo serait-elle morte avec Keynes, Frisch, Myrdal, Perroux, Tinbergen et Hayek ? On peut le craindre .... »

« Non que parmi les économistes tous aient renoncé à l'ambition d'une pensée pluridimensionnelle. Mais avec l'énorme production écrite (...) des dernières décennies, l'analyse, la théorie, la recherche et avec elles la pensée ont éclaté en de multiples domaines : le marché,l'entreprise, le choix public, le consommateur, l'économie nationale, le travail, l'emploi, le bien-être, l'économie internationale, la firme multinationale, le processus de mondialisation, le capitalisme, la technologie, l'innovation, l'information et bien d'autres qu'on n'en finirait pas d'énumérer; avec pour chacun des sous-domaines de spécialisation, le tout étant surcloisonné par le jeu des écoles et traditions théoriques et des langues[44]. »

« La discussion sur la méthodologie de l'économie connaît un regain avec des auteurs comme Blaug [45] Boland [46] , Caldwell [47] , Hausman [48], Hutchison [49], Kolm [50], Latouche [51], Mayer [52] , Pheby [53], etc.[54]. »

« Les plaidoyers ne manquent pas pour la reconstruction de l'économie politique, une économie politique élargie, prenant en compte la dimension éthique, conçue comme une science morale et politique, bref une économie multidimensionnelle.(...) Aujourd'hui (...) la pensée économique laisse face aux grands problèmes de notre temps l'économiste désarmé, avec ses savoirs fragmentés, ses regards parcellaires et ce fascinant abîme entre un édifice théorique en quête de cohérence et un monde en quête de solutions et de réponses[55]. »

Un tableau de l'Économie politique en 1984

«Radicaux» et socialistes Néo-keynésiens Keynésiens Synthèse néo-classiques/Keynésiens Monétaires, néo-classiques
Politique Gauche Centre Gauche Centre Centre Droit Droite
Monnaie Les forces de l'économie réelle sont prédominantes. La monnaie n'est qu'un outil dans les mains des structures de pouvoir du moment Les forces de l'économie réelle sont prédominantes. Quant à la monnaie, on suppose qu'elle s'adapte Les forces de l'économie monétaire et de l'économie réelle sont intimement liées La monnaie doit être prise en compte, mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres La monnaie est de première importance
Taux de salaire Le taux de salaire est la base de la valeur. Le salaire nominal est le point clef du niveau des prix Le taux de salaire nominal est fondamental Le taux de salaire n'est qu'un prix parmi d'autres Le taux de salaire n'est qu'un prix parmi d'autres
Distribution du Revenu La distribution du revenu est la question économique la plus importante La distribution des revenus est très importante Les questions de distribution des revenus sont de moindre importance La distribution des revenus est la résultante de toutes les équations de demande et d'offre dans un système d'équilibre général. C'est une affaire d'équité et ne peut être l'objet d'une recherche scientifique La distribution des revenus est la résultante de toutes les équations de demande et d'offre dans un système d'équilibre général. C'est une affaire d'équité et ne peut être l'objet d'une recherche scientifique.
Théorie du Capital Surplus engendré grâce à l'« armée de réserve » Surplus nécessaire au-delà des salaires Théorie de la rareté ( quasi-rente) Théorie de la productivité marginale : fonctions de production à facteurs substituables Théorie de la productivité marginale : fonctions de production à facteurs substituables
Théorie de l'emploi N'importe quel niveau d'emploi est possible. L'emploi augmente au cours du temps. le plein emploi est porteur de crise en économie capitaliste. La croissance est possible avec n'importe quel niveau d'emploi : cependant l'accent est mis sur la croissance de plein emploi. N'importe quel niveau d'emploi est possible; le plein emploi est souhaitable Le plein emploi est possible. Le sous-emploi est vu comme une situation de déséquilibre. Le plein emploi est postulé à long terme: Pas de théorie explicité de l'emploi à court terme.
Inflation Due d'abord aux variations du salaire nominal : peut être aussi due à des variations des marges de profit. Due au salaire nominal ou aux variations des marges de profit. Due aux variations du salaire nominal, de la productivité et/ou des marges de profit À long terme un phénomène monétaire relié avant tout à l'offre de monnaie à travers les décisions des agents économiques concernant leurs actifs. A court terme relation possible avec la courbe de Phillips. Avant tout un phénomène monétaire en ce sens qu'elle est reliée à l'offre de monnaie à travers les décisions des agents concernant leurs actifs.
Représentants les plus connus Galbraith, Bowles, D. Gordon, les Marxistes Mrs Robinson, Kaldor, Sraffa, Pasinetti, Eichner, Kregel, Harcourt Harrod, Shackle, Weintraub, Davidson, Minski, Wells, Vickers Solow, Samuelson, Tobin, Clower, Leijonhufvud, Hicks Friedman, Brunner, Meltzer, Parkin, Laidler

Source : Tableau de P. Davidson dans « The crisis in economic theory » de Daniel Bell (sociologue) et Irving Kristol [56].

Notes et références

Références

  1. (Charles Gide, Principes d’économie politique, 1931)
  2. http://econpapers.repec.org/article/necoecono/v_3a2011_3ay_3a2011_3ai_3a03_3ap_3a351-392_5f01.htm
  3. Henri Denis, Histoire de la pensée économique, Thémis 1966, P.92 §4
  4. Histoire des pensées économiques, T1 les fondateurs, P.16, Sirey 1993, ISBN 2-247-01666-9
  5. Voir Défaillance_du_marchéau paragraphe 1.2 Loi de King
  6. King "The origin of the term 'political economy' Journal of Modern History 1948
  7. Jevons, W. Stanley. The Theory of Political Economy, 1879, 2nd ed. p. xiv.
  8. Marshall, Alfred (1890) Principles of Economics
  9. a et b Groenwegen, Peter. (1987 2008). "'political economy' and 'economics'", The New Palgrave: A Dictionary of Economics, v. 3, pp. 905-06. [Pp. 904–07.]
  10. Voir Cannan p.43
  11. Alesina, Alberto F. (2007:3) « Political Economy », NBER Reporter, p. 1-5 (press +). Abstract-links version.
  12. Henri Denis, Histoire de la pensée économique, Thémis Paris , 1966.
  13. Traité de l'économie politique, nouv édit°, Paris 1889
  14. op cit page 21
  15. op cit page 99
  16. op cit page 32
  17. op cit pages 137 et 138
  18. op. cit. page 138
  19. Waterman 2008, p. 2
  20. a et b Waterman 2008, p. 3
  21. a b et c Waterman 2008, p. 5
  22. Waterman 2008, p. 7
  23. a et b Waterman 2008, p. 9
  24. Waterman 2008, p. 10
  25. Lettre à Malthus du 9 octobre 1820, citée par A.Piettre dans « Fondements, moyens et organes de la répartition du revenu national» Annales des 35° Semaines sociales, Dijon 1952
  26. Waterman 2008, p. 8
  27. Waterman 2008, p. 11
  28. Waterman 2008, p. 6
  29. a et b Waterman 2008, p. 12
  30. a et b Pearson 2008, p. 1
  31. a b et c Pearson 2008, p. 3
  32. a et b Pearson 2008, p. 5
  33. a et b Pearson 2008, p. 4
  34. Campagnolo 2004, p. 104
  35. a b c d e f et g Pearson 2008, p. 2
  36. Campagnolo 2004, p. 126
  37. Campagnolo 2004, p. 111
  38. Wagner, Fondements de l'économie politique
  39. Wagner, les Fondements de l'économie politique
  40. Léon Walras, Éléments d'économie politique pure , 1874-1877.
  41. Léon Walras, op. cit.
  42. Revue d'économie politique, mai-juin 1917.
  43. M. Beaud et G. Dostaler, La pensée économique depuis Keynes, le Seuil, Economica, 1996, Page 233 ISBN 2-02-028969-5
  44. M. Beaud et G. Dostaler, P. 233 op. cit
  45. The methodology of economics: Or How Economists explain, Cambridge University Press 1980, trad fr : 1982 La Méthodologie économique, Paris, Economica
  46. The foundations of Economic Méthod, Londres, Allen & Unwin 1982
  47. Beyond Positivism: Economic Méthodology in the Twentieth century, Londres, Allen & Unwin 19825
  48. Capital, Profits and Prices : An essay in the Philosophy of Economics, NY, Columbia University Press, 1981
  49. On Revolutions and progress in Economic knowledge, Cambridge University Press 1978
  50. Philosophie de l'économie, Paris, Le Seuil 1985
  51. Épistémologie et économie, Paris Anthropos 1973, le Procès de la Scfience sociale, Paris, Anthropos Le Seuil 1085
  52. Truth vs Précision in Economics, Aldershot, Hants, Edward Elgar , 1993
  53. Methodology and Economics : A critical Introduction, Handmills, Mac-Millan 1988
  54. M. Beaud et G. Dostaler, op. cit. p.238
  55. M. Beaud et G. Dostaler, op. cit P.240
  56. Traduction de Jean-Claude Milleron dans « Analyses de la SEDEIS » citées par Jacques Lesourne in « Études », mars 1984, Paris, p. 329.

Bibliographie

  • Gilles Campagnolo, Critique de l'économie politique classique, Paris, Puf,
  • (en) Edwin Cannan, A Review of Economics Theory, P S King and Son Limited,
  • Gilles Campagnolo, Critique de l'économie politique classique, Paris, Puf,
  • (en) Peter Groenewegend, « Political Economy », The New Palgrave,‎
  • (en) A.M.C Waterman, « English School of political economy », The New Palgrave,‎
  • (en) Heath Pearson, « Historical School, German », The New Palgrave,‎
  • fr Gustave Bessière, ""L'ARITHMETIQUE à l'usage des hommes d'État"" en cinq leçon par Gustave Bessière DUNOD Paris 1935

Annexes

Articles connexes

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Ouvrages pour aller plus loin

  • Frédéric Bastiat, Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, Choix de sophismes et de pamphlets économiques, (ISBN 2-8789-4004-0).
  • Chevalier John Nickolls (pseudonyme de L.-J.Plumard de Dangeul), Remarques sur les Avantages et les Désavantages de la France [ ... ] (1754).
  • Antoine-Elisée Cherbuliez, Étude sur les causes de la misère, tant morale que physique et sur les moyens d’y porter remède (1853).
  • Jacques Généreux, L'économie politique. Analyse économique des choix publics et de la vie politique, Paris, Larousse, 1996.
  • Alexis Jacquemin, Henry Tulkens et Paul Mercier, Fondements d'économie politique, 3e édition, Bruxelles, 2001. Accessible en ligne et téléchargeable en pdf sur la page web personnelle de Henry Tulkens (via Google).
  • Robert Leroux, Lire Bastiat : Science sociale et libéralisme, Paris, Hermann, 2008.
  • Antoin Murphy, « L.-J. Plumard de Dangeul (1722 - 1777), Membre de l'Académie des Sciences de Stockholm - Un précurseur de l'Économie politique », in Revue Historique et Archéologique du Maine, Le Mans, 2000, 3e série T. 20, tome CLI de la Collection, p. 81 - 96 (+ ill.); édition numérique, mode image et texte, in : DVD/CD-ROM, Revue hist.et archéol.du Maine 1876-2000, par la Société Historique et archéologique du Maine, Le Mans, 2006.
  • Rosa Luxemburg, Introduction à l'économie politique (1907-1917), Toulouse, Smolny, 2008.
  • Alain Queruel, Découvrir l'économie politique. De Colbert à Sarkozy, Paris, Éditions Praelego, 2010.
  • Alphonse Courtois, Annales de la société d'économie politique, en plusieurs tomes, le plus souvent un tome par année. Tome 1 : 1889. Paris, Guillaumin.