Mark Rothko

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Mark Rothko
Naissance
Décès
Sépulture
East Marion Cemetery (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Marcuss Rothkowitz
Nationalité
Activités
Formation
Représenté par
Pace Gallery (en), Artists Rights SocietyVoir et modifier les données sur Wikidata
Lieux de travail
Mouvement
Influencé par
GMM
Conjoint
Mary Ellen Beistle (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfants
Christopher Rothko (d)
Kate Rothko (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Œuvres principales
Vue de la sépulture.

Mark Rothko, né Markuss Rotkovičs le à Dvinsk (gouvernement de Vitebsk, actuelle Daugavpils en Lettonie) et mort le à New York, est un peintre américain. Classé parmi les représentants de l'expressionnisme abstrait américain, Rothko refusait cette catégorisation jugée « aliénante ».

Biographie[modifier | modifier le code]

Acte de naissance de M. Rothko.

Né en 1903 à Dvinsk dans l’Empire russe (aujourd’hui Daugavpils en Lettonie)[1],[2], Markuss Rotkovičs[1] est le benjamin d'une famille juive de quatre enfants, fils du pharmacien de la ville[3]. Pour que ses fils ne soient pas embrigadés de force dans l'armée impériale russe, son père émigre aux États-Unis, puis y fait venir ses aînés en 1912 et ses plus jeunes enfants fin 1913[1]. Il émigre donc, avec sa mère et sa sœur, aux États-UnisPortland, en Oregon) en 1913[2],[4] pour y rejoindre son père et ses frères, «emportant avec lui son éducation talmudique comme ses souvenirs des pogroms et des persécutions de son enfance»[3]. Son père meurt un an après leur arrivée. Il fait ses études à la Lincoln High School de Portland, puis à l'université Yale.

En 1929, il devient professeur de dessin pour des enfants, se marie en 1932 avec Edith Sachar puis fonde, en 1934, l’Artist Union de New York. Ce n'est par ailleurs qu'en 1940 qu'il adopte le nom anglicisé de Mark Rothko, deux ans après avoir pris la nationalité américaine. D'après ses amis, il était d'un naturel difficile, profondément anxieux et irascible, mais malgré cela il pouvait aussi être plein de dévouement et d'affection.

C'est dans les années 1950 que sa carrière démarre véritablement, notamment grâce au collectionneur Duncan Phillips qui lui achète plusieurs tableaux et, après un long voyage du peintre en Europe, lui consacre une salle entière de sa collection. C'était le rêve de Rothko, qui souhaitait que les visiteurs ne soient pas perturbés par d'autres œuvres.

La chapelle Rothko à Houston.

Les années 1960 sont pour lui la période des grandes commandes (université Harvard, Marlborough Gallery de Londres, chapelle à Houston[5]) et du développement de ses idées sur la peinture.

A la fin de sa vie, il créé une fondation pour les artistes nécessiteux[6].

Mais cet élan créateur et de reconnaissance est stoppé par la maladie, un anévrisme de l’aorte handicapant l'empêchant de peindre des grands formats.

Mark Rothko se suicide en 1970 à New York[7].

Œuvres[modifier | modifier le code]

Rothko était un grand travailleur ; son catalogue raisonné recense 834 tableaux dont 424 avec ses fameux colorfield. C’était également un intellectuel qui aimait la musique, la littérature et la philosophie, plus particulièrement les écrits de Nietzsche et la mythologie grecque. Influencé par l'œuvre d'Henri Matisse – à qui il a d'ailleurs consacré un hommage dans une de ses toiles – Rothko occupe une place singulière au sein de l'École de New York.

« Je me dispute avec l’art surréaliste et abstrait comme on se dispute avec son père et sa mère, en reconnaissant le caractère inévitable et la fonction de mes racines, mais en insistant sur ma dissension : moi étant à la fois eux et un entier complètement indépendant d’eux. »

Ecrits sur l’art[8]

Après avoir expérimenté l'expressionnisme abstrait (mouvement artistique dans lequel il côtoiera notamment Jackson Pollock et Adolph Gottlieb) et le surréalisme, il développe à la fin des années 1940 une nouvelle façon de peindre. En effet, hostile à l'expressionnisme de l'action painting, Rothko (ainsi que Barnett Newman et Clyfford Still) invente une nouvelle façon, méditative, de peindre[9], que le critique Clement Greenberg définira comme le Colorfield Painting, littéralement « peinture en champs de couleur »[9].

Dans ses toiles, en effet, il s’exprime exclusivement par le moyen de la couleur qu’il pose sur la toile en aplats à bords indécis, en surfaces mouvantes, parfois monochromes et parfois composées de bandes diversement colorées. Il atteint ainsi une dimension spirituelle particulièrement sensible[9].

Maturité artistique[modifier | modifier le code]

Rothko se sépare de son épouse Edith Sachar durant l'été 1937 à la suite du succès de celle-ci dans ses affaires de bijouterie. Apparemment, il ne prenait pas plaisir à travailler avec son épouse et se serait senti menacé et jaloux de son succès financier. Edith et lui se réconcilient en automne, mais leurs rapports restent tendus.

Le , Rothko obtient la nationalité américaine, incité par ses craintes que l'influence nazie croissante en Europe puisse provoquer la déportation soudaine des juifs américains. L'apparition de sympathies nazies aux États-Unis augmente ses craintes ; en , Marcuss Rothkovich change son nom en Mark Rothko, l'abréviation commune « Roth » étant identifiée comme juive. Après le pacte germano-soviétique entre Hitler et Staline en 1939, Rothko, Avery, Gottlieb et d'autres, quittent le Congrès des artistes américains en signe de protestation face au rapprochement du congrès avec le communisme radical. En juin, il forme avec d'autres artistes la Fédération des peintres et sculpteurs modernes. Leur objectif est de maintenir l'art exempt de propagande politique.

Inspiration mythologique[modifier | modifier le code]

Mark Rothko vers 1949.

Craignant que la peinture moderne américaine ait atteint une impasse, Rothko est attentif à l'exploration de sujets différents des scènes naturelles et urbaines ; des sujets qui compléteraient son souci croissant de la forme, la spatialité et la couleur. La crise mondiale de la guerre prête à cette recherche une immédiateté — une urgence — de même que son insistance à trouver de nouveaux thèmes ayant un impact social, capables de transcender les limites des valeurs et symboles politiques. Dans son important essai, The Romantics Were Prompted publié en 1949, Rothko observe que « l'artiste archaïque […] trouve vis-à-vis des dieux et demi-dieux la nécessité de créer un groupe d'intermédiaires, monstres, hybrides[10] » d'une manière similaire à l'homme moderne trouvant des intermédiaires dans le parti fasciste ou communiste.

Cependant, en raison des découvertes, de l'impérialisme et des avancées scientifiques de l'Europe, les liens traditionnels se sont érodés et la mythologie a été remise en question ; les anciennes mythologies (basées sur le social) auraient été remplacées par l'individu. Pour Rothko, « sans monstres ni dieux, l'art ne peut figurer un drame » et « quand ils furent abandonnés comme superstitions intenables, l'art tomba dans la mélancolie[11]. » Par conséquent, les « grandes réalisations » de civilisations qui acceptèrent l'improbabilité du mythe « sont celles de la figure humaine solitaire dans un moment d'immobilité complète » capable « d'indiquer son souci du principe moral et un insatiable appétit pour une expérience omniprésente de ce principe. », dans l'idée que chacun, libéré des dieux et des monstres, pourrait être capable de « respirer et d'étirer son bras vers l'autre ». Cette « figure humaine seule dans un moment d'immobilité complète[12] » a servi de prototype aux dernières peintures de Rothko : le style singulier de ses champs irradiant de couleur, solitaires mais tout autant liés aux images transcendantes de la mythologie.

L'utilisation par Rothko de la mythologie comme commentaire de l'histoire actuelle n'était nullement une innovation. Rothko, Gottlieb et Newman lisaient et discutaient des travaux de Freud et Jung, en particulier leurs théories respectives à propos des rêves et des archétypes de l'inconscient collectif, et envisageaient les symboles mythologiques comme des images auto-référentes — opérant dans un espace de conscience humaine qui transcende les histoires et cultures spécifiques. Par conséquent, des images de la Grèce déchirée par les guerres antiques auraient un impact similaire (sinon supérieur) à une coupure de journal présentant Londres déchiré par la guerre, en première page du Sunday Times.

Indépendamment de la connaissance de l'homme moderne des symboles mythologiques, ces images parleraient directement à l'inconscient jungien et réveilleraient des énergies cachées chez l'homme, les remontant à la surface. Rothko expliqua plus tard que son approche artistique fut « réformée » par son étude des « thèmes dramatiques du mythe. » Il cessa apparemment de peindre durant toute l'année 1940, et étudia L'Interprétation des rêves de Sigmund Freud et Le Rameau d'or de l'anthropologue James George Frazer. Rothko expliquera par la suite avoir voulu transgresser les canons artistiques pour intégrer un espace d'expression plus vaste et grand, celui de la création en général.

Inspiration nietzschéenne[modifier | modifier le code]

Pourtant le livre le plus crucial pour Rothko dans cette période serait La Naissance de la tragédie de Friedrich Nietzsche[13],[14].

La nouvelle vision de Rothko essaierait donc de s'adresser aux exigences de la spiritualité de l'homme moderne et aux exigences créatives mythologiques, à l'identique de Nietzsche clamant que la tragédie grecque est une recherche humaine pour racheter les terreurs d'une vie mortelle. Les objectifs artistiques modernes ont cessé d'être le but de Rothko. À partir de ce moment-là, son art soutiendrait en tant que but le « fardeau » de soulager le vide spirituel fondamental de l'homme moderne; un vide créé en partie par l'absence d'une mythologie adressée correctement à « la croissance d'un esprit enfantin et […] à la vie et les luttes d'un homme[15] » et pour fournir la reconnaissance esthétique nécessaire à la libération des énergies inconscientes, précédemment libérées par les images, symboles et rituels mythologiques.

Rothko se considérait lui-même comme un « faiseur de mythe » et proclamait que le seul sujet valable était celui qui est tragique. « L'expérience tragique ragaillardie », a-t-il écrit, « est pour moi la seule source d'art[16]. »

Expériences picturales après la Seconde Guerre mondiale et peinture de l'intense[modifier | modifier le code]

Il divorce d'Edith Sachar, sa première épouse, en 1944, et rencontre Mary Alice Beistle, dite Mell, l'année suivante[17],[18]. Mary Alice Beistle soutient ses recherches picturales[17]. Dans la série des Multiformes peinte entre 1946 et 1949, il n'y a plus de distinction entre figure et fond[18]. Le tableau est désormais une surface composée de zones colorées de taille et de forme diverses qui se superposent et se juxtaposent[18]. Sa peinture ne porte plus de sujet[18].

Chez cet artiste, la couleur est désormais débarrassée de l'objet et devient l'unique objet de vision, comme dans son œuvre intitulée Number 12[19] et dans d'autres similaires. Pour l'historienne de l'art Suzanne Pagé parlant de ses créations,

« Parce que, comme il dit, il peint les émotions humaines fondamentales, la tragédie, la mort, l’extase. C’est universel, intemporel. Cette œuvre vous met face à vous-même. Je pense que l’on ne peut pas y échapper. D’abord parce qu’elle a quelque chose de très sensuel, jouissif, une séduction qui rend captif. Dans laquelle, il le revendique, il a mis le maximum de violence[20]. »

Cote[modifier | modifier le code]

Expositions (sélection)[modifier | modifier le code]

Affiche d'une exposition des œuvres de Mark Rothko et Eduardo Chillida à la Kunsthalle Basel en 1962.

Écrits et publications[modifier | modifier le code]

Rothko n'a laissé que peu d'écrits : essentiellement une correspondance avec divers artistes ou professionnels de l'art. Il a cependant laissé un manuscrit inachevé, La Réalité de l'artiste, datant des années 1940 (donc antérieur à sa période la plus connue de « Color Field painting » ), où il disserte sur l'art occidental et son évolution. Cet ouvrage, découvert en 1988, soit dix-huit ans après son décès, a été édité par son fils en 2004[31].

  • La Réalité de l'artiste, éd. et introd. de Christopher Rothko, Paris, Flammarion, 2004, trad. de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat ; rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2015.
  • Écrits sur l'art, textes réunis et préfacés par Miguel Lopez-Remiro, Paris, Flammarion, 2005.

Collections et musée[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Valérie Duponchelle, « Mark Rothko, le miracle de la peinture », Le Figaro,‎ (lire en ligne).
  2. a et b « Rothko, Mark », sur Encyclopædia Universalis.
  3. a et b Annie Cohen-Solal, Mark Rothko, Arles, Actes Sud, .
  4. (en) « Mark Rothko », sur Encyclopædia Britannica.
  5. Roxana Azimi, « La Rothko Chapel, à Houston, ultime chef-d’œuvre d’un artiste à la spiritualité ardente », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  6. « Le Tiqoun 'Olam de Mark Rothko 2/2 Au coeur de la chapelle », sur France Culture, (consulté le )
  7. a b et c (en) Laura Cumming, « Rothko in Britain – review », The Guardian,‎ (lire en ligne).
  8. Mark Rothko, Écrits sur l'art, 1934-1969, Flammarion, (ISBN 978-2-08-121897-0), p. 89
  9. a b et c Vincent Brocvielle, « Rothko. Sans titre (noir rouge sur noir sur rouge). Vous qui entrez, laissez toute espérance », dans Pourquoi c’est connu ? Le fabuleux destin des chefs-d’œuvre du Centre Pompidou, Centre Pompidou, (ISBN 978-2-7118-7517-7), p. 98-99.
  10. (en) Trad. « archaic artist … found it necessary to create a group of intermediaries, monsters, hybrids, gods and demigods ».
  11. (en) Trad. « without monsters and gods, art cannot enact a drama (…) when they were abandoned as untenable superstitions, art sank into melancholy. »
  12. (en) Trad. « human figure alone in a moment of utter immobility ».
  13. (en) « Abstract Expressionism in colors by Mark Rothko », ArtWizard,‎ (lire en ligne).
  14. Annick Colonna-Césari, « Les brûlures de Rothko », L'Express,‎ (lire en ligne).
  15. Nietzsche[réf. nécessaire].
  16. (en) Trad. « The exhilarated tragic experience is for me the only source of art. »
  17. a et b Harry Bellet, « Rothko, peintre de l’intime et de l’intense », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  18. a b c et d « Rothko Mark (1903-1970). L'expérience picturale », sur Encyclopædia Universalis.
  19. 1949, huile sur toile, 171,61 × 108,11 cm.
  20. Harry Bellet, « Exposition Mark Rothko : Ses tableaux parlent une langue universelle qui n’a pas besoin d’explications », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  21. Madame Figaro no 1 115.
  22. (en) Huge bids smash modern art record - BBC News.
  23. (en) Vente du Orange, Red, Yellow sur le site de Christie's.
  24. (en) Vente de Yellow and Blue sur Business Insider.
  25. Élisabeth Lebovici, « Rétrospective parisienne de l'œuvre du peintre américain Rothko, choc rétinien », Libération,‎ (lire en ligne)
    69 tableaux immenses, sans limites, aux couleurs incroyables : une expérience visuelle. Mark Rothko jusqu'au 18 avril au musée d'Art moderne de la Ville de Paris.
  26. Harry Bellet, « Rothko, histoire du don indésirable », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  27. Valérie Duponchelle, « Nuit rouge dans le mausolée sensuel de Rothko », Le Figaro,‎ (lire en ligne).
  28. (en) Laura Cumming, « Abstract Expressionism review – a colossal event », The Observer,‎ (lire en ligne).
  29. (de) « Mark Rothko - Traditionsbrecher mit Achtung vor dem Alten », Die Welt,‎ (lire en ligne).
  30. « Site de la Fondation Louis Vuitton »
  31. Harry Bellet, « Mark Rothko, théoricien de son art », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  32. Voir sur moma.org.
  33. Voir sur bergerfoundation.ch.
  34. Voir sur rothkocenter.com.
  35. AFP, « Lettonie : Un musée Mark Rothko ouvre dans sa ville natale », sur rfi.fr, (consulté le ).
  36. (en) « The Mark Rothko Center : Rothko’s Stunning Legacy In Latvia », sur Art Weekenders, (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Dictionnaire[modifier | modifier le code]

Monographies[modifier | modifier le code]

  • Mark Rothko: 1903 - 1970, Alan Bowness éd., avec des écrits de Mark Rothko, Londres, Tate Gallery, 1987.
  • Jacob Baal-Teshuva, Rothko, Paris, Le Monde, 2005 ; Taschen, 2009. — ed. en anglais disponible sur Internet Archive.
  • Stéphane Lambert, Mark Rothko : rêver de ne pas être, Les Impressions nouvelles, 2011 ; rééd. Arléa.
  • Annie Cohen-Solal, Mark Rothko, Arles, Actes Sud, 2013.
  • Christopher Rothko (trad. Annie Pérez et Jean-François Allain), Mark Rothko : L'intériorité à l’œuvre, Hazan/Fondation Louis Vuitton, (ISBN 978-2-7541-1328-1)

Articles[modifier | modifier le code]

Documentaire[modifier | modifier le code]

  • (fr) (en) Mark Rothko, un humaniste abstrait, réalisé par Isy Morgensztern, 52 min, DVD édité aux Éditions Montparnasse. Le film retrace le parcours du peintre et montre nombre de ses œuvres, dont celles peu connues des périodes qui précèdent et suivent la période abstraite dite « classique ». En bonus, une interview du fils du peintre, Christopher Rothko (33 min).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]