Coup de force japonais de 1945 en Indochine

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Combats en Indochine (1945)

Informations générales
Date 9 mars2 octobre 1945
Lieu Indochine française
Issue Les Japonais capitulent, les Alliés les désarment ; le Việt Minh prend le contrôle d'une partie de l'Indochine
Belligérants
Drapeau de la France France
Drapeau de l'Indochine française Indochine française
Việt Minh
Empire du Japon
Commandants
Drapeau de la France Marcel Alessandri
Drapeau de la France Gabriel Sabattier
Drapeau de la France Eugène Mordant
Hô Chi Minh
Võ Nguyên Giáp
Yuichi Tsuchihashi
Takeshi Tsukamoto
Forces en présence
mars 1945 :

env. 12 000 hommes (plus 12 000 soldats annamites environ)[1]

ensuite : quelques milliers de soldats rescapés du 9 mars, commandos de la Force 136, maquis franco-laotiens, guérilla Việt Minh
Armée impériale japonaise : env. 45 000 hommes[2]
,[3] Milices annamites
Pertes
2 129 Européens tués lors du coup de force du 9 mars, environ 1 500 « disparus » 1,000

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Batailles

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Les combats en Indochine de 1945 virent la prise de contrôle total, pour quelques mois, de l'Indochine française par l'Empire du Japon. Le coup de force japonais fut suivi de brèves périodes d'indépendances du Việt Nam, du Laos et du Cambodge. Des actions de guérilla s'ensuivirent, mais la reddition du Japon survint avant qu'une riposte de grande ampleur puisse être mise en œuvre par la France. Le résultat fut une situation chaotique au cours de laquelle le Việt Minh, durant l'épisode dit de la révolution d'Août, s'empara momentanément d'une partie du territoire vietnamien.

Contexte

L'invasion du territoire indochinois, en 1940, a permis à l'Empire du Japon de stationner ses troupes à sa guise au Tonkin, tout en reconnaissant l'intégrité territoriale de la colonie française. L'administration coloniale de l'amiral Decoux, mise en place par le gouvernement de Vichy, est toujours en fonction en 1945, bien que le régime du maréchal Pétain ait, dans les faits, cessé d'exister en France.

Dès la fin 1943, le Comité français de la Libération nationale envisage la formation d'un corps expéditionnaire destiné à participer aux combats contre le Japon, condition du rétablissement de la souveraineté française en Indochine[4]. Des réseaux de résistance français se mettent en place en Indochine et renseignent les Alliés. Au début 1944, le général Mordant, chef de l'armée française en Indochine, devient, secrètement, le contact sur place du Comité français de la Libération nationale, puis, en septembre, du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) : le gouverneur général Decoux, mis au courant de la situation en octobre, propose sa démission, mais se voit ordonner par Paris de demeurer en place et de couvrir Mordant en le prenant comme adjoint en qualité d'Inspecteur général. Decoux est néanmoins tenu en défiance par Mordant, seul à être en contact direct avec la métropole[5],[6]. Le GPRF prévoit la création des Forces Expéditionnaires Françaises en Extrême-Orient (FEFEO), censées être fortes de 60 000 hommes : le général Blaizot, nommé commandant des FEFEO, est envoyé à Kandy (Ceylan), auprès de Lord Mountbatten, mais ne dispose finalement que de moins d'un millier d'hommes, préfigurant le Corps Léger d'Intervention. Le 28 février 1945, le GPRF crée un Comité de l'Indochine, chargé de superviser la situation[7].

L'objectif politique du GPRF est triple[8] :

  • participer à la lutte contre le Japon afin de se faire reconnaître parmi les Alliés par les Anglo-Américains, l'armée coloniale de l'amiral Decoux ne satifaisant pas à cette condition,
  • libérer l'Indochine et l'épurer, par analogie avec la libération de la Métropole, mais les formes de la "collaboration" étaient totalement différentes,
  • reprendre en main l'Indochine pour y restaurer la souveraineté française, mais les adversaires étaient multiples : les forces japonaises, toujours présentes, mais non désarmées, les nationalistes (notamment Viet Minh) en train de monter des foyers de guérilla, les Américains peu favorables au retour du "colonialisme français".

La situation militaire du Japon, dans le cadre de la Guerre du Pacifique, devient entretemps particulièrement critique. Les États-Unis bombardent à partir de 1944 les positions japonaises en Indochine. Le Royaume-Uni commence à la fin de l'année à envoyer des commandos dans les montagnes du nord, comprenant des soldats du GPRF. Le 12 janvier 1945, l'aviation américaine commence à bombarder Saïgon, qui est désormais à la portée de ses avions. Une mauvaise récolte de riz, associée à la pénurie alimentaire et aux dégâts causés par la guerre, entraîne au Tonkin une famine de grande ampleur, qui cause plusieurs dizaines de milliers de victimes[9]. Les Japonais, craignant que les Alliés ne pénètrent en force sur le territoire de l'Indochine pour en faire une voie de passage pour leurs troupes, décident d'éliminer l'administration coloniale française et de s'emparer totalement de la région. Ce sera l'opération Mei.

Le rapport des forces n'est pas favorable aux Français. L'armée n'a pas été renforcée en hommes, en armes et en matériels depuis la défaite de 1940. Le moral est bas du fait du souvenir des événements sanglants de Lạng Sơn en septembre 1940, de l'issue de la guerre franco-thaïlandaise et de la cohabitation prolongée avec les forces japonaises. L'armée française peut aligner au mieux 12 000 hommes d'origine européenne (les régiments dits de "souveraineté"), plus 62 000 soldats autochtones, dont l'aptitude au combat et la loyauté sont incertaines. La force aérienne est inexistante.

En face, alors que les effectifs japonais dépassaient à peine 6 000 hommes à la fin de 1944, ils s'accrurent dès le début de 1945, 24 000 au nord, 8 000 au centre, 13 000 au sud, pour constituer la 38e armée de campagne[10].

Reprise en mains de l'Indochine par le Japon

Au début de mars 1945, les troupes japonaises sont déployées autour des garnisons françaises. Le au soir, l'amiral Decoux, gouverneur général de l'Indochine, reçoit l'ambassadeur japonais Matsumoto pour une réunion de routine. À 19 heures, l'ambassadeur présente un ultimatum exigeant que les troupes françaises passent immédiatement sous commandement japonais. Decoux essaie de gagner du temps, mais les premiers coups de feu éclatent dans Saïgon. L'Opération Mei est déclenchée[11]. À 21 heures, Decoux et ses adjoints sont mis aux arrêts. Entre 20 heures et 21 heures, les garnisons françaises sont attaquées par surprise par l'armée impériale japonaise. Plusieurs officiers administrateurs et officiers français sont exécutés : à Lạng Sơn, le colonel Robert et le résident Auphelle, invités à dîner ce soir-là par leurs homologues japonais, sont arrêtés par surprise, et décapités à coup de sabre, de même que le général Lemonnier qui refusait de donner l'ordre de capituler. À Thakhek, l'administrateur Colin et l'inspecteur Grethen sont également tués. À Đồng Đăng, le commandant Soulié est tué après avoir repoussé trois assauts ; le capitaine Anosse, qui a pris le commandement de la contre-attaque, tient trois jours et trois nuits mais doit cesser le feu également à cours de munition et sa garnison décimée. Les Japonais l'honorent de cet exploit puis le massacrent aussitôt ainsi que 400 prisonniers[12],[13]. À Hanoï marsouins et tirailleurs de la citadelle tiennent vingt heures à un contre dix, menés par le capitaine Omessa, et repoussent trois assauts dont le dernier est qualifié de fait d'armes, mais qui finit par lâcher à court de munitions. Toujours à Hanoï, le capitaine Regnier est torturé et massacré pour avoir refusé la reddition. Son adjoint, le lieutenant Damez, repousse pendant quatre-vingt-dix heures les japonais en leur occasionnant de lourdes pertes et finit par s'enfuir en forçant les lignes japonaises, après avoir incendié le poste. Au quartier Balny, le lieutenant Roudier tient jusqu'à l'aube. On relève particulièrement le fait d'armes de la vingtaine d'hommes, artilleurs, et leurs trois sous-officiers, retranchés dans "La Légation" à Hué, commandés par "deux officiers remarquables" (selon Le Figaro des 8 et 9 mars 1980[13]), le capitaine Bernard et le lieutenant Hamel, qui résistent toute la nuit contre trois compagnies de Japonais équipés de blindés et d'artillerie. Le capitaine Bernard, blessé, est fait prisonnier et sera miraculeusement épargné. Il passera, comme des milliers de soldats et de civils français, le reste de la guerre en camp de concentration, sous le commandement japonais, puis Viet Minh.

Sur les 34 000 Français métropolitains présents dans la région, plus 12 000 militaires d'origine métropolitaine, plus de 3 000 sont tués en moins de 48 heures, dont le paléontologue français Josué Hoffet. L'administration coloniale française est détruite de fait. Les postes militaires français à travers toute l'Indochine (Annam, Tonkin, Cochinchine, Laos, Cambodge) sont touchés. Les troupes japonaises prennent notamment les citadelles d'Hanoï et de Lạng Sơn et y massacrent les Européens et les troupes annamites, malgré les promesses faites en cas de reddition. Des camps de prisonniers sont créés pour y parquer civils et militaires. À Hanoï, les généraux Mordant et Georges Aymé commandent la résistance, mais celle-ci doit finalement capituler au bout de quelques heures[14].

Au Tonkin, le général Sabattier, méfiant, a transféré peu avant le coup de force son poste de commandement hors d'Hanoï, tout en mettant en garde son subordonné le général Alessandri. Tous deux dirigent une résistance de quelques milliers d'hommes. Une partie des troupes françaises est maîtrisée, tandis que d'autres "prennent le maquis", l'armée japonaise mettant à prix les soldats français échappés, pour 1 000 piastres chacun[2]. Les groupes français, baptisés plus tard « colonne Alessandri », parviennent en Chine, où ils se mettent à la disposition de la Mission militaire française en Chine[15].

Les six mois de captivité se soldent par plus de 1 500 disparus. Cette opération désorganise complètement l'administration coloniale. Tout en mettant en place sa propre administration militaire, le Japon décrète la fin de la colonisation française, encourageant la formation de régimes nominalement indépendants, dans le cadre de sa sphère de coprospérité de la grande Asie orientale[16]. L'empereur Bảo Đại obtempère et collabore avec les Japonais, proclamant l'indépendance de l'Annam et du Tonkin sous le nom d'Empire du Việt Nam. L'administration française est cependant maintenue par les Japonais en Cochinchine, dont le rattachement au Việt Nam n'est proclamé qu'en août[17]. Au Cambodge, le roi Norodom Sihanouk, pressé par les Japonais, proclame également l'indépendance, mais il s'abstient de trop s'engager dans la collaboration. Le leader indépendantiste Son Ngoc Thanh, exilé au Japon depuis 1942 et considéré par les Japonais comme un allié plus sûr, revient au Cambodge pour assumer en mai le ministère des affaires étrangères. À Luang Prabang, le roi Sisavang Vong refuse pour sa part de coopérer et de proclamer l'unification du Protectorat du Laos en tant qu'État indépendant : le 16 mars, il invite le peuple Lao à aider les Français et à combattre les Japonais. Le 4 avril, les Japonais forcent le roi à décréter l'indépendance du Laos, le souverain se considérant alors comme prisonnier[18] et se trouvant en conflit avec son premier ministre indépendantiste, le prince Phetsarath Rattanavongsa.

Résistance après le coup de force

Les généraux Sabattier et Alessandri se dirigent avec leurs troupes vers le pays Thaï, où Sabattier rencontre, dans la cuvette de Ðiện Biên Phủ, François de Langlade, représentant du général de Gaulle. Langlade confie à Sabattier tous les pouvoirs civils et militaires, et ce dernier choisit de déléguer son commandement militaire à Alessandri, pour se concentrer sur les tâches politiques. Mais les Japonais, décidés à nettoyer le pays de toute présence française, passent bientôt à l'attaque. Un repli vers le Yunnan est entamé[19]. Sabattier lui-même, ayant installé son P.C. au Laos dans la Province de Phongsaly, tient ses positions durant trois semaines avant de passer en Chine. Les groupes de militaires français, divisés en plusieurs colonnes, connaissent des fortunes diverses : la « colonne Caponi » succombe le 27 mars, tandis que les groupements Prugnat et Séguin se replient en Chine début avril[20].

La « colonne Alessandri » résiste durant environ deux mois en se repliant[20] : comptant environ 5 700 hommes, dont 3 200 autochtones[21],[22], elle est exfiltrée sur le territoire de la République de Chine, dans le but de revenir ensuite en Indochine pour y mener des actions de résistance. Les hommes de la colonne doivent affronter, outre le climat et les désertions de tirailleurs indigènes, le harcèlement des troupes japonaises, auxquels s'ajoute parfois l'hostilité des populations locales[19]. Les troupes du commandant Reul, composées presque exclusivement d'autochtones, subissent l'assaut d'hommes du Việt Minh et doivent abandonner le terrain, rejoignant le repli général sur le territoire chinois[20].

En Chine, les Français sont très déçus par l'accueil des Alliés : ni la République de Chine, ni les États-Unis, hostiles au colonialisme français, ne sont disposés à venir en aide aux Français. Les Américains veulent éliminer toute influence de la France dans ses colonies et dans le monde. Aucun Français n'est d'ailleurs invité à la conférence de Yalta en février 1945 ou, plus tard, à la conférence de Potsdam, le 26 juillet 1945.

Dans ses mémoires, Claire Lee Chennault écrit : « Les ordres du GQG précisaient que les unités françaises ne devaient recevoir ni armes ni munitions. J'ai appliqué les ordres à la lettre, sans pouvoir me faire à l'idée que je laissais les Français se faire massacrer dans la jungle, tandis qu'on m'obligeait à ignorer officiellement leur sort » [I carried out my orders to the letter, but did not relish the idea of leaving Frenchmen to be slaughtered in the jungle while I was forced officially to ignore their plight.][23]. La situation en Indochine ne provoque pas de grandes réactions dans la métropole française, encore occupée à se relever de la guerre en Europe. Le 20 avril, ce qui reste de l'armée française d'Indochine est rattaché au théâtre Chine : le général Sabattier est nommé chef de la mission militaire de Chongqing[24].

Bien que les Japonais se soient posés en libérateurs et leur aient initialement manifesté leur appui, le Việt Minh n'envisage pas de coopérer avec eux et se prépare à entrer en résistance dans ses territoires du nord du pays, sous la direction d'Hô Chi Minh et de Võ Nguyên Giáp, par ailleurs adversaires implacables de la France. Le Việt Minh s'empare de différentes localités rurales du pays en y établissant des « comités révolutionnaires populaires », sans rencontrer beaucoup d'opposition de la part des Japonais, dont les troupes sont surtout présentes dans les villes et sur les voies de communication[25]. Hô Chi Minh désire éviter les actions spectaculaires, et se limite initialement à tendre quelques embuscades. En juillet, le Việt Minh prend d'assaut le poste japonais de Tam Doa[26]. Le journaliste Philippe Devillers souligne que le Việt Minh, ne souhaitant pas risquer ses atouts face aux Japonais encore trop forts, ne mène que « mollement » ses attaques, en se bornant à des « destructions d'ouvrages d'art », à des embuscades contre des convois japonais exécutés avec la collaboration des parachutistes américains envoyés par l'OSS en Indochine, ainsi qu'à des coups de main sur des postes nippons isolés, dans le but essentiellement de s'emparer d'armes et de frapper l'esprit des populations. Les opérations militaires du Việt Minh contre les Japonais se réduisent, en fait, à une succession d'« escarmouches »[27]. Les hommes de Hô Chi Minh ne cessent de gagner en influence auprès des paysans victimes de la famine, qu'ils organisent pour les lancer à l'assaut de greniers à riz de propriétaires agricoles, voire de stocks japonais ; parallèlement, le Việt Minh reçoit des armes et du matériel fournis par l'OSS. Les cadres du Parti communiste indochinois profitent également du chaos politique pour éliminer des militants trotskistes vietnamiens[28].

Dans les montagnes du nord et au Laos, la Force 136 britannique, présente depuis la fin 1944, reçoit le renfort de nouveaux commandos français et britanniques[29]. Ils sont rejoints par des soldats français ayant fui le coup de force de mars, et mènent des actions de guérilla. La résistance française ne bénéficie cependant pas d'ordres précis de la part du Gouvernement provisoire de la République française, ni de moyens d'envergure, les intentions des Alliés étant imprécises et contradictoires. Les commandos ne sont pas en mesure de mener une résistance armée très conséquente et, recevant dès avril l'ordre de ne pas se livrer à des « manifestations provocatrices » en l'attente d'une offensive alliée, doivent limiter leurs actions de guérilla[2].

Les Japonais n'ayant qu'un contrôle imparfait du Laos du fait de la mauvaise volonté du roi, les maquis français peuvent s'y déployer avec plus d'aisance, et reçoivent l'aide d'une partie de la population laotienne. Le prince Boun Oum mène de son côté une guérilla anti-japonaise[30]. Les groupes de guérilla franco-lao mènent la résistance antijaponaise depuis la jungle, mais ne disposent que de quelques centaines d'hommes, répartis par groupes de dix ou quinze, mal armés et sans grandes réserves de munitions[31].

De leur côté, les Japonais emploient des troupes supplétives de nationalistes annamites, organisées en « Milices patriotiques ». Par une décision du 26 mai, la France met officiellement sur pied le Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, pour se préparer à l'envoyer combattre les Japonais : de Gaulle supervise personnellement, et dans le détail, la création du corps expéditionnaire, placé sous le commandement de Philippe Leclerc de Hautecloque[32]. À la conférence de Potsdam, sans consulter ni avertir les Français, les Alliés décident que la libération de l'Indochine, ainsi que le maintien de l'ordre et le désarmement des troupes japonaises, seront assurés au sud du 16e parallèle par les troupes du Royaume-Uni et au nord par celles de la République de Chine[33],[34].

La famine, atroce et accompagnée d'épidémies, continue de sévir sur le territoire vietnamien, étant encore aggravée par les réquisitions des Japonais. Dépourvu de moyens pour faire face à la situation et pressentant l'effondrement du Japon, le premier ministre Trần Trọng Kim présente le 8 août sa démission à Bảo Đại[35]. Au Cambodge, Son Ngoc Thanh se proclame premier ministre dans la nuit du 8 au 9 août, avec le soutien des Japonais[36].

Après les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, Hô Chi Minh décrète le 13 août un soulèvement général[37] dans le but de désarmer les Japonais et de prendre en mains la situation avant l'intervention des Alliés : dans les jours suivants, les militants du Việt Minh s'emparent de divers points d'administration à travers le territoire vietnamien.

Capitulation japonaise

L'annonce de la capitulation du Japon par Hirohito prend au dépourvu le gouvernement français. Le 15 août, de Gaulle écarte Sabattier et nomme Thierry d'Argenlieu haut-commissaire pour l'Indochine, avec pour mission de « rétablir la souveraineté française sur l'Union indochinoise »[38].

Le 22 août, Bảo Đại propose au Viet Minh de former un nouveau gouvernement avec eux mais, sommé d'abdiquer[39], il obtempère le 25 et remet les symboles de sa souveraineté, le sceau et l'épée d'or, à une délégation Việt Minh. Il est conservé par les indépendantistes comme « conseiller politique »[40].

Des accrochages ont lieu en Annam entre le Viet Minh et les Japonais, mais, dans l'ensemble du pays, les soldats nippons se montrent neutres, voire bienveillants envers les indépendantistes vietnamiens, préférant laisser l'Indochine à des Asiatiques plutôt qu'aux anciens colonisateurs blancs européens[41]. La principale exception se déroule dans la province de Thái Nguyên, où les troupes japonaises refusent de se rendre : le Việt Minh leur livre bataille entre le 20 et le 25 août. Le 26, la garnison de Thái Nguyên cesse le combat, permettant au Việt Minh de faire main basse sur ses armes et son matériel[42]. Le 22 août, le général Leclerc arrive à Kandy (Ceylan) pour préparer l'entrée de ses troupes en Indochine : sur place, il apprend de la bouche de Mountbatten que Britanniques et Chinois vont pénétrer les premiers en Indochine française. Leclerc, bloqué sur place, alerte de Gaulle pour qu'il fasse pression sur le président Truman, mais les États-Unis ne souhaitent pas mécontenter Tchang Kaï-chek. Le même jour, Pierre Messmer et Jean Cédile sont parachutés en Indochine pour y représenter le GPRF : Messmer est arrêté par le Việt Minh, échappant de peu à la mort, et Cédile par les Japonais[38]. Jean Sainteny est désigné par le GPRF pour remplacer Messmer, mais il se trouve encore à Kunming en Chine et ne reçoit pas d'ordre précis de la part du gouvernement français, pris de court par la capitulation japonaise. Transporté par un avion américain, il parvient à débarquer à Hanoï, lui aussi le 22 août, mais est rapidement isolé par les Japonais, qui pactisent avec les indépendantistes[43].

Le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh proclame l'indépendance du pays au nom du gouvernement provisoire de la République démocratique du Viêt Nam, dénonçant tant le colonialisme français que l'occupation japonaise[44].

Conséquences

Le capitaine anglais Scott-Bell de la Royal Navy parle avec l'amiral japonais Kondo après le débarquement des Alliés à Saïgon en septembre 1945.

Les troupes du Royaume-Uni, au sud, et de la République de Chine, au nord, investissent ensuite le pays. Suivant de peu le commando de l'OSS du lieutenant colonel Albert Peter Dewey[45], le 12 septembre, les troupes de la 20e division indienne du major général Douglas David Gracey, (comprenant des régiments de Gurkhas), de l'Armée des Indes britanniques, marchent sur Saïgon. Elles sont suivies par les hommes du 5e régiment d'infanterie coloniale (du Corps Léger d'Intervention[46]), premiers soldats français (sous uniforme britannique) à avoir pu débarquer. Les Britanniques entrent les premiers et les Français ne reçoivent l'autorisation de réinvestir la ville qu'à la fin septembre[47].

Des hommes d'un Commando du C.L.I. (Corps Léger d'Intervention) en Indochine défilent en septembre 1945 devant des sentinelles japonaises.

Des violences, menées par le Việt Minh et par des bandes s'en réclamant, ont lieu contre les Européens, les Vietnamiens pro-français et les Eurasiens. Le général britannique Gracey et Jean Cédile tentent de couper court au désordre : Gracey ordonne un couvre-feu et le désarmement des milices vietnamiennes. Dans la nuit du 22 au 23 septembre, Jean Cédile fait reprendre manu militari les bâtiments administratifs de Saïgon aux comités Việt Minh, qui doivent prendre la fuite. Le 24 septembre, le Việt Minh réagit en décrétant une grève générale. Des violences anti-européennes éclatent dans Saïgon, auxquelles se mêlent des bandes comme la secte des Binh Xuyen. Des cadavres mutilés sont retrouvés dans les rues. Dans la nuit du 24 au 25 septembre, des bandes fanatisées - que la rumeur publique décrit comme Việt Minh ou Binh Xuyen - prennent d'assaut un quartier européen, et notamment la cité Hérault, où logent des fonctionnaires coloniaux. Plusieurs centaines de résidents de la Cité, hommes, femmes et enfants, sont massacrés dans des conditions abominables, et des centaines sont « enlevés », la plupart disparaissant à jamais : le nombre de victimes se monte à 400 environ[48],[49]. Une intervention commando du Corps Léger d'Intervention permet de récupérer quelques dizaines d'otages[50]. Le lieutenant-colonel américain Dewey, neveu du gouverneur de New York Thomas Edmund Dewey et officier de l'OSS, est assassiné le 26 septembre, ce qui contribue à choquer les milieux politiques anglo-saxons. Les effectifs des troupes anglo-indiennes présentes sur place sont renforcés. Les Japonais, que Gracey a menacés de représailles s'ils persistaient dans l'inaction, reprennent eux-mêmes leurs patrouilles. Une relative accalmie revient, tandis que les services administratifs, comprenant une police française, se remettent peu à peu à fonctionner tant bien que mal[51]. Les accrochages avec les indépendantistes se poursuivent jusqu'au 2 octobre, quand Gracey parvient à obtenir une trêve[52].

Les soldats japonais, restés sur place sans ordres, sont un temps utilisés par les Chinois pour aider au maintien de l'ordre au Tonkin et demeurent l'arme au pied dans le reste du pays, quand ils ne favorisent pas ouvertement les indépendantistes. Les troupes chinoises du général Lu Han[53] se livrent en outre à des pillages au Tonkin, déjà durement éprouvé par la famine de 1945[54]. Sainteny appelle en renfort la mission française en Chine, mais, les cinq mille hommes commandés par le général Alessandri sont empêchés par les Chinois de pénétrer en Indochine[55].

Le gros des troupes du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient n'a la possibilité de débarquer que début octobre — Leclerc lui-même débarque le 5 octobre — et participe au désarmement des Japonais[52],[50].

L'administration coloniale de l'Indochine française a été totalement désorganisée par l'invasion japonaise. Le 1er octobre, l'amiral Decoux, demeuré fidèle au gouvernement de Vichy et qui avait composé avec les Japonais jusqu'en 1945, est rapatrié en France pour y être jugé. Il bénéficiera d'un non-lieu en 1949[56]. Des fonctionnaires et militaires français, parfois tout juste libérés des camps japonais, sont accusés de collaboration et soumis à une épuration. Certains sont radiés[57],[58].

Au Laos, les groupes Việt Minh tentent de susciter une insurrection et se heurtent, parfois violemment, aux maquis franco-lao tout juste sortis de la jungle, et renforcés par des parachutages de 70 combattants environ, notamment de la Force 136[59]. En octobre 1945, le gouvernement Lao Issara du prince Phetsarath renverse le roi, pour tenter d'obtenir par la force l'indépendance du pays. Il doit cependant prendre la fuite en mai 1946, devant l'avance des troupes françaises ; le roi est remis sur le trône.

Au Cambodge, Leclerc se charge personnellement, le 15 octobre, d'appréhender Son Ngoc Thanh. Le général Alessandri prend les fonctions de commissaire de France à Phnom Penh[60]. Norodom Sihanouk, demeuré à la tête de l'État, doit manœuvrer pour négocier avec les Français et gérer le processus d'indépendance du Cambodge, tout en ménageant les différentes factions rivales.

Au Tonkin, les indépendantistes communistes de Hô Chi Minh se trouvent en position de force, sans réussir pour autant à faire reconnaître leur gouvernement[61].

Les troupes françaises ne reprennent que progressivement le pays. La France, pour réinvestir le territoire vietnamien, doit négocier laborieusement pour obtenir le départ des troupes d'occupation chinoises qui menacent d'annexer le Tonkin. Tchang Kaï-chek, en contrepartie du départ de ses troupes au début 1946, obtient par un accord franco-chinois le renoncement de la France à ses concessions territoriales et commerciales en Chine. Les troupes commandées par Jacques Massu pénètrent dans Hanoï en mars 1946.

La situation politique de 1945 constitue le prologue de la guerre d'Indochine.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Erwan Bergot, Commandos de choc en Indochine, les héros oubliés, Grasset, 1979
  • Laurent Cesari, L'Indochine en guerres, 1945-1993, Belin Sup Prépa, 1995
  • Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987
  • Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988
  • Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, Perrin, Paris 2005, ISBN 2-262-02345-X
  • Philippe Grandjean, L'Indochine face au Japon : Decoux-de Gaulle, un malentendu fatal, L'Harmattan, 2004
  • Pierre Montagnon, La France coloniale, tome 2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990
  • Jean Sassi, Opérations Spéciales : 20 ans de guerres secrètes, Nimrod, 2009
  • Jacques Valette, La Guerre d'Indochine, Armand Colin, 1994

Notes et références

  1. Philippe Grandjean, L'Indochine face au Japon : Decoux-de Gaulle, un malentendu fatal, L'Harmattan, 2004.
  2. a b et c Philippe Grandjean, L'Indochine face au Japon : Decoux-de Gaulle, un malentendu fatal, L'Harmattan, 2004
  3. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, op. cit. p.32
  4. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 78
  5. Pierre Montagnon, La France coloniale, tome 2, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, page 123
  6. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, pages 56-59
  7. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, p. 77-78.
  8. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d’Indochine, Perrin, Paris 2005, chapitres 1 et 2
  9. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine, Armand Colin, 1994, page 23
  10. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, op. cit., pp. 32 et 41
  11. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, p. 32, Perrin, Paris 2005, (ISBN 2-262-02345-X)
  12. Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, pp. 124-125
  13. a et b Pierre Darcourt, Les Héros oubliés d'Indochine, Le Figaro, 8 et 9 mars 1980, p.24
  14. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 63
  15. Philippe Franchini, Les mensonges de la Guerre d'Indochine, p.34 sq, Perrin, Paris 2005, (ISBN 2-262-02345-X)
  16. (fr) Le coup de force du 9 mars 1945
  17. Philippe Grandjean, L'Indochine face au Japon : Decoux-de Gaulle, un malentendu fatal, L'Harmattan, 2004, p. 256
  18. Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, pp. 127-128
  19. a et b Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 64
  20. a b et c Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 187
  21. Entretien sur l'Indochine
  22. Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, p. 125
  23. Claire Lee Chennault, Way of a Fighter: The Memoirs of Claire Lee Chennault, Major General, U.S. Army (Ret.), G.P. Putnam's Sons, New York, 1949
  24. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 219
  25. Laurent Cesari, L'Indochine en guerres, 1945-1993, Belin Sup Prépa, 1995, pages 30-31
  26. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 387
  27. Philippe Devillers, Histoire du Viêt Nam de 1940 à 1952, Seuil, 1952, page 133
  28. Ngô Văn, Viêt Nam 1920-1945. Révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, Nautilus, 2000, page 313-319
  29. Jean Sassi, Opérations Spéciales : 20 ans de guerres secrètes, Nimrod, 2009
  30. Pierre Montagnon, La France coloniale, t.2 : retour à l'Hexagone, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, pages 128 et 133
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  37. Philippe Grandjean, L'Indochine face au Japon : Decoux-de Gaulle, un malentendu fatal, L'Harmattan, 2004, pp. 277-278
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  39. Laurent Cesari, L'Indochine en guerres, 1945-1993, Belin Sup Prépa, 1995, page 32
  40. Pierre Montagnon, La France coloniale, tome 2, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, page 128
  41. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 203
  42. Cecil B. Currey, Vo Nguyên Giap - Viêt-nam, 1940-1975 : La Victoire à tout prix, Phébus, 2003, pages 160-161
  43. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 204 et 225
  44. Déclaration d'indépendance
  45. (en)http://www.arlingtoncemetery.net/apdewey.htm
  46. (fr) Site de l'Amicale des Anciens Commandos du CLI, http://cli.pagesperso-orange.fr/
  47. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 44
  48. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, pages 241-243
  49. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 82
  50. a et b Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 45
  51. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 1, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 243
  52. a et b Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 85
  53. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, Perrin, Paris 2005, p. 111
  54. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 74
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  56. Philippe Franchini, Les mensonges de la guerre d'Indochine, Perrin, Paris 2005, p.38
  57. Jacques Dalloz, La Guerre d'Indochine, Seuil, 1987, page 88
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  59. Jacques Valette, La Guerre d'Indochine 1945-1954, Armand Colin, 1994, p. 41-42
  60. Pierre Montagnon, La France coloniale, tome 2, Pygmalion-Gérard Watelet, 1990, page 133
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