Pile (monument)

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Pile romaine à Labarthe-Rivière (Haute-Garonne).

La pile, dite plus précisément pile romaine, pile gallo-romaine, pile funéraire, est une sorte de tour élevée, de plan carré ou rectangulaire, plus rarement circulaire, constituant un monument funéraire.

Les piles, élevées entre le Ier et le IVe siècle, se retrouvent dans un large sud-ouest de la Gaule romaine avec une forte concentration dans la civitas des Ausques mais leur fonction est longtemps restée une énigme, faute de fouilles approfondies des sites.

Elles portent souvent un nom local, comme « tourasse » ou « tourraque » en Gascogne ou en Languedoc, dérivé du mot « tour ».

Terminologie[modifier | modifier le code]

Le terme de pile, désignant indistinctement toute sorte de construction massive s’apparentant à un pilier, s’est naturellement imposé dans le langage populaire pour ces édifices, ce que relève Camille Jullian en 1896[1]. En Guyenne et Languedoc, on emploie les mots « tourrasse » ou, en Gascogne, « tourraque », augmentatifs occitans de « tour ». Le nom de Peyrelongue (« pierre longue ») habituellement donné aux mégalithes, se retrouve en plusieurs endroits, avec les formes Pirelongue ou Pirelonge (tour de Pirelonge à Saint-Romain-de-Benet, près de Royan). En Saintonge, on trouve les noms de lieux Fana ou Fa, dérivés du latin fanum, « temple » (voir le site gallo-romain du Fâ). Il existe parfois une variante « fanal », qui évoque une tour à signaux mais qui est en réalité une autre évolution du terme fanum. Le toponyme Montjoie, désignant fréquemment l’emplacement d’un monument élevé à un carrefour, se retrouve parfois associé à une pile (pile de la Montjoie à Roquebrune, Gers).

En dehors des régions françaises, on emploie le terme plus générique de mausolée, soit que le caractère funéraire soit demeuré évident par la bonne conservation du monument, soit qu’on lui ait attribué d’autres fonctions : borne, monument commémoratif, etc., qui l’auraient protégé du vandalisme. Un mausolée antique, au sens strict du terme français, est un « monument funéraire grandiose [...] destiné à recevoir la dépouille d'un personnage puissant [...] »[2] ; ce n'est pas le cas des piles qui, dans leur immense majorité, ne sont pas aménagées pour servir de sépulture et qui se rapprochent davantage d'un cénotaphe[3].

Dans l'introduction de l'ouvrage consacré à l'étude des piles du sud-ouest qu'elle publie en 2016, Pascale Clauss-Balty donne une définition très restrictive de la pile, basée sur le type le plus fréquemment rencontré dans le sud-ouest de la France : c'est un monument en forme de tour, massif, sur plan carré ou rectangulaire, pourvu dans sa partie supérieure d'une niche abritant à l'origine une statue[4]. Cette définition exclut des monuments comme la pile de Cinq-Mars ou la tour de Pirelonge (absence de niche), la tourasse d'Aiguillon (plan circulaire) ou la tour de Mézolieux (monument creux pourvu d'une chambre funéraire).

Caractéristiques[modifier | modifier le code]

Schéma d'une pile (façade principale)[5].

Une pile est une tour pleine — Les excavations pratiquées par les curieux au XIXe siècle n'ont jamais révélé la moindre cavité intérieure — quadrangulaire qui se décompose généralement en plusieurs structures dont les dimensions en plan se réduisent au fur et à mesure de l'élévation. Dans la pratique, le plan des piles s'écarte assez souvent de ce schéma-type, certains éléments peuvent être manquants ; un certaine homogénéité dans les construction des piles est toutefois discernable au plan micro-régional[6].

Le massif de fondations, destiné à ancrer le monument dans le sol, est toujours largement débordant par rapport à l'élévation et sa profondeur, en fonction de la qualité du sous-sol et de la hauteur de la pile, varie entre 0,6 et 1,5 m. Généralement dépourvu de parement, il est constitué de blocs cimentés[7].

La soubassement a pour but de surélever le corps de la pile, c'est-à-dire les étages supérieurs, afin d'exposer encore plus le monument à la vue[8]. Il est souvent parementé de la même manière que les étages supérieurs[9].

Le podium est le premier étage ostentatoire de l'édifice et son importance apparaît dans la qualité de son parement et dans les décorations (pilastres, corniches) dont il est parfois pourvu, en tout cas pour les piles les plus grandes. C'est également sur la face principale du podium qu'est fixée la plaque d'inscription portant la dédicace de la pile[10].

Niche, tourraque de Lacouture.

L'édicule est l'élément le plus important de la pile. C'est à ce niveau qu'est installée quand elle existe, la niche qui abrite une représentation du défunt dont veut honorer la mémoire. La construction de l'édicule intègre les mêmes éléments décoratifs que le podium. La niche est souvent terminée en arc en plein cintre, à fond plat ou arrondi. Sa largeur est généralement supérieure à sa profondeur : il n'est pas nécessaire de disposer d'une niche profonde puisque la statue qu'elle recèle doit être installée à l'entrée, bien en vue[11].

La question de la toiture n'est pas résolue, aucune pile n'étant conservée intacte jusqu'à ce niveau. Toutes les formes permettant l'écoulement des eaux sont envisageables, bâtière, pyramide, cône[11].

Décor de la pile de Cinq-Mars.

La maçonnerie fait appel à un noyau en opus caementicium recouvert d'un parement, en petit appareil le plus fréquemment, mais parfois en grands blocs (tour de Pirelonge) ou en briques (pile de Cinq-Mars). Dans le cas d'un parement en pierres, il semble que des enduits de couleurs vives aient parfois été apposés en décoration : il en subsiste des vestiges, par exemple sur la tourraque de Lacouture. Aux Toureilles, c'est grâce à un jeu de moellons de différents couleurs que la pile est décorée[12]. Les panneaux en brique, calcaire et terre cuite de la pile de Cinq-Mars sont sans équivalent connu[13], bien qu'un décor à base de motifs géométriques en argile cuite soit envisagé à Chagnon, même si la pile est disparue[14].

La hauteur moyenne d’une pile, difficile à établir en raison de la dégradation des monuments subsistants, pouvait atteindre ou dépasser une dizaine de mètres. Celle de Cinq-Mars (Indre-et-Loire), la plus haute, atteint 29,50 m. La Tourasse à Aiguillon (Lot-et-Garonne) est de plan circulaire, mais son statut de pile funéraire, quoique probable, n’est pas assuré[15]. La Pyramide de Couhard, à Autun, affecte comme son nom l’indique la forme d’une pyramide romaine, c’est-à-dire assez aiguë.

Il arrive souvent, mais ce n'est pas systématique, que la pile soit accompagnée d'un enclos funéraire à son pied ; en outre, les fouilles sont parfois incomplètes ou anciennes et mal documentées[16]. À Mirande (piles de Betbèze), de nombreuses sépultures sont retrouvées dans et autour de l'enclos, confirmant le rôle de monument funéraire de la pile[17].

Dans plusieurs situations, la découverte d'une villa à proximité de la pile conduit à supposer que c'est la famille du propriétaire décédé de la villa qui a décidé de l'érection de ce monument[18].

Fonction[modifier | modifier le code]

Les piles ont été longtemps qualifiées de « mystérieuses », la connaissance de leur fonction s’étant d’autant plus perdue que leur décor extérieur avait souvent disparu et que les premières fouilles, réalisées au XIXe siècle avec de stechniques perfectibles, étaient souvent partielles.

Bornes[modifier | modifier le code]

Parmi les hypothèses les plus souvent proposées, figurent les « bornes », compte tenu de leur présence le long des voies romaines. Mais, même en tenant compte des édifices disparus, leur nombre n’est pas suffisant pour justifier leur usage systématique dans ce sens, et leur grande taille apparaît quelque peu disproportionnée avec le rôle d’une simple borne. Enfin, certaines piles se trouvaient en dehors des grands axes de circulation. Il est certain qu’en revanche les piles pouvaient servir de repère.

Dans le même ordre d’idées, elles auraient marqué la limite de certains territoires, ou servi d’amer dans les régions côtières[19].

Phares[modifier | modifier le code]

L'assimilation des piles à des phares, liée au terme fanal parfois rencontré, se heurte à une impossibilité technique. Au contraire d'une lanterne des morts, qui est creuse, ce qui permet d'installer un feu à son sommet, une pile est pleine. L'accès au sommet (7 à 24 m) ne peut se faire que par un dispositif extérieur d'escaliers ou d'échelles dont les indispensables points d'ancrage sur la maçonnerie du monument n'ont jamais été signalés[20].

Temples[modifier | modifier le code]

Enfin, on a souvent pensé qu’il s’agissait de temples dédiés à divers dieux, dont Mercure, patron des voyageurs, là encore en raison de leur position près des voies. De nombreuses statues de divinités et d’objets de culte ont été retrouvés aux abords des piles, surtout dans les enclos funéraires associés.

Cependant, le monument usuellement dénommé pile gallo-romaine de la Montjoie s'écarte beaucoup du schéma habituel des piles funéraires et il pourrait s'agir de la cella d'un temple de type fanum.

Monument funéraire[modifier | modifier le code]

Il est communément admis aujourd’hui que les piles sont des monuments funéraires, destinés à célébrer la mémoire de personnages importants. Les tombeaux se trouvaient dans l'enclos entourant la pile et pouvait n'être qu'un élément d'une nécropole plus vaste, comme à Betbèze.

Cette fonction funéraire n’est pas forcément en contradiction avec les diverses hypothèse précédentes, car les tombeaux étaient souvent bâtis aux carrefours, selon les règles mêmes établies par les arpenteurs romains[21], et leurs enceintes, presque toutes disparues, contenaient objets de culte et statues de divinités.

Conservation[modifier | modifier le code]

Lorsque les fouilles ont permis de l'établir, notamment par la découverte de mobilier archéologique associé aux piles, il ressort que les sites de ces monuments, et notamment les enclos funéraires auxquels ils sont rattachés, cessent d'être fréquentés vers la fin du IVe siècle.

Après la christianisation, faute de pouvoir être reconverties en chapelles ou en églises en raison de leur nature massive, elles servent de carrière de pierre ; si le noyau est laissé intact, le parement, composé de pierres de taille régulière, est soigneusement récupéré mais l'époque précise de cette opération n'est pas connue[22]. Certaines ont dû plus tardivement laisser la place à une voie de chemin de fer, une route ou d’autres aménagements, comme la seconde tourraque de Labarthe-Rivière (Haute-Garonne)[23].

Longtemps objets de mystère, à l’origine mal définie, les piles ont été étudiées tardivement, ce qui n'a fait que multiplier et renforcer les légendes au sujet de leur destination.

Localisation[modifier | modifier le code]

Nombre de piles par département français[24].

Les piles se retrouvent dans une grande partie de la Gaule, avec une nette prédominance pour le Sud-Ouest de la France.

Des monuments funéraires dont on peut comparer le principe à celui des « piles » françaises se trouvent aussi en Espagne (Tour des Scipion à Tarragone), en Allemagne (Mausolée d'Igel), en Tunisie (Kasserine, Henchir-em-Naam), en Libye (Ghirza).

Région Centre-Val de Loire[modifier | modifier le code]

Les monuments funéraires d'Indre-et-Loire se distinguent du schéma habituel des piles par la nature de leur parement, briques pour la pile de Cinq-Mars et grand appareil pour la pierre de Faon.

Des fouilles entreprises en 2018 à La Chapelle-Vendômoise mettent au jour une structure composé d'une enceinte de 7,2 m de côté accompagnée d'un massif de maçonnerie d'environ 2 m de côté. Sa fonction funéraire est attestée mais pas sa nature exacte ; il pourrait cependant s'agir d'une pile de petite dimension associée à un enclos et proche d'une villa[25].

Région Nouvelle-Aquitaine[modifier | modifier le code]

Trois piles sont recensées en Charente-Maritime, dont deux encore en élévation, la tour de Pirelonge et la pyramide d'Authon-Ébéon. Il semble que toutes trois étaient parementées en grand appareil, et deux au moins sont associées à un enclos funéraire.

Dans le Lot-et-Garonne, la la Tourasse d'Aiguillon, se distingue par son plan circulaire. La tour de Peyrelongue conserve son parement en petit appareil et sa niche voûtée en cul-de-four.

La pile de Lescar, dans les Pyrénées-Atlantiques, détruite en 1847, était associée à un enclos funéraire et dépendait certainement d'une villa proche[26].

C'est à Vielle-Adour que se trouvait la seule pile connue des Hautes-Pyrénées. Démolie au milieu du XIXe siècle lors de la construction d'une ligne de chemin de fer, elle mesurait alors trois mètres de côté pour une hauteur de 6 m environ[27].

Région Occitanie[modifier | modifier le code]

La pile romaine de Luzenac, seul monument de ce type connu en Ariège conserve des vestiges des enduits colorés dont son parement était revêtu.

Les monuments funéraires gallo-romains recensés dans l'Aude, tour de Mézolieux et monument funéraire gallo-romain de Villelongue-d'Aude, présentent la particularité, non rencontrée ailleurs, de posséder une loge ou chambre funéraire au-dessous de leur niche et destinée à abriter des sépultures, probablement sous la forme d'urnes[28].

Dans la Haute-Garonne, la voie reliant Toulouse à Dax était jalonnée d'au moins cinq piles, dont trois sont encore visibles.

Le département du Gers est le plus riche en piles funéraires : douze sont recensées dont huit encore debout[29], dans des états de conservation très variables et toutes semblent avoir possédé une niche. La fonction de pile de la Montjoie, à Roquebrune n'est pas connue avec précision, il pourrait s'agir d la cella d'un fanum.

Région Provence-Alpes-Côte d'Azur[modifier | modifier le code]

La Tour de la Chèvre d'Or, à Biot, la seule connue dans la région, est très éloignée de la zone géographique où les piles sont les plus fréquentes ; sa fonction de monument funéraire ne fait toutefois pas de doute.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jullian 1896, p. 39-40.
  2. Informations lexicographiques et étymologiques de « mausolée » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
  3. Informations lexicographiques et étymologiques de « cénotaphe » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
  4. Clauss-Balty 2016, p. 9.
  5. Clauss-Balty 2016, p. 180.
  6. Clauss-Balty 2016, p. 198.
  7. Clauss-Balty 2016, p. 189.
  8. Clauss-Balty 2016, p. 217.
  9. Clauss-Balty 2016, p. 179.
  10. Clauss-Balty 2016, p. 181-182.
  11. a et b Clauss-Balty 2016, p. 186.
  12. Clauss-Balty 2016, p. 184.
  13. Marie Bèche, La pile de Cinq-Mars , mémoire de maîtrise en archéologie, vol. 1, Tours, Université François-Rabelais, , 142 p., p. 38.
  14. Auguste-François Lièvre, « Les fouilles de Villepouge - Isis ou la magie en Saintonge au temps des Romains », Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, t. VIII, sér. 2,‎ , p. 105 (lire en ligne).
  15. Pierre Sillières et Georges Soukiassian, « Les piles funéraires gallo-romaines du sud-ouest de la France : état des recherches », Supplément à la Revue archéologique du Centre de la France, no 6 « Monde des morts, monde des vivants en Gaule rurale, Actes du Colloque ARCHEA/AGER (Orléans, 7-9 février 1992) »,‎ , p. 201 (lire en ligne).
  16. Clauss-Balty 2016, p. 195-196.
  17. Clauss-Balty 2016, p. 152.
  18. « Les piles funéraires du Sud-Ouest », dans Jean-Charles Moretti et Dominique Tardy (dir.), L'architecture funéraire monumentale : la Gaule dans l'Empire romain, éditions du CTHS, , 522 p. (ISBN 978-2-7355-0617-0), p. 473-477.
  19. « Les Santons avant et pendant la domination des Romains », Journal de l'Institut historique, vol. III,‎ 1835-1836, p. 258 (lire en ligne).
  20. Édouard Gatian de Clérambault, « La pile de Cinq-Mars », Bulletin de la société archéologique de Touraine, t. I, série 2,‎ , p. 58 (lire en ligne).
  21. Victor Mortet, « Les piles gallo-romaines et les textes antiques de bornage et d'arpentage », Bulletin Monumental, t. LXIII,‎ , p. 549 (DOI 10.3406/bulmo.1898.11179).
  22. Thomas Creissen, « Les mausolées de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge central : entre gestion d’un héritage et genèse de nouveaux modèles », Gallia, t. LXXVI, no 1 « Monumentum fecit : Monuments funéraires de Gaule romaine »,‎ , al. 12 et 70 (DOI 10.4000/gallia.4560).
  23. Clauss-Balty 2016, p. 49.
  24. Clauss-Balty, p. 11.
  25. Fabrice Couvin, Marielle Delémont et Philippe Gardère, « Note sur la découverte d’un petit monument funéraire à proximité d’une villa, à La Chapelle-Vendômoise (Loir-et-Cher) », Revue archéologique du Centre de la France, t. LVII,‎ (lire en ligne).
  26. Clauss-Balty 2016, p. 66.
  27. Clauss-Balty 2016, p. 68.
  28. Clauss-Balty 201-, p. 202.
  29. [1]Découverte des piles gallo-romaines gersoises

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Pascale Clauss-Balty (dir.), Les piles funéraires gallo-romaines du Sud-Ouest de la France, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l'Adour, coll. « Archaia III », , 231 p. (ISBN 978-2-3531-1063-6).
  • Camille Jullian, « La question des piles et les fouilles de Chagnon (Saintonge) », Mémoires de la société nationale des antiquaires de France, t. VII, sér. 6,‎ , p. 39-62 (lire en ligne).
  • Philippe Lauzun, « Inventaire général des piles gallo-romaines du sud-ouest de la France et plus particulièrement du département du Gers », Bulletin Monumental, Caen, Henri Delesques imprimeur-éditeur, t. LXIII,‎ , p. 5-68 (DOI 10.3406/bulmo.1898.11144).

Articles connexes[modifier | modifier le code]