Ernest Labrousse

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Camille-Ernest Labrousse, né le à Barbezieux en Charente et mort le à Paris 5e, est un historien français, spécialiste de l’histoire économique et sociale, militant anarchiste puis socialiste.

Figure de l'école historique française du XXe siècle, dont l'un des courants, centré sur une histoire économique quantitative et une histoire sociale attentive aux structures, est d'ailleurs qualifié de « labroussien », il a dirigé de nombreux historiens et historiennes, comme Pierre Chaunu, Maurice Agulhon, Michelle Perrot, Alain Corbin, Madeleine Rebérioux ou encore Emmanuel Le Roy Ladurie.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse et études[modifier | modifier le code]

Né dans une famille d'artisans, Ernest Labrousse est, en 1911, secrétaire du Groupe d’études sociales de Barbezieux, qui s’affilie à la Fédération révolutionnaire communiste (FRC) rebaptisée Fédération communiste anarchiste (FCA) dont il devient le secrétaire pour l’Ouest de la France avant de rejoindre à Paris l’École de propagande de la FCA[1].

Ernest Labrousse étudie au lycée Élie Vinet, ensuite l'histoire à la Sorbonne en suivant notamment les cours d'Aulard, s'intéresse à l'économie politique quand il prépare son DES en 1913.

Il est incorporé le 18 décembre 1914 au 34e régiment d'infanterie. Il est finalement réformé le 29 juin 1915 par décisions de la commission spéciale de Bordeaux qui sera ultérieurement confirmée[2].

Après l'interruption de la guerre, il s'inscrit à la faculté de droit de Paris en 1919 car son sujet de thèse, La législation sociale révolutionnaire de 1789 à l'an III, l'oblige à bifurquer vers cette filière. Toutefois, en 1926, il réoriente son travail en revenant à l'histoire économique proprement dite.

Parcours professionnel[modifier | modifier le code]

Ernest Labrousse est nommé directeur d'études à la IV° section de l'École pratique des hautes études en 1938, à la demande de Marc Bloch.

Il enseigne également à l'Institut d'études politiques de Paris. Il dispense notamment un cours sur l'histoire du socialisme[3].

Sa bibliothèque personnelle est désormais conservée par la bibliothèque de l'Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.

Il reçoit en 1964 le titre de docteur honoris causa de l'université jagellonne de Cracovie[4].

En 1979 il reçoit le prix Balzan pour l'histoire (ex æquo avec Giuseppe Tucci). Succédant en 1982 à Albert Soboul à la présidence des Annales historiques de la Révolution française, dite « Société des études robespierristes » fondées par Mathiez en 1907, il assure cette charge jusqu'à sa mort. Il est le premier président de la Société d'études jaurésiennes de 1959 à la fin de 1981.

Prises de positions[modifier | modifier le code]

Engagement politique[modifier | modifier le code]

Labrousse, d'une manière très personnelle, est aussi resté toute sa vie un militant socialiste très actif. Journaliste à L'Humanité, adhérent à la SFIO dès 1916, il rejoint le PCF après le congrès de Tours, avant de retourner chez les socialistes en 1925. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il participa à la reconstitution clandestine de la SFIO[5]. Directeur de la Revue socialiste de 1946 à 1954, il dirige brièvement le cabinet de Léon Blum vice-président du conseil en 1948.

Membre du PSU au début des années 1960, il quitte définitivement l'activité politique en 1967 sans abandonner ni son idéal marxiste, ni la défense des droits de l'homme. Influencé par ses engagements, Labrousse ne peut, pour cette raison, être classé comme un membre à part entière de l’École des Annales, même s'il doit à Marc Bloch sa nomination comme directeur d'études à la IV° section de l'École pratique des hautes études en 1938.

Lutte contre le négationnisme[modifier | modifier le code]

En , il fait partie des 34 signataires de la déclaration rédigée par Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet pour démonter la rhétorique négationniste de Robert Faurisson[6].

Apports[modifier | modifier le code]

Tard venu en histoire, Labrousse joue cependant un rôle très important dans l'évolution de l'historiographie française.

Il décide de se consacrer, sous l'influence de François Simiand à l'histoire économique. Publiée en 1933, son Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle réalise une mutation scientifique irréversible dans ce domaine, notamment par les règles rigoureuses qu'il impose à sa méthode de recherche. Celle-ci sert même d'exemple dans d'autres domaines d'analyse historique (démographie, phénomènes socio-culturels etc.).

Succédant à Marc Bloch à la Sorbonne après la guerre (il occupe alors la chaire d'histoire économique et sociale), Labrousse publie en 1944 son ouvrage le plus célèbre, la Crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution. Il y démontre de manière magistrale que l'histoire des prix est inséparable de l'histoire sociale car « le prix du pain est la boussole des fabriques ». Cette étude fait ressortir l'enchaînement des crises de subsistance (qu'on qualifie de modèle de « crise classique » de l'Ancien Régime) mais aussi leurs répercussions sur l'industrie (par la variation de la demande et la pression en retour, à la baisse, sur le volume de l'emploi).

Labrousse a orienté durablement la recherche historique vers l'histoire sociale (cf. le volume d'hommage qui lui a été offert, Conjoncture économique et structures sociales, 1975). Il a mis au point un modèle d'analyse en trois paliers : économique, social et mental. Il est de fait l'inventeur de l'histoire sérielle et quantitative, méthode faisant appel à des outils statistiques ayant eu une grande influence en histoire économique. Ernest Labrousse a influencé de cette façon toute une génération de chercheurs en France et à l'étranger (cliométrie). Ses études, véritable travail de Sisyphe, inachevées pour une bonne part, compte tenu des moyens techniques limités de l'époque où elles ont été amorcées, ont connu un accroissement de perspective lorsque l'ordinateur est venu à la rescousse de l'historien[7].

Il forma toute une génération d'historiens, exerçant son magistère sur une part importante de l'université française. Ayant divisé la France en départements d'étude, il donne à ses étudiants un programme commun : étudier les évolutions économiques et sociales dans la perspective d'une explication de la vie politique. Ce projet amena à une certaine histoire globale de la France, et Pierre Chaunu affirma qu'au début des années 1970 « toute l'école historique française est labroussienne ». Parmi les thèses dirigées par Labrousse, on peut citer :

  • René Baehrel, Une croissance : la Basse-Provence rurale, 1961.
  • Jean Bouvier, Naissance d’une banque : le Crédit lyonnais, 1961.
  • Georges Dupeux, Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1962.
  • Pierre Vilar, La Catalogne dans l’Espagne moderne. Recherches sur les fondements économiques des structures nationales. 1962.
  • Emmanuel Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, 1966.
  • Pierre Deyon, Amiens, capitale provinciale, étude sur la société urbaine au XVIIe siècle, 1967.
  • Bartolomé Bennassar, Valladolid au siècle d’or, 1967.
  • Maurice Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’ancienne Provence, 1968.
  • Adeline Daumard, La bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, 1969.
  • Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, 1970.
  • Paul Bois, Paysans de l’Ouest, des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire, 1970.
  • François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles. Essai de démographie et de psychologie historiques, 1971.
  • Michelle Perrot, Les ouvriers en grève. France 1871-1890, 1971.
  • Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, 1975.
  • Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, 1975[8].

Publications[modifier | modifier le code]

  • Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, 1979 (avec Fernand Braudel).
  • Esquisse du mouvement des prix et des revenus au XVIIIe siècle (1933).
  • La Crise de l’économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, PUF (1944).

Reconnaissance[modifier | modifier le code]

Dans sa préface aux Paysans de Balzac, l'historien Louis Chevalier le cite parmi les historiens-démographes qui « ont trouvé du nouveau à déceler et à utiliser dans cette description de l'économie et des hommes » telle que Balzac l'a chiffrée[9].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Dictionnaire des anarchistes : Ernest Labrousse.
  2. archives départementales de la Charente
  3. Marie Scot, Sciences Po, le roman vrai, Paris/01-Péronnas, Sciences Po, les presses, , 291 p. (ISBN 978-2-7246-3915-5)
  4. (pl) Doktorzy honoris causa, sur le site de l'université jagellonne de Cracovie.
  5. LABROUSSE Ernest, dans Le Maitron
  6. Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Le Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », , 691 p. (ISBN 2-02-035492-6), p. 237.
  7. L'historien Jacques Heers écrit cependant : « Il y a maintenant un demi-siècle, Ernest Labrousse, historien économiste, résolument marxiste, avait […] inventé la théorie des cycles réguliers et enseignait l’alternance des phases A et B, croissance et décroissance. Il alla même, en un second temps, emporté par un zèle cette fois quelque peu excessif, jusqu’à parler de cycles plus courts, à l’intérieur des grands. Les étudiants étaient conviés à bien vérifier, en divers lieux et temps, la régularité de ces cycles et des courbes dessinées après coup. Cela au prix d’acrobaties arithmétiques indicibles, de logarithmes torturés et d’inavouables astuces pour démontrer que les exceptions, de plus en plus nombreuses, ne faisaient que confirmer la règle édictée par le maître. Certes, il savait pertinemment que l’étude de l’évolution des prix n’avait de sens que pour les biens de grande consommation et de qualité constante. Il avait choisi le blé, ayant admis, en l’absence de travaux sur les blés et sans doute ignorant des réalités de la vie rurale, que le froment était toujours égal à lui-même. Or un bon ouvrage sur les trafics de céréales, fondé sur l’étude des documents comptables, ouvrage alors inexistant, lui aurait appris que certaines espèces de froment pouvaient, sur le même marché, coûter jusqu’à 50 % plus cher que les autres. En quelque sorte, on parlait de crus des grains comme pour le vin. Mais nos maîtres historiens statisticiens, qui ne songeaient qu’à chiffrer les hauts et les bas de la conjoncture, jusqu’au moindre frisson, n’en avaient que faire. Toutes leurs courbes des prix, si soigneusement élaborées, étaient fausses. Cela permit pourtant au maître de tirer des conclusions sur l’abondance et la disette, d’affirmer, avec plusieurs autres, que seules les crises économiques étaient aux origines de la Révolution de 1789 […]. » (La Nouvelle Revue d'histoire, n° 46, janvier-février 2010, p. 19.).
  8. C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, Les courants historiques en France. XIXe – XXe siècles, Folio Histoire, 2007, p. 324-325.
  9. Louis Chevalier, préface des Paysans, Gallimard, coll. « Folio classique », 1975, p. 24 (ISBN 2070366758).

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]