Génocide des Héréros et des Namas

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Les combats entre Héréros et Allemands.

Le massacre des Héréros par l’armée allemande, en Afrique du Sud-Ouest, à partir de 1904, est considéré par certains comme étant le premier génocide — avant la lettre — du XXe siècle[1]. Ce massacre a eu lieu dans un contexte de tension entre puissances coloniales européennes, mais aussi dans une série d’actions similaires menées par l’armée allemande entre la fin du XIXe siècle et le début de la Première Guerre mondiale[2].

Contexte international

Dans le dernier quart du XIXe siècle, plusieurs puissances européennes, principalement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie, se lancèrent dans une compétition rude en vue d’étendre (France, Grande-Bretagne), de consolider (Belgique) ou de constituer (Allemagne, Italie) leur empire colonial, principalement en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. En Asie et au Moyen-Orient, ce fut surtout une lutte commerciale, les positions étant en général déjà acquises[note 1] ; c’est en Afrique surtout que la confrontation fut la plus rude, car vers 1880, exception faite du Congo belge et d’une partie de l’Afrique du Nord et de l’Afrique australe, seules les zones côtières étaient sous domination coloniale et 80 % du continent était libre.

La conquête de l’Afrique

Entre 1879 et 1884, plusieurs expéditions commerciales ou militaires et plusieurs missions d’exploration permirent aux quatre pays européens cités, France et Grande-Bretagne au premier chef, d’étendre rapidement leur domination vers l’intérieur des terres, notamment dans l’Ouest et le centre de l'Afrique, en particulier le bassin du Congo. À l’initiative du roi des Belges Léopold II, inquiet pour ses possessions dans ce bassin, une conférence internationale réunissant 14 pays coloniaux fut convoquée à Berlin fin 1884, qui déboucha sur un accord (l’acte général) le .

Les points principaux de cet accord furent :

  • respect des positions acquises à cette date ;
  • liberté de navigation sur le Congo et le Niger ;
  • liberté de commerce dans le bassin du Congo ;
  • liberté de conquête des territoires libres (non colonisés), et liberté d’occupation après notification aux autres puissances signataires de l’acte.

L’essentiel des conquêtes en Afrique continentale se déroule dans les dix années qui suivent la signature de cet acte. La dernière date importante est celle de la crise de Fachoda qui se conclut le par un accord entre la France et la Grande-Bretagne et détermina les zones d’influence de ces deux États, et qui fut des prémices à l’Entente cordiale.

L’invention des camps de concentration

Cette invention est liée à l’histoire coloniale. Le premier pays à créer des camps de concentration au sens où on l'entendait avant la Seconde Guerre mondiale fut l’Espagne, lors de la révolte cubaine de 1896. Ils étaient destinés aux seuls insurgés armés, à l’exclusion du reste de la population.

Le terme lui-même fut inventé trois ans plus tard, lors de la Seconde Guerre des Boers, durant laquelle la Grande-Bretagne créa le modèle des camps d’internement ultérieurs : zone de rétention fermée par une clôture grillagée et protégée par une deuxième clôture formée de rangs de fils de fer barbelés. C’est aussi durant cette guerre que le principe de la déportation et de l’internement de populations entières fut appliqué pour la première fois, les Britanniques enfermant dans ces camps civils comme combattants, des deux sexes et de tous âges.

Lors du même conflit, d'autres éléments récurrents pour ce type de camps furent mis en place : sous-alimentation des personnes enfermées, conditions sanitaires exécrables, travail forcé, qui induisirent une surmortalité importante, notamment chez les enfants.

Le massacre des Héréros, cinq ans plus tard, fut la dernière étape dans la constitution du modèle qui allait servir tout au long du XXe siècle, en Europe et en Asie principalement, à la constitution des camps de concentration à visée d’extermination, en y combinant la sous-alimentation des internés et le travail forcé[3].

Les pratiques de guerre de l’Allemagne

La guerre franco-allemande de 1870 où l’armée allemande eut à faire face à une opposition active de la population civile (levée en masse, apparition de francs-tireurs) conduisit les stratèges de cette armée à envisager d’agir par la coercition préventive à l’encontre des civils lors d’une opération de guerre ou de répression[note 2].

Pratiques coloniales, 1891-1911

Les premières applications de cette stratégie ont lieu dans les colonies allemandes d’Afrique de l’est (1891-1897) puis en Chine, lors de la révolte des Boxers, enfin dans les colonies allemandes d’Afrique de l’ouest, de 1904 jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Le point commun entre ces divers événements est que la répression contre les populations n’est pas directement liée à des situations de conflits ouverts[4] :

  • En Afrique de l'Est, les mesures coercitives, si elles s’inscrivent dans une série de rébellions contre le colonisateur (dès 1888) qui les précèdent, les accompagnent et les suivent, correspond à une volonté du gouvernement allemand d’une reprise en main militaire de la colonie et d’une soumission des populations réfractaires par la force puis, à partir de 1894 et de l’envoi d’un important corps expéditionnaire sous le commandement de Lothar von Trotha, par la terreur.
  • En Chine, la répression violente se déroule après la fin des conséquences de la révolte des Boxers : la coalition des pays coloniaux a repris Pékin et rétabli l’ordre dans les zones de concessions le , mais la répression allemande ne commence qu’en octobre et s’exerce sur toute la population, sans distinction d’âge et de sexe et qu’elle ait ou non participé à l’insurrection.
  • En Afrique de l’ouest, si l’ordre d’exécution ou de déportation des Héréros, sans distinction d’âge ou de sexe, fait suite à une révolte de ce peuple, elle se déroule après et se poursuit sans qu’il y ait de réaction coordonnée contre elle ; dans le même temps, cette politique de coercition générale se dirige contre d’autres populations, notamment au Tanganyika à partir de 1905 (environ 100 000 morts en deux ans) et en Namibie à partir de 1908 (contre les Namaquas).

Considérations générales

Bien que l’Allemagne ait eu des pratiques particulièrement dures lors de la constitution de son empire colonial, elles se placent dans un contexte plus large dont les cas évoqués plus haut de l’Espagne à Cuba et de la Grande-Bretagne en Afrique du sud sont assez représentatifs.

Le génocide de 1904-1911

Prisonniers de guerre héréros.

En 1904, les Héréros furent victimes d'un massacre de grande ampleur, parfois assimilé au premier génocide du XXe siècle, perpétré par les Allemands dans leur colonie du Sud-Ouest africain. Après avoir vainement tenté de rallier à sa cause les chefs des tribus voisines[5], Samuel Maharero soulève seul son peuple contre les colons allemands, le . Il attaque une garnison basée à Okahandja et parvient à détruire les lignes de communication allemandes, chemin de fer et télégraphe. Il se défait également de plusieurs centaines de colons allemands. La répression est menée par le général Lothar von Trotha qui débarque avec d’importantes troupes de renfort. Selon Serge Bilé, le gouverneur Heinrich Göring avait mené entre 1884 et 1890 une politique expéditive de déplacements, d'exécutions et de confiscations[6]. Cependant, ces affirmations et plusieurs autres sont contestables[7],[8] et furent contestées par des historiens comme Joël Kotek, Tal Bruttman et Odile Morisseau[9], d'autant plus que Göring, chargé de représenter l'autorité prussienne avec l'aide de deux fonctionnaires, n'avait fait que signer des traités de protection avec le chef des Héréros Samuel Maharero et avec les Basters de Rehoboth. Son administration, placée sour la protection héréro, était d'ailleurs dépourvue de toute troupe militaire avant qu'un contingent de 21 soldats, commandée par Curt von François, ne débarque dans le Sud-Ouest Africain en 1889 peu de temps avant son retour en Allemagne[10].

C’est le que von Trotha débarque dans le Sud-Ouest Africain. La guerre contre les Héréros fait alors rage depuis cinq mois. En octobre, lors de la bataille de Waterberg, il fait encercler les Héréros de trois côtés ne leur laissant qu’une seule issue pour fuir  : le désert du Kalahari. Alors que les Héréros essayaient d’y trouver refuge, von Trotha fit empoisonner les points d’eau, dressa des postes de garde à intervalles réguliers avec ordre de tirer sans sommation à la vue de chaque Héréro, homme, femme ou enfant. L’ordre officiel d’extermination (Vernichtungsbefehl) du général von Trotha était  : « Chaque Héréro trouvé à l’intérieur des frontières allemandes, armé ou non, en possession de bétail ou pas, sera abattu ».

En quelques semaines les Héréros moururent par dizaines de milliers de soif et de faim dans le désert Omaheke ; selon Serge Bilé[11], il y eut environ 60 000 morts mais la fourchette la plus courante situe ce nombre entre 25 000 et 40 000.

Les survivants furent enfermés dans des camps de concentration inspirés de ceux faits par les Britanniques en Afrique du Sud lors de la révolte des Boers quelques années plus tôt. Les détenus étaient tatoués des lettres GH, pour Gefangener Herero (prisonnier Héréro). Selon Serge Bilé, la moitié des prisonniers seraient morts en captivité, soit 7 862[12].

Le généticien Eugen Fischer procéda à des expérimentations médicales sur les détenus et à des mensurations sur les cadavres dans l’optique anthropologique et eugéniste de l’époque. De retour à Berlin, il fait part du résultat de ses recherches à l’institut d’anthropologie, d’hérédité humaine et d’eugénisme[13].

En 1911, il reste officiellement 15 130 Héréros dans le pays.

On trouve en arrière-plan dans ce massacre tous les éléments constitutifs de ce que furent les génocides du XXe siècle :

  • une volonté politique délibérée menée avec l’accord de l’empereur Guillaume II [réf. nécessaire].
  • des critères raciaux ou ethniques choisis : éliminer les Héréros pour libérer les terres pour les colons allemands et empêcher les mélanges raciaux [réf. nécessaire].
  • une différence colossale de puissance militaire entre les deux parties en présence : les mitrailleuses d’un côté, les armes de jet de l’autre.
  • un nombre massif de victimes, civiles pour l’essentiel, avec femmes et enfants.
  • une organisation « rationnelle » et planifiée du massacre. Au total on estime à 80 000 sur 100 000 Héréros le nombre des victimes dont au moins 25 000 morts directes.
  • une documentation disponible en archives, par le biais des comptes-rendus détaillés des opérations, rédigés par von Trotha et ses subordonnés.

Quand les atrocités de von Trotha furent connues de l’opinion publique allemande, un mouvement de répulsion s’empara de la population, ce qui amena le chancelier Bernhard von Bülow à demander au Kaiser Guillaume II de démettre von Trotha de son commandement ce qui fut fait le . Selon Bilé, l'arrêt des exactions eut pour origine le manque de main d'œuvre dans le pays[11].

Un génocide mal reconnu

Le massacre des Héréros connut une certaine notoriété lors de la discussion à l'ONU du rapport Whitaker (1984) relatif au génocide, sa prévention et sa sanction. L'auteur cite ce massacre parmi sept autres comme exemple des génocides à éviter à l'avenir[14].

Un téléfilm tourné il y a quelques années avait ému l’opinion allemande, alors même que ce massacre, pourtant un des plus importants de l’époque coloniale, est un grand oublié des livres d’histoire, non seulement en Europe, mais aussi en Afrique[15].

En 2004, centième anniversaire, l’événement refait surface dans la presse allemande et soulève une polémique à propos d’une indemnisation possible due à la Namibie.

Le , le ministre fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, participe en Namibie à la commémoration du massacre de plusieurs milliers de Héréros par des soldats du Reich le . « La ministre a demandé au peuple Héréro de Namibie de pardonner l’Allemagne et a déclaré que les Allemands acceptaient leur responsabilité morale et historique et la culpabilité des Allemands à cette époque ». Mais l’indemnisation financière n’est pas à l’ordre du jour. Cependant, le Gouvernement fédéral allemand poursuit son aide au développement en Namibie avec un budget annuel de l'ordre de 11,5 millions d'euros[16].

Voir aussi

Contexte international et colonialisme allemand

Liens externes

Articles connexes

Héréros

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Bibliographie

Notes et références

Notes

  1. L'Empire allemand arracha cependant à la Chine, sous la contrainte, la concession de Tsingtau.
  2. Ces méthodes seront aussi appliquées de manière impitoyable en Belgique en 1914 après la violation de sa neutralité et de son territoire par les troupes allemandes

Références

  1. Le dossier de Tristan Mendès France
  2. Le massacre des Hereros
  3. L'étude de Tristan Mendès France
  4. Lire : L'expansion allemande hors d'Europe Par Ernest Louis P. Tonnelat, A. Colin, 1908
  5. "Toute notre docilité et notre patience envers les Allemands ne nous servent à rien, car chaque jour ils nous fusillent pour rien, écrit-il le aux autres chefs de tribus pour les exhorter à la révolte." Bilé (2005, p.8) citant Diener, Ingolf (2000). Namibie, une histoire, un devenir. Paris : Karthala.
  6. Bilé, p.8.
  7. Biographie de Goering
  8. Voir également Christian Bader, Histoire de la Namibie, 1997, Karthala
  9. notamment dans un article du journal Le Monde du 19 mars 2005
  10. John H. Wellington, South West Africa and its human issues, Oxford University Press, Londres, 1967.
  11. a et b Bilé, p.10.
  12. Bilé, p.11.
  13. La stérilisation des femmes héréros fut notamment menée "pour s'assurer que les rapports sexuels [forcés] qu'elles entretiennent avec les colons ne menace pas la pureté du sang allemand" selon Serge Bilé, p.12.
  14. Benjamin Whitaker, On the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities, 1985 réédité en 1986, UN Document E/CN.4/Sub.2/1985/6.
  15. Namibie : les confessions allemandes : L’Allemagne reconnaît enfin le génocide des Hereros
  16. L'Allemagne demande "pardon" au peuple Herero, Le Nouvel Observateur, 19 août 2004