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Par ailleurs, les [[réseaux sociaux]] font du concept d'"ami" un élément de comparaison sociale. A titre d'exemple, parmi les jeunes utilisant Facebook, nombreux sont ceux qui affirment sentir une certaine pression lorsqu'ils veulent mettre en ligne un contenu, étant donné leur volonté d'avoir beaucoup de "likes" et de commentaires positifs de la part de leurs "amis"<ref>{{Ouvrage|prénom1=NEWMAN, BARBARA|nom1=M.|titre=DEVELOPMENT THROUGH LIFE : a psychosocial approach.|éditeur=WADSWORTH|date=2017|isbn=9781337098144|oclc=958483996|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/958483996}}</ref>. 
Par ailleurs, les [[réseaux sociaux]] font du concept d'"ami" un élément de comparaison sociale. A titre d'exemple, parmi les jeunes utilisant Facebook, nombreux sont ceux qui affirment sentir une certaine pression lorsqu'ils veulent mettre en ligne un contenu, étant donné leur volonté d'avoir beaucoup de "likes" et de commentaires positifs de la part de leurs "amis"<ref>{{Ouvrage|prénom1=NEWMAN, BARBARA|nom1=M.|titre=DEVELOPMENT THROUGH LIFE : a psychosocial approach.|éditeur=WADSWORTH|date=2017|isbn=9781337098144|oclc=958483996|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/958483996}}</ref>. 

En ce sens, la notion d'"ami" sur un réseau social dépasse la cadre de l'amitié traditionnelle. Elle ne repose plus forcément sur une relation directe privilégiée, mais sur une simple reconnaissance interpersonnelle. Par exemple, chaque "ami" sur Facebook fait partie de l'audience qui peut observer les activités en-ligne de l'individu. Chaque publication (texte, photo, vidéo, etc.) permet ainsi de recevoir des commentaires de la part de cette audience et de s'engager dans des processus de comparaison sociale avec eux. Cette comparaison sociale se manifeste notamment à travers les individus les plus fragiles psychologiquement qui seront plus susceptibles de chercher à se rassurer sur leur propre identité par l'intermédiaire de leur communauté d'amis sur les réseaux sociaux. C'est notamment le cas des jeunes qui sont parmi les plus grands utilisateurs de ces réseaux et dont le processus de construction d'identité est encore inachevé.<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Jacqueline|nom1=Nesi|prénom2=Mitchell J.|nom2=Prinstein|titre=Using Social Media for Social Comparison and Feedback-Seeking: Gender and Popularity Moderate Associations with Depressive Symptoms|périodique=Journal of Abnormal Child Psychology|volume=43|numéro=8|date=2015-11-01|issn=0091-0627|issn2=1573-2835|doi=10.1007/s10802-015-0020-0|lire en ligne=https://link.springer.com/article/10.1007/s10802-015-0020-0|consulté le=2017-06-09|pages=1427–1438}}</ref> 


== Notes et références ==
== Notes et références ==

Version du 9 juin 2017 à 22:01

Complicité joyeuse de l'amitié (Kenya).

L’amitié est une inclination réciproque entre deux personnes n'appartenant pas à la même famille. Ignace Lepp pense cependant qu'« il arrive (…) qu'une vraie amitié existe entre frères et sœurs, mais il ne nous semble pas exagéré de dire qu'elle est née non pas à cause de leurs liens de sang, mais plutôt malgré ceux-ci »[1]. Parfois c'est une amitié de groupe.

L'amitié serait en fait synonyme de la philanthropie grecque : l'inclination au vivre-ensemble.

La relation d'amitié est aujourd'hui généralement définie comme une sympathie durable entre deux ou plusieurs personnes. Elle naîtrait notamment de la découverte d'affinités ou de points communs : plus les centres d'intérêts communs sont nombreux, plus l'amitié a de chances de devenir forte.

Elle implique souvent un partage de valeurs morales communes.

Une relation d'amitié peut prendre différentes formes ; l'entraide, l'écoute réciproque, l'échange de conseils, le soutien, l'admiration pour l'autre, en passant par le partage de loisirs.

  • “[…] L’amour fait communiquer et unit ce qui sinon ne se rencontrerait jamais ; la communication fait aimer ce qui sinon ne se rencontrerait jamais” Edgar Morin, dans le tome 1 de « La méthode » (la nature de la nature, 1977), page 256 (Le Seuil, Nouvelle édition, coll. « Points » 1981)

Étymologie

Le substantif féminin[2],[3],[4],[5] « amitié », prononcé [amitje] en français standard[3],[6], est issu du latin[3] vulgaire[2],[5] *amicitatem, accusatif[2],[3] singulier de *amicitas, -tis, altération[2] du latin[2] classique[3],[5] amicitia, -ae, par changement de déclinaison[3].

Histoire de la notion en Occident

Aristote

Aristote distinguait trois sortes d'amitié (philia) :

  • l'amitié en vue du plaisir ;
  • l'amitié en vue de l'intérêt ;
  • l'amitié des hommes de bien, semblables par la vertu.

Pour Aristote, la seule véritable amitié est l'amitié vertueuse. Cette dernière est recherchée par tout homme, même si tout homme ne la rencontre pas nécessairement. Elle peut naître entre deux individus d'« égale vertu » selon le philosophe et se distingue de l'amour en cela que l'amour crée une dépendance entre les individus. Toujours selon Aristote, l'ami vertueux (« véritable ») est le seul qui permet à un homme de progresser car l'ami vertueux est en réalité le miroir dans lequel il est possible de se voir tel que l'on est. Cette situation idéale permet alors aux amis de voir leur vertu progresser, leur donnant ainsi accès au bonheur, notion évoquée dans le dernier livre de l’Éthique à Nicomaque et qui est, pour Aristote, la plus importante[7].

Aristote pose ainsi l'amitié (véritable) comme pré-requis indispensable pour accéder au bonheur.

Cicéron

Au Ier siècle av. J.-C., dans son traité philosophique De l'amitié (en latin Laelius de amicitia), Cicéron a défini l'amitié : « Entente en toutes choses divines et humaines, accompagnée de bienveillance et de charité » [8].

L'amitié courtoise. Les Précieuses. L'égalité des genres. L'amitié hommes/femmes

Les clercs savants de la Renaissance du XIIe siècle ont pour modèle la conception de l'amitié détachée du stoïcisme cicéronien et sénéquien qui s'inscrit comme une voie vers la sagesse[9].

René Nelli que cite Jacqueline Kelen explique dans son livre L'érotique des troubadours : « Les femmes ont longtemps aspiré à être « en amitié », en confiance, avec l'homme, parce qu'elles redoutaient de n'être pour lui qu'un objet sexuel (…) L'amour, en tant que « bienveillance » de l'homme pour la femme, n'a pu prendre conscience de lui-même, en Occident, que lorsque les amants eurent appris, en dehors du mariage, et par une sorte d'analyse idéale, à dissocier la communion animique de l'acte charnel et à spiritualiser, dans l'égalité, leurs relations avec leurs maîtresses sur le modèle de l'amitié masculine[10]. » Elle cite également comme exemples historiques les Précieuses et les femmes tenant salon au XVIIIe siècle. Mais, poursuit-elle, « c'est depuis que la femme a recouvré son statut de personne égale que l'amitié peut se développer entre homme et femme, dans le milieu professionnel et aussi dans la sphère du privé[11]. »

François de Sales

Dans Introduction à la vie dévote (1619) François de Sales écrit :

« L'amour tient le premier rang entre les passions de l'âme : c'est le roi de tous les mouvements du cœur, il convertit tout le reste à soi et nous rend tels que ce qu'il aime. Prenez donc bien garde, ma Philothée, de n'en point avoir de mauvais, car tout aussitôt, vous seriez toute mauvaise. Or l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent être sans communication [échange et participation], mais l'amitié étant totalement fondée sur icelle, on ne peut presque l'avoir avec une personne sans participer à ses qualités [manières d'être]. Tout amour n'est pas amitié car,
1. On peut aimer sans être aimé, et lors il y a de l’amour, mais non pas de l’amitié, d’autant que l’amitié est un amour mutuel, et s’il n’est pas mutuel ce n’est pas amitié ;
2. Et ne suffit pas qu’il soit mutuel, mais il faut que les parties qui s’entr’aiment sachent leur réciproque affection, car si elles l’ignorent elles auront de l’amour, mais non pas de l’amitié.
3. Il faut avec cela qu’il y ait entre elles quelque sorte de communication qui soit le fondement de l’amitié[12]. »

De Montaigne à Teilhard de Chardin

Raphaël, Autoportrait avec un ami, 1517-1519.

Le texte suivant est bien connu mais l'on n'en fait souvent lire que le premier paragraphe :

« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu'accoinctances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l'une en l'autre, d'un meslange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la cousture qui les a joinctes. Si on me presse de dire pourquoy je l'aymoys, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en respondant : Par ce que c'estoit luy, par ce que c'estoit moy[13]. »

Le divin dans l'amitié d'Augustin à Montaigne

En fait, Montaigne écrivait déjà des lignes aussi fortes – sinon même plus fortes – que le célèbre jésuite à propos de la Boétie :

«  Quand Lælius en presence des Consuls Romains, lesquels après la condemnation de Tiberius Gracchus, poursuivoient tous ceux qui avoient esté de son intelligence, vint à s'enquerir de Caius Blosius (qui estoit le principal de ses amis) combien il eust voulu faire pour luy, et qu'il eust respondu : Toutes choses. Comment toutes choses ? Suivit-il, et quoy, s'il t'eust commandé de mettre le feu en nos temples ? Il ne me l'eust jamais commandé, repliqua Blosius. Mais s'il l'eust fait ? adjousta Lælius : J'y eusse obey, respondit-il. S'il estoit si parfaictement amy de Gracchus, comme disent les histoires, il n'avoit que faire d'offenser les Consuls par cette dernière et hardie confession : et ne se devoit departir de l'asseurance qu'il avoit de la volonté de Gracchus. Mais toutesfois ceux qui accusent cette responce comme seditieuse, n'entendent pas bien ce mystere : et ne presupposent pas comme il est, qu'il tenoit la volonté de Gracchus en sa manche, et par puissance et par cognoissance. Ils estoient plus amis que citoyens, plus amis qu'amis ou qu'ennemis de leur païs, qu'amis d'ambition et de trouble. S'estans parfaittement commis, l'un à l'autre, ils tenoient parfaittement les renes de l'inclination l'un de l'autre : et faictes guider cet harnois, par la vertu et conduitte de la raison (comme aussi est il du tout impossible de l'atteler sans cela) la responce de Blosius est telle, qu'elle devoit estre. Si leurs actions se demancherent, ils n'estoient ny amis, selon ma mesure, l'un de l'autre, ny amis à eux mesmes. Au demeurant cette response ne sonne non plus que feroit la mienne, à qui s'enquerroit à moy de cette façon : Si vostre volonté vous commandoit de tuer vostre fille, la tueriez vous ? et que je l'accordasse : car cela ne porte aucun tesmoignage de consentement à ce faire : par ce que je ne suis point en doute de ma volonté, et tout aussi peu de celle d'un tel amy. Il n'est pas en la puissance de tous les discours du monde, de me desloger de la certitude, que j'ay des intentions et jugemens du mien : aucune de ses actions ne me sçauroit estre presentee, quelque visage qu'elle eust, que je n'en trouvasse incontinent le ressort. Nos âmes ont charié si uniment ensemble : elles se sont considerees d'une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l'une à l'autre : que non seulement je cognoissoy la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fié à luy de moy, qu'à moy.  »

Je me fusse certainemement plus volontiers fié à luy de moy, qu'à moy fait nécessairement songer à la parole de saint Augustin sur Dieu : Intimior intimo meo [Dieu m'est plus intime à moi-même que moi-même] [14]. Plus que le patron des amitiés molles et regulieres[modifier] La suite met l'accent sur une dimension que l'on pourrait appeler "extraordinaire" de l'amitié car elle ne s'exprime pas souvent de cette manière : «  (…) à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvas mes si pins, si cognas, si obligez entre nous, que rien des lors ne nous fut si proche, que l'un à l'autre. Il écrivit une Satyre Latine excellente, qui est publiée : par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence, si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé (car nous restions tous deux hommes faits : et lui plus de quelque année) elle n'avoit point à perdre temps. Et n'avoit à se régler au patron des amitiez molles et regulieres, aus quelles il faut tant de precautions de longue et preallable conversation. Cette cy n'a point d'autre idee que d'elle mesme, et ne se peut rapporter qu'à soy. Ce n'est pas une spéciale considération, ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille : c'est je ne sçay quelle quinte-essence de tout ce meslange, qui ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne, qui ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne : d'une faim, d'une concurrence pareille. Je dis perdre à la vérité, ne nous reservant rien qui nous fust propre, ny qui fust ou sien ou mien6. » Le mélange des volontés fait songer à ce que dit Teilhard de Chardin dans Le milieu divin: «  J'ai ardemment goûté la joie surhumaine de me rompre et de me perdre dans l'âme de ceux à qui me destinait la bien mystérieuse dilection humaine.  »

L'amitié et la mort

Montaigne dans ses essais parle de la mort de son ami La Boétie à laquelle il assista longuement. Dans le même registre, une autre des scènes les plus impressionnantes d'amitié dans la littérature, en raison de sa longueur, est sans doute celle du roman de Joseph Malègue, Augustin ou le Maître est là, qui met en présence deux amis de l'École Normale Supérieure reprenant leurs graves discussions intellectuelles sur la foi. Le critique littéraire flamand Joris Eeckhout a écrit dans ses Litteraire profielen que ce « dialogue entre les deux amis devrait pouvoir être reproduit ici in extenso, non pas seulement en raison de son intérêt apologétique mais surtout à cause de sa valeur littéraire : il appartient en effet aux très belles pages de la littérature mondiale[15]. »

Hymne à l'amitié

L'hymne à l'amitié de Jules Romains est célèbre :

On ne sait pas ce que c'est que l'amitié.
On n'a dit que des sottises là-dessus. Quand je suis seul, je n'atteins jamais à la certitude où je suis maintenant. Je crains la mort. Tout mon courage contre le monde n'aboutit qu'à un défi.
Mais, en ce moment je suis tranquille.
Nous deux, comme nous sommes là, avec ce soleil, avec cette âme, voilà qui justifie tout, qui me console de tout.
N'y aurait-il que cela dans ma vie, que je ne la jugerais ni sans but, ni même périssable.
Et n'y aurait-il que cela, à cette heure dans le monde, que je ne jugerais le monde ni sans bonté, ni sans Dieu.
Lorsqu'un fils de l'homme connait un seul jour cette plénitude, il n'a rien à dire contre son destin.

(extrait de Les copains).

Amitié et universalité

Impossibilité de généraliser un sentiment intime

Examinant les différentes formes de mépris social, Axel Honneth distingue, dans Intégrité et mépris[16] : a) les humiliations physiques par le viol ou la torture de la personnalité individuelle, b) l'exclusion sociale c) le mépris pour des formes de réalisation de soi. La première forme est le traitement humain le plus dégradant car dit-il, ce mépris dépouille l'être humain de l'autonomie physique dans son rapport à lui-même et il détruit par là même une composante élémentaire de sa confiance au monde[17]. Une telle destruction exige une forme de reconnaissance que Hegel appela dans sa jeunesse et sa phase romantique l'amour et qui concerne l'amitié.

Les besoins et les affects ne peuvent être confirmés que si on les satisfait directement et par conséquent la reconnaissance doit prendre la forme d'une approbation et d'un encouragement affectifs, ce qui ne se peut que dans une relation de reconnaissance où des personnes en chair et en os se portent des sentiments d'estime particuliers. À partir de là, l'individu peut adopter à son égard une attitude de confiance en soi, notamment dans l'expression de ses besoins et émotions. Ce mode de rapport – dans lequel on peut inclure l'amitié – n'est pas généralisable, notamment parce que ces attitudes ne peuvent être exigibles des individus comme on en peut exiger l'obéissance à la loi, aux valeurs de solidarité, etc. Honneth écrit donc à propos de l'amitié

«  Ce mode de rapport de reconnaissance n'est pas généralisable au-delà du cercle des relations sociales primaires telles qu'elles apparaissent dans les liens affectifs de type familial dans les amitiés ou dans les relations amoureuses. Puisque les attitudes d'affirmation émotionnelle sont liées à des présuppositions de sympathie et d'attrait qui ne sont pas à la disposition des individus, ces attitudes ne peuvent être indéfiniment étendues pour couvrir un nombre toujours plus grand de partenaires d'interaction. Cette attitude de reconnaissance implique donc un particularisme moral qu'aucune tentative d'universalisation ne peut faire disparaître[18][source insuffisante]. »

Agamben et la méconnaissance délibérée de la philia aristotélicienne

Pour précède tout autre partage, parce que ce qu’elle départage est le fait même d’exister, la vie même »[19]. L'amitié précède toute représentation ou conceptualisation :

Qu’est-ce en effet que l’amitié, sinon une proximité telle qu’on ne peut s’en faire une représentation, ni un concept ? Reconnaître quelqu’un comme ami signifie ne pas pouvoir le reconnaître comme « quelque chose ». On ne peut pas dire « ami » comme on dit « blanc », « italien », « chaud » — l’amitié n’est pas la propriété ou la qualité d’un sujet.

Son extrême proximité, sa coextensivité avec le sentiment d'exister, qu'Agamben appelle un « con-sentir », expliquerait l'incapacité des philosophes à en prendre la mesure, comme l'illustre sa présence même dans le termehe[Quoi ?] et Derrida, il aurait été délibérément problématisé, pour des raisons « stratégiques ». Diogène Laërce, dans ses Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres rapporte un propos d'Aristote qui, selon Derrida et Nietzsche, serait énigmatique et paradoxal à dessein :

ô philoi, oudeis philos
« mes amis, il n'y a pas d'amis »

Or, Agamben souligne que ni Nietzsche, philologue de formation, ni Derrida, qu'Agamben avait contacté à ce sujet[20], ne pouvaient ignorer que le véritable propos d'Aristote était bien plus intelligible qu'ils ont voulu le faire croire. Une fois la coquille corrigée, comme le philologue Isaac Casaubon l'avait fait dès 1616,

hô philoi, oudeis philos
« celui qui a beaucoup d'amis, il n'a pas d'amis »

le propos devient conforme au style et au propos d'Aristote dans livres huit et neuf de l'Éthique à Nicomaque :

Ceux qui ont beaucoup d’amis et se lient intimement avec tout le monde passent pour n’être réellement amis de personne (excepté quand il s’agit du lien qui unit entre eux des concitoyens), et on leur donne aussi l’épithète de complaisants. Pour l’amitié entre concitoyens, il est assurément possible d’être lié avec un grand nombre d’entre eux sans être pour autant complaisant et en restant un véritable homme de bien. Toujours est-il qu’on ne peut pas avoir pour une multitude de gens cette sorte d’amitié basée sur la vertu et sur la considération de la personne elle-même, et il faut même se montrer satisfait quand on a découvert un petit nombre d’amis de ce genre. (Éthique à Nicomaque, Chapitre 10, Livre IX.)

Agamben, au moyen d'une analogie avec les mécanismes de l'insulte, explique les raisons du malaise des philosophes : « le terme « ami » partagerait cette condition, non seulement avec les insultes, mais aussi avec les termes philosophiques dont on sait bien qu'ils n'ont pas une dénotation objective mais, qu'à la manière des termes que les logiciens médiévaux définissaient comme des « transcendants », ils signifient tout simplement l'être ».

En Orient

La vision orientale et spécialement japonaise de l'amitié s'exprime par la notion d'amae. C'est pour cela que l'amitié est aussi vécue et utilisée dans la dynamique d'entreprise (voir les articles connexes "Toyota", esprit d'équipeetc.). De plus, on observe, que même l'amitié est mêlée à l'honneur, qui est un sentiment très présent au Japon.

Les langues orientales soulignent l'importance fondamentale, en Extrême-Orient, de la relation entre deux personnes, des points de vue culturels, industriels et religieux (voir Yin-Yang et le duel).

Approche socioéconomique et « amitiés entre les peuples »

Gravure de William Blake représentant allégoriquement l'Europe soutenue par l'Afrique et l'Amérique (1796), illustrant un ouvrage de John Gabriel Stedman racontant une expédition de 5 ans (1772 à 1777) au Guyana contre les esclaves noirs révoltés du Suriname[21] Cette image sensuelle loin d'évoquer la violence des répressions contre les esclaves, appelle un idéal d'amitié entre les peuples, mais son titre montre aussi la conscience de la dépendance économique de l'Europe à l'égard des ressources de ces deux continents

L'amitié entre les peuples est souvent évoquée - depuis le XIXe siècle surtout - dans le cadre d'alliances politiques, militaires, commerciales ou économiques, que dans des contextes plus altruistes. Elle est par exemple portée par des organisations caritatives, des ONG (médecins sans frontières, vétérinaires sans frontière…), des associations de migrants, des institutions telle que l'ONU, l'UNESCO, ou par les églises missionnaires. La création de l'Union Européenne a d'abord eu une base économique, et vise toujours explicitement le développement de sa compétitivité, mais les échanges d'étudiants (programme Erasmus) évoquent cette notion, qui était aussi au cœur de l’internationale socialiste et du projet d'internationale communiste, non sans ambiguïtés parfois.

Du point de vue asiatique, les relations humaines sont si importantes au cœur de l’économie qu’il existe un mot pour les désigner au Japon : nemawashi.

L'amitié entre les peuples ne s'adresse pas qu'aux relations entre pays, mais aussi entre individus d'origines différentes dans un même pays, ainsi le sigle MRAP signifie-t-il en France : Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples.

Approche socioculturelle

Le fonctionnement socio-économique ci-avant défini peut sembler « idéal ».

La mondialisation a accru la compétition entre les économies et les pays, ainsi que les inégalités. Dans le même temps, les forums sociaux et diverses ONG continuent à porter l'idée d'amitié entre les peuples. Évoquer l’amitié des peuples sous l’angle ethno-sociologique ne suffit pas à rendre compte de la réalité des faits. Ainsi, l’importance de l’amitié, au cœur du processus de construction européen, a-t-elle été ratifiée par traité entre Français et Allemands, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : c'est l'amitié franco-allemande.

Amitié et réseaux sociaux

L'arrivée des réseaux sociaux dans nos vies quotidiennes est venue perturber la façon donc les gens interagissent. D'après Whitney Erin Boesel, nous sommes confrontés à une quantité d'information venant de nos amis bien plus importante qu'auparavant. Suivre ce que nos contacts ont publié demande une réelle implication et traiter le flux de données entrant demande de l'effort, en tant qu'ami, pour être à l'écoute. À l'inverse, il est devenu bien plus facile de rendre une information disponible à un grand nombre de personnes. Nous faisons donc face une dévolution de l'amitié, il fait maintenant parti des responsabilités d'un ami de devoir s'investir pour se tenir au courant de nos informations, mais aussi de partager du contenu pour rester visible.

D'autre part, on assiste également à une dépersonnalisation de l'amitié. Le changement des modes de communications fait que de plus en plus, on s'adresse à nos amis, et moins à quelques amis en particulier. De ce fait, « on peut imaginer que les potentialités des réseaux sociaux peuvent affecter la façon dont l'on perçoit l'amitié, et plus généralement nos obligations vis-à-vis de nos amis »[22].

C’est ce que développe Danah Boyd, chercheuse au département Data & Society chez Microsoft[23], dans son article « Friends, Friendsters and Top 8 : writing community into being on social network sites »[24]. On perd en quelque sorte le côté humain des relations en rangeant toutes nos connaissances dans un même panier : nos amis, alors que l’amitié réelle est une position spéciale d’un groupe restreint de nos connaissances. MySpace avait voulu pallier cela en instaurant un "Top 8" des amis sur les profils de chaque utilisateur. Malheureusement cela a créé un certain nombre de disputes et d’angoisses.

Danah Boyd a alors cherché à comprendre pourquoi les utilisateurs des réseaux sociaux avaient autant d’amis alors qu’ils ne se sentent proche véritablement que d’une portion. Après avoir recueilli plusieurs avis elle a pu dresser la liste suivante :

  1. Qualifié de véritable ami en dehors des réseaux sociaux.
  2. Connaissance, famille, collègue.
  3. Ça ne paraîtrait pas approprié de dire non car on connaît la personne.
  4. Avoir beaucoup d’amis vous rend populaire.
  5. Un moyen de dire qu’on s’intéresse à quelqu’un (célébrité, groupe de musique, etc.).
  6. Votre liste d’amis révèle qui vous êtes.
  7. Leur profil est cool alors vous deviendrez cool aussi en devenant amis.
  8. Être connecté à plus de personnes permet d’en voir encore plus.
  9. C’est le seul moyen de voir d’accéder aux détails du profil des autres.
  10. Devenir amis augmente le nombre de publications que l’on peut voir.
  11. Vous voulez que les autres accèdent à votre profil.
  12. On peut plus facilement retrouver quelqu’un depuis la liste d’amis.
  13. C’est plus facile d’accepter que de refuser.

D'un point de vue légal en France, le fait que certains réseaux sociaux comme Facebook nomment les contacts « amis » n'implique pas que les personnes soient considérées comme des « amis » au sens courant :

« le terme d’“ami” employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme. »

— Cour de cassation, arrêt du 5 janvier 2017

Le fait d'être « ami » sur un réseau social avec une autre personne n'est donc pas considéré comme pouvant induire une partialité particulière[25],[26].

Par ailleurs, les réseaux sociaux font du concept d'"ami" un élément de comparaison sociale. A titre d'exemple, parmi les jeunes utilisant Facebook, nombreux sont ceux qui affirment sentir une certaine pression lorsqu'ils veulent mettre en ligne un contenu, étant donné leur volonté d'avoir beaucoup de "likes" et de commentaires positifs de la part de leurs "amis"[27]

En ce sens, la notion d'"ami" sur un réseau social dépasse la cadre de l'amitié traditionnelle. Elle ne repose plus forcément sur une relation directe privilégiée, mais sur une simple reconnaissance interpersonnelle. Par exemple, chaque "ami" sur Facebook fait partie de l'audience qui peut observer les activités en-ligne de l'individu. Chaque publication (texte, photo, vidéo, etc.) permet ainsi de recevoir des commentaires de la part de cette audience et de s'engager dans des processus de comparaison sociale avec eux. Cette comparaison sociale se manifeste notamment à travers les individus les plus fragiles psychologiquement qui seront plus susceptibles de chercher à se rassurer sur leur propre identité par l'intermédiaire de leur communauté d'amis sur les réseaux sociaux. C'est notamment le cas des jeunes qui sont parmi les plus grands utilisateurs de ces réseaux et dont le processus de construction d'identité est encore inachevé.[28] 

Notes et références

  1. Ignace Lepp, Les chemins de l'amitié, Paris, Grasset, 1964, p. 134. Il ajoute un peu plus loin que la chose peut exister entre un parent et son enfant
  2. a b c d et e « Amitié », dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 21 mai 2017].
  3. a b c d e et f Informations lexicographiques et étymologiques d'« amitié » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 21 mai 2017].
  4. Entrée « amitié », dans Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, t. 1er : A – C, Paris, Hachette, , LIX-944 p., gr. in-4o (32 cm) (OCLC 457498685, BNF 30824717, SUDOC 005830079, lire en ligne [fac-similé]), p. 131, col. gauche (lire en ligne [fac-similé]) [consulté le 21 mai 2017].
  5. a b et c Entrée « amitié » des Dictionnaires de français, sur le site des éditions Larousse [consulté le 21 mai 2017].
  6. Modèle:En+fr Entrée « amitié » du Dictionnaire bilingue français – anglais, sur le site des éditions Larousse [consulté le 21 mai 2017].
  7. Penser l'amitié au Moyen Âge. Étude historique des commentaires sur les livres VIII et IX de l'Éthique à Nicomaque (XIIIe-XVe siècle ), Brepols, , 485 p..
  8. 3 Lettres sur l'amour, commenté par Denis Kambouchner pour l'édition de 2010 aux Mille et Une Nuits (ISBN 978-2-75550-720-1) (note 66, p. 79).
  9. Martin Aurell, Le Chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles, Fayard, , p. 107.
  10. Cité par Jacqueline Kelen Aimer d'amitié, Laffont, Paris, 1992, p. 98-99.
  11. Jacqueline Kelen, op. cit., p. 98.
  12. TROISIÈME PARTIE.
  13. En français d'aujourd'hui : Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. Montaigne, De l'Amitié.
  14. voir ce texte où Augustin, prolonge Heidegger.
  15. (nl) Nederlands « Den dialoog tusschen de twee vrienden zou men hier in extenso moeten kunnen aanhalen, niet alleen om zijn apologetisch belang maar vooral om zijn litteraire waarde : hij behoort inderdaad tot de practhbladzijden der wereldlitteratuur » : Joris Eeckhout, Litteraire profielen, Standaard Boekhandel, Brussel, 1945, p. 80.
  16. (de)Axel Honneth, Integrität und Missachtung, mercur, 501, 1993, p. 1043-1054. Une traduction française dans Intégrité et mépris : Principes d’une morale de la reconnaissance, in Recherches sociologiques, Volume XXX, numéro 2, 1999. Cette traduction se retrouve également ici en lignes en extraits chez Pierre Ansay.
  17. A.Honneth, op. cit.
  18. Ibidem
  19. Giorgio Agamben, L'amitié, Rivages poche, Petite bibliothèque, no 584 Traduit de l'italien par Martin Rueff.
  20. « Or, comme j'avais tout de suite informé Derrida du résultat de mes recherches, j'ai été frappé, quand le livre fut publié sous le titre Politiques de l'amitié, de n'y trouver aucune trace de ce problème. Si la formule (apocryphe selon les philosophes modernes) y figurait sous sa forme originaire, ce n'était certes pas en raison d'un oubli : il était essentiel, dans la stratégie du livre, que l'amitié fût à la fois affirmée et remise en question. »
  21. (en)Five Years' Expedition against the Revolted Negroes of Surinam in Guiana on the Wild Coast of South America; from the Year 1772 to 1777… 2 vols.
  22. The Society Pages, « Social Media and the Devolution of Friendship: Part II - Cyborgology », sur thesocietypages.org (consulté le )
  23. (en) « Danah Boyd » (consulté le )
  24. (en) Danah Boyd, « Friends, Friendsters, and Top 8: Writing community into being on social network sites », First Monday, vol. 11,‎ (ISSN 1396-0466, lire en ligne, consulté le )
  25. Cour d'appel de Lyon, 11 mars 2014, arrêt 13/00447
  26. « Un « ami Facebook » n’est pas automatiquement un « ami », selon la Cour de cassation », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  27. NEWMAN, BARBARA M., DEVELOPMENT THROUGH LIFE : a psychosocial approach., WADSWORTH, (ISBN 9781337098144, OCLC 958483996, lire en ligne)
  28. (en) Jacqueline Nesi et Mitchell J. Prinstein, « Using Social Media for Social Comparison and Feedback-Seeking: Gender and Popularity Moderate Associations with Depressive Symptoms », Journal of Abnormal Child Psychology, vol. 43, no 8,‎ , p. 1427–1438 (ISSN 0091-0627 et 1573-2835, DOI 10.1007/s10802-015-0020-0, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

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Bibliographie

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