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Scission du Luxembourg

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Plusieurs rues portent le nom de « deux Luxembourg », eut égard à la scission du Grand-duché, comme ici à Athus (commune d'Aubange), en Belgique.

La scission du Luxembourg, formalisée par le troisième traité de Londres le , désigne la séparation du Grand-duché de Luxembourg en deux parties : l'une revenant à la Belgique (la province de Luxembourg) et l'autre rendue à la monarchie néerlandaise de la maison d'Orange-Nassau, son propriétaire initial, qui dispose de ce territoire à titre personnel et héréditaire depuis le congrès de Vienne de 1815. Ces terres formaient alors une union personnelle avec les Pays-Bas : Guillaume Ier étant, à l'époque, à la fois grand-duc de Luxembourg et roi des Pays-Bas.

Cette scission prend ses racines après la révolution belge lorsque, le , le gouvernement provisoire de Belgique proclame unilatéralement l'annexion de l’ensemble du Grand-duché au nouvel état fraichement indépendant du Royaume uni des Pays-Bas[1]. Un premier traité fut d'abord signé dès 1831 par les puissances européennes, réunies lors de la conférence de Londres, à l'exception notable des Pays-Bas. Celui-ci reconnaissait les frontières de la Belgique telles que déclarées lors de son indépendance, mais laissaient toutefois la « question du Luxembourg » à des négociations ultérieures[2] entre le futur roi des Belges, celui des Pays-Bas et la confédération germanique, dont le Grand-duché était un état membre. Cependant, la guerre belgo-néerlandaise décrédibilisant la jeune Belgique, un deuxième traité fut signé la même année à Londres, dans lequel les puissances organisaient en réagencement territorial et le partage du Luxembourg selon une frontière qui demeure encore aujourd’hui la frontière entre la Belgique et le Luxembourg. Mais, une nouvelle fois, Guillaume Ier refusa de le ratifier, espérant toujours reconquérir ses terres. Il fallut attendre 1839 et le troisième traité pour que la scission s’opère de facto selon les termes établis huit années auparavant.

La scission du Luxembourg a pour particularité d'être opérée sur base de critères linguistiques : la partie occidentale, de langues romanes, revenant à la Belgique, tandis que la partie orientale, de langues germaniques, demeurant luxembourgeoise, à l'exception notable du Pays d'Arlon, pourtant de patois luxembourgeois, mais rattaché à la Belgique pour des raisons politiques. Après neuf siècles de vie commune, le peuple de l'ancien comté puis duché de Luxembourg est donc séparé, malgré de vifs débats au parlement belge.

Elle s'opéra en même temps que la scission du Limbourg, dont une partie fut rendue aux Pays-Bas, amputant le territoire belge des 2 209,22 km2 de ce qui deviendra plus tard la province néerlandaise du Limbourg et des 2 586,4 km2 de l'état indépendant du Luxembourg tel qu'il existe aujourd'hui, ce inclus la forteresse de Luxembourg qui joua un rôle majeur dans les négociations.

Formation d'un « Grand-duché »

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Les anciens duchés et principautés de l'époque médiévale furent abolis lors de l'annexion française de 1795, mais servirent de base à la création des « départements réunis », dont le département des Forêts.

La formation territoriale du Luxembourg d'avant sa scission, date de l'annexion française à la première république en 1795. En effet, c'est à ce moment qu'est créé le département des Forêts, qui voit ses frontières basées sur celles de l'ancien duché de Luxembourg, amputées de certains territoires à l'est de la Moselle, de l'Our et de la Sûre, mais agrémentées de ceux de l'ancienne République bouillonnaise. Dès 1802, le département est divisée en quatre arrondissements et en vingt-huit cantons.

A la fin des guerres napoléoniennes et du Premier Empire, les puissances européennes victorieuses déclarent les anciens territoires annexés par la France « vacants ». Afin de déterminer l'attribution de ces terres et de redessiner les cartes de l'Europe, les vainqueurs (et la France) se réunissent lors du congrès de Vienne dès 1814. Légitimement, les anciens Pays-Bas autrichiens (y compris le duché de Luxembourg) reviennent à la maison de Habsbourg[3]. Mais ces derniers, peu soucieux de récupérer des terres trop éloignées de leur capitale, Vienne, s’empressent de les négocier contre la Vénétie et la Lombardie, contigus à l’empire d'Autriche sur lequel ils règnent.

Les puissances souhaitant disposer d'un rempart contre les éventuelles nouvelles ambitions expansionnistes françaises[4], décident de créer un nouvel état, « tampon » entre la France et la Prusse. C'est ainsi que, le , le royaume uni des Pays-Bas voit le jour avec, comme souverain, Guillaume Ier de la maison d'Orange-Nassau. En plus de ce royaume, Guillaume reçoit de nouveaux territoires à titre personnel en échange de la cession à la Prusse des principautés d'Orange-Nassau, situées près de Coblence. Ces nouvelles possessions, situées directement au sud de son royaume, sont réunies sous la forme d'un grand-duché : le grand-duché de Luxembourg. Celui-ci est également rattaché à la confédération germanique, ce qui permet notamment à la Prusse d'obtenir le droit maintenir une garnison de son armée dans la forteresse de Luxembourg, qui est alors une place forte stratégique essentielle. Guillaume 1er devient donc grand-duc du Luxembourg et roi des Pays-Bas, les deux territoires formant alors une union personnelle.

La délimitation territoriale du nouveau Grand-duché se fit sur base du département des Forêts, mais avec plusieurs modifications notables. D'une part sur la frontière orientale, où plusieurs territoires furent accordés au Grand-duché du Bas-Rhin, selon l'article 25 du congrès de Vienne signé le [5] qui formalise les frontières du royaume de Prusse et ce qui est, encore aujourd'hui, la frontière entre l'Allemagne et le Luxembourg. D'autre part, des ajouts furent réalisés dans la partie occidentale, en provenance de l'ancien département de Sambre-et-Meuse (arrondissement de Marche-en-Famenne et arrondissement de Saint-Hubert).

Le Grand-duché de Luxembourg est alors un territoire d'environ 7 000 km2 peuplé par 300 000 habitants, où la langue officielle est le néerlandais mais où deux grands types de dialectes sont parlés : les patois wallons et lorrains, dans la partie francophone à l'ouest, ainsi que les patois luxembourgeois et allemands dans la partie germanophone, à l'est. La langue véhiculaire de la bourgeoisie demeure toutefois le français.

Révolution belge

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Le Grand-duché de Luxembourg formait une union personnelle avec le Royaume uni des Pays-Bas de Guillaume Ier d'Ornage-Nassau.

Au fil des années, Guillaume Ier est de plus en plus décrié dans les Pays-Bas méridionaux ainsi que dans le Grand-duché qu'il traite comme l'une des dix-huit provinces de son nouveau royaume. Il le soumet en effet à la loi fondamentale ainsi qu'à l'administration du royaume uni des Pays-Bas et lui confère d'ailleurs une représentation aux États provinciaux ainsi qu'un gouverneur. Le mariage forcé entre les différents peuples du royaume ne se passe pas comme prévu, tant d'un point de vue religieux (majorité catholique au sud et protestante au nord), social (l'imposition du néerlandais comme seule langue officielle), que politique, avec de fort avantages octroyés aux « hollandais », notamment dans l'armée.

Ces différentes tensions mènent à la Révolution belge qui éclate dès le à Bruxelles et déclenche la guerre belgo-néerlandaise. Le peuple luxembourgeoise se rallie majoritairement aux révolutionnaires à l'exception notable d'un bastion « orangiste », dans la ville de Luxembourg, protégée par sa forteresse où réside une garnison mixte de troupes néerlandaises et prussiennes. On voit en effet apparaitre des drapeaux belges et brabançons dans un certain nombre de localités grand-ducales[6]. Le 30 septembre, la garnison d'Arlon quitte la ville et le 2 octobre c'est au tour de celle de Bouillon de se replier.

Le , un corps franc luxembourgeois est constitué à Luxembourg-ville par Jean-Bernard Marlet, Théodore Pescatore et Dominique Claisse[7], et s'en va participer aux batailles visant à repousser l'armée néerlandaise vers la frontière des Pays-Bas[8].

Le , les huit[9] provinces du sud déclarent « l'indépendance du peuple belge, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique. »[10]

Annexion à la Belgique

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Le territoire belge tel que proclamé comme indépendant du royaume uni des Pays-Bas par le gouvernement provisoire de Belgique en 1830, avec l'annexion du Grand-duché de Luxembourg dès le 16 octobre.

Le le gouvernement provisoire de Belgique déclare unilatéralement l'annexion du Grand-duché de Luxembourg et décide d'en faire la neuvième des provinces de Belgique : la province de Luxembourg[1].

Néanmoins, un problème majeur se pose : le chef-lieu et la plus grande ville du grand-duché, Luxembourg-ville est défendue par sa célèbre forteresse où réside une garnison conjointe des armées néerlandaises et prussiennes, selon les accords conclus avec la confédération germanique, dont le Luxembourg demeure un état-membre. Cela empêche le contrôle de la ville où, de surcroit, nait une contre-révolution issue d'un mouvement « orangiste », soutenu, entre autres, par le gouverneur du Luxembourg de l'époque, Jean-Georges Willmar. La Belgique décide alors de délocaliser temporairement le chef-lieu dans une autre ville et, après plusieurs hésitations, c'est Arlon, ville de langue vernaculaire luxembourgeoise (l'Areler), qui est choisie[11]. Un arrêté lui transfère le siège de l'administration provinciale ainsi qu'un nouveau gouverneur provincial, fidèle aux idées belges : Jean-Baptiste Thorn[12].

D'un point de vue international, le , la conférence de Londres adopte le protocole n°24 qui envisage l'achat du grand-duché de Luxembourg par la Belgique à Guillaume d'Orange-Nassau. Un premier traité est alors signé par les grandes puissances, à l'exception des Pays-Bas, le  : le traité des XVIII articles, reconnaissant tacitement l'annexion du Luxembourg puisqu'il reconnait les frontières de la Belgique telles que proclamées par le gouvernement provisoire. L'article 3 précise néanmoins que[2] :

« Les cinq puissances emploieront leurs bons offices pour que le statu quo dans le grand-duché de Luxembourg soit maintenu pendant le cours de la négociation séparée que le souverain de la Belgique ouvrira avec le roi des Pays-Bas et avec la Confédération germanique, au sujet dudit grand-duché, négociation distincte de la question des limites entre la Hollande et la Belgique. »

Toutefois, ce traité ne fut jamais reconnu par Guillaume Ier qui, dès après la prestation de serment du premier roi des Belges, Léopold Ier, le , repart à l'offensive lors de la Campagne des dix-jours qui vise à récupérer ses territoires. Cette campagne se solde par un échec néerlandais uniquement grâce à l'intervention d'une armée expéditionnaire française, ce qui décrédibilise la Belgique, vue comme étant incapable de défendre son propre territoire et les places fortes majeures, notamment celles de Luxembourg et de Maastricht. Cette particularité d'« état tampon » demeurant chère tant aux Français qu'aux Prussiens.

Déroulement

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La scission du Luxembourg s’opéra sous le Gouvernement de Theux I, bien qu'elle date du traité des XXVII articles du , alors sous le mandat du gouvernement de Mûelenaere.

Débats parlementaires

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Les débats au Parlement débutèrent le et se conclurent par le vote en faveur de la signature du traité le 19 mars.

Lors de la séance du à la Chambre des Représentants, Jean-Baptiste Nothomb, député luxembourgeois originaire de Messancy surprend l'opinion avec un discours en faveur de la signature du traité en la justifiant, en partie, de la sorte[13] :

« (...) Recherchons donc ce que l’on peut faire en refusant l’adhésion.

La seule idée qui se présente, c’est la guerre, et même la guerre immédiate.

La guerre immédiate, je suis embarrassé de définir ce système, bien que ce soit, hors le parti de la guerre, le seul logique. La guerre, et contre qui ? La guerre, et avec quelles chances de succès ? la guerre, et par quels moyens ? Vous avez contre vous la Hollande, contre vous la confédération germanique, contre vous les cinq puissances ; à qui de préférence déclareriez-vous la guerre ? Vous vous jetteriez dans le Brabant septentrional ; vainqueurs, il vous restera encore à vaincre la confédération germanique et à faire reconnaître les résultats de votre victoire par les cinq puissances. (...) »

Le , les députés de la Chambre des représentants votent pour l'adoption du traité des XXIV articles avec les termes suivants[14] :

« Le Roi est autorisé à conclure et à signer les traités qui règlent la séparation entre la Belgique et la Hollande, en conformité desdits actes en date du 23 janvier 1839, sous telles clauses, conditions et réserves que Sa Majesté pourra juger nécessaires ou utiles dans l’intérêt du pays. »

Sur les 100 membres qui prennent part au vote, 58 votent pour l’adoption et 42 votent contre. Parmi les députés votant « pour » se trouve Jean-Baptiste Nothomb, luxembourgeois né à Messancy qui avait été, jusque là, fervent défenseur des belges et des luxembourgeois et dont le vote fut pris comme une trahison dans le Grand-duché[15].

Le député Alexandre Gendebien signe « contre » en lançant une phrase restée célèbre[16] :

« Non, 380000 fois non pour 380000 Belges que vous sacrifiez à la peur ! »

. Immédiatement après le vote, il présente sa lettre de démission et quitte l'assemblée

Délimitation d'une frontière

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Carte recensant les langues germano-néerlandaises en Europe, où l'on peut voir la frontière linguistique luxembourgeoise.

Particularité du Pays d'Arlon

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Première officialisation

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Application

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Genèse du projet de scission

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Conséquences

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Géographiques

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Le tracé de la frontière entre la Belgique et le Luxembourg coupa le village de Martelange en deux le long de l'actuelle route nationale 4. Coté occidental, Martelange demeura belge tandis que les bâtiments situés côté oriental formèrent le village désormais luxembourgeois de Rombach-Martelange (commune de Rambrouch).

Territoriales

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La borne frontière n°1 au tripoint Belgique-France-Luxembourg (Athus / Mont-Saint-Martin / Rodange) date de 1843.

La frontière entre la Belgique et le Luxembourg fut définitivement entérinée en 1843, notamment par l'installation des bornes frontières la délimitant.

Réactions politiques

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Démissions

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De nombreux hommes politiques réagirent avec virulence au démantèlement de la Belgique, par le traité des XXIV articles dont la scission du Luxembourg et celle du Limbourg demeuraient les principales conséquences démographiques et géographiques. Plusieurs d'entre eux, dont des ministres importants du gouvernement de Theux I, préférèrent la démission[17] plutôt que d'approuver la signature du traité. Parmi eux, dès le  :

  • Le , le député Alexandre Gendebien démissionne immédiatement après le vote d'approbation par la Chambre en faveur de la signature du traité (par 58 voix contre 42) et quitte les lieux dans la foulée.

Traces et liens actuels

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Notes et références

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  1. a et b « Le Palais provincial luxembourgeois. », sur gouverneur-luxembourg.be .
  2. a et b « Protocole du 20 janvier 1831 et Projet de traité du 26 juin 1831 (traité des XVIII articles). », sur mjp.univ-perp.fr.
  3. Jean-Marie Kreins, La genèse de l'état. La dynastie Orange-Nassau (1815-1890), Presses universitaires de France., (ISBN 2130583571), Chapitre IV
  4. « Le royaume uni des Pays-Bas (1815-1830). », sur connaitrelawallonie.be.
  5. « Acte final du Congrès de Vienne », sur mjp.univ-perp.fr.
  6. « Affirmation de l'indépendance luxembourgeoise, 1815-1919. »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur cere.public.lu .
  7. « Journal de la ville et du duché de Luxembourg du 6 octobre 1830. », sur luxemburgensia.bnl.lu.
  8. « Biographie de Nicolas Mulledorf. », sur luxemburgensia.bnl.lu.
  9. Anvers, Brabant, Flandre-Occidentale, Flandre-Orientale,Hainaut, Liège, Limbourg et Namur
  10. « Proclamation du Congrès national relative à l'indépendance du peuple belge (18 novembre 1830) », sur Internetcodex.be.
  11. « oici pourquoi Arlon est le chef-lieu », sur L'Avenir du Luxembourg
  12. « Biographie de Constant d'HOFFSCHMIDT. », sur unionisme.be
  13. « Chambre des Représentants de Belgique, séance du 4 mars 1839. », sur unionisme.be
  14. « Chambres des représentants de Belgique, séance du mardi 19 mars 1839. », sur unionisme.be
  15. « Biographie de Jean-Baptiste NOTHOMB. », sur unionisme.be
  16. « Revue belge de Philologie et d'Histoire, Année 1931 10-3 pp. 712-718, « Alexandre Gendebien ». », sur persse.fr
  17. « Biographie d'Edouard D'HUART. », sur unionisme.be